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ite médiéval de loin le plus célèbre du département de la Haute-, Châlucet reste aussi, par bien Sdes aspects liés à son histoire souvent tumultueuse, à son architecture et à sa situation topographique, l’objet d’interrogations de la part des chercheurs, d’attention de la part du Conseil général de la Haute-Vienne et de ses partenaires patrimoniaux et finalement de découvertes renouvelées pour le visiteur. Aujourd’hui les vestiges des deux ensembles castraux qui le composent s’étirent, noyés dans la végétation, le long d’une étroite échine rocheuse dessinée par le cours des rivières Briance et Ligoure qui, en se rejoignant, forment l’extrémité septentrionale du site. Son origine reste encore obscure, faute d’archives concer - nant sa genèse et malgré les travaux permanents des historiens des deux derniers siècles. Fondé par une famille de l’aristocratie locale (les Jauhnac) au XII e siècle, Châlucet devient rapidement un enjeu entre les puissants d’alors : Haut-Châlucet après travaux et vicomte de Limoges d’une part, abbé de la proche et im - étude de la façade portante abbaye de d’autre part. Le système de (2001-2005) co-seigneurie, où différents seigneurs se partagent les droits sur le site, fréquent en Limousin, n’apparaît pas comme un obstacle au développement de l’habitat, bien au contraire, puisque l’on peut, dès cette époque, repérer la présence de nombreux lignages de chevaliers vassaux présents à Châlucet. Vers le milieu du XIII e siècle une partition se fait jour entre le haut et le bas castrum , résultante probable du partage de suzeraineté et de la gestion en co-seigneurie précédemment évo - qués. Cette distinction n’a laissé que peu de traces visibles sur le terrain – mais ici il faut préciser que seule une

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infime partie du site a été concernée par les récentes recherches d’archéo - logie. Largement dissimulées sous le château de Géraud de Maulmont, édifié dans la seconde moitié du XIII e siècle, les dispositions anciennes ne sont guère perceptibles sinon grâce au donjon à étrave au centre du château, auquel était associé à l’origine un logis aujourd’hui totalement ruiné et fossilisé sous les décombres et, à l’extérieur, les traces de plusieurs édifices, parfois équipés de contreforts qui correspondent probablement à des hôtels nobles. Les fouilles programmées menées de 1999 à 2005 ont, en revanche, révélé une partie de l’organisation du castrum inférieur dans la zone qui se développe au nord de la tour Jeannette. L’étude Travaux sur le donjon du Haut-Châlucet (1960-70) d’environ un sixième de l’emprise totale du bas Châlucet a déjà permis d’iden - tifier une dizaine de bâtiments dont du XIV e siècle, la densité des construc - la moitié a été fouillée. Apparaissent tions va augmenter, produisant un effet plusieurs maisons des XIII e et XIV e d’« entassement » des édifices les siècles dont la forme s’avère très uns près des autres, occupant parfois variable : longs bâtiments à étage ou, d’anciennes cours ainsi que l’ap pa - au contraire, maisons « tours » élevées rition de caves, nouveau moyen d’environ une dizaine de mètres. Une d’augmenter l’espace domes tique organisation interne hiérarchisée disponible. C’est au même moment montre que les rez-de-chaussée que le bas castrum va s’entourer avaient vocation domestique et utilitaire d’une enceinte l’enfermant dans alors que les étages étaient dédiés à la une défense continue. Il est vrai que résidence. C’est d’ailleurs à ce niveau cette période correspond aussi à un que l’on trouve les éléments de décor mo ment d’insécurité important : celui raffinés (baies géminées à colonnette, de la guerre de Cent Ans. parfois en serpentine) et des amé - On connaît moins bien l’évolution du nagements de confort (cheminées, haut castrum , même si l’on peut évier…). La plupart de ces maisons constater également son enfermement correspondent aux domus des cheva - dans une vaste enceinte fortifiée dont liers résidants et à leur famille, mais la seule porte connue (dite « du Capi - l’on sait que l’agglomération accueillait taine ») est voisine de l’une des trois aussi domestiques, artisans et clercs. chapelles attestées sur le site. La fouille On observe également, qu’au cours qui en a été menée montre que son

