Juif, Un Village Bressan
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julft un lei H lage bressan. " Il nous faudrait partout des topographes qui nous fissent narration particulière des en- droits où ils ont été : je voudrais que cha- cun écrivit ce qu'il sait et autant qu'il en sait. " }tie-f-r fe- MONTAIGNE .Essais. MARIE, ARMAND, MARCEL, JOSEPH, CLAUDE, ANTOINE ... sont nés avec ce siècle ; ils n'ont jamais abandonné la terre de leurs ancêtres. Il y a dans leur existence quatre vingts ans de vie communale, quatre vingts ans d'histoire, de travail, d'expérience que résume bien un mot qui ainsi défini prend toute sa signification : celui de paysan. Mes témoins sont en effet de ceux qui n'ont pas trahi, qui n'ont pas quitté, qui sont resté accrochés aux mancherons de la charrue, au clocher de l'église, au tic-tac de l'horloge dans l'hutau de la ferme. Ils sont les complements vivants des archives communales souvent déficientes et nous permettent de vérifier et souvent de mettre en valeur les renseignements que celles-ci nous fournissent. C'est en ne perdant pas de vue leur vécu, leurs souvenirs, frêles arches de Noé, messages menacés par les dégradations du temps, l'oubli des hommes et les mutations sociales de notre époque que nous essaierons de dégager les transformations qu'a connu depuis l'aube de ce siècle leur petit village bressan. Pour nous, depuis toujours, et nous le verrons dans une grande partie encore aujourd'hui deux éléments ont préexisté et préexis- tent enéore à toutes les transformations visibles sur le territoire communal. Ces deux éléments ce sont la terre et les hommes. La terre qui fournit aux hommes les moyens de vivre parce qu'elle est la source première de toute richesse, les hommes qui l'exploi- tent en fonction de leurs besoins mais aussi, et cela n'est pas comme nous allons le constater bientôt une remarque à prendre à la légère : en fonction de ses capacités propres. De cette union, de ces rapports peu à peu tissés entre le végétal et l'humain vont naitre une multitude d'éléments, qui conditionnés, répartis par les soins de l'agriculture règleront à l'intérieur du village tous les rapports entre habitants. Les fruits de la culture et de la domestication du milieu naturel de par leur répartition entre tous ont suffi à modeler pour des générations les "cadres de vie" dans lesquels prennent place les paysans. Le premier de ces "cadres" celui sur lequel nous concentrons toutes nos obser- vations : ce sera l'habitat. Nous n'avons pas bien sûr la prétention d'analyser la maison paysanne en décrivant et expliquant scientifiquement les détails architecturaux qui la caractérisent. Un regain actuel d'intérêt: pour la maison de pays faisant que justement de jeunes architec- tes la redécouvrent ou mieux la découvrent peu à peu de ses mys- tères architectoniques, nous nous contenterons d'interpréter les transformations survenues dans la construction en fonction des fluctuations apparaissant dans l' économie interne du village. En particulier du passage d'une autarcie quasi-totale à l'écono- mie actuelle de marché qui envahit la commune. C'est dans cette vision que mes témoins prennent tout leur sens. Ils sont les contemporains de ces changements sur lesquels toute l'économie que l'on qualifie de "rurale" s'interroge aujourd'hui. Dans une mécanisation sans cesse croissante, ils ont gardé le geste et les habitudes d'antan : ce cultivateur qui conserve son cheval pour son plaisir, cet autre qui continue à entasser les panières de sa fabrication en vue de travaux que l'usure des ans a rendu impossibles, ce vieil homme qui, ilhiver venu, part "au bois" avec saéognée sur l'épaule alors qu'il se chauffe maintenant au fuel, cette grand mère qui continue comme dans les longues veillées au coin du feu à broder de lac façon que lui a appris sa mère ou son aïeule dans sa lointaine enfance, comme si tout à coup elle allait rajeuriir de plus d'un demi siècle et redevenir la jeune femme qui attendait son premier enfant : tous ces hommes et ces femmes mettent pour nous en scène, à la faveur d'un simple geste, d'une évocation ou d'un "coup de main" une époque à jamais révolue. Leur village ? ils l'ont connu bien différent, soit ! ils l'ont vu changer mais pourtant ils continuent à l'aimer de la même passion dévorante, autant que les jeunes qui y sont restés et qu'ils regardent parfois avec étonnement conduire le gros trac- teur sur la route goudronnée qui accède aux champs où en un temps qu'ils imaginent présent encore, ils menaient "cocotte" où "bibiche" par des "huo" ou des "dia" qui résonnent