L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » (CAMBODGE, ET VIÊT NAM)

1 Danielle Tan est docteur en science politique (Sciences Po Paris 2011). Spécialiste de l’Asie du Sud-Est, ses principaux axes de recherche portent sur l’économie politique de la péninsule indochinoise, en particulier les dynamiques transnationales, ainsi que les transformations politiques, socio-économiques et territoriales qui résultent de la globalisation et de l’influence croissante de la Chine dans la région. Elle a commencé ses recherches au Cambodge en retraçant l’histoire de sa diaspora chinoise et a ensuite exploré le rôle joué par les réseaux transnationaux chinois dans la transformation de l’État au Laos. Ses recherches postdoctorales s’orientent désormais vers une analyse comparée des transformations contemporaines survenant dans les « enclaves chinoises » du Triangle d’or (nord de la Thaïlande et du Laos, État Shan en Birmanie). Après deux postdoctorats à ANU (Australian National University, Canberra) et à IIAS (International Institute for Asian Studies, Leiden), elle occupe actuellement un poste d’ATER à Sciences Po Lyon, et est rattachée à l’IAO (Institut d’Asie Orientale – CNRS, ENS Lyon). Elle est également chercheure associée à l’Irasec.

Avec la contribution de Caroline Grillot Caroline Grillot est anthropologue (Paris X-Nanterre) et sinologue (Inalco). Elle a passé plus de dix ans en Chine où elle a étudié le chinois à l’Université du Shandong (1994-1995) et du Sichuan (1998-2000) grâce au soutien du ministère des Affaires Étrangères et Européennes. Elle a également travaillé dans divers domaines, assistant notamment le bureau de l’Unesco à Pékin dans la mise en place de programmes en sciences sociales. Ses recherches se concentrent principalement sur les marges sociales en Chine et en Asie du Sud-Est. Elle a récemment obtenu une thèse en anthropologie sociale, en co-tutelle entre Macquarie university (Sydney) et Vrije Universiteit (Amsterdam), sous la direction des Prof. Lisa Wynn et Pál Nyíri. Ses axes de recherche portent sur les mariages transfrontaliers entre les Vietnamiennes et les Chinois dans les régions frontalières, un sujet qui a déjà fait l’objet d’un livre, Volées, Envolées, Convolées, publié en 2010. Elle est actuellement postdoctorante au Max Planck Institute for Social Anthropology (Halle, Allemagne) et chercheure associée à l’Irasec et à l’IAO (Institut d’Asie Orientale – CNRS, ENS Lyon).

Couverture et mise en page: Mikael Brodu Élements graphiques: Mikael Brodu d’après Danielle Tan Photos (dont la couverture): Danielle Tan Couverture: Nouveau marché chinois de Sanjiang à Vientiane, Laos.

ISBN 978-616-7571-18-8

© IRASEC, June 2014 All rights reserved. No part of this publication may be reproduced or transmitted, in any form or means, without prior permission of the author or the publisher. The opinions expressed in these papers are solely those of the author(s).

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L’Asie du Sud-Est dans le « siècle chinois » (Cambodge, Laos et Viêt Nam)

Par Danielle Tan et Caroline Grillot

Carnet de l’Irasec / Occasional Paper Série Observatoire / Observatory Series n° 06

3 L’observatoire (FSP Mékong) se concentre depuis 2008 sur l’analyse des activités et des mouvements transfrontaliers illicites en Asie du Sud-Est continentale par le biais de programmes de recherche et d’analyses académiques ou stratégiques. Il est accueilli au sein de l’IRASEC à Bangkok. L’Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est contemporaine (USR 3142 – UMIFRE 22 CNRS MAEE) s’intéresse depuis 2001 aux évolutions politiques, sociales et environ- nementales en cours dans les onze pays de la région. Basé à Bangkok, l’Institut fait appel à des chercheurs de tous horizons disciplinaires et académiques qu’il associe au gré des problématiques. Il privilégie autant que possible les démarches transversales.

The Observatory (FSP Mékong) is in charge since 2008 of the analysis of illicit cross-border movements within mainland Southeast Asia. It supports research programmes and publishes both academic and strategic works. It is based within the Research Institute on Contemporary Southeast Asia in Bangkok. The Research Institute on Contemporary Southeast Asia,, based in Bangkok, Thailand, calls on specialists from all academic fields to study the important social, political, economic and environmental developments that affect, together or separately, the eleven countries of the region (Brunei, Burma, Cambodia, Indonesia, Lao, Malaysia, The Philippines, Singapore, Thailand, Timor- Leste and Viet Nam).

4 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) Table des matières

Introduction ...... 7 Par Danielle Tan

L’émergence de la Chine : un sujet de débat croissant ...... 7 Évolution des études sur la diaspora chinoise et de ses problématiques...... 13 Les études sur la migration chinoise aujourd’hui : un enjeu géopolitique ...... 24 Hypothèse et questionnements...... 27

Première Partie - L’évolution de la migration chinoise en Asie du Sud-Est : le cas du Cambodge ...... 31 Par Danielle Tan

1 - La première phase de migration : les commerçants du Nanyang ...... 32 L’intégration silencieuse des vagues successives de migrants chinois...... 32 La reconnaissance du rôle modernisateur des Chinois ...... 36 2 - La deuxième phase de migration : la traite des coolies par les empires coloniaux ...... 40 Une politique coloniale ambivalente face aux Chinois...... 40 Le profil des coolies...... 49 La période coloniale ou la rupture dans le processus d’assimilation ...... 51 La naissance d’un « problème chinois » ...... 54 3 - La migration chinoise aujourd’hui...... 58 Le réveil des communautés chinoises en Asie du Sud-Est...... 58 Les nouveaux visages de la migration chinoise...... 61 L’attitude de la Chine à l’égard de ses migrants ...... 65 Conclusion...... 71

Deuxième Partie - L’Autre, ce voisin. Remarques sur les perceptions chinoises des Vietnamiens, frein au développement des échanges commerciaux ...... 75 Par Caroline Grillot

1 - Les Vietnamiens, ces familiers dont on se méfie...... 76 2 - Discours folklorique et question de classe...... 77 Migrants chinois et voisins vietnamiens...... 78 Lao Zhou...... 81

5 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

3 - Quelques explications sur la pérennité des représentations sociales ...... 85 L’approche idéologique...... 85 L’expérience individuelle...... 86 4 - Comment la position et le traitement réservés aux femmes déprécient l’image des Vietnamiens...... 87 Approcher les Vietnamiennes ...... 87 Le machisme vietnamien en question ...... 89 Conclusion ...... 90

Troisième Partie - La Chine au Laos : développement, colonialisme intérieur ou néo-colonialisme ?...... 93 Par Danielle Tan

1 - Évolution de la présence chinoise au Laos...... 98 Le Laos, une exception dans l’histoire de la diaspora chinoise Asie du Sud-Est...... 98 La nouvelle géographie de la présence chinoise au Laos ...... 102 2 - Les réseaux transnationaux chinois : les partenaires clés de la stratégie d’extraversion du régime laotien...... 111 Le « colonialisme intérieur » par les réseaux chinois ou la mise en valeur du territoire tant attendue...... 112 Les zones économiques spéciales : une tentative de reterritorialisation du pouvoir de l’État dans les marges ...... 115 Le registre de la « mission civilisatrice »...... 129 Conclusion ...... 133

Conclusion générale ...... 137 Par Danielle Tan

Bibliographie...... 141

6 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Introduction

L’émergence de la Chine : un sujet de débat croissant

En quelques décennies, la Chine est devenue une puissance économique de premier plan. En 2010, les investissements chinois avaient atteint 68,81 milliards de dollars, alors qu’ils ne représentaient que 100 millions de dollars dans les années 1980. Bien qu’aujourd’hui ils ne constituent que 5 % du stock global des IDE (Investissements Directs Étrangers), la Chine est néanmoins passée de la 12e à la 5e place parmi les pays investisseurs les plus importants (MOFCOM 2011). En août 2010, la Chine a officiellement dépassé le Japon pour devenir la deuxième plus grande économie du monde1, et possède désormais le deuxième plus grand budget militaire, soit 114,3 milliards de dollars en 2013 selon les prévisions officielles chinoises2. Dans les dix pays membres de l’Asean3, les investissements chinois totalisaient environ 12 milliards de dollars en octobre 20114. Le volume des échanges commerciaux entre la Chine et l’Asean est passé de 6,3 milliards de dollars en 1991 à plus de 231 milliards de dollars en 2008. Les négociations ont abouti au 1er janvier 2010 au lancement de

1 Bloomberg news, 2010, « Overtakes Japan as World’s Second-Biggest Economy », 16 août. 2 Ministry of Finance of the People’s Republic of China, 2013, Report of the Implementation of Central and Local Budgets in 2012 and on Draft Central and Local Budgets for 2013, First Session of the Twelfth National People’s Congress, 5 mars, 24 p, http://online.wsj.com/public /resources/documents/Budget Report_Eng_2013.pdf [consulté le 1er juillet 2013]. 3 L’Asean comprend le Brunei, le Cambodge, l’Indonésie, le Laos, la Malaisie, la Birmanie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande et le Viêt Nam. 4 Chiffres cités par le Secrétariat de l’Asean, au 21 octobre 2011. Pour un détail de la répartition des investissements chinois par pays, cf. http://www.rfa.org/english/news/ special/invest/hub.html 7 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » l’Asean-China Free Trade Area (ACFTA)5, la troisième plus importante zone de libre-échange au monde – après l’Union Européenne et l’Alena (en anglais, North American Free Trade Agreement, NAFTA) – rassemblant près d’1,9 milliard de personnes et représentant un PIB total de 6 000 milliards de dollars, soit un neuvième du PIB mondial, ainsi qu’un volume commercial équivalent à 4 500 milliards de dollars6. Les échanges commerciaux entre la Chine et l’Asean ont atteint un volume record de 400,1 milliards de dollars en 2012, et devraient s’élever à 500 milliards de dollars en 2015, selon les prévisions avancées par le ministère chinois du Commerce7. Depuis 2009, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Asean, dépassant le Japon et l’Union Européenne8.

Figure 1. Évolution des IDE chinois dans le monde depuis 1982 (milliards de dollars) 80 70

60 50 40 30 China's Outward FDI 20 10 0

1982 1985 1988 1991 1994 1997 2000 2003 2006 2009

Source : UnctadStat 2011 cité dans Kobylinski (2012).

5 Appelé aussi China-Asean Free Trade Area (CAFTA). Le Laos, le Viêt Nam, le Cambodge et la Birmanie ont jusqu’à 2015 pour satisfaire les critères de l’ACFTA. 6 Cf. http://www.asean-china-center.org/english/2010-01/01/c_13263385.htm [consulté le 1er juillet 2013]. 7 Xu Rui, 2013, « China-ASEAN Trade to Hit 500 bln USD », Xinhua, 23 juillet, cf. http://www.asean-china-center.org/english/2013-07/24/c_132570338.htm [consulté le 1er août 2013]. 8 Cf. http://www.asean.org/asean/external-relations/china/item/asean-china-dialogue- relations [consulté le 1er juillet 2013]. 8 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Figure 2. Évolution des IDE chinois par région entre 2004 et 2010 (milliards de dollars) 50

45 Afrique 40 Asie 35 Europe Amérique latine 30 Amérique du Nord Océanie 25

20

15

10

5

0 20042005 2006 2007 2008 2009 2010

Source : 2010 Statistical Bulletin of China’s Outward FDI cité dans Kobylinski (2012).

Si l’Asie du Sud-Est représente le marché de prédilection des entreprises chinoises, celles-ci sont désormais solidement implantées sur tous les continents (MOFCOM 2011 ; Salidjanova 2011 ; Kobylinski 2012). L’augmentation substantielle des investissements chinois a été permise grâce à la mise en place d’une politique spécifique en direction des entreprises à l’étranger – zouchuqu zhanlüe, 走出去战略 (Going out strategy) – initiée au début des années 2000 par les autorités chinoises, visant d’une part, à sécuriser leur accès aux matières premières pour satisfaire les besoins croissants du marché chinois qui dépassent largement l’offre nationale, et d’autre part, à faire émerger de solides compagnies capables de rivaliser avec les multinationales étrangères. Les investissements réalisés sont en majorité dirigés par le gouvernement chinois et destinés en partie à financer les projets de fusion et d’acquisition des grandes entreprises étatiques dans le secteur pétrolier,

9 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » minier, hydroélectrique, ou des télécommunications, et dans une moindre mesure dans le secteur agricole. La crise financière de 2008 a notamment permis aux grandes entreprises étatiques chinoises de racheter les plus grandes compagnies minières et pétrolières9. Cette émergence chinoise s’accompagne également de mouvements migratoires impressionnants à l’échelle mondiale, écrivant ainsi une nouvelle page de l’histoire de l’expansion du peuple chinois. En effet, la migration chinoise d’aujourd’hui ne ressemble en rien aux vagues précédentes. Les flux se sont considérablement diversifiés et les profils socio-démographiques se sont complexifiés. Les vagues précédentes de migrants étaient constituées de commerçants (nanyang huashang10 – 南洋 华商) et de coolies11 (huagong – 华工), originaires principalement de la Chine méridionale (Guangdong, Fujian et Hainan). Depuis les réformes libérales entreprises par Deng Xiaoping (à partir de 1978, des hommes et

9 Quelques exemples parmi d’autres : Yanzhou Coal Mining a acheté la compagnie australienne Felix Resources Ltd. pour 2,9 milliards de dollars, tandis que China Minmetal s’est offert OZ Minerals, une autre compagnie australienne, pour 1,3 milliard de dollars. Dans le secteur pétrolier, Sinopec, le plus grand groupe chinois, a acheté la compagnie suisse Addax pour 7,24 milliards de dollars dans le but de sécuriser ses positions en Afrique de l’Ouest et en Irak, et a investi 7 milliards de dollars pour acquérir 40 % de la branche brésilienne de la compagnie espagnole Repsol, dont les réserves sont estimées à 1,2 milliard de barils de pétrole et de gaz. D’autres fusions et acquisitions dans le champ énergétique ont été réalisées en Russie, au Kazakhstan, en Arabie Saoudite, en Zambie, au Nigéria, en Indonésie, au Viêt Nam, en Birmanie, au Laos, au Canada, en Argentine, au Chili, etc. (Scissors 2011). 10 Nanyang, dont la traduction littérale serait « Mers du Sud », est le terme chinois pour désigner ce que nous appelons maintenant l’Asie du Sud-Est, formule élaborée pendant la Seconde Guerre mondiale pour qualifier l’aire de commandement américain. Cependant, les deux termes ne sont pas exactement équivalents. Nanyang désignait naguère la région immédiatement au sud de la Chine qui comprenait les Philippines, les Indes orientales hollandaises, la Malaisie et Bornéo, le Siam, les trois pays de l’ex-Indochine française, la Birmanie, et parfois même Ceylan et l’Inde. Or, aujourd’hui, quand on parle des « Chinois du Nanyang », on fait référence à ceux qui ont atteint les territoires du Sud-Est asiatique en passant par la mer de Chine méridionale. C’est pourquoi, Wang Gungwu exclut dans son récit ceux qui sont entrés en Birmanie, au Siam, au Laos et au Viêt Nam par la voie terrestre (1959 : 1). 11 Le mot coolie est, à l’origine, le nom d’une tribu du Gujarat en Inde. Il s’est étendu pour prendre la signification de travailleur de passage, contribuant ainsi à créer un nouveau terme kuli, qui signifie « pénible force » en chinois. L’utilisation de ce mot pour les travailleurs chinois sous contrat était d’autant plus facile dans la mesure où ce mot était déjà utilisé par les étrangers en Chine pour désigner les domestiques (Pan 1994 : 45). 10 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) des femmes originaires de toute la Chine ont commencé à se déployer à travers le monde entier, « surfant » sur la globalisation, dont les rouages ne sont pas nouveaux pour ce vieux peuple de migrants. Petits commer- çants, hommes d’affaires, professions libérales, étudiants, artistes ou employés travaillant sur les nombreux chantiers obtenus par les entreprises chinoises, constituent les nouvelles figures d’une migration chinoise devenue circulaire12, familiale et largement féminisée. Dès lors, les contours et les dynamiques de cette troisième vague de migration, dont le rayonnement géographique dépasse largement les phases migratoires précédentes, sont multiformes et foisonnants en raison de la multiplicité des interactions possibles. Cependant, cette fulgurante ascension suscite des inquiétudes à travers le monde. La montée en puissance de la Chine est ainsi devenue un des thèmes les plus prolifiques de ces dernières années, aussi bien dans le milieu académique que dans la sphère publique13. Les attitudes et les jugements oscillent le plus souvent entre fascination et peur, enthousiasme et hostilité. Au-delà du débat plus large entre les spécialistes des relations internationales qui voient cette expansion comme une menace pour le système international existant (Mearsheimer 2001, 2006 : 160-162, 2010 : 381-396 ; Mosher 2002 ; Storey et Yee 2002 ; Storey 2013), et ceux qui considèrent la Chine davantage comme une puissance favorable au statu quo (Johnston 2003 : 5-56 ; Kim 2004 : 37-54 ; Zheng 2010), une analyse plus spécifique concerne son impact sur les « pays en développement ». Les opposants accusent la combinaison « investissements/aide au développement » déployée par la Chine dans les pays pauvres d’introduire une nouvelle forme de colonialisme, reposant sur le pillage des ressources naturelles et la mise à mal de leurs marchés du travail à travers l’imposition de bas salaires et l’introduction d’une main-d’œuvre chinoise abondante (Kurlantzick 2007 ; Eisenman, Heginbotham et Mitchell 2007). Certains vont même jusqu’à prédire que

12 En d’autres termes, un va-et-vient temporaire et répétitif entre le foyer d’origine et le ou les pays d’accueil. 13 Il existe pléthore de livres, documentaires et articles publiés par des journalistes qui ont enquêté sur l’émergence de la Chine et son impact dans les pays en voie de développement. Cf. le dernier ouvrage d’Heriberto Araujo et Juan Pablo Cardenal vient d’être traduit en français sous le titre Le siècle de la Chine. Comment Pékin refait le monde à son image (2013). 11 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » l’attrait croissant pour le soi-disant « modèle chinois » – également nommé « consensus de Pékin » (Ramo 2004) – se traduira par la propagation d’un « capitalisme autoritaire » (Naim 2007 ; Friedman 2009 : 7-12 ; Kurlantzick et Link 2009 : 13-28 ; Halper 2010). D’un autre côté, un nombre croissant de chercheurs affirment que l’expérience de dévelop- pement chinois propose des leçons plus utiles, et que sa politique d’investissement dénuée de conditionnalités offre des bénéfices plus tangibles que la rhétorique du développement participatif et de l’aide conditionnelle assénée par l’Occident (Brautigam 2011 ; Moyo 2009). Un troisième point de vue plus sceptique suggère que l’impact de la Chine sur les pays en développement est surestimé, car ses institutions et ses modèles sont inexportables et son soft power reste limité (Naughton 2010 : 437-460 ; Shambaugh 2013). Malgré une plus grande nuance dans la littérature sur l’engagement de la Chine dans le monde, en particulier en Afrique (Strauss et Saavedra 2010 ; Monson et Rupp 2013 : 21-44), les analyses vont rarement jusqu’à examiner ce que la rencontre avec la Chine produit en termes de nouvelles configurations sociales, économiques, politiques ou culturelles au sein des milieux où ses entrepreneurs et ses travailleurs s’implantent. La littérature prolifique sur « la Chine en Afrique » – qui représente la majeure partie des études discutant de la nouvelle présence de la Chine dans le monde – est largement fondée sur l’analyse des déclarations des hommes politiques, des documents gouvernementaux, et des promesses d’investissement. Cela conduit à surestimer les effets du « modèle chinois » sur les structures politiques et à sous-estimer l’impact des rencontres interpersonnelles sur les moyens de subsistance et les aspirations des individus. Par ailleurs, l’accent disproportionné sur l’Afrique a occulté l’importance de l’émergence de la Chine pour ses voisins les plus proches14. Cette omission est particulièrement flagrante dans le cas de l’Asie du Sud-Est qui a toujours été le principal théâtre des engagements commerciaux de la Chine avec le monde (Lombard 1990) ; Reid 1988, 1993).

14 À l’exception de l’ouvrage de Billé, Delaplace et Humphrey (2012) concernant les relations entre la Chine et ses voisins à la frontière russe et mongole.

12 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Ce constat est le point de départ de ce projet soutenu par l’Irasec15 qui vise à explorer les relations entre la Chine et l’Asie du Sud-Est. L’objectif final est de publier (en anglais) un ouvrage collectif rassemblant les travaux universitaires les plus récents analysant la manière dont l’expansion chinoise en Asie du Sud-Est est en train de bousculer profondément le paysage socio-politique et économique de la région. Au titre de travail préliminaire, ce présent Carnet se propose de poser les bases de la discussion en commençant par analyser cette relation par des études de cas au Cambodge, au Viêt Nam et au Laos.

Évolution des études sur la diaspora chinoise et de ses problématiques

Les relations de l’Asie du Sud-Est avec la Chine se distinguent notamment en raison de la présence au cours des siècles d’une importante population d’origine chinoise (Wang 1959, 1991 ; Pan 1994 ; Reid 1996 ; Liu 2006). Jusqu’au début des années 1990, les recherches sur la migration chinoise se sont focalisées sur sa diaspora (Overseas Chinese Studies), à travers la question de l’identité, du nationalisme ou de la domination économique (Lim et Goslin, 1983 ; Cushman et Wang 1988 ; Suryadinata 1989 ; McVey 1992 ; Wang et Wang 1998 ; Pan 2000). On assiste aujourd’hui à un regain d’intérêt concernant ce champ d’étude, favorisé par un nouveau contexte de globalisation qui a pour effet le redéploiement des migrations internationales, l’avènement d’une nouvelle phase migratoire caractérisée par la fuite des cerveaux ainsi que le développement d’un capitalisme transnational et des réseaux de l’immigration clandestine. Il est important de souligner que l’étude de la diaspora chinoise n’a jamais été neutre. Elle a été initiée par les administrateurs coloniaux qui cherchaient à comprendre les minorités ethniques afin de mieux les contrôler. Les empires coloniaux européens dépendaient notamment des réseaux chinois pour développer et mettre en valeur leurs colonies. Considérés comme une menace potentielle et un « problème », les

15 Je tiens à remercier l’Irasec pour la bourse de terrain qui a permis de lancer ce projet. 13 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

Chinois d’outre-mer (huaqiao – 华侨) ont, très tôt, fait l’objet d’une surveillance particulière. Les premiers sinologues étaient des administrateurs coloniaux ou des missionnaires. L’administrateur anglais J. D. Vaughan écrivit en 1879, The Manners and Custums of the Chinese of the Straits Settlements, affirmant une homogénéité parmi les Chinois. La première étude sur les Chinois en Asie du Sud-Est, The Chinese Abroad, date de 1924, conduite par H. F. Mac Nair, professeur d’histoire à St John’s University à Shanghai. Il fut le premier à examiner le problème de la protection et du statut des Chinois d’un point de vue international. Puis W. L. Wynne publia en 1941, Triads and Tabut, qui est devenu un classique sur la diffusion des sociétés secrètes chinoises et islamiques dans la péninsule malaise de 1800 à 1935. Les Hollandais étudièrent également les Chinois : le sinologue J. J. M. de Groot, s’intéressa aux sociétés secrètes du Kalimatan occidental et aux Kapitein en particulier, les leaders chinois qui menèrent la rébellion de 1740. D’autres études furent menées dans les années 1920 sur les activités économiques des Peranakans, les Chinois métissés d’Indonésie, ainsi que sur leurs coutumes et leurs positions politiques. Le missionnaire Kenneth Landon (1941) étudia les Chinois de Thaïlande, et sa femme fut l’auteur du célèbre livre Anna and the King of Siam. En 1948, l’administrateur colonial anglais, J.S. Furnivall élabora le concept de « société plurale » après avoir observé le fonctionnement des régions où le commerce était entre les mains d’immigrants chinois et indiens aux origines différentes de celles de la population autochtone, composée d’une élite et d’une paysannerie. Ce terme désigne des sociétés composées de catégories ethniques disparates dont chacune occupait une place particulière dans la structure économique. J.S. Furnivall considérait que les différents groupes ethniques ne pouvaient vivre en harmonie que si un pouvoir colonial en assurait leur cohésion. Il faut néanmoins préciser que J. S. Furnivall a posé les bases théoriques de ce concept à partir des travaux de l’économiste hollandais J. H. Boeke (1884-1956) dont les descriptions dans les années 1920 sur l’existence d’une « économie duale » au sein de la société indonésienne avaient pour but de justifier la politique coloniale hollandaise et de circonscrire les minorités ethniques dans la sphère économique traditionnelle. Selon lui, à côté d’une économie de marché « moderne » fonctionnant brutalement et sans morale, coexistait une autre sphère économique

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« traditionnelle » regroupant des communautés ethniques séparées qui possédaient leurs propres règles et un sentiment d’appartenance fort. Par conséquent, il ne lui semblait pas pertinent de développer et de moderniser ce secteur traditionnel à travers des méthodes plus modernes et productives – qui ne fonctionneraient pas selon lui – mais plutôt en augmentant la pression sociale (Bertrand 2005). La culture et la société chinoise intéressèrent peu les Français (Clammer 1981 : 15-26). Néanmoins, la colonisation française en Indochine marqua considérablement et de manière définitive les relations entre les différentes composantes ethniques. Les administrateurs français développèrent un schéma de pensée par catégorisation de « races » et de « nationalités », selon une « logique de portrait » très bien décrite par l’historien Alain Forest (1973 : 81-95) pour le cas cambodgien. Aux yeux du régime colonial, les Annamites produisaient de meilleurs fonctionnaires que les Laotiens ou les Cambodgiens, et des travailleurs plus dociles et moins chers que les Chinois. Le géographe Charles Robequain rapporte que les Laotiens et les Cambodgiens étaient réputés pour leur « indolence naturelle », contrairement à l’Annamite « unanimement reconnu comme le plus souple, le plus docile, le plus habile et le plus laborieux parmi les peuples de l’Indochine ». Les Tonkinois, par leur « abondance et leurs qualités individuelles », constituaient le meilleur réservoir de main- d’œuvre. Il remarqua cependant qu’ils restaient « inférieurs à l’ouvrier blanc ou même à l’émigrant chinois en Indochine » (Robequain 1948 : 86). En fait, le contrôle des Chinois ajoutait un coût supplémentaire, ce qui les rendait plus chers que les Annamites16. Quant aux chercheurs chinois, ils entreprirent l’étude des Chinois d’outre-mer bien après la création de la République Populaire de Chine (RPC), lorsque celle-ci commença à réaliser leur importance (Stephan Fitzgerald 1972). Mais ce courant d’études fut faiblement développé en

16 Une note retrouvée au Centre des archives d’outre-mer (CAOM. GGI. M14 – 23267) intitulée « Recrutement difficile pour les travaux de chemin de fer du Yunnan, 1904 », indique que le vice-consul propose d’envoyer des coolies de Hainan pour construire le chemin de fer dans le Yunnan. Il y aurait en plus, selon lui, « un gros profit à se faire, comme les entreprises anglaises ou hollandaises qui affrètent ces coolies par bateau ». Le Résident supérieur lui répond qu’il n’y a pas besoin de coolies chinois, car ils ont déjà les Annamites, « de plus le contrôle des Chinois ajouterait un coût supplémentaire ». 15 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » raison du statut peu important des sciences sociales par rapport à celui amorcé par les chercheurs chinois formés en Occident. L’université de Shanghai mit en place un département des Nanyang studies dès les années 1920. Dans le contexte de la Guerre froide, les recherches se poursuivirent afin d’évaluer le positionnement des Chinois d’outre-mer, suspectés d’être une « cinquième colonne » à la solde de la Chine communiste17. De nombreuses études furent conduites par les Anglais principalement, car ils cherchaient à mieux connaître la République Populaire de Chine qui venait de naître. Faute de pouvoir y aller, ils étudièrent les Chinois d’outre-mer, faisant l’hypothèse que leur puissance économique pourrait être utilisée par les Communistes. Ils étaient donc étudiés dans le but de minimiser les risques politiques des Occidentaux. Les travaux de Victor Purcell, C. P. Fitzgerald et de Maurice Freedman sont représentatifs de cette période où la connaissance des communautés chinoises d’Asie du Sud-Est alimentait les décisions politiques et économiques. Victor Purcell fut le premier à fournir un travail monumental en 1951, couvrant toute la région et développant une approche historique. À partir de son observation en tant qu’administrateur colonial en Malaisie où il avait en charge de superviser la communauté chinoise, il avança l’hypothèse que tous les Chinois se ressemblaient et qu’ils ne jouaient pas de rôle politique (Purcell 1948). À cause de cette hypothèse erronée, il passa à côté des problèmes d’assimilation et de divisions communautaires en Malaisie. La fondation de la République Populaire de Chine en 1949 sonna l’arrêt de l’immigration chinoise. À partir de cette date, les études sur la diaspora chinoise ont été considérées sous un angle ethnique, abordant la question de l’intégration dans la société d’adoption. L’anthropologue britannique Maurice Freedman (1979) ouvrit la voie en explorant comment les attributs culturels pouvaient permettre une intégration/ assimilation, prenant en compte le contexte historique et d’installation des Chinois de Malaisie. Sa problématique de recherche était posée de la manière suivante : quels attributs la personne doit-elle avoir pour être

17 En effet, une partie de la communauté chinoise de Malaisie avait soutenu activement les maquis communistes dans leur lutte pour l’indépendance contre le pouvoir colonial anglais dans les années 1950 (Cheah 2002 : 22-26). 16 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) considérée comme chinoise ? Comment mesurer le degré de sinité : à travers la citoyenneté, l’auto-identification, l’usage de la langue, l’adhésion aux valeurs culturelles, le type d’éducation choisie, le choix du partenaire conjugal, ou le choix des associés ? Quant à l’anthropologue américain William Skinner (1957, 1958), il étudia le leadership et la structure du pouvoir dans la communauté chinoise en Thaïlande, en analysant les associations économiques et les mariages interethniques. Wang Gungwu, spécialiste de la Malaisie, fut le premier à établir une grille d’analyse permettant d’appréhender les problématiques identitaires des Chinois d’outre-mer et leur rapport à la politique (1978). Il distingue quatre grands cas de figures : premièrement, les communautés qui restent nettement chinoises, que ce soit par la nationalité et/ou par les relations économiques avec Pékin et/ou Taipei ; deuxièmement, les communautés qui s’identifient d’abord à la diaspora elle-même, à travers des organisations spécifiques et ses regroupements géo-dialectaux : dans ce cas de figure majoritaire, le rapport au pays d’accueil et à la Chine apparaît secondaire et essentiellement opportuniste ; troisièmement, les communautés ou les individus qui s’impliquent dans le pays d’accueil : « minorité dans la minorité », ce groupe est surtout constitué d’éléments des couches supérieures ; enfin, les communautés assimilées, babas, peranakans, mestizos, luk chin18, dont la sinité serait diluée ou effacée. Un mouvement de re-sinisation amorcé à partir de la fin du XIXe siècle semblerait s’accélérer ces dernières années pour des raisons économiques, avec la présence grandissante de la Chine dans l’économie sud-est asiatique. Toutefois, ces groupes ne sont pas statiques. Le second groupe est le plus nombreux, mais les frontières sont floues et changeantes selon les périodes. De plus, cette grille d’analyse renseigne peu sur les conditions de changements, exceptés les facteurs internes et internatio- naux. Wang Gungwu défend l’idée que les Chinois préfèrent maintenir une identité chinoise, mais les cas de l’Indonésie, des Philippines et de la Thaïlande montrent le contraire, dans la mesure où ces Chinois s’enga- gent dans des partis locaux, sans mettre en avant leur sinité. Néanmoins, l’apport essentiel des travaux de Wang Gungwu repose sur la démonstration de multiples identités chinoises. Il distingue quatre types

18 Ces communautés assimilées correspondent respectivement à la Malaisie, l’Indonésie, les Philippines, et la Thaïlande. 17 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » d’identités, dépendantes des conditions de vie : l’identité ethnique (« race »), l’identité nationale (politique), l’identité de classe (économique) et l’identité culturelle. Dans les années 1980, Linda Lim et Peter Gosling (1983) firent l’hypothèse qu’avec la modernisation, les différences culturelles et sociales s’estomperaient et que l’essor économique diminuerait les divi- sions ethniques. Il semblerait pourtant qu’aujourd’hui, l’identité ethnique continue de jouer un rôle économique et politique fondamental. Ils posèrent néanmoins des questions pertinentes, par exemple, dans quelle mesure les conflits ethniques sont-ils causés par l’existence de cultures différentes, par la domination d’une classe socio-économique, ou encore par la combinaison des deux ? L’acculturation et l’assimilation sont-elles des conditions nécessaires pour éviter les conflits ethniques ? A-t-on la preuve que lorsque les Chinois sont plus acculturés et assimilés, on constaterait une absence de conflits ethniques ? Ou bien les élites des pays déterminent-elles l’intensité du conflit, voire l’absence ou la présence de conflits ethniques ? D’autres ont mis l’accent sur les spécificités culturelles – un esprit d’entreprise propre au monde chinois et transcendant les frontières nationales – pour expliquer la réussite des Chinois d’outre-mer en Asie du Sud-Est. Pour Gordon Redding (1990), s’il est difficile de trouver un « entrepreneur typique » au sein de la diaspora chinoise en raison de sa grande diversité, il existe cependant un « esprit du capitalisme chinois » (the spirit of Chinese capitalism), c’est-à-dire des valeurs, croyances et des pratiques communes aux Chinois d’outre-mer, fondées sur une structure organisationnelle familiale et paternaliste, le secret concernant la marche des affaires, et l’utilisation de réseaux de connaissances (guanxi – 关系) liées par la confiance. Ces entreprises familiales se sont progressivement transformées en conglomérats puissants à travers toute l’Asie du Sud- Est, formant une sorte de « Bamboo network » qui serait à l’origine du « miracle asiatique » ainsi que de la transition de la Chine communiste vers une économie de marché (Weidenbaum et Hughes 1996). D’autres chercheurs se sont opposés à cette vision purement essentialiste des pratiques entrepreneuriales chinoises (Gomez et Hsiao 2001 ; Yao 2002 ; Gomez et Benton 2004 : 1-19). Les recherches se sont ensuite intéressées à analyser la manière dont la montée en puissance de la Chine changeait le mode d’organisation traditionnelle des réseaux économiques de la

18 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) diaspora et pouvait leur être profitable (Wee et Chan 2006 : 328-349 ; Gomez 2006 : 350-363 ; Surydinata 2006). En Asie du Sud-Est, certains pays sont plus étudiés que d’autres, comme la Malaisie, Singapour, la Thaïlande ou l’Indonésie (Suryadinata 1989, 2006), alors que les recherches sur Brunei, la Birmanie et l’ancienne Indochine française restent quasiment vierges, à l’exception du Viêt Nam19. Toutefois, on assiste à un regain d’intérêt pour le sujet, revigoré par le renouveau de l’expression culturelle chinoise provoqué par les réformes politiques et économiques dans la région (Edwards 2012 : 274-278 ; Sai et Hoon 2013). Bien que l’importance croissante des relations avec la Chine ait également joué un rôle dans ce renouveau, peu de chercheurs en dehors de la Chine ont sérieusement envisagé l’effet de la nouvelle présence économique, migratoire et culturelle de la Chine sur le positionnement des anciennes communautés chinoises dans la région20. Les recherches manquent encore de conceptualisations théoriques sur l’identité chinoise, les nouvelles interactions entre les anciens et les nouveaux réseaux chinois, le rôle de l’État et son impact sur les communautés chinoises, de même que les aspects politiques de la diaspora sont négligés. Il existe peu d’études comparatives entre des pays du sud-est asiatique mais aussi avec d’autres régions du monde où est implantée la diaspora chinoise. Cette lacune est progressivement en passe d’être comblée21. Par ailleurs, le manque de théorisation est également soulevé par les chercheurs s’agissant du concept même de diaspora. En effet, l’usage du terme diaspora est récent dans les sciences sociales, ce qui peut s’expliquer par le fait que les groupes immigrés devaient perdre leur identité ethnique et s’assimiler aux normes locales (Anteby-Yemini,

19 Cf. Arnaud Leveau (2003). 20 Pour les exceptions, voir Szanton Blanc (1997 : 261-286) ; Suryadinata (2006) ; Thunø (2007) ; Liu (2012 : 37-60) ; Nyíri (2012b : 369-397). 21 Cf. Journal of Chinese Overseas ; Chinese Heritage Centre, http://chc.ntu.edu.sg/Pages /Home.aspx ; « Migration, Indigenization and Exchange : Chinese Overseas From Global Perspectives », 7th Conference of the International Society for the Study of Chinese Overseas (ISSCO), Nanyang Technological University, Singapour, 7-9 mai 2010; le programme de recherche « Contemporary Chinese migration to Southeast Asia and Japan » financé par la Japan foundation ; le programme de recherche de l’université de Chiang Mai sur les investissements et la migration chinoise dans la sous-région du Grand Mékong, coordonné par le Prof. Yos Santasombat. 19 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

