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MASSENET, J.: Don César de Bazan (1888 version [Opera] 8.660464-65

Jules Émile Frédéric MASSENET (1842–1912) Don César de Bazan (1872) (second version, 1888)

Opéra-comique in four acts and four tableaux

Libretto by Adolphe Philippe d’Ennery (1811–1899), (Philippe François Pinel) (1806–1865) and Jules Chantepie (1843–1885)

First performance: Paris, Opéra-Comique (Salle Favart 2), 30 November 1872

Don César de Bazan, a nobleman ...... Laurent Naouri, Maritana, a Gypsy street-singer ...... Elsa Dreisig, Lazarille, a boy, apprentice arquebusier ...... Marion Lebègue, Mezzo-soprano King Charles II of Spain ...... Thomas Bettinger, Don José de Santarém, first minister to the King . . . . . Christian Helmer, Baritone Captain of the Guard ...... Christian Moungoungou, Baritone

Men and Women folk, Soldiers, Arquebusiers, Ladies and Gentlemen of the Court

Nicolas Chesneau, Vocal Accompanist

DISC 1 Les rondeaux si touchants. BASSES

Les rondeaux si touchants. ACTE PREMIER CHOEUR

Dès que ton tambour sonne, [1] OUVERTURE Chante Maritana ! Chante pour nous !

La foule t’environne SCÈNE PREMIÈRE Chante pour nous Gitana,

Choisis pour nous CHOEUR, MARITANA, DON JOSÉ, LE ROI Choisis les chants (A gauche, une taverne. A droite, une grille donnant sur des Les plus touchants jardins. Près de là une Madone. Le peuple attend la La foule t’environne, Maritana. Au lever du rideau, Maritana que la foule attend, Chante Gitana ! entre en agitant un tambour de basque. Le Roi, vêtu de noir Dès que ton tambour sonne et couvert d’un large manteau, se tient à l’écart sur la La foule t’environne, gauche, les yeux fixés sur la Maritana, et semble absorbé Chante Maritana, chante pour nous ! dans sa contemplation.)

BALLADE ARAGONAISE N°1

MARITANA CHOEUR Par un frais sentier, [2] Dès que ton tambour sonne, Un bel écuyer, Chante Maritana ! Chante pour nous ! Sur son destrier, La foule t’environne Chevauchait superbe. Chante pour nous Gitana, chante ! Carmen, blond lutin, & Au bord du chemin, Pour nous, la fille harmonieuse, Chantant son refrain, SOPRANOS Liait une gerbe. Choisis les plus doux de tes chants. Doux étaient ses yeux, TENORS Son front radieux, Les plus doux de tes chants. Son refrain joyeux, BASSES Son charme suprême… Les plus doux de tes chants. Par son chant séduit, SOPRANOS & TENORS L’écuyer sourit, La cantilène gracieuse. S’approche et lui dit : SOPRANOS « Veux-tu que l’on t’aime ? » Les rondeaux tendres et touchants.

TENORS

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CHOEUR Brava, Maritana LE ROI Comme celle qui la chante Fonds-toi sous son regard de feu, L’histoire est charmante vraiment ! Mon coeur jusqu’ici de glace !

MARITANA MARITANA La ! la ! la ! la ! la ! la ! la ! Eh quoi ! seigneur cavalier, Veux-tu ? Le veux-tu ? La ! la ! N’aurez-vous pour me payer De ma ballade légère CHOEUR Qu’un regard froid et sévère ? Brava, Maritana Le Roi, sans la quitter des yeux, jette une pièce sur le Comme celle qui la chante tambour de basque, et se retire brusquement à l’écart. L’histoire est charmante vraiment ! Brava ! Brava ! Brava ! Brava ! MARITANA Un beau quadruple d’or ! MARITANA Ah ! Vraiment, j’avais tort, O fillettes, d’un doux regard, Moi qui de l’approcher d’abord Accueillez toujours avec grâce Avais une frayeur si grande. Celui qu’amène le hasard : O fillettes, d’un doux regard... DON JOSÉ, allant à elle. Accueillez toujours avec grâce. On vous a donc fait mon enfant, Parfois c’est le bonheur qui passe, Une bien belle offrande ? C’est le bonheur qui passe. (quatre fois) Ah ! MARITANA Par le frais chemin Voyez !... Voyez !... Quelque riche seigneur, Carmen, un matin, Auquel, de tout son coeur, Vit passer soudain Rend grâce la pauvre bohème. La chasse royale ! Sur son destrier DON JOSÉ, à part. Le tendre écuyer Le Roi !... quelle aventure !... Et c’est elle qu’il aime !... Marchait le premier… L’Angélus sonne. Carmen devint pâle. Elle chancelait, TENORS Lui déjà volait C’est l’Angélus ! Vers elle, et calmait La belle éplorée. CHOEUR ET MARITANA Il lui dit : « Suis-moi ; A genoux, Prions ! Prions ! Chasse ton effroi Que Dieu soit avec nous ! Et sois de ton Roi A l’aube de cette journée, La Reine adorée ! » Que notre labeur remplira, O vous qui nous l’avez donnée CHOEUR Dieu tout puissant bénissez-la. Brava, Maritana Comme celle qui la chante LE ROI (à part) L’histoire est charmante vraiment ! O Maritana ! O Maritana ! MARITANA Sur ton front quels trésors debeauté, La ! la ! la ! la ! la ! la ! la ! Quels trésors de beauté ! Veux-tu ? Le veux-tu ? La ! la ! DON JOSÉ (à part) CHOEUR C’est le Roi ! Brava, Maritana C’est le Roi ! le Roi ! Comme celle qui la chante Quelle aventure c’est elle, c’est L’histoire est charmante vraiment ! elle qu’il aime, Brava ! Brava ! Brava ! Brava ! C’est elle, c’est elle qu’il aime, quelle aventure, Maritana fait la quête. C’est elle qu’il aime !

