La Vie Quotidienne En Dauphiné. Sous La Iiie République
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Paul DREYFUS est né en 1923, à Saint-Omer, Pas-de-Calais. Après une licence de lettres et un diplôme d'études supérieures, à l'université de Lille, il entre dans le journalisme. De 1946 à 1955, il collabore à la rédaction parisienne du Progrès de Lyon. En 1955, il s'installe à Grenoble. Depuis lors, il est grand reporter au Dauphiné Libéré et à l'Agence de presse Aigles. Ses articles sont reproduits par nombre de journaux français. Entre ses nombreux voyages, qui l'ont conduit dans le monde entier et font de lui un témoin des événements de notre temps, il poursuit une œuvre d'écrivain et se penche volontiers, entre autres recherches, sur le passé de sa province d'adoption, le Dau- phiné. Couverture : La place Grenette, à Grenoble à la fin du XIX siècle. (Lithographie en cou- leurs extraite de l'album de la Solette par A. Maugendre à Paris, chez l'auteur, 1863). LA VIE QUOTIDIENNE EN DAUPHINÉ SOUS LA III RÉPUBLIQUE DU MÊME AUTEUR Sainte-Marie-d'en-Haut, Grenoble, Association des Amis de l'Université, 1959. En route vers l'an 2000, Paris, Arthème Fayard, 1961 (épuisé). Grenoble, de l'âge du fer à l'ère atomique, Paris, Arthème Fayard, 1961 (épuisé). La Collégiale Saint-André, Lyon, Lescuyer, 1962. Instantanés sur l'Université de Grenoble, Grenoble, Association des Amis de l'Université, 1962. Dans un monde qui change, Paris, Arthème Fayard, 1963 (traduit en italien et en portugais). Emile Romanet, père des Allocations familiales, Arthaud, 1965 (épuisé). L'Inde, cette autre planète, Arthaud, coll. « Clefs de l'aventure, clefs du savoir », 1966 et 1973. En marge d'un chef-d'œuvre, traduction et commentaire du « Grenoblo malhérou », Grenoble, Dardelet, 1966. Grenoble, de César à l'Olympe, Arthaud, 1967. Ver cors, citadelle de liberté, Arthaud, 1969. Sylvain Saudan, skieur de l'impossible, Arthaud, 1970 et 1972 (traduit en allemand). Du Pakistan au Bangladesh, Arthaud, 1972 (traduit en espagnol). Histoire du Dauphiné, Presses universitaires de France, collec- tion « Que sais-je? », 1972. PAUL DREYFUS LA VIE QUOTIDIENNE EN DAUPHINÉ SOUS LA III RÉPUBLIQUE HACHETTE LITTÉRATURE © Librairie Hachette, 1974 INTRODUCTION VIVE LA RÉPUBLIQUE! L'après-midi s'achève. Il fait doux. Une brume légère nimbe les montagnes, qui commencent à rosir. Tout incite à la flânerie. Devant l'hôtel de ville, dans les allées du jardin à la française, les couples vont à petits pas. A l'ombre des platanes, les enfants jouent. Au loin, dans quelque caserne, un clairon sonne « aux couleurs ». Soudain, un homme passe en courant : « Les affiches... Venez voir... Ils ont posé des affiches... » Sur les murs de Grenoble, en cette fin de journée du 5 septembre 1870 les employés municipaux viennent de coller des placards blancs, format jésus, où se lit, de loin, un texte court, imprimé en gros caractères noirs. C'est la reproduction d'une dépêche télégraphique, envoyée le matin même par Léon Gambetta à tous les préfets et sous- préfets de France. Elle dit que le 4 septembre, à l'annonce du désastre de Sedan, la République a été proclamée à l'hôtel de ville de Paris; que le corps législatif a été déchu; qu'un gou- vernement de défense nationale, de onze membres, a été cons- titué. Le Préfet de l'Isère, A. de Vallavieille, s'est hâté de diffu- ser la nouvelle. Ce soudain zèle républicain ne l'empêche pas, dès le lendemain, d'être relevé de ses fonctions par le peuple, qui a constitué, sans tarder, un « Comité départemental pro- visoire ». Il comprend cinq membres : deux notaires, deux avocats et un comptable. Dans l'ancien palais du connétable de Lesdiguières, qui sert à Grenoble de mairie, se réunit, non moins spontané- ment, une « Commission municipale provisoire délibérante ». Ses treize membres, en majorité des radicaux, n'ont rien de plus pressé que de rédiger une proclamation, qu'ils courent faire imprimer chez Allier père et fils, en la paisible cour de Chaulnes. L'encre est à peine sèche que ce texte vibrant éclot sur les murs de la cité delphinale : « Chers concitoyens, « Après dix-huit ans de honte et de malheur, nous saluons de nouveau la République — notre chère République de 1792 et de 1848. « Vous savez combien elle fut pure et comment elle a été odieusement assassinée. Aujourd'hui, elle nous appartient et nous répondons tous de sa durée, de son avenir, devant la conscience publique et devant l'histoire. « Mais, vous le savez aussi, République c'est le symbole de l'ordre autant que de la liberté. Pourquoi faut-il que ce soit en ce moment le symbole de l'indépendance nationale? « Eh bien! jurons ici que cette grande tâche n'est pas au- dessus de nos forces. Nous aurons l'ordre, nous aurons la liberté et nous vaincrons nos ennemis. » Dans la journée, la garde nationale sédentaire commence à s'organiser. Il est décidé que Grenoble formera trois batail- lons, appuyés par de l'artillerie. Le lendemain, la commission municipale provisoire exécu- tive, composée de sept membres, prend une mesure très popu- laire : elle décide de faire rentrer sous le régime du droit commun les cafés, cabarets et autres débits de boissons. Nul ne pouvait en ouvrir un et l'exploiter, sans autorisation préalable, depuis le décret impérial du 29 décembre 1851. Voici renaître, avec la liberté, le droit de servir à boire... Pour commander la garde nationale, on va chercher, le 10 septembre, le vieux Léon Michal. Il aurait bien le droit de se reposer. Mais n'en fut-il pas déjà le chef en 1848? Sur ces entrefaites, on annonce l'arrivée d'un convoi de blessés, en provenance des Ardennes. Comment va-t-on les coucher? La commission municipale fait appel à la population par voie d'affiche. Il faut d'urgence 70 lits ou couchettes avec paillasse, 180 couvertures, 115 matelas, 320 paires de draps. Pour protéger la République retrouvée, Grenoble a com- mencé à recruter des francs-tireurs. Mais, le 17 septembre, Brillier, le nouveau préfet nommé par le gouvernement, y met le holà. Pourquoi la ville lèverait-elle une milice, alors qu'elle parvient à peine à équiper ses contingents de garde nationale? Une fois encore, des placards apparaissent sur les murs. Les habitants sont invités à fournir des uniformes, sem- blables au modèle déposé à l'hôtel de ville. « Le costume, précise-t-on, est en drap couleur bleu national. Il se compose d'un képi, d'une vareuse et d'un pantalon. Le pantalon n'est pas obligatoire... » Ainsi débute la III République en Dauphiné. PREMIÈRE PARTIE LES PIONNIERS CHAPITRE PREMIER LE PÈRE DE LA HOUILLE BLANCHE Paris. 1889. La tour Eiffel vient d'être inaugurée. L'Expo- sition universelle bat son plein. Dans le stand 63, côté ouest, près d'un ascenseur Edoux, sont présentés un plan en relief de la vallée de Lancey dans l'Isère et une turbine de deux mètres de diamètre. Sur le pla- teau de la machine figure cette inscription : « Exploitation de la houille blanche des glaciers par la création de chutes de 500 à 2 000 mètres de hauteur. » Aux visiteurs, intrigués par cette expression « la houille blanche », on distribue une brève notice qui précise : « De la houille blanche, dans tout cela, il n'y en a pas. Ce n'est évidemment qu'une métaphore. Mais j'ai voulu employer ce mot pour frapper l'imagination et signaler avec vivacité que les glaciers des montagnes peuvent, étant exploi- tés en force motrice, être, pour leur région et pour l'Etat, des richesses aussi précieuses que la houille des profondeurs. « L'utilisation du ruisseau de Lancey, que j'ai commencée il y a vingt ans, et que je poursuis sur une hauteur de 2 000 mètres, en est une preuve expérimentale. » Vingt ans déjà que cela s'est passé dans les montagnes du Dauphiné! Mais c'est la première fois en France que, pour désigner l'électricité d'origine hydraulique, quelqu'un emploie cette expression imagée : la houille blanche. Cet homme s'appelle Aristide Bergès. La France lui doit beaucoup, mais Grenoble plus encore. Son audace a suscité d'autres audaces. Pour capter les tor- rents et transformer leur énergie en électricité, il a fallu inventer des techniques, fabriquer des matériels, créer des machines. Des usines ont grandi. D'autres sont nées. Et l'on a vu soudain s'accélérer le développement économique de toute la région. L'équipement de la première haute chute, en 1869, a marqué, en quelque manière, la seconde naissance de Grenoble. Aussi Aristide Bergès a-t-il sa place en tête des pionniers qui peuplent la première partie de ce livre. Pourtant, il n'est pas dauphinois. Il est né, en 1833, à Lorp, petite localité de l'Ariège, dans la commune de Santa- raille, au bord d'une rivière qui se nomme le Salat. Son père y possède une papeterie, où le papier est encore fait à la main, au moyen d'une forme. Toute la jeunesse de l'enfant est bercée par le bruissement des eaux vives. A l'âge de douze ans, Aristide part pour Toulouse, où il entre comme pensionnaire au collège Saint-Joseph que viennent de fonder les frères des Ecoles chrétiennes. Il y fait toutes ses études et il est le premier élève de l'établissement à être reçu au baccalauréat. Si rapide est sa faculté d'assi- milation, qu'à seize ans seulement il entre à l'Ecole centrale, pour en sortir à dix-neuf, en 1852, second de sa promotion, avec le titre d'ingénieur chimiste. Il revient au pays et installe dans l'usine paternelle, en 1852, un défibreur Voelter.