Bertitomière, Sheffer 2005 : 9-18). Au cours des années 1970 et 1980, lorsque les théories sur l’assimilation et l’intégration ont montré leur faillibilité, le recours à la notion de diaspora s’est fait de plus en plus fréquent pour décrire des groupes migrants caractérisés par une identité ethnique et un sentiment communautaire fort (Bruneau 2004). Mais ce concept fut cependant très rapidement remis en cause par les chercheurs (Medam 1993 : 59-66 ; Clifford 1994 : 302-338) qui pointaient le manque de théorisation, posant la question de savoir si la notion de diaspora revêtait une spécificité qui nécessiterait son utilisation plutôt que celle d’autres concepts en sciences sociales (Bordes-Benayoun et Schnapper 2006). Wang Gungwu fait partie de ceux qui réfutent l’utilisation de ce terme, car il contribue, selon lui, à répandre l’idée d’un groupe diasporique chinois homogène, alors qu’il existe une multitude de communautés chinoises d’outre-mer, aux identités et aux trajectoires différentes, dont les modalités d’insertion ont beaucoup varié d’un pays à l’autre, déterminées par des facteurs comme les trajectoires historiques, l’importance numérique, ou le caractère géopolitique. Il montre notamment qu’« à bien des égards, le mot de diaspora revêt un type de contenu politique comparable au terme huaqiao qui possède également de nombreuses connotations politiques22. » En ce qui concerne la sémantique de la migration, il est important de rappeler que la langue chinoise n’utilise pas le terme de diaspora pour qualifier ses émigrants ; ce terme est lourd de sens, puisqu’il plonge ses racines dans la langue grecque23 et repose sur la transcription du mot hébreu, Galout, qui « fait référence à l’implantation de populations juives en dehors de la Palestine après l’exil babylonien et a acquis progressivement un sens plus large en décrivant des populations installées en dehors de leurs terres ancestrales » (Anteby-Yemini, Bertitomière, Sheffer 2005 : 9). Dans la langue chinoise, il n’y a pas eu d’appellation unique pour qualifier le phénomène d’émigration. Les

22 « In many ways, diaspora is a word that has the kind of political content comparable to the term huaqiao, which also has many political overtones » (Wang 2003 : 241). Toutefois, Huang Jianli (2010 : 1-21) pointe pertinemment les contradictions de Wang Gungwu qui a utilisé à de nombreuses reprises ce terme. 23 Du grec ancien : speiro - σπείρω (semer, disperser) et le préfixe dia - διά (entre, à travers), le terme fait référence aux notions de migration et de colonisation. 20 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) qualificatifs ont évolué dans l’espace et dans le temps, selon le contexte géopolitique, et ont également été porteurs d’un champ sémantique très large et souvent pesant. Wang Gungwu (1992 : 1-10) nous apprend que jusqu’à la fin du XIXe siècle, il était question de Nanyang Huashang (commerçants chinois des Mers du Sud), et ce n’est qu’au cours des années 1880 qu’apparaît le terme qiao24 (侨 – émigrés temporaires) qui composera à partir du tournant du siècle l’appellation huaqiao (émigrés chinois). Ce terme qiao n’est pas neutre, car il désignait auparavant les officiels étrangers en Chine, et à partir de 1858, il est utilisé officiellement dans le traité sino-français de Tianjin pour donner un nouveau statut – temporaire mais protégé – à tous les Chinois résidant à l’étranger, puisque l’émigration était interdite depuis 1648 jusqu’à la levée de son interdiction en 1893. Ainsi, les marchands chinois du Nanyang sont devenus des Chinois d’outre-mer (Overseas Chinese), expression qui traduit huaqiao, avec cependant quelques ambiguïtés, puisque leurs profils et leurs situations se sont diversifiés avec la traite des coolies dans le monde et l’enracinement des générations antérieures. Aujourd’hui, le terme « Chinois d’outre-mer » recouvre aussi bien les migrants temporaires, les ressortissants chinois résidant outre-mer, les Chinois d’outre-mer naturalisés, mais dont le sentiment d’appartenance reste chinois, que les Chinois d’outre-mer naturalisés et plus ou moins assimilés. Après la décolonisation et la naissance des nouveaux États d’Asie du Sud-Est, où la déferlante des nationalismes s’en est violemment pris aux Chinois d’outre-mer, les accusant d’être des collaborateurs de la colonisation, la Chine a voulu rassurer les jeunes États-nations en ne considérant plus la totalité des Chinois d’outre-mer comme des « émigrés chinois temporaires », impliquant sa protection. La catégorie huaqiao fut restreinte officiellement en 1957, à la suite de la conférence de Bandung de 1955, et ne concernait plus que ceux qui avaient conservé la nationalité chinoise. Depuis 1995 et la mise en place du nouveau code de nationalité, les citoyens de descendants chinois ne doivent plus être appelés huaqiao. Les citoyens locaux d’origine chinoise sont désormais appelés huaren (华人) ou huazu (华族), leur équivalent en anglais serait ethnic Chinese, terme qui les différencie des Chinois de Chine, tandis que les descendants d’émigrés

24 Qui signifie « rester temporairement quelque part loin de chez soi. » 21 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » chinois ou d’un mariage interethnique qui ont cessé de se considérer comme Chinois rentrent dans la catégorie des huayi (华裔). Pour Ronald Skeldon (2003 : 51-66), le concept de diaspora – chargé symboliquement car véhiculant l’image de la victime – ne semble pas convenir pour décrire les trajectoires des nouveaux migrants (xin yimin – 新移民) qui partent volontairement et maintiennent des relations étroites, aussi bien avec leur foyer d’origine qu’avec d’autres noyaux de leur communauté dispersés à travers le monde. D’autres chercheurs ont tenté de pallier le manque de théorisation du concept de diaspora en soulignant en premier lieu que l’attribution de ce terme au seul groupe juif constituait une erreur dans la mesure où d’autres groupes « diasporiques » avaient existé avant, tels que les Phéniciens ou les Assyriens, et que des similitudes apparaissaient entre la diaspora juive et les groupes grecs et chinois de la seconde moitié du XIXe siècle. Trois premiers critères sont donnés pour définir la diaspora (Sheffer 1986) : le maintien d’une identité collective propre au sein du groupe « diasporisé » ; l’existence d’une organisation interne distincte de celle dans le pays d’origine et dans le pays d’accueil ; et la présence de liens forts entre la « terre d’origine » (homeland) à travers de contacts réels (envoi d’argent) ou symboliques (vœu répété). D’autres typologies sont avancées pour comprendre et décrire les diasporas, reposant sur le degré d’homogénéité (cohesiveness) et le dynamisme de l’organisation diasporique, notamment l’efficience de leur structuration en réseaux transnationaux – ce qui caractérise bien la diaspora chinoise – ou le type d’organisation défini autour de trois pôles structurants (Bruneau 2004) : l’entreprenariat pour la diaspora chinoise ou libanaise, le religieux avec les exemples juifs et grecs et le politique pour les Palestiniens et les Tibétains. Les années 1990 ont vu émerger les notions d’espace transnational et de communautés transnationales. Les diasporas y sont désormais perçues comme des « nations sans frontières » qui recomposent le rapport au territoire et à l’État-nation, car ces groupes redéfinissent la notion de citoyenneté en créant une nouvelle catégorie de citoyens vivant physiquement dispersés à l’intérieur des frontières de nombreux États, mais qui participent socialement, politiquement, culturellement et économiquement à l’État-nation d’origine (Basch, Schiller et Szanton Blanc 1994). Ainsi, la notion de diaspora est inévitablement mêlée à celle 22 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) de transnationalisme dans le contexte de la globalisation. Dans ce sens, les recherches de Aihwa Ong sont fondamentales. Cette anthropologue montre dans ses deux ouvrages, Undergrounded Empires (1996) puis Flexible Citizenship (1999), comment les Chinois d’outre-mer, à travers la figure de l’entrepreneur transnational, sans cesse en mouvement, aussi bien physiquement que mentalement, et détenteur de plusieurs passeports, incarnent bien cette rupture entre l’identité imposée par l’État-nation et l’identité personnelle résultant des changements migratoires et de l’évolution vers un marché global. Désormais, pour s’insérer dans l’ère de la globalisation, aussi bien les individus que les gouvernements développent une notion flexible de la citoyenneté et de la souveraineté reposant sur une stratégique d’accumulation du capital et du pouvoir. Ce nouveau cadre d’analyse au niveau transnational nous amène à déconstruire les concepts de catégories ethniques, de culture et de nation, après avoir mis à mal celui de l’identité. Il s’agit désormais de construire de nouvelles possibilités de conceptualiser l’espace social et le rapport identitaire des individus face à la globalisation. Au final, tous ces critères de définition tendent à décrire la notion de diaspora comme des communautés transnationales présentant une organisation multipolaire. Dans cette perspective, nous adhérons à la manière dont Emmanuel Ma Mung (2000) caractérise la diaspora chinoise, en proposant deux caractères morphologiques objectifs : la « multi- polarisation de la migration » qui correspond à la définition classique de la diaspora au sens originel de la dispersion et « l’interpolarité des relations » dans la mesure où elle s’établirait comme un réseau complexe de liens non seulement avec le pays d’origine, mais aussi entre les différents pôles migratoires. La globalisation nous oblige à prendre conscience des différences entre et au sein des groupes de migrants chinois, car l’appartenance ethnique ou communautaire est plus que jamais au cœur de la construction des dynamiques transnationales. En définitive, les termes de « communautés transnationales » ou de « transmigrants » développés dans le cadre des Global studies pourraient mieux décrire la situation que vivent les migrants chinois aujourd’hui. Selon Riva Kastoryano (2000 : 353), la notion de communautés transnationales renvoie à : « des communautés composées d’individus ou de groupes établis au sein de différentes sociétés nationales, qui agissent à

23 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

partir des intérêts et des références communs (territoriales, religieuses, linguistiques), et qui s’appuient sur des réseaux transnationaux pour renforcer leur solidarité par-delà les frontières nationales ».

Quant à Basch, Glick Schiller et Szanton Blanc (1994), ces auteurs définissent les « transmigrants » comme des migrants dont les expériences de vie transcendent les frontières des États-nations en développant et en maintenant de multiples relations, aussi bien économiques, sociales, organisationnelles, religieuses, que politiques. Pour ma part, dans mes travaux, j’utilise le terme « réseaux transnationaux chinois » pour retranscrire la diversité des groupes chinois (petits entrepreneurs originaires de différentes provinces de Chine continentale, entrepreneurs de la diaspora, compagnies étatiques et privées) qui se croisent et font affaires ensemble.

Les études sur la migration chinoise aujourd’hui : un enjeu géopolitique

La récente montée en puissance de la Chine, inondant les marchés du monde entier de ses produits manufacturés et manifestant un appétit vorace pour les matières premières, indispensables à son hyper- développement, a relancé à partir du milieu des années 2000 la « peur du péril jaune25 », relayée par les médias et les think tanks. Cependant, le problème majeur de ce débat est la quasi-impossibilité de dissocier

25 Au retour d’une mission parlementaire en Chine, Alain Peyrefitte publiait en 1973 son célèbre ouvrage Quand la Chine s’éveillera… Le monde tremblera, prédisant le réveil prochain de la puissance chinoise. Le titre était emprunté à une prophétie qu’aurait faite Napoléon pendant sa captivité sur l’île de Sainte Hélène. La profusion de travaux académiques et de reportages grand public ces dernières années révélant la montée en puissance de la Chine sur la scène internationale est bien le signe, qu’en substance, la peur du « péril jaune » revient cycliquement dans l’imaginaire collectif occidental. Aujourd’hui, cette peur est d’autant plus forte que la force de frappe chinoise est mesurable et que les statistiques officielles sont certainement en dessous de la réalité, notamment ceux de la migration et des échanges commerciaux, dont les circuits informels sont importants et difficilement évaluables. 24 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) l’étude de l’émergence chinoise des préoccupations américaines quant à son déclin dans le monde et en Asie en particulier (Sutter 2005 ; Shambaugh 2004 : 64-69 ; Breslin 2009 : 817-835). L’agitation générée par l’angoisse des États-Unis de voir changer l’équilibre des rapports de force en faveur de la Chine a tendance à étouffer tout autre angle d’approche. Jusqu’à présent, le débat autour de la question chinoise parmi les théoriciens des relations internationales a opposé les libéraux optimistes aux réalistes pessimistes. Les libéraux soutiennent que l’ordre international actuel est défini par un principe d’ouverture économique et politique qui peut s’accommoder pacifiquement de la montée en puissance de la Chine, dans la mesure où cette dernière préfèrerait s’adapter à ce cadre plutôt que de se lancer dans une entreprise coûteuse et risquée afin de renverser le système pour y établir un ordre fonctionnant selon ses convenances (Johnston 2003 : 5-56 ; Kim 2004 : 37- 54 ; Zheng 2010). La majorité des recherches en langue anglaise traitant de la montée de la Chine se concentre sur la façon dont les États-Unis font face à ce changement radical dans la répartition mondiale de la puissance économique et militaire. Si toutes ces études traitent évidemment de la Chine, elles sont destinées en partie à influencer la manière dont les décideurs américains pensent et agissent à l’égard de la Chine. À l’instar des administrateurs coloniaux dont les études servaient à justifier leur politique, à prendre une décision ou à mieux contrôler les Chinois, les think tanks multiplient leurs études afin de définir une stratégie pour mieux contrer la montée en puissance chinoise. Les libéraux véhiculent l’idée que la domination chinoise va se passer quoi qu’ils fassent ou pensent, et qu’il est donc préférable de tirer le meilleur parti de cette fatalité. Le but est de paraître le plus alarmiste possible afin d’obtenir le plus d’impact possible auprès des décideurs. A contrario, les réalistes prédisent une intense compétition (Mearsheimer 2001 ; Mosher 2002 ; Storey et Yee 2002 ; Storey 2013). Pour eux, l’expansion de la puissance chinoise amènera la Chine à poursuivre ses intérêts avec plus d’assurance, ce qui conduira les États- Unis et d’autres pays à chercher à pondérer cette hégémonie. Ce cycle va générer la même impasse que la Guerre froide entre les États-Unis et l’Union soviétique, et peut-être même conduire à une guerre hégémoni- que. Les tenants de ce point de vue relèvent le récent durcissement des

25 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » positions de la Chine concernant ses revendications maritimes en mer de Chine méridionale et orientale, ainsi que le rapprochement des relations entre les États-Unis et l’Inde comme des signes que le cycle de l’assurance et de la recherche d’équilibre a déjà commencé. Toutefois, des travaux plus récents commencent à pointer les limites de ces approches trop binaires (Sutter 2010 : 591-604). À l’identique, depuis la politique des « quatre modernisations » (si ge xian dai hua – 四个现代化 : industrie, agriculture, armée, science et technologie) lancée par Deng Xiaoping à la fin des années 1970, la Chine s’est intéressée au retour des Chinois d’outre-mer et commence à rattraper son retard en matière de recherche sur ce groupe particulier26. Néanmoins, les travaux sont plus importants à Taiwan qui a toujours gardé le souci d’obtenir le soutien des Chinois d’outre-mer au Kuomintang27. Cette tendance est en train de s’inverser avec la multiplication ces dernières années de nombreux think tanks28 et programmes de recherche chinois (Chang 2013). En effet, la Chine populaire est désormais soucieuse d’étudier et de mieux connaître sa propre migration et son impact dans le monde, mais aussi de changer l’image d’une Chine menaçante en diffusant les concepts d’« émergence pacifique » (heping jueqi – 和平崛起) puis de « monde harmonieux » (hexie shijie – 和谐世界) 29, en réaffirmant trois principes : ne pas vouloir suivre le même chemin que les puissances coloniales occidentales, ne pas avoir de velléités hégémoniques, et refuser toute alliance. Cette doctrine insiste sur le fait que la Chine ne peut prospérer économiquement que dans un environnement pacifique et devrait par conséquent servir de catalyseur pour l’instauration d’une paix mondiale (Lai et Lu 2013).

26 À l’instar du Overseas Chinese Research Center de l’université de Jinan, créé en juillet 1981, qui représente un des premiers centres de recherche sur les Chinois d’outre-mer en Chine. Cf. également les travaux de Zhuang (2001) et Zhuang et Wang (2010 : 174-193). 27 Cf. Overseas Compatriot Affairs Commission, ROC (Taiwan) : http://www.ocac.gov.tw /english/public/public.asp?selno=693&level=C&no=693 28 Par exemple, le Center for International Economic Exchanges : http://english.cciee.org.cn/. Lire aussi Cheng (2009 : 21). 29 Ce concept a d’abord été énoncé par Zheng Bijian lors du Bo’ao forum for Asia en 2003 pour s’opposer aux tenants de la China’s threat theory. Ce terme a très vite été abandonné en faveur de celui de « monde harmonieux » (hexie shijie) ou celui parfois de « monde pacifique » (heping shijie) ou de « paix et développement » (heping yu fazhan) (Breslin 2009 : 817-835). 26 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) Hypothèse et questionnements

Considérée comme « l’arrière-cour naturelle » de la Chine, nous pensons que l’Asie du Sud-Est est un site d’observation privilégié pour décrire la complexité et l’hétérogénéité des circulations et des identités en construction à l’aube du « siècle chinois ». Si l’attitude de plus en plus affirmée de la Chine vis-à-vis de ses revendications territoriales en mer de Chine méridionale ainsi que sa rapide modernisation militaire ont renouvelé l’intérêt des États-Unis pour l’Asie du Sud-Est, cet intérêt se concentre cependant sur le plan stratégique principalement (Shambaugh 2004 : 64-99 ; Vaughn et Morrison 2006) ; Frost, Przystup, et Saunders 2008 ; Sutter 2010 : 591-604). L’Asie du Sud-Est est décrite comme le futur « champ de bataille », en raison des positions de plus en plus agressives de la Chine à l’égard de ses voisins30. Les récents incidents avec le Viêt Nam concernant les disputes territoriales en mer de Chine méridionale ont mis en doute les intentions pacifiques de la Chine (Storey 2013). D’autres voient sa stratégie au sein du GMS (Greater Mekong Subregion)31 comme un moyen d’attirer dans son orbite les États de l’Asie du Sud-Est continentale, créant ainsi une division permanente entre les pays de l’Asean (Wade 2010). Récemment, le développement de mégaprojets chinois a donné lieu à une opposition ouverte et à des résistances violentes en Birmanie, au Viêt Nam, et au Cambodge32. En conséquence, la littérature existante sur les relations Chine-Asie du Sud-Est est dominée par les analystes des relations internationales, les politologues, les décideurs politiques, les journalistes et les rapports d’ONG, débattant si la Chine va devenir la future puissance hégémonique capable de déstabiliser la région (Mearsheimer 2010 : 381-

30 « China and Southeast Asia », 2011, The Diplomat, 23 août, http://thediplomat.com /china-power/china-and-southeast-asia/ [consulté le 19 septembre 2011]. 31 Ou la Sous région du grand Mékong en français. Le GMS est un programme de coopération régionale lancé en 1992 par la Banque asiatique de développement (BAD) rassemblant les cinq pays de la région du Mékong (Thaïlande, Laos, Cambodge, Viêt Nam et Birmanie), ainsi que deux provinces chinoises du Yunnan et du Guangxi. 32 « South East Asian countries unhappy with Chinese investment », France 24, 13 mars 2013, http://www.youtube.com/watch?v=_h4vZeD27XQ [consulté le 14 mars 2013] ; Reuters, 2011, « Vietnamese Protest Against China’s Invasion of Vietnam », 21 juillet, http://www.youtube.com/watch?v=nidulhZM3C8 [consulté le 14 mars 2013]. Pour la Birmanie, cf. O’Connor (2011) et Woods (2011 : 747-770). 27 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

396 ; Friedberg 2012) ou si elle arrivera à favoriser un « développement pacifique » où tous les acteurs clés bénéficieraient de cette dynamique « gagnant-gagnant » (Kang 2009 : 296). Une attention particulière est accordée aux préoccupations économiques, politiques et stratégiques à l’échelle de la région, telles que l’élargissement de l’Asean (Weatherbee 2006 : 271-302 ; Ba 2005 : 93-108, 2008 : 192-207), la sécurité et la diplomatie (Goh et Simon 2008 ; Goh 2011 ; Gill 2010 ; Thayer 2011 : 77- 104 ; Tsai et al (2011 : 25-42) ; Storey 2013 ; Severino 2013 : 1-13), l’impact de l’aide, des investissements, du commerce et du soft power chinois (Ravenhill 2007 : 162-192 ; Percival 2007 ; Kurlantzick 2007 ; Lum, Morrison, et Vaughn 2008 ; Rutherford, Lazarus, et Kelley 2008), ou l’idée d’un possible retour vers le système tributaire sino-centrique (Zhou 2011 : 174-178 ; Womack 2012 : 37-54 ; Katzenstein 2012) pour évaluer ces positions antagonistes. Comme l’a bien souligné Pál Nyíri (2012a : 535), le débat actuel sur le fait que la Chine soit en train de devenir une puissance néocoloniale est largement déterminé par les sympathies politiques et les dichotomies idéologiques, mais sert peu l’analyse. On préfèrera par conséquent mettre en avant la complexité des processus politiques à l’œuvre dans la région afin de mieux comprendre les mécanismes de cette nouvelle mondialisation chinoise. Ainsi, à contre-courant des analyses qui diabolisent la puissance chinoise, l’objectif de cette recherche est de déconstruire les stéréotypes et les fantasmes récurrents autour d’une Chine ultra-puissante, en dépassant les lieux communs liés à la question souvent posée : « La Chine constitue-t-elle une menace ou une opportunité pour l’Asie du Sud-Est ? ». La question des relations entre la Chine et le reste du monde est tantôt pensée en termes de domination, de menace, d’exploitation, et de soutien aux régimes autoritaires, tantôt en termes d’aubaine et d’opportunités de développement. Bien que cette approche binaire soit systématiquement employée dans le cas de l’Asie du Sud-Est, qui a toujours reconnu la suprématie de l’Empire du Milieu en lui payant un tribut, et qui profite aujourd’hui de la manne financière chinoise, il semble que la relation entre « le Dragon et les Nâgas33 » soit plus complexe qu’elle ne paraît au premier abord.

33 Sous-entendu la Chine, traditionnellement incarnée par un dragon, et l’Asie du Sud-Est, dont les mythes fondateurs se sont construits autour de la créature du nâga, animal 28 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Notre hypothèse est que la Chine et l’Asie du Sud-Est sont extrêmement dépendantes l’une de l’autre. L’Asie du Sud-Est est hautement stratégique pour les intérêts chinois (débouchés pour les produits chinois, approvisionnement en matières premières, route de transit pour l’acheminement du pétrole, base de rayonnement diploma- tique), tandis que la Chine est indispensable à la poursuite du « miracle économique » dans la région. Si la Chine a effectivement des moyens plus imposants que ses voisins, ces derniers ne sont pas totalement impuissants, ni à court d’arguments pour pondérer toute velléité hégémonique. De plus, les pays d’Asie du Sud-Est ont acquis, avec le temps, une certaine expérience et un savoir-faire dans la « gestion » de la puissance chinoise. Nous n’envisagerons donc pas leurs relations sous le mode « dominant/dominés ». Cette recherche se donne au contraire pour but d’illustrer la manière dont les pays d’Asie du Sud-Est arrivent à atténuer l’inégalité de leurs rapports de force avec la Chine en décrivant les stratégies mises en œuvre par les officiels, les hommes d’affaires, les travailleurs et les paysans pour négocier l’asymétrie, contourner l’hégémonie, embrasser, résister ou manipuler les termes dictés par les capitaux chinois. Les trois études de cas suivantes – Cambodge, Viêt Nam, Laos – mettront en évidence la complexité des réseaux et la diversité des acteurs impliqués dans ces processus, qui comprennent à la fois les différentes communautés chinoises de la région et les nouveaux migrants en provenance de Chine continentale, ou Taiwan. Plus que partout ailleurs, le terme « Chinois » doit être utilisé avec précaution, car il recouvre des réalités multiples, ainsi que des acteurs et des trajectoires différentes. Dans une première partie, je proposerai, à travers l’exemple du Cambodge, de faire un bref retour sur l’histoire des précédentes phases de migrations chinoises pour nous permettre de mieux comprendre les spécificités de la vague actuelle. Dans une deuxième partie, Caroline Grillot explorera les nouvelles interactions qui se produisent entre les différentes communautés chinoises, et avec leurs voisins vietnamiens à Hekou, une ville à la frontière entre la Chine et le Viêt Nam, où le commerce connaît un développement spectaculaire, mais où les relations mythologique de l’hindouisme et du bouddhisme représentant un serpent, symbole de richesse et de fécondité. 29 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » sont particulièrement tendues entre les Chinois et les Vietnamiens, en raison d’un passé fait d’occupation et de résistance. Elle analysera les perceptions et les stratégies élaborées par les acteurs pour dépasser ou contourner les obstacles et la méfiance. Enfin, malgré tout le battage médiatique fait autour de « l’exportation du développement chinois à travers le monde34 », on connaît encore peu de choses sur la façon dont ce modèle de développement imaginé influe concrètement sur la vie des gens et leurs façons de voir l’avenir, et comment il est en train de changer les relations entre la Chine, les migrants chinois, les communautés chinoises locales, et les populations « indigènes ». Je montrerai que Pékin ne contrôle pas totalement ce qui se passe dans les marges de son territoire, et que les réalités du terrain ne sont pas toujours en phase avec les objectifs des politiques nationales chinoises, ou avec les stratégies des différents acteurs chinois, de même que le rapport de « domination » qu’exerce la Chine sur les pays alliés n’est pas systématiquement subi par ces derniers. Le Laos est un cas particulièrement emblématique de cette relation asymétrique et inégale. Dans cette troisième partie, je mettrai en évidence le rôle crucial joué par les réseaux chinois dans les stratégies d’extraversion développées par le régime laotien, qui consistent à mettre en concurrence les puissances régionales rivales pour survivre et s’adapter à la globalisation. Je montrerai comment le capital et les pratiques entrepreneuriales en provenance de Chine et des différentes communautés chinoises s’insèrent dans les structures de patronage étatique et de production de l’espace, donnant ainsi les moyens à l’État laotien de renforcer son autorité dans les marges de son territoire.

34 Voir le blog de NYÍRI, Pal, « Exporting China’s Development to the World », Mqvu, http://mqvu.wordpress.com/[consulté le 27 février 2014]. 30 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Première Partie L’évolution de la migration chinoise en Asie du Sud-Est : Le cas du Cambodge

Dans cette première partie, il s’agit de mieux comprendre, à travers l’exemple du Cambodge35 et la lecture des différentes phases historiques de migration, le redéploiement actuel de la présence chinoise en Asie du Sud-Est. Nous nous garderons bien de prédire l’avenir pour privilégier l’analyse des facteurs structurant la relation Chine-Asie du Sud-Est dans la longue durée. Certains spécialistes se sont auparavant aventurés dans cette voie prospective, mais force est de constater qu’il est périlleux de prédire l’évolution de la migration chinoise. Ainsi, C.P. Fitzgerald (1972) proposa une modélisation théorique du processus de migration chinoise en Asie du Sud-Est en distinguant deux modèles de domination culturelle et politique : d’une part, le modèle yunnanais, où la colonisation progressive des Chinois han a permis la prise de contrôle politique, et d’autre part, le modèle vietnamien qui a adopté la culture chinoise, mais en a rejeté l’autorité. Fitzgerald avait fait l’hypothèse que les autres pays d’Asie du Sud-Est suivraient l’un de ces deux modèles. Il avait conclu que si l’immigration chinoise connaissait alors une pause, cela ne signifiait pas pour autant la fin de l’expansion chinoise vers le sud, car ce mouvement s’inscrivait dans une histoire longue de plus de 2 500 ans qui avait connu de nombreux revirements. Selon lui, un renouveau ne pouvait passer qu’à travers le renforcement de la puissance maritime chinoise – ce qu’il n’envisageait pas – mais constatait que, fondamentalement, les grandes phases de la migration chinoise n’avaient jamais pu être contrôlées par l’Empire.

35 Cette partie s’appuie sur les recherches précédentes de Danielle Tan (2006). 31 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

Quant à Maurice Freedman (1979), il chercha à montrer que la présence chinoise n’était pas synonyme de subversion de l’intégrité nationale, car celle-ci recouvrait des identités multiples, variant d’un pays à l’autre, et qu’à terme, ces communautés tendraient à s’assimiler. Freedman contestait la thèse de Fitzgerald d’une poursuite de l’expansion chinoise vers le sud dans un avenir proche, car l’influence de la culture chinoise avait atteint, selon lui, ses limites géographiques, et parce que l’État chinois était retourné à son système tributaire traditionnel. Contrairement aux prévisions annoncées par ces plus grands sinologues, l’État chinois est en train de jouer un rôle crucial dans l’écriture d’une nouvelle page de son histoire migratoire. L’envoi d’une « armée de migrants » à travers le monde, ainsi que la reconnexion avec sa diaspora, incarnant désormais la figure positive de l’entrepreneur transnational, constituent d’une part, une des variables d’ajustement des réformes néolibérales entreprises par la Chine post-communiste, et d’autre part, les fers de lance de sa stratégie de soft power (Nye 1990). Fitzgerald et Freedman ne pouvaient prévoir le formidable développement des moyens de communication (par la mer, la terre et les airs) à l’ère de la globalisation qui ont simplement multiplié les routes et les destinations des migrants, permettant à l’expansion chinoise de repousser ses limites géographiques (Afrique, Amérique Latine) et de redécouvrir les marches de son territoire (Birmanie, Viêt Nam, Laos, Russie, Corée du Nord, les pays d’Asie centrale).

1 - La première phase de migration : les commerçants du Nanyang

L’intégration silencieuse des vagues successives de migrants chinois

En raison d’une proximité géographique, la Chine et l’Asie du Sud- Est entretiennent une longue histoire commune. Au Cambodge, cette relation remonte au moins au IIIe siècle avant J.-C. quand des militaires chinois arrivèrent sur les territoires khmers après avoir franchi le

32 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Tonkin, au nord du Viêt Nam, en longeant les côtes du Guangdong. Rapidement, des relations officielles s’établirent avec les différents centres de commerce du Nanyang, mais elles se limitèrent à des échanges diplomatiques réguliers et à un commerce peu important assuré par des voyageurs non-chinois (Wang 1959 : 1-2). Le seul point de repère que nous ayons est la mission chinoise de Kang Tai et Zhu Ying en 245 après J.-C., envoyés par l’Empire Céleste pour observer les pays du Nanyang. À cette époque, le Funan (I-VIe) – sud du Cambodge et du Viêt Nam actuels – fut un centre commercial de premier plan, entretenant des relations commerciales aussi bien avec le Golfe de Siam, le « carrefour javanais » (Lombard 1990, voir en particulier le tome II traitant des réseaux asiatiques), l’Inde, la Chine, la Perse, que la Méditerranée. Les Romains venaient notamment s’approvisionner en marchandises asiatiques, et tout particulièrement en soie chinoise (Tarling 1999). Grâce à l’emplacement de son port d’Oc-èo36, il fut le point de passage obligé de la route maritime entre la Chine et l’Inde. Les Chinois étaient impressionnés par la richesse et la puissance du Funan. Mais dès le IVe siècle, le royaume du Funan connaîtra son déclin lié à l’ouverture des détroits qui devaient devenir la route privilégiée des pèlerins bouddhistes chinois jusqu’au VIIIe siècle. Ces derniers ne venaient pas acheter et vendre auprès des peuples « barbares du Sud » qu’ils considéraient inférieurs, mais pour venir se recueillir sur les lieux du savoir et partager des expériences spirituelles et intellectuelles avec l’empire indonésien naissant de Srīwijaya, avant de rejoindre l’Inde, terre sacrée du bouddhisme. C’est à partir de la dynastie Song (960-1279) que l’explosion démographique du sud de la Chine, permise par la culture intense des terres agricoles, favorisa le commerce de longue distance vers le Nanyang. Les épigraphies entre 922 à 1071 au Cambodge montrent une concentration de références aux marchands chinois plus élevée qu’au cours des siècles précédents, à travers entre autres des inscriptions

36 Si le Funan put se développer à cette époque, c’est justement grâce à l’emplacement de son site agricole et l’existence de canaux d’irrigation qui lui permettaient de produire un surplus de riz, assurant ainsi le ravitaillement des voyageurs qui restaient parfois plus de cinq mois avant que les vents de la mousson ne tournent, ce qui lui conférait un avantage crucial par rapport aux autres entrepôts potentiels du golfe. 33 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » faisant référence aux villes37. Cette politique de développement du commerce avec le Nanyang par la dynastie Song fut reprise par la dynastie mongole Yuan (1279-1368) qui octroya même des prêts officiels pour financer le commerce à la condition que 70 % des profits retournent au gouvernement. Le commerce était si rentable que les revenus des prêts et des taxes permettaient de financer en grande partie l’administration mongole (Wang 1959 : 3). Grâce à ce financement, les Chinois commencèrent à venir en nombre croissant au Nanyang et certains décidèrent de s’y établir. Mis à part quelques fragments d’un bas-relief du Bayon au XIIIe siècle faisant référence aux Chinois, les rares documents écrits qui nous renseignent le mieux sur leur présence au Cambodge sont ceux d’un diplomate chinois, Tcheou Ta-Kouan (Zhou Daguan), qui visita le royaume en 1296-1297. Les Khmers sont dépeints avec des cheveux courts et des longs lobes d’oreilles, ne portant rien d’autre qu’un pagne. Les Chinois sont reconnaissables à leurs barbes, leurs chignons, et à leurs tuniques à motifs. Dans ses mémoires, Tcheou Ta-Kouan raconte comment ces anciens marins chinois formaient une importante communauté à Angkor et se mêlaient à la vie des Cambodgiens : « Les Chinois qui arrivent en qualité de matelots trouvent commode que dans ce pays on n’ait pas à mettre de vêtements, et comme en outre le riz est facile à gagner, les femmes faciles à trouver, les maisons faciles à aménager, le mobilier facile à acquérir, le commerce facile à diriger, il y en a constamment qui désertent pour y [rester] » (Tcheou Ta-Kouan 1997 : 34).

Il semblerait que ces marins aient volontiers choisi d’échanger leur misérable existence dans leur village natal en Chine méridionale ou sur leur bateau pour rejoindre la douceur de la vie au Cambodge, même s’il fallait pour cela enfreindre la loi de la Chine ancienne qui considérait l’abandon de la terre natale comme le crime le plus vil, passible de la peine de mort. Mais le Cambodge était un pays accueillant, les nouveaux

37 Car même si l’urbanisation n’est pas un phénomène identique à la croissance du commerce, on peut néanmoins supposer que les deux allaient de pair. 34 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) colons étaient respectés pour leur habilité à faire du commerce, traditionnellement entre les mains des femmes38 : « Dans ce pays ce sont les femmes qui s’entendent au commerce. Aussi, si un Chinois en arrivant là-bas commence toujours par prendre femme, c’est qu’il profite en outre des aptitudes commerciales de celle-ci. » (Tcheou Ta-Kouan 1997 : 20)

Selon les croyances locales, les activités commerciales engendraient, par nature, des comportements de méfiance et de conflit, qui nécessitaient d’être encadrées et régulées par un ensemble de rituels contraignants. C’est pourquoi, ces activités étaient souvent confiées aux étrangers afin de limiter la « contamination » sociale qu’elles pouvaient entraîner. À ce sujet, les épigraphies khmères indiquent le passage des Chams aux Vietnamiens, puis aux Chinois pour gérer le commerce des esclaves, de l’argent et de l’or (Chandler et Mabbett 1995 : 178). Les nobles quant à eux, considéraient que participer au commerce était indigne de leur statut, ce qui ne contribua pas à l’émergence d’un entreprenariat indigène. Après la chute de la dynastie mongole en 1368, la politique concernant le commerce vers le Nanyang se durcit. Les fondateurs de la dynastie Ming suspectaient que ce commerce, financé par les Mongols, puisse devenir une menace pour le nouvel empire. Le commerce privé fut interdit et les missions diplomatiques remises au goût du jour. Pendant quarante ans, les Chinois du Nanyang avaient à choisir entre abandonner leur commerce et retourner en Chine, ou bien le maintenir au risque de subir la punition la plus sévère, c’est-à-dire la peine de mort, si jamais ils retournaient au pays. Un grand nombre d’entre eux choisirent la seconde option, soit en se mettant au service des souverains locaux, soit en s’adonnant à la piraterie (Wang 1959 : 5).

