YVETTE GUILBERT DU MÊME AUTEUR

Petit glossaire raisonné de l'érotisme saphique — 1880-1930 —, Jean-Jacques Pauvert éditeur, 1980. Préface à la réédition d'Illyrine ou l'écueil de l'inexpérience (1799) de Suzanne Giroust de Morency, collection « L'Érotisme Directoire » dirigée par J.-J. Pauvert, Éditions Garnier, 1983. Écrire d'Amour, Anthologie critique des textes érotiques féminins — 1799-1984 —, Éditions Ramsay, 1985. Préface à la réédition des Caprices du sexe (1928), de Louise Dormienne (Renée Dunan), Éditions Curiosa, 198 5 . Les Mots d'Arletty, Éditions Fanval, septembre 1988. CLAUDINE BRÉCOURT-VILLARS

YVETTE GUILBERT l'Irrespectueuse Biographie

PLON 8, rue Garancière La loi du 11 mars 1957 n'autorisant, aux termes des alinéas 2 et 3 de l'article 41, d'une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d'autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d'exemple et d'illustration, « toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite » (alinéa premier de l'article 40). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal. © Librairie Plon, 1988. ISBN 2-259-01991-9 A mes filles

« Il y a toujours des raisons qui expliquent et justifient les engouements populaires. La gloire ne se fait pas toute seule. » Gustave FRÉJAVILLE

AVANT-PROPOS

Il ne reste jamais des grands artistes qu'une légende, quelques images évanescentes et sublimes des premiers triomphes. Yvette Guilbert n'a pas échappé au mythe. Figée dans cette longue silhouette de dame rousse aux gants noirs, immortalisée par Toulouse-Lautrec, elle n'a cessé d'apparaître comme l'excep- tionnelle « Diva » du café-concert, l'interprète rêvée de la chan- son réaliste Modern Style, celle, enfin, qui reçut les plus gros cachets de son époque ! Des chansons comme Le Fiacre de Xanrof ou Madame Arthur de Paul de Kock, qui suffiraient à pérenniser sa renommée, n'expliquent ni ne justifient à elles seules une car rière de cinquante ans. Les Anglais et les Américains la comparèrent à Sarah Bernhardt, avec qui elle partagea le don de bouleverser les foules par sa seule présence. Les Allemands, les Russes, les Roumains et les Hongrois en firent le pendant de son amie, la grande tragédienne italienne . Chose rare, lors de son jubilé en 1938, le public l'adula comme à ses premiers moments de triomphe. Elle séduisait pourtant une autre génération et montrait combien elle avait su diversifier et enrichir son talent. Après avoir recréé la chanson grivoise, en lui donnant par ses interprétations uniques une autre dimension, elle se tourna résolument vers la chanson ancienne, exhumant des textes remontant au Moyen Age et inaugurant ainsi, malgré les résis- tances de son public habituel, un nouveau style pour devenir la plus célèbre « Diseuse » du folklore français. Yvette Guilbert fut encore auteur-compositeur, chroniqueuse et même écrivain. On lui doit deux romans, des mémoires et des manuels de technique d'expression. On ignore généralement qu'elle fut aussi comédienne, fondatrice d'une école d'art dra- matique à New York et que de grands réalisateurs de cinéma, du muet — comme Marcel Lherbier, Murnau, Mercanton, Maurice Tourneur, ... —, lui ont confié des rôles aux côtés d'acteurs aussi prestigieux que Michel Simon, Ray- mond Rouleau, Sacha Guitry, Antonin Artaud, Marguerite Moreno, ou Arletty... Figure kaléidoscopique, elle apparaît non seulement comme le symbole du caf conc', mais comme un emblème fin de siècle. Parler d'elle, c'est immanquablement évoquer cette époque répu- tée légère qui vit la naissance du Chat-Noir, la vogue de Mont- martre, c'est aussi côtoyer au passage la bohème expirante et des écrivains comme Maurice Donnay, Pierre Loti, Jehan Ric- tus, Pierre Louÿs ou même Willy... Car de Laurent-Tailhade à Zola, Mirbeau, ou de Francis Jammes à Edmond de Gon- court et Jean Lorrain, qui en fit l'héroïne d'Une femme par jour, poètes et romanciers ont été fascinés. Apollinaire, même, écrivit sur elle un sonnet peu connu, publié dans le petit journal montmartrois, Tabarin. Parmi tous ces admirateurs, de nom- breux peintres et caricaturistes qui, tous à leur manière, /' ont croquée : Toulouse-Lautrec, bien sûr, Steinlen, Bac, Léandre, Willette, Cappiello... et même Picasso. Enfin, plus inattendus peut-être, Djuna Barnes, qui fit d'elle, à New York, une interview aujourd'hui ignorée, Robert Musil et Freud, surtout, avec qui elle correspondit quelques années et qui venait l'écouter à chacun de ses passages à Vienne. Mais combien de compo- siteurs encore, si l'on songe à Gounod, Saint-Saëns, Massenet et Verdi ! Le charme qui émanait d'Yvette Guilbert ne se limitait pas à l'artiste. La femme, semble-t-il, séduisait tout autant. Sa vie privée est cependant difficile à cerner, tant elle fut prompte, comme beaucoup de ses contemporaines à brouiller les pistes, à « truquer » les chronologies, à ruser avec les « non-dits », à détruire même, fort probablement, ce qui aurait pu permettre des recoupements très précis. On pense à cette masse importante de correspondance disparue ou éparpillée au gré des ventes. Maxime Schiller, son époux, en vendit une partie pour payer son séjour au Grand-Hôtel à Paris après son décès. Même sans sa célébrité elle eût été un personnage étonnant, car de tous les récits de sa vie émerge l'image d'une femme à la personnalité remarquable, douée d'une volonté peu commune et d'une curiosité insatiable. Elle s'intéressait à tout, lisant, observant beaucoup, cherchant à innover sans cesse. Elle disait devoir sa réussite à la chance, mais on s'accorde à dire qu'elle la dut également à son exceptionnelle capacité de travail et à un sens aigu des affaires. Elle fut probablement d'ailleurs l'une des premières stars à avoir su organiser elle-même et maîtriser ce qu'on appelle aujourd'hui le marketing en matière de show- biz. Chose étonnante à une époque où la femme était tout de même loin d'avoir acquis un statut d'individu à part entière. Née en 1865, et non en 1867 ou 1868 comme on s'accorde à le dire, Yvette Guilbert est morte en 1944 à Aix-en-Provence. Un monde nous sépare de ses manières de vivre et de penser. Les discours mêmes étaient différents. Nous avons voulu pour- tant les restituer fidèlement au fil des citations, jugeant, à tort ou à raison, que c'était la meilleure façon de la mieux comprendre et de la replonger dans cette époque qu'on a dit « belle » et dont les fantaisies, les fastes et les plaisirs aujour- d'hui surannés ont fait rêver tant de générations.

