Prof. Dr. Christoph Wulf Éducation Et Formation En Europe
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Photo : © Deutsche UNESCO-Kommission Prof. Dr. Christoph Wulf Éducation et formation ›en Europe : un défi interculturel. Mon expérience de la recherche à l’OFAJ ‹ Une « Ecole OFAJ » Enjeux et perspectives de la recherche interculturelle franco-allemande Prof. Dr. Christoph Wulf (émérite) › Freie Universität Berlin › http://www.christophwulf.de/ Années de travail avec le secteur « Recherche et évaluation de l’OFAJ » : depuis 1972 [email protected] Anthropologie ›› Anthropologie pédagogique Éducation et formation en Europe : un défi interculturel. Mon expérience de la recherche à l’OFAJ Réconciliation, de l’OFAJ, ce qui me permet de me compréhension projeter sur une cinquantaine d’an- mutuelle, amitié nées d’expérience en arrière. ‹‹‹ Après avoir participé pour la pre- Au début, il s’agissait de pro- mière fois à un échange universi- gramme de rencontres qui réunis- taire de l’OFAJ, - c’était au milieu des saient de jeunes Allemands et Fran- années soixante du siècle dernier çais et devaient leur permettre de - j’ai travaillé ensuite au début des faire connaissance. Par la suite et années soixante-dix et jusqu’à au- au début des années soixante-dix, jourd’hui dans le cadre de plusieurs les objectifs des rencontres étaient projets de recherche interculturelle davantage de nature politique. Il Une « Ecole OFAJ » – Enjeux et perspectives de la recherche interculturelle franco-allemande était question de connaissance ré- beaucoup plus que les Français ciproque, de compréhension mu- sur le fait qu’Allemands et Français tuelle, de solidarité et de coopé- étaient des Européens et que leur ration (voir le Procès-verbal de la futur résidait dans une identité eu- session du Conseil d’administra- ropéenne commune. Ces disparités tion de l’OFAJ du 19.10.1973). Il entre les systèmes de référence et était assigné à l’OFAJ la mission de les appartenances identitaires n’ont promouvoir la réconciliation fran- pas cessé d’influencer les discus- co-allemande, la compréhension sions, quels que soient les sujets mutuelle et les relations d’amitié traités, qu’il s’agisse de la démocra- entre jeunes générations. Le Bu- tie, de l’éducation à la citoyenneté, reau « Formation interculturelle » des questions relatives au genre avait pour tâche d’accompagner et ou des souvenirs de guerre des pa- d’étudier la mise en œuvre de ces rents et grands-parents. Dans un processus. À cette époque on assis- tel contexte, tous les chercheuses tait de plus en plus à l’apparition de et chercheurs avaient la volonté de sérieux antagonismes et de diver- créer entre eux un bon climat rela- gences profondes entre les jeunes tionnel. C’était leur objectif principal Français et les jeunes Allemands. dans ces rencontres de travail. Les jeunes Français se distinguaient par un fort sentiment national dans leur manière d’être et de parler. Bon Des détours créatifs nombre d’Allemands avaient gardé un sentiment de culpabilité de la Dans ce contexte, il était donc im- Deuxième Guerre mondiale et de portant que les rencontres entre l’Holocauste et leur sentiment natio- Français et Allemands ne soient pas nal en était altéré. Tandis que la plu- organisées dans le seul but de tra- part des Français étaient fiers d’être vailler sur un thème commun mais français, la plupart des Allemands devaient aménager suffisamment n’étaient pas aussi sûrs d’être fiers de temps pour prendre des chemins d’être allemands. Les Allemands détournés si le groupe le souhaitait entretenaient avec leur identité na- et considérait que c’était utile au tionale un rapport ambigu et hési- dialogue des chercheuses et cher- tant. Dans un premier temps, cela cheurs entre eux et au bon déroule- avait pour effet qu’ils insistaient ment des travaux sur le plan scien- Christoph Wulf ››› Éducation et formation en Europe : un défi interculturel 2‹ Une « Ecole OFAJ » – Enjeux et perspectives de la recherche interculturelle franco-allemande tifique. À l’inverse de nombreuses sonnes socialisées différemment. recherches axées actuellement sur Culturellement et socialement, Al- un thème précis, Ewald Brass et lemands et Français ont dans leur Dieter Reichel1 savaient que le che- vécu beaucoup de points communs min le plus court n’est pas toujours et de similitudes. Pour celle ou ce- le meilleur. Ils n’insistaient pas sur lui qui parlait l’autre langue dans la rapidité des travaux mais lais- les rencontres de travail, les dé- saient aux groupes le temps néces- couvertes étaient multiples. Bien saire pour trouver et définir leurs plus encore et à la différence de la objectifs et adopter une méthode langue maternelle, le fait d’utiliser au fur et à mesure de la discus- l’autre langue exigeait de leurs in- sion. Ceci leur permettait à toutes terlocutrices et interlocuteurs qu’ils et à tous de s’investir totalement fassent des efforts pour suivre leur