38 Ce qui était l’apanage des femmes dans l’ensemble de la région, les terres étant abondantes et les hommes en sous nombre. Elles jouissaient donc d’un statut social et économique élevé, en contraste avec le faible statut des Indiennes et des Chinoises. De plus, en raison de leur contrôle sur les naissances et sur les récoltes, on croyait que les femmes avaient un pouvoir magique lié à la fertilité et celui d’intercéder auprès du monde des esprits pour guérir les maladies ou changer les conditions météorologiques (Tarling 1999 : 191). 35 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

La reconnaissance du rôle modernisateur des Chinois

Au XVe siècle, le troisième empereur Ming Yongle (1403-1424) décida de rétablir les liens commerciaux avec les pays du Nanyang. C’est à cette époque que les réseaux maritimes chinois commencèrent à dominer le commerce en Asie du Sud-Est. Les sept expéditions effectuées par les flottes de l’Amiral musulman Zheng He39 entre 1405 et 1433 en direction de l’Insulinde et de l’océan Indien contribuèrent à resserrer les liens avec les marchands musulmans du « carrefour javanais ». Ces voyages eurent un tel impact qu’il devint une figure légendaire pour les Chinois et les habitants de la région, ce qui eut pour effet d’accélérer la pénétration chinoise en Asie du Sud-Est qui avait déjà commencé depuis longtemps (Lombard 1990). À partir de ce moment, les Chinois réalisèrent qu’ils avaient une véritable « autoroute maritime » devant eux à travers la mer de Chine méridionale. L’essor du commerce vers le Nanyang fut rendu possible uniquement grâce à la sophistication technologique des vaisseaux entre le XIIIe et le XVe siècle qui permit aux jonques chinoises de 400 à 1000 tonnes de transporter un millier de personnes et de dominer ainsi le commerce international. Jusqu’ici, pour les Chinois, le Nanyang n’était qu’une destination privilégiée pour le commerce et représentait, dans une moindre mesure, une arène pour l’exercice politique. La chute de la dynastie Ming, assaillie par les armées manchoues en 1644, représenta une étape décisive dans l’histoire de la diaspora chinoise au Cambodge. Celle-ci provoqua d’une part, l’exode d’un grand nombre de Chinois – commerçants et réfugiés politiques – et leur établissement définitif en Indochine, et d’autre part, ce groupe d’opposants politiques reliés à la Chine méridionale, hérauts de la nouvelle résistance anti-Manchoue, obligea le régime impérial à considérer pour la première fois le Nanyang comme un facteur significatif dans la vie politique de l’Empire. Il est important de rappeler que les commerçants du Nanyang étaient originaires de deux provinces du Sud, le Guangdong et le Fujian, qui précisément étaient à la tête de mouvements de résistance contre la

39 Les expéditions atteignirent Java, Sumatra, les Indes, la Perse, l’Arabie et par deux fois, l’Afrique orientale. Sa flotte – ou plutôt son corps expéditionnaire – a compté jusqu’à 62 vaisseaux, dont certains atteignaient 200 mètres et 28 000 hommes (Lombard 1990). 36 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) dynastie Qing, institutionnalisés au sein des sociétés secrètes40. Celles-ci devinrent un élément important de la vie sociale aussi bien des Chinois du Sud qui restèrent au pays, que de ceux qui émigrèrent. La politique de la terre brûlée des Qing tenta bien de mettre un terme aux liens entretenus par les opposants politiques avec le Nanyang, mais cela eut pour conséquences inattendues de renforcer leurs implantations, au lieu de les supprimer, et de favoriser le ralliement de nombreux Chinois aux troupes loyalistes. Alors qu’auparavant les commerçants chinois partaient temporairement, principalement pour faire du commerce, ils redoutaient désormais les dangers et les difficultés créées à leur encontre par le nouveau régime une fois de retour au pays ; ils décidèrent donc de s’établir dans les pays du Nanyang (Wang 1959 : 14-15). L’intégration des Chinois au Cambodge fut le fruit d’un complexe processus d’harmonisation sociale et culturelle qui s’est inscrit dans la durée, grâce au mariage et à une intégration de la dimension chinoise dans les fonctions politiques, économiques et professionnelles. Cette communauté métisse sino-khmère naissante fut le premier acteur de la modernisation du Cambodge en apportant les formes modernes de la vie sociale, politique et économique (la monnaie, les villes, le rôle de l’écrit, la notion d’État, etc.) et en jouant un rôle de filtre culturel entre Tradition et Modernité (Népote 1994 : 133-171, 1995 : 133-154 ; Mikaelian 2000). À partir du XVIIe siècle, les Chinois devinrent la communauté étrangère la plus influente et la mieux intégrée au Cambodge. Alors que le commerce malais et indo-perse déclinait en Asie du Sud-Est continentale et que les navires occidentaux délaissaient certaines lignes asiatiques qu’ils jugeaient non rentables, les commerçants et navires chinois remplirent le vide ainsi créé en s’installant en nombre dans les

40 Ces associations clandestines connues dans l’Empire chinois dès les premiers siècles de notre ère se sont perpétuées jusqu’au milieu du XXe siècle. À la fois groupes d’insoumission collective, centres de lutte politique contre le pouvoir impérial et foyers de dissidence idéologique, elles constituaient un phénomène récurrent dans la vie sociale de l’ancienne Chine. Parmi les plus importantes : le Lotus blanc (Bailianjiao), apparu au XIIe siècle sous les Song et implanté en Chine du Nord, et auquel se rattachent notamment les Huit Diagrammes (Bagua) qui faillirent s’emparer du palais impérial de Pékin en 1813. Les Boxeurs (Yihetuan ou Yihequan) et La Triade ou Société du Ciel et de la Terre (Sanhehui ou Tiandihui), fondée au XVIIe siècle par des partisans des Ming pour résister à la conquête mandchoue, étaient très influents en Chine du Sud. 37 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » petits centres, kompong41 (ports, pontons) et phsar42 (marchés) du Cambodge (Forest 2000 : 49). Ils commencèrent à s’imposer comme les principaux partenaires locaux et à tisser un commerce de proximité. Le rôle prééminent joué par les Chinois dans le domaine du commerce se reconnaît à l’utilisation de mesures chinoises pour l’argent (tael), pour le grain (dou) et l’emprunt fait par les Khmers au cantonais des termes désignant les multiples de dix (de trente à quatre-vingt dix) et de celui signifiant dix mille (Willmott 1967). Ils furent les porteurs de la modernité au Cambodge, développant les villes, le commerce et contribuant ainsi à l’émergence du marché intérieur du Cambodge et à l’insertion de ce pays dans un réseau d’échanges de plus en plus divers avec l’extérieur. Ils étaient d’autant plus utiles qu’ils fournissaient les classes sociales supérieures consommatrices de produits étrangers et qu’ils étaient actifs aussi bien dans le commerce de longue distance que dans le commerce intérieur et interrégional, grâce à leur capacité à pénétrer les marchés régionaux, situés souvent à l’intérieur des terres. Ils émergèrent très vite comme des agents commerciaux indispensables pour la royauté qui leur confia le fermage de l’impôt, des jeux, de l’opium, de l’alcool, de la pêche et de l’exploitation forestière. Ils avaient droit à la propriété, avec les mêmes droits d’usufruit43 que les sujets Cambodgiens, c’est-à-dire qu’ils devaient exploiter les terres d’année en année et pouvaient être expropriés à n’importe quel moment par le roi. La politique des souverains khmers avait donc pour tendance l’assimilation des descendants chinois. Les Chinois nés au Cambodge étaient ainsi considérés comme Cambodgiens s’ils adoptaient les us et coutumes du pays (Willmott 1967). Les métis chinois devenaient automatiquement Cambodgiens, surtout à partir de la seconde génération. Le métissage existait depuis l’arrivée des premiers migrants chinois mais la réforme juridique de 1693 avait permis de régulariser et de légitimer la situation juridique des descendants. Les commerçants

41 Mot d’origine malaise. 42 Mot d’origine proche-oriental. L’utilisation de ces deux mots kompong et phsar dans la langue khmère rappelle la prédominance du commerce par les réseaux malais et indo- perses avant l’arrivée en nombre des Chinois au XVIIe siècle. 43 C’est le droit de propriété de la Charrue : le paysan avait tous les droits d’un propriétaire (sauf celui d’aliéner), mais ceux-ci cessaient après un abandon d’exploitation de trois ans. 38 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) chinois et leurs descendants se mariaient également à l’élite cambod- gienne, renforçant ainsi les relations entre le roi, son entourage et les profits commerciaux, et développant l’intégration socio-politique des Sino-Khmers dans l’appareil de pouvoir, à travers notamment le statut de Mandarin. Ainsi, le Cambodge semblait avoir une grande aptitude à absorber les hôtes étrangers sans pour autant entamer la cohésion de sa société. Jacques Népote (1995 : 133-154) souligne que cette intégration sans heurt reposait sur la base d’un « dualisme cosmologique » dont les principes étaient communément répandus à travers l’Asie du Sud-Est, comme un jeu d’éléments complémentaires définissant un mouvement de synthèses constamment renouvelées entre les fonctions « indigènes » et « étrangères ». Selon lui, au Cambodge, l’élément indigène est défini comme féminin et détenteur des activités liées au terroir et à la culture du riz, tandis que l’élément étranger est défini comme masculin, responsable du Sacré, de l’au-delà et des activités techniques. En d’autres termes, « Du point de vue matrimonial, le Chinois, venu de la mer sur sa jonque, pratiquant le grand commerce, maître de techniques nouvelles, coupé de ses liens familiaux et adepte d’un bouddhisme plus “magique” que le bouddhisme khmer, entrait on ne peut mieux comme partenaire du modèle matri- monial cambodgien. On peut dire que culturellement parlant, le Chinois constituait le gendre par excellence ». (Népote 1995 : 141)

L’élément étranger se trouvait en effet aussitôt intégré dans la société cambodgienne par un double processus : tout d’abord au niveau individuel, l’intégration se réalisait par le mariage et la dilution biologique, ensuite au niveau collectif, le groupe étranger était assimilé à une activité sociale précise, complémentaire de celles assumées par les autres membres du corps social cambodgien. Dans le cas des Chinois, les souverains khmers leur avaient reconnu la fonction de modernisation du pays, position occupée activement par les opposants politiques Ming à la fin du XVIIe siècle quand ils trouvèrent refuge en Indochine.

39 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » 2 - La deuxième phase de migration : la traite des coolies par les empires coloniaux

C’est par une lente osmose que la culture chinoise a pénétré aussi bien le Cambodge que les autres pays d’Asie du Sud-Est jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. La situation va considérablement changer au cours du XIXe siècle à travers la combinaison de trois facteurs dont les effets auront pour conséquences de renverser la tendance à l’assimilation qui était en général la règle jusqu’alors (Lombard 1990). Le premier facteur est d’ordre économique en même temps que démographique : l’immigration chinoise de masse a non seulement été favorisée par les besoins de mise en valeur économique des colonies, mais aussi par la pression démographique que connaissait la Chine de la fin des Qing, répondant ainsi aux besoins des immigrés chinois fuyant la famine, les guerres seigneuriales et la sécheresse. C’est le phénomène bien connu de l’émigration des coolies. Le second facteur est d’ordre matrimonial : l’assimilation des Chinois s’était réalisée jusque-là par le mariage, du fait d’une immigration essentiellement masculine. L’arrivée massive des femmes influencera considérablement l’évolution de la diaspora, ralentissant l’osmose facilitée par les mariages mixtes. Enfin, le troisième facteur est d’ordre politique et tient à l’évolution même de la Chine avec la naissance du nationalisme chinois qui va réveiller une conscience chinoise parmi les Chinois d’outre-mer.

Une politique coloniale ambivalente face aux Chinois

C’est dans un Cambodge dévasté, démembré, et exsangue, en proie aux agressions répétées des voisins et aux conflits royaux internes que les Français vont arriver à la moitié du XIXe siècle. La colonisation française est venue bouleverser un schéma d’intégration progressive, en séparant les Chinois du reste de la population sur le plan juridique à travers le système des congrégations, et en faisant d’eux les auxiliaires économiques du Protectorat et les agents de la colonisation, ce qui aura pour conséquence de favoriser l’émergence d’un nouveau groupe social autonome et puissant.

40 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Les Français, tout comme les autres empires coloniaux européens (cf. Encart 1), se trouvèrent constamment dans une position ambiguë vis- à-vis des Chinois. Ils étaient à la fois dépendants d’eux pour développer et mettre en valeur leur empire, car ils reconnaissaient leur persévérance et leur force de travail, mais en même temps, ils étaient très méfiants à leur égard, les considérant comme des rivaux redoutables et ambitieux. Selon Victor Purcell, les Européens n’auraient jamais rien entrepris sans les intermédiaires chinois : « Tout ce que les indigènes vendent aux Européens, ils le vendent à travers les Chinois, et tout ce que les indigènes achètent aux Européens, ils l’achètent à travers les Chinois. » (Purcell 1951 : 431)

Arrivés d’abord comme coolies en Cochinchine puis au Cambodge pour les besoins de la colonisation, les Chinois d’outre-mer sont devenus au final les maîtres des principaux secteurs économiques grâce à leur capacité d’organisation en réseau, regroupés en congrégations (bang ou huiguan – 帮/会馆), nom donné par les Français pour qualifier ces associations structurées autour des groupes géo-dialectaux. Cinq groupes géo-dialectaux composent la majorité de la diaspora chinoise en Asie du Sud-Est : les Hokkien44, les Cantonais45, les Teochiu46, les Hainanais47 et les Hakka48.

44 Prononciation dialectale de Fujian. Les Hokkien forment la composante essentielle de la diaspora en Indonésie, aux Philippines, en Malaisie et à Singapour. 45 Canton est devenu un lieu de peuplement chinois très tard, entre le VIIe et le Xe siècle. Cette province faisait partie du nord du Viêt Nam, appelé alors Nan-Yueh ou Nam-Viet en vietnamien. 46 Les Teochiu ont traversé la province du Fujian entre le IXe et le XVe siècle. Concentrés autour du port de Swatow près de la frontière entre le Fujian et le Guandgong, c’est pourquoi leur dialecte est très proche de celui des Hokkien. Ils sont majoritaires en Thaïlande depuis que le roi Taksin de Siam, à moitié teochiu par son père, encouragea leur immigration au milieu du XIXe siècle. 47 Le peuplement de Hainan vient aussi du sud du Fujian. 48 Les Hakka constituent une diaspora dans la diaspora, car ils émigrèrent en Chine méridionale, particulièrement dans les provinces du Guangdong et du Fujian, sous la dynastie des Song du Sud (1127-1279), quand la Chine du Nord fut envahie par des tribus venues d’Asie centrale. Le nom Hakka vient de la prononciation cantonaise du mot mandarin kejia (« les hôtes »), nom que l’on donnait aux gens du Nord pour les distinguer des Bendi, ou autochtones. On les appelait aussi parfois Lairen (« ceux qui sont venus »). 41 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

On les trouvait partout, on avait besoin d’eux partout : les colons devaient donc les accepter, tout en limitant, tant que possible, les effets négatifs inhérents à cette position d’intermédiaires au sein de l’économie coloniale. En effet, les structures de l’économie coloniale dépendaient du vaste réseau d’intermédiaires chinois pour drainer la production agricole et distribuer les biens de consommation courante. Les Chinois jouaient donc tous les rôles : ils étaient compradores49 pour les maisons coloniales françaises, possédaient le fermage des jeux, distribuaient l’opium et le sel indochinois, achetaient, importaient, exportaient tout ce qui se trouvait dans les colonies, et surtout, contrôlaient un immense réseau bancaire, commercial et usuraire particulièrement ramifié et opaque qui couvrait la Cochinchine, le Cambodge et le Laos. Les négociants indochinois se résignaient à travailler avec eux, les considérant comme des « ennemis indispensables » qui devaient huiler les rouages de l’économie coloniale (Brocheux et Hémery 2001). Au Cambodge ou en Cochinchine, leur puissance et l’imbrication de leurs intérêts avec les maisons de commerce et les banques françaises étaient telles que l’on pouvait parler d’un véritable capitalisme symbiotique franco-chinois.

Aux XVIIIe et XIXe siècles, lorsque les conditions de vie en Chine méridionale devinrent très mauvaises et que la terre se fit rare, des querelles agraires opposèrent souvent les Hakka aux Bendi. La révolte des Taiping (1850-1864) est issue de ces conflits locaux. Bien que les Bendi aient fini par rejoindre les rangs des insurgés, les dirigeants Taiping étaient en majeure partie d’origine hakka. Après cette révolte, les Hakka eurent encore maille avec leurs voisins, c’est pourquoi un grand nombre d’entre eux émigrèrent. Aujourd’hui, ils sont dispersés en Polynésie française, à Taiwan, en Thaïlande, au Cambodge, à Sabah (Bornéo-Septentrional), à Sarawak et au nord de Bornéo, et même en Jamaïque (Leong 1997). 49 Compradores est un mot portugais qui signifie « acheteur ». Dans les ports d’Asie orientale, il désigne un marchand local qui traite avec des marchands venus d’ailleurs. Ce personnage est très important, car il garantit les prêts et crédits faits aux clients. C’est lui qui dispose en réalité de l’argent de la Banque ou de la Maison de commerce. Il ne perçoit qu’un salaire de principe, mais touche des commissions. Le comprador n’est pas seulement un agent commercial, il est également une sorte d’intermédiaire culturel, œuvrant aux frontières de sociétés diverses qu’il fait communiquer. À partir du XIXe siècle, il joue un rôle essentiel dans l’initiation de l’Asie orientale à la modernité occidentale (Bergère 1998). 42 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

La position ambiguë des Européens vis-à-vis des Chinois

Les Espagnols ne pouvaient rien faire sans les Chinois, mais pour limiter leur concurrence, ils en vinrent à perpétrer plusieurs massacres contre ceux qu’ils appelaient de manière négative les Sangleys (de sengli qui signifie « commerce » en hokkien du Sud), nom qui sous-entendait les « infidèles ». En 1603, 23 000 Chinois furent tués ; en 1639, 22 à 24 000 trouvèrent la mort. De nouveau en 1662, lorsque Koxinga, le célèbre loyaliste Ming qui avait délogé les Hollandais de Taiwan l’année précédente envoya une lettre de protestation contre les massacres de 1603 au gouverneur espagnol, lui demandant de se soumettre à sa loi, celui-ci répliqua en massacrant des Chinois. Peu après, Koxinga mourut et certains Chinois furent expulsés vers la Chine. En 1762, quand les Anglais capturèrent la ville, les Chinois prirent leur parti, mais les Espagnols regagnèrent la ville deux ans plus tard et firent pendre les Sangleys. Il en était de même pour les Hollandais qui accélérèrent le peuplement de Chinois sur Java en offrant des concessions, des mesures fiscales privilégiées et allèrent même parfois les chercher chez eux quand l’immigration était jugée trop faible. « Il n’y a aucun peuple qui puisse mieux nous servir que les Chinois », disait Jan Pieterksoon Coen, le fondateur hollandais de Batavia et de l’empire des Indes orientales. Mais dès 1690, l’immigration massive de coolies fut difficile à contrôler, et l’objectif fut de rendre la vie plus difficile pour les nouveaux arrivants (imposition d’un permis de résidence, le migrant devrait justifier de son utilité, sinon il était enchaîné et envoyé à Ceylan ou au Cap de Bonne Espérance). Ces mesures provoquèrent la colère des Chinois qui se rebellèrent, mais comme ils étaient désarmés, 10 000 d’entre eux furent massacrés en juillet 1740. Cet évènement fut nommé The Batavian Fury. Quant aux Anglais, Stamford Raffles qui gouverna Java entre 1811 et 1816 durant l’occupation anglaise, écrivit au sujet des commerçants chinois qu’ils étaient « rusés, souples, vénaux », qu’ils étaient un peuple dangereux, voire une « peste pour le pays ». Pourtant, il leur reconnaîtra plus tard leur incroyable force de travail et les encouragera à venir peupler Singapour qu’il fonda en 1819 (Purcell 1951 ; Pan 1994).

Mais contrairement au reste de l’Asie du Sud-Est où les coolies chinois sont venus par millions développer les plantations de Malaisie, d’Indonésie et de Singapour, ou rejoindre leurs compatriotes Teochiu en Thaïlande, l’immigration chinoise en Indochine fut beaucoup moins importante (cf. Figure 3).

43 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

Le Protectorat mit en place une politique tantôt courtisane, tantôt répressive, mais il fut obligé sur le long terme de prendre en compte la réalité, notamment le manque d’investissements français et la nécessité de recourir aux services des Chinois pour y suppléer (Forest 1980). Les Français choisirent donc de réglementer les modalités de cette présence et d’en tirer profit par l’impôt. Ce n’est que vers la fin du XIXe siècle que l’immigration chinoise fut développée.

Figure 3. La population chinoise pendant la période coloniale et post-coloniale

Figure 3-1. Distribution de la population chinoise en Asie du Sud-Est en 1947

% de Chinois Population Population au sein de la Pays totale chinoise population totale Malaisie 5 849 000 2 615 000 44,7 Thaïlande 17 359 000 2 500 000 14,4 Indes Néerlandaises 69 000 000 1 900 000 2,8 Indochine 27 000 000 850 000 3,1 Birmanie 17 000 000 300 000 1,8 Philippines 19 511 000 120 000 0,6 Source : Purcell (1965: 2).

Figure 3-2. Évolution de la population chinoise en Indochine française jusqu’en 1947

1879 1889 1906 1913 1921 1931 1934 1936 1940 1947

44 000 56 528 120 000 313 000 293 000 418 000 381 420 326 000 467 000 850 000

Sources : Wang (1937: 25) et Purcell (1965: 220). Les chiffres jusqu’en 1921 (date du premier recense - ment général) concernent uniquement la Cochinchine, principale destination de la migration chinoise.

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Figure 3-3. Évolution de la population chinoise en Indochine française par pays entre 1921 et 1931

Cochin- Cambodge Tonkin Annam Laos Total chine 1921 156 000 91 000 32 000 7 000 7 000 293 000 1931 205 000 148 000 52 000 10 000 3 000 418 000 Augmentation 49 000 57 000 20 000 3 000 -4 000 125 000 Augmentation moyenne 4 900 5 700 2 000 300 -400 12 500 annuelle Source : Wang (1937: 18).

Figure 3-4. La proportion de la communauté chinoise en Indochine au sein de la population totale en 1936

Population chinoise Population totale % de Chinois au sein de la population totale

Cochinchine 171 000 4 616 000 3,70 Annam 11 000 5 656 000 0,19 Tonkin 35 000 8 700 000 0,40 Cambodge 106 000 3 046 000 3,48 Laos 3 000 1 012 000 0,30 Total 326 000 23 030 000 1,42 Sources : Robequain (1948: 42) et Wang (1937: 25).

45 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

Figure 3-5. Évolution de la migration chinoise et vietnamienne au Laos entre 1911 et 1955

1911 1912 1921 1931 1936 1943 1955

Vietnamiens 4 109 4 000 9 000 19 000 27 000 44 500 8 000

Chinois 486 650 7 000 3 000 3 000 6 580 32 350

Population 618 500 649 000 807 661 928 200 988 000 1 159 000 1 320 402 totale

50 000 40 000 Vietnamiens 30 000 20 000 10 000 Chinois 0 1911 1912 1921 1931 1936 1943 1955

Sources : Annuaire statistique du Laos et Annuaire statistique de l’Indochine 1911-1955 ; Halpern, Population Statistics and Associated Data, mars 1961, tab. 23. Pour 1912 et 1943 : v. Pietrantoni (1953: 34).

Les Français étaient, en effet, longtemps tentés par des considéra- tions raciales qui les conduisaient à s’appuyer sur les Vietnamiens. Mais conscients de l’hostilité de la population khmère vis-à-vis des Vietna- miens, les administrateurs français sentirent la nécessité de changer d’orientation quant à la politique de peuplement. C’est ainsi qu’ils vinrent à penser à l’élément chinois, et en particulier à ces agriculteurs de la Chine du Sud, considérés comme des travailleurs « tenaces, sombres et méthodiques », prêts à se déplacer dans tout le pays, plus attirés par la fertilité du sol que leur cadre de vie, contrastant avec les Cambodgiens qui se déplaçaient avec réticence. Pour l’orientaliste et linguiste G. Janneau : « Un autre moyen de rendre à la vie et à la production le magnifique territoire du Cambodge serait de provoquer par tous les moyens possibles l’émigration des Chinois […] et de

46 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

fertiliser avec l’écume impure du Céleste Empire le bassin du Mékong encombré par les épaves des civilisations déchues50. »

L’immigration chinoise fut ainsi conçue pour répondre à la fois aux besoins de main-d’œuvre et d’apport en éléments nouveaux, notamment pour le développement de l’agriculture. Cette immigration était rendue d’autant plus aisée qu’il n’existait pas d’antagonisme culturel profond et de problème politique entre les Khmers et les Chinois. Pour les Administrateurs français, le Cambodge se prêtait mieux que les autres pays de l’Union indochinoise à des expériences de colonisation agricole en raison de ses possibilités d’accueil et de son accès facile. Ils mirent en place une politique de colonisation agricole assez ouverte pour inspirer confiance à l’immigrant et lui donner les moyens de se fixer à la terre. Ainsi, ils entendaient favoriser une immigration agricole qui devait développer les terres incultes du Cambodge, se réservant ainsi le domaine du commerce. Si dans le passé, les Chinois immigraient en groupes isolés, selon leurs propres moyens, et bravant toutes sortes de difficultés, désormais, l’immigration se faisait dans le cadre d’une politique de peuplement et de colonisation des terres incultes, obéissant à un plan d’implantation. Un bureau central de l’immigration fut ouvert à Phnom Penh et le recrutement devait se faire par l’intermédiaire de notables chinois. Les immigrants ne devaient pas être recrutés parmi les coolies dans les ports où se trouvaient des « contingents tarés et indisciplinés51 » mais devaient être choisis dans des régions à peu près semblables à celles où ils devaient être installés. Ils se voyaient offrir certains avantages : ils pouvaient amener leur femmes et servantes, voire leurs enfants en bas âge ; écoles et hôpitaux devaient être construits, des forces de police devaient garantir le maintien de l’ordre ; le transport était gratuit, ils étaient exempts de taxes et d’impôts pendant cinq ans, la délivrance des passeports était gratuite ainsi que la concession du terrain, et la construction de routes et de canaux nécessaires étaient prévues. La durée d’engagement n’était pas précisée

50 G. Janneau, 1870, Manuel pratique de la langue cambodgienne, p. 48, cité par Kim Suy Sin (1986 : 39). 51 R. Deschamps, 1909, La main d’œuvre en Indochine et l’immigration étrangère, p. 69, cité par Sin Kim Suy (1986 : 43). 47 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » pour faciliter l’installation permanente car « si le fermier se plaît, il restera ; sinon, il partira et paiera son voyage52 ». Cependant, cette politique de colonisation agricole fut globalement un échec. En effet, Alain Forest (1980 : 472) relate l’échec de certaines expériences où les colons chinois recrutés pour développer le coton et le tabac ne tinrent pas leurs engagements, se reconvertissant au commerce et se mélangeant à la population. Arrivés pauvres aventuriers, ils réussirent généralement en peu de temps à se faire une belle situation. Dès lors, les Français stipulèrent dans les contrats de recrutement l’interdiction de s’établir comme commerçants à l’issue de leur engagement afin de protéger les commerçants français du pays. Dans les rapports de l’administration, le travailleur industrieux chinois devint soudainement un irréductible turbulent, un « tenancier de tripot secrets », un « fumeur d’opium » et un « exploiteur des pauvres paysans », toujours prêts à se soustraire aux autorités cambodgiennes et rapatriant tout ce qu’il gagnait en Chine (Forest 1973 : 86). Le Protectorat français chercha donc ensuite à contrôler et limiter leur immigration par une série de décrets, de taxes et de mesures punitives. La peur de machinations chinoises subversives au milieu d’Annamites plus dociles, ainsi que celle d’être dépassée par leur nombre écrasant dans la région incita les Français à imposer un lourd système de taxes sur les Chinois résidant en Indochine et à installer un Service de l’Immigration à Saigon afin de surveiller et contrôler leur immigration (Forest 1980 : 469-470 ; Purcell 1951 : 228-230). Cependant, ces décrets, taxes et punitions n’empêchèrent pas les Chinois de continuer à migrer en Indochine car malgré le grand nombre de fonctionnaires de l’administration coloniale, la tâche était colossale et irréaliste. Comme ailleurs en Asie du Sud-Est, les Français se retrouvèrent souvent impuissants sans l’aide des Chinois dans les plantations, les mines, les bateaux, les trains ou les maisons, et devaient sans cesse ajuster et assouplir leurs lois pour permettre aux Chinois d’intégrer l’économie coloniale, se gardant bien de les faire entrer dans l’administration coloniale.

52 Ibidem, p. 71. 48 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) Le profil des coolies

Si la Chine demeurait un grand empire, sa position internationale s’affaiblissait. À partir de la fin du XVIIIe siècle, les puissances occidentales manifestèrent leur impatience face aux contraintes et barrières imposées par la Chine au commerce étranger. Les puissances occidentales arrivèrent à faire plier la Chine à travers les « guerres de l’opium » (1839-1842 et 1856-1860), et le traité de Nankin53 (1842) – le premier des « traités inégaux » – ouvrit un processus d’« ouverture » de la Chine aux nations étrangères. Ce traité facilita notamment la traite des coolies, c’est-à-dire le recrutement massif de travailleurs engagés sous contrat54, bâtie sur les ruines de l’esclavage africain aboli en 1814 dans le but de poursuivre le développement des territoires conquis. Cette rencontre violente avec l’Occident provoqua maints autres conflits, tels que le mouvement révolutionnaire des Taiping – pour se limiter à ce seul exemple – qui déferla sur une grande partie de l’Empire entre 1851 et 1864, et ne fut pas loin de renverser la dynastie, laquelle dut sa survie à la fois à la résistance organisée dans les provinces par un certain nombre de hauts fonctionnaires loyalistes, et à l’appui que lui accordèrent finalement les puissances occidentales. La révolte des Taiping se situe sans aucun doute dans la lignée d’une longue tradition de jacqueries égalitaires, mais elle fut aussi le fruit direct du choc de la Chine avec l’étranger, ce qu’exprimaient sans équivoque ses emprunts au christianisme55. Après l’échec des Taiping, leurs dirigeants, en majeure

53 Le traité de Nankin, qui mit fin à la première guerre de l’opium, prévoyait de céder l’île de Hong Kong à la Grande Bretagne, ouvrait cinq ports (treaty ports) – Amoy, Canton, Fuzhou, Ningbo et Shanghai – aux consuls, commerçants et missionnaires étrangers, et imposait à la Chine l’application du principe de la Nation la plus favorisée dans les accords commerciaux avec les nations occidentales. 54 Le premier bateau français transporta des coolies chinois vers l’île de Bourbon en 1844. 55 Plusieurs de leurs chefs, en particulier Hong lui-même, avaient fréquenté les missionnaires anglo-saxons de Canton. La religion Taiping est un curieux mélange de traditions populaires anciennes et d’emprunts chrétiens. Hong se proclamait être le second fils de Dieu, égal au Christ en dignité, et la Bible tenait une grande place dans les cérémonies religieuses Taiping. L’intérêt que les rebelles portaient à l’Occident ne se limitait d’ailleurs pas au christianisme ; ils créèrent un calendrier solaire pour remplacer le vieux calendrier lunaire chinois ; ils élaborèrent un projet de réformes à caractère moderniste qui prévoyait des chemins de fer, une presse de type occidental, et des postes modernes. 49 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » partie d’origine hakka, émigrèrent en Californie, au Viêt Nam et à Singapour, ou furent envoyés comme coolies à Cuba et aux Indes Orientales. Depuis le début de l’immigration chinoise vers les pays du Nanyang, la majorité des migrants venaient principalement du Guangdong, du Fujian et de l’île de Hainan, car ce sont des régions montagneuses, peu agricoles et tournées vers la mer, qui ont toujours été dépendantes du commerce international. Ainsi, autour des années 1500, la province du Fujian était dotée de moins de terres cultivables par habitant que les autres provinces de Chine. Cette région était également constamment frappée par la famine. Les conditions d’existence étaient d’autant plus incertaines qu’elles étaient dépendantes des fluctuations du marché international, notamment dans la commercialisation du thé. Car le Fujian et ses terroirs montagneux étaient également une terre à thé, et des familles entières étaient ruinées quand la saison ou les prix étaient mauvais. Au XIXe siècle, le remplacement du thé chinois par des variétés d’Inde et du Ceylan sur les marchés européens provoqua une grande vague d’émigration par clans entiers. Contrairement aux vagues d’émigration précédentes, celle-ci ne fut ni financée par l’Empire, ni motivée par un objectif de rayonnement de celui-ci, mais se révéla comme un phénomène lié aux transformations de l’économie des pays de l’Asie du Sud-Est en contact avec l’Occident et la politique coloniale, et résultant des conflits en Chine entre le pouvoir central et régional, notamment dans les régions méridionales. La Chine persista longtemps à ignorer l’existence de ce fait de société que représentait l’émigration massive de ses sujets, des provinces méridionales vers l’étranger. Ce ne fut qu’au contact des Occidentaux au XIXe siècle que la Chine dût reconnaître leur existence. L’immigration massive de travailleurs pauvres supplanta de loin l’immigration de commerçants qui caractérisait jusque-là le profil des Chinois du Nanyang. Ce changement en termes de nombre et de profil sociologique eut un impact considérable dans l’évolution des communautés chinoises en Asie du Sud-Est et l’histoire de ces pays.

50 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) La période coloniale ou la rupture dans le processus d’assimilation

L’immigration chinoise au Cambodge avant l’arrivée des Français n’avait guère rencontré de difficultés majeures ni de restrictions juridiques. Bien au contraire, la tendance politique était à l’assimilation des descendants chinois. Mais les choses évoluèrent radicalement quand les réformes administratives du Protectorat français réorganisèrent la société khmère et son rapport avec les communautés étrangères. L’introduction du droit français est venue bouleverser les anciennes conceptions khmères dans la définition de la nationalité et de la condition des étrangers. S’appuyant sur les Chinois pour établir leur autorité sur les colonies d’Indochine, les administrateurs français virent très vite la nécessité de contrôler plus étroitement leurs activités et de les écarter de l’appareil de pouvoir en les faisant passer du statut d’assimilés à celui d’étrangers. Avant la Révolution de 1911, la loi interdisait aux femmes chinoises de quitter le pays pour suivre leur mari. Avec l’avènement de la République de Chine, cette loi changea et autorisa les femmes à émigrer. Dans le même temps, les autorités françaises favorisèrent l’immigration des femmes et des enfants afin d’attirer les colons chinois dans le cadre de la politique française de colonisation agricole pour les fixer à la terre, mais sans doute aussi pour « apaiser » une immigration essentiellement masculine (Edwards et Chan 1996). L’administration française était souple à leur encontre en matière de réglementation. Du côté chinois, ce sont la surpopulation et la misère, ainsi que l’amélioration des moyens de transport qui favorisèrent l’émigration des femmes. Certaines partaient sous la contrainte, enlevées pour rejoindre les maisons closes, d’autres émigraient pour échapper au péril du mariage, s’engageant comme servantes en se promettant de rester libres (Pan 1994). Alors qu’au cours des siècles précédents le Cambodge semblait présenter une aptitude particulière à intégrer les nouveaux étrangers, sans pour autant entamer la cohésion sociale de la société cambodgienne, le principe de « dualisme cosmologique » cambodgien, qui prévalait jusqu’à présent avait complètement cessé de fonctionner avec l’arrivée massive de femmes chinoises. La possibilité ainsi offerte

51 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » aux Chinois du Cambodge ou aux Sino-Khmers de trouver des épouses ailleurs que dans les familles khmères ou khmérisées, a non seulement bloqué le processus d’intégration culturelle en favorisant la « re- sinisation » des métis, mais a également modifié les stratégies matrimoniales, orientant les alliances vers des pratiques patrilinéaires, donnant les moyens à cette communauté de se couper du reste de la société khmère, bouleversant par la même radicalement l’ensemble du système social cambodgien qui lui, est matrilinéaire (Népote 1995 : 133- 154). Ces femmes vinrent soutenir l’effort des hommes dans la défense de la culture chinoise à travers l’éducation et la nourriture et jouèrent un rôle déterminant en contribuant à briser davantage l’unité sociale. La principale marque de la politique coloniale française fut de maintenir le système des congrégations, qui eut pour conséquence d’organiser les Chinois au sein d’une communauté sociale distincte et de provoquer la fin de la symbiose avec les Khmers sur le plan socio- politique, économique et culturel. Ce système de gouvernement indirect a en fait été créé par l’empereur Nguyen Gia Long en 1814, pour gérer l’importante et l’hétérogénéité de la population chinoise qui lui avait servie à coloniser la Cochinchine (Willmott 1970 ; Barrett 2012). Il eut l’idée d’établir une administration spéciale pour les Chinois, répartis en congrégations (bang/huiguan) coïncidant avec les différents groupes linguistiques et placées sous la juridiction de leurs propres leaders, qui étaient responsables de faire le lien avec l’administration en ce qui concernait la communication et les taxes. Véritables « oasis de sinité », ces lieux permettaient de faciliter le culte des ancêtres et l’harmonie communautaire, d’arranger les disputes, d’organiser les rituels, et de prolonger la mémoire des origines. Les Chefs des congrégations remplissaient à la fois un rôle de régulation sociale, de contrôle policier, et effectuaient l’intermédiation avec les Français, limitant ainsi les dysfonctionnements et protégeant leurs membres des dérapages de l’administration française. Celle-ci était consciente des avantages de ce régime, car elle sous-traitait ainsi la gestion de l’administration et de la fiscalité à moindre coût – les Chefs n’étaient pas rémunérés pour faire ce travail – et tirait d’importantes ressources fiscales. Elle transforma les Chefs en intermédiaires et auxi- liaires du pouvoir en place, court-circuitant les autorités cambodgiennes. Les Chefs étaient exemptés de l’impôt personnel, et ce nouveau statut

52 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) leur conférait un pouvoir symbolique et charismatique supplémentaire. De fait, le système des congrégations jeta les bases d’une structure politique autonome pour l’organisation sociale des Chinois, échappant ainsi au contrôle des autorités cambodgiennes et constituant une sorte « d’État dans l’État », ce qui eut pour effet d’annuler la fusion qui se produisait traditionnellement au sommet de la pyramide sociale, et par conséquent de désolidariser les Chinois du devenir politique du Cambodge. À travers l’Asie du Sud-Est, les Chinois se sont intégrés à la population locale en formant des communautés « créolisée » pour reprendre l’expression de Skinner (1996) – les Babas de Malaisie, les Peranakans d’Indonésie, les Mestizos des Philippines, les Luk chin de Thaïlande, les Minh-huong du Viêt Nam et les Sino-Khmers du Cambodge – porteuses d’une dimension culturelle originale et d’une conscience identitaire complexe, qui ont connu des trajectoires différentes durant la domination coloniale. Pour William Skinner (1957), le degré d’assimilation est lié à la nature de la société d’accueil, fondée sur la confiance ethnique et la vigueur culturelle. Le Siam, seul pays d’Asie du Sud-Est à ne pas avoir été colonisé, était maître de sa destinée. La continuité de son indépendance et de sa civilisation lui a donné l’assurance d’assimiler les Chinois et lui a permis d’en faire les moteurs de sa modernisation : les Chinois se mêlaient très généralement avec la classe dirigeante et le roi de Siam les anoblissaient ; ils devenaient Thaïs en portant un nom thaï et en parlant thaï. À l’inverse, à Java, les Hollandais ont séparé les Chinois de l’élite javanaise qui, sous la domination coloniale, ont cultivé un complexe d’infériorité, restreignant la définition de l’appartenance ethnique aux Javanais par le « sang ». Les Peranakans se sont soit « re-sinisés » en apprenant le mandarin dans les écoles créées par les nouveaux arrivants, ou ont adopté une conscience européenne à travers les écoles de missionnaires. Les Babas se sont anglicisés à travers les écoles anglaises et ont revendiqué fièrement une citoyenneté britannique. Le cas des Philippines est intéressant, car ce fut le premier pays en Asie du Sud-Est où l’idée de nation prit forme dès 1896 et ce, grâce à un Mestizo. Paradoxalement, le sentiment nationaliste émergea sur la base d’un mouvement antichinois au moment de l’arrivée massive de nouveaux migrants chinois car ces derniers questionnèrent l’identité des Mestizos assimilés et amorcèrent un processus de

53 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

« re-sinisation », alors que les métis se battaient pour une égalité des droits avec les Espagnols. Le parcours le plus exemplaire fut celui de José Rizal, héros national et précurseur du mouvement nationaliste en Asie du Sud-Est, car il réveilla la conscience nationale des Mestizos. Lui- même rejeta l’appellation de mestizo au moment de sa mort pour se revendiquer indio puro, exécuté après le soulèvement d’une société secrète nationaliste, alors même qu’il était contre cette insurrection56.