LE ROI, contemplant la Maritana. CHOEUR ET MARITANA C’est elle !... Rendez-nous légères les heures Sa voix enivrante me berce que ramène votre clarté Et l’éclair de ses yeux me verse Remplissez nos pauvres Un poison enchanté !... demeures d’amour, d’espoir, Sur ce front de vingt ans, quels trésors de beauté ! (deux fois) CHOEUR Et de gaîté ! DON JOSÉ, apercevant le Roi, à part. O vous qui nous l’avez donnée, Lui! C’est encore lui ! sur cette même place : Dieu tout puissant, bénissez-la ! C’est la troisième fois Qu’à pareille heure je le vois MARITANA, au peuple. Se mêlant à la populace… Amis ! Peuple que j’aime, Dans une heure ici même, MARITANA, au Roi. Vous pourrez revenir, Monseigneur ! pour l’amour de Dieu ! Je vous prédirai l’avenir !

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DON JOSÉ CHOEUR Eh bien! ordonnez, sire, et ce n’est plus pour votre peuple, Pour t’entendre, O Maritana, mais pour vous seul, que chantera cette voix mélodieuse ; Pour apprendre nos destins, ordonnez et le roi de toutes les Espagne n’aura plus besoin, qui de nous ne reviendrait pas ? pour admirer son idole, de venir se perdre au milieu de la foule… MARITANA La! la! la! la! la! la! la! la! la! la! la! la! la! LE ROI Que voulez-vous dire ? CHOEUR Pour t’entendre, O Maritana, DON JOSÉ Pour apprendre nos destins, C’est l’idole elle-même, c’est la belle Maritana qui viendra qui de nous ne reviendrait pas ? près de son seigneur et maître... Je me charge, en un mot, Pour apprendre nos destins, d’amener cette jeune fille à la cour. qui de nous ne reviendrait pas ! LE ROI Tout le monde s’éloigne, excepté le Roi qui a, jusqu’à la fin, Mais songez-vous à tous les obstacles ? suivi Maritana des yeux, et Don José qui observe le Roi. DON JOSÉ SCÈNE II Que j’ai l’assentiment du roi, et je réponds du reste.

LE ROI, DON JOSÉ LE ROI Soit, agissez donc, et si vous réussissez souvenez-vous, LE ROI, redescendant en scène. Don José, que ma reconnaissance sera sans limites. Oui, elle est merveilleusement belle ! (Il s’éloigne par le fond.)

DON JOSÉ, s’approchant. SCÈNE III Et bien digne, en effet, de l’admiration d’un roi. DON JOSÉ LE ROI, étonné. Don José !... Quoi, vous savez ?... DON JOSÉ, seul. Amoureux ! Il est amoureux, ce monarque austère et triste... DON JOSÉ dont les yeux ne s’étaient jamais arêtes sur une femme !... Que depuis près d’un mois, le roi vient, chaque jour, sur pas même, peut-être, sur la sienne !... Il a un coeur et des cette place, à l’heure où la Maritana chante. désirs !... Ce sont pour moi de puissants auxiliaires ! Donner une maîtresse à ce roi, c’est à la fois le dominer par celle LE ROI don’t j’aurai fait une favorite... et détacher la reine de son Hélas ! Le plus humble de mes sujets est plus heureux que mari, qui l’aura outragée... La reine !... Qui sait quel espoir moi. Il peut la voir, lui parler à toute heure. me sera permis, si je parviens à mettre autant de jalousie dans son Coeur (mystérieusement) qu’il y a d’amour dans le DON JOSÉ mien !... Oui, oui, il faut la présence de Maritana à la cour !... C’est donc un véritable amour que ressent Votre Majesté ? il lui faut le droit d’approcher Sa Majesté, c’est à dire: un nom, un titre... tout ce que donne un grand mariage... moins LE ROI le mari, pourtant. (On entend un grand bruit dans Oui !... une adoration sans bornes ! l’hôtellerie.) Encore quelque querelle !... Décidemment, je ferai fermer ce tripot du vieux Pénas. N°2 MÉLODIE SCÈNE IV

LE ROI DON JOSÉ, DON CÉSAR [3] L’amour, un amour implacable, De mon âme s’est emparé ; DON CÉSAR, sortant de l’hôtellerie un peu aviné. Sa fièvre ardente, inexorable, Vous êtes de misérables fripons, que je châtierais... si je ne Consume mon coeur égaré, craignais de salir mon épée ! (au public) Je viens de jouer Partout, sans relâche et sans trêve, avec des manants... et ils m’ont volé... comme de grands Dans mon palais, au fond des bois, seigneurs ! (Secouant ses poches) Oh ! Ils ne m’ont rien Dans mes veilles et dans mon rêve, laissé... et si la Providence ne m’envoie pour ce soir un C’est elle que je vois ! souper et un gîte... j’aurai le ciel pour m’abriter et le grand air Don mon palais, dans mon rêve, pour me nourrir... Le gîte n’est pas chaud et le souper est C’est elle que je vois ! léger. Dans ma solitude anxieuse, En vain, je cherche le repos ; DON JOSÉ, qui l’a observé. Sa voix pure et mélodieuse Eh! Mais, si je ne me trompe... c’est Don César de Bazan ? Voltige dans tous les échos. Je cherche le repos, je cherche le repos. DON CÉSAR Dans la brise des nuits sereines, Don José de Santarem ! (à part) Il est fort bien couvert... Dans les frais concerts qu’au printemps Quel intérêt peut-il avoir à me reconnaître ? Chantent les forêts et les plaines, C’est elle que j’entends ! DON JOSÉ, lui tendant la main. Dans les concerts des nuits divines, Qu’il y a longtemps que nous ne nous sommes vus ! C’est elle que j’entends ! C’est elle, c’est elle ! DON CÉSAR C’est vrai.