dans le groupe, à la fois avec leurs pensée ou penser avec eux, pour émotions, leurs points de vue, leur la ou le comprendre ou aussi pour imaginaire et leurs désirs et à leur les aider à s’exprimer. Ces zones de rythme. Les rencontres par consé- contact, dans le cadre desquelles se quent n’étaient pas seulement un déroulaient les recherches en com- lieu d’échanges cognitifs, d’idées et mun de l’OFAJ, étaient pour nous de points de vue mais permettaient des lieux d’apprentissage, de dé- d’aller à la rencontre des autres couverte de soi à mi-chemin entre chercheuses et chercheurs, d’être l’Allemagne et la France. Nous y curieux, ouverts et désireux de faire apprenions à nous voir, à nous ex- connaissance avec des collègues de primer et à vivre autrement. Pour l’autre pays et de partager une ex- autant, pendant toutes ces années, périence interculturelle. cette ouverture envers l’altérité n’allait pas du tout de soi. Dans ces zones de contact institutionnelles, Zones de contact nous avions la possibilité, en avan- çant par tâtonnements, de tester Les groupes de travail de l’OFAJ nos réflexions, émotions et points étaient des zones de contact (Wulf de vue. Nous apprenions ainsi que 2010) où se rencontraient des per- certaines de nos paroles n’avaient pas toujours l’effet espéré en raison 1 Anciens responsables du secteur de la recherche à l’OFAJ. de nos différents systèmes de pen- Christoph Wulf ››› Éducation et formation en Europe : un défi interculturel 3‹ Une « Ecole OFAJ » – Enjeux et perspectives de la recherche interculturelle franco-allemande sée. Nous y avons fait l’expérience grandissante étaient une expérience de la compréhension interculturelle forte et enrichissante dans leur vie. et compris combien il fallait sans Nous nous déplacions à l’intérieur cesse redoubler d’efforts pour nous d’une autre langue à la rencontre rapprocher les uns des autres, tout de l’imaginaire d’une autre culture en sachant que la volonté de com- et d’une nouvelle manière d’être et prendre a ses limites et qu’il fallait de travailler ensemble. aussi comprendre les raisons d’une non-compréhension. En fait, nous ‹‹‹ nous comprenions au niveau lexical Le dialogue interculturel entre cher- mais restions malgré tout étrangers cheuses et chercheurs allemands les uns aux autres (Dibie & Wulf et français donnait lieu à des ques- 1998, Hess & Wulf 1999, Wulf 2016). tionnements qui n’auraient jamais pu émerger ailleurs que dans ce contexte (Beillerot & Wulf 2003). Quotidienneté et C’était un enrichissement pour nous normalité et nos champs de recherche, dont la diversité et la complexité allaient en grandissant. L’interculturel et Dialogue entre partenaires et la pluridisciplinarité étaient deve- coopération sur le long terme nus les clés de compréhension de Je m’apercevais assez rapidement la nouvelle complexité qui allait en- que le fait de travailler continuelle- tourer nos recherches en commun. ment dans le cadre de la recherche Pour beaucoup d’entre nous, cette à l’OFAJ faisait partie du quotidien expérience a joué un rôle prépon- et relevait de la normalité entre col- dérant pour la suite de notre car- lègues des deux nationalités. Se re- rière professionnelle. La recherche trouver dans cet « entre-deux » des en commun a bénéficié d’une dy- zones de contact de l’OFAJ n’avait namique supplémentaire suite à la plus rien de singulier. Les senti- réunification allemande et aux défis ments de curiosité et d’étrangeté du qu’elle représentait. début laissaient souvent la place à la cordialité. Beaucoup d’entre nous ‹‹‹ avaient pris conscience que cet in- Des pans entiers de la formation térêt pour l’autre et cette confiance se déroulent dans un espace inter- Christoph Wulf ››› Éducation et formation en Europe : un défi interculturel 4‹ Une « Ecole OFAJ » – Enjeux et perspectives de la recherche interculturelle franco-allemande culturel. Ce constat a ouvert pro- à la littérature, aux arts plastiques, gressivement de nouvelles pers- à la musique de l’autre culture sont pectives en matière d’éducation, autant de multiples facettes de cette de formation et de socialisation, et rencontre avec l’autre. Comprendre l’action de l’OFAJ qui a accompagné la multiplicité des imaginaires de et étudié cet ensemble de méca- chaque individu dans sa perception nismes majeurs sur une longue du- du monde est un des principaux rée, a ouvert la voie à de nouvelles objectifs de la formation intercultu- connaissances. relle. ‹‹‹ Langue, imaginaire, mimésis Il se passe dans ces zones de sociale contact quelque chose de singulier, comme une expérience très person- L’expérience de la rencontre avec nelle qui met en jeu le corps et les l’autre langue est un des éléments sens ; elles sont le lieu de phéno- constitutifs de la coopération in- mènes de mimétisme qui jouent un ternationale ; elle permet de com- rôle prépondérant dans le processus prendre sa propre langue différem- d’appropriation de la différence.