La naissance d’un « problème chinois »

Ainsi, après le départ de la puissance coloniale, la plupart des communautés chinoises d’outre-mer ont fait les frais du nationalisme et des mouvements de libération nationale du fait de leur collaboration avec le régime colonial et de la prise de conscience de leur domination économique (Anderson 1998). Les Chinois devinrent alors un « problème » et la cible de politiques discriminatoires par les nouveaux États indépendants. Cependant, l’éclatement des sociétés plurales et le déclenchement des hostilités à l’égard des Chinois ne sont pas uniquement dus au départ des puissances coloniales. W.F. Wertheim (1964), observateur des minorités en Asie du Sud-Est, développa l’idée que ni les différences culturelles ne pouvaient expliquer en elles-mêmes les tensions au sein des sociétés plurales, ni l’exploitation économique d’un groupe sur un autre ne conduisait nécessairement à un conflit. Il suggéra que les conflits entre les différents groupes ethniques apparais- saient quand les classes économiques similaires – et donc rivales – étaient présentes dans les deux groupes ethniques et rentraient en compétition entre elles. Cette hypothèse se confirme pour les manifestations antichinoises en Indonésie de 1966 qui peuvent être analysées sous l’angle de la concurrence économique. En effet, les années qui suivirent le départ des Hollandais furent marquées par le chaos économique qui profita aux

56 José Rizal était d’origine hokkien par son arrière arrière-grand-père qui s’est converti au catholicisme. La famille était dans la plantation de canne à sucre et changea de nom pour prendre celui de Rizal. Du côté de sa mère, José Rizal avait du sang espagnol, chinois, indigène, et même japonais, mais il était profondément de culture espagnole (Pan 1994 : 162-166). Pour un portrait plus détaillé de José Rizal, lire Hélène Goujat (2010). 54 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) commerçants chinois. Le ressentiment à leur égard fut grandissant à mesure que Pékin tentait de les contrôler. Au moment de la répression communiste, la réaction des Pribumi – les indigènes indonésiens, également commerçants – fut d’autant plus violente qu’ils rentraient en compétition avec les Chinois. Les tensions entre ces deux groupes de commerçants avaient d’ailleurs déjà commencé à naître sous la période coloniale : la Sarekat Islam, la première organisation politique d’opposition nationaliste, fut fondée en 1912 à l’origine par des commerçants musulmans qui voulaient mettre fin à l’emprise économique des Chinois sur le pays (Pan 1994 : 215-219). L’analyse de W.F. Wertheim peut prévaloir également pour le cas vietnamien. En effet, en 1919, des manifestations antichinoises éclatèrent à Saigon sous la forme d’un boycott du commerce chinois, tentative vietnamienne d’établir ses propres entreprises et de remplacer les Chinois. Par la suite en 1927, à Haiphong, les dockers vietnamiens brûlèrent le quartier chinois. Ces manifestations étaient soutenues tacitement par les Français qui voulaient favoriser les marchands vietnamiens au détriment des Chinois afin de casser leur domination économique (Willmott 1967 : 97). C’est en s’appuyant principalement sur l’analyse de W.F. Wertheim et l’exemple vietnamien que W.E. Willmott chercha à expliquer les raisons de l’absence de conflits entre les Chinois et les Khmers. Selon lui, il faut en rechercher les causes dans l’absence de compétition entre les classes sociales, liées non seulement à l’inexistence d’une classe moyenne khmère, mais également à une convergence d’intérêts créée par la fusion entre l’élite économique chinoise et l’élite politique cambodgienne. La Thaïlande, où l’assimilation des Chinois a pourtant le mieux réussi, fut la première à voir émerger un sentiment antichinois dès les années 1910, à la suite des émeutes et des grèves lancées par les Chinois qui contestaient la loi imposant aux étrangers la même capitation que les Thaïlandais57. La paralysie de l’économie à cette occasion fit prendre conscience aux responsables politiques de la mainmise des Chinois sur l’économie nationale. Le roi Rama VI lui-même, influencé par les

57 Les Chinois étaient extrêmement favorisés puisqu’ils payaient une capitation 33 fois moins élevée que les Thaïlandais, ils étaient exempts de corvées, la naturalisation leur était facile, ils étaient libres de leurs mouvements et pouvaient acheter des terres (Skinner 1957). 55 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » théories xénophobes naissantes en Europe, écrivit en 1914 un pamphlet dans lequel il qualifia les Chinois de « Juifs d’Orient ». En fait, le foisonnement des associations géo-dialectales et le déclin des mariages mixtes en raison de l’immigration massive de femmes chinoises dans les années 1920 avaient provoqué un repli communautaire et interrompu le processus d’assimilation qui s’était opéré jusque-là. De plus, les Chinois avaient manifesté leur soutien politique au Kuomintang. Entre 1938 et 1944, le gouvernement thaïlandais se décida à réagir en imposant de nombreuses mesures discriminatoires à l’égard des Chinois : une imposition fiscale plus lourde, un contrôle de l’État sur le secteur industriel, une limitation de l’immigration, un accès interdit à 27 métiers, l’interdiction d’acquérir des terres et de publier leurs journaux. Toutes ces mesures incitèrent en fait les Chinois à se naturaliser, à changer de patronymes, et surtout à renforcer leurs alliances avec les hauts fonctionnaires (Skinner 1957). Ils investirent également le système éducatif thaï où ils brillèrent et purent ainsi occuper les premières places dans la plupart des secteurs. Avec la fondation de la Chine communiste, ils étaient également considérés comme une « cinquième colonne », une sorte de « cheval de Troie » au service de la mère patrie chinoise. Ainsi, en Malaisie, pendant la Seconde Guerre mondiale, la résistance fut essentiellement le fait du Malayan Communist Party, composé en majorité de Chinois recrutés parmi les travailleurs des plantations d’hévéas et les personnes en bas de l’échelle sociale. En réalité, ils menèrent le combat contre les Malais qui s’étaient alliés aux Japonais et furent soutenus par les Britanniques. Après la défaite japonaise, ils lancèrent l’insurrection, cette fois-ci contre l’occupant anglais, mais la guérilla communiste, repliée dans la jungle, fut progressivement matée et plus de 10 000 de ces combattants communistes furent expulsés vers la Chine entre 1950 et 1952. La guérilla déposa officiellement les armes en 1989 (Pan 1994 : 209-210 ; Cheah (2002 : 22-26). En Indonésie, les communistes du PKI furent accusés du coup d’État de 1965 contre Sukarno. Celui-ci céda le pouvoir au Général Mohammed Suharto qui mobilisa l’armée pour réprimer brutalement les communistes. Le nombre de morts est difficile à évaluer ; il serait compris entre 600 000 et 1,2 million de personnes. Mais les Chinois, assimilés aux communistes furent également la cible des Dayaks, les indigènes. Entre 2 000 et 5 000 personnes auraient été massacrées, sans

56 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) compter ceux qui sont morts dans les camps, après avoir dû abandonner leur village situé à l’intérieur des terres (Braithwaite et al. 2010 : 294). Alors que le Cambodge fut le seul pays d’Asie du Sud-Est qui ne connut aucune exaction contre les Chinois – contrairement à la Malaisie, l’Indonésie, les Philippines ou le Sud Viêt Nam, comme on vient de le voir – le déchainement contre les Chinois y a pourtant atteint un paroxysme avec l’arrivée des Khmers rouges au pouvoir entre 1975 et 1979. En tant que capitalistes et citadins, les Chinois remplissaient tous les critères pour être les victimes de premier plan de la nouvelle structure sociale imposée par les Khmers rouges. Selon les enquêtes de Ben Kiernan (1986 : 18-29), sur 430 000 individus en 1975, 225 000 périrent sous le régime de Pol Pot. Pourtant, selon Kiernan, les Chinois n’auraient pas été persécutés sur la base de considérations ethniques mais sociales, bien qu’il ait défendu l’idée que l’objectif du Kampuchéa démocratique fut de restaurer la grandeur historique, non pas d’une nation mais d’une « race » khmère. W. E. Willmott (1981 : 38-45) aboutit à la même conclusion que la notion d’ethnicité ne pouvait être utilisée pour expliquer les discriminations subies par les Chinois et privilégia des critères objectifs d’appartenance sociale : la minorité chinoise aurait été décimée en tant que classe sociale urbaine, car la majorité était citadine. Michael Vickery (1986) alla dans le même sens et expliqua la violence du Kampuchéa démocratique comme une conséquence du fossé rural/urbain qui s’était creusé. Plus récemment, les témoignages recueillis par Penny Edwards et Sambath Chan (1996)58 révélèrent une diversité de traitements vis-à- vis des Chinois, rendant ainsi impossible l’établissement d’un paradigme caractérisant la persécution de ce groupe en tant que tel. Il est aussi important de souligner le soutien indéfectible de la Chine populaire aux Khmers rouges. Pendant la période du Kampuchéa démocratique, la Chine envoya entre 10 000 et 15 000 conseillers pour assister le régime

58 Ils recueillirent notamment des témoignages de Chinois d’origine rurale relatant une persécution ethnique, contrebalançant ainsi les thèses de Kiernan, de Willmott et de Vickery qui mettaient uniquement en avant le motif social de leur persécution. Ils relevèrent également que le groupe qui avait survécu au régime Khmer rouge en accusant les pertes les moins importantes furent les Teochiu, alors qu’ils composaient la majorité de la population urbaine en 1975 et qu’ils dominaient traditionnellement le commerce et les affaires. 57 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » dans la construction du socialisme et remplacer les centaines de milliers de cadres, d’intellectuels et de techniciens « capitalistes ». Elle envoya essentiellement des travailleurs pour les plantations d’hévéas, des techniciens industriels, des enseignants, des docteurs et des ingénieurs qui furent concentrés dans la capitale à Phnom Penh et dans le port de Kompong Som. Mais Andrew Mertha (2012 : 338-364) montre, à partir d’un travail d’archives, que ces techniciens étaient loin d’approuver et de connaître réellement les atrocités qui se passaient sous le régime des Khmers rouges. On sait que la Chine était au courant de la situation de la communauté chinoise, puisqu’en décembre 1977, des rapports provenant de la frontière thaïe-cambodgienne conduisirent les Chinois du Cambodge réfugiés à Paris à créer un « comité de secours pour les Chinois du Cambodge » et à faire pression sur Pékin qui leur répondit qu’il fallait « être patient » (Suryadinata 1989). De toutes les manières, la Chine ne voulait pas intervenir ni s’ingérer dans les affaires cambodgiennes. De plus, elle considérait que les Chinois d’outre-mer méritaient leur sort, car ils étaient accusés d’avoir exploité le Cambodge, et ces derniers faisaient partie des « sept éléments noirs » – catégorisation issue de la Révolution culturelle – aux côtés des propriétaires, des riches paysans, des criminels, des contre-révolutionnaires, des droitistes et des capitalistes (Edwards et Chan 1996).

3 - La migration chinoise aujourd’hui

Le réveil des communautés chinoises en Asie du Sud-Est

Après ces événements tragiques, tout laissait à penser que la disparition de la communauté chinoise du Cambodge était définitive. Celle-ci venait de traverser vingt ans de persécution, période au cours de laquelle elle a dû dissimuler son identité pour pouvoir survivre (Chan 2005). Selon les spécialistes, il y avait peu de chance de voir la renaissance de cette communauté, car un grand nombre avait péri, ou constituait les premiers candidats à l’émigration, dispersés aux quatre

58 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) coins du monde. Pourtant, cette prévision s’est avérée fausse dans la mesure où cette communauté connaît aujourd’hui un véritable réveil (Edwards et Chan 1996 ; Tan 2006 ; Mengin 2007 ; Edwards et Paterson 2012 : 267-502). Les Sino-Khmers sont très vite redevenus des acteurs économiques importants, en servant d’intermédiaires incontournables auprès des investisseurs chinois du continent, de Hong Kong, ou de Taïwan. De manière générale, les communautés chinoises d’Asie du Sud-Est ont su tirer profit des liens avec leurs provinces d’origine en Chine (qiaoxiang – 侨乡) et avec les autres diasporas chinoises pour se réinsérer dans les rouages du pouvoir, exerçant une influence grandissante, que ce soit sur le terrain des affaires ou dans les arcanes de la sphère politique59. Depuis les premières rencontres entre Pékin et Phnom Penh en octobre 1990 et les Accords de paix en 1991, on assiste tout à la fois à un renouveau de la culture chinoise, à une réorganisation sociale de cette communauté qui a retrouvé une prospérité économique, et dans le même temps, à une redéfinition du sens donné au fait d’« être chinois » par les descendants chinois du Cambodge, face à l’arrivée massive des xin yimin (immigrés chinois). Mais que signifie être d’origine chinoise au Cambodge aujourd’hui après avoir caché cette identité culturelle au cours des dernières décennies ? Les jeunes ne parlent plus le dialecte chinois d’origine, mais khmer, aussi bien à la maison qu’à l’extérieur, et se décrivent comme de « vrais Khmers » (Tan 2006 : 478). Comme à l’époque où Willmott (1967, 1970) avait entrepris ses recherches sur les Chinois du Cambodge, les boutiques et les affaires sont toujours tenues par les Sino-Khmers. La différence aujourd’hui est qu’ils sont moins nombreux à parler chinois et à lire les journaux chinois, et qu’il n’y a pas de quartier chinois à proprement parler dans la mesure où la plupart des habitants de Phnom Penh ont des origines chinoises. Les dernières recherches de Michiel Verver (2012 : 291-322) décrivent comment la notion d’identité chinoise (Chineseness) au Cambodge peut être hybride et flexible. Il montre que les origines ainsi que l’identification au monde chinois ne sont pas des critères évidents et exclusifs pour expliquer la réussite des entrepreneurs d’origine chinoise à Phnom Penh, tandis que

59 Pour le cas de l’Indonésie où les communautés chinoises ont également été victimes de persécutions, cf. (Tjhin 2005). 59 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » leurs parcours sont loin d’être linéaires et univoques. Les liens avec les élites politiques locales sont également déterminants. Toutefois, grâce au nouveau flux d’immigrés chinois, les Sino- Khmers se sentent encouragés à réaffirmer leur identité et à ressusciter leurs institutions ; ils n’ont plus peur d’affirmer une ascendance chinoise. En 1990, les associations chinoises ont été autorisées à rouvrir leurs portes. Ces associations ont joué un rôle central dans le réveil d’une identité chinoise auprès des jeunes générations. Une des priorités fut de restaurer la fameuse école Duanhua. Aujourd’hui, l’école compte plus de 14 000 étudiants et constitue la plus grande école chinoise d’outre-mer. Toutefois, la résurgence des écoles chinoises ne s’explique pas uniquement par la préoccupation et le devoir de transmettre la culture chinoise aux générations suivantes, mais se lit également dans une perspective d’opportunité professionnelle dans la mesure où le chinois est redevenu le langage des affaires au Cambodge60. La différence majeure avec les années 1960-70 réside dans le fait qu’environ 10 % des élèves dans les écoles chinoises sont désormais Khmers : la discipline, le meilleur enseignement prodigué par rapport aux écoles cambodgiennes ainsi que la prise de conscience du mandarin comme langue internationale, ont incité des parents à envoyer leur enfants dans ces écoles pour recevoir une éducation chinoise. Ces écoles sont d’autant plus attractives que les enseignements concernent essentiellement le Cambodge et dispensent également des cours de khmer. Enfin, la publication de journaux chinois depuis 1995 marque le retour officiel sur la scène politique et économique de la communauté chinoise. Le contenu des journaux traite de l’économie et de la politique cambodgienne et donne des informations sur les délégations qui vont ou viennent de Chine continentale et de Taiwan. Le Huashang Ribao (华商日报) intègre une page en khmer, des textes bilingues et une page « spéciale étudiants » qui éditent des textes et des essais écrits en chinois par de jeunes élèves, tout cela dans un but pédagogique. Mais retenant les leçons du passé, les Sino-Khmers se considèrent comme des citoyens

60 Les sociétés d’import-export et les banques demandent de parler anglais et chinois. Un chauffeur parlant chinois peut gagner 100 dollars par mois, alors que le salaire de l’ouvrière textile se situe entre 20 et 70 dollars, si elle travaille le week-end et le soir (entretien, Phnom Penh, avril 2006). 60 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) cambodgiens à part entière et se consacrent avant tout à des activités commerciales.

Les nouveaux visages de la migration chinoise

Au début des années 2000, on estimait à plus de 450 000 le nombre de Chinois au Cambodge (Edwards 2002 : 270), soit une population deux fois plus nombreuse qu’au moment de la chute de Pol Pot. Toutefois, il est difficile de donner un chiffre précis tant les frontières entre les communautés restent peu perceptibles et que ce chiffre englobe aussi bien les rapatriés qu’un nombre croissant d’émigrés venus de Chine, Hong Kong et Taiwan. Aujourd’hui, aux cinq groupes ethniques traditionnels du Cambodge, viennent s’ajouter des milliers de nouveaux immigrés chinois (les xin yimin), aussi différents les uns des autres : ils sont réfugiés politiques, immigrés clandestins, ouvriers, cadres ou hommes d’affaires, venus de la RPC mais aussi de l’ensemble du monde chinois d’Asie du Sud-Est. Ainsi, ce sont des milliers de citoyens de la RPC61 qui ont fui la pauvreté et le chômage, provoqués par la privatisation des entreprises d’État, ou la répression politique à la suite des événements de Tiananmen, pour rejoindre le Cambodge. La faiblesse des contrôles aux frontières, la fin de la guerre ainsi que le foisonnement des opportunités économiques ont rendu l’obtention d’un passeport cambodgien possible et recherché – bien que coûteux – afin de rejoindre d’autres destinations très prisées, telles que les États-Unis, le Canada ou l’Australie (Lintner 2002 : 108-119). Des milliers de jeunes Chinois, principalement originaires du Fujian atterrissent également au Cambodge et paient plus de 30 000 dollars pour pouvoir émigrer par ces voies aux États-Unis. Auparavant, le trafic passait essentiellement par le tourisme thaïlandais, mais en raison des pressions américaines, celui-ci s’est déplacé au Cambodge où les lois sont quasi-inexistantes et où certains leaders de la communauté chinoise, connectés aux réseaux mafieux, permettent d’accueillir ces trafics. De

61 Il n’existe pas de statistiques fiables sur leur nombre mais les diplomates et les agences gouvernementales estiment qu’un million de nouveaux immigrants chinois seraient entrés au Cambodge entre 1991 et 2001. La Chine considère ce chiffre exagéré (Edwards 2002 : 269). 61 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » fait, les night clubs de Phnom Penh sont devenus des plates-formes d’affaires pour l’ensemble des trafics (prostitution, drogues, blanchiment d’argent, etc.). Ainsi, d’après les enquêtes réalisées sur les circuits de l’immigration clandestine chinoise en France (Yao et Poisson 2005) il apparaît qu’un grand nombre d’immigrés du Zhejiang en particulier sont passés par le Cambodge pour émigrer en France. Ces enquêtes confortant la plupart des travaux sur les migrations, démontrent que ce ne sont pas les plus démunis qui quittent le pays : en 2003, les tarifs de voyage pour les gens de Wenzhou variaient entre 12 000 et 18 000 euros pour l’Europe, auxquels il faudrait ajouter 10 000 à 12 000 euros pour l’Angleterre, et ce tarif triplerait pour les États-Unis. Ces immigrés clandestins ont parfois de la famille sur place62 mais ils doivent compter sur leurs propres forces, car celle-ci ne veut pas employer des personnes dans l’illégalité. Ils vivent donc dans des situations extrêmement précaires, d’autant plus difficiles à supporter qu’ils le ressentent comme un déclassement social dans la mesure où ils sont généralement issus de la classe moyenne et supérieure en Chine. Plusieurs membres d’une même famille peuvent prendre des circuits différents pour arriver à Paris. Un grand nombre d’immigrés décident également de rester au Cambodge. Même s’il est impossible de travailler sans papiers d’immigration en règle, il est cependant très facile de les acheter. Bien que tous ces nouveaux immigrés ne possèdent pas d’identité régionale homogène, leur situation difficile, leur passé politique commun et leur maîtrise du mandarin leur permettent de constituer un groupe social doté d’une identité commune. Ce groupe de Chinois n’est pourtant pas confondu avec l’ancienne communauté chinoise du Cambodge. Ils sont appelés cen-deykok par les Khmers, signifiant « Chinois de la Chine continentale » afin de les distinguer des descendants chinois du Cambodge63. Alors que les Sino-Khmers sont totalement intégrés dans la

62 Les premiers immigrés chinois arrivés en France lors de la Première Guerre mondiale pour travailler dans les usines étaient originaires de Wenzhou. La majorité repartit à la fin de la guerre mais quelques centaines de Wenzhou restèrent. 63 Bien qu’intégrés dans la société cambodgienne, les Sino-Khmers restent définitivement Chinois aux yeux des Khmers, qui les désignent à travers les termes kūn cin, qui signifie « enfant de Chinois » ou kūn cau cin, « petits-enfants de Chinois », tandis que les premiers migrants venant de Chine sont appelés cin chau, « Chinois cru », même s’ils ont oublié le 62 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) société cambodgienne, les Cen-deykok sont considérés comme des étrangers, associés à l’ambassade ou au gouvernement chinois, aux criminels et au trafic illégal. Ils font l’objet d’une certaine suspicion et d’un mécontentement de la part de la population khmère qui les décrit comme des « rôdeurs autour des maisons », attendant de partir vers un autre pays, ne s’impliquant pas dans l’économie de manière constructive, à la différence des autres étrangers occidentaux (barang) qui « viennent pour aider le Cambodge » (Edwards et Chan 1996). À côté de ces nouveaux immigrés chinois pauvres venus à travers des réseaux illicites, d’autres immigrés chinois sont arrivés grâce à leur famille, une affinité dialectale, ou tout simplement grâce à leurs compétences. Le Cambodge est devenu ces dernières années, aux côtés de Saigon et Singapour, une destination privilégiée pour les hommes d’affaires, travailleurs chinois, qu’ils soient cadres ou peu qualifiés. On trouve au sein de ce groupe, des dentistes et des médecins de Shanghai, des architectes de Taiwan, des hommes d’affaires de Hong Kong et des représentants de sociétés venus de toute l’Asie du Sud-Est (Singapour, Malaisie, etc.) qui cherchent à s’établir au Cambodge. 90 % des sociétés étrangères qui désirent investir au Cambodge appartiennent à des Chinois d’Asie du Sud-Est et de Chine. Les plus nombreux sont les Malaisiens (75%) suivis de loin par les Chinois de Singapour (9%) et ceux de Chine (3%), de Taiwan, de Thaïlande et de Hong Kong (Willmott 2000). Ces sociétés ont besoin d’un personnel d’encadrement compétent qu’elles ne trouvent pas sur place. Depuis les Accords de paix en 1991, la perception du Cambodge s’est améliorée auprès des pays d’Asie du Sud-Est. D’une image d’un pays sauvage et violent, le Cambodge est aujourd’hui perçu comme un pays sans loi mais prospère, attirant une immigration chinoise de plus en plus qualifiée et entreprenante qui est en train de changer progres- sivement le sens d’être Chinois au Cambodge aujourd’hui. Pál Nyíri y voit plus des signes d’une « retransnationalisation » que d’une « resinisation » de l’ancienne communauté chinoise du Cambodge, dans la mesure où la

chinois et qu’ils pratiquent les rituels religieux khmers. Les Sino-Khmers peuvent également être appelé kūn kat cin, qui signifie « enfant coupé » ou simplement kūn kat, car la référence chinoise est implicite dans la mesure où la majorité des descendants métissés sont d’origine chinoise (Népote 1995 : 133-154). 63 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » réaffirmation de son identité chinoise serait d’abord liée à un processus de territorialisation/déterritorialisation de la nation chinoise plutôt qu’à une revitalisation de la culture ou d’un nationalisme chinois (Nyíri 2012b). Ainsi, entre 1994 et juin 2009, les IDE en provenance de la RPC représentaient pratiquement la moitié des investissements étrangers. Si l’on intègre les projets dans les secteurs de la coopération et de la construction menés principalement par des sociétés étatiques chinoises (qui ne sont pas comptabilisés dans les IDE et qui concernent la construction de routes, de barrages, de canaux d’irrigation, de ponts, de projets immobiliers), les investissements chinois atteignaient presque 7 milliards de dollars en juin 2010. Pour l’élite et la classe moyenne sino- khmères, cette manne d’argent en provenance de la Chine représente de réelles opportunités d’emploi ou de création d’activités en devenant les intermédiaires obligés entre d’une part, les investisseurs chinois et l’État néo-patrimonial cambodgien, et d’autre part, entre les gérants chinois et les travailleurs khmers. Alors que les nouveaux migrants chinois suscitaient une certaine inquiétude et méfiance aussi bien auprès des Khmers que des Khmers d’origine chinoise, ils sont désormais vus comme des éléments positifs pour le développement du pays (Nyíri 2012b : 369-397). À la fin des années 1990, sur les 35 millions de personnes qui composaient la diaspora chinoise, plus de 80 % (28,8 millions de Chinois d’outre-mer) étaient basés en Asie du Sud-Est et étaient originaires à 90 % de trois provinces, du Fujian, du Guangdong et de Hainan (Trolliet 1994 ; Pan 2000). On estime aujourd’hui la population totale de la diaspora chinoise à 50 millions d’individus, dont 32,7 millions résideraient en Asie du Sud-Est (Chang 2013). À côté de la migration « naturelle » vers l’Asie du Sud-Est, on observe aujourd’hui un accrois- sement des flux migratoires vers les pays économiquement développés comme l’Europe, l’Amérique du Nord, l’Australie, ou le Japon, ainsi que l’apparition de nouvelles destinations, telles que l’Europe centrale et orientale, la Sibérie orientale, l’Asie centrale, et plus récemment l’Afrique et l’Amérique latine (cf. Figures 4 et 5)64. Selon les statistiques chinoises, en 2006, plus d’un million d’étudiants avaient quitté la Chine pour

64 Cf. Entre autres : Nyíri (1999, 2007) ; Nyíri et Saveliev (2002) ; Pieke et al. (2004) ; Le Bail (2006); Thunø (2007) ; Peyrousse et Laruelle (2012) ; Billé, Delaplace et Humphrey (2012). 64 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

étudier à l’étranger, et plus de 3,5 millions de travailleurs sous contrat œuvraient à l’étranger, dont 200 000 en Asie du Sud-Est. Leur nombre doit être supérieur en raison d’une immigration illégale importante. Certaines études estiment entre 2,3 et 2,65 millions le nombre de Chinois qui ont émigré vers l’Asie du Sud-Est depuis ces 20 dernières années : 1 million en Birmanie, 300 000-400 000 en Thaïlande, 350 000-380 000 à Singapour, tandis que ce chiffre se situerait entre 50 000 et 120 000 pour la Malaisie, l’Indonésie, le Viêt Nam, le Cambodge et le Laos (Chin, 2003 : 49-72, 2009 ; Zhuang et Wang, 2010 : 174-193). Ces chiffres sont évidemment à prendre avec précaution, car ils varient fortement en fonction des études.

L’attitude de la Chine à l’égard de ses migrants

La principale caractéristique des nouveaux migrants est d’être fortement liée à la Chine. Aujourd’hui guidées par le pragmatisme et un certain opportunisme, l’objectif des autorités chinoises est d’utiliser l’ensemble de ces réseaux pour accroître l’influence politique et la puissance économique de la Chine. Le relâchement du contrôle de Pékin en matière d’émigration intervient dans une stratégie de prévention des troubles sociaux et politiques causés par un chômage élevé, résultant du passage à une économie de marché qui a poussé à la migration des millions de Chinois touchés par la dislocation de l’agriculture collectiviste et des entreprises d’État, ainsi que par l’industrialisation rapide des régions côtières. Alors qu’auparavant les migrants étaient considérés comme des traîtres par l’État chinois, ces derniers ont été élevés au rang de « patriotes » (Nyíri 2004 : 120-143, 2006 : 83-106 ; Wang, Wong et Sun 2006 : 294-309), dont les réseaux servent de ferment à un « imaginaire transnational » que l’État entretient pour renforcer les bases de la nation (Thunø 2001 : 910-929 ; Guerrassimoff 2006 : 39-52). L’État chinois a pris conscience de son formidable capital humain pour mettre en œuvre sa stratégie de « soft power» (Nye 1990) destinée à regagner sa place en tant que grande puissance. Lorsque Joseph Nye élabora ce concept pour désigner la capacité d’influence d’une nation en utilisant la persuasion plutôt que la coercition, sa définition ne comprenait pas l’utilisation des ressources financières (aide et investissements) et humaines comme 65 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

« armes » privilégiées de cette stratégie. Or, dans le cas de la Chine, le déploiement d’une « armée » de migrants à travers le monde, ainsi que la reconnexion avec les anciennes diasporas qui incarnent désormais le modèle positif de l’entrepreneur transnational, constituent les fers de lance de sa nouvelle stratégie de développement. Ainsi, en 2001, les autorités chinoises ont abandonné le slogan « huiguo fuwu » (revenir et servir le pays – 回国服务) au profit de « weiguo fuwu » (servir le pays depuis l’étranger – 为国服务). Ce changement sémantique est détermi- nant, car il reflète un véritable tournant dans la vision des autorités chinoises à l’égard des Chinois d’outre-mer. En effet, ce slogan ne s’adresse pas qu’aux migrants récents, mais à l’ensemble de la diaspora sans distinction de statut et de nationalité.

Figure 4. Migrations internes à la diaspora chinoise (1970-1990) Atelier de cartographie de Sciences Po, 2011. Po, Sciences de cartographie de Atelier

Principaux foyers de migration internes: ex-Indochine française (1970-1980) Hong Kong avant la rétrocession (1984-1997) Indonésie à la suite des émeutes anti-chinoises (les années 1990)

Sources : données compilées par Danielle Tan, 2011. Pour les chiffres de 1990 : Dudley L. Poston et al., 1993. Pour l'Afrique : données collectées par Barry Sautman, Hong Kong University of Science and Technology ces deux dernières années, in Yoon J. Park, 2010. Population chinoise entre 2005 et 2010 : Overseas Compa- triot Commission, ROC (Taiwan) ; Ohio State University ; pour l'Europe de l'Est : Pál Nyírí, 2007. 66 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Figure 5. Estimation du nombre de Chinois d’outre-mer depuis les années 1990

Population Population % de Chinois Évolution entre Asie chinoise dans chinoise entre au sein de la les années 1990 les années 1990 2005 et 2010 population totale et 2005/2010 (%) Indonésie 7 315 000 7 566 200 3,1 3,4 Malaisie 5 471 700 7 100 000 26 29,8 Thaïlande 6 000 000 7 053 240 14 17,6 Singapour 2 112 700 2 794 000 74,1 32,2 Viêt Nam 2 000 000 1 263 570 3 -36,8 Philippines 820 000 1 146 250 2 39,8 Birmanie 1 500 000 1 100 000 3 -26,7 Japon 150 300 655 377 0,5 336,0 Corée du Sud 22 800 624 994 0,2 2 641,2 Cambodge 300 000 343 855 1,2 14,6 Inde 130 000 189 470 0,02 45,7 Laos 160 000 185 765 1 16,1 Brunei 44 400 43 000 15 -3,2

Population Population Évolution entre Amériques chinoise dans chinoise entre les années 1990 les années 1990 2005 et 2010 et 2005/2010 (%) États-Unis 1 645 000 3 500 000 112,8 Canada 680 000 1 612 173 137,1 Pérou 500 000 1 300 000 160,0 Brésil 100 000 151 649 51,6 Panama 100 000 135 000 35,0 Cuba 7 000 114 240 1 532,0 Argentine 20 000 100 000 400,0 Costa Rica 22 000 63 000 186,4 Jamaïque 20 000 70 000 250,0 Mexique 20 000 23 000 15,0 Équateur 20 000 15 000 -25,0 Venezuela 50 000 15 000 -70,0 Guatemala 14 000 14 000 0,0 Chili 13 000 5 000 -61,5 Surinam 10 000 70 000 600,0 Dominique rép. 6 500 15 000 130,8 Guyane 6 000 20 000 233,3 Note : A = donnée de 1994 ; B = donnée de 1997.

67 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

Population Population Évolution entre Europe chinoise dans chinoise entre les années 1990 les années 1990 2005 et 2010 et 2005/2010 (%) Russie 274 000 998 000 264,2 France 200 000 400 000 100,0 Royaume Uni 125 000 500 000 300,0 Pays Bas 45 500 114 928 152,6 Allemagne 39 500 105 000 165,8 Italie 20 700 201 000 871,0 Espagne 15 000 128 022 753,5 Portugal 2 440 9 689 297,1 Irlande 16 533 Belgique 13 000 30 000 130,8 Suède 12 000 20 000 66,7 Autriche 6 000 20 000 233,3 Suisse 5 000 13 286 165,7 Serbie 6 000 à 30 000 Bulgarie 5 000 10 000 100,0 Roumanie 20 000 5 000 -75,0 Hongrie 40 000 12 000 -70,0 Note : A = donnée de 1994 ; B = donnée de 1997.

Population Population Évolution entre Pacifique chinoise dans chinoise entre les années 1990 les années 1990 2005 et 2010 et 2005/2010 (%) Nouvelle-Zélande 35 000 147 570 321,6 Australie 300 000 669 896 123,3 Samoa 30 000

Papouasie Nelle Guinée 6 800 10 000 47,1

Polynésie française 18 000 26 000 44,4 Hawaii 53 000

68 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Population Population Population Population Afrique chinoise dans chinoise entre Afrique chinoise dans chinoise entre les années 1990 2003 et 2008 les années 1990 2003 et 2008 Afrique du Sud 36 000 200 000 à 400 000 Côte d’Ivoire 10 000 Angola 20 000 à 40 000 Égypte 6 000 à 10 000 Nigeria 100 000 Éthiopie 3 000 à 7 000 Madagascar 14 500 60 000 Ghana 6 000 Maurice 35 000 30 000 Gabon 6 000 Réunion 14 300 25 000 Guinée 5 000 à 8 000 Algérie 20 000 Kenya 7 000 Zimbabwe 5 300 à 10 000 Lesotho 5 000 Soudan 20 000 à 74 000 Mali 3 000 à 4 000 Namibie 5 000 à 40 000 Togo 3 000 Zambie 4 000 à 40 000 Cap Vert 2 000 Tanzanie 3 000 à 20 000 Malawi 2 000 Bénin 4 000 Sénégal 2 000 Botswana 3 000 à 10 000 Tunisie 2 000 Ouganda 5 000 à 10 000 Mozambique 1 500 Burkina Faso 1 000 Niger 1 000 Cameroun 1 000 à 7 000 Sierra Leone 400 à 500

Congo Brazzaville 7 000 Liberia 600 Congo (RDC) 500 à 10 000

Population Autres chinoise entre 2005 et 2010 Pakistan 10 000 Kazakhstan 34 000 à 300 000 Émirats Arabes Unis 180 000 Israël 23 000 Arabie Saoudite, Qatar, Koweït 250 000

Source : compilation par Danielle Tan. •Pour les chiffres de 1990: Dudley L. Poston, Jr., Michael Xinxiang Mao et Mei-Yu Yu, « The Global Distribution of the Overseas Chinese around 1990 », Population and Development Review, vol. 20, n° 3, septembre 1993, p. 631-645. •Pour l’Afrique : données collectées par Barry Sautman, Hong Kong University of Science and Technology ces deux dernières années in Yoon J. Park, « Résidents temporaires ou permanents ? », Les Temps Modernes, n° 657, janvier-mars 2010, p. 139-140. •Population chinoise entre 2005 et 2010 : Overseas Compatriot Commission,ROC(Taiwan);OhioState University. •Pour l’Europe de l’Est : Pál Nyírí,Chinese in Eastern Europe and Russia, Londres-New York, Routledge, 2007.

69 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

Depuis le lancement de la politique des « quatre modernisations » à la fin des années 1970, la RPC tentent de renouer ses liens avec ses Chinois d’outre-mer et de regagner leur confiance, car elle les reconnaît désormais comme une importante source de revenus (transferts de fonds – remittances) et d’investissement. Pour Gordon C. K. Cheung (2005 : 55- 66), les Chinois d’outre-mer ont endossé le rôle d’« economic energizers ». La première étape fut de réhabiliter leur image, de leur restituer les biens qui leur avaient été confisqués pendant le Grand bond en avant et la Révolution culturelle, et de les rassurer quant à leur sécurité en cas de retour. Ensuite, les qiaoxiang (villages d’origine) sont devenus des zones prioritaires à développer, car ils incarnent l’attachement symbolique et émotionnel des Chinois d’outre-mer. En 1979 et 1980, les premières zones économiques spéciales ont été établies à Shenzhen et Zhuhai, situées en face de Hong Kong et Macao, puis à Xiamen et Shantou, en face de Taiwan, pour s’étendre à l’ensemble du Delta des Perles. À la fin de l’année 1991, le montant total des IDE – en provenance en majorité des pays abritant d’importantes communautés chinoises, tels que Hong Kong, Macao, Taiwan, la Malaisie, les Philippines, Singapour et la Thaïlande – s’élevait à 26,8 milliards de dollars (Thunø 2001 : 921). Mais face au nombre décroissant de citoyens chinois parmi les Chinois d’outre-mer, Pékin a décidé de recentrer sa politique en courtisant davantage les communautés de la diaspora (ethnic Chinese) qui étaient plus proches de Taiwan, tout en évitant de raviver la méfiance des pays d’Asie du Sud-Est. Les liens entre la RPC et les associations régionales de la diaspora se sont renforcées dans le but de développer des activités culturelles et d’enseignement (camps d’été, création de deux universités – Jinan University et Huaqiao University, d’écoles et de journaux locaux dans les pays d’Asie du Sud-Est, etc.), mais aussi les liens commerciaux (organisation de voyages d’affaires dans les qiaoxiang et auprès des personnalités les plus influentes de la diaspora dans le champ académique, les milieux d’affaires, de l’industrie et de la finance), en lançant le mot d’ordre « zou chuqu, qing jinlai – 走出去,请进来 », littéralement « partir et inviter ». En parallèle, lorsque le nombre de nouveaux migrants chinois (xin yimin) a commencé à être plus conséquent à partir du milieu des années 1990, attirant ainsi l’attention des élites politiques, ces derniers ont encouragé la création d’associations faisant le pont entre les commu-

70 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) nautés chinoises locales d’Asie du Sud-Est et les nouveaux migrants. De plus, l’introduction de l’appellation « xin yimin », plus neutre, indique non seulement un alignement avec les codes internationaux, mais surtout un ajustement par rapport aux nouvelles formes de migrations (travailleurs sous contrat, commerçants expatriés, étudiants à l’étranger, etc.), permettant ainsi d’attirer plus largement les investissements des Chinois vivant à l’étranger, mais qui ne rentraient pas dans la catégorie traditionnelle des huaqiao. Pour résumer, en courtisant à la fois les communautés chinoises d’outre-mer et des nouveaux migrants, Pékin a construit un discours fondé sur le patriotisme et la modernité qui lui permet de ne pas dépendre exclusivement des qiaoxiang et d’éviter également l’hostilité des pays d’Asie du Sud-Est (Thunø 2001 : 910-929).