I L' « OLYMPIA », LE 11 JUIN 1901

— La loge trois, c'est ici ? — Oui, c'est là, mais si c'est pour voir Yvette Guil- bert, vous risquez d'en être pour vos frais... Elle ne reçoit jamais avant un concert ! — Mais je suis Georges Millandy... — Millandy ou pas, elle ne reçoit pas. C'est clair. D'ailleurs, vous pouvez aller voir, même son mari pré- fère l'attendre au Foyer des artistes avec son Herald Tri- bune. Alors, croyez-moi, le mieux serait que vous rejoigniez gentiment la salle... L'homme s'en retourna, s'épongeant le front. Déci- dément, les couloirs et les escaliers de l'Olympia étaient aussi irrespirables que ceux de la S cala. Et puis, juin, cette année, était difficile à supporter. De loin, on entendait Yvette fredonner. Elle était seule dans sa loge avec l'habilleuse. Pourtant, contrai- rement à ce qu'avait dit le cerbère, ce lieu était plein à l'accoutumée. Mais ce soir de première était bien par- ticulier et chantonner revêtait un rite conjuratoire, car de fait, Yvette était maussade, inquiète surtout : deux ans hors de la scène, c'était long. Et puis on ne sort jamais tout à fait indemme d'une longue maladie dont on a failli mourir. Quant à ce retour triomphal, annoncé un peu partout comme une double résurrec- tion, ce n'était pas facile à assumer, d'autant qu'on l'at- tendait avec la même ferveur qu'autrefois. Or ce soir le trac était là, à nouveau et difficile à dominer pour la raison que ce public entendait justement retrouver en elle une image : cette longue silhouette popularisée par Chéret, immortalisée par Lautrec et qu'elle détestait tel- lement à présent. Pourquoi, disait-elle souvent, avoir donné une telle importance à un accessoire aussi futile : chevreau« Imaginez 1 ! »: un chiffon vert et deux gants de L'angoisse, ce n'était pas en réalité de chanter, mais de se demander comment les spectateurs allaient accueil- lir sa nouvelle image ? A la suite d'une récente et longue maladie, l'allure d'Yvette n'avait effectivement plus rien à voir avec cette « arabesque vivante et impal- pable » du Divan-Japonais, des Ambassadeurs ou de la S cala dont parlait avec ravissement Gustave Geffroy Si la robe était toujours verte, les gants noirs légen- daires se repliaient désormais sur des bras bien en chair... Et cela commençait à se savoir, quelques jour- nalistes nostalgiques ayant donné l'alerte. Jean Lorrain en tête, et en phase chronique de brouille, aurait peut- être pu s'abstenir d'écrire qu'il préférait de loin son allure de « Sidonie macabre ». « Ah ! Quelle terrifiante poupée de cauchemar elle était encore, il y a deux ans, avec ses longs bras de sauterelle et son corsage en " V " sur sa maigreur de spectre 3 » Mais pire encore peut-être, ce crayon de Métivet la stigmatisant en rotondités excessives et contemplant dans un miroir son étique silhouette dame d'antan, sous le regard sarcas- tique d'un petit gros voûté à barbe blanche, Francisque Sarcey, le critique redouté du journal Le Temps. A trente-six ans, maintenant, il y a bien longtemps que la scène n'a plus de secrets pour elle. Et cette anxiété, somme toute familière, précédant le spectacle, elle a toujours finalement réussi à la maîtriser. Aujour- d'hui, pourtant, elle a confusément l'impression que ce sentiment recouvre autre chose de plus diffus, peut-être 1. Y. Guilbert, La Chanson de ma vie (Mes mémoires), Grasset, 1927. 2. G. Geffroy, Yvette Guilbert, album illustré par Lautrec. L'Estampe ori- ginale, 1894. 3. J. Lorrain, Poussières de Paris, Oliendorff, 1902. de plus profond. Et si elle allait de façon irréversible ne pas pouvoir se dominer ? L'avoir pressenti était une chose, mais s'être laissée aller à en parler, quelle erreur ! Regretter pourtant ne servirait à rien et puis cela n'était pas dans son tempérament. Que ce Millandy aille donc au diable ! Non, vraiment, pas question de le voir, car c'est à lui qu'en un moment de panique elle a eu la faiblesse de commander une chanson d'entrée et de ren- trée dans laquelle elle aurait pu, de façon plaisante, reprendre contact avec le public. — Ah ! Monsieur, s'était-elle écriée en le voyant, quel service vous allez me rendre. Le public ne va pas me reconnaître... Je voudrais aller au-devant de sa sur- prise, le préparer, enfin lui dire gentiment : « Eh bien, oui, c'est moi, j'ai pris de l'embonpoint. Entre nous, j'en avais bien besoin... Mais je suis Yvette, votre Yvette, celle que vous avez aimée, fêtée... » Elle fut, c'est vrai, du moins à l'époque, la seule, après Joséphine de Beauharnais et Sarah Bernhardt, à avoir eu l'insigne privilège d'être, par ses contempo- rains, simplement appelée par son prénom. — Et tout ceci, cher monsieur, avait-elle ajouté, je voudrais le dire sur l'air de mes chansons, afin que les anciens auditeurs se sentent tout de suite dans l'atmo- sphère. Ravi d'avoir pu se considérer comme l'un des paro- liers attitrés de la vedette — l'honneur n'était pas mince —, Millandy lui avait écrit un texte en deux jours, calqué sur l'air de Ma Grosse Julie, qui se dérou- lait sur le canevas de ce premier couplet : Jadis, j'étais mine' comme un fil : On n'me distinguait que d'profil. Quand j'paraissais la min' revêche, J'avais l'air d'un' pauv' nourrice sèche... Maint'nant, j'ai bien le droit d'être bavarde : J'suis rondouilla-a-arde 4 !

4. G. Millandy, Lorsque tout est fini, A. Messein, 1933. Or, lorsque l'orchestre attaqua la ritournelle, ce ne fut point cette chanson qu'Yvette chanta. Caprice ? Oubli ? Elle ne répondit même pas à la lettre brève que lui fit parvenir, dès le lendemain, le compositeur dépité. Vingt ans après, lorsque Millandy lui rappela au détour l'aventure, elle opta pour la version de l'oubli, ajoutant avec cette voix un peu sèche, qu'elle savait prendre quand elle voulait trancher définitivement une question : — Mais, mon cher, envoyez-la-moi, votre chanson. Il est toujours temps de la chanter ! — Hélas, chère madame, elle a bien vieilli et j'ai pensé qu'il y en aurait peut-être une autre à faire... — Rosse ? — Non, plutôt mélancolique, celle-là 5 L'heure, à présent, était encore au maquillage. Rouge géranium sur les lèvres pour faire ressortir l'éclat des dents, qu'elle polissait toujours amoureusement avec du bicarbonate de soude. Pouah ! Cette dentition n'est-elle pas son unique fierté ? A se considérer irréversiblement laide, il y va naturellement de son équilibre de chercher un point de fixation euphorisant. Mais le rouge était surtout là pour accentuer le contraste avec la pâleur de son masque de Pierrot funèbre et décadent, celui-là même qui, naguère, enchantait encore tellement Lor- rain. Coup d'œil dans la glace : — Flûte, le mascara a coulé. Et moi qui ai horreur de ces saletés sur la figure. Hélène, viens me resserrer la jupe. Tire, tire encore. Tu sais, j'ai quand même du mal à imaginer qu'en 95, je courais légère et follette à bicyclette... Ah ! cet orgueil de vouloir plaire ! Elle analysa à plusieurs reprises ce qui faisait la séduction d'un artiste et la sienne en particulier : « Chaque âge doit apporter une technique différente. J'ai depuis longtemps arrêté la mienne : perdre en scène ce qui reste de moi, effacer jusqu'à mon ombre, n'être