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DON JOSÉ DON JOSÉ Nous étions jeunes, alors… Et quel motif vous a ramené à Madrid ?

DON CÉSAR DON CÉSAR Jeunes et brillants... (Il regarde son manteau.) Comme on L’espérance, la douce et folle espérance... Retournons là- change ! bas, me suis-je dit... le sort a dû me sourire... et je trouverai mes créanciers morts... Erreur !... DON JOSÉ Un débiteur peut mourir, un créancier, jamais!... Loin de là, Vous aviez un beau nom et une grande fortune ! le nombre des miens s’était accru.

DON CÉSAR DON JOSÉ J’ai conservé l’un et j’ai mangé l’autre... Je n’ai pas besoin Comment ? de vous dire... ce qui me reste ? DON CÉSAR DON JOSÉ Ils avaient fait des petits… Mais que se passe-t-il de En effet, je m’en souviens, votre ruine a fait grand bruit nouveau dans Madrid ?... Boit-on toujours, chante-t-on autrefois. toujours et se bat-on toujours?...

DON CÉSAR DON JOSÉ Oui, mes créanciers ont beaucoup crié. Les duels sont rares aujourd’hui... Le roi vient de rendre un édit aussi sévère que ceux de France… DON JOSÉ Et votre position n’a pas changé ?... C’est une lourde tâche DON CÉSAR que de vieilles dettes à acquitter !... Ah bah !... La mort pour un coup d’épée ?

DON CÉSAR DON JOSÉ Il y a cependant, par le temps qui court, une chose plus Quiconque se sera battu, sera fusillé... et cela pendant tout difficile que de payer d’anciennes dettes. le cours de l’année... la semaine sainte exceptée.

DON JOSÉ DON CÉSAR Et laquelle ? Vraiment ?... Si l’on se bat pendant la semaine sainte...

DON CÉSAR DON JOSÉ C’est d’en faire des nouvelles. Pendant la semaine sainte... on sera pendu.

DON JOSÉ DON CÉSAR Vous aviez quitté Madrid ? Diable !... Mais c’est aujourd’hui qu’elle commence.

DON CÉSAR DON JOSÉ J’y rentre aujourd’hui. Justement.

DON JOSÉ DON CÉSAR Et où êtes-vous allé ? Merci de l’avis... Je deviens un agneau... pour huit grands jours au moins... Je ne me soucie pas d’être pendu ! Quant DON CÉSAR à être fusillé... j’y penserai... la semaine prochaine... Mais Où je suis allé ? vous ne me parlez pas de vous-même... Vous étiez ambitieux. A quoi êtes-vous arrivé ?...... qu’êtes-vous N° 3 devenu ? AIR DON JOSÉ DON CÉSAR Moi ? Rien. [4] Partout où l’on chante, Partout où l’on boit, DON CÉSAR Partout où l’on voit Rien ? Ce n’est qu’un peu plus que moi. Femme ou fille aimante. L’âme insouciante, SCÈNE V J’allais devant moi. DON JOSÉ, DON CÉSAR, UN BATELIER, LAZARILLE Je voyageais gaîment, gaîment, les poches nettes, Gueux aujourd’hui, plus gueux encore demain, LE BATELIER (amenant Lazarille qu’il tient par le bras) Semant les duels, les amours et les dettes. Allons, petit, sèche tes larmes, et ne songe plus à ces Jalons charmants qui marquaient mon chemin... sottises-là. Dieu sait combien de villes j’ai comptées De l’Océan jusqu’au Manzanarès ! LAZARILLE (se défendant) Mais il en est deux… Vous avez tort... S’il me convient de mourir, j’en trouverai Il en est deux que surtout j’ai gouttées… toujours le moyen !... Alicante et Xérés ! Partout où l’on chante, DON CÉSAR Partout où l’on boit, Hein ?... qui parle de mourir ? Un enfant ! Partout où l’on voit Femme ou fille aimante. LE BATELIER L’âme insouciante, Un enfant qui voulait se noyer. J’allais devant moi. DON CÉSAR Ah bah!... Se noyer... dans l’eau ?

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[5] Le voilà ! Qu’on le saisisse ! DON JOSÉ Et dans quoi voulez-vous qu’on se noie ? DON CÉSAR (s’avançant) Capitaine... DON CÉSAR Ça dépend... Ainsi, tu voulais mourir ? LE CAPITAINE (aux soldats) Qu’on obéisse ! LAZARILLE Sur le champ. Et je veux encore ! LAZARILLE DON JOSÉ Grâce ! Grâce ! Mais, pourquoi ? LE CAPITAINE DON CÉSAR (gravement) Qu’on obéisse ! Qu’on le saisisse ! Est-ce qu’à ton âge tu aurais déjà des créanciers ? DON CÉSAR LAZARILLE Seigneur Capitaine, Je suis apprenti armurier... C’est à moi qu’est confié le soin En faveur de cet enfant, des arquebuses du régiment des gardes. Permettez que j’intervienne.

