CHRONIQUES Pierre-Jean Remy

eut-être que ces chroniques devraient s'avouer ce qu'elles sont: des promenades. Dans l'abondance discographique à la- quelle le CD a donné une nouvelle jeunesse, ce que nous aimons, en somme, c'est nous promener. D'où les choix que nous faisons, au hasard de la production, guidés bien souvent par le seul plaisir d'un autre rendez-vous. Lesmélodies de Schubert Rendez-vous, dès lors, avec le sublime. Et je pèse et l'année 1943 mes mots. Les trois CD consacrés aux grands cycles de mélodies de Schubert que vient de rééditer la firme Pilz Acanta (distribuée par MediaZ) sont peut-être parmi les premiers mo­ ments d'une immense fortune qui nous est arrivée par le disque et dont André Tubeuf, dans son Lied romantique allemand, vient de tout nous dire.Je suis persuadé qu'il est inconcevable d'écouter vraiment un quelconque Voyage d'hiver au­ jourd'hui, une Belle Meunière ou un Schuianen­ gesang sans savoir ce qu'en la terrible année 1943 trois artistes, qui s'appelaient Hans Hotter (natu­ rellement), Julius Patzak et Peter Anders, surent en faire,avec MichaelRaucheisen au piano Cl). La voix parfois blanche de Patzak, la simplicité terrible de Hotter nous apprennent que, de la Meunière au Voyage, c'est un même itinéraire commencé dans les paysages d'une idylle cham­ pêtre (fût-elle tragique) qui s'achève dans la nuit glacée du vrai désespoir. Plus encore qu'à écouter (et Dieu sait si on les écoutera !),ces trois disques sont à méditer.

Bien sûr, avec Andreas Schmidtet son Schwanen­ gesang tout frais de l'année, nous sommes sur d'autres collines (2). Mais si le jeune baryton

210 REVUE DES DEUX MONDES JUILLET-AOUT 1993 DISQUES allemand, dont on a tant attendu, a pu parfois nous décevoir, ce qu'il fait ici du Chant du cygne est d'une si belle simplicité (comme si certains chanteurs de ce temps renouaient avec une évidence que les Patzak et Hotter connaissaient si bien et qui a, désormais, échappé à tant d'au­ tres) qu'il mérite une halte. Rarement avons-nous entendu le Stândchen de Rellstab si bien mur­ muré à notre oreille.

On continuera sur ce terrain avec les deux albums de la série « Dokumente » que nous propose Rita Streich : Rita Streich et Irmgard et Irmgard Seefried. De la première (accompagnée par Seefried Erik Werba puis par G. Weissenborn), c'est un sont éblouissantes éblouissant ensemble de lieder, si gaiement, si et bouleversantes radieusement énoncés, jusque dans les moments de plus grande nostalgie, qu'on reste confondu d'avoir, pendant tant d'années, considéré RitaStreich comme un élément un peu en retrait de notre panorama musical (3).SonPourchanter surl'eau est une réponse au moins aussi radieuse à celui qui nous a faitce que nous sommes, leAuj dem Wasser zu singen de Schwarzkopf. Quant à Seefried, enregistrée dans les mêmes années cinquante et au début des années soixante à Vienne ou à Berlin avec les plus grands, Leitner, jochum, Fricsay, Bôhm, elle nous entraîne de Mozart à Lortzinget Straussdans un bouleversant hommage à tout ce que nous avons toujours aimé dans ces musiques-là (4). Oh! l'air de la Marcel­ line du Fidelio de Fricsay en 1957 : comment pouvait-on si bellement aimer la vie?

Fidelio :parlons-en! Distribué par BMG, deux CD MCQ Classics nous arrivent presque en cati­ mini (5). Rien n'indique la date de l'enregistre­ 1. 3 CDPHz Acanta ment et ce sont les deux seuls protagonistes, (Media 7),442. 115/16/17-2. 2. Schubert, 1. CDDG Senajurinac etJan Peerce, dontles noms figurent 437.536-2. 3. 2 CDDG, 437-680-2. (avec celui de Knappertsbusch, tout de même) sur 4. Arias, 2CDDGQ, 437.677-2. la pochette. Et pourtant, ce Fidelio de 1961, 5. Beethoven, 2.9809.