5. Id. plus qu'une onde anonyme et sonore — la vie qui chante ! N'être plus qu'un cœur qui rit et qui pleure, une âme qui révèle aux âmes toutes leurs peines, toutes leurs joies, toutes leurs vertus, leurs grimaces et aussi leurs vices et, pour ce faire, m'escamoter, disparaître, devenir les brouillards vivants des autres, de ceux que je chante, avec par-ci, par-là un retour de moi quand il faut. Une esquisse, une pochade, quelques traits, un campement de silhouette, mais à mon gré obliger mes auditeurs à m'oublier, à me perdre de l'œil, tout occupés que je les oblige à ne penser qu'à eux, rien qu'à eux, tout absorbés que je les veux, à se chercher, à se trouver, à rencontrer leur vérité perdue, à se recon- naître, " eux " ou les leurs, en moi, et les décider, jouissant de mes portraits " d'eux ", à accourir allégée de ma confession de leurs péchés, m'aider " en eux " 6 » Yvette parlait, parlait... De tout, de rien. Ondes d'an- goisse et crises de logorrhée au rythme du piano bien tempéré. Ce besoin de chantonner masquait mal sa sou- daine envie de mordre, de se révolter contre ces auréoles qui s'agrandissaient sous les manches de son corsage, contre cette sueur glacée à la nuque qui com- mençait à gagner la poudre au visage et cette insup- portable moiteur des mains. Être prête une vingtaine de minutes à l'avance pour pouvoir se concentrer était une règle absolue chez elle. Maintenant elle attendait, ravie de pouvoir contempler de nouveau ces corbeilles de fleurs qui arrivaient sans discontinuer, d'ouvrir aussi ces mille enveloppes — des billets d'hommage, des lettres passionnées — de gens connus ou inconnus lui souhaitant le plus grand triom- phe. Tous la désiraient. Mais mon Dieu, tout à l'heure, toutes ces lorgnettes... Yvette se souvint soudain en riant de certains de ces billets d'autrefois, de celui, entre autres, de cet admirateur fou de ses tout débuts : « Mademoiselle, oh ! que vous êtes gentille... regar-

6. Y. Guilbert, L'Art de chanter une chanson, Grasset, 1928. dez-moi, je suis au balcon, avec une chemise bleue à petits pois blancs. Si je vous plais, on pourrait boire un bock ensemble à la sortie ? » Avait suivi, au bout de quinze jours, une missive plus laconique, plus agressive, le monsieur précisant qu'il se trouvait à présent, pour mieux être vu, à la galerie, avec la même chemise, puis enfin quelques temps après, cet ultime billet : « Croyez-vous que je vais dépenser toute ma paye au théâtre ? C'est ridicule de me faire poser comme ça, c'est y des manières comme il faut ? Si dimanche je n'ai pas un signe de vous, je m'arrangerai ailleurs, c'est peut-être le lustre qui vous empêche de me voir, alors je serai sur le côté droit avec ma chemise bleue à pois blancs... J'attends votre œil ! 7 » Soudain, la sonnerie du plateau ! Le temps n'était plus aux souvenirs ni à la retouche ou à la réflexion. En route pour la bataille... Dernier regard au miroir pour s'assurer que la fatigue était enfin domptée avec grâce. — Cours, Yvette, cours ! Durant la Grande Semaine de Paris, qui avait débuté le 8 juin par le Grand Steeple Chase d'Auteuil, le concert d'Yvette Guilbert faisait figure d'événement — « the Great Event », disait l'anglophile à la page. Avec deux mille places, l'O/ympia n'était déjà pas rien à l'époque. Il avait ouvert ses portes huit ans auparavant, sur l'emplacement des célèbres Montagnes Russes. Une architecture entièrement métallique, conçue par Léon Carle, et une salle aux décors fastueux et d'un confort sans exemple. Paris avait enfin son lieu de spectacle de classe internationale. Le plafond lumineux attirait telle- ment les regards, que la scène parfois séduisait moins. Pourtant les ballets qu'on y montait, avec un luxe « tout asiatique », n'avaient rien à envier aux répertoires classiquement gaulois des cafés-concerts. L'Olympia avait son label. Il est vrai que son créateur n'était rien

7. Mes Lettres d'amour, Denoël et Steele, 1933. moins que le père du Moulin-Rouge, du Cirque d'Hiver, du Jardin de Paris et du non moins révolutionnaire Paris Mutuel ! Loin, toutefois, d'être le temple de la chanson qu'il est aujourd'hui devenu, l' Olympia ne produisait des chanteurs qu'à titre exceptionnel. On y programmait alors surtout des numéros de music-hall, de cirque, des pantomimes et ces danses si populaires dont les cor- tèges, qu'on disait « aphrodisiaques », se déroulaient sur fond de musique lascive au milieu des frous-frous et des jetés battus des étoiles. L'ambiance y était toujours enfiévrée et l'atmosphère, à la limite du respirable, satu- rée à l'extrême de ces parfums à l'opopanax et au pat- chouli, écœurant tellement la Colette familière de L'Envers du music-hall. On s'y amusait beaucoup. Un Guide des Plaisirs pari- siens précisait discrètement au touriste qu'en fonction de la générosité des pourboires, on pouvait aussi y faire connaissance avec d'aimables cicérones qui vous conduisaient volontiers à votre appartement ou au leur. Il suffisait d'ailleurs d'arpenter le promenoir pour s'apercevoir que les « messieurs de la haute » ne man- quaient pas de chuchoter leurs impressions, à l'entracte. La rentrée d'Yvette sur la scène de l'O/ympia ne sur- prit nullement, car durant cette saison 1901 des artistes renommées s'y étaient produites : Loïe Fuller, dans ses danses serpentines, Émilienne d'Alençon, en Marguerite d'un Faust bien éloigné de celui de Gounod, Caroline Otéro, en impératrice dans une « féerie-ballet », enfin Liane de Pougy, tout juste célèbre pour son roman Idylle saphique, et qu'on avait bien évidemment choisie comme l'interprète rêvée de l'une des protagonistes farouches d'un « Duel de Femmes », en un acte et deux tableaux. Mais en ce soir de juin, c'était bien pour entendre des chansons et pour applaudir sa « Diseuse fin de siècle », que le public s'était rendu en foule boulevard des Capucines. On s'écrasa d'autant plus devant le contrôle, qu'on avait désespéré la revoir jamais. Avant même son apparition on entendit hurler et scander son nom avec un déchaînement d'enthousiasme comparable à celui que suscitent aujourd'hui les plus grandes vedettes de variétés. Quand elle apparut et s'avança le long du rideau, toujours un peu hautaine dans sa démarche et soucieuse d'élégance et de distinction, ce fut un véritable hourra d'amour, une ovation intermi- nable grondant, déferlant et se brisant contre la rampe. On trépignait, on criait, on hurlait. Le silence revenu, Yvette entama finalement son tour de chant avec La Soûlarde de Jules Jouy. Alors, la raideur hautaine des saluts au public disparut. Elle devint soudain, comme par prodige, la femme avilie, titubante, poursuivie par les cailloux des sales gosses, la vieille trébuchante vomissant des injures, éructant, tendant des poings déri- soires. Puis la gouaille succéda à l'ironie grinçante : — Ce soir, je vous dirai des liaisons et des trahisons amoureuses. Il ne faut pas craindre le mot exact : je suis dans l'intention de vous parler des chienneries de l'amour : Que j'suis heureuse, ma chér', j'en perds la tête Et ce n'est pas d'l'amour pour plaisanter : Du beau Raoul, j'ai su fair' la conquête, Je suis aimée, et je puis m'en vanter. Cet amant-là m'a déjà fait connaître Le désespoir, les pleurs et caetera. Y voulait mêm' se jeter par la fenêtre Ah ! quel plaisir quand on vous aime comme ça, Quand on vous aime comme ça 8 ! Yvette disait s'être lancée délibérément dans la chan- son légère, en début de carrière, non par goût, mais parce qu'elle n'avait pas le choix : — Allons donc, souvenez-vous, toutes les scènes, en ce temps, étaient occupées par les turpitudes. J'aurais chanté les vertus de son époque si son époque avait affiché les vertus... Alors, je me suis rabattue sur les