DON CÉSAR LE CAPITAINE (à Lazarille) Tu veux te noyer, quand tu as des arquebuses sous Fais ton devoir, épargne-nous ainsi la main ?... Tu n’aimes donc pas ton métie? La peine de punir... (Regardant Don César) Et de sottes prières. LAZARILLE Sous prétexte que les armes ne se sont pas trouvées, ce DON CÉSAR matin, en bon état, un des messieurs les capitaines veut me Que dit-il ? faire donner cinquante coups de bâton ! DON JOSÉ (bas, à Don César) DON CÉSAR Calmez-vous. Cinquante ! Allons, c’est trop. DON CÉSAR (revenant au Capitaine) LAZARILLE Eh bien ! A tout ceci Oh ! Ce n’est pas le nombre qui m’effraye !... Je ne crains Mettez fin par un mot, Montrons nous moins sévères ; pas la souffrance... je crains la honte !... Faites grâce, monsieur, et laissez-vous toucher. (Il le prend par le pan de son manteau.) DON CÉSAR (à Don José) Il a du coeur, cet enfant-là !... Nous intercéderons en sa LE CAPITAINE (se dégageant.) faveur. Prenez garde, l’ami, vous allez me tacher !

LAZARILLE DON CÉSAR (furieux) Le capitaine est bien cruel !... Morbleu ! Sans la semaine sainte !

DON CÉSAR (montrant Don José) TOUS ENSEMBLE Il ne refusera pas à deux bons gentilshommes. LAZARILLE (au Capitaine) LAZARILLE (effrayé) Capitaine, entendez ma plainte, Ah ! Grand Dieu ! Entendez donc ma plainte ! Je meurs de douleur et de crainte ! DON CÉSAR Pardonnez-moi, Qu’as-tu donc ? Faites cela pour ces bons seigneurs qui voilà, Faites cela pour ces bons seigneurs que voilà. LAZARILLE Je meurs de douleur et d’effroi ! C’est lui !... suivi des soldats !.... Ils me cherchent sans Pardonnez-moi, faites cela ! doute ! Pardonnez-moi, faites cela ! Pardonnez-moi, DON CÉSAR Faites cela pour ces bons seigneurs que voilà ! Place-toi derrière moi... Tu as pour te défendre... César et Pardonnez-moi, faites cela ! son épée. Pardonnez-moi, faites cela ! Pour ces bons seigneurs que voilà ! Faites cela ! DON JOSÉ (bas) Pardonnez-moi, faites cela Souvenez-vous de l’édit royal ! Pour ces bons seigneurs que voilà !

DON CÉSAR DON CÉSAR (furieux) Oh ! Diable !... et de la semaine sainte, surtout ! Morbleu ! Sans la semaine sainte Sans la semaine sainte, SCÈNE VI Et sans cette maudite crainte, DON JOSÉ, DON CÉSAR, UN BATELIER, LAZARILLE, LE Morbleu ! Sans la semaine sainte! CAPITAINE, DES SOLDATS Par Saint Jacques ! J’aurais déjà puni Le drôle puni le drôle que voilà ! N° 4 Morbleu ! Sans la semaine sainte ! QUATUOR Par Saint Jacques! J’aurais déjà puni le drôle que voilà ! LE CAPITAINE (montrant Lazarille) Par Saint Jacques !

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J’aurais déjà, j’aurais déjà puni le drôle que voilà, LE CAPITAINE Puni le drôle que voilà ! Au large, pauvre hère, Morbleu ! Sans la semaine sainte ! Passez votre chemin, Morbleu ! Sans la semaine sainte ! On ne peut rien vous faire ! Par Saint Jacques ! J’aurais déjà puni le drôle que voilà ! DON CÉSAR (furieux, se couvrant) Par Saint Jacques! Je vais vous faire, moi, quelque chose, mon cher ! J’aurais déjà puni le drôle, le drôle que voilà! Car c’est trop d’insolence, et la mesure est pleine ! (Changeant brusquement de ton, et s’avançant sur le DON JOSÉ (à Don César) capitaine d’un air ironique) Songez à la semaine sainte, à la semaine sainte ! Votre embonpoint est riche, riche et puissant, très puissant, Un peu de calme et de contrainte ! capitaine ! Ah ! Croyez-moi restez-en là avec le drôle que voilà ! Le jeune gâterait Restez-en là avec le drôle que voilà, Ce teint vermeil et clair ! Ah ! Croyez-moi, restez-en là, Il n’est, je crois, chez Lucifer Songez à la semaine sainte ! Carême ni sainte semaine ! Et croyez-moi, restez-en là, restez-en là, Je vais vous envoyer faire gras Oui, croyez-moi, restez-en là En Enfer ! Avec le drôle que voilà ! Allons ! Allons ! Au vent l’épée ! Restez-en-là! Restez-en là ! Ah ! Croyez-moi, restez-en-là LE CAPITAINE Avec le drôle que voilà ! Avec les mendiants, se bat-on par hasard? Oui, croyez-moi, restez-en là, restez-en là Avec le drôle que voilà ! DON CÉSAR (fièrement) Tout l’honneur est pour vous, car j’ai nom Don César, LE CAPITAINE (aux Soldats) Comte de Garofa, près de Velalcazar! Plus de sornettes, plus de feinte, Ce n’est jamais en vain, Monsieur, que l’on me fâche, Allons donc, plus de feinte Et vous allez vous battre ou vous n’êtes qu’on lâche ! Et n’écoutons plus sa complainte ! Finissons cette affaire-là avec le drôle que voilà, LAZARILLE Finissons-en avec le drôle que voilà. Grand Dieu ! Finissons cette affaire-là ! Finissons cette affaire-là ! finissons-là, LE CAPITAINE Finissons cette affaire-là avec le drôle que voilà ! Partons ! Finissons-là ! finissons-là, Finissons cette affaire-là DON JOSÉ Avec le drôle que voilà Vous oubliez l’édit... Finissons-là ! Finissons cette affaire-là DON CÉSAR Avec le drôle que voilà ! Il est trop tard ! Au diable la semaine sainte ! LAZARILLE (simplement et ému) Ayez pitié ! Si mon désespoir vous semble sincère et TOUS ENSEMBLE touchant, Ayez pitié ! D’un enfant qui tremble, LAZARILLE Ayez pitié, je tremble ! Toute ma crainte est pour vous seul ! Sans soutien et sans appui, Laissez cela, sinon peut être il vous tuera, Jeté seul sur terre ; Laissez cela, il vous tuera ! Dans mon ciel jamais n’a lui Il vous tuera ! Un seul jour prospère. Laissez cela, si non peut être il vous tuera, Plutôt que de souffrir tant Laissez cela, il vous tuera ! Mieux vaut que je meure... Il vous tuera ! Ayez pitié ! D’un enfant qui pleure Il vous tuera ! Ayez pitié ! Il vous tuera ! Bon seigneur, Je pleure ! Si non, peut-être vous tuera ! (La voix suffoquée par les larmes.) Si non peut-être vous tuera ! Ayez pitié ! Je tremble ! DON CÉSAR Ayez pitié ! Je pleure ! je pleure, ayez pitié d’un enfant qui Je vais régler ce compte-là ! Ce compte-là pleure ! Avec le drôle que voilà, Avec le drôle que voilà ! LE CAPITAINE (impatienté) Au diable la semaine sainte ! Allons, finissons-en ! Au diable la semaine sainte ! DON CÉSAR (résolument) Je vais régler ce compte-là, Allons, finissons-en ! Avec le drôle que voilà ! Capitaine, des gentilshommes Par sainte Jacques ! Braves et francs, tels que nous sommes, Je vais régler ce compte-là, morbleu ! Savent ce que vaut un serment, un serment ! Je vais régler ce compte-là, Or, j’ai juré quoique l’on fasse, oui, Avec le drôle que voilà ! J’ai juré que cet enfant aurait sa Grâce ; Avec le drôle que voilà ! Et je la demande humblement ! Je vais régler ce compte-là avec le drôle que voilà ! Je la demande humblement ! DON JOSÉ C’est de la tête qu’il y va !