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enregistré à Munich avec Gustav Neildlinger en Pizarro et la modeste Maria Stader en Marcelline, est empreint d'une telle détresse, d'une telle tension, jusque dans la direction qu'un de nos amis qualifia jadis ici d'« incertaine » du grand Knappertsbusch, qu'il constitue un autre formida­ ble témoignage d'un chant qui n'est plus.

Quant au Parsifal, que dirigea le même Knappertsbusch pour la réouverture de Bayreuth Parsifal dirigé en 1951, il est bien, lui, un moment irrempla­ par çable de l'histoire de l'opéra. Biensûr, Knapperts­ Knappertsbusch busch l'a réenregistré aussitôt après et ce sont ces disques, avec Jess Thomas, que la discographie dite « classique » a retenus. Mais écoutez ce premier prélude du premier Parsi/al sur la verte colline retrouvée, écoutez le premier Gurne­ manz, Ludwig Weber, réveiller les chevaliers endormis, puis la voix de la Kundry de Martha Müdl nous offrir tout ce qu'elle peut donner et qui est déjà immense, et vous saurez pourquoi cette cathédrale que nous rend Teldec dans une série d'enregistrements effectués jadis par Telefunken est un monument incontourna­ ble (6).

L'histoire de l'opéra serait faite de ces coups de passion? Qu'importe alors le son voilé de la qu'enregistrèrent en 1936lestroisgrands premiers rôles de la scène américaine, Rosa Ponselle, René Maison et Ezio Pinza, puisque après presque soixante ans, et malgré une direc­ tion indécise de Louis Hasselmans, le trio Ponselle-Pinza-Maison semble inégalable (7)? Ponselle, bien sûr, gigantesque; Pinza, souve­ rain; mais aussi René Maison, dont le don José rejoint ici, en émotion, le Florestan qu'il fut quatre ans plus tard, face à Flagstad et à Bruno Walter. Un tel brelan, une fois par siècle?

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C'est la même firme, Eklipse (distribuée par Har­ monie) qui offre,de même, l'extraordinaire Canio de Giovanelli Martinelli dans Paillasse (8). Nous sommes, cette fois, au Metde New York en 1941, c'est la suite d'un âge d'or où le Tonio était tout simplement Lawrence Tibett et la Nedda, Norina Greco. Comme pour la Carmen de 1936,l'art de ces trois fantastiques chanteurs fait déjà partie d'une autre histoire, qui serait légende, si le disque n'était là pour nous dire que c'est vrai.

Alors, Lily Pons (9) dans les années trente et quarante, Pinza entre 1927 et 1952(l0) : il faut LilyPons, aller du côté de RCA Victor(BMG) pour continuer « le rossignol une extraordinaire plongée dans le grand chant français » américain de ce temps-là. Si l'art immense et admirablement maîtrisé de Lily Pons, le « rossi­ gnol français », nous paraît aujourd'hui un peu sophistiqué, Ezio Pinza, qu'il soit le tambour­ major du Caïd de Thomas, don Juan, bien sûr (l'un des plus grands) ou Borislui-même, chantait hier comme on n'oserait rêver d'entendre chanter aujourd'hui.

Aujourd'hui il Y a pourtant Van Dam... José Van Dam, dont la firme Forlane est en train, en marge de ses intégrales d'opéras, de nous construire une remarquable anthologie, CD après CD. Cette fois, ce sont des Grands Airs d'opéra italien que Van Dam nous fait réécouter avec une attention que nous étions sur le point de ne plus accorder qu'à des chanteurs dis­ parus (11). De la Bohême à Boïto, il y a de tout, dans ce petit disque, toujours aussi passionnant 6. Wagner:Parsifa( Bayreuth 1951, 4 CD (c'est MarcSoustrot qui dirige). Mais ce que nous Teidec, 9031.76047-2. 7. Bizet, 2 CDEldipse réécouterons, nous, dans vingt ans encore et (Harmonie), EKR-CD 6. 8. Leoncavallo, 1CD plus, nous le savons bien, c'est l'infiniment Eldipse (Harmonie), ECR­ bouleversant air de Philippe II du , CD1. 9. 1 CDRCA (BMG), de Verdi. La voix reprend ici le terrible discours 09.026-61,411-2. JO. 1 CDRCA (BMG), du violoncelle pour dire la même musique de 09.026-61, 245-2. 11.1 CDForlane, UCD toutes nos amours perdues. 16.681.