Conclusion

Que retenir de ce retour historique sur les différentes phases de la migration chinoise pour analyser son redéploiement à l’heure actuelle ? Tout d’abord, ces phénomènes migratoires s’enracinent dans une histoire longue entre la Chine et l’Asie du Sud-Est, dont les relations ont été riches et complexes. Les relations commerciales ont permis d’innover, d’adapter et de transmettre dans les deux directions, aussi bien les marchandises que les idées (Tagliacozzo et Chang 2011 : 534). Malgré sa supériorité (démographique, militaire, technologique, économique), l’Empire du Milieu n’a jamais eu la volonté de coloniser le Nanyang – à l’exception du Viêt Nam. Les Ming avaient bien retenu les enseignements de la trop grande expansion des Yuan. Ming Taizu, le premier empereur de la dynastie Ming conseilla ses successeurs au sujet du Nanyang de la manière suivante : « [Ces terres] sont séparées de nous par les montagnes et les mers, et se trouvent loin, dans un coin. Leurs terres ne produiraient pas assez pour que nous les maintenions sous notre contrôle ; leurs peuples ne nous serviraient pas de manière utile s’ils étaient intégrés [dans l’Empire]. S’ils étaient irréalistes au point de déranger nos frontières, cela serait dommageable pour eux. S’ils ne nous causaient pas de problèmes

71 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

et que nous dirigions nos troupes pour les combattre inutilement, cela serait regrettable pour nous. Je suis préoccupé par le fait que les générations futures abusent de la richesse et de la puissance de la Chine et convoitent les gloires militaires du moment pour envoyer des armées sur le terrain sans raison et entraîner des pertes de vies. Puissent-ils être fortement rappelé que cela est interdit65 ».

En même temps, l’Empire chinois n’a jamais pu contrôler ses propres migrants. La tendance de fond pendant des siècles a été une intégration silencieuse et réussie des acteurs chinois dans l’organisation culturelle, économique et politique de ces pays, en tant qu’éléments complémentaires. Ce phénomène s’est arrêté avec l’arrivée des Européens, qui ont volontairement et activement contribué à freiner ce processus d’assimilation en divisant les communautés, construisant ainsi un groupe « chinois » et un « problème » chinois. Cependant, la reconnaissance du rôle modernisateur66 et d’intermédiaires des Chinois est cruciale pour comprendre la nature des relations Chine-Asie du Sud-Est. Ces fonctions d’intermédiation et de modernisation jouées par les Chinois constituent encore un trait de caractère majeur des relations aujourd’hui. Ainsi, si par le passé, les Chinois recevaient le fermage de certaines activités économiques, aujourd’hui, ils sont en charge de nombreuses concessions pour développer les richesses au service des dirigeants locaux. On verra dans la dernière partie de ce carnet comment les casinos érigés dans la Zone économique spéciale du Triangle d’or peuvent être vus comme une continuation du fermage des jeux de l’époque précoloniale et coloniale. Enfin, la même ambivalence perdure vis-à-vis des acteurs chinois : on se méfie d’eux, mais en même temps, ils demeurent indispensables pour mettre en valeur les territoires encore vierges ou non-rentables, et assurer le lien avec l’économie globale.

65 Cité par Wang Gungwu et repris par Womack (2012 : 41), traduction de D. Tan. 66 Comme l’illustre l’imposant dictionnaire bibliographique dirigé par Leo Suryadinata (2012) qui présente les principales personnalités d’origine chinoise qui ont joué un rôle économique, politique, culturel, et intellectuel en Asie du Sud-Est. 72 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Fitzgerald pensait que le redéploiement de l’expansion chinoise ne pouvait passer que par le renouvellement de sa puissance maritime. On constate qu’aujourd’hui que cette hypothèse est en partie invalidée dans la mesure où le développement des infrastructures et des moyens de communications tout confondu (lignes de chemin de fer, routes, corridors de développement, lignes aériennes, etc.) joue le même rôle que les vaisseaux chinois pendant « l’âge du commerce ». On comprend donc aisément pourquoi la Chine investit massivement dans ce secteur et en fait une priorité pour accompagner sa politique « Going out strategy » (zouchuqu zhanlüe), qui cherche à encourager le développement des compagnies chinoises à l’étranger. Quant à Freedman, le retour de la Chine vers son système tributaire traditionnel impliquait l’arrêt de sa marche expansionniste. On observe aujourd’hui un regain d’intérêt de la part des chercheurs (chinois et occidentaux) pour ce système tributaire. Il s’agit de développer une plus grande analyse historique de l’ancienne diplomatie et philosophie chinoise pour mieux comprendre la stratégie contemporaine du leadership chinois et la manière dont celui-ci entend façonner l’ordre global à venir. L’équilibre du « système tributaire impérial » reposait en fait sur le besoin de la Chine d’assurer un environnement stable à ses frontières pour garantir sa propre stabilité intérieure et sa prospérité. Si la Chine donnait en principe plus de « faveurs » aux États et royaumes tributaires qu’elle n’en recevait, elle gagnait en revanche de leur part respect et bonne volonté pour la « générosité » accordée. L’idée centrale est que le système tributaire est bien plus qu’un système diplomatique permettant de développer les relations commerciales – idée soutenue par John Fairbank (1942 : 129-149) – mais une stratégie mise en œuvre dans le but de pacifier ses frontières. Brantly Womack (2012 : 37-54) montre notamment que la capacité de résistance de voisins plus petits a été la clé de l’émergence d’un équilibre du système qui ne reposait pas sur la domination. Il suggère ainsi que les enseignements de l’histoire impériale chinoise sur la manière de gérer les relations avec ses voisins plus faibles sont plus pertinents pour comprendre le contexte actuel que le système bipolaire de la Guerre froide.

73 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

74 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Deuxième Partie L’Autre, ce voisin. Remarques sur les perceptions chinoises des Vietnamiens, frein au développement des échanges commerciaux

À l’heure où les regards des observateurs économistes sont tournés vers le développement des échanges entre les pays émergés de l’Asie du Sud-Est, les réalités du terrain sont loin de satisfaire tous les acteurs engagés, par conviction ou opportunisme. Si les accords entre gouverne- ments nationaux et provinciaux, et entre partenaires commerciaux se sont multipliés au cours des deux dernières décennies pour favoriser le rôle moteur des corridors économiques et des villes doublons de la frontière (Fau, Khonthapane et Taillard 2013), les obstacles au bon fonctionnement des échanges persistent. Problèmes de transport, de règlementations, d’investissement, de clarté, de taxation, de méthodes, de durabilité, d’objectif ou d’inégalité en moyens ralentissent le processus sur toutes les frontières. Comment les bonnes intentions commerciales s’accommodent-elles des relations entre communautés frontalières et comment ces dernières interrogent-elles la durabilité d’une collaboration économique efficace ? C’est à cette question que cette contribution essaie de répondre, à partir de témoignages recueillis à Hekou, une ville chinoise dans la province du Yunnan, à la frontière sino-vietnamienne où la plupart des habitants sont engagés d’une façon ou d’une autre dans des échanges commerciaux avec des voisins sur lesquels tous portent des jugements, réinterprétés à la lumière du contexte idéologique qui sous-tend ces échanges des Uns avec les Autres67.

67 Cette contribution est issue de la thèse de Caroline Grillot intitulée The Fringes of Conjugality. On Fantasies, Tactics and Representations of Sino-Vietnamese Encounters in Borderlands (2012). 75 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » 1 - Les Vietnamiens, ces familiers dont on se méfie

Dans les régions frontalières, il n’est pas rare d’entendre nombre de remarques des habitants locaux sur les caractères et caractéristiques supposés de leurs voisins, quels que soient l’occupation ou le niveau d’interaction des interlocuteurs. Par exemple, une insinuation commune parmi la population chinoise indique que « l’histoire du Viêt Nam est courte, étant donné que le pays fit partie de l’Empire chinois durant un millénaire ». Beaucoup estiment également que « la langue vietnamienne utilisait les caractères chinois pendant longtemps avant qu’elle n’adopte plus tard sous la domination française la transcription [quốc ngữ] que les colons lui donna » et que, par conséquent, « les Français doivent naturellement tous comprendre la langue vietnamienne, car elle utilise l’alphabet romain ! ». De telles déclarations négligent manifestement des périodes antérieures de l’histoire vietnamienne et divers éléments de la culture vietnamienne qui la relient plus généralement à l’Asie du Sud- Est. Dans le discours populaire chinois, il devient ainsi commode de considérer que les Vietnamiens n’ont jamais eu leur propre transcription de leur langue, impliquant que le Viêt Nam dépend de ce que les autres puissances lui fournissent pour exister. L’histoire officielle chinoise attribue également le conflit frontalier de 1979 à une attaque délibérée du Viêt Nam. Bien que les populations locales contestent parfois cette interprétation à partir de leur propre expérience et de leurs souvenirs personnels, elle reste généralement aisément adoptée par les nouveaux arrivants qui ont peu d’intérêt à entendre une opinion différente. Dans l’ensemble, l’idée partagée de la suprématie de la civilisation chinoise sur un petit État voisin68 auparavant suzerain et économique- ment frustré façonne la croyance que, d’une certaine façon, les Vietnamiens cherchent à prendre leur revanche en voulant récupérer leur « part du gâteau ». À l’époque contemporaine, cela se traduit par une dépendance économique réciproque. Toutefois, un tel discours, qui prend souvent la forme d’un éloge des mérites et des succès chinois au

68 La domination de l’économie chinoise et les rapports diplomatiques complexes entre les pays de cette région du monde est une récurrente source de grief et de controverse au sein de la population vietnamienne et un objet constant de souci pour le gouvernement à Hanoi, les deux parties aspirant à davantage d’autonomie et de pouvoir de décision. 76 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) cours de séances de débat en groupe – en particulier en présence d’un étranger – reste rarement élaboré et souligne la coquille vide qu’il représente réellement : un terrain prolifique pour le discours nationaliste qui mêle ressentiments et intérêts communs. Tandis qu’au Viêt Nam, en ville ou dans les villages de montagne, les mots « méfiance », « suspicion » et « distance » sont couramment utilisés pour décrire une prudence nécessaire lors de l’interaction avec les Chinois (Chan Yuk Wah 2005). Le commerce frontalier est très actif, mais les Vietnamiens semblent affectés par l’image menaçante de leur imposant voisin.

2 - Discours folklorique et question de classe

La façon dont les migrants chinois récemment installés en zones frontalières considèrent leurs voisins vietnamiens, ressemble à celle dont d’autres générations de migrants chinois qui émigrèrent vers les régions frontalières perçoivent les groupes ethniques avec lesquels ils sont entrés en contact. La plupart des commentaires que l’on peut recueillir dans ces zones sont similaires à ceux actuellement entendus parmi les migrants chinois de Hekou sur les Vietnamiens appartenant à leur nouveau paysage social. Fait intéressant, on constate le même écart entre les récits de ceux qui sont arrivés avant l’ère des réformes (depuis 1979) et ceux récemment installés à la frontière. La pertinence d’une comparaison entre la perspective politique chinoise sur ses propres groupes ethniques internes et la manière dont les frontaliers perçoivent leurs voisins immédiats étrangers réside dans le fait que, dans le cas de Hekou, les Vietnamiens représentent une minorité sur le plan du développement social plutôt qu’en termes de hiérarchie politique. Bien qu’ils restent étrangers et ne bénéficient que de droits limités en termes de séjour et d’accès aux services publics, leur vie quotidienne, leurs activités et leur rôle au sein des villes frontalières en font un élément constitutif de la vie sociale locale autant que les citoyens chinois. Mais parce qu’ils viennent d’un pays plus pauvre et perçu comme économiquement dépendant de la Chine, et que l’angle économique est devenu de nos jours le seul moyen pertinent pour l’établissement de la hiérarchie sociale, les Chinois ne considèrent pas les immigrants vietnamiens comme leurs égaux.

77 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

Cependant, au cours des deux dernières décennies, la présence vietnamienne est non seulement redevenue partie intégrante du paysage social des villes frontalières, mais les migrants et travailleurs vietnamiens tendent à être plus nombreux et visibles que les groupes ethniques récemment urbanisés.

Migrants chinois et voisins vietnamiens

Même si l’on peut aujourd’hui considérer les migrants/commer- çants/travailleurs vietnamiens comme une minorité de facto des régions frontalières chinoises, la principale différence entre les premiers migrants chinois internes aux zones minoritaires et les migrants économiques arrivés récemment dans des villes frontalières, réside dans leurs objectifs. Les premiers migrants chinois étaient envoyés pour « civiliser » les minorités ethniques, alors que les migrants récents, motivés par des projets personnels, sont venus profiter du partenariat avec le Viêt Nam (force de travail, femmes, ressources, opportunités commerciales, etc.), tout en se sentant généralement socialement et politiquement désengagés envers ce voisin. Tout d’abord, l’opportunisme économique a largement remplacé les convictions idéologiques ou le sentiment de devoir. Si quelques commerçants reconnaissent apprendre de leurs homologues tout en les formant à des méthodes et des stratégies commerciales « plus justes et efficaces » (selon les pratiques chinoises), la plupart ne se soucient pas de s’impliquer dans ces échanges constructifs : « Tant que nous pouvons gagner de l’argent, tout va bien ». Ils ne se sentent pas la responsabilité d’« éduquer » l’Autre. Ensuite, malgré la proximité, une certaine similitude culturelle et une histoire commune récente, les Chinois des frontières considèrent les Vietnamiens comme des étrangers dont les affaires ne concernent pas le peuple chinois. Bien que la plupart admettent qu’en réalité, « il n’y a pas de différences profondes entre les peuples chinois et vietnamiens en général », tout en soulignant comme exemples caractéristiques la façon dont ils eurent l’habitude de partager une langue écrite, ou les mille ans que le Viêt Nam passa sous la tutelle de l’Empire chinois, les Chinois font une différence claire entre l’altérité nationale/interne et voisine/externe. Cependant, on peut distinguer un écart significatif entre les discours sur l’altérité exprimés à Hekou et à 78 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Dongxing, autre poste frontalier à l’extrémité sud-est de la Chine (cf. Figure 6). Les Zhuang, le deuxième grand groupe ethnique de la province du Guangxi après les Han, mettent souvent en évidence leurs affinités avec les Kinh – le principal groupe ethnique du Viêt Nam – en expliquant comment elles facilitent la communication et la compré- hension mutuelle, tout en réduisant le sentiment d’altérité : « Nous sommes tous les mêmes ».

Figure 6. Les postes frontaliers entre la Chine et le Viêt Nam

Source : conception de Danielle Tan sur un fond de carte de Google Maps.

Mais si les Zhuang voient des liens linguistiques, culturels et ethniques avec les Vietnamiens, une situation qui les positionne comme relativement « égaux » face aux Chinois han dominants, les habitants de Hekou n’adoptent généralement pas un tel discours. Le Yunnan est une province au paysage social beaucoup plus complexe qui mêle un plus grand nombre de groupes ethniques. Là, les Han sont majoritaires, et la

79 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » présence de minorités ethniques parmi les résidents Hekou est trop modeste pour devenir significative quand il s’agit de dessiner des affinités avec les Vietnamiens. Par conséquent, les différences entre « Nous » et « l’Autre » sont plus accentuées. Dans son ouvrage sur les expériences des colons han installés en milieu minoritaire dans les régions frontalières, Hansen (1999 : 394-413) fait également valoir que l’opinion des Han sur les communautés ethniques parmi lesquels ils vivent, n’est pas aussi condescendante que l’on pouvait s’y attendre, étant donné la représentation généralement offerte par le discours idéologique : des minorités ethniques culturellement et économiquement arriérées. Les affirmations évolutionnistes sur la hiérarchie ethnique qui positionnent les Han à un stade avancé sur l’échelle de progrès de la civilisation humaine sont encore enseignées à l’école et toujours mises en scène dans les médias (sous une forme folklorisée destinée à accroître le tourisme ethnique), et discutées par tout un chacun vivant ou non parmi des minorités ethniques. Pourtant, il semble que cela ait quelque peu évolué depuis les années 2000. Par exemple, certaines manifestations de l’ouverture favorisées par des débats libres sur l’Internet permettent une approche plus objective (moins stéréotypée) des minorités ethniques au public chinois. La principale difficulté pour recueillir l’opinion des Han sur leurs voisins ethniques réside dans la distinction entre les opinions personnelles et celles généralement admises et incontestées des représentations héritées de l’État (Hansen 2005). Ainsi, à Hekou, il est difficile de deviner ce qui, le cas échéant, relève d’opinions empiriques des résidents chinois sur leurs voisins vietnamiens, et ce qui provient d’un discours politisé, livré facilement pour répondre aux questions d’étrangers. Ces questions sont-elles trop sensibles, trop indiscrètes, ou trop embarrassantes ? Est-il plus facile de répondre de façon neutre ou positive afin d’éviter des débats ou des jugements ? Ou bien sont-ils trop confus au sujet de questions qu’ils n’ont jamais eu à penser dans ces termes ? Il arrivait souvent que la même personne m’ait donné des commentaires contradictoires sur son expérience avec les Vietnamiens, en fonction de sa perception de mes propres impressions, ou de mon degré de connaissances locales auprès des Vietnamiens. J’ai eu parfois l’impression que mes informateurs ont pris en compte toute une série de précautions avant de parler, alors que dans d’autres cas, ils ont spontanément offert

80 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) leurs points de vue, qu’ils aient été neutres, positifs ou négatifs, indépendamment de leur contenu et de leur pertinence. Je pense qu’ici, la prudence d’un Chinois s’exprimant sur l’altérité tient également à son degré de relation avec les Vietnamiens, mais aussi à sa position dans la hiérarchie locale, une position qui dépend de facteurs tels que la génération, l’origine, les moyens économiques ou la réputation. En fonction de leur date d’arrivée et du type de rapports quotidiens entretenus avec la population vietnamienne, les habitants de Hekou ne ressentent pas non plus le même besoin d’exprimer leurs opinions sur ce qu’ils considèrent comme une caractéristique ordinaire de leur paysage social ou d’une forme relativement nouvelle de contact avec un étranger, un Autre qui peut d’ailleurs s’être mieux adapté aux contextes locaux qu’eux-mêmes. En ce sens, certains Vietnamiens sont plus facilement considérés comme « locaux » que les migrants venus de lointaines régions de Chine récemment installés à la frontière qui ne possèdent ni liens étroits avec leurs voisins étrangers, ni familiarité particulière avec le contexte social local.

Lao Zhou

Une bonne illustration de l’absence de consensus sur l’Autre est le cas de Lao Zhou. La cinquantaine, Lao Zhou est arrivé à Hekou au début des années 2000, après avoir échoué à retrouver des conditions de vie décentes dans sa province natale du Hubei, suite à la perte de son poste de cadre dans une unité de travail étatique. Lao Zhou passe habituellement son temps dans sa chambre louée, ou attablé devant sa pension à siroter une tasse de thé ou de café, occupé à vider les paquets de cigarettes et à discuter avec les commerçants voisins autour d’une partie de carte. La plupart du temps, il observe les activités de la rue d’un air légèrement condescendant, bien que son regard ne vise pas nécessairement les Vietnamiens, attitude courante parmi ses pairs. Avec les années, Lao Zhou se sent peu à peu isolé, et il admet désormais éviter trop d’échanges avec les commerçants chinois. « Les ruraux sont les seuls qui ont amélioré leur vie avec les réformes économiques. Ils ont migré et ont eu l’occasion de créer leur propre affaire. Mais nous [les urbains], nous n’avons 81 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

pas beaucoup bénéficié de ces changements. Je n’aime pas les ruraux, ils ne sont pas éduqués, je n’ai rien à partager avec eux, rien à leur dire. Ils sont rustres et incultes, ils croient qu’ils peuvent devenir quelqu’un avec de l’argent ! Écoutez-les parler, ils sont impolis et vulgaires. Nous sommes tous des migrants à Hekou, mais la plupart de ces commerçants viennent de la campagne, nous n’avons rien en commun. Ils s’estiment supérieurs au peuple vietnamien, ils ne savent rien. Il y a de très riches Vietnamiens ! Et honnêtement, la situation au Viêt Nam n’est pas si différente de celle de nos villages alentour. Mais ça ne les intéresse pas de réfléchir à ça. Moi, je respecte le peuple vietnamien. Je crois les Vietnamiens honnêtes, mais si vous les ignorez, ils peuvent alors vous tromper. Mais je ne les juge pas sous l’angle économique. »

Le ressentiment de Lao Zhou à l’égard de ses pairs d’origine rurale en raison de leur point de vue sur leurs voisins vietnamiens illustre la difficulté de décrire une attitude unifiée des Chinois sur le Viêt Nam, en dépit d’une certaine cohérence parmi les commentaires. Les origines et les histoires individuelles affectent de manière significative les attitudes des gens envers leur propre Autre, même si ce n’est pas toujours percep- tible. Lao Zhou se sent plus proche des valeurs et du comportement personnel des Vietnamiens que de ses partenaires économiques chinois qu’il méprise à cause de leur expérience de vie et de leur niveau culturel radicalement différents – selon lui. Bien que Lao Zhou, tel de nombreux autres commerçants, exprime ses préoccupations au sujet du futur de son entreprise en raison de la crise économique mondiale, il articule son amertume générale par la critique et les commentaires désabusés sur ses comparses qu’il accuse d’avoir l’esprit étroit. Il trouve un peu de réconfort dans les souvenirs nostalgiques du « bon vieux temps » de l’époque maoïste et parmi ses amis vietnamiens, avec qui le dialogue semble plus aisé, ces mêmes Vietnamiens que les migrants chinois qualifient d’arriérés et associent à l’incompétence dans le commerce et à l’incapacité de s’adapter aux changements et à la modernisation économique, « tout comme les Chinois étaient il y a vingt, voire trente ans ». À cet égard, l’ambivalent sentiment d’appartenance de Lao Zhou fait écho au discours sur la différence, l’indifférence et/ou la familiarité

82 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) avec l’altérité entendu au sein de nombreuses communautés de migrants Han en milieu minoritaire où la classe sociale, le genre et la position économique sur le marché sont aujourd’hui les facteurs de distinction sociale les plus signifiants. « Une fois, je me suis plaint du traitement général que nos gardes-frontières infligent aux Vietnamiens, en particulier aux femmes. Un matin, j’ai moi-même vu l’un d’eux frapper une porteuse. Je suis allé à la police pour déclarer l’incident et la défendre. Depuis, beaucoup de gens ont entendu parler de moi, les Vietnamiens me respectent. J’ai beaucoup d’amis à Lào Cai. Vous savez, les gens se plaignent toujours de la corruption dans l’administration vietnamienne, mais croyez-moi, les cadres chinois sont bien plus corrompus ! Au Viêt Nam, ils n’ont pas tellement de règles, mais celles qu’ils ont sont plus strictes. »

Lao Zhou possède en effet certaines connexions à Lào Cai parmi les commerçants vietnamiens et hoa69. Comme beaucoup d’habitants de Hekou, il va et vient sur le pont qui sépare les villes doublons, comme s’il traversait une route. « Allons prendre un bon café à Lào Cai ! » lance- t-il souvent. Pour certains, comme Lao Zhou, les frontières ne sont pas des lignes tangibles entre les deux pays, mais elles existent néanmoins entre les ensembles de valeurs. Des expressions telles que « respect de » et « solidarité envers » traduisent les valeurs fondamentales qui distin- guent le « nous » de « l’Autre ». La nouvelle diversité de la population urbaine contemporaine d’une ville migratoire comme Hekou modifie la dynamique de perception. Elle complique le discours folklorisant sur l’altérité en y ajoutant de nouveaux niveaux de distinction : la génération, la province d’origine, le contexte socio-économique, le

69 Les Hoa, au nombre de 823 071 selon le dernier recensement (2009) sont le groupe ethnique chinois du Viêt Nam. Établis depuis des siècles au Viêt Nam dans le secteur économique, ils ont fui massivement le régime après la Guerre du Viêt Nam, puis en 1978- 1979 durant le conflit qui opposa la Chine et le Viêt Nam à cause du Cambodge. Une partie d’entre eux sont revenus s’installer au Viêt Nam après l’ouverture économique du pays et le rétablissement des échanges frontaliers entre la Chine et le Viêt Nam à partir de la fin des années 1980. Par leur histoire et leur culture, ils se distinguent des migrants chinois plus récemment installés dans les centres urbains commerciaux du Viêt Nam. 83 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » niveau d’éducation, etc. Lao Zhou a probablement trop tendance à souligner sa sympathie pour les Vietnamiens comme une façon de critiquer divers aspects de la société chinoise. Car s’il ne considère pas les Vietnamiens comme ses pairs, il ne voit pas nécessairement non plus ses comparses chinois comme des semblables. Un tel point de vue, partagé par d’autres résidents de longue durée dans les villes frontalières, brouille une ligne clairement délimitée entre les Chinois et les Vietnamiens, et révèle un terrain confus où les rumeurs fleurissent. Explorons mieux à présent la dynamique et l’articulation des stéréotypes concernant Vietnamiens et Chinois qui se propagent parmi les communautés frontalières.

Photo 1. Le nouveau pont reliant Hekou à Lào Cai

Ce pont est situé sur l’axe autoroutier Kunming-Hanoi. Récemment mis en service, il est emprunté essentiellement par les transporteurs de commerce international. Source : Caroline Grillot, janvier 2009.

84 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) 3 - Quelques explications sur la pérennité des représentations sociales

Dans les conversations et les commentaires recueillis à Hekou, l’on identifie plusieurs niveaux de discours où les représentations sociales chinoises ou vietnamiennes trouvent source, sont formulées et se propagent. Le premier niveau est d’abord idéologique : la voix officielle est diffusée en fonction des relations diplomatiques et des politiques économiques du moment (dont les thèmes sont la collaboration, l’échange, les relations harmonieuses). Le second niveau se situe sur le plan individuel qui privilégie une approche empirique ancrée dans un savoir public subjectif.

L’approche idéologique

« To propagate the spirit of the frontier defence, to propel the strategy of showing the great love to the people and strengthening the frontier defence [sic]. »70

À sa façon, le slogan de propagande (en anglais dans la source originale : une banderole affichée sur le fronton du poste frontière de Hekou) ci-dessus donne le ton : celui d’un écart entre un discours officiel et les pratiques sur le terrain. La nature antithétique des liens historiques entre la Chine et le Viêt Nam (« ami-ennemi » et « aîné-cadet ») sous- tend encore la relation contemporaine de leurs peuples, malgré des efforts continus pour construire une nouvelle relation basée sur l’économie à travers leurs acteurs les plus directement impliqués : les commerçants locaux et les travailleurs migrants. Ici – comme c’est généralement le cas à chaque poste frontière principal du pays – l’accent est mis sur la notion de frontière et de défense. À d’autres moments, l’idéologie de la fraternité socialiste peut aussi stratégiquement émerger.

70 « Propager l’esprit de défense des frontières, propulser la stratégie de démonstration du grand amour au peuple, et renforcer la défense des frontières [sic] » (traduction de Caroline Grillot à partir de l’anglais, lui-même traduction approximative d’un slogan chinois). 85 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

Mais, comme le souligne l’ethnologue Zhang Juan (2011: 312), à propos de ses travaux sur Hekou : « [la] Mémoire à la frontière est pleine d’ambiguïté ; elle se trouve dans un état de liminalité qui oscille constamment entre l’oubli et le souvenir. Les gens de la frontière ne peuvent jamais oublier, ni totalement se souvenir, et demeurent aux limites de la réminiscence tout en s’efforçant d’aller de l’avant71. »

Quel que soit le message que le bureau de propagande de Hekou souhaite exprimer par ce slogan, cela ne semble pas suffisamment adapté à la nature des activités d’échanges intenses qui se produisent juste au-dessous de ces mots : un flux continu de carrioles remplies de quantités impressionnantes de produits prêts à être exportés de l’autre côté de la rive du Fleuve rouge. Que le dialogue dans les hautes sphères de décision des deux pays soit harmonieux ou non importe peu au niveau des relations de voisinage. Ce qui compte pour les populations locales, c’est l’impression que leurs voisins laissent derrière eux. Quel niveau de confiance faut-il accorder d’après ce que les comportements révèlent ? Comment peut-on établir des relations durables fondées sur des échanges empiriques ? En ce sens, ces slogans politiques paraissent obsolètes et enracinés dans une rhétorique politique lointaine qui ne résonne pas nécessairement au sein des populations chinoises.

L’expérience individuelle

Quiconque vit un certain temps à la frontière acquiert une connaissance empirique de son/ses voisins, à travers différentes formes d’interactions et d’expériences. Mais il reste difficile d’évaluer dans quelle mesure cette connaissance repose sur l’exactitude, ainsi que l’impact du jugement public, d’une personnalité ou d’un événement particulier. Guidés par une connaissance subjective publique, les gens élaborent leur perception d’un groupe social donné pour soutenir une réalité commune partagée par d’autres. Lorsqu’on leur a demandé ce qu’ils pensaient généralement de leurs voisins – les Vietnamiens ou les

71 Traduction de Caroline Grillot. 86 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Chinois – mes informateurs m’ont toujours livré des réponses spontanées révélant un large éventail de superlatifs. Une anecdote illustrait aussitôt un point de vue afin d’étayer sa pertinence. Ceux qui étaient présent lors de la conversation commentaient souvent et ajoutaient quelques éléments afin de souligner l’argument, de telle sorte qu’il n’y ait aucun doute sur sa véracité. Un migrant qui arrive dans une de ces villes frontalières écoute les expériences et opinions de chacun sur ses nouveaux voisins avant d’avoir l’opportunité d’approcher et d’échanger directement avec les Vietnamiens. Il identifie rapidement une certaine cohérence dans le discours des gens, bien que plutôt dépréciatif ; un tel discours ne correspondant pas nécessairement à celui, plus neutre ou orienté vers l’économie, qui émerge des médias et des propos officiels.

4 - Comment la position et le traitement réservés aux femmes déprécient l’image des Vietnamiens

Approcher les Vietnamiennes

Lorsque de nouveaux commerçants arrivent à Hekou avec pour ambition de se lancer dans le commerce frontalier, ils ont généralement déjà quelques connaissances de la ville. Ils viennent « faire un tour » ou « enquêter ». Dans cet espace de migration dédié au commerce frontalier, la plupart d’entre eux établissent leurs affaires en fonction de leur familiarité avec deux types de sphères : la sphère de compétence ou le secteur d’activité, et la sphère des laoxiang [les natifs des mêmes villages, villes ou provinces]. Ainsi, outre les indications nécessaires sur les règles du commerce que ces relations leur fournissent, les nouveaux arrivants sont également rapidement initiés au contexte social local. Comme quasiment partout ailleurs en Chine, les pratiques commerciales impliquent souvent une visite rituelle des lieux de divertissement locaux avec les partenaires commerciaux. Dans le cas de Hekou, cela inclut les repas au restaurant, les séances de karaoké, les visites au casino à la frontière, et parfois une visite express au Viêt Nam pour se familiariser avec l’environnement. Cela peut signifier un simple passage à Lào Cái, voire une escapade à Sapa, l’attraction touristique locale, ou même une

87 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » courte virée à Hanoi, la capitale. Cependant, la plupart des nouveaux arrivants entendent très vite parler du célèbre marché vietnamien de Hekou, où ils partent s’aventurer à un moment donné au cours de leur séjour. Dans ce lieu qui évoque clairement la présence de la population vietnamienne dans la ville, les nouveaux arrivants peuvent apprécier (ou déprécier) la gastronomie vietnamienne, acheter des produits exotiques (la plupart des magasins sont gérés par des Vietnamiennes) et essayer un massage offert par une jeune femme vietnamienne. En règle générale, l’ultime activité de découverte de la présence vietnamienne consiste à profiter des services sexuels proposés par une prostituée exotique, que ce soit sur place (dans l’un des nombreux bordels du marché) ou dans un hôtel de proximité. Les prostituées vietnamiennes sont devenues un outil important employé par les partenaires d’affaires locaux pour créer la familiarité avec l’Autre et construire un partenariat (Grillot 2009). Ces femmes offrent à la fois une représentation séduisante de leur pays, et d’un point de vue relationnel, une perspective engageante du Viêt Nam. Tandis que les nouveaux arrivants profitent de ces rencontres avec leurs nouveaux voisins, ils viennent aussi observer de façon plus spécifique comment leurs compatriotes organisent leurs activités commerciales en collaboration avec leurs partenaires vietnamiens. Par exemple, les grossistes en biens de consommation – la grande majorité des commerçants chinois à Hekou – font appel à des porteurs vietnamiens pour transporter leurs marchandises au Viêt Nam, que ce soit par voie légale ou par voie de contrebande. La majorité de ces (trans)porteurs sont des Vietnamiennes, dont la force, l’autonomie et l’efficacité sont très appréciées. Par ailleurs, au cours de leurs premiers voyages d’affaires au Viêt Nam, les Chinois profitent des services de guides locaux, activité largement dominée par les femmes. Toujours dans le domaine des services, les commerçants embauchent souvent des Vietnamiennes (beaucoup d’entre elles étant d’origine hoa) pour traduire les négociations, les discussions et les transactions avec leurs clients vietnamiens. Le rôle de négociatrices qu’elles jouent aide à surmonter les malentendus culturels et à établir une coopération efficace et des relations de confiance entre les peuples vietnamien et chinois. Le fait d’être les acteurs privilégiés des interactions directes entre associés met ces femmes – souvent jeunes et célibataires – dans la position de représentantes de l’altérité. Par

88 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) conséquent, plus les nouveaux arrivants passent de temps à Hekou, plus ils remarquent les différents niveaux de relations entre acteurs locaux chinois et vietnamiens, et plus ils se créent des « images » à partir de leurs perceptions, leurs expériences et l’intégration du discours local, qui, en retour, s’enrichit de nouvelles validations et variantes.

Le machisme vietnamien en question

Monsieur Tang, la soixantaine, est un commerçant de Yiwu (province du Zhejiang) arrivé à Hekou avec son fils en 2007 pour ouvrir un commerce de gros de tissus de rideaux. Il a déjà visité le Viêt Nam et n’est pas vraiment enthousiaste à ce sujet. Ses impressions sur le peuple vietnamien qu’il a côtoyé depuis qu’il est arrivé à Hekou sont mitigées. Monsieur Tang, ravi de partager son point de vue, semblait particuliè- rement intéressé par la question des rapports de genre : « Les hommes vietnamiens frappent leurs épouses publi- quement ! Mei you mianzi [ils perdent la face]... En Chine, nous méprisons un homme s’il bat sa femme devant les autres, mais au Viêt Nam, c’est normal, c’est la façon dont un homme montre son autorité. En chinois, nous avons un dicton: jia chou bu ke wai yang [on ne lave pas son linge sale en public]. »

Et si les clichés ont la vie dure, les réalités observables au quotidien peinent encore à les contredire, comme en attestent le nombre d’études sur la violence domestique au Viêt Nam (Rydstrøm 2003 : 676-697). Ces études soutiennent les insinuations de Monsieur Tang en montrant que la limite entre les sphères domestique et publique au sein desquelles les maris vietnamiens peuvent exprimer leur mécontentement, notamment par des agressions physiques, est relativement floue dans la société vietnamienne. Par ailleurs, plusieurs informateurs en Chine m’ont affirmé qu’il est difficile de faire confiance à un homme qui fait travailler sa femme. L’établissement des relations commerciales souffre donc de ces perspectives personnelles qui entachent l’image des marchants et travail- leurs vietnamiens : la prise de responsabilités d’un homme se mesure avant tout à sa façon de gérer sa vie personnelle. Monsieur Tang poursuit :

89 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

« En Chine, un homme riche peut éviter de travailler dur et se permettre de profiter d’une certaine oisiveté, mais un homme pauvre sera méprisé s’il ne tente rien pour améliorer son quotidien, et s’il se contente d’envoyer sa femme travailler pour faire vivre la famille. Au Viêt Nam, c’est différent, nanren chi ruan fan [les hommes mangent du riz mou], ça ne les dérange pas ».

Tel de nombreux autres commerçants établis ou en devenir dans les bourgades frontalières commerçantes de la frontière sino-vietnamienne, Monsieur Tang exprime à demi-mot les difficultés rencontrées auprès de ses partenaires vietnamiens pour mettre en place une collaboration à long terme, faite de contrats respectés et de communication honnête. À cela, il faudrait opposer le discours vietnamien sur lequel des chercheurs se penchent déjà (Turner 2010 : 265-287, Endres : 2012) et qui permettront d’identifier ce qui réellement, aujourd’hui, crée un frein au développement économique espéré dans ces régions.