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Laissez cela, dédaigneusement un maravédis, on m’offre des réaux, et C’est de la tête qu’il y va, quelquefois de l’or ! Laissez le drôle que voilà ! Laissez cela ! DON JOSÉ Laissez cela ! Eh bien ? C’est de la tête qu’il y va, Laissez le drôle que voilà ! MARITANA Laissez cela ! Eh bien ! Cet or a chassé de mon âme la paix et la Laissez cela ! sérénité... A présent, je fais des rêves d’ambition et Laissez le drôle que voilà ! d’orgueil. Ces pièces d’or qu’on me donne, je les compte Laissez le drôle que voilà, que voilà ! chaque soir, et je me désespère en songeant combien il en Laissez le drôle que voilà, faudrait encore pour payer de riches parures, des joyaux, C’est de la tête qu’il y va ! des pierreries, tout ce que je rêve enfin !

LE CAPITAINE DON JOSÉ (à part) Voyez donc cet impudent-là ! Ambitieuse et coquette ! C’est bien. Cet impudent, Oui, sous mes coups il périra, MARITANA Oui, sous mes coups il périra ! Vous riez de ma folie, n’est-il pas vrai, monseigneur ? Il périra ! Il périra ! DON JOSÉ Voyez donc cet impudent-là, Moi ?... Non pas, je vous jure ! Je pense même que tous vos Oui, sous mes coups il périra ! beaux rêves pourraient bien s’accomplir un jour... Voyez donc cet impudent-là ! Voyez donc cet impudent-là ! MARITANA Oui, sous mes coups il périra ! Oui, j’ai comme un vague pressentiment... une secrète Oui, sous mes coups il périra, espérance. Et puis, on s’occupe de moi, on parle de moi Oui, sous mes coups il périra ! dans Madrid... Des personnes du plus haut rang... et il en Tous sortent, sauf Don José. est une, plus puissante et plus élevée que les autres...

SCÈNE VII DON JOSÉ (à part, frappé de surprise) Le roi ! (haut) De qui donc parlez-vous ? DON JOSÉ, puis MARITANA MARITANA DON JOSÉ De la reine ! Don César est une bonne lame... Je craindrais fort pour son adversaire, s’il m’intéressait le moins du monde. DON JOSÉ (surpris) La... MARITANA (entrant joyeuse) La reine ! Cette fois encore, j’ai vu la reine. Elle a daigné me MARITANA sourire !... La reine qui, plusieurs fois, comme tout à l’heure encore, a fait arrêter son carrosse pour m’entendre chanter, qui a DON JOSÉ (à part) daigné jeter sur moi un regard plein de compassion et de La Maritana !... Mettons-nous à l’oeuvre !... Qui sait ?... bienveillance, qui a souri à mes chansons joyeuse, qui a Ce fou de Don César travaille peut-être, en ce moment, à pleuré à mes ballades plaintives. (avec fierté) Oui, l’accomplissement de mes projets ? (allant à Maritana) monseigneur, j’ai fait pleurer la reine !... (Bruit du Un mot, belle Maritana... dehors.Tout le peuple entre en scène.)

MARITANA DON JOSÉ Vous désirez me parler, monseigneur ? Silence!