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Après ces instants de tension extrême, c'est une étrange impression de légèreté, de tendresse, de fragilité mouvante qui nous amène à revenir à Schubert raconté aux enfants d'aujourd'hui par Barbara Hendricks et Radu Lupu dans un deuxième album de Lieder (12). Lentement, ce qu'il peut y avoir d'un peu trop délicat, parfois presque charmant (que ses inconditionnels nous le pardonnent!) dans la voix de Barbara Hen­ dricks devient sens aigu du charme schubertien. Comme Andreas Schmidttout à l'heure, elle nous dit en une langue de notre temps ce qui a si longtemps été pour nous hors du temps. AvecMontserratCaballé au tout débutdes années quatre-vingt, dans le récital que nous offre RCA (BMG), accompagnée au piano jusque dans des airs d'opéra, nous sommes aux limites extrêmes de ce que nous avons pu adorer et qui, ici, doucement, tremble .... Oserons-nous avouer que tout un CD (ou presque) de Vivaldi et autre Giordani par Caballé (fût-ce en 1978) finit par nous faire regretter d'autres élans? Heureuse­ ment, Bellini et Verdi nous ramènent sur des terres plus fréquentables (13). Qu'y pouvons-nous?Noussommes fervents d'au­ tres souffles.Ainsi EMI nous remplit-il de joie en Martina Arroyo, nous rendant quelques-uns de ces très grands CarloBergoozï : enregistrements d'opéra qui firent notre bonheur époustouflants 1 voilà dix ou vingt ans. Vingt ans déjà qu'un Lam­ berto Gardelli (pourquoi pas ?) dirigeait le plus grand duo de l'histoire de la Force du destin, de Verdi,avec MartinaArroyo et CarloBergonzi (14). Les contre-performances d'une carrière à risque ont fait oublier que la jeune Arroyo a pu être une héroïne verdienne idéale. Quant à Bergonzi, bien au-delà de ceux que nous adorons aujourd'hui, il a été le vrai, le seul grand ténor verdien de ces trente dernières années : Bergonzi, Arroyo, avec Cappucili et Raimondi, et Geraint Evans en Fra Melitone, c'est époustouflant!

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Comme le fut le Vaisseaufantôme qu'enregistra Karajan (sur trois ans, pourtant!) entre 1981 et 1983(15). Grâces soient rendues à l'acharnement de Michel Glotz qui permit à ce fulgurant témoi­ gnage de voir le jour. Van Dam, encore lui, Kurt Moll et Dunja Vejzovic sont hantés, comme nous. Et puis, osons le dire: c'est (jusqu'au Ring de Haitink) un des derniers grands enregistre­ ments wagnériens totalement cohérents, où l'es­ prit d'équipe (paradoxe? non: durée ...) soit par­ tout présent.

Décidément, la promenade de ce mois, c'est d'abord un voyage au pays des opéras perdus. L'univers Mais souvenons-nous: l'extraordinaire surprise, féerique la jubilation que nous avons éprouvées quand de Haydn nous avons commencé à découvrir, édifié sous la magistrale baguette d'Antal Dorati, le fabuleux palais des opéras de Haydn. C'était dans les années soixante-dix et chaque nouvelle sortie était un émerveillement. Après Haendel, un peu avant Mozart puis en même temps que Mozart, Haydn a bâti un univers féerique que l'on avait presque oublié. Il est d'une urgence extrême d'y revenir, du côté de ces chevaliers et de ces enchanteresses, îles inhabitées aux paysages lu­ naires. jessye Norman, Stuart Burrowes, , Luigi Alva, Lucia Valentini-Terrani, He­ len Donath, Anthony Rolfe-Iohnson et bien d'au­ tres (le gratin, quoi!) furent les artisans de ces fêtes et on les retrouve, d'une œuvre à l'autre, toujours mieux employés. Philipsa d'abord repu­ blié une « intégrale» en un gros coffret, puis, un à un, nous a donné à nouveau la Vera 12.1 CDEMI. 754.392-2. Canstanza (16), Il Munda della Luna (17), 13 Caballé, Ail, italiens, 2 CDRCA CBMG) Armida (18) et le reste: qu'on partage nos en­ 74321.14072-2. 14.3 CDEMI 7.64.646-2. thousiasmes du côté de ces musiques diabolique­ 15. Wagner, 2 CDEMI ment séduisantes. 7.64.650-2. 16. Haydn, 2 CDPhilips, 432424-2. 17.Haydn, 3 CDPhilips, Et qu'on n'hésite pas à franchir le pas, pourquoi 432.420-2. 18. Haydn, 2 CDPhilips, pas? en allant du côté d'un « romantisme » à la 432.438.