toujours à leurs oreilles qu'assourdissent les trente ou quarante "chevaux" des engins les plus modernes ... Leur village, ils en sont toujours, et à juste titre, l'âme et les génies et c'est parce que leurs jambes sont moins vigoureu- ses et leur démarche plus lente qu'ils ont mieux le temps de le voir vivre et un peu davantage chaque jour se continuer .. Ce rentier qui fait sa promenade quotidienne à travers les che- mins tortueux du village, c'est la "qazette". Nul fait n'est de nature à lui échapper ; il est là pour accueillir toutes les trans- formations : la tuile tombée du toit qu"on remplace, le voisin qui achète la "télé", le fils enfin qui emploie de nouveaux engrais, tout ceci, il l'enregistre, il en connait le pourquoi et il le restituera à la faveur d'une rencontre. C'est à tous ces collaborateurs rêvés, ces aides de choix qui ont semé en moi quelques uns des 'secrets de leur vie que je dédie, aussi maigres fussent-ils, les fruits de cette étudé. Par respect pour "ces vieux" usés par le labeur et le poids des ans, il serait malhonnête de tarder plus longtemps à parler de ce qu'ils aiment aussi passionnément. Leur village, c'est JUIF, leur pays c'est la BRESSE. CHAPITRE PREMIER LA TERRE " Cette terre, nos pères l'ont aimée. Elle les a fait vivre ... comme ils étaient les plus durs et les plus obstinés à rendre la terre fertile, ils ont poussé leur charrue jusqu'ici, où com- mencent les bois et les solitudes. Et ils ont aimé les bois et les solitudes si j'en crois mon sang. " HENRI BOSCO . Le Mas Théotime . 1945 " Le mot BRESSE, comme le terme MORVAN est devenu caractéristique d'une espèce de sol peu accueillant " PIERRE de SAINT JACOB "Les paysans de la Bourgogne du Nord au dernier siècle de l'an- cien régime" Paris 1960 A. LA BRESSE 1. CARACTERES GENERAUX Ce "pays". siy il est bien définissable du point de vue géologique : nul ne saurait en effet soutenir que la Bresse ne constitue pas une région naturelle, fut sans cesse déchiré par les vicissitudes de l'histoire. Soit écartelé par les partages intervenant de châ- tellenie à châtellenie, utilisé comme monnaie d'échange entre les grands ou bien encore amputé à diverses reprises au profit d'au- tres provinces avant que de finir découpé administrativement par les soins des Républiques. Cette Bresse, sans unité administrative ni politique et qui sué- tend,^. de la vallée du Doubs au nord jusqu'à la ville de Bourg au sud et de la Saône à l'ouest aux pieds du Jura à l'est, épousant ainsi trois départements ne recouvre pas moins de 1 664 km2 rien qu'en Saône & Loire. En Saône & Loire : Bresse Chalonnaise et Bresse Louhannaise (c'est là une distinction que nous apporte la Révolution) malgré qu'elles soient elles mêmes toutes deux issues du grand lac ter- tiaire bressan qui en se retirant y laissa un fond constitué des mêmes marnes humides et imperméables,offrent une nature plus riche et plus fertile que la Bresse de l'Ain voisine des Dombes maréca- geuses. Quant à la Bresse Orientale, en contact avec le Revermont jurassien et qu'on a surnommé le "f "finage" ) historiquement grignotée, par la Comté, elle fait maintenant partie du département du Jura. Cette Bresse, où plutôt ces "Bresses" au riche passé et au ter- roir racé, q'ui conservent un aspect physique propre indéniable peuvent aussi être qualifiées de lieu de rencontre de "melting pot" en miniature . La Bresse creuset géologique est aussi un creuset humain. L'homme du nord y côtoie celui du sud, le bressan que l'on pour- rait qualifier"doaryen" aux yeux clairs et à la chevelure blonde y donne le bras à la bressane au teint mat et à la crinière de jais. Le sud, par les vallées du Rhône et de la Saône,remonte jusqu'au delà de Maçon et apporte ses bouffées de soleil que vient inter- rompre la froidure nordique poussant jusqu'à nous son front glacé. A Louhans, un jour de marché,il suffit d'écouter les patoisants qui pratiquent encore pour s'étonner de la diversité des mots qu'ils emploient pour qualifier le même objet. A tel point qu'un Louhannais issu d'une mère parlant le patois de Saint-Germain-du Bois et d'un père usant de celui de Montpont ou de Varennes-Saint- Sauveur aurait encore toute facilité pour devenir un authentique bilingue ... Hélas ou tant mieux, ces distinctions originelles s'estompent de jour en jour et la plupart de nos patoisants em- ploient de moins en moins de formules du cru. Leur patois évolue vers une forme de français riche pourtant en tournures archaïsantes. Le dialecte encore parlé dans le canton de Montret est le patois des "boutards" ou habitants des bois ("bous").