8. Cf. Musica, n° 74, novembre 1908. vices de mon siècle et j'ai fait œuvre de satiriste selon la force de mes moyens et de mes goûts qui m'y pré- disposaient. Sont venus à moi les Aristophanes modernes. Nous nous sommes compris ; je leur ai dû mes succès et certains auteurs me durent un peu de leur vogue. D'ailleurs un « certain public » qui n'allait pas au music-hall s'est dérangé pour m'entendre 9 Yvette Guilbert, mère fouettard ? C'était du moins ce dont elle voulut toujours se convaincre, même lors- qu'elle tenta plus tard d'analyser avec Freud ses moti- vations profondes 10 Ainsi, une chanson comme Le P'tit Cochon, « qui faisait glousser de délice les belles dames », n'était-elle pas pour elle « une grivoiserie simple mais un coup de martinet sur les épaules de certains hommes et certaines femmes 11 ». Si Yvette s'inscrivit pourtant dans une tradition, ce fut bien dans celle de Villon et de Bruant, surtout, dont elle reprit les thèmes et les manières. Comme lui, elle chanta les faibles et les opprimés, les traîtrises d'amour et la prostitution, les assommoirs et la prison. Comme lui encore, elle « gueula » le titre et le début de ses chansons : Il arrive l' maquereau. Ah ! qu'il est beau, qu'il est beau, qu'il est beau ! Il arrive l' maquereau 12 Comment aurait-elle pu s'imposer autrement dans ce milieu de beuveries et de « propos entre hommes » ? Ce soir encore, elle allait mimer, railler ou chuchoter, mais attention, si d'aventure quelque client manifestait le désir de sortir au milieu d'une chanson, comme dans les bouis-bouis de ses débuts, elle n'hésiterait pas, les poings sur les hanches, à l'apostropher avec cette

9. Id. 10. Cf. ci-après, ch. XXX. 11. La Chanson de ma vie. 12. Francis Carco. La Belle Époque au temps de Bruant, Gallimard, 1954. gouaille particulière qui décourageait les plus témé- raires : — Au revoir Mossieu ! Bonne nuit Mossieu ! Tous les clients sont des cochons, La faridon don don, la faridondaine Et surtout les ceuses qui s'en vont Après plus de dix ans de métier, les ficelles, elle les connaissait, mais elle arrivait encore à surprendre par des effets inattendus. Elle fut d'ailleurs l'une des rares chan- teuses de cafconc' à avoir eu, immédiatement, deux publics. Les gens chic venant l'entendre pour s'enca- nailler, ou par snobisme pour voir celle dont on disait qu'elle était « une femme extraordinaire », les prolé- taires, pour s'y reconnaître ou pour rêver. C'est ainsi que des journaux publièrent le signalement d'un soldat déserteur portant comme signes particuliers des tatouages sur les mamelles : à gauche, côté cœur, son portrait, à droite, comme pendant, celui de Mayol 14 Elle chantait avec une diction exceptionnelle, une accentuation réellement inimitable et une économie de moyens tout à fait surprenante : « Pour les effets gais ou tristes, je veux m'en tenir autant que possible à mon masque. D'abord parce qu'il me sert fidèlement, et ensuite parce que je pense que le mouvement dramatique doit venir du visage et des yeux et non des bras 15 » Elle donnait à chaque couplet, à chaque mot une nuance si particulière qu'on était confondu lorsqu'on s'apercevait qu'une chanson comme Madame Arthur, par exemple, ne durait, en réalité, pas plus de trois minutes ! Ce qui faisait perdre cette notion du temps et retenait l'attention était son regard, ses yeux extraordi- naires d'intelligence et de mobilité : « ardents à faire damner saint Antoine », disait volontiers le critique

13. Id. 14. Rapporté par Romi, Gros succès et petits fours, éd. Serg, 1967. 15. L'Art de chanter une chanson. Adolphe Brisson 16 Elle ajoutait à cela ce qu'il faut d'ef- fronterie et d'ingénuité calculées pour souligner, sans avoir l'air d'y toucher, les allusions les plus polissonnes et avait l'art de dire virginalement les couplets les plus cyniques ou de prendre « des accents à faire rougir les singes et des mines à faire pâmer les séraphins 17 ! Mais, parfois, sans transition, c'était la colère qui flamboyait derrière les mots les plus complaisants. Son talent était tel, qu'elle faisait autant oublier son physique ingrat que la médiocrité de certains textes : « Visage et chansons devenaient beaux dans leur lai- deur, notait très justement Robert Musil. Ce qui embal- lait le public, c'était le contraste entre ce qu'on tient pour sans morale et sans beauté et un sens nouveau. Le même contraste se retrouvait dans cette bouche capable de se plisser pour la plus délicieuse des moues, et dans un nez qui était exactement ce qu'on appelle à Vienne un kipfel dont les moments de colère faisaient vraiment l'envers du plus hardi bec d'aigle. (...) La force de sa nature était encore sensible dès les premiers mots. On entendait parfois, tout à coup, monter dans ce fond d'aimable friponnerie comme une puissante rumeur de tambour de bronze. C'était cela même qui avait puisé un jour dans le choquant de sa puissance de choc et sa force ascensionnelle 19 » Malgré sa métamorphose physique, elle apparut encore à l'O/ympia comme une épure : cheveux d'un roux ardent, presque rouge, fleurs rouges, lèvres rouges et sourcils très noirs comme les gants, comme la cein- ture de la robe et les souliers. Dans tout cela se déta- chant, presque monstrueusement, un cou très long, qu'elle étirait ou rentrait à volonté et qui l'avait fait baptiser « Comique à rallonges »... Ce cou eut en Champfleury un admirateur inconditionnel et inat-