DON JOSÉ SCÈNE VIII Oui, des choses les plus graves... DON JOSÉ, MARITANA, LE PEUPLE MARITANA En vérité ? N° 5 FINALE DON JOSÉ Maritana, n’êtes-vous pas... un peu... ambitieuse ? LA FOULE [6] Bohème charmante, prophétise ou chante ! MARITANA (avec effroi) Oracle ou chansons, nous applaudirons, nous applaudirons ! Ambitieuse ?... D’où savez-vous cela ? Bohème charmante ! Bohème charmante ! Oracle ou chansons, nous applaudirons ! DON JOSÉ Oui, nous applaudirons ! Je m’intéresse à vous, mon enfant; ouvrez-moi franchement votre âme. MARITANA (au peuple) Approchez ! De vos destinées MARITANA Je vais dévoiler ses secrets ! Hélas ! Monseigneur, vous ne vous êtes pas trompé. A travers les longues années, Lorsque j’étais enfant, ceux que mes chansons Du sort je lirai les arrêts ! importunaient me jetaient quelque petite monnaie pour se Approchez ! Approchez ! Approchez ! Approchez ! débarrasser de moi. Maintenant que je suis femme, on ne A travers les longues années, je lirai les arrêts. me renvoie plus, on m’écoute… On ne m’écoute pas seulement, on me regarde... On ne me jette plus

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LA FOULE DON JOSÉ (discrètement) Bohème charmante ! Bohème charmante, Rien, ou peu de chose… Oracle ou chansons, nous applaudirons, oui, nous applaudirons ! MARITANA Pourtant ? MARITANA (à un jeune soldat) Vous aimez femme jeune et tendre DON JOSÉ (montrant la foule qui s’approche) Qui languit près d’un vieux jaloux ; Silence ! On nous entend. Elle vous voit d’un oeil fort doux... (avec intention) Ce soir, la belle doit se rendre, SCÈNE IX Oui, la belle est prête à se rendre... Le jeune amant peut bien prétendre DON JOSÉ, MARITANA, LE PEUPLE, DON CÉSAR, Aux droits charmants du vieil époux. LAZARILLE Approchez ! Approchez ! Approchez ! De vos destinées UN ALCADE, DES SOLDATS Je vais dévoiler les secrets ! A travers les longues années, Don César apparait tout à coup l’épée à la main. Du sort je lirai les arrêts ! Approchez ! Approchez ! Approchez ! Approchez ! DON CÉSAR A travers les longues années C’est fait ! Vraiment, un coup superbe ! Je lirai les arrêts ! Il dort là-bas sur l’herbe percé de part en part ! Et maintenant, César, Si tu m’en crois, DON JOSÉ (s’avançant) décampe sans retard ! A mon tour, Bohémienne ! Il se dirige en courant vers la droite, des soldats en gardent subitement le passage. Don César recule lentement et MARITANA remonte vers la gauche où le même aspect se représente. Votre main... Prenant alors son parti, il descend suivi des soldats jusqu’à l’avant-scène. Il est arrêté à gauche. Il redescend. DON JOSÉ Non pas, donne la tienne ! UN ALCADE Au nom du Roi, je vous arrête ! MARITANA Pourquoi ? DON CÉSAR (après la parole) Déjà !... La police est bien faite ! DON JOSÉ Donne. LAZARILLE (accourant vers D. César, avec tendresse et dévouement) MARITANA (hésitante) Seigneur ! Je ne vous quitte pas ! La voici... DON CÉSAR (aux soldats) DON JOSÉ (avec intention) Messieurs ! Je suis à vous ! Ce que ta voix nous fait connaître (à part) D’un pareil embarras, pourrais-je me tirer ? Et nous promet pour l’avenir, J’en doute… Maudite soit la route Le hasard seul peut l’accomplir, Qui vers Madrid a ramené mes pas ! Si Dieu pourtant veut le permettre, Si Dieu pourtant veut le permettre... MARITANA (à Don José) Mais tout ce que je puis promettre Quand tiendrez-vous votre promesse ? Je sais... je sais... le tenir. A quand la grandeur, la richesse ?

MARITANA DON JOSÉ Vous êtes tout puissant ? (à Maritana, à part) Demain ! (à part, désignant Don César) Il est perdu ! DON JOSÉ (après avoir réfléchi, à Maritana) Demain, Vous serez Peut-être... Duchesse !

MARITANA MARITANA (avec joie, à part) Vous ?... Demain je serai Duchesse...

DON JOSÉ DON CÉSAR Oui, moi, Don José ! Demain, je serai pendu !

MARITANA LA FOULE Grand Dieu ! Don José ! Le premier ministre ! C’en est fait il sera pendu ! pendu ! C’en est fait il sera pendu ! DON JOSÉ Si tu veux... si tu veux... Tous ces biens qu’envie l’humanité FIN DE L’ACTE I Feront de ta vie un rêve enchanté, Ces biens qu’on envie [7] ENTRACTE Feront de ta vie un rêve, un rêve enchanté... ACTE DEUXIÈME MARITANA (avec émotion) Que votre Excellence m’éclaire; L’intérieur d’une forteresse. Pour avoir tout cela, Dites, que faut-il faire ? SCÈNE PREMIÈRE