71 militaires et de pillage dans la proche région et au delà, en Périgord ou en Auvergne. Les modifications de l’organisation du site qu’auraient pu provoquer de tels événements restent difficiles à perce - voir ; mais ce sera encore une fois une occupation militaire, au cours des guerres de Religion qui portera un coup fatal à Châlucet et en précipitera l’abandon définitif. Ainsi, fin XVI e siècle, pour parer à de nouvelles prises de contrôle du site par des troupes ar - mées, le gouverneur royal et la ville de Limoges s’engageront dans le déman - tèlement de la forteresse : les tours flanquant les angles du château seront abattues ainsi que les courtines et les voûtes des logis donnant finalement au Donjon du Haut-Châlucet site l’aspect dans lequel nous le avant les travaux de 2013 connaissons aujourd’hui. Abandonné, Châlucet deviendra peu plan rectangulaire procède d’un bâti - à peu la ruine romantique dont la ment carré plus ancien, probable no toriété auprès des érudits ne cessera maison- tour comparable à celles de croître au XIX e siècle. Parmi les plus du bas castrum . célèbres, Prosper Mérimée, premier Quant au château neuf de Géraud de inspecteur des monuments historiques Maulmont, il est transmis, au début du ou le photographe Médéric Mieusement XIV e siècle, après la mort de ce dernier, contribueront à la notoriété du site. à l’un de ses neveux puis passe pendant Ins crites sur la première liste des une courte période sous contrôle royal édi fices remarquables du Limousin, les avant d’échoir aux mains de différents ruines ne seront toutefois classées seigneurs extérieurs à la région : qu’en 1875. L’état préoccupant des famille de Sully, La Trémoille puis aux vestiges d’alors entraînera parallè - Albret, propriétaires qui ne semblent lement une prise de conscience des guère avoir élu résidence à Châlucet. élites politiques et administratives : Vers le milieu du siècle, alors que la le Conseil général interpellera le pré - guerre s’intensifie, ce sont des officiers fet en 1859 pour que soient sauvés mandatés par ces seigneurs qui « ces nobles débris ». Mais il faudra occupent les lieux, parfois secondés attendre le début du XX e siècle pour par des troupes mercenaires. Le site voir entrepris les premiers travaux de deviendra, dans le dernier quart consolidation qui porteront essentiel - du XIV e siècle, le camp de base de lement sur les vestiges du palais de plusieurs compagnies de routiers : Géraud de Maulmont et plus particu - Peya Negra, dans un premier temps lièrement sur son imposant donjon où puis le célèbre Perrot le Béarnais qui des désordres avaient pu être cons - utilisera Châlucet comme point de tatés. Malgré ces premières mesures départ de nombreuses opérations d’urgence tout l’arrière de l’édifice,

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côté nord, s’effondrera en 1918. Ce n’est que près d’un demi-siècle plus tard, pendant la décennie 1960-1970, que seront réalisées plusieurs nouvelles campagnes de travaux ponctuels conduites par des architectes en chef des monuments historiques dont le but était essentiellement de préserver en l’état les vestiges en élévation, autre - ment dit des mesures uniquement conservatoires. Avec l’acquisition par le département en 1997, une nouvelle étape s’engage à Châlucet. Désormais, les priorités ont évolué et forts du constat que les travaux précédents, trop ponctuels, ne résolvaient que très partiellement les problèmes spécifiques de ce site (importance des vestiges encore conservés en élévation, cohérence Cour d'entrée du des interventions, milieu à forte dominante arborée, mé - château au moment connaissance de son organisation ancienne…) les diffé - des travaux de 2012 rents partenaires impliqués dans la sauvegarde de Châlucet ont élaboré de nouveaux principes d’intervention faisant de ce site un cas particulier dans l’articulation entre déroulement des travaux de « cristallisation » des vestiges apparents, recherche archéologique mais éga - Sources : REMY Christian, lement volonté affichée d’accessibilité au public. Châlucet et les châteaux Depuis cette date, un programme progressif de traitement du maître Géraud de des vestiges permet d’une part de stabiliser les ruines, Maulmont, Bulletin Monumental, 159-II, d’autre part d’ouvrir (ou de rouvrir) à la visite des secteurs 2001, p. 113-141 du site de plus en plus nombreux et sécurisés. REMY Christian, L’archéologie trouve sa place très en amont des projets CONTE Patrice et CONAN Sandrine, de restauration « zone par zone » où elle fournit des Châlucet (Haute- éléments nouveaux de connaissance et des données qui Vienne) : organisation de l’habitat castral et seront aussi utiles aux interventions de consolidation en expression du pouvoir, validant certains choix architecturaux. Elle peut, le cas Actes du colloque échéant, accompagner les travaux eux-mêmes lors de « Résidences du pouvoir et pouvoirs de la résidence, découvertes imprévues. Mais elle peut aussi être à travaux archéologiques l’origine d’une phase de mise en valeur et offrir ainsi des récents entre et Pyrénées du X e au XVI e s. » , pans méconnus de l’histoire du site. C’est le cas des Pau, Oct. 2002. fouilles programmées menées sur le Bas Châlucet où Archéologie du Midi Médiéval, supplément 4, c’est, cette fois-ci, à partir des vestiges découverts que l’on 2006 p.253-290. a conçu, au terme d’une première phase de recherches, CONTE Patrice (dir.), un programme spécifique de valorisation intégré à la Châlucet, castrum mise en valeur globale du site. Limousin. Chevaliers, coseigneurs et merce - P.C. naires, XII e-XVI e siècles . Culture et Patrimoine, Limoges, 2012

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