Conclusion

Que ressort-il de ces expériences sur l’anticipation et la réalité des collaborations ? Ce chapitre visait à illustrer par des exemples concrets le contexte dans lequel les échanges humains puis commerciaux s’opèrent entre Chinois et Vietnamiens, notamment depuis la réouverture de la frontière et la reprise active des activités économiques, fussent-elles du domaine régulier ou parallèle. Fondé sur de nombreuses conversations avec les petits commerçants et entrepreneurs chinois de Hekou, ce rapide aperçu de la fragilité des rapports sociaux démontre l’impact du contexte historique, idéologique et culturel, mouvant et sensible dans lequel une dynamique renouvelée d’échanges tente de se maintenir. Les tensions existant entre des communautés touchées par le bouleversement des valeurs et la restructuration des hiérarchies et des frontières sociales dans leur société respective révèlent qu’il est aussi difficile de faire abstraction des différences que de négocier efficacement le dépassement

90 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) des stéréotypes pour mener à bien les projets personnels dans un environnement où tout incite à la prudence72.

72 Dans la contribution à venir de l’ouvrage collectif (Grillot et Zhang), il s’agira d’explorer davantage le rôle de certaines catégories professionnelles dans la mise en place des modes de communication entre deux communautés d’acteurs économiques. Le rôle des prostituées vietnamiennes de Hekou, ainsi que la place des femmes dans la nature et la pérennité des échanges seront mis en lumière. 91 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

92 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Troisième Partie La Chine au Laos : développement, colonialisme intérieur ou néo-colonialisme ?

Au cours de ces dernières années, le Laos a attiré l’attention des journalistes en recherche de nouvelles sensationnelles. Ce pays commu- niste, pauvre et enclavé est devenu l’exemple typique pour décrire la manière dont la Chine serait en train de prendre pied en Asie du Sud- Est, en insistant sur la peur d’une « invasion chinoise rampante » qui siphonnerait les ressources naturelles du Laos et mettrait en péril sa souveraineté nationale et son intégrité territoriale73. Cette analyse a été

73 Denis D. Gray, 2004, « China exerting more influence over Laos », Associated Press, 3 avril, http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/articles/A47397-2004Apr3_2.html?sec tions=http://www.washingtonpost.com/wp-dyn/world [consulté le 21 janvier 2008] ; Pascale Nivelle, 2007, « Laos Vegas », Libération, 17 avril, http://www.liberation.fr/grand- angle/2007/04/17/laos-vegas_90554 [consulté le 21 janvier 2008] ; Bertil Lintner, 2007, « China’s Third Wave, Part 1. A New Breed of Migrants Fans Out », Asia Times Online, 17 avril, http://www.atimes.com/atimes/China/ID17Ad03.html [consulté le 21 janvier 2008] ; « Chinese investors invades Laos », The Nation, 8 octobre 2007, http://www.nation multimedia.com/home/2007/10/08/regional/-Chinese-investors-invade-Laos-30051701.html [consulté le 21 janvier 2008] ; Bertil Lintner, 2008, « Fear of foreigners in Laos », Asia Times Online, 2 février, http://www.atimes.com/atimes/Southeast_Asia/JB02Ae01.html [consulté le 20 février 2008] ; Denis D. Gray, 2008, « Laos Fear China’s Footprint », Associated Press, 6 avril, http://www.freerepublic.com/focus/news/1997633/posts [consulté le 30 juin 2008] ; Daniel Allen, 2009, « China in Laos : counting the cost of progress, Asia Times Online, 19 septembre, http://www.atimes.com/atimes/Southeast _Asia/KI19Ae01.html [consulté le 15 décembre 2009] ; « China in Laos. Busted flush. How a Sino-Lao special economic zone hit the skids », The Economist, 26 mai 2011, http://www.economist.com/node/18744577 [consulté le 1er juin 2011] ; Ron Gluckman, 2011, « Golden Boten City. Bungle in the jungle », Forbes Asia, 27 juillet, http://www.forbes.com/global/2011/0808/companies-laos-china-economy-gambling- gangsters-bungle-jungle.html [consulté le 1er août 2011]. 93 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » renforcée par les images des immenses casinos construits dans le nord du pays, où la monnaie et la langue chinoise sont omniprésentes, véhiculant l’idée que la Chine est en train de coloniser le territoire laotien, et que « Vientiane a effectivement cédé sa souveraineté à Pékin74 ». Les liens croissants entre le Laos et la Chine inquiètent également de nombreux observateurs, chercheurs et développeurs, qu’ils soient laotiens ou étrangers. Les ONG internationales ont exprimé leurs préoc- cupations quant à la stratégie de développement mise en œuvre par le Seventh National Socio-Economic Development Programme (2011–2015) qui repose principalement sur les investissements étrangers pour développer le secteur minier, l’hydroélectricité et l’agriculture commerciale. Sans mentionner spécifiquement la Chine, ces derniers ont pointé l’éventualité d’impacts négatifs considérables des IDE sur l’environnement et le développement socio-économique du pays, exhortant le gouvernement laotien à envisager de réduire le rythme et l’ampleur de ses projets (INGO 2010). Ces inquiétudes se posent d’autant plus dans un pays où 80 % de la population est dépendante des ressources naturelles pour sa survie. Les ONG internationales dénoncent le problème de l’expropria- tion des terres, la fragilisation des paysans à cause de la monoculture de l’hévéa, ainsi que la déforestation qui touche de plus en plus les zones naturelles protégées, accentuant les phénomènes d’érosion, et par conséquent, les risques d’inondation. Malgré ces avertissements, le gouvernement laotien n’a pas l’intention de changer sa stratégie « turning land into capital », fondée sur la location des terres et l’exploitation des ressources naturelles comme principaux moteurs du développement national (Dwyer 2007), dans la mesure où ce type de développement a permis au Laos de traverser la crise économique mondiale de manière relativement indemne75.

74 Shawn W. Crispin, 2010 « The Limits of Chinese Expansionism », Asia Times Online, 23 décembre, http://atimes.com/atimes/Southeast_Asia/LL23Ae01.html [consulté le 21 janvier 2011]. 75 Cette nouvelle stratégie économique a permis au Laos de maintenir un taux de croissance élevé (autour de 7-8 %). De plus, le Laos a réussi à mieux traverser la crise financière de l’automne 2009 que ses voisins en affichant un taux de croissance de 6,4 %, soit le deuxième meilleur taux d’Asie (World Bank 2009). 94 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Assistons-nous aujourd’hui à l’émergence d’un « néo-colonialisme avec des caractéristiques chinoises », ou au contraire, à une réelle opportunité de croissance offerte au Laos grâce à l’extraordinaire capacité humaine et financière de la Chine ? Cette question ne se pose pas uniquement pour le Laos, mais aussi pour de nombreux pays africains qui permettent à la Chine de sécuriser son accès aux matières premières (Alden et al. 2008 ; Ma Mung (2009 ; Alden, Khalfa et Yoon 2010 : 23-204). Le modèle de développement exporté par la Chine à travers le monde est considéré par de nombreux analystes comme une menace pour la souveraineté des États faibles (Kurlantzick 2007 ; Eisenman, Heginbotham, et Mitchell 2007). Le cas périphérique du Laos, qui partage de nombreuses similitudes avec les pays africains aux prises avec la « malédiction des ressources naturelles » (resource curse), souligne la nécessité d’aller au-delà de l’analyse récurrente des États faibles dominés par le géant chinois. C’est en effet un bon exemple pour illustrer l’asymétrie entre la Chine et les pays d’Asie du Sud-Est, ainsi que les stratégies développées par ces derniers pour gérer l’inégalité de leurs relations. Si les réseaux chinois apparaissent comme de nouveaux régimes de pouvoir et d’accumulation économique, une sorte d’ « État de l’ombre » (shadow state, Walsh 2009) qui semblent concurrencer, voire saper l’autorité régulatrice de l’État, il me semble au contraire que l’État-nation laotien est loin de disparaître ou de s’éroder. Dans le débat sur le rôle de l’État dans la globalisation néolibérale – « retrait ou redéploiement ? » (Hibou 1998 : 151-168) – il m’apparaît nécessaire de dépasser l’image misérabiliste d’un État laotien faible, victime de la globalisation et de « l’ouragan chinois », régulièrement véhiculée par les médias et les spécialistes, pour envisager une posture moins passive. Il n’est pas question de nier les possibilités d’autonomisation des acteurs ni d’affirmer que les relations soient symbiotiques ou harmonieuses, mais derrière les conflits et les concurrences, les possibilités de gouvernement et de contrôle indirects sont plus grandes qu’on ne le perçoit au premier abord. L’hypothèse défendue ici est que les nouveaux réseaux chinois constituent en réalité une aubaine pour le pouvoir laotien. D’une part, ils lui permettent d’engager la modernisation économique du pays en réalisant la « mise en valeur du territoire » qui n’a jamais pu être réalisée pendant la période coloniale. En contribuant de façon importante, voire

95 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » déterminante à l’économie nationale, ils servent de médiateurs essentiels entre l’État et l’économie globale. D’autre part, ils participent à la restructuration du pouvoir et lui donnent les moyens de s’adapter à la globalisation néolibérale, en lui offrant de nouvelles possibilités de régulation et de contrôle sur son territoire et sa population. Autrement dit, les réseaux chinois jouent un rôle crucial dans la nouvelle architecture du pouvoir en formant des régimes de régulation et d’accumulation économique indispensables pour la survie et le redéploiement de l’État laotien. Dans une continuité historique, les réseaux chinois font partie des stratégies d’extraversion développées par l’État laotien qui consistent à mettre en concurrence les puissances régionales rivales pour survivre. Pour ce qui est du terme « extraversion », il renvoie très explicitement ici au concept développé par Jean-François Bayart (2006 : 43) pour décrire le processus de formation des États africains : « Les acteurs dominants des sociétés subsahariennes ont incliné à compenser leurs difficultés à autonomiser leur pouvoir et à intensifier l’exploitation de leurs dépendants par le recours délibéré à des stratégies d’extraversion, mobilisant les ressources que procurait leur rapport – éventuellement inégal – à l’environnement extérieur. »

Bien que cette analyse concerne les États africains, je tenterai de montrer que ce concept d’extraversion permet de mieux comprendre le processus de formation de l’État au Laos, ainsi que la manière de gérer l’inégalité des relations avec la Chine. Je suggère que la stratégie d’extraversion déployée par les élites n’est pas une pratique récente, mais se trouve au cœur des fondations historiques de l’État laotien. Pour défendre cette hypothèse, cette recherche s’est concentrée sur le nord du Laos qui cristallise l’ensemble des enjeux auxquels le pays doit faire face actuellement. En effet, cette région montagneuse, pauvre et reculée, peuplée en grande partie par des minorités ethniques, fait partie du Quadrangle économique, un des projets phares du GMS (Greater Mekong Subregion), un programme d’intégration régionale soutenu par la Banque asiatique de développement. Le projet du Quadrangle économique est sans conteste le plus ambitieux, car cet espace transnational (État shan en Birmanie, nord de la Thaïlande et du Laos, province chinoise du

96 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Yunnan) – correspondant grosso modo au Triangle d’or – est plus connu pour son passé sulfureux en tant que foyer historique de production d’opium et d’héroïne. La globalisation a permis de réactiver les connexions culturelles et commerciales au sein de cet espace transnational historique qui était autrefois intégré dans une économie- monde grâce aux caravanes chinoises (Lieberman 2003). Aujourd’hui, les pistes des caravanes chinoises ont laissé la place à un réseau routier, fluvial et aérien de plus en plus dense, dont l’objectif est de transformer cette périphérie sous-développée en un vaste espace de libre-échange. Depuis 2008, le corridor Nord-Sud – schématiquement une autoroute qui relie Kunming à Bangkok en traversant les provinces septentrionales du nord du Laos (cf. Figure 7) – est en train de bouleverser le paysage physique, humain, et économique de la région, en devenant une voie de pénétration privilégiée en Asie du Sud-Est pour les compagnies et les migrants chinois, venus saisir les opportunités économiques qu’offre ce pays sous-peuplé et riche en ressources naturelles. Les nouveaux migrants chinois sont décrits comme une « armée de fourmis » qui menacent l’identité culturelle lao et pillent les richesses du pays avec la bénédiction et la complicité de fonctionnaires corrompus. Dans le même temps, les investissements chinois sont les principaux moteurs d’une croissance économique que le Laos n’aurait jamais pu expérimenter sans ses nouveaux partenaires. À contre-courant de la rhétorique contemporaine sur la globalisation qui a décrété le retrait de l’État, l’analyse de la région-frontière du Nord du Laos illustre le redéploiement de l’État postsocialiste grâce à la réappropriation des techniques, savoirs et procédures de la rationalité néolibérale. Dans ce cadre, les réseaux transnationaux chinois jouent un rôle déterminant dans la production d’une gouvernementalité76

76 Ce que Michel Foucault (2004 : 111) appelle « l’art de gouverner » : « Par gouver- nementalité, j’entends l’ensemble constitué par les institutions, les procédures, analyses et réflexions, les calculs et les tactiques qui permettent d’exercer cette forme bien spécifique, quoique très complexe de pouvoir qui a pour cible principale la population, pour forme majeure de savoir l’économie politique, pour instrument essentiel les dispositifs de sécurité. Deuxièmement, par “gouvernementalité”, j’entends la tendance, la ligne de force qui, dans tout l’Occident, n’a pas cessé de conduire, et depuis fort longtemps, vers la prééminence de ce type de “gouvernement” sur tous les autres : souveraineté, discipline, et qui a amené, d’une part, le développement de toute une série d’appareils spécifiques de gouvernement, et, d’autre part, le développement de toute une série de savoirs. » 97 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » néolibérale qui permet à l’État central de consolider son autorité dans les marges de son territoire. Cette nouvelle technique de gouvernement positionne ainsi les réseaux chinois en tant que partenaires clés dans la stratégie d’extraversion et le projet de last enclosure (Scott 2009) mis en œuvre par l’État laotien pour rentabiliser les territoires sous-exploités du Nord et domestiquer des populations montagnardes historiquement rebelles vis-à-vis de l’autorité centrale. Ces marges constituent des « frontières ressources » (resource frontiers, Tsing 2004) importantes pour l’État central, car elles incarnent des « espaces de transition capitaliste » (Barney 2009 : 146-159), où les frontières entre le licite et l’illicite sont devenues floues, mais dont l’imbrication des pratiques participe à son processus de formation. À partir d’enquêtes de terrain au Laos entre 2007 et 2009 réalisées auprès de commerçants chinois et d’officiels laotiens dans les trois provinces du Nord du Laos (Luang Namtha, Oudomxay, et Bokéo) affectées par la construction du corridor Nord- Sud, je tenterai de montrer comment le régime communiste laotien utilise ses partenaires chinois pour renforcer le pouvoir de l’État dans les marges de son territoire77.

1 - Évolution de la présence chinoise au Laos

Le Laos, une exception dans l’histoire de la diaspora chinoise Asie du Sud-Est

Jusqu’à présent, le Laos faisait figure d’exception dans l’histoire de la migration chinoise en Asie du Sud-Est, en raison de la faiblesse et de la diversité de ses communautés chinoises. Malgré le partage d’une frontière commune avec la Chine, la présence chinoise au Laos a toujours été extrêmement réduite par rapport aux pays voisins (cf. Figure 3). Cette différence singulière s’explique tout d’abord par le fait que le mauvais état des voies de communication et l’enclavement du pays limitaient les opportunités commerciales. Surtout, la diaspora

77 Pour une analyse plus approfondie, cf. Ma thèse soutenue en 2011, ainsi que mes autres articles (cf. bibliographie). 98 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Figure 7. Le quadrangle économique

Limite de province Corridor Nord-Sud Poste frontière local Poste frontière international Route Pont en construction Aéroport port ZES Zone d’enquête

Les corridors de développement du GMS au Laos

Itinéraires des enquêtes de terrain Itinéraires par voie: terrestre / fluviale 2008 : mai-août 2007 : novembre 2008 : mars, mai-août, sept.-oct. 2009 : mai-juillet

Limite de province Poste frontière local Poste frontière international Route Port Zone d’enquête

Source : données compilées par Danielle Tan, 2011. Atelier de cartographie de SciencesPo, 2011.

99 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » chinoise des premières périodes arrivait presque essentiellement par la voie maritime, et le Laos est le seul pays d’Asie du Sud-Est à ne pas avoir d’accès à la mer. En fait, les huaqiao qui se retrouvaient au Laos n’avaient pas réussi à prospérer en Thaïlande, au Cambodge ou au Viêt Nam (Halpern 1961 : 6). À l’instar de la Birmanie et la Thaïlande, le Laos avait la particularité d’abriter deux catégories distinctes de « Chinois ». Le Nord accueillit une population chinoise en provenance du Yunnan (Chin Ho - ຈີນຫ78 ) : à la suite des révoltes chinoises de la fin du XIXe siècle, constituée en majorité de caravaniers, trafiquants ou bandits. Ce petit groupe se distinguait à peine parmi les nombreuses minorités ethniques qui habitaient cette région. Ils ont été rejoints en 1949 par les soldats du KMT qui fuyait l’Armée populaire de libération (APL). En revanche, le centre et le sud du pays abritèrent une communauté chinoise d’outre-mer plus importante, originaire des provinces méridionales de Chine (Guangdong, Fujian, Hainan). Bien que ces derniers aient été peu nombreux à la fin de la période coloniale, ils dominaient néanmoins l’économie laotienne grâce à un processus d’intégration par le mariage. Les groupes chinois les plus aisés avaient en effet adopté une stratégie d’alliance matrimoniale, échangeant à travers ces unions leur capital économique contre le capital symbolique des grandes familles lao. De la même manière qu’en Thaïlande ou au Cambodge, l’assimilation n’était pas complète ; on assistait plutôt à l’émergence d’une communauté « créolisée » pour reprendre l’expression de Skinner (1996 : 51-93).

78 Le terme Ho/Haw (ou Chin Ho/Haw), utilisé dans les langues thaïlandaise de Chiang Mai, Luang Prabang et du Sipsongpanna, qualifiait la minorité chinoise montagnarde de confession musulmane originaire du Yunnan, les distinguant ainsi des huaqiao venus en masse en Asie du Sud-Est pendant la période coloniale. Il faut revenir aux chroniques thaïlandaises du XIIIe siècle pour retrouver les origines de ce nom, qui désignait tous les Chinois venus par la terre (overland Chinese). Ce terme s’est répandu au XVIe siècle pour nommer les caravaniers chinois musulmans qui sillonnaient les montagnes du Haut Mékong. Jusqu’au XIXe siècle, ce terme regroupait essentiellement les Chinois musulmans, mais à partir du XXe siècle, l’afflux de Chinois du Yunnan non musulmans, venus par la terre, a brouillé le sens (par exemple, les Chin Ho de Phongsaly dans le Nord du Laos ne sont pas musulmans). Pour les Chinois, les Ho sont connus sous le terme de Hui (回族 – huizu), c’est-à-dire Chinois musulmans (Mote 1967 : 487-524 ; Forbes 1988 : 289-294 ; Hill 1998). Ces mêmes caravaniers Hui, une fois sédentarisés après leur migration en masse à la fin du XIXe, sont toujours connus en Birmanie sous le nom de Panthay par lequel sont désignés les musulmans chinois de Birmanie. 100 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Le contexte de la Guerre du Viêt Nam fut un âge d’or pour les Chinois au Laos, car la présence américaine relança la migration chinoise. Craignant que le Laos ne tombe aux mains des communistes comme au Viêt Nam après le départ des Français, les Américains injectèrent une aide abondante qui contribua à un essor économique et à un développement du commerce, avec la Thaïlande en particulier. Un nombre important de Chinois de Thaïlande s’installa sur les bords du Mékong, et dans les années 1956-1957, ce fut au tour des Chinois de Hong Kong et de Saigon de venir au Laos pour spéculer et profiter de la mauvaise gestion de l’aide (Halpern 1961 : 2). La prise du pouvoir par le Pathet Lao en 1975, dans le sillage de la chute de Saigon et de Phnom Penh, mit temporairement fin à la domination économique des Chinois au Laos. La communauté chinoise passa de 100 000 (ou 40 000)79 à 10 000 personnes en 1975. En tant que citadins et considérés comme des « capitalistes », les communautés chinoises de ces trois pays furent chassées par les nouveaux régimes communistes. Elles trouvèrent refuge principalement dans les pays occidentaux80. Le gel des relations entre la Chine et le Laos, suite au conflit sino- vietnamien (du 17 février au 16 mars 1979) déclenché par l’invasion du Cambodge en janvier 1979 par les troupes vietnamiennes, effaça les dernières traces d’un semblant de communauté chinoise dans le Nord. En effet, le Laos se rangea derrière son allié vietnamien. La Chine dut rappeler ses 5 000 soldats qui construisaient alors les routes dans le Nord, et fermer son consulat à Oudomxay (Walker 1999 : 59). Considérée comme une « cinquième colonne », la petite communauté qui resta au Laos mit en sommeil son identité chinoise.

79 Le chiffre de 100 000 a été avancé par l’Association des Chinois de Vientiane, alors que la plupart des sources officielles enregistraient 40 000 personnes (Rossetti 1997 : 27). 80 Au total, ce sont plus de 1 500 000 réfugiés de l’ancienne Indochine française qui ont été accueillis principalement aux États-Unis (870 000 personnes), en Chine (283 000 Vietnamiens d’origine chinoise), en Australie (120 000 personnes), au Canada (120 000 personnes), et en France (120 000 personnes) (Lê Huu Khoa 1989 : 143). Les enquêtes de George Condominas et Richard Pottier estiment que sur l’ensemble des réfugiés d’Asie du Sud-Est accueillis en France, plus de 50 % étaient d’origine chinoise (1982 : 90-92). 101 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

La nouvelle géographie de la présence chinoise au Laos

Cette parenthèse ne dura finalement que peu de temps. À partir de la fin des années 1980, le changement de la donne géopolitique internationale provoqué par la chute du mur de Berlin a conduit à l’installation d’un nouvel ordre régional qui a entériné le retour de la puissance chinoise en Asie du Sud-Est. La visite du Premier ministre Li Peng à Vientiane en 1990 marqua un tournant dans les relations Chine- Laos. Aussitôt, le fait d’être Chinois était redevenu un avantage, les écoles et les magasins chinois commencèrent à rouvrir progressivement. Cependant, déjà bien réduite par rapport aux pays voisins (cf. Figure 4), le renouveau de la présence chinoise au Laos ne viendra pas des huaqiao, mais de l’afflux d’une nouvelle vague de migrants (xin yimin81) qui a commencé à déferler dans le Nord à partir de la fin des années 1990, d’une ampleur que le pays n’avait jamais connu auparavant, faisant du Nord le nouveau foyer chinois du Laos. Les premiers migrants chinois vinrent à partir du milieu des années 1990 en tant qu’ouvriers ou techniciens dans le cadre des projets de construction de routes et de coopération industrielle entre le Yunnan et les provinces de Luang Namtha et d’Oudomxay82. Certains restèrent pour monter leur affaire, tandis qu’un nombre croissant de migrants, originaires du Yunnan voisin comme des provinces plus éloignées du Hunan, du Sichuan ou du Zhejiang, commencèrent à affluer pour tenter leur chance. Pour une grande majorité d’entre eux, le Laos n’est pas leur première migration. Ainsi, si l’écrasante majorité des petits commerçants que j’ai rencontrés dans les marchés du Nord du Laos sont originaires du Hunan, un grand nombre d’entre eux a d’abord migré vers le Yunnan où ils exerçaient une activité commerçante. Parce qu’ils ne pouvaient faire face à la concurrence féroce en Chine, ils se sont résignés à explorer d’autres possibilités de migration. Ils sont arrivés dans le

81 Toutefois les migrants ne se désignent pas comme des xin yimin ou yimin, car même s’ils ne savent pas combien de temps ils vont rester au Laos, ils ont le projet de retourner en Chine. Ils disent simplement qu’ils sont Chinois (zhongguo ren). 82 Notamment des coopérations liées à la prospection minière, l’agriculture, le commerce le tourisme et la santé (Walker 1999 : 132-133). 102 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Nord du Laos, car ils avaient entendu parler de la nouvelle route qui allait bientôt rejoindre Kunming à Bangkok, et apporter avec elle de nouvelles opportunités économiques dans un pays où tout était encore à faire, et dont ils ne connaissaient parfois pas même le nom ou la localisation sur une carte. La diffusion géographique de la migration chinoise a suivi la progression des travaux à l’intérieur des provinces, vers les villages plus reculés, à l’instar de la route 17B entre Muang Sing et Xieng Kok dans la province de Luang Namtha, mais elle a surtout accompagné l’avancement de la route 3E en direction de Bokeo, vers la frontière thaïlandaise (Lyttleton et al. 2004). Ce n’est qu’à partir de 2006- 2007 que le département du Travail et des Affaires sociales de la province de Bokeo a commencé à dresser des statistiques détaillées sur les travailleurs chinois, coïncidant avec l’ouverture du nouveau marché chinois de Houayxay et l’arrivée des compagnies chinoises développant l’hévéa. Officiellement, le nombre de résidents chinois au Laos s´élèverait à 30 000, dont la grande majorité serait établie dans le Nord, mais ils pourraient être dix fois plus nombreux83. En réalité, de l’aveu même des officiels laotiens, le système administratif actuel ne permet pas d’évaluer leur présence parce qu’ils utilisent souvent des prête-noms lao pour créer leur activité, ou s’installent illégalement, mais surtout parce que cette population est extrêmement mobile84. De toute manière, le contrôle strict des flux migratoires transfrontaliers dans le Nord du Laos serait impossible à cause de la porosité des frontières formées naturellement par les montagnes et le Mékong, et de l’inaccessibilité de certaines zones en saison des pluies.

83 Ce chiffre de 30 000 travailleurs chinois est donné par l’ambassade de Chine au Laos, mais les représentants chinois reconnaissent que leur nombre doit être plus élevé dans la mesure où il est impossible de comptabiliser les nombreux commerçants qui font des allers-retours réguliers entre la Chine et le Laos. Le bureau des Chinois d’outre-mer de Taiwan avançait le chiffre de 185 765 pour 2005, tandis qu’en 2002, Asian Migrant Centre et Mekong Migrant Network estimait à 80 000 le nombre de migrants chinois au Laos. Les statistiques concernant le recensement de la population chinoise dans les provinces du Nord sont analysées dans ma thèse. 84 Un simple laissez-passer fourni aux postes frontières internationaux et locaux permet aux citoyens chinois de circuler dans les quatre provinces du Nord (Oudomxay, Luang Namtha, Bokéo et Phongsaly) pendant une durée de dix jours, prolongeable de dix jours. 103 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

Leur installation durable dans les principales capitales provinciales et de district du Nord Laos constitue le fait le plus visible et le plus marquant de ces dix dernières années. Les enseignes écrites en caractères chinois font désormais partie du paysage urbain et il est fréquent d’entendre parler chinois. Depuis que les lignes de bus privés chinois relient efficacement les villes proches du Yunnan (Kunming, Jinghong et Mengla) avec les principales villes du Nord Laos, la migration chinoise s’est accélérée et a permis une pénétration dans les villes secondaires, telles que Pakbeng, Xieng Kok, ou Müang Long. La progression de la migration chinoise ne se limite pas à la zone du corridor Nord-Sud, mais s’étend jusqu’à Phongsaly, une des provinces les plus isolées du Laos. Cependant, cette migration vers Phongsaly ne constitue pas une surprise car cette province abrite une importante communauté chinoise ho. En raison de leur double culture – ils parlent aussi bien lao que le dialecte yunnanais, proche du mandarin – les Ho constituent d’ailleurs un maillon crucial des réseaux transnationaux chinois, en jouant tantôt le rôle d’interface avec l’administration laotienne, tantôt de traducteur, de partenaire d’affaires ou de prête-nom. Traditionnellement en charge du commerce, les Ho ont su tirer profit de l’arrivée des nouveaux commerçants chinois, comme en témoignent les récents marchés de Luang Namtha, Oudomxay et Müang Sing qui regroupent les marchands lao et chinois, tous construits par des entrepreneurs ho. Dans certains villages frontaliers de la province de Luang Namtha, on observe que d’autres groupes ethniques, comme les Tai Lü, les Hmong ou les Akha, tentent également de s’adapter à la transition vers une agriculture contractuelle (maïs, canne à sucre, hévéa) produit par l’afflux d’investissements chinois à partir des années 2000, en développant les échanges avec leurs phi nong (ພນອງ – proches parents, frères) basés dans le Yunnan. Toutefois, les récentes études de terrain indiquent que cette tendance n’est ni généralisable ni majoritaire (Lyttleton et al. 2004 ; Shi 2008 ; Diana 2009). D’après mes observations de terrain, j’ai pu constater que la situation avait évolué vers une forte féminisation de la population migrante et une installation en famille sur le territoire laotien, ce qui permet aux commerçants de rentrer régulièrement à tour de rôle en Chine, sans avoir à arrêter leur activité. Les familles saisissent même l’opportunité d’être installées au Laos pour faire plusieurs enfants (surtout des garçons), ce 104 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) qui serait difficile en Chine avec la politique de l’enfant unique. Quand ils ont des enfants en âge d’aller à l’école, ils préfèrent les laisser avec les grands-parents pour recevoir une éducation chinoise, considérée de meilleure qualité, et qu’ils ne pourraient de toute manière pas recevoir au Laos, ou uniquement à Vientiane, à l’école chinoise Liao Dou, qui assurent un enseignement en chinois et en lao jusqu’au baccalauréat. Si les nouveaux migrants ne sont pas encore organisés en associations, comme l’étaient les Chinois d’outre-mer pendant la période coloniale, les restaurants-hôtels servent pour l’instant de substituts dans la structuration des réseaux transnationaux en endossant de multiples fonctions. Ils sont à la fois des lieux de rencontre et de sociabilité où la communauté chinoise se retrouve, des annexes de bureau pour les compagnies chinoises, des entrepôts pour les commerçants et font aussi offices de billetterie pour les lignes de bus. Ces petits entrepreneurs sont souvent engagés dans différentes activités, telles que la direction d’un magasin dans une autre ville, d’une entreprise de transport ou dans la production d’hévéas85. En raison de la faiblesse de leurs capitaux, ils montent en général de petites exploitations, ou servent de sous-traitants et de superviseurs pour le compte de plus grosses compagnies chinoises (Shi 2008). À côté de la migration de petits entrepreneurs, les investisseurs chinois les plus importants sont les entreprises d’État et les multi- nationales, dont les fonds proviennent de Macao, de Hong Kong, de Chine continentale ou de la diaspora chinoise. Alors que les premiers apportent des investissements lourds pour développer l’activité agricole, industrielle ou minière (Rutherford et al. 2008), les seconds ont choisi le secteur touristique, et plus particulièrement le tourisme lucratif autour des casinos. Ces investissements massifs ont fait passer le rythme des transformations territoriales à une vitesse supérieure, à l’instar des zones économiques spéciales de Boten à la frontière sino-laotienne et du Triangle d’or dans la province de Bokéo, en face de la Thaïlande et de la Birmanie, qui sont devenues de véritables enclaves bénéficiant d’un régime d’extraterritorialité rappelant ironiquement les concessions imposées à la Chine au milieu du XIXe siècle par les puissances coloniales

85 Entretiens et observations de terrain à Oudomxay, Luang Namtha et Bokéo, mai- octobre 2008, juin-juillet 2009 105 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

(Nyíri 2009). Accordées par les plus hauts responsables politiques du pays, ces concessions bénéficient d’un traitement particulier, et la population, en majorité des migrants, vit à l’heure chinoise.

Photo 2. La présence chinoise à Luang Namtha

Le nouvel hôtel construit en face du marché chinois, par le même propriétaire que le Royal Jinlun à Boten. Photo : Danielle Tan, juin 2009.

Siège d’une compagnie chinoise dans l’hévéa. Photo : Danielle Tan, juin 2009. 106 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Photo 3. Marchés, restaurants, hôtels/guesthouses : des sites clés dans la structuration des réseaux chinois

Hôtel, restaurant et bus à Oudomxay. Photo : Danielle Tan, août 2008.

Marchés de Luang Namtha. Photo : Danielle Tan, août 2008.

107 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

Dominants dans le Nord Laos, les investissements chinois sont passés en 2007 en tête au niveau national, devant la Thaïlande et le Viêt Nam, concentrés essentiellement dans les secteurs miniers et hydroélectriques86.

Figure 8. IDE au Laos entre 2000 et 2010 Les trois principaux pays investisseurs au Laos entre 2000 et 2010 (milliards de dollars US) 1 Viêt Nam 2,77 2 Chine 2,71 3 Thaïlande 2,68

Répartition des IDE par secteur (2000-juin 2010) Consultance <1 % Électricité 33 % Textile <1 % Banque 1 % Industrie du bois 1 % Télécommunication 1 % Hôtel & restaurant 2 % Agriculture 10 % Services 13 % Construction 3 % Commerce 3 % Industrie & artisanat 8 % Mines 25 %

Source : ministère du Plan et de l’Investissement, 2010.

86 Selon les données du ministère du Plan et de l’Investissement, sur la période 2000-2010, la Chine arrivait en deuxième position (2,71 milliards de dollars), derrière le Viêt Nam (2,77 milliards de dollars), tandis que la Thaïlande les suivait de près avec 2,68 milliards de dollars investis. 108 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Les grandes compagnies ont d’ailleurs étendu leur prospection dans le Sud. Victime de la crise financière de l’automne 2008, la compagnie australienne OZ Minerals, opérateur des mines d’or et de cuivre de Sepon, s’est fait racheter au début de l’année 2009 par la compagnie étatique China Minmetals. Également, le projet très controversé d’exploitation de la bauxite sur le plateau des Bolovens d’un montant de 4 milliards de dollars a finalement été signé en octobre 2009. Dans un avenir proche, la trajectoire des migrants devrait suivre la géographie des investissements chinois. À Lao Bao, à la frontière sud avec le Viêt Nam, un nouveau marché chinois est déjà prêt pour accueillir des futurs commerçants chinois, mais à l’heure actuelle, il est encore vide87. Si la dispersion et l’interpolarité caractérisent généralement la diaspora chinoise, les nouveaux réseaux chinois au Laos semblent également suivre cette trajectoire. L’installation des petits entrepreneurs dépend de leur capital économique, et surtout de leur capital social (guanxi). Les plus pauvres ouvrent un étalage dans les villages, ou vendent leurs marchandises de manière ambulante. Quand les affaires marchent dans un endroit, les plus entreprenants ouvrent une boutique dans une autre ville et placent leurs proches pour gérer la précédente activité. Étant donné que la concurrence commence à être importante entre les migrants, certains se dirigent vers de nouveaux espaces à développer dans d’autres provinces du Nord (Xieng Khouang, Sayaboury) et de plus en plus vers le sud. Les plus riches s’installent directement à Vientiane, mais la concurrence y est aussi plus forte, car les xin yimin doivent rivaliser avec les huaqiao. La majorité des xin yimin se sont installés autour du marché du soir (talat leng – ຕະຫລາດແລງ) où ils ont recréé un nouveau quartier chinois que les habitants de Vientiane surnomment désormais le « petit Kunming ». Depuis l’ouverture en août 2008 du nouveau centre commercial chinois San Jiang (老挝三江国际商贸城) sur la route de l’aéroport, le nouveau quartier chinois s’est étendu dans cette direction. La diversité de la nouvelle communauté chinoise est plus

87 Intervention de Vatthana Pholsena lors du séminaire « Researching the Impacts of the Regional Economic Corridors in the Greater Mekong Subregion : From Cross-Border Trade to Transnational Integration? », Vientiane, 9-10 juillet 2009, organisé par le Centre Asie du Sud-Est (CNRS-EHESS) et le NERI (National Economic Research Institute – Laos) dans le cadre du Programme ANR-SUD « Transiter ». 109 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » grande à Vientiane que dans le Nord, car on y trouve des entrepreneurs originaires de presque toute la Chine, la majorité venant du Zhejiang, du Guangdong, ou de Shanghai, à côté des incontournables Yunnanais et Hunanais qui dominent le commerce à Vientiane.

Photo 4. Sanjiang, le nouveau marché chinois de Vientiane

Photo : Danielle Tan, août 2012.

Quand les petits entrepreneurs ne peuvent plus soutenir la concurrence, ils se replient vers de petites villes dans le Nord. En revanche, ceux qui ont le plus de capitaux se sont installés dans le quartier historique chinois (et vietnamien) de la capitale pour ouvrir des cafés Internet ou des boutiques de DVD pirates qui remportent un véritable succès auprès de la population locale, des expatriés et des touristes, tandis que de nouveaux restaurants et hôtels s’implantent sans que les étrangers fassent la différence entre l’ancienne et la nouvelle communauté chinoise.

110 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) 2 - Les réseaux transnationaux chinois : les partenaires clés de la stratégie d’extraversion du régime laotien

Les recherches convergent aujourd’hui pour montrer que la privatisation de l’économie n’aboutit pas à un recul de l’État mais à la marchandisation du clientélisme et du pouvoir bureaucratique (Hibou 1999 : 394-413). Dans le cas de la Chine, Yves Chevrier (1996 : 262-395) y a vu la reconstitution d’un « empire distendu ». Celui-ci souligne que la formation de l’État moderne chinois est le résultat d’un processus historique conflictuel et d’une réinvention perpétuelle de la tradition. Tony Day et Craig J. Reynolds (2000 : 1-55) vont dans le même sens et suggèrent que la « répétition » de certains traits dans la formation des États sud-est asiatiques, dans le temps et l’espace, n’implique pas l’existence d’« identités » ou d’« essences » culturelles statiques. Ils souli- gnent le caractère paradoxal de l’invention de la modernité, dont les contradictions sont liées à l’historicité de l’État. En d’autres termes, la formation de l’État est un processus complexe d’agency et de lutte pour la domination. En suivant ce raisonnement théorique, je vais essayer de proposer une lecture des transformations des pratiques du pouvoir dans le régime laotien actuel. À mon sens, les réseaux chinois jouent un rôle déterminant dans la lutte pour la domination au sein de l’État laotien en constituant une ressource majeure du processus de centralisation politique et de gestion des conflits. Ils contribuent à renforcer la viabilité du pouvoir étatique en fournissant aux dirigeants nationaux de nouvelles rentes destinées à entretenir les réseaux de pouvoir et de prédation, à empêcher l’émergence d’une contre-élite, à gérer les conflits internes – notamment entre les provinces et le gouvernement central, et au sein même du Parti – en créant de nouvelles possibilités de redistribu- tion entre les personnalités influentes. On verra que l’extraversion n’est en tant que telle, ni une manifestation de dépendance, ni un aveu de faiblesse, mais bien une stratégie réfléchie et rationnelle qui consiste en « la fabrication et la captation d’une véritable rente de la dépendance comme matrice historique de l’inégalité, de la centralisation politique et des luttes sociales » (Bayart 1999 : 100). Dans cette optique, les réseaux

111 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » chinois permettent à l’État central de rentabiliser les hautes terres du Nord, tout en empêchant l’émergence d’une bourgeoisie régionale qui pourrait menacer son autorité. Alliés du pouvoir, on retrouve ici une continuité historique dans le rôle d’intermédiation exercé par les réseaux chinois.