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française, adorablement désuet, grâce à ce Mon­ sieur Beaucaire, de Messager, que l'inépuisable collection «Gaieté lyrique»de Musidiscnous offre (à côté, aujourd'hui, d'un Philémon et Baucis, de Gounod, et de l'adorable MissHelyett, d'Edmond Audran) [19]. Même si certaines des interpréta­ tions offertes sont parfois un peu... naïves, avec Monsieur Beaucaire et l'Orchestre Radio lyrique tel qu'il existait en 1958, on retrouve toute une tradition de l'opérette perdue qui a le charme de ces souvenirs qui remontent à la surface de nos mémoires de grands enfants jamais tout à fait sevrés des chansons de nos mères. Etpuis, le seul nom de LinaDachary ramène déjà siloin ceux qui s'en souviennent...

Allons : que je le veuille ou non, je ne peux m'échapper des sentiers du chant. Il faudra pour­ UneJuliette qui mérite tant bien qu'après cette Juliette, de Martinu, que une écoute dirigeait à Prague voilà trois ans Jaroslav attentive Krombholc, je revienne sur terre... Et pourtant, l'opéra que le grand compositeur tchèque a créé précisément à Prague en 1938,d'aprèsJuliette ou la Clé des songes, de Georges Neveux, est une autre féerie, mais de notre siècle, celle-là, qui mérite une écoute attentive, car tout y est à peine suggéré, murmuré, admirablement orchestré aussi, pour nous entraîner sur une terre qui, à la veilled'une fin du monde, paraissaitdéjà apparte­ nir au domaine du rêve. En ce sens au moins, la Juliette de Martinu est déjà une étape capi­ tale (20).

Que l'on me pardonne, à présent, de seulement citer quelques disques qui, sur d'autres chemins que ceux du chant, méritent pourtant de belles haltes.Ainsices deux monuments àChostakovitch que sont sa Quatrième Symphonie dirigée hier à Vienne par Inbal (21) et sa Septième Symphonie, « Leningrad », telle qu'en 1957 Karel Ancerlla fit vibrer à Prague (22). Notre redécou-

216 DISQUES verte de Chostakovitch passe plutôt aujourd'hui par la musique de chambre, mais elle a besoin aussi de ces grands déferlements orchestraux. Celui que nous fait vivre Karel Ancerl (l'Adagio: moment d'avant la mort...) est inoubliable.

On mettra presque sur le même plan la Septième Symphonie, de Bruckner, dirigée voilà à peine A la gloire plus d'un an, cette fois, par Günter Wand à de Bruckner ! Hambourg. La nouvelle cathédrale que Wang élève à la gloire de Bruckner chez RCA (BMG) est un des ensembles romantiques les plus impor­ tants de notre temps (23).

Il faudrait aussi avoir le temps de mieux dire en quoi le petit CD consacré à Darius Milhaud (deuxièmes Concerto et Sonate) et à Georges Enescu (troisième sonate) par le violo­ niste André Gertler constitue un miracle d'équi­ libre et de profondeur de pensée. Rarement la gravité du dernier mouvement du Deuxième Concerto, de Milhaud, ne nous a paru aussi tendue, religieuse... (24). Mais il faudrait aussi évoquer les Mârchenbilder de Schumann (cou­ plés à Brahms) pour alto et piano par Josef Suk et Jan Ponenka, d'une mélancolie poétique iné­ puisable (25) ; ou ces concertos pour violoncelle, de Haydn, enregistrés par la très belle Ofra Har­ noy, ne fût-ce que pour le plaisir (qu'elle me pardonne : elle aussi une grande artiste!) de la regarder, blonde et lumineuse (26).