16. A. Brisson, « Yvette Guilbert » in Portraits intimes, Paris, 1896. 17. Id. 18. Sorte de petit croissant. 19. Robert Musil, Der Abend, 22 décembre 1923. Repris in Ecrits, Le Seuil, 1984. tendu : « Admirable, disait-il, le plus beau cou du monde, c'est ainsi que les dessinait Célestin Nanteuil dans ses meilleurs moments. Un vrai cou roman- tique 20 ! » Face au public, le port altier, Yvette poursuivit sur ce ton volontairement décalé avec La Complainte des quatre Z'étudiants de Léon Xanrof, disant ces vers sur un ton doux et caressant, qui leur donnait un relief extra- ordinaire, puis elle achevait sur un rythme mélancolique ponctué d'un léger soupir : La bonne n'est pas une très belle fille OnMais lui nous fait n'la tenonscour en pas famille au minois. A l'hôtel du n° 3 ! Toute la salle l'acclama et la rappela. Mais sans attendre, elle se campa à nouveau fièrement au milieu de la scène et, d'un air tout aussi ingénu et candide, récita, comme s'il s'agissait d'une prière, Le Fiacre, qui venait de faire les honneurs des premiers essais du cinéma parlant lors de la dernière Exposition univer- selle : Un fiacre allait trottinant Cahin, caha. Hue ! Dia ! Hop là ! Un fiacre allait trottinant, Jaune, avec un cocher blanc. Derrière les stores baissés Cahin, caha, DerrièreHue ! Diales stores! Hop baisséslà ! On entendit des baisers. Puis une voix disant : « Léon, Tu m'fais mal, ôt' ton lorgnon ! » Un vieux monsieur qui passait S'écri' : « Mais on dirait que c'est Ma femm' dont j'entends la voix ! » 20. Jules Troubat, Sainte-Beuve et Champfleury, Mercure de France, 1908. I' s'lanc' sur le pavé d'bois : Mais i' glisse sur le sol mouillé... Crac ! Il est escrabouillé ! Du fiacre un' dam' sort et dit : « Chouett' ! Léon ! C'est mon mari ! Y a plus besoin de nous cacher ! Donn' cent sous au cocher ! » Mais qu'on ne s'y trompe pas, ce texte en apparence anodin se démarquait totalement des chansons récentes de café-concert où l'on mettait généralement un peu trop le genre macabre à la portée du snobisme bour- geois. Il y échappait « par sa façon curieuse de sym- boliser la cruauté de l'amour : " Crac ! il est escrabouillé 21 » Il faut dire qu'elle amenait la chute en mêlant à la fois des larmes dans son rire et de l'iro- nie mordante dans sa pitié. Avec Le Fiacre, le public atteint au délire, mais les chansons continuèrent de s'enchaîner, allant du plaisant au sérieux, des Souvenirs d'Yvette, à Ma Tête de Secretan, ce monologue effrayant et sinistre sur le thème du voyou de Paris en marche vers l'échafaud. Yvette ne chantait pas seulement, elle disait et jouait également. La voix, venant alors de la gorge, se faisait grave et les mots, comme découpés à l'emporte-pièce, faisaient balle et frappaient, cinglants, sans crier gare : — Elle enchante, raconta un témoin, mais mon Dieu qu'elle fait peur ! Au cours de ce concert, le répertoire de Bruant fut bien évidemment de la fête, de Belleville-Ménilmontant à J' suis dans l' Bottin, ramenant au registre inégalable de ses premiers succès. Lorsqu'elle avait voulu interpréter ces chansons, Yvette n'avait pourtant pas osé en demander l'autorisation à Bruant. A côté de son assu- rance stupéfiante, il y avait parfois en elle un fond de réelle timidité. Le jour où elle lui en fit part, le grand bonhomme à la chemise rouge, au costume légendaire

21. Tristan Bernard, « Du symbolisme dans la chanson de café-concert », in La Revue blanche, octobre 1891. de velours noir et aux bottes de pompier — qui chan- tait tête nue, les cheveux lisses rejetés en arrière, et non pas avec ce feutre également noir et cette écharpe rouge avec lesquels Toulouse-Lautrec l'a immortalisé —, l'em- poigna par les épaules et lui dit, avec cette chaleur dont il pouvait aussi faire preuve : « Ose ma fille, tu as ton talent et ton cœur qui saigne. Vas-y ma grande ! » « C'était un soir chez Raoul Toché, écrit-elle, et Bruant a saigné lui aussi 22 » Elle n'oublia pas non plus ses poètes préférés : Paul de Kock avec cette fameuse Madame Arthur — dont on peut se demander, à l'écoute des inflexions de sa voix, si elle n'admirait pas, elle aussi, son irrésistible « petit je ne sais quoi » —, Maurice Donnay avec son inévi- tablè Eros Vanné et son non moins célèbre monologue Les Vieux Messieurs dont : Les nanas et les titines Vont partager sous les courtines Les mille jeux facétieux... Et toujours le miracle s'accomplissait. Au tomber du rideau, le public trépigna et rappela à grands cris. Cette rentrée fracassante, avec l'essentiel de son pre- mier répertoire, fut plus appréciée que son passage à La Bodinière, cinq mois auparavant. Elle avait alors donné six matinées exclusivement classiques consacrées à des poèmes de Baudelaire et de Verlaine, mis en musique par Maurice Rollinat. Elle ambitionnait désor- mais « un peu plus d'art que par le passé » et tentait d'amorcer ainsi « une seconde carrière ». Au journaliste venu lui demander des précisions sur ce nouvel « idéal artistique et moral », elle avait fait cette réponse non dépourvue d'intérêt pour comprendre l'ambiguïté de ses premières orientations. — Quel est mon idéal au concert ? Monsieur, voilà : d'abord de vivre, puis de bien vivre. L'idéal au café- concert ? Mais de quoi parlez-vous là ? Est-ce celui que 22. La Chanson de ma vie. vient y chercher le public ou celui de l'artiste ? L'ar- tiste, voyez-vous, est obligé d'aller au goût du public et le public n'a pas de goûts artistiques. Aujourd'hui, l'idéal est la pornographie... Vous pensez que je suis pour quelque chose dans ces choses salées, n'est-ce- pas ? Je le sais bien, le vitriol est devenu une liqueur à la mode parce que le public en voulait. Il fallait gagner de l'argent et j'ai rendu mon produit chimique. Remarquez que je déplorais le mauvais goût de ce public qui m'applaudissait 23 ! On était loin de ses débuts pénibles, de cette jeunesse misérable dont elle parlait souvent. Et avec quelle amertume.