Le « colonialisme intérieur » par les réseaux chinois ou la mise en valeur du territoire tant attendue

Le redéploiement de l’État est en premier lieu géographique. La présence des réseaux chinois dans le Nord du Laos permet à celui-ci de reprendre pied dans une marge frontalière historiquement rebelle et hautement stratégique, qu’il n’a jamais réussi à contrôler totalement. Contrairement à ses voisins, l’État moderne laotien – sous sa forme coloniale puis indépendante – n’a jamais pu entreprendre le « colonialisme intérieur » des marges montagneuses du Nord, peuplées majoritairement par des minorités ethniques, et qui concentrent des richesses largement sous-exploitées (agriculture commerciale, ressources forestières, minières, hydroélectriques, etc.) La récente thèse de James Scott dans The Art of not Being Governed (2009)88 est consacrée à cette question de construction des États en Asie du Sud-Est continentale associée à un processus de « colonialisme intérieur » (internal colonialism), c’est-à-dire d’une conquête des marges par un centre qui a réussi progressivement à défier les conditions démographiques et technologiques. En définitive, la migration chinoise ainsi que le processus d’intégra- tion régionale à travers le projet du corridor Nord-Sud apportent à l’État laotien les moyens financiers, humains et technologiques nécessaires qu’il n’a jamais eus pour avoir accès aux ressources de ces territoires, et entreprendre à son tour ce que James C. Scott appelle dans son dernier ouvrage (2009), the last enclosure, c’est-à-dire le processus de rentabilisation et de domestication des marges rebelles par le pouvoir central.

88 Le livre de Scott vient d’être traduit en français, cf. James Scott. Zomia, ou l’art de ne pas être gouverné (2013). 112 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Le changement radical de la politique économique du Laos intervint à partir de 1986 avec la mise en place de la NEM (Nouveau mécanisme économique89) qui adoptait le principe de la libéralisation des prix et engageait une réorganisation du secteur public en mettant fin au mono- pole des entreprises étatiques. En réalité, ce relâchement avait commencé dès 1979 lorsque les dirigeants du Laos réalisèrent que l’instauration d’une économie centralisée et planifiée « à la soviétique » était impossible à mettre en place face à la résistance des paysans à accepter la collectivi- sation ou à vendre leur surplus à l’État, et à cause du manque de moyens et de préparation, notamment des fonctionnaires en charge de mettre cette politique en place. À partir de la fin des années 1990, le gouvernement laotien commença à courtiser les acteurs chinois pour venir tempérer l’influence des Thaïlandais, dont la prépondérance croissante dans l’économie commençait à inquiéter les dirigeants. De plus, dans une logique économique d’adaptation à la globalisation, l’État et ses agents privilégièrent la collaboration avec les entrepreneurs chinois pour qu’ils recherchent de nouvelles opportunités d’enrichissement. Comme des générations de migrants chinois ont développé les économies sud-est asiatiques à différentes époques, le gouvernement laotien mise sur la capacité des nouveaux migrants à développer des fronts pionniers et à rentabiliser les hautes terres du Nord, afin qu’elles deviennent productives et qu’elles rapportent un revenu régulier pour l’État, d’où l’application d’une politique migratoire tolérante à leur encontre. Grâce à une politique de promotion des investissements étrangers, de libéralisation du commerce, de privatisation de la terre et des ressources économiques fondée sur l’octroi de concessions et le développement d’une agriculture contractuelle, l’État laotien est en train de réaliser progressivement sa transition agraire vers une économie de marché. Dès 1995, les taxes d’importation furent drastiquement réduites, passant de 150 % à 40 % pour les taux les plus élevés et les taxes sur les exportations furent supprimées, excepté pour les ressources naturelles comme le bois, les minerais et les NTFP (Non Timber Forest Products, produits forestiers non ligneux) non transformés. À partir de cette date, le secteur de l’import-export était techniquement ouvert à un plus grand nombre d’acteurs. En ce qui concerne la promotion des investissements

89 En lao, Chintanakan mai – ຈິນຕະນາການໃໝ, qui signifie « nouvelle imagination ». 113 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

étrangers, la révision de la loi en 1994 avait déjà donné des garanties par rapport à la nationalisation et accordait aux entreprises étrangères le droit de rapatrier les capitaux et profits, mais le décret présidentiel n° 11 du 22 octobre 2004 favorisa très nettement les entreprises étrangères en leur accordant des exemptions de taxes à l’importation, notamment sur les machines, les équipements et les véhicules, à condition que leur utilisation soit destinée à la production d’exportations. Cette nouvelle loi octroyait également des réductions d’impôts aux investisseurs étrangers qui s’installaient dans des zones prioritaires (zones de montagnes et zones économiques spéciales) et investissaient dans des activités spécifiques (comme par exemple dans l’hévéa). Ces mesures commencèrent à porter leurs fruits au début des années 2000. L’afflux d’investissements chinois permit un décollage des exportations agricoles (maïs, canne à sucre, hévéa, manioc, melon, NTFP)90 grâce à une palette complète de services fournis par les entre- preneurs chinois, depuis l’approvisionnement en engrais, semences, crédits, l’accès aux marchés, la collecte de la production, jusqu’à la prise en charge des procédures douanières et le paiement des taxes. Le passage à la frontière est devenu une affaire de négociation entre les douaniers et les marchands chinois. En échange de « dessous de table », les démarches administratives peuvent être écourtées et les marchands peuvent bénéficier de réductions de taxes, c’est pourquoi, une grande partie des produits importés et exportés empruntent les canaux officiels,

90 Entre 1993 et 2009, les investissements chinois s’élevaient à presque 30 millions de dollars dans la province de Luang Namtha, 75 millions de dollars dans la province d’Oudomxay et 51,5 millions de dollars dans la province de Bokéo. La part investie dans l’agriculture se chiffrait respectivement à 48 %, 53 % et 15 %. En ce qui concerne les exportations agricoles, la province de Luang Namtha est passée de 110 000 dollars en 1994 à 1,6 million de dollars dix ans plus tard, pour atteindre presque 3,7 millions en 2008. Le décollage est encore plus visible dans la province d’Oudomxay : seulement 21 000 dollars d’exportations agricoles étaient enregistrés en 1998, contre 3 millions en 2004 et plus de 16 millions de dollars en 2008. À Bokéo, la tendance est identique, mais l’envol des exportations agricoles a été favorisé par le développement d’un marché thaïlandais : on enregistrait en 1996, 330 000 dollars d’exportations agricoles contre 1,3 million de dollars en 2004 et 6 millions de dollars en 2008 (statistiques fournies par les départements du Plan et de l’Investissement et du Commerce et de l’Industrie des trois provinces citées). 114 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) mais passent de manière informelle, et de préférence au niveau des postes frontières locaux91. D’un autre côté, l’agriculture n’est plus le seul pilier envisagé par l’État pour développer le pays : l’exploitation minière et hydroélectrique, ainsi que le tourisme sont devenus le nouveau credo du gouvernement, compte tenu de leur potentiel à stimuler la croissance économique et générer d’importants revenus. Sur la période 2000-2010, la production électrique et le secteur minier représentaient les deux premiers postes des investissements étrangers, soit respectivement 33 % (plus de 4 milliards de dollars) et 24 % (3 milliards de dollars), alors que l’agriculture ne venait qu’en quatrième position après l’industrie, avec 1,3 milliard de dollars (10 %). Alors que ces activités étaient menées jusqu’à présent dans le sud par des entreprises vietnamiennes et thaïlandaises, le Nord du Laos est devenu un nouveau pôle de ces activités, où la grande majorité de ces investissements est d’origine chinoise. Les investissements chinois sont désormais indispensables pour le gouvernement laotien pour véritablement devenir la « batterie de l’Asie du Sud-Est ». Dans la province de Luang Namtha, quatre projets miniers et trois barrages (Nam Long, Nam Tha et Nam Fa qui est partagé avec Bokéo) sont en cours ; dans la province d’Oudomxay, on dénombre 14 projets miniers et trois barrages (Nam Ngao, Nam Beng, Mekong Pakbeng), et 14 projets miniers et quatre barrages dans la province de Bokéo (Nam Ngam, Nam Fa avec Luang Namtha, Nam Ngone, Nam Tha 1)92.

Les zones économiques spéciales : une tentative de reterritorialisation du pouvoir de l’État dans les marges

Si les régions frontalières incarnent les sites et les symboles du pouvoir, comme le soutiennent à juste titre Hastings Donnan et Thomas Wilson (1999 : 1), alors la région frontalière du Nord du Laos illustre

91 Entretiens et observations de terrain au niveau des postes frontières de Boten, Panthong, Xieng Kok (province de Luang Namtha), et Meochai (province d’Oudomxay), mai-octobre 2008 et juin 2009. 92 Pour plus de détails sur les investissements chinois dans le Nord du Laos, cf. Tan (2011). 115 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » parfaitement cette corrélation qui se traduit par le redéploiement d’un État postsocialiste dans ses marges grâce à la manipulation des techniques de gouvernement produites par la globalisation néolibérale. Je pense notamment aux zones économiques spéciales situées aux deux extrémités de la R3E, d’un côté, la ZES (Zone économique spéciale) Golden Boten City dans la province de Luang Namtha, à la frontière chinoise, et de l’autre, celle du Triangle d’or, dans la province de Bokeo – au point où le Laos rencontre la Birmanie et la Thaïlande – développées par des entrepreneurs transnationaux chinois. Alors que ces deux grands projets semblent illustrer le paroxysme de l’atteinte à la souveraineté du Laos en fonctionnant de manière autonome sur le territoire laotien, paradoxalement, ils contribuent en même temps, de manière involontaire, à la consolidation du pouvoir de l’État. Ces zones économiques spéciales révèlent en fait les ajustements institutionnels réalisés par l’État pour relever les défis de la globalisation et réaffirmer son pouvoir dans les marges de son territoire. Cette nouvelle conception du pouvoir remet en question la vision traditionnelle de la souveraineté, car il ne s’agit plus pour l’État de gouverner de manière homogène sur tout le territoire, mais d’avoir une participation différenciée en fonction de sa place dans le marché global. On parlera alors de « souveraineté graduée », concept clé développé par Aihwa Ong (2006 : 304) pour qualifier la stratégie adoptée par les États asiatiques dans la gestion du territoire et de la citoyenneté dans un contexte de globalisation néolibérale et de régionalisation croissante. Dans cette interaction avec la globalisation, l’État a produit un assem- blage de pratiques gouvernementales pour gérer de manière différenciée les différents segments de la population et rendre certains territoires « more “bankable” than other developing regions »93. De ce fait, les zones économiques spéciales sont considérées comme des « sites d’exception », c’est-à-dire des espaces qui se différencient du territoire national par des arrangements spéciaux où l’État confie la gestion et le développement de ces sites à des acteurs non-étatiques qui peuvent avoir recours à des pratiques qui se situent à la marge du licite et de l’illicite, de l’illégal et du légal.

93 « Plus “profitables” que d’autres régions en voie de développement » (Ong 2006 : 78). 116 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Ainsi, dans le Nord du Laos, le gouvernement laotien tente à travers la mise en place des Zones économiques spéciales de Boten et du Triangle d’or de légaliser et de normaliser des activités considérées comme illicites – le jeu d’argent ou la prostitution – et de tirer profit de la manne du blanchiment d’argent issu du narcotrafic des barons du Triangle d’or pour lancer une dynamique de développement dans ses marges frontalières. L’idée consiste à attirer les touristes étrangers, plus spécifiquement les Chinois et les Thaïlandais, où le jeu est formellement interdit dans leur pays94, pour créer une dynamique touristique et attirer d’autres investissements grâce à une fiscalité avantageuse. Le premier projet de Zone économique spéciale nommé « Golden Boten City » a démarré en novembre 2004 à Boten, au niveau de la frontière sino-laotienne. L’objectif de la première phase, d’un montant de 103 millions de dollars, était de construire un grand complexe touristique et un centre d’affaires. Sorte d’enclave chinoise de 1 640 hectares sur le territoire du Laos, cette concession de 30 ans, renouvelable deux fois, accordée en 2002 par les plus hauts responsables politiques du pays (décret ministériel n° 182), est en fait la continuité géographique de Mohan, une autre zone franche démarrée en même temps que Boten pour développer le commerce international dans le Yunnan. Boten devait être « the most internationally modernized city in Laos » [la ville la plus modernisée au Laos sur le plan international], selon la description faite dans la brochure promotionnelle (Nyíri 2009 : xx). Le projet est planifié sur dix ans et prévoit la construction d’un hôpital, un golfe de 36 trous, un centre d’affaires international capable d’accueillir 2 500 personnes, 2 000 chambres d’hôtels, et 500 guesthouses95. En réalité, fin 2006, c’est un casino aux allures de logements sociaux qui a jailli au milieu de la forêt tropicale, entouré de magasins et d’entrepôts,

94 Les jeux d’argent sont interdits aussi bien en Chine, au Laos, en Thaïlande, au Cambodge qu’en Birmanie, mais les casinos aux frontières birmanes, cambodgiennes et laotiennes sont tolérés par les gouvernements respectifs. En Thaïlande, les joueurs peuvent être condamnés jusqu’à un an de prison et à une amende de 1 000 bahts (30 dollars). En Chine, la législation actuelle punit les joueurs à une peine maximale de trois ans de prison. Au Laos, si la loi interdit aux Laotiens le jeu d’argent dans les casinos, en revanche, la construction de casinos est autorisée par la loi, cf. « Ministry clarifies public queries regarding casinos », Vientiane Times, 27 mars 2010. 95 « Foundation laid for Golden Boten City », Vientiane Times, 26 novembre 2004. 117 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » pour la plupart inoccupés. Quelques milliers de commerçants, prostituées et croupiers chinois sont venus s’installer dans cette « ville- casino », contre une poignée de Laotiens, habitant les préfabriqués construits juste à côté de « l’hôtel de luxe ». Le projet a connu un démarrage en dents de scie. La ZES a été mise en sommeil à plusieurs reprises, mais en 2009-2010, les constructions se sont accélérées. Des immeubles flambant neufs, ainsi que de nouveaux hôtels ont fait leur apparition, tandis que d’autres chantiers étaient en construction. Sur le site internet du projet96, le slogan « ASEAN International Golden City : Paradise for Freedom and Development » reflète bien l’état d’esprit de ses promoteurs. En effet, la « ville » a des airs de « Far West chinois », où tout semble possible grâce à l’argent. Boten s’est développée en vase clos, tel un îlot chinois perdu en pleine forêt tropicale. La monnaie utilisée est le yuan, les produits consommés sur place sont tous importés de Chine, tout est écrit en chinois, et même l’heure est réglée sur le fuseau horaire chinois. On peut y acheter des objets pornographiques, pourtant interdits au Laos, et assister à des spectacles de cabaret animés par des « kathoey », des transsexuels venus de Thaïlande. La publicité annonçant le spectacle vantait les atouts de Golden Boten City dans les termes suivants : « Les Reines travesties thaïlandaises. Golden Boten City a payé le prix fort pour produire un établissement de première classe. Avez-vous encore besoin de prendre l’avion pour aller à Pu Qing Dao ou Pattaya alors que vous en avez un à quelques centaines de kilomètres de la Thaïlande ! »

Les Chinois n’ont pas besoin de visa pour venir jouer à Boten. À l’entrée de la salle du casino, on peut lire sur un panneau en lao et en chinois que les citoyens de ces deux pays n’ont pas le droit de jouer97, mais les deux hommes chargés de la sécurité n’empêchent personne de rentrer. Ils confisquent en revanche les appareils photo et les caméras vidéo qu’ils rendent à la sortie. La majorité des joueurs sont chinois. Ils

96 Cf. http://www.laosgbc.com/en_GBC_hotel_yule.asp [consulté le 1er juillet 2010]. 97 Les jeux d’argent sont interdits aussi bien en Chine, au Laos, en Thaïlande, au Cambodge qu’en Birmanie mais les casinos aux frontières birmanes, cambodgiennes et laotiennes sont autorisés par les gouvernements respectifs, alors qu’en Thaïlande et en Chine, la loi est plus répressive. 118 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) se sont rués dans l’établissement avant même que les travaux du casino soient terminés. Des cars de touristes amènent régulièrement des joueurs thaïlandais et on trouve également des Laotiens. Les plaques des voitures indiquent que les joueurs viennent aussi de Birmanie – plus précisément des Régions spéciales no 2 et no 4, situées dans l’État shan, respectivement commandées par the United Wa State Army et the National Democratic Alliance Army – et de différentes provinces chinoises (Yunnan, Fujian, Guangdong). Le casino est composé de neuf salles dotées d’une cinquantaine de tables environ. On est loin des casinos luxueux de Monte-Carlo, des smokings et des robes de soirées. La décoration est minimaliste – néons au plafond, tables en plastiques, moquette rouge déjà usée – mais on remarque surtout les autels taoïstes trônant à l’entrée de chaque pièce qui sont censés porter chance aux joueurs. La plupart d’entre eux sont d’ailleurs des professionnels. Ils sont équipés d’oreillettes, recevant les instructions de leurs patrons basés en Chine qui peuvent suivre le jeu sur Internet. Les sommes en jeu sont importantes puisque certains joueurs misent des jetons qui valent 50 000 yuans, soit plus de 5 000 euros. Ces joueurs professionnels jouent tous les jours, pendant plusieurs mois d’affilée. Un des principaux investisseurs du casino de Boten serait en fait le fameux Lin Mingxian (林明贤), plus connu sous le nom de Sai Leun, ancien commandant de la Région spéciale no 4, encore aux commandes d’une milice forte de 2 000 à 3 000 hommes basée à Mong La, son fief à la frontière sino-birmane. Lin Mingxian est né dans le Yunnan. Il a fait partie des Gardes rouges envoyés pendant la révolution culturelle dans les années 1960 pour se battre aux côtés du Parti communiste birman. La plupart de ces volontaires furent rappelés en Chine à la fin des années 1970, mais Lin Mingxian décida de rester. Il a prospéré grâce au trafic de bois vers la Chine, d’opium vers la Thaïlande, avant de déclarer sa zone « opium free » en 1997, en échange d’un soutien financier de la Chine qui expérimentait sa politique de remplacement de l’opium (Lintner et Black 2009). Au même moment, il commença à investir dans la construction de maisons de jeux avec l’argent de la drogue. Après la fermeture de ses casinos en janvier 2005 par les autorités chinoises qui voulaient arrêter l’hémorragie de capitaux détournés par les officiels chinois, il est venu investir à Boten, où l’on peut lire sur des banderoles rouges accrochées à

119 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » différents endroits de la « ville » des messages de prévention de la drogue, écrits en chinois, en lao et en anglais : « Renforcez l’administration pour assurer la protection et la sécurité de cette zone spéciale. » « Le vendeur de drogue détruit la famille avec son poison. Arrêter et saisir la drogue dépend de chacun de nous. » « La montagne dorée a disparu pour supprimer l’addiction à la drogue et empêcher de briser des familles. Aimez votre vie, restez loin de la drogue ».

Photo 5. Banderole de lutte contre l’opium à Boten

Source : Danielle Tan, août 2008.

120 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Mais un reportage réalisé par des journalistes chinois98, révélant l’ambiance mafieuse qui régnait à Boten a tout fait basculer. Le reportage, diffusé à une heure de grande écoute, a montré comment les joueurs du casino étaient trompés et torturés. Plus de 1 000 personnes seraient arrivées à Boten sans avancer d’argent pour se déplacer et jouer. Le billet d’avion leur a été payé, et une mise de départ de 300 000 yuans (30 000 euros) leur a été fournie. Ils ont en fait été piégés. Perdant d’importantes sommes, ils sont torturés jusqu’à ce que les familles remboursent leurs dettes. Le reportage fait état de plusieurs morts. Bien que ces crimes se déroulent sur le territoire laotien, les citoyens chinois suspectés sont directement transférés à la police chinoise. Pour mettre un terme à ces agissements, le Bureau de la sécurité publique de la province du Hubei a envoyé en décembre 2010 une « équipe de secours » qui a négocié avec les dirigeants du casino la libération de certains joueurs retenus en « otage »99. En mars, Pékin ferme la frontière et coupe l’électricité. Sous la pression des autorités chinoises, le casino a finalement dû fermer ses portes en avril 2011100. Depuis, commerçants, travestis et prostituées ont déserté Golden Boten city pour rejoindre le nouveau casino situé à Tonpheung, près de l’endroit où Khun Sa et le KMT s’étaient affrontés en juillet 1967 pour prendre le contrôle du trafic d’opium. Désormais, Golden Boten City ressemble à une ville fantôme, la grande allée commerciale a été détruite, seule une poignée de commerçants est restée en attendant que le site soit transformé en sorte de hub logistique et devienne la gare d’entrée du prochain train à grande vitesse qui devrait rejoindre Kunming à Vientiane (cf. Photo 6)101. Ces

98 Reportage diffusé le 12 janvier 2010. Disponible sur : http://www.openv.com/play /BTV3prog_20100112_7156022.html [consulté le 23 février 2010]. 99 Blog Mqvu, 2011, « Chinese foreign ministry issues warning against gambling in Laos », 29 mars, http://mqvu.wordpress.com/2010/03/26/hubei-sends-police-team-to-rescue- chinese-gamblers-in-boten/ [consulté le 1er avril 2010]. 100 « China in Laos. Busted flush. How a Sino-Lao special economic zone hit the skids », The Economist, 26 mai 2011, http://www.economist.com/node/18744577 [consulté le 1er juin 2011]. 101 Ce projet ferroviaire a connu de nombreux rebondissements. À l’origine, la Chine devait prendre en charge la construction du train, dont les travaux s’élèveraient à 7 milliards de dollars. L’inauguration du projet a été reportée à cause du scandale de corruption impliquant la démission, en février 2010, du ministre chinois des Chemins de fer, Liu Zhijun. Récem- ment, les investisseurs chinois se sont retirés en raison du manque de rentabilité du projet mais le gouvernement laotien a décidé de le poursuivre seul, en empruntant cette somme à 121 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » travaux terminés, la Chine sera complètement reliée à l’Asie du Sud-Est, de Pékin à Singapour.

Photo 6. « Golden Boten Ghost City », juillet 2012

Source : Danielle Tan, juillet 2012.

Quant au chantier de Tonpheung, il a commencé en 2008. À peine un an plus tard, la « Zone économique spéciale du Triangle d’or » (ou Asean Economic golden triangle tourism zone) a été inaugurée le 9 septembre 2009, cérémonie à laquelle de hauts responsables nationaux sont venus assister car ce projet est devenu une des priorités du gouvernement qui possède 20 % des parts. la Exim Bank of China, cf. Parameswaran Ponnudarai, 2013, « Laos’ Ruling Party Agrees to Pursue China Rail Loan », RFA, 2 avril, http://www.rfa.org/english/news/laos/rail- 04022013200531.html [consulté le 5 avril 2013]. 122 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Il semblerait que le gouvernement laotien ait retenu les leçons de Golden Boten City, dont le développement a été chaotique et les résultats peu satisfaisants. En possédant des parts du nouveau projet, le gouvernement garde un meilleur contrôle des opérations et récupérera directement les bénéfices si l’opération est un succès. L’État espère attirer un million de touristes dans cette région – alors qu’elle leur était interdite il y a moins de dix ans – et plus de 300 compagnies. Le décret n° 90 du Premier ministre du 4 février 2010 a accordé à la compagnie Dokngiewkham (ບໍລິສັaດດອກງວຄຳa) - Golden kapok102 en anglais, appartenant à Kings Romans Group103) enregistrée à Hong Kong, une concession de 99 ans qui couvre une superficie de 10 000 hectares dont 3 000 hectares consacrés à la zone franche et le reste étant destiné à l’éco- tourisme104. La première phase du projet a coûté 86 millions de dollars pour renforcer les berges du Mékong, construire un hôtel de 120 chambres, un casino, un parcours de golfe et une zone de duty free sur l’île Don Sao, située en face du casino. La compagnie compte investir 2 240 millions de dollars supplémentaires entre 2010 et 2017105 pour développer les infrastructures de la Zone économique spéciale du Triangle d’or et créer une véritable ville moderne, rebaptisée Kapok-ville, qui devrait accueillir plus de 200 000 travailleurs chinois et leurs familles, selon les officiels

102 Le kapok est une fibre végétale que l’on tire des fruits des arbres de la famille des Bombacaceae. Le kapokier, aussi appelé « fromager », est un grand arbre des zones tropicales, originaire de Java en Asie du Sud-Est, mais que l’on retrouve également en Amérique centrale et latine, ainsi qu’en Afrique de l’Ouest. Cette fibre très légère est imperméable et imputrescible. Cet arbre est très répandu dans la zone de Tonpheung. Un festival a d’ailleurs lieu chaque année au moment de la floraison de ces arbres. 103 Dokngiewkham est enregistrée sous le nom de Laos Travel Entertainment Co. Ltd, Golden Kapok, http://www.xiuxianhuisuo.com/, appartenant à Kings Romans Group, http://www.kingsromans.com/ [consulté le 5 juin 2010]. 104 Pourtant, à l’origine, le décret du 24 novembre 2009 règlementant les zones économiques spéciales du Nord avait annoncé une concession de 75 ans sur une superficie de 827 ha, cf. « Lao Govt approves decree on special economic zones », Vientiane Times, 27 novembre 2009 ; « Laos : tonpheung special economic zone will greatly benefit local people », VOA, 30 mars 2010, http://m.lao.voanews.com/a/a-52-2010-03-31-voa3-90874749/1191628.html [consulté le 5 juin 2010]. 105 Pour donner une idée du volume colossal de ces investissements, le budget du Laos en 2009 était estimé à 1,13 milliard de dollars. 123 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » locaux106. Appartements, école, bibliothèque, hôpital, banque, hôtel, musée, complexe agro-industriel, et parcours de golf sont au programme107. La zone devrait être équipée dans le futur d’eau et d’électricité, d’un aéroport, et d’infrastructures routières. Environ 40 % des 3 000 travailleurs du site sont chinois, les autres viennent de Thaïlande, Birmanie ou du Laos. En fait, les ouvriers travaillant sur le chantier sont pour l’essentiel birmans, tandis que les techniciens sont chinois. La majorité d’entre eux ne sont pas enregistrés auprès des services provinciaux du Département du travail108. Comme à Boten, les conditions de travail sont telles qu’il est fort probable que seul un petit nombre de Laotiens travailleront sur le site109. La compagnie chinoise possède également son propre système de sécurité qui surveille attentivement le site. Elle ne veut pas subir la même destinée que Golden Boten City. Selon des journalistes thaïlandais, Sai Leun serait également parmi les investisseurs de Tonpheung (Lintner et Black 2009 : 126-127). Sur le site de la compagnie, on peut constater que son discours est subtil, voire avant-gardiste, se distinguant radicalement de la stratégie mise en œuvre à Boten110. En effet, au lieu des show de kathoey et des services bas de gamme proposés à Golden Boten City, Kings Romans Group a préféré opter pour la promotion d’un tourisme vert et ethnique,

106 Max Avary, 2011, « Casino operations are bolstered in an area reserved for Chinese investments », RFA, 12 janvier, http://www.rfa.org/english/news/laos/investment- 01122011163054.html [consulté le 20 septembre 2011] 107 « Chinese firm to sink US$ 2,240m into northern economic zone », Vientiane Times, 14 septembre 2009. 108 Entretien avec le directeur du département du Travail dans la province de Bokéo, Houeysay, 11 juin 2009 et chiffres fournis par ce service. 109 L’ONG Veco rapporte les propos d’un chef de village de la zone : sur 20 jeunes qui sont partis travailler dans le casino depuis son ouverture en septembre 2010, seulement deux sont encore sur le site. Les raisons données pour expliquer cette désaffection sont : aucun jour de repos, sinon ils sont décomptés du salaire ; double service avec seulement quelques heures de repos ; les trois premiers mois, le salaire est faible, car le prix de l’uniforme est retranché du salaire ; les retards de plus de 5 minutes sont soumis à de lourdes amendes et des avertissements qui peuvent conduire au licenciement, cf. message posté sur LaoFAB, « The return of concession », 1er mars 2010. 110 Cf. le site de la compagnie Laos Travel Entertainment Co. Ltd, Golden Kapok : http://www.xiuxianhuisuo.com/ [consulté le 5 juin 2010] et la vidéo de promotion pour attirer les investisseurs, cf. http://www.youtube.com/watch?v=ESy9kMV0VXs [consulté le 28 septembre 2010]. 124 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) et a surtout mis en avant sa mission de développement qui consiste à tourner la page de « l’opium et du sous-développement pour ouvrir une nouvelle ère radieuse du Triangle d’or sous le sceau du kapok ». L’objectif de Kings Romans Group est de faire de ce « désert sauvage d’hier » une zone de développement touristique, « un complexe complet, entièrement fonctionnel, beau, unique, et doté d’une économie moderne », en faisant de ce site un lieu d’attraction pour le tourisme écologique, l’immobilier, mais aussi une zone industrielle qui servira de moteur pour la région. Dans cet optique, la compagnie propose « d’expé- rimenter de nouvelles pistes de développement durable, respectueuses de l’environnement, de la culture, et de l’humain, rejetant fortement les modèles niveleurs du passé ». La stratégie de développement du groupe repose sur la volonté de « changer l’image de cette région » où les « gens souffrent de préjugés et d’incompréhensions » et « d’utiliser de manière rationnelle les ressources abondantes et les traditions ». Leur culture d’entreprise repose sur le slogan : « Interprétons le monde et soyons des pionniers ». « Nous invitons chaleureusement les personnes avec des nobles idéaux à rejoindre notre société pour créer une grande cause ! ».

Photo 7. La ZES du Triangle d’or

Photo : Danielle Tan, juillet 2012.

125 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

Photo : brochure du casino.

Ces deux projets pharaoniques des ZES du Triangle d’or et de Golden Boten City illustrent bien l’imbrication entre les activités légales (développement du tourisme, de Zones économiques spéciales) et les pratiques illicites (jeux, blanchiment de l’argent de la drogue, etc.), sur lesquelles l’État, soutenu par des investisseurs chinois mafieux, fonde sa politique de développement et de lutte contre la pauvreté. Alors que les journaux de la région commencent à désigner la ZES du Triangle d’or comme une gigantesque machine à blanchiment d’argent de la drogue111, le directeur du groupe, Zhao Wei récuse ces accusations, affirmant que la société est venue dans le Triangle d’or pour construire une alternative économique au trafic de stupéfiants. Quant aux autorités laotiennes, les dirigeants assurent contrôler la situation et brandissent le projet de King Roman Group comme un modèle d’investissement responsable. Cette stratégie adoptée par le gouvernement laotien n’est pas une surprise dans la mesure où en Asie du Sud-Est, l’économie illicite et les

111 « Chinese casino on the Mekong : fears development front for money laundering », AsianNews.it, 29 janvier 2011, http://www.asianews.it/news-en/Chinese-casino-on-the- Mekong:-fears-development-front-for-money-laundering-20635.html [consulté le 21 février 2011]. 126 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) organisations du crime transnational sont depuis longtemps étroitement liées à l’économie formelle et ont contribué au « miracle économique » des années 1980 (Trocki 1998). La formation d’un « État illégal-légal » ayant recours à des pratiques délictueuses est un processus général que l’on observe sur tous les continents, depuis l’émergence d’une économie- monde. Charles Tilly (1985 : 169-191) avait déjà montré comment les États occidentaux s’étaient formés grâce à l’utilisation de ressources illicites et de coercition, en louant les services de mercenaires et de pirates pour prendre le contrôle des territoires et obtenir le monopole de la violence. Si cette description concerne l’Europe, l’analyse est valable également pour le Nord du Laos, où les anciennes milices du Triangle d’or se sont reconverties en entrepreneurs transnationaux chinois au moment de la restructuration du capitalisme global (McCoy 1999 : 129- 167). De cette manière, les différents réseaux chinois sont devenus les alliés privilégiés de l’État laotien pour rendre ces territoires frontaliers compétitifs et produire de nouvelles richesses par tous les moyens, recevant les pleins pouvoirs pour développer, contrôler et surveiller ces « sites d’exception ». Ainsi, l’absence d’intervention de la police laotienne ou de l’armée dans la ZES de Boten ne traduit pas un renoncement de l’État à une partie de son territoire, mais plutôt à une délégation de son autorité de régulation et de surveillance de certains segments de la population et de certaines portions de ses frontières aux acteurs privés chinois, sous le contrôle distant mais présent de Pékin. Les ZES permettent en réalité à l’État laotien d’avoir une prise sur ses marges qu’il ne pourrait de fait pas contrôler ni exploiter, fautes de moyens humains et financiers. En effet, l’objectif commun de recherche de profits partagés entre le gouvernement laotiens et ses partenaires privés chinois oblige à maintenir un contexte pacifié. En ce qui concerne Pékin, la sécurisation de ses frontières est une priorité, et met donc la pression sur les partenaires, brandissant la menace de représailles ou de sanctions fortes, comme en témoigne la fermeture des casinos de Mongla en Birmanie et plus récemment celui de Boten.

127 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

La chasse à l’homme contre le rebelle shan, Naw Kham, depuis avril 2009112 rappelle que ces marges frontalières n’échappent pas totalement à la régulation des gouvernements centraux, que ce soit Vientiane ou Pékin. Ancien membre de l’armée de Khun Sa et leader d’une milice réputée pour son activisme dans le Triangle d’or, Naw Kham est considéré par les habitants de la région comme une sorte de « Robin de bois des temps modernes » en s’attaquant aux riches positions commer- ciales des Chinois. Naw Kham et sa milice « taxaient » aussi bien les cargos chinois descendant le Mékong que le trafic d’héroïne et de méthamphétamine de l’UWSA (United Wa State army) qui traversait son territoire. Mais en blessant grièvement des policiers chinois lors d’une fusillade mêlant une patrouille de police chinoise et l’armée birmane, Naw Kham s’est attiré les foudres de Pékin qui a exigé sa tête auprès des autorités birmanes, thaïlandaises et laotiennes. Il a de nouveau fait parler de lui en kidnappant 13 Chinois dans la ZES du Triangle d’or. Ils ont été relâchés après que Zhao Wei, le directeur, ait payé une rançon de 25 millions de bahts (8,3 millions de dollars)113. Le point de non-retour pour Naw Kham sera l’accusation de meurtre de 13 marins chinois le 5 octobre 2011, retrouvés bâillonnés, les mains menottées derrière le dos, criblés de balles. Les cargos chinois transportaient des combustibles, des pommes et de l’ail. Mais à bord des deux navires, 920 000 pilules de méthamphétamine d’une valeur estimée à 6 millions de dollars ont été également retrouvées. En furie, Pékin a lancé une véritable expédition pour capturer Naw Kham. L’affaire est complexe, car Naw Kham n’est pas le seul suspect, neuf patrouilleurs thaïlandais, membres de l’unité d’élite militaire (Pha Muang taskforce) sont également impliqués dans ces assassinats. La sécurité du Mékong est une question cruciale pour Pékin qui a investi massivement pour rendre cette route fluviale navigable. Naw Kham a finalement été arrêté le 25 avril 2012, dans la province de Bokéo par les autorités laotiennes qui l’ont remis à leurs homologues chinois pour être jugé à Kunming. Il a été exécuté le 1er mars 2013 avec

112 Brian McCartan, 2009, « Manhunt is on for Mekong Robin Hood », Asia Times Online, 7 avril, http://www.atimes.com/atimes/Southeast_Asia/KD07Ae01.html [consulté le 20 juin 2009]. 113 Democracy for Burma, 2011, « Golden Triangle godfather Naw Kham releases Chinese abductees », 11 avril, https://democracyforburma.wordpress.com/2011/04/11/ golden-triangle-godfather-naw-kham-releases-chinese-abductees/ [consulté le 15 avril 2011]. 128 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) trois autres complices114. Cette capture médiatique est en fait un message fort envoyé par Pékin pour rappeler qu’aucun groupe ne pouvait se permettre de défier la Chine sur le Mékong. Si Naw Kham n’est en fait qu’un bouc émissaire tout désigné et un simple acteur parmi d’autres des trafics qui se déroulent dans cette région, cette affaire a permis de renforcer la coopération régionale entre la Chine, la Thaïlande, la Birmanie et le Laos afin d’assurer la sécurité le long du Mékong.

Le registre de la « mission civilisatrice »

Les partenaires chinois fournissent également aux dirigeants laotiens des marges de manœuvres supplémentaires de contrôle de la population et de discipline en utilisant le registre positif de la « mission civilisatrice ». Le répertoire du développement et du progrès génère aussi bien des savoirs qui sont progressivement intériorisés par les populations marginales, qu’il sert à recevoir la caution morale et le soutien financier des bailleurs de fonds internationaux. Dans le Nord du Laos, les entrepreneurs privés et étatiques chinois, soutenus par leurs gouvernements provinciaux et nationaux, ont donné corps et vie à la politique d’éradication de la pauvreté promue par le gouvernement laotien (The National Growth and Poverty Eradication Strategy, NGPES), qui repose sur la suppression de l’opium et de la culture sur brûlis, le regroupement des villages isolés près des routes (The village cluster – Koum Baan – Development Program) et sur une réforme foncière (The land and forest allocation program). Si l’objectif affiché de cette politique est d’offrir le progrès et une intégration sociale à des minorités ethniques considérées comme arriérées, les effets recherchés sont avant tout une reterritorialisation des populations montagnardes dans le but de récupérer leurs terres. Cette stratégie offre l’avantage de servir en même temps de mécanisme de contrôle et de surveillance de certaines

114 Verna Yu, 2013, « Naw Kham executed over murder of Chinese sailors ; TV broadcast blasted », South China Post, 2 mars, http://www.bangkokpost.com/breakingnews/338418 /naw-kham-executed-for-sailor-killings [consulté le 15 mars 2013] ; Jane Perlez, 2013, « Beijing flaunts cross-border clout in search for drug lord », New York Times, 4 avril, http://www.nytimes.com/2013/04/05/world/asia/chinas-manhunt-shows-sway-in- southeast-asia.html?pagewanted=all&_r=0 [consulté le 15 avril 2013]. 129 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » minorités jugées suspectes – notamment les Hmong – en les privant des ressources importantes liées à la culture de l’opium, mais aussi d’activer un processus de « laoïcisation », c’est-à-dire d’assimilation de ces groupes dans la culture nationale lao. De manière concomitante, le déplacement des populations montagnardes vers les plaines permet de reconvertir ces paysans semi-nomades définitivement sédentarisés en main-d’œuvre prolétarisée, nécessaire pour le développement des grandes plantations ou des projets industriels. Les partenaires chinois ont fourni l’expertise ainsi que les moyens financiers et humains pour concrétiser cette politique. À partir de 2003, la province du Yunnan s’est impliquée activement dans la conception du Plan de développement de la région Nord en envoyant ses experts au Laos et en formant les hauts fonctionnaires laotiens à Kunming115. Un des axes prioritaires du Plan concerne l’éradication de l’opium et son remplacement par la culture de l’hévéa. Cette coopération constitue une véritable aubaine pour le gouvernement laotien, car elle fournirait d’une part, une culture de remplacement génératrice de revenus pour les paysans du Nord, réduisant par conséquent les risques de révoltes. D’autre part, ce partenariat entre l’État et les compagnies privées chinoises permettrait à ceux qui détiennent le pouvoir – principalement l’armée et certains officiels nationaux et/ou provinciaux – de bénéficier des situations lucratives générées par ces compagnies privées, en devenant les contreparties obligées des joint-ventures, sans fournir le moindre capital, et tout en bénéficiant du champ libre pour continuer plus en profondeur l’exploitation forestière grâce aux routes construites par ces mêmes compagnies. Enfin, cette coopération sino-laotienne offre au régime une alternative aux programmes onusiens de lutte contre l’opium qui conditionnent leur aide à une ouverture démocratique (Cohen 2009 : 424-430). Les compagnies chinoises ont commencé à affluer au Laos à partir de 2004, car elles ont saisi l’opportunité d’obtenir de la terre à moindre coût et d’opérer dans la production d’hévéa avec un risque d’investissement faible, puisqu’elles étaient fortement encouragées et

115 Intervention de la directrice du NERI (National Economic Research Institute), partenaire laotienne dans la conception du Plan de développement de la région Nord, lors du séminaire du Programme ANR « Transiter » à Vientiane, 10 juillet 2009. 130 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) subventionnées par le gouvernement chinois. Elles bénéficient notamment de mesures spécifiques, telles que l’assouplissement des procédures d’investissement, des dérogations sur le droit du travail, ou des incitations financières à travers la mise en place d’un fonds spécial « the Opium Replacement Special Fund ». Financé par le conseil d’État à hauteur de 250 millions de yuans (40,7 millions de dollars), mais géré par le Département du commerce de la province du Yunnan, ce fonds permet de subventionner jusqu’à 80 % des coûts initiaux des compagnies, offre des prêts à des taux d’intérêt faibles ainsi que des exonérations de taxes pour l’hévéa importé (Shi 2008 : 27).

Photo 8. La coopération sino-laotienne pour l’éradication de l’opium et son remplacement par la culture de l’hévéa

Source : Danielle Tan, juin 2009.

131 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

Ce projet de coopération se situe dans la lignée de la nouvelle politique chinoise zouchuqu zhan lüe (Going global strategy) qui cherche à encourager les investissements chinois à l’étranger. Cette politique offre non seulement aux entreprises de nombreux avantages financiers (exo- nération d’impôts, crédits, prêts préférentiels, tarifs douaniers allégés), mais également un soutien diplomatique. Si les entreprises étatiques sont les principaux bénéficiaires de cette politique, de plus petites entre- prises investissant dans le foncier sont également en position de recevoir un soutien du gouvernement, comme dans le cas des entrepreneurs chinois qui investissent dans la culture de l’hévéa au Laos. Les subventions et les exonérations accordées dans le cadre du Opium Replacement Special Fund s’appliquent uniquement aux compagnies qui parviennent à signer un contrat officiel avec les autorités laotiennes (au niveau local et national), et qui exploitent des plantations de plus de 10 000 mu (soit 666 ha). Cela explique pourquoi de grandes concessions ont été accordées par les autorités centrales à des entreprises ayant des liens étroits avec le gouvernement chinois. Par exemple, China-Lao Ruifeng Rubber, un groupe à l’origine spécialisé dans l’industrie du loisir, a obtenu une concession de 300 000 ha dans la province de Louang Namtha (soit l’équivalent de la taille des districts de Sing et de Long) gérée en lien étroit avec l’armée du Laos116, tandis que Yunnan Rubber company compte couvrir 167 000 ha. La décision d’accorder une concession à cette compagnie a été prise lors de la visite au Laos du vice- Premier ministre Wu Yi en mars 2004 (Shi 2008 : 25). Suite aux vives tensions qui avaient éclaté dans le Sud, le Premier ministre de l’époque, Bouasone Bouphavanh, avait été obligé de décréter un moratoire sur les concessions foncières de plus de 100 hectares en mai 2007117. Certains acteurs du développement y avaient vu une prise de conscience de la part du gouvernement d’établir une meilleure stratégie sur la gestion foncière. Je pense, pour ma part, que le gouvernement avait surtout besoin de faire une pause afin de remettre de l’ordre dans les pratiques trop « gourmandes » ou indépendantes de certains officiels

116 Pour l’instant, la compagnie aurait reçu en concession 10 000 ha sur les 300 000 ha mentionnés dans l’accord. D’après le rapport du GMS Studies Center (2008), la compagnie devrait recevoir 10 000 ha supplémentaires à chaque fois qu’elle aura fini de planter l’hévéa sur la concession accordée. 117 « Govt Suspends Land Concessions », Vientiane Times, 9 mai 2007. 132 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) provinciaux qui ne bénéficiaient pas aux autorités centrales. Cela ne signifiait pas pour autant que le gouvernement allait changer radicale- ment le fond de sa stratégie « Turning land into capital ». D’ailleurs, en juin 2009, le gouvernement mettait fin au moratoire118. Des débats ont eu lieu à l’Assemblée nationale sur le bien-fondé du système concessionnaire, mais le gouvernement a décidé de maintenir des loyers très faibles119 afin de rester compétitif et d’attirer les investisseurs.

Conclusion

Dans cette partie, j’ai essayé de montrer comment la migration et les investissements chinois renforçaient plutôt que n’affaiblissaient l’État laotien dans son processus de contrôle des régions frontalières. Le cas du Laos met en évidence la nécessité d’analyser la montée en puissance de la Chine dans une perspective autre que celle du néo-colonialisme. Ce cas révèle à quel point les réseaux chinois interagissent avec les communautés locales et les autorités politiques, en jouant un rôle clé dans la stratégie d’extraversion qui permet à l’État laotien de réaffirmer son hégémonie sur la société. Ainsi, les nouveaux migrants chinois ont retrouvé leur rôle d’intermédiaires ou de « middleman minority » (Nyíri 2011 : 145-153) qu’ils occupaient pendant les périodes précoloniale et coloniale. On observe également une continuité historique et d’étranges similitudes dans les formes d’intermédiation. En effet, l’alliance entre l’élite lao et les commerçants chinois constitue un élément récurrent de la stratégie d’extraversion du Laos et une composante clé du système traditionnel « patron-clients ». Les commerçants chinois étaient des acteurs indispen- sables à l’économie coloniale et postcoloniale, assumant tous les rôles : compradores, usuriers, collecteurs d’impôts, intermédiaires entre les producteurs locaux et les exportateurs des pays voisins, mais aussi entre les Montagnards et les habitants des plaines, drainant la production agricole – notamment l’opium et les produits de la forêt – et distribuant

118 « Govt Resumes Land Concessions », Vientiane Times, 16 juin 2009. 119 Le loyer annuel des concessions s’élève à 6 dollars par hectare pendant les dix premières années, augmentant ensuite d’un dollar tous les dix ans. 133 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » les biens de consommation élémentaires. Aujourd’hui, les nouveaux petits commerçants chinois continuent d’être les intermédiaires entre les Montagnards et les centres urbains, drainant une production agricole qui s’est amplifiée et diversifiée, et distribuant les biens de consommation modernes que les usines chinoises fabriquent. Ils ne sont plus les compradores au service des grandes Maisons de commerce occidentales, mais les sous-traitants des grandes compagnies chinoises qui sont en train de développer le potentiel économique que le gouvernement colonial français avait identifié sans jamais avoir eu les moyens financiers et humains de le faire (chemin de fer, navigation sur le Mékong, hévéa, mines, développement agricole, etc.). Le gouvernement chinois est devenu le banquier de l’État laotien, pratiquant des taux usuraires en nature. Le fermage des jeux a été remplacé par des ZES gérées par des multinationales chinoises expertes dans l’Entertainment, et le fermage de l’opium par celui des concessions d’hévéas qui s’étendent maintenant à perte de vue. Alors que les coolies chinois étaient peu présents dans le Laos colonial – faute de grands projets à développer et parce que les travailleurs vietnamiens leur étaient préférés – le Laos du XXIe siècle, qui vit sa « Grande transformation » en version accélérée, est en train de devenir un pays d’immigration pour les surnuméraires chinois. Il est incontestable que la présence et l’influence chinoises vont s’intensifier dans le futur proche. Malgré la petite taille du Laos en termes politique et démographique, les dirigeants de ce pays ont fort peu à craindre du voisin chinois qui représente, en réalité, un puissant allié pour le régime. L’alliance sino-laotienne est solide, car la Chine n’a pas de velléités politiques sur le Laos, ses intentions sont avant tout économiques. De plus, le Laos peut fournir à Pékin ce qu’elle demande : un accès libre à ses ressources, un droit de passage, ainsi qu’un soutien indéfectible à la politique extérieure « d’une seule Chine120 ». En contrepartie, les dirigeants chinois sont prêts à apporter toute l’aide économique et le soutien politique dont le gouvernement laotien a besoin pour se maintenir au pouvoir. Le régime a, par conséquent, de longs jours devant lui.

120 Cette politique offensive de la part de Pékin vise à contrecarrer les velléités de Taiwan de s’affirmer comme une entité indépendante de la République Populaire de Chine. 134 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Comme contribution à l’ouvrage collectif en préparation, ma recherche tentera de montrer que, contrairement aux idées reçues, les États de la région sont loin d’être des spectateurs impuissants et des victimes du développement de l’économie informelle et des pratiques illicites (jeux, prostitution, trafic de drogue, blanchiment d’argent, etc.) Ces pratiques sont particulièrement florissantes dans les zones économiques spéciales situées au niveau des zones frontalières. Considérées comme des « enclaves » chinoises et des véritables zones de non-droit, mon propos est de mettre en lumière la manière dont ces zones économiques spéciales s’articulent aussi bien avec les politiques nationales de développement mises en œuvre par les États, qu’avec le programme GMS, le processus d’intégration régionale conduit par la Banque asiatique de développement. Dans la rhétorique néolibérale du développement, les barons de la drogue sont devenus des entrepreneurs chinois transnationaux, et les casinos, des complexes touristiques de luxe, érigés en fer de lance de la politique nationale de lutte contre la pauvreté. En somme, le processus de privatisation au Laos par l’intermédiaire des acteurs chinois ne reflète ni un retrait de l’État dans les affaires économiques, ni une perte de sa souveraineté, mais plutôt un nouveau mode d’interventionnisme étatique fondé sur l’extension d’un système de gouvernement indirect, que l’on retrouvait déjà durant la période coloniale. L’exploitation de l’opium a été remplacée par celle de l’hévéa, et le fermage des jeux, de l’alcool et de la prostitution par les zones économiques spéciales. En Asie, le champ de l’illicite et de l’informel a été historiquement délégué aux réseaux chinois. Je démontrerai comment ces États utilisent les acteurs chinois, non seulement pour s’insérer dans l’économie globale et régionale, mais aussi pour renforcer leur autorité dans ces marges multiethniques qui échappent à leur contrôle.

135 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

136 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

Conclusion générale

Cette étude sur les nouvelles migrations chinoises illustre un sujet de plus en plus présent dans le débat public et le milieu universitaire, celui de l’émergence de la Chine. Mais si de nombreux articles de presse, reportages, et essais sont désormais accessibles au grand public, rares sont les travaux universitaires qui tentent une approche comparative et plus centrée sur les acteurs. Paradoxalement, bien que l’Asie du Sud-Est soit particulièrement concernée par le réveil de la puissance chinoise, en tant que sphère traditionnelle d’influence revendiquée par la Chine, aucun ouvrage académique collectif (en langues française et anglaise) proposant une analyse régionale comparée n’a, pour l’instant, été publié121. En revanche, de nombreux travaux individuels traitent de l’expansion chinoise (migration, aide et investissements, outils du soft power, dynamiques transfrontalières, relations Chine-Asean, etc.) centrés sur un pays ou une zone spécifique122. Cette approche macro-économique, géostratégique ou plus orientée vers les relations internationales reste néanmoins insuffisante pour décrypter toute la complexité des liens qui unissent la Chine et l’Asie du Sud-Est. En effet, cette partie du monde est sans conteste une des régions les diverses sur les plans linguistique, religieux, politique, économique et culturel. À moins de penser le Sud-Est asiatique sous forme de carrefour, hétérogène par définition, toute tentative de traiter la région comme une entité homogène, y compris dans son rapport avec la Chine déformerait

121 L’ouvrage collectif dirigé par Evans, Hutton, et Eng, Where China Meets Southeast Asia. Social and Cultural Changes in the Border Regions date de 2000 et ne traite que des régions frontalières, tandis que celui de Surydinata, Southeast Asia’s Chinese Businesses in an Era of Globalization : Coping With the Rise of China (2006) reste focalisé sur les Chinois d’outre-mer, ne couvre que les pays les plus importants, et ne propose pas de synthèse ou d’analyse comparée. Cette lacune est en passe d’être comblée. 122 Cf. Bibliographie. 137 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » la réalité. Surtout, une telle approche ne permettrait pas de saisir la variété des réponses déployées par les acteurs dans des lieux aussi divers que le Laos rural et ou une cité-État globalisée comme Singapour. C’est pourquoi, une démarche multidisciplinaire et plus centrée sur le terrain est nécessaire pour éviter toute simplification qui tendrait à éclipser les dynamiques, les processus et les stratégies de ceux qui sont à la fois touchés et acteurs de cet ensemble de relations complexes et en constante évolution. Ce présent Carnet constitue la première étape d’un projet éditorial plus large qui se donne pour objectif de relever ce défi. J’ai choisi de commencer cette recherche par un éclairage des pays de la péninsule indochinoise – le Cambodge, le Viêt Nam et le Laos – car ils sont trop peu étudiés ou souvent mis en arrière-plan par rapport aux autres pays de l’Asie du Sud-Est. Grâce au soutien de l’Irasec, cette recherche se poursuit en collaboration avec Pál Nyíri (Vrije Universiteit Amsterdam). Elle aboutira à la publication en anglais d’un ouvrage collectif123 rassemblant les travaux de terrain les plus récents qui proposent une analyse plus fine et nuancée permettant de contrebalancer la vision souvent trop binaire des engagements chinois en Asie du Sud-Est. L’équipe de chercheurs rassemblés autour de ce projet éditorial couvrira aussi bien l’Asie du Sud-Est continentale qu’insulaire. Cet ouvrage sera l’occasion de combler l’absence de connaissances sur certains pays comme le Laos ou la Birmanie. Si les contributeurs de ce volume viennent de disciplines aussi diverses que l’anthropologie, l’histoire, la sociologie, la géographie, la science politique, l’économie, les sciences de l’environnement, les études culturelles, ou les études du développement, ils partagent néanmoins une approche méthodologique commune, fondée sur l’enquête ethnographique. Les contributeurs analyseront l’impact de la nouvelle présence chinoise en Asie du Sud-Est en privilégiant les études de terrain, l’approche comparative et pluridisciplinaire. Nous essayerons de comprendre la manière dont les pays d’Asie du Sud-Est tentent d’atténuer leurs relations de pouvoir inégales avec la Chine. L’Asie du Sud-Est offre un terrain riche d’enseignements en raison de la longue histoire qui la lie à la Chine. La perspective historique développée

123 Le titre provisoire de cet ouvrage collectif s’intitule : « How Chinese Engagements are Changing Southeast Asia. People, Money, Ideas, and Their Effects ». 138 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) ici rappelle que l’étude des migrants chinois n’a jamais été neutre, car elle devait servir les décideurs dans leur positionnement à l’égard de ces « ennemis indispensables ». L’idée est de déconstruire le concept de sinité, de questionner la pertinence et le contenu du modèle chinois, et d’envisager l’essor de la Chine sous un autre angle que celui de la menace ou de l’opportunité, mais à partir des logiques d’acteurs. Les contributions questionneront l’hypothèse selon laquelle l’analyse des intentions de Pékin, Jakarta ou Bangkok est suffisante pour comprendre les effets de la nouvelle présence chinoise en Asie du Sud-Est. Nous montrerons que la montée en puissance de la Chine n’est pas soigneusement orchestrée par « le haut », et que les réalités sur le terrain ne sont pas toujours en phase avec les objectifs de la politique chinoise ou les intentions des différents acteurs chinois, car les réseaux transnationaux chinois ne sont pas homogènes et n’agissent pas comme d’un seul bloc pour maximiser les intérêts nationaux. Comprendre la diversité des acteurs et des institutions nous en dira plus sur l’impact de la Chine sur le terrain qu’en essayant de glaner ce savoir à travers l’analyse des stratégies militaires ou en utilisant les concepts de diaspora/capitalisme chinois, qui continuent de nourrir la crainte du « jaune péril ». Le volume sera organisé en deux parties. La première partie explorera la façon dont les nouveaux flux migratoires entre la Chine et l’Asie du Sud façonnent l’économie régionale, renouvelant aussi bien les stratégies entrepreneuriales, les pratiques commerciales que les structures de travail. De manière concomitante, ils sont également à l’origine d’un changement de sens de l’identité chinoise dans la région. Les chapitres mettront en lumière la multiplicité des réseaux – fonctionnant à la fois grâce aux appartenances ethniques et religieuses, mais aussi à leur capacité à dépasser ces cadres. Ils montreront, entre autres, que les identités ethniques et les compétences linguistiques sont utilisées de manière flexible dans le but de tirer profit de l’afflux des capitaux chinois. La deuxième partie se concentrera sur les effets des investissements et de l’aide au développement chinois dans la vie quotidienne, ainsi que sur l’impact d’un « modèle chinois » imaginé dans la vision qu’ont les dirigeants et les habitants de leur futur. Malgré tout le battage médiatique qui entoure « l’exportation du développement » à travers le monde par la Chine, on sait peu de choses sur la manière

139 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS » dont les capitaux, la culture et la technologie ainsi exportés influence la vie des gens, leur manière de penser, mais aussi les relations entre la Chine, les nouveaux migrants chinois, les anciennes communautés chinoises, et les populations locales. Les contributions montreront comment les capitaux et pratiques entrepreneuriales en provenance de Chine et des communautés ethniques chinoises s’intègrent dans les structures de patronage et de clientélisme, remodelant par ce biais le champ politique de la région. Le projet éditorial en préparation a aussi pour objectif de contribuer à renouveler le champ classique des études sur la migration chinoise en proposant de nouveaux cadres d’analyse, et notamment un rapprochement avec les Global Studies. Les changements d’échelle produits par la globalisation nous obligent à articuler les niveaux d’analyse, du plus local au global, mais aussi à développer l’approche comparative. À ce titre, les réseaux chinois constituent un objet d’étude privilégié pour approfondir l’analyse du phénomène de la globalisation, car leur longue histoire migratoire et leur redéploiement à travers le monde permettent d’enrichir la réflexion sur les changements d’échelles. De plus, en tant qu’entrepreneurs transnationaux intégrés depuis des siècles dans l’économie-monde, ils constituent aujourd’hui les agents les plus emblématiques de la rationalité néolibérale. Ainsi, ce projet s’inscrit dans une perspective de décloisonnement des études sur la diaspora chinoise qui servirait à mieux comprendre les formes et les enjeux des migrations contemporaines dans les autres régions du monde. L’analyse des stratégies migratoires et de la structuration des réseaux transnationaux permettra d’éclairer les nouveaux modes d’appropriation de la globalisation, en fonction des contextes politiques et des aires culturelles où les migrants s’établissent. Ce volume a pour ambition d’intéresser non seulement les sinologues, les spécialistes de la migration et de l’Asie du Sud-Est, mais également les lecteurs désireux de comprendre comment la Chine se retrouve à conduire la prochaine étape de la mondialisation.

140 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM) Bibliographie

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Centres de recherche sur la diaspora/migration chinoise

Hong Kong Baptist University (HKBU) Library : http://library.hkbu.edu.hk/electronic/libdbs/overseas-e.html The Centre for the Study of the Chinese Southern Diaspora (CSCSD), Australian National University : http://chl.anu.edu.au/sites/csds/ The Contemporary China Centre, Australian National University : http://ips.cap.anu.edu.au/psc/ccc/ Dr. Shao You Bao Centre, Ohio University 俄亥俄大學邵友保博士海外華人文獻研 究中心 : http://www.library.ohiou.edu/hosted/shao/main.html The Hakka Research Institute of Jiaying University 嘉應大學客家研究所 : http://www.davidson.edu/academic/anthropology/erlozada/papers/jiada /jdhakeng4.htm Jinan University Library 暨南大學圖書館華僑華人文獻信息中心 : http://hqhr.jnu.edu.cn/ HuayiNet, Chinese Overseas Databank & Research 華裔網海外華人資料庫 : http://www.huayinet.org/ National University of Singapore, Chinese Overseas Collection 新加坡國立大學 海外華人特藏 : http://linc.nus.edu.sg:2083/search*chi~S10 National University of Singapore 新加坡國立大學中文圖書館海外華人研究 : http://www.lib.nus.edu.sg/chz/chineseoverseas/ Overseas Chinese Archives, Chinese University of Hong Kong 香港中文大學海外 華人研究中心 : http://coc.lib.cuhk.edu.hk/oca.htm The World Confederation of Institutes and Libraries for Overseas Chinese Studies 世界海外華人研究與文獻收藏機構聯合會 : http://www.overseaschineseconfederation.org/main/index.php

159 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

The Chinese Heritage Centre, Singapore : http://chc.ntu.edu.sg/Pages/Home.aspx Nalanda-Sriwijaya Centre : http://nsc.iseas.edu.sg/ Centre for Chinese Studies : http://www.ccs.org.za/ VU China Research Centre : http://www.feweb.vu.nl/nl/afdelingen-en- instituten/management-en-organisatie/vcrc/index.asp China studies Centre, The University of Sydney : http://sydney.edu.au/china_studies_centre/ CEFC – Centre d’études français sur la Chine contemporaine – Hong Kong : http://www.cefc.com.hk Le Centre d’études sur la Chine moderne et contemporaine – EHESS : http://cecmc.ehess.fr/ « Distribution of the Overseas Chinese Population », Ohio State University : http://www.library.ohiou.edu/subjects/shao/ch_databases_popdis.html

Blogs, think tanks, et forums

Chinafrique : http://www.chinafrica.cn/french/Accueil/node_49921.htm The Europe China Research and Advice Network (ECRAN) : http://www.euecran.eu/ MqVu, Exporting China’s Development to the World : http://mqvu.wordpress.com/about/ The China Briefing : http://www.china-briefing.com/en/ The Jamestown Foundation, China Brief : http://www.jamestown.org/programs/chinabrief/ South African Institute of International Affairs : http://www.saiia.org.za/ East-Asia Forum, ANU: http://www.eastasiaforum.org/ Center for International Economic Exchanges : http://english.cciee.org.cn/ Hoover Institution, Stanford University, China Leadership Monitor : http://www.hoover.org/publications/china-leadership-monitor/about Lowy Interpreter : http://www.lowyinterpreter.org/

160 (CAMBODGE, LAOS ET VIÊT NAM)

The Diplomat [China Power. A New World Order] : http://thediplomat.com/china-power/ Foreign Policy in Focus (FPIC) : http://www.fpif.org/ IFRI, Institut Français des Relations Internationales : http://www.ifri.org Asia Centre, China Analysis : http://www.centreasia.eu/publications/china- analysis East by Southeast : http://www.eastbysoutheast.com/ Les mailing lists : Minjianchina et China in Africa/Africa in China

Documentaires

China Rises : A Four-Part Television Series and Interactive Web, New York Times, 2006, http://www.nytimes.com/packages/html/specials/chinarises/intro /ABOUT_FEATURE/alt_00.html Laurent VÉDRINE, Kinshasa Beijing Story, 2008 : http://www.harmattantv.com /videos/film-(vod-dvd)-2167-KINSHASA-BEIJING-STORY- DOCUMENTAIRES.html Marc et Nick FRANCIS, When China meets Africa, 2010 : http://whenchinametafrica.com/ Solange GUO CHATELARD et Scott CORBEN, King Cobra and the Dragon, Aljazeera, 2011 : http://www.aljazeera.com/programmes/peopleandpower /2012/01/20121484624797945.html China : Shaking the World, BBC World Service, 2011 : http://www.bbc.co.uk /worldservice/documentaries/2010/05/100513_china_shaking_the_world_ part_one.shtml.

161 L’ASIE DU SUD-EST DANS LE « SIÈCLE CHINOIS »

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Les publications de l’Irasec

Études régionales Asie du Sud-Est

An Atlas of Trafficking in Southeast Asia - The Illegal Trade in Arms, Drugs, People, Counterfeit Goods and Natural Resources in Mainland Southeast Asia, sous la direction de Pierre-Arnaud Chouvy Anti-Trafficking Regional Cooperation in Southeast Asia and the Global Linkages from Geopolitical Perspectives, note d’Anne-Lise Sauterey Armée du peuple, armée du roi, les militaires face à la société en Indonésie et en Thaïlande par Arnaud Dubus et Nicolas Révise Asies, tiers du monde, par la revue Outre-Terre Atlas des minorités musulmanes en Asie méridionale et orientale, sous la direction de Michel Gilquin Des catastrophes naturelles au désastre humain, conséquences et enjeux de l’aide humanitaire après le tsunami et le cyclone Nargis en Thaïlande et en Birmanie, carnet de Maxime Boutry et Olivier Ferrari Des montagnards aux minorités ethniques, quelle intégration nationale pour les habitants des hautes terres du Viêt Nam et du Cambodge, par Mathieu Guérin, Andrew Hardy, Nguyen Van Chinh, Stan Tan Boon Hwee Évolution du rôle du yuan en Asie orientale - La guerre des monnaies aura-t-elle lieu ?, note de Catherine Figuière et Laëtitia Guilhot Informal and Illegal Movement in the Upper GMS - Costs and Benefits of Informal Networks for Goods and People, carnet de Lynn Thiesmeyer Interactions with a Violent Past - Reading Post-Conflict Landscapes in Cambodia, Laos and Vietnam, sous la direction de Vatthana Pholsena et Oliver Tappe Investigating the Grey Areas of the Chinese communities in Southeast Asia, carnet sous la direction d’Arnaud Leveau La Monnaie des frontières - Migrations birmanes dans le sud de la Thaïlande, structure des réseaux et internationalisation des frontières, carnet série Observatoire par Maxime Boutry et Jacques Ivanoff L’Asie du Sud-Est 2007, par la revue Focus Asie du Sud-Est L’Asie du Sud-Est 2008, par la revue Focus Asie du Sud-Est L’Asie du Sud-Est 2009, sous la direction d’Arnaud Leveau L’Asie du Sud-Est 2010, sous la direction d’Arnaud Leveau et Benoît de Tréglodé L’Asie du Sud-Est 2011, sous la direction d’Arnaud Leveau et Benoît de Tréglodé L’Asie du Sud-Est 2012, sous la direction de Jérémy Jammes et Benoît de Tréglodé L’Asie du Sud-Est 2013, sous la direction de Jérémy Jammes L’Asie du Sud-Est 2014, sous la direction de Jérémy Jammes et François Robinne

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L’impact des catastrophes naturelles sur la résolution des conflits en Asie. Les cas du Sri Lanka, de l’Indonésie et du Cachemire, note de Clarisse Hervet L’Islamisme combattant en Asie du Sud-Est par Philippe Migaux L’Or Blanc - Petits et grands planteurs face au « boom » de l’hévéaculture (Viêt Nam- Cambodge), carnet sous la direction de Frédéric Fortunel et Christophe Gironde Le destin des fils du dragon, l’influence de la communauté chinoise au Viêt Nam et en Thaïlande, par Arnaud Leveau Les messagers divins, aspects esthétiques et symboliques des oiseaux en Asie du Sud- Est, sous la direction de Pierre Le Roux et Bernard Sellato Les musulmans d’Asie du Sud-Est face au vertige de la radicalisation, sous la direction de Stéphane Dovert et Rémy Madinier Mekong–Ganga Cooperation Initiative, carnet de Swaran Singh Mobilité prostitutionnelle et représentations - Le cas des prostituées vietnamiennes d’An Giang vers le Cambodge, note de Nicolas Lainez New Dynamics between China and Japan in Asia, sous la direction de Guy Faure Passage sur le Mékong, par Guy Lubeigt et Jérôme Ming Pavillon Noir sur l’Asie du Sud-Est, histoire d’une résurgence de la piraterie maritime en Asie du Sud-Est, par Éric Frécon Perception of Borders and Human Migration - The Human (In)security of Shan Migrant Workers in Thailand, carnet série Observatoire de Ropharat Aphijanyatham Présence économique européenne en Asie du Sud-Est, sous la direction de Guy Faure et David Hoyrup Réfléchir l’Asie du Sud-Est, essai d’épistémologie sous la direction de Stéphane Dovert The Resurgence of Sea Piracy in Southeast Asia, carnet d’Éric Frécon The Trade in Human Beings for Sex in Southeast Asia, sous la direction de Pierre Le Roux, Jean Baffie et Gilles Beullier Yaa Baa, Production, Traffic and Consumption of methamphetamine in Mainland Southeast Asia, par Pierre-Arnaud Chouvy et Joël Meissonnier Yaa Baa, production, trafic et consommation de méthamphétamine en Asie du Sud-Est continentale par Pierre-Arnaud Chouvy et Joël Meissonnier

Brunei

Brunei, de la thalassocratie à la rente, par Marie Sybille de Vienne

Birmanie

Back to Old Habits, Isolationism ot the Self-Preservation of Burma’s Military Regime, carnet de Renaud Egreteau et Larry Jagan Birmanie contemporaine, monographie nationale, sous la direction de Gabriel Defert Informal Trade and Underground Economy in Myanmar: Costs and Benefits, carnet série Observatoire de Winston Set Aung

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Nay Pyi Taw, Une résidence royale pour la junte birmane, par Guy Lubeigt Soldiers and Diplomacy in Burma - Understanding the Foreign Relations of the Burmese Praetorian State, par Renaud Egreteau et Larry Jagan State Building, Infrastructure Development and Chinese Energy Projects in Myanmar, note de James O’Connor The Politics of Silence, Myanmar NGOs’ Ethnic, Religious and Political Agenda, carnet de Lois Desaine

Cambodge

Cambodge contemporain, monographie nationale, sous la direction d’Alain Forest Cambodge soir, chroniques sociales d’un pays au quotidien, sous la direction de Grégoire Rochigneux Le dictionnaire des Khmers rouges, par Solomon Kane

Indonésie

Aceh : l’histoire inachevée. La fière histoire d’une terre dévastée par les tsunami par Jean-Claude Pomonti et Voja Miladinovic Islam and the 2009 Indonesian Elections, Political and Cultural Issues - The Case of the Prosperous Justice Party (PKS), par Ahmad-Norma Permata et Najib Kailani, carnet sous la direction de Rémy Madinier La fin de l’innocence, l’islam indonésien face à la tentation radicale de 1967 à nos jours, par Andrée Feillard et Rémy Madinier Les relations centre périphérie en Indonésie, note de Lucas Patriat Negotiating Women’s Veiling - Politics & Sexuality in Contemporary Indonesia, carnet par Dewi Candraningrum Réseaux d’influence et politique locale en Indonésie – Les « hommes forts » de l’organisation Pendekar Banten, carnet par Mary Van Treche The End of Innocence? Indonesian Islam and the Temptations of Radicalism, par Andrée Feillard et Rémy Madinier The Flowering of Islamic Thought - Liberal-Progressive Discourse and Activism in Contemporary Indonesia, note de Suratno

Laos

Laos - From Buffer State to Crossroads, par Vatthana Pholsena et Ruth Banomyong Laos - Société et pouvoir, sous la direction de Vanina Bouté et Vatthana Pholsena Du Triangle d’or au Quadrangle économique - Acteurs, enjeux et défis des flux illicites transfrontaliers dans le Nord-Laos, note de Danielle Tan Le Laos au XXIe siècle, les défis de l’intégration régionale, par Vatthana Pholsena et Ruth Banomyong

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Malaisie

From the Mosque to the Ballot Box, An Introduction to Political Islam in Malaysia, carnet sous la direction de Sophie Lemière La Malaisie, un modèle de développement souverain ? par Elsa Lafaye de Micheaux Political Development in Sabah, 1985-2010 - Challenges in Malaysian Federalism and Ethnic Politics, note d’Arnold Puyok Russia’s Quiet Partnerships in Southeast Asia - Russia-Malaysia Strategic Partnership through Sabah Case Study, note de William Kucera et Eva Pejsova

Philippines

Élites et développement aux Philippines : un pari perdu ? par Stéphane Auvray, Roberto Galang et Cristina Jimenez-Hallare Geopolitics of Scarborough Shoal, note de François-Xavier Bonnet La Croix et le Kriss, violences et rancœurs entre chrétiens et musulmans dans le sud des Philippines, par Solomon Kane et Felice Noelle Rodriguez Mindanao - Séparatisme, autonomie et vendetta, carnet de François-Xavier Bonnet Philippines contemporaines, monographie nationale, sous la direction de William Guéraiche

Singapour

A roof Overt Every Head, par Wong Tai-Chee et Xavier Guillot The Hegemony of an Idea: The Sources of the SAF’s Fascination with Technology and the Revolution in Military Affairs, note de Ho Shu Huang The Ruling Elite of Singapore, Networks of Power and Influence, par Michael Barr

Thaïlande

Alternatives agricoles en Thaïlande, par Roland Poupon Bangkok, formes du commerce et évolutions urbaines, par Davisi Boontharm Competitiveness of Local Agriculture - The Case of Longan Fruit Trade between China and the North of Thailand, note de Narat Hasachoo et Phattaraporn Kalaya Education, Economy and Identity - Ten Years of Educational Reform in Thailand, carnet sous la direction d’Audrey Baron-Gutty et Supat Chupradit Femmes prostituées dans la region du sud de la Thaïlande, carnet de Jean Baffie Les musulmans de Thaïlande, par Michel Gilquin Policies of the Thai State Towards the Malay Muslim South (1978-2010), carnet d’Arnaud Dubus et Sor Rattanamanee Polkla State and Media in Thailand During Political transition, carnet sous la direction d’Arnaud Leveau et Chavarong Limpattamapanee

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Thaïlande - Aux origines d’une crise, carnet d’Olivier Ferrari, Narumon Hinshiranan Arunotai, Jacques Ivanoff et Arnaud Leveau Thaïlande - Ressources documentaires françaises, par Laurent Hennequin Thaïlande contemporaine, monographie nationale, sous la direction de Stéphane Dovert et Jacques Ivanoff The Muslims of Thailand, par Michel Gilquin Trafficking for Sexual Exploitation into Southern Thailand, carnet sous la direction de Patacharawalai Wongboonsin

Timor-Leste

Catholicisme et protestantisme dans l’île de Timor : 1556-2003. Construction d’une identité chrétienne et engagement politique contemporain, par Frédéric Durand East-Timor, How to Build a New Nation in Southeast Asia in the 21st Century? carnet sous la direction de Christine Cabasset-Semedo et Frédéric Durand Timor : 1250-2005, 750 de cartographie et de voyages, par Frédéric Durand Timor-Leste contemporain, l’émergence d’une nation, sous la direction de Benjamim de Araújo e Corte-Real, Christine Cabasset et Frédéric Durand Timor-Leste en quête de repères, perspectives économico-politiques et intégration régionale, par Frédéric Durand Timor-Leste, The Dragon’s Newest Friend, note de Loro Horta Timor Lorosa’e, A Country at the Crossroads of Asia and the Pacific, a Geo-Historical Atlas par Frédéric Durand Timor Lorosa’e, Pays Carrefour de l’Asie et du Pacifique. Un atlas géohistorique, par Frédéric Durand

Viêt Nam

Agriculture, environnement et sociétés sur les hautes terres du Viêt Nam, par Rodolphe de Koninck, Frédéric Durand et Frédéric Fortunel Japan-Viêt Nam, history of a relationship under influences par Guy Faure et Laurent Schwab Japon-Viêt Nam, histoire d’une relation sous influences, par Guy Faure et Laurent Schwab Les Oracles du Cao Ðai, étude d’un mouvement religieux vietnamien et de ses réseaux, par Jérémy Jammes Le Viêt Nam dans l’Organisation mondiale du commerce, Impact sur la croissance et l’emploi, carnet sous la direction de Jean-Pierre Cling, Stéphane Lagrée, Mireille Razafindrakoto et François Roubaud Mobiliser les Vietnamiens de l’étranger - Enjeux, stratégies et effets d’un nationalisme transnational, carnet de Christophe Vigne Norms and Practices in Contemporary Vietnam, Social Interaction between Authorities and People, carnet sous la direction de Christian Culas et Nguyen Van Suu

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Viêt Nam contemporain, monographie nationale, sous la direction de Stéphane Dovert et Benoît de Tréglodé Volées, envolées, convolées - Vendues, en fuite ou re-socialisées : les « fiancées » vietnamiennes en Chine, par Caroline Grillot

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