Extraits De Reckoning with Homelessness De Kim Hopper
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En hommage à Isaac Joseph Association Tracés Seule l’association Tracés, constituée en personne juridique en vertu de la loi de 1901 sur les associations, est responsable du contenu de cette revue. Président: Florent Coste. Vice-président: Edouard Gardella. Trésorier: Sylvain Parent. Secrétaire: Arnaud Fossier. Secrétaires à l’édition: Florent Coste, Gaëlle Flament, Edouard Gardella, Erwan Le Méner, Valérie Louys, Muriel Mille, Sylvain Parent, Lucie Tangy. Chargés de la communication: Thomas Mondémé, Barbara Turquier. Webmasters: Florent Coste et Cédric Quertier. Comité de rédaction: Florent Coste, Edouard Gardella, Sophie Conrad. Comité de lecture: Sophie Conrad, Florent Coste, Anthony Feneuil, Edouard Gardella, Yaëlle Kreplak, Cécile Lavergne, Raphaëlle Le Pen, Valérie Louys, Jérémie Majorel, Muriel Mille, Thomas Mondémé, Sylvain Parent, Pierre Saint-Germier, et Lucie Tangy. Membres d’honneur: John. E. Jackson, Bernard Lahire, Jacques Commaille, Bertrand Marchal Prochains numéros : n°6 : La folie – été 2004 n°7 : Pratiques et tactiques – hiver 2004 Sommaire Edito, . p. 7 Articles La grogne du peuple, par Christophe Prémat . p. 13 La rue, un objet géographique? par Antoine Fleury. p. 33 1827-1934: de «journées» en «manifs», les Français protestent dans la rue, par Cédric Quertier . p. 45 La rue: espace public, quel(s) public(s)? L’exemple de Beyrouth, par Aurélie Delage . p. 61 L’effigie et la mémoire, par Sylvain Lesage . p. 75 Liturgies de la rue, par Florent Siaud . p. 93 Notes L’exemple de Bucarest, la rue palimpseste, la rue vitrine, par Samuel Ruffat . p. 111 La rue comme laboratoire, à propos de «la rue mode d’emploi» de Paul André Rosental, par Paul Costey et Arnaud Fossier. p. 117 Traduction Extraits de Recockning with Homelessness de Kim Hopper, traduits par Erwan Le Méner et Edouard Gardella . p. 127 Entretiens Avec Nicole Bériou, propos recueillis par Florent Coste . p. 135 Avec Arlette Farge, propos recueillis par Sylvain Parent . p. 143 Article Final, par Edouard Gardella et Florent Coste. p. 149 Editorial «En dépit de leur mauvaise réputation, les rues des villes constituent un cadre où des gens qui ne se connaissent pas se manifestent à tout moment une confiance réciproque.» (E. Goffman) «En somme l’espace est un lieu pratiqué. Ainsi la rue géométriquement définie par un urbanisme est transformée en espace par des marcheurs.» (Michel de Certeau) La banalité quotidienne avec laquelle on passe dans la rue cache et rend presque inapparente la complexité d’un tel espace. Décor négligeable, elle n’en reste pas moins un cadre omniprésent: l’hiver, les médias ne cessent de parler des «gens à la rue», l’été de diffuser les «festivals de rue»; le lèche-vitrines dans la rue peut constituer une occupa- tion majeure le samedi après midi – mais en ces cas, parle-t-on de la rue comme d’un véritable acteur? La littérature, certes, la mythifie, la dresse parfois en personnage à part entière, voire en légende. Pourtant son statut littéraire n’est ni stable ni univoque, et partant, pose l’ambiguïté de sa représentation. Au point que, si elle intervient littérale- ment, comme d’autres actants, telle une force adjuvante ou opposante, dans les Mystères de Paris de Sue par exemple, elle n’en constitue pas moins aussi le milieu propice à l’apparition d’une conscience en crise.1 La rue est tout à la fois incontournable, comme 1. Par exemple Lucien de Rubempré dans les Illusions perdues de Balzac: «Pendant sa première promenade va- gabonde à travers les boulevards et la rue de la Paix, Lucien, comme tous les nouveaux venus, s’occupa beau- coup des choses plus que des personnes. A Paris, les masses s’emparent tout d’abord de l’attention: le luxe des boutiques, la hauteur des maisons, l’affluence des voitures, les constantes oppositions que présentent un extrême luxe et une extrême pauvreté saisissent avant tout. Surpris de cette foule à laquelle il était étranger, cet homme d’imagination éprouva comme une immense diminution de lui-même. Les personnes qui jouissent en province d’une considération quelconque, et qui y rencontrent à chaque pas une preuve de leur importance, ne s’accoutument point à cette perte totale et subite de leur valeur… Paris allait être un affreux désert.» Illusions perdues, Folio, 1972, p. 177. Ou encore Bardamu dans Voyage au bout de la nuit: «C’étaient des soucis de banlieue. Cependant vers la rue Bonaparte, la réflexion me revint, la triste. C’est une rue pourtant qui donnerait plutôt du plaisir au passant. Il en est peu d’aussi bienveillantes et gracieuses. Mais en m’approchant des quais, je devenais tout de même craintif. Je rôdais… Le cimetière, un autre encore, à