Clara Campoamor : Une Féministe En Résistance
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REPLI OU défI D’un GEnrE musICAL CHANTÉ ET DAnsé COmmE REprésENTATION POLITICO-cuLTurELLE D’un ÉTAT-NATION Clara Campoamor : Une féministe en résistance DENIS RODRIGUES Université Rennes 2 – Haute-Bretagne « El siglo XX será, no lo dudéis, el de la emancipación femenina... Es imposible imaginar una mujer de los tiempos modernos que, como principio básico de individualidad, no aspire a la libertad. » Clara Campoamor. RÉSUMÉ C’est à Clara Campoamor (1888-1972) que les Républicains espagnols doivent d’avoir pu inscrire dans la Constitution de 1931 le droit de vote des femmes. Cet article se propose de retracer le parcours de cette femme qui a consacré sa vie à la lutte pour l’égalité des hommes et des femmes et qui n’a cessé de résister à l’adversité. En suivant Clara Campoamor de sa naissance à l’exil mais aussi en exposant les moyens dont elle s’est dotée pour mener son combat, nous verrons qu’en effet sa vie entière témoigne de cette volonté de ne se soumettre ni à l’usage, ni aux honneurs, ni aux siens, ni même à la défaite, jusqu’à ce que le danger lui fasse adopter une attitude de prudence qui ne modifiera en rien son tempérament de résistante mais qui fera de la deuxième partie de sa vie un parcours de douleur très éloigné de la combativité et de l’inquiétude créatrice qui avaient animé la première. ABSTracT It is thanks to Clara Campoamor (1888-1972) that Spanish Republicans were able to enshrine women’s suffrage in the 1931 Constitution. The present article aims to retrace the steps of this woman who dedica- ted her whole life to the struggle for sexaul equality and who never gave up in the face of adversity. This article follows Clara Campoamor from birth through to exile while detailing the means she deployed to wage her battle. We will illustrate that her whole life bears witness to her refusal to submit neither to tradition nor to honours, nor to her family ties, nor even to admit defeat until such time as danger forced her to adopt a more prudent stance which, however, in no way diminished her militant temperament but which transformed the second part of her life into one of pain far removed from the fighting spirit and creative restlessness associated with her former life. 125 CLARA CAmpOAMOR : unE fémINISTE EN résISTAncE DENIS RODRIGUES e sont les vainqueurs qui écrivent l’histoire. Cette phrase est connue mais elle mériterait d’être complétée par une vérité qui l’est sans doute moins : l’histoire Cque les vainqueurs racontent ne retient souvent que le nom des hommes. Elle relègue à un arrière plan jugé intéressant mais secondaire le rôle parfois déterminant que les femmes ont pu jouer pour obtenir la victoire. L’histoire mondiale du XXe siècle est riche d’exemples qui pourraient corroborer ce constat. Clara Campoamor en était consciente, qui avait fait de la reconnaissance de l’égalité des hommes et des femmes, le combat de sa vie, avec le succès que l’on sait : l’inscription du droit de vote des femmes dans la Constitution Républicaine de 1931. Elle en était consciente au point de devoir prendre la plume pour relater elle-même sa propre victoire et porter un regard lucide sur ce qui fut, depuis les premiers débats organisés dans les associations féminines apparues au lendemain de la Première Guerre Mondiale et jusqu’à cet exceptionnel et décisif discours qu’elle prononça au Parlement espagnol le 1er octobre 1931, le combat d’une femme dont la vie peut se résumer à un mot qui chez elle se décline de multiples façons : résister. Mais qu’on ne s’y méprenne pas : l’apparente résignation qui la conduit à quitter l’Espagne en septembre 1936, ne mettra nullement un terme à sa volonté de ne pas se soumettre au diktat imposé depuis des siècles par la loi du plus fort et le discours religieux. Bien au contraire, mais cette fois-ci, ce sera autant pour poursuivre son combat par d’autres moyens que pour résister à elle-même et à cette tentation qui ne l’a jamais quittée de revenir en Espagne et d’y finir ses jours, guérie des effets dévas- tateurs de l’ingratitude de ses contemporains et avec le sentiment du devoir accompli. C’est le parcours d’une femme qui a consacré sa vie à la résistance que les lignes qui suivent se proposent de retracer. En suivant Clara Campoamor de sa naissance à l’exil mais aussi en exposant les moyens dont elle s’est dotée pour mener son combat, nous verrons qu’en effet, sa vie entière témoigne de cette volonté de ne se soumettre ni à l’usage, ni aux honneurs, ni aux siens, ni même à la défaite, jusqu’à ce que le danger lui fasse adopter une attitude de prudence qui ne modifiera en rien son tempérament de résistante mais qui fera de la deuxième partie de sa vie un parcours de douleur très éloigné de la combativité et de l’inquiétude créatrice qui avaient animé la première. RÉSISTer À L’USage, AUX honneURS ET À L’adVerSITÉ Commençons par une anecdote. Le véritable prénom de la plus célèbre suffragette espagnole n’était pas Clara mais Carmen Eulalia. Clara était le prénom de l’une de ses grand-mères maternelles. Cela semblera peut-être insignifiant mais il convient de le mentionner afin de démontrer à quel point nous sommes en présence d’une person- nalité qui dès l’enfance n’est pas prête à s’en laisser conter et qui témoigne par là d’une volonté de résister à cet usage intemporel qui veut que l’on ne puisse même pas choisir son propre prénom. Clara Campoamor, non croyante, ne voulut pas porter le prénom 126 CLARA CAmpOAMOR : unE fémINISTE EN résISTAncE DENIS RODRIGUES que ses parents avaient choisi pour elle et que l’Eglise avait consacré par le baptême. Ce fut sans nul doute son premier acte de résistance. En 1898, la mort prématurée de son père, alors qu’elle n’a que dix ans, la fait entrer de plain-pied dans le siècle finissant et qui l’a vue naître. Elle entre brutalement dans l’histoire d’un pays qui cumule des records désastreux et dans de nombreux domaines, l’analphabétisme et la mortalité infantile, certes, mais aussi, une espérance de vie à la naissance estimée à 35 ans et qui ne rend nullement anormale la disparition précoce de son père. Néanmoins, cette disparition, au-delà de sa dimension affective, va obliger la jeune Clara, à faire face prématurément à l’adversité dans cette Espagne qui n’est pas encore entrée, loin s’en faut, dans la société du bien-être à laquelle aspirera près d’un siècle plus tard la Constitution de 1978. La vie entière de Clara Campoamor démontre que le décès de son père et les difficultés financières qui s’ensuivirent, ont stimulé une combativité qui s’est traduite très peu de temps après par l’obligation d’interrompre sa scolarité et d’entrer dans la vie active afin de venir en aide à sa mère qui se retrouvait seule pour élever ses deux enfants. Que va-t-il se passer dans la vie de Clara Campoamor pour que l’enfant perturbé par la mort prématurée de son père et destiné à reprendre les activités de couturière de sa mère devienne vingt six ans plus tard, l’une des avocates les plus en vue du barreau de Madrid, à laquelle feront appel aussi bien Valle Inclán que Concha Espina ? Pendant quelques années, Clara travaille avec sa mère, elle coud et raccommode, puis elle trouve un emploi de vendeuse qu’elle conserve jusqu’en 1909, année où elle se pré- sente à un concours devant lui permettre d’intégrer l’équivalent espagnol de la Poste et du Télégraphe. Reçue première, elle quitte Madrid en 1910 pour rejoindre son affecta- tion à San Sebastián1. Quatre ans plus tard, elle se présente à un concours du Ministère de l’Instruction Publique. Elle est également reçue mais, n’ayant pas achevé ses études secondaires, elle doit se contenter d’un poste de professeur de sténo-dactylographie dans une école pour adultes. De nouveau à Madrid, où elle peut continuer à subvenir aux besoins matériels de sa mère et de son frère, elle cumule son métier de professeur et un emploi de dactylo au Ministère. Ses compétences dans ce domaine lui permettent d’obtenir également le poste de secrétaire du directeur du journal La Tribuna. Elle col- laborera également à d’autres journaux : Nuevo Heraldo, El Sol, El Tiempo, et d’autres encore d’une moindre renommée. Grâce à cela, elle fait la connaissance de person- nalités qu’elle n’aurait sans doute jamais pu côtoyer, journalistes, hommes politiques, artistes et intellectuels. C’est en 1920, à l’âge de 32 ans, qu’elle prend une décision qui en dit long sur sa détermination : elle décide de reprendre le chemin de l’école pour achever ses études secondaires, ce Bachillerato sans lequel de nombreuses portes, et 1 Cette ville, qui l’émerveille, restera à tout jamais gravée dans son cœur. C’est d’ailleurs dans cette ville que ses cendres reposent. 127 CLARA CAmpOAMOR : unE fémINISTE EN résISTAncE DENIS RODRIGUES notamment celles des lieux de formation, lui resteront fermées. Deux ans plus tard c’est chose faite. Clara Campoamor s’inscrit alors à la Faculté de Droit et au terme de deux années d’études, obtient sa Licence. Elle est, à 36 ans, l’une des rares femmes d’Espagne à posséder ce diplôme.