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DON CÉSAR, LAZARILLE Longs festins que le soir commence Don César est à moitié couché et dort. Lazarille est debout Et que le jour ranime encore. près de lui. Raconter ce que j’ai pu faire, Nul jamais n’en viendrait à bout ! N° 6 Mais, ma confession est claire : BERCEUSE J’ai fait… tout! Pauvre, j’ai traîné ma misère LAZARILLE Royalement, sous le ciel bleu, [8] Dors, ami, dors, et que les songes Chantant toujours, ne dînant guère, T’apportent leurs riants mensonges, Vivant à la grâce de Dieu. Et te bercent de doux accords ; Parmi les bandits qu’on redoute Dors, ô mon seul ami, dors… dors ! J’ai fait parfois d’assez bons coups ; Tandis que tu reposes, Avec eux, j’ai battu la route D’un soleil radieux, Et j’ai hurlé parmi les loups. Les rayons blancs et roses Maintenant qu’on m’envoie en terre : Semblent se jouer sur tes yeux. Mon roman s’achève fort bien… Non, la clarté qui dore Ici-bas qu’ai-je encore à faire ? Ton front calme et vermeil Ma foi... rien ! Ne saurait être encore Celle de ton dernier soleil. LAZARILLE (se jetant à ses genoux) Dors, ami, dors, et que les songes Et c’est pour moi, pour moi que vous allez mourir ! T’apportent leurs riants mensonges, (Il sanglote en lui baisant les mains.) Et te bercent de doux accords ; Dors, ô mon seul ami, dors, dors ! DON CÉSAR Eh bien ! eh bien ! Veux-tu ne pas pleurer ? Regardes, tu as LAZARILLE (tournant ses regards sur Don César) chiffonné mes manchettes ! En vingt-quatre heures, arrêté, jugé, condamné ! (On entend sonner l’horloge.) Il n’a plus que deux heures à vivre... et il LAZARILLE (avec rage) dort !... (Il lui prend la main.) Et personne !... pas un ami... pas un parent, n’est allé tomber aux pieds de monseigneur le roi et demander votre DON CÉSAR (s’éveillant en sursaut) grâce ! Hein!... qui m’éveille ?... Ah ! C’est toi, enfant... Maladroit !... tu viens d’interrompre le plus beau songe !... (avec DON CÉSAR (sévèrement) expansion) Je rêvais que tous mes créanciers étaient Lazarille, tu calomnies l’humanité ! (Avec émotion) Si fait, pendus ! Lazarille ; un homme, un vieillard... s’est allé porter sur le passage du roi... s’est jeté sous les roues du carrosse... a LAZARILLE tendu ses mains tremblantes, et, tandis que des larmes Quoi !... C’était... éloquentes sillonnaient son visage, a crié à travers ses sanglots : « Grâce ! grâce pour Don César ! » DON CÉSAR C’était délicieux !... Quelle heure est-il ?... (Lazarille lui LAZARILLE (avec élan) montre le cadran.) Que cela? J’ai encore deux heures Ah ! C’était le vieux conte de Bazan !... C’était votre père ! d’avenir ! A quoi diable vais-je les employer ?...Lazarille !... DON CÉSAR (froidement) LAZARILLE C’était mon plus gros créancier… Quant à mes autres Monseigneur ? fidèles amis, cela leur eût fait tant de peine de me voir ici, que pas un n’est venu. DON CÉSAR Si tu étais condamné à mourir, et que tu eusses encore deux DON JOSÉ (qui vient d’entrer) heures devant toi, à quoi les emploierais tu? Excepté moi !

LAZARILLE DON CÉSAR (se levant) A me confesser de mes péchés, monseigneur. Don José ! (sur un geste de don César, Lazarille sort)

DON CÉSAR SCÈNE II Deux heures te suffiraient? (à part) C’est si jeune !... (haut) Moi, je ne sais pas trop si, vivant soixante ans, j’aurais assez DON CÉSAR, DON JOSÉ de la seconde partie de ma vie pour raconter la première... Je ne me confesserai donc pas, ce serait trop long... Si je DON CÉSAR faisais mon testament ?... Non, ce serait trop court. (s’étalant Vous ! dans ma prison ! et se prélassant) Ah, j’ai largement et amplement vécu, moi... J’ai épuisé, vois-tu, la coupe des voluptés terrestres. DON JOSÉ Ne me faites pas l’injure d’en être surpris... les amis sincères N° 7 et vrais son ceux qui persistent jusqu’au dernier moment... Votre main ! COUPLETS DON CÉSAR DON CÉSAR Comment donc ! Après ces affectueuses paroles. (à part) [9] Riche, j’ai semé les richesses Il a quelque tour pendable à me jouer. A tous les vents, à pleine main, Sans amour, aimant des Duchesses, DON JOSÉ Buvant sans soif, mangeant sans faim. Je viens d’apprendre la fin de votre malheureuse aventure. Il fallait voir l’orgie immense C’était, pardieu ! bien la peine de vous donner de bons Où ruisselaient le vin et l’or ; conseils...Vous n’avez plus que deux heures à vivre.

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DON JOSÉ DON CÉSAR N’est-ce que cela ?... Je le prends à mon service, je me Vous vous trompez... une heure trois quarts. charge de son avenir. (Il montre le cadran.) DON CÉSAR DON JOSÉ (souriant) Merci ! C’est compter juste. DON JOSÉ DON CÉSAR Mais vous me demander là bien peu. Avez-vous quelque La vie est si courte ! autre désir ?... Cherchez !