côté, et puis le boulevard de la Révolte. Il monte avec toutes ses lampes droit et large en plein dans la nuit. Y a qu’à suivre, à gauche. C’était ma rue. REVUE TRACÉS n° 5 – printemps 2004 – p. 7-11 REVUE TRACÉS n° 5– printemps 2004 fond générateur sur lequel l’acteur social apparaît, et de l’ordre du transitoire, du sans cesse différent. Bref, sans occuper les esprits spontanément, la rue ne passe pas inaperçue. D’un point de vue surplombant et cartographique, la rue peut être représentée comme une ligne qui délimite une zone d’action ou un espace, plus vivant, dont elle ne fait pas partie et qui découpe, comme une frontière qui n’interagirait pas avec ce qu’elle sépare. Elle se contente de figurer un passage simplement transitif. Elle demande donc à être investie. Construite et uniformisée selon des normes d’aménagement, la rue a pourtant ses irrégularités, ses coins et ses recoins, ses ramifications et ses impasses, qui ne la rendent pas, pour qui veut en faire l’expérience, directement accessible. Irréductible à une simple et claire surface d’exposition, à une succession de façades, elle agence plutôt des perspectives, des endroits plus ou moins reculés, plus ou moins proches. Elle est donc à proprement parler un espace, avec sa profondeur, où l’on pénètre et s’enfonce. Le passant dans la rue fait donc partie d’un paysage en perma- nente recomposition. Perspective davantage topographique donc : la rue impose naturellement qu’on s’y engage. Espace, c’est-à-dire lieu pratiqué. A la différence de la route qui n’est que pure circulation, la mobilité dans la rue va de pair avec une certaine forme de perception, et partant de socialisation, qui la rend plus ou moins visible et lisible. C’est en me déplaçant que je provoque une expérience, et favorise une rencontre, que j’en multiplie les possibilités, que je participe à un mou- vement de foule ou que je m’en abstrais. Cette immersion suppose un mode de per- ception et de cognition spécifique. La rue donne en effet à voir, et à lire, elle organise des signes qu’elle invite à décrypter. La rue met à disposition. Mais elle constitue une réalité plus complexe que celle d’un écran qui expose des représentations toutes faites. Dès lors, la vision dans la rue n’est pas celle d’un homme à l’arrêt qui manipulerait des représentations, sa perception est davantage celle d’un être de locomotion, à la fois «ambiante et ambulatoire», qui s’élabore dans et par sa mobilité1. Ainsi n’est-il pas Il n’y avait personne à rencontrer. Tout de même j’aurais bien voulu être ailleurs et loin… C’était froid et silencieux chez moi. Comme une petite nuit dans un coin de la grande, exprès pour moi tout seul… Je regardais encore s’il se passait quelque chose dehors, en face. Rien qu’en moi que ça se passait, à me poser toujours la même question. J’ai fini par m’endormir sur la question, dans ma nuit à moi, ce cercueil, telle- ment j’étais fatigué de marcher et de ne trouver rien.» Voyage au bout de la nuit, Folio, 1952, p. 291. 1. Nous renvoyons explicitement ici à la théorie écologique de J.-J. Gibson et à sa notion d’«affordance» in The Ecological Approach to Visual Perception, LEA, Londres, 1986. L’environnement est décrit en fonction des pos- sibilités d’action qu’il offre à l’observateur. Il s’agit de dépasser le clivage sujet/objet pour mieux com- prendre que le visible est une invitation à être vu, une disponibilité non pas du regardant mais du regardé. En somme «externaliser les ressources cognitives qu’un usager peut activer». Gibson sort ainsi d’un modèle cognitif de type computationnel (selon lequel notre système cognitif se réduirait à manipuler des représen- tations toutes faites et déjà présentes dans notre cerveau). Il le résume ainsi: «Ne vous demandez pas ce qu’il y a dans votre tête, mais dans quoi est-elle.» Pour plus de précisions encore, voir Isaac Joseph, La Ville sans qualités, La Tour d’Aigues, Editions de l’aube, 1997. 8 Editorial nécessaire de s’arrêter pour saisir la rue. Elle ne se contemple pas, et on ne saurait la représenter sans la réduire. On en fait l’expérience, quel que soit le rythme de la circu- lation; flâner, déambuler, «rôder», circuler, passer sont autant de modes d’appréhen- sion de la rue. A la différence d’un simple relevé de parcours, et pour rendre compte de l’acte même de passer – à la source de ces rencontres et expressions –, la rue et son expérience propre exigent qu’on en fasse le «récit»1 : le récit s’imposerait en effet, plu- tôt que la carte, trop abstraite, pour mieux saisir la particularité et l’engagement d’une conscience immergée, et non surplombante. Et par là même, occasion sans cesse réitérée, dans les multiples face-à-face, de discordances, la rue pose l’intrigue singulière d’une inadéquation qui doit se résorber2.