23. La Vie illustrée, décembre 1902.

II EMMA, ALBINE, HYPPOLYTE ET LES AUTRES...

La naissance d'Yvette ne s'entoura pas des légendes généralement attachées à celles des grandes stars... Ce nom, qui devait faire sa gloire, fut le pseudonyme qu'on lui conseilla de prendre quand elle voulut monter sur les planches. Elle s'appelait en réalité Emma, Laure, Esther et elle naquit, non point en Normandie, le pays de ses parents, mais à Paris, dans le Marais, au numéro 78 de la rue du Temple le 20 janvier 1865, à 23 heures. Sa mère, Albine, Hermance, Julie Lubrez, avait vingt ans. Elle était d'origine flamande et était née à Orchies dans le Nord. Son père, Hippolyte, au nom racinien en diable, était normand et avait juste un an de plus 1 L'extrait de naissance de leur fille précise qu'ils s'étaient mariés à Paris, dans le premier arrondissement. Hippo- lyte s'était déclaré, on ne sait trop pourquoi, comptable de profession, et avait présenté pour témoins deux voi- sins : François Lefèvre, un employé de commerce et un certain Alexandre Legallier, limonadier de son état. Si le quartier natal d'Emma se trouvait à deux pas des boulevards, il était bien entendu loin à l'époque d'en posséder la richesse et l'éclat. C'était alors un 1. Dans une enquête de L'Esprit français, 9 mai 1930, Yvette Guilbert précise que la famille de sa mère datait de l'occupation espagnole dans les Flandres et celle de son père, de l'occupation française en Normandie au XV siècle et que « Guilbert » était en réalité « Gilbert », prononcé à l'an- glaise. Au moment de la Terreur, ils se seraient alliés à la famille Bourdon de la Rupelle, dont sa grand-mère était la directe descendante. dédale infini formé par des rues étroites, mal éclairées, une topographie hasardeuse d'allées, de maisons sor- dides aux façades sombres trouées de fenêtres de guin- gois, où l'on remarquait parfois près des toits, aux gouttières envahies par des clapiers à lapins, des sem- blants de balcons qui servaient à la fois de jardin, de square et même de campagne. Mais ces rues très commerçantes, où circulait une population très mêlée, avaient leur animation propre et regorgeaient d'ateliers de confection, de boutiques et de bric-à-brac obscurs que fourreurs, tailleurs et fripiers se disputaient de la rue du Temple aux recoins de la rue des Rosiers. Tout un monde dans lequel Emma saura se fondre sans dif- ficulté et dont elle apprendra beaucoup. C'est bien aux gamins du Marais qu'elle devra sa débrouillardise, son arsenal d'injures et sa connaissance de l'argot qui la feront respecter dans ses premiers bouis-bouis. A sa naissance, ses parents venaient donc tout juste de débarquer de Normandie et, faute de revenus et après cinq mois de nomadisme pénible, avaient fini par se fixer dans un misérable petit appartement. Hippolyte, jamais à court d'imagination, avait su le transformer en « Petit-Paradis », mais s'étant reconverti dans la bro- cante viennoise alors très en vogue, il s'en servait aussi comme dépôt... — Une situation provisoire, disait-il, se croyant promis à un avenir exaltant. N'était-il point jeune et débordant d'idées ? Et puis il se savait surtout secondé par une épouse habile de ses mains et à laquelle il ne cessait de proclamer qu'une femme doit travailler, fût-elle riche, a fortiori quand elle est pauvre... Les premiers mois à Paris avaient pourtant constitué pour les Guilbert une période de douce béatitude et de découverte. Quoi de plus exaltant, en effet, que les charmes de la capitale pour de jeunes provinciaux ? Par- tout, une foule inouïe, des rumeurs et des odeurs incon- nues. Toute la joie de ce Paris du Second Empire assurant sa réputation de métropole de l'amour et du plaisir. Et encore, Hippolyte et Albine ne connurent-ils que les divertissements réservés aux pauvres, les dimanches et les jours de fêtes : les bateaux-mouches, les guinguettes à Chatou, les déjeuners au bord de l'eau à Nogent, les moules, les frites et les bals musettes à la montagne Sainte-Geneviève, place d'Italie ou à la Bas- tille, et toutes ces rengaines à la mode que l'on fredon- nait un peu partout. Hippolyte, d'ailleurs, ne dédaignait pas la romance et avait vite découvert le plaisir de fré- quenter les cafés-chantants. Comme tout cela était loin de la Normandie. Et puis n'était-ce pas encore à Paris qu'ils s'étaient tous deux rencontrés ? Elle avait alors dix-huit ans à peine et était venue par hasard rendre visite avec sa grand-mère à des amis restaurateurs dans une rue populaire près de la gare du Nord. Hippolyte, qui se trouvait là, l'avait aus- sitôt repérée de l'œil exercé du connaisseur : ma foi, n'avait-il pas enfin l'âge de se ranger ? C'était un solide gaillard de dix-neuf ans, grand, musclé, blond, presque roux, très loquace de nature. Rien en tout cas du paysan normand réputé taciturne et fermé. Rien non plus de son courage et de sa pro- bité. Il se refusait du reste à travailler à la ferme de ses parents, cultivateurs trop modestes à son goût et qui n'avaient, n'auraient jamais, à son grand regret, l'aura du grand-père secrètement admiré qui, lui, s'était tout de même distingué comme maître d'armes d'Octave Feuillet. Vraiment, il se sentait au-dessus de cette condi- tion. Albine avait tout pour le séduire, non qu'elle fût très jolie, mais elle apparaissait tellement douce et candide... Par-dessus tout, n'était-elle pas la fille de cultivateurs très aisés, installés depuis une vingtaine d'années dans une ferme à proximité de celle de ses parents ? La patronne du restaurant, qui connaissait bien le lascar, avait vite repéré son intérêt pour la fille Lubrez. Comme il ne fallait pas lui en remontrer, elle le prit à part et lui dit, avec ce franc parler et ce bon sens popu- laire qui ne trompe pas : — T'fais pas d'idées, mon p'tit, c'est pas du mouron pour ton s'rin ! — Savoir, à bien réfléchir, moi ou un aut'... L'expérience était trop tentante, une dot pareille ne se trouverait pas tous les jours. Alors, au diable les conseils ! Au bout d'un mois, il demanda la main d'Al- bine. Les Lubrez furent réticents, le sachant sans argent et toujours naturellement sans projet. Ne serait-il pas déshonorant de donner leur fille à ce godelureau de Guilbert instable et inconséquent ? Ils firent tout pour empêcher l'union, mais de guerre lasse et devant les larmes d'Albine, finirent par céder... La nuit de noces, Hippolyte se fit tendre. Albine pleura : — Qu'avez-vous fait Hippolyte ? — Rien, ma chérie. — Mais plus tard, plus tard ? — Tu verras, on sera heureux. Si c'est une fille, on l'appellera Emma. Première fissure, premier gros émoi, au bout de trois mois Hippolyte devint l'amant de l'amie la plus intime d'Albine. Pour échapper à la famille, se mêlant un peu trop des disputes conjugales répétées, tout ce petit monde décida de s'en aller vivre à Saint-Lô. Avec la dot de sa femme, il acheta une petite boutique et crut bien sûr rapidement doubler son investissement. Il aimait l'argent. Il avait besoin d'argent. Mais vite, très vite, ce fut la faillite. Avec l'inconscience, dont il fera toujours preuve, il imputa bien évidemment la faute à cette petite ville de province, trop vouée à son sens à la médiocrité et à la stagnation. La capitale, seule, pou- vait être à la mesure de ses désirs et de son ambition... Les Lubrez protestèrent à nouveau et avec d'autant plus de force, que leur fille, à présent, était enceinte. Rien n'y fit et un matin de septembre 64, le jeune couple prit le train en provenance de Cherbourg pour Paris. La venue au monde d'Emma suscita un nouvel état de grâce que l'incurable frivolité d'Hippolyte ne réus- sira pas pour un temps à entamer. La situation des Guilbert n'était pourtant point confortable, contraints qu'ils étaient, par manque de ressources de changer continuellement de logement. Mais après tout, ces déplacements qui s'opéraient toujours dans le quartier du Marais, étaient loin d'avoir l'ampleur de la première migration, et puis ne répétait-il pas sans cesse qu'il gagnerait bientôt largement sa vie ? Il réussit, en tout cas, à en convaincre Albine. Le soir, il sortait tard, seul, ou en compagnie de bohèmes comme lui pour hanter cette « vie parisienne » dont il avait tellement rêvé. Ah ! la séduction de ces rythmes et flonflons d'Offenbach et de ces cafés animés des boulevards du Paris qui s'amuse, où l'on se réunis- sait pour chanter le répertoire des cafés-concerts. Il emmenait parfois Emma qui, malgré son jeune âge, ne perdait déjà rien de ce qu'elle voyait ou entendait et lui fit même, exceptionnellement, assister à un récital de la grande Thérésa en personne. Elle n'oublia jamais : — A quatre ans, je chantais déjà le répertoire de Thérésa et de Judic, Les Canards, La Première Feuille, mais mon triomphe, c'était La Marseillaise ! Même si l'enfance n'explique pas toujours les enga- gements futurs, on peut dire qu'elle aimait déjà « jouer à l'actrice » et aux dires de sa mère, ses imitations étaient irrésistibles. A douze ans, elle se prit soudain d'une telle passion pour La Fille d'auberge d'Amiati, que la pauvre Albine finit par lui dire dans un excès d'exas- pération : — Écoute, Emma, si tu ne chantes pas cette chanson aujourd'hui, je mets vingt sous dans ta tirelire. — Mais, maman, c'est plus fort que moi, j'peux pas m'en empêcher... Enfant, elle chantait donc et faisait rire. On aimait à l'applaudir et à l'encourager, pourtant ces premiers succès avaient fâché son père. Il l'avait même menacée violemment de la mettre en pension jusqu'à sa majorité pour lui faire passer ce goût, qu'il trouvait douteux pour une fille bien élevée. Ayant, à l'époque, pour maî- tresse une chanteuse de l'Eldorado, il n'ignorait évidem- 2. Les références non précisées sont tirées de La Chanson de ma vie. ment rien des coulisses des cafconc'. Paradis de la bêtise débraillée, ces établissements passaient à juste titre pour des lieux de perdition. On y fumait, on y buvait dans un brouhaha indescriptible, on s'y enca- naillait à coup sûr et à bon marché et le recrutement des chanteuses était, le plus souvent, une forme à peine dissimulée de prostitution. Il suffisait pour s'en convaincre de traîner dans le quartier des Halles pour voir, affichés çà et là, des « avis aux ouvrières », dont les formules lapidaires étaient on ne peut plus transpa- rentes : « On demande jeunes filles sans ouvrage pour travail facile et lucratif. S'adresser à... » A une époque où le travail était rare et difficile pour les femmes, on s'y précipitait naturellement. Mais le premier pied sur la scène, l'affaire était emballée et l'ap- prentie-vedette sérieusement amorcée, car la traînée flamboyante de la rampe et la chanson faisaient tout passer. On sublimait la maison et le métier, on baptisait la fille gigolette et son souteneur, gigolo, on brodait enfin tout cela sur un canevas de valse triste ou gaie, enivrante nécessairement : « C'est le voyage à Cythère aller-retour. Les mots aussi reviennent. On les attend. On serait déçu si caresse n'entraînait pas à sa suite ivresse et si amour n'avait pas comme écho tou- jours... » A de rares exceptions près, plus que l'actrice ou la théâtreuse, la chanteuse de caf'conc' était inéluctable- ment vouée à la misère et à la déchéance. Dans le meil- leur des cas, elle était entretenue comme la maîtresse d'Hippolyte, qui vivait confortablement installée dans une villa de location, près de Deauville. Il avait choisi ce lieu pour assouvir une autre passion, celle du jeu — le baccara et les courses, surtout, qu'il considérait désormais comme le moyen de gagner sa vie. Pendant ce temps à Paris, Albine, résignée, ne cessait de coudre jour et nuit. Yvette devait être marquée de façon profonde et