DON JOSÉ DON CÉSAR La vôtre cependant sera assez longue pour ce que j’ai à Ma foi... je ne trouve rien. vous dire... Tenez, asseyons-nous et causons ! DON JOSÉ (à part) DON CÉSAR Je n’aurai pas son consentement à si bon marché. (haut) Causons, et le plus lentement possible... je ne sais que faire Tenez, je vous viens en aide... Don César, vous avez dû, de mon temps... dans vos nombreux voyages, assister à de curieux spectacles (l’observant).Vous est-il arrivé de voir pendre un DON JOSÉ homme ! Eh ! Je vous apporte peut-être de quoi l’occuper... (élevant la voix) DON CÉSAR (devenant pensif) Don César ?... Oui...j’ai vu cela...j’en ai vu pendre trois...et j’ai ri de tous les trois !... Mon Dieu oui, j’en ai ri !... DON CÉSAR Don José ! DON JOSÉ Vous vous repentez de ce mouvement peu charitable ? DON JOSÉ Mettez-vous un instant en tête que je suis tout-puissant dans DON CÉSAR ce pays...que je suis... ou le premier ministre de notre Moi ?... Ma foi, non... Je me dis seulement : Je ne ferai pas seigneur le roi, ou une bonne fée, à la baguette magique, à en l’air meilleure figure qu’eux... et si j’ai ri de ceux-là, votre choix... d’autres vont rire de moi. (s’animant peu à peu) Pendu!... Mais c’est infâme !... Jamais, dans toutes les Espagnes, on DON CÉSAR (le regardant) n’a pendu un gentilhomme !... Qu’on pende un manant !... Je choisis le ministre... franchement, vous n’avez guère la qu’on pende un alcade ! Qu’on pende mes créanciers !... mine d’une bonne fée...et il y a un peu du ministre dans Cela leur revient… Mais Don César, le dernier des Bazan et votre regard. des comtes de Garofa !... Mais c’est plus qu’une mort honteuse !... c’est une mort ridicule, grotesque !... Allons DON JOSÉ donc ! Est-ce que je veux de cela ?... Qu’on me place Vous me flattez... Eh bien, donc, moi, ministre ou fée, je debout, la tête haute, en face de douze soldats, aux vous dis ceci : Tout homme, dans votre position... délicate, a arquebuses bien chargées, que douze balles de plomb me toujours je ne sais quels regrets, quels désirs qui troublent jettent mort, le crâne et la poitrine fracassés... A la bonne ses dernières heures... Parlez, confiez-vous à un ami... je heure ! C’est ainsi que doit mourir un gentilhomme ! jure, si vous acceptez mes conditions, de vous accorder quoi que vous demandiez... (vivement) sauf, bien entendu, la vie. DON JOSÉ Et c’est ainsi que vous mourrez. DON CÉSAR (avec reproche) Ah ! Pouvez-vous me croire assez indiscret pour vous DON CÉSAR (vivement) demander de ces choses-là ! Vraiment ?... Vous me le jurez ?

DON JOSÉ DON JOSÉ Eh bien ? Sur mon honneur !

DON CÉSAR DON CÉSAR Eh bien ! je ne regrette et ne désire absolument rien. Ah ! Je renais, je respire ! Douze braves soldats du roi, qui m’enverront la mort, comme je la recevrai, résolument et DON JOSÉ (à part) gaiement !... Je veux les voir, leur serrer la main, je veux Diable ! boire avec eux !...

DON CÉSAR DON JOSÉ Ah ! Cependant...attendez !...Vous avez dû voir ici, en Boire avec des soldats, vous, comte de Garofa ! entrant, un jeune homme, un enfant... DON CÉSAR DON JOSÉ Bah ! J’ai bien dérogé avec des muletiers et des bandits !... Celui pour qui vous avez eu cette querelle ?... celui qui Et puis, franchement, tout Garofa que je suis, si je vaux un cause votre mort ? peu mieux qu’eux maintenant, ils vaudront beaucoup mieux que moi tout à l’heure. DON CÉSAR Oui, je lui dois cela, à ce petit... Je dois quelque chose à tant DON JOSÉ de gens !...et vraiment il m’intéresse... Je ne veux pas qu’il Soit... Il vous sera servi un repas somptueux, qui vous continue à souffrir, quand je ne serai plus là pour tuer, rappellera vos prospérités passées... Est-ce tout ? messieurs les capitaines... Faites quelque chose pour cet enfant.

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DON CÉSAR Demain, C’est tout... Mais, parbleu ! Maintenant je suis curieux Sous ma main d’apprendre ce que vous pouvez avoir à me demander ! Il faut que tout plie. Voyons, j’ai fait mes conditions, faites les vôtres. Pour que je meure content, pour que cet enfant soit heureux et pour que DON JOSÉ (à part) je ne sois pas pendu... qu’exigez-vous ? Mes projets sont parfaits. C’en est fait, je l’emporte ! DON JOSÉ Demain, Sous ma main, Très peu de chose. DON CÉSAR DON CÉSAR Marié ! Fusillé ! Quelle fin ! Quelle fin ! Si peu que cela ! Le diable m’emporte, Si jamais je croyais, je croyais, DON JOSÉ Si jamais je croyais, je croyais finir de la sorte ! Il faut tout simplement vous marier ! Quelle fin ! O destin ! O destin ! Quelle fin ! Marié ! Fusillé ! Le diable m’emporte, N° 8 Si jamais je croyais, je croyais finir de la sorte ! Un hymen! Puis, l’on m’expédie ! DUO O destin! Quelle fin, quelle fin digne de ma vie! Marié ! Un hymen ! O destin ! Quelle fin ! DON CÉSAR Marié ! Fusillé ! Un hymen ! Un amen ! [10] Me marier ! Dieu puissant ! Pourquoi faire? Quelle fin vraiment digne de ma vie! Dites-moi donc un peu pourquoi ? DON JOSÉ DON JOSÉ Il faut que tout plie ! Je ne saurais… Mes projets sont parfaits ! Oui ! je l’emporte ! Oui ! je l’emporte ! DON CÉSAR C’est bien de la sorte ! Je l’emporte ! Vraiment ? Un amen ! Vite on l’expédie ! Demain, sous ma main, il faut que tout plie ! DON JOSÉ Fusillé ! Un amen ! Dès demain ! C’est un mystère… