Le Son De L'est De Michel Matveev
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Le son de l’Est de Michel Matveev Raffaele Zanotti Michel Matveev est le pseudonyme du sculpteur Joseph Constant (Joseph Constantinovsky). Né en 1892 à Jaffa alors que ses parents, Juifs russes, travaillent provisoirement sur un bateau, Constantinovsky passe son enfance à Odessa. Encore très jeune, il prend part avec son père, un artisan dinandier-ferronnier, aux activités révolutionnaires de 1905. En 1914 il entre à l’Académie des Beaux Arts d’Odessa et pen- dant la Révolution il est nommé inspecteur des Beaux Arts dans les jardins d’enfance et les clubs ouvriers à Moscou et à Petrograd. En 1919 son père et son frère sont assassinés aux cours d’un pogrome, la même année Constantinovsky et sa femme Judith décident de quitter la Russie pour la Palestine à bord du bateau Ruslan, qui transporte nombre d’artistes juifs. À Tel Aviv ils forment une coopérative d’artistes avec, entre autres, le peintre Itzhak Frenkel. Un an après, à cause d’une maladie, il s’établit en Égypte et après avoir voyagé an Turquie et en Roumanie, arrive à Paris, en 1923. Ici il fréquente le milieu des artistes juifs russes de Montparnasse, ce qui fera le sujet du roman La Cité des peintres. Matveev arrive à la littérature relative- ment tard et selon son expression : « Un peu par hasard et pour gagner quelque argent1 ». Ce n’est qu’en France qu’il commence à écrire et il le fait directement en français. Sa première œuvre, au sujet de la révo- lution de 1905, date de 1928. À partir des années 1930 il abandonne graduellement la peinture et se concentre sur la sculpture d’animaux, tout en continuant son activité d’écrivain et de traducteur. En 1936 il reçoit le Prix des Deux Magots pour le recueil de nouvelles : Étrange famille. Après la guerre, il connait un réel succès comme sculpteur et plusieurs rétrospectives lui sont consacrées en France et à l’étranger. À partir des années 1950 il voyage fréquemment en Israël et séjourne 1 Interview avec Constant réalisée par Jean Rollin et publiée dans : L’Humanité Di- manche, 13 septembre 1964. 60 Raffaele Zanotti dans le kibboutz Ein Harod. En 1962 le maire de Ramat Gan lui fait don d’une résidence dans le cadre d’un projet de créer un quartier d’artistes au cœur de la ville israélienne. Jusqu’à la fin de sa vie et avec sa femme il se partagera entre son atelier de Paris et celui de Ramat Gan qui à sa mort sera transformé en musée. En 1959 il publie son dernier roman, Ailleurs, autrefois, récit autobiographique dans lequel il évoque son enfance et sa jeunesse en Ukraine au début du siècle. Constant meurt le 3 octobre 1969 à Paris laissant près de mille sculptures, pour la plupart d’animaux. Tous ses romans, signés Michel Matveev, sont écrits en français. « Un son guère entendu » Bien que son œuvre présente un indéniable intérêt du point de vu ar- tistique et historique, Michel Matveev est aujourd’hui fort peu connu par le public et à l’exclusion des articles de presse parus lors de la publication de ses romans, il n’existe à présent aucune étude appro- fondie de son œuvre2. En 1934, à propos du roman Les Traqués, An- dré Malraux écrivait : « Le jour où Matveev substituera à ses souve- nirs ou à ses impressions une volonté préméditée, il écrira un livre exceptionnellement poignant. Aujourd’hui, il apporte en France un son qui n’a guère été entendu3 ». Nous nous proposons, dans cet arti- cle, dans le cadre d’une exposition introductive du travail de Matveev, d’examiner ce que Malraux considérait – à notre avis justement – un son inédit en France au début des années 1930. Nous ferons référence en particulier au roman Les Traqués, publié en 1933. Les Traqués raconte l’histoire des pérégrinations d’une famille juive de Russie en fuite des pogromes de 1919. La partie centrale et principale du roman se déroule en Roumanie où le narrateur et son frère, accusés d’être bolcheviques, sont emprisonnés. Après une lon- gue série de mésaventures, la famille échoue en France et, dans les derniers chapitres on les voit entreprendre une pénible vie d’immigrés 2 La situation est sans doute différente quand on considère l’autre facette de l’artiste, Constant, le sculpteur. Surtout à partir de la fin de la guerre, la critique d’art s’en est occupée à plusieurs reprises mais l’activité de l’écrivain n’a généralement été citée que comme curiosité biographique quand elle n’a pas été entièrement ignorée. Il nous est impossible de donner ici une bibliographie complète sur Constant. Pour une pré- sentation de l’artiste et de son œuvre, voir Les Cahiers d’art-Documents, N° 54, 1957, Éditions Pierre Cailler, Genève. 3 André Malraux, « Les Traqués », La Nouvelle Revue Française, N° 249, juin 1934, p. 1015..