3. H.G. Ibels, Le Café-Concert et la Chanson, éd. du Cygne, 1931. durable par cette situation dont elle prit conscience très tôt. Ce qui l'affectait par-dessus tout, c'était pourtant moins les absences de son père, que sa froideur et sa lâcheté lorsqu'il revenait. Mais c'est seulement à la fin de sa vie qu'elle consentit à l'évoquer, et par bribes, comme dans ces « Broussailles de souvenirs », adressées à Henri Poulaille pour le scénario d'un film qui ne sera finalement jamais réalisé : « Lorsque sa maîtresse partait en province pour son métier, mon père était si désemparé qu'il pleurait dans le lit à côté de ma mère en lui racontant le pourquoi de ses peines !!! Et tant d'autres aventures » 4 Par compensation, la petite Emma, qui n'eut ni frère ni sœur, voua un amour éperdu à sa mère et devint très vite hostile à son père. A la moindre dispute, elle fuyait pour rejoindre les petits gamins du quartier auprès desquels elle trouvait un réconfort et avec qui elle aimait à jouer. Lorsqu'elle eut cinq ans, la guerre éclatait. Mais Emma ne se souvint pas davantage du désastre franco-prussien que de la Commune et des incendies de Paris, ou des barricades et de la fusillade des Fédérés. Elle était jeune, c'est vrai, et autour d'elle on était si peu concerné... Sa mère, qui souffrit comme elle de la faim, se contenta de garder une haine féroce pour les Prussiens, a fortiori, plus tard, pour les Alle- mands. Quant à son père, sait-on seulement s'il était présent durant les événements ? Et puis il était si peu politisé, si indifférent à ce qui l'entourait ! L'après-guerre lui donna des idées pour gagner enfin de l'argent. Il trouva avec raison le moment propice pour créer un atelier de confection. Le renouveau éco- nomique et financier de la France s'y prêtait autant que le désir de vivre des gens. En outre, Albine venait d'in- nover un style de chapeaux qui remportait le plus vif succès et avait toutes les chances de trouver un marché dans les grands magasins, le passe-temps favori des Parisiennes à la mode. A l'aide d'emprunts, et surtout

4. Lettre inédite, 1938, Fonds Henri Poulaille. de l'héritage des Lubrez décédés l'année précédente, les parents d'Emma ouvrirent alors une importante fabrique de quatre-vingts employées, à laquelle Hippo- lyte décida de se consacrer entièrement. En attendant l'amélioration de leurs finances, ils jugèrent plus sage d'envoyer leur fille quelque temps chez ses grands- parents paternels en Normandie. Elle y séjourna jusqu'à la fin de l'été 72. Inébranlable dans son respect de la routine et des traditions, la province avait alors traversé les boulever- sements de l'Histoire sans changer ses habitudes. Ce retour aux sources ancestrales et aux plaisirs rustiques, si éloignés des distractions des rues du Marais, consti- tua pour elle non seulement une renaissance, mais fort probablement la période la plus heureuse de son enfance : « De six ans à huit ans, j'y connus les gâteries et la joie des grands jardins, des grands prés verts, des champs, où je gambadais plus à l'aise que sur les bal- cons noirs des faubourgs. » On ne sait malheureuse- ment rien de plus sur cette époque bénie, sinon que son arrière-grand-mère, vieille normande du XVIII siècle, avait gardé de ce temps un ton primesautier et charmant qui lui inspirera le personnage d'une comédie musicale 5. Lorsqu'elle revint à Paris, l'affaire de ses parents était devenue prospère, mais Hippolyte en profitait pour s'absenter de nouveau régulièrement. Comme ses moyens le lui permettaient, Albine l'inscrivit au cours Archambault, rue de Turenne, au coin de la rue de Saintonge. Cet épisode fut malheureusement un fiasco complet. Dépaysement dû au séjour normand ? Diffi- culté d'adaptation par rapport à un milieu différent ? Car Emma ne cessait de répéter son regret de l'école communale et de ses petits camarades de quartier autre- ment plus sympathiques que les petites parvenues de ce cours très chic du Marais... Albine, ne comprenant pas cette situation en raison du sacrifice qu'elle faisait, ne 5. Y. Guilbert, « Madame Chiffon », revue Conferencia, n° XXIV, février 1934. cessait de la culpabiliser et de vouloir à toute fin lui faire comprendre l'importance d'une bonne instruction. Rien n'y fit et Emma continua de se comporter en classe de manière exécrable, buvant, entre autres, tous les encriers chaque fois qu'elle le pouvait, avec un entê- tement déjà tout à fait remarquable, plusieurs fois par jour et en dépit des remontrances et des punitions infli- gées par la directrice. C'est pourtant dans cette fameuse école que se pro- duisit une aventure déterminante pour sa carrière. Un jour, cette directrice, qu'elle détestait, fut remplacée par une certaine Mademoiselle Laboulaye, qui avait pour curieuse habitude de travailler gantée de noir jusqu'aux coudes... Ces gants l'intriguèrent tellement, qu'elle vou- lut absolument savoir ce qu'ils cachaient : « Une fois, j'avais, au lieu de boire l'encre, filtré à travers mon tablier d'écolière tous les encriers vaseux de mes camarades. Mademoiselle Laboulaye fut si dégoûtée de moi, qu'elle enleva ses gants pour me tou- cher, pour arracher ma blouse et me pousser dans un cabinet de toilette où une femme de chambre m'habilla en me tarabustant pour me reconduire chez ma mère. Mais j'avais vu les mains de Mademoiselle Laboulaye, j'étais la première, la seule, l'unique qui avait vu les mains de Mademoiselle ! Des merveilles de mains aux ongles de corail, comme la broche de Mademoiselle. Et voici qu'elle surprit mon regard figé de stupeur, qui suivait tous les mouvements de ses doigts. Alors, tandis qu'elle remettait ses gants, l'idée lui vint de me dire : Tenez petite sale... Regardez... Voilà comme une petite fille gentille doit avoir les mains ! " J'éclatai en sanglots, je compris mon ignominie et je me jetai au cou de Mademoiselle... » A la suite de cet incident, son changement d'attitude fut spectaculaire et elle garda, bien sûr, « une considé- ration supérieure » pour ces gants qui lui donnaient l'impression de cacher « des mains de Vierge Marie » et qui influenceront son choix quand elle cherchera à se composer une silhouette de scène originale. Mais elle Tour à tour cousette, trottin, mannequin aux magasins du Printemps, comédienne sur les Boulevards, Yvette Guilbert (1865-1944) s'orienta très tôt vers la chanson. Ses premiers passages à l'Eldorado, au Moulin-Rouge et au Divan Japonais en 1889 l'ont très vite fait consacrer « la Diseuse fin de siècle ». Suprême compliment, à l'étranger, on l'appellera bientôt la Sarah Bernhardt et la Duse de la chanson. En dépit de la diversification de son style, qui la fit passer du registre grivois aux chanteries du Moyen Âge et du XVIII siècle, elle continuera d'enthousiasmer et de fasciner le monde entier pendant plus de cinquante ans. Cette biographie très documentée non seulement fait revivre une femme hors pair et en avance sur son temps, mais nous replonge avec délices dans cette époque réputée légère qui vit la naissance du Chat-Noir, la vogue de , et nous fait côtoyer des écrivains comme Jean Lorrain, Pierre Louÿs, Maurice Donnay, Willy... Car de Laurent Tailhade à Zola ou Mirbeau, de Rachilde à Edmond de Goncourt ou Francis Jammes et Jehan Rictus, poètes et romanciers ont été fascinés par Yvette Guilbert. Parmi ses admirateurs, on découvrira aussi cette cohorte de peintres et de caricaturistes qui tous à leur manière l'ont croquée : Toulouse-Lautrec, bien-sûr, mais Sinet, Steinlen, Bac, Léandre, Willette, Heidbrienck, Losques, Ibels, Cappiello... et même Picasso. Combien de compositeurs encore si l'on songe à Gounod, Saint-Saëns, Massenet et Verdi ! Enfin, plus inattendus, peut-être, Robert Musil, Djuna Barnes, sans oublier ses amis Eleonora Duse et Freud, avec lesquels elle correspondait longuement.

Claudine Brécourt-Villars est professeur de lettres ; elle travaille depuis plus de quinze ans sur la photographie de nu et la censure, la littérature et les idées entre 1880 et 1930. Elle a notamment publié : Écrire d'Amour, une anthologie critique des textes érotiques féminins de 1799 à 1984 (Ramsay, 1985). Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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