Ilfaudrait, ilfaut, bien sûr, s'attarder quand même sur cette stèle élevée en quatre CD par EMI à la 19. 2 CDMusidisc, 202.412. gloire d'Itzhak Perlman : de Bach, à Katchaturian 20. 3 CDSupraphon, 10.8176-2. avec, en prime, tout un CD de joyeuses folies 21. 1CDDenonco,5330. 22. 1 CDSupraphon, (Scottloplin ou Forster),c'est un superbe éventail 11.1952-2. de l'art d'un des grands violons de notre temps. 23. 1 CD, 09026-61398-2. 24. Milhaud/Enescu, 1 CD Nous qui ne l'avions pas entendu lors de sa sortie Supraphon, 11.1814.12.911. 25. 1 CDSupraphon, au début des années quatre-vingt, nous avons 11.1432-2. 26. 1 CDRCA, 09026.60­ surtoutdécouvertlà le concerto de Korngold avec 722-2.

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un deuxième mouvement (Romance, Andante) ensorceleur (27).

Et puis, se replonger dans la belle collection « Classiques du XXe siècle » de Deutsche Grammophon, avec notamment un disque Berg (28) nes « Sept Chants de jeunesse » tour à tour avec piano seul par Margareth Marshall,puis avec orchestre parKariLôvaus :deux longs quarts d'heure offerts à de foisonnantes comparaisons].

Ou encore énumérer les merveilles qu'offre la collection «A prix réduit» de Deutsche Grammo­ La collection phon «Double» (2 CD pour le prix d'un) avec un «A prix réduit» album Rostropovitch consacré (pourquoi pas ?) aux Chefs-d'œuvre du violoncelle (29) ou avec la Missa Solemnis, de Beethoven, enregistrée dans les années soixante-dix à Vienne par Karl Bôhrn avec Margaret Priee, , Wieslaw Ochman et Marti Talvela (30) : des classiques entre les classiques. Pour ne pas parler de ce retour à Schubert, dont nous ne nous déciderons décidémentpas ànous séparer, avec une Gundula ]anowitz au sommet de son art (c'était en 1978), accompagnée par Irwin Gage dans un incroya­ blement copieux programme de lieder, fort intel­ ligemment présenté selonune chronologie rigou­ reuse, de la fiévreuse Gretchen am Spinrade du jeune homme qui n'avait pas vingt ans, au désor­ mais incontournable Pâtre sur la montagne (31).

Pour terminer, qu'on me permette pourtant de revenir à l'opéra. Mais à des opéras bien parti­ culiers, puisque Decca les publie dans une collec­ tion dont le titre annonce la couleur: « Entartete Musik » (la Musique dégénérée). C'est l'intitulé que l'ordre nazi donna à toutes les musiques qui n'entraient pas dans les cadres qu'il avait érigés en modèles, dans la foulée de l'exposition de Munich consacrée en 1938 à l'Art dégénéré. Et les deux premiers titres que Decca nous propose

218 DISQUES aujourd'hui sont passionnants. D'abord le ]onny spielt auf, de Krenek (32), opéra-jazz, opéra réaliste, créé dans l'Allemagne en folie de 1927, sorte de Tannhâuser (pourquoi pas?) des temps modernes où s'affronteraient un violoniste de jazz et un violoniste classique. Fantastique­ ment dirigé ici par LotharZagrosek, Das Wunder der Heliane, également créée en 1927(33). On connaît surtout de Korngold cette « Ville morte » à l'arrière-goût de romantisme funèbre: Heliane, formidablement « chantant », est dominé ici par Anna Tomova Sintow. La vraie musique « mau­ dite » de ce siècle se révèle dans toute sa véné­ neuse splendeur: il faut s'arrêter là.•

27. L'Artdltzhak Per/man, 4 CDEMI, 7.64617-2. 28. 1CD437.719.2 29. 2 CDDG, 437.952-2. 30. 2 CDDG, 437.925-2. 31. 2 CDDG, 437.943. 32.2 CDDecca, 436-631-2. 33.3 CDDecca, 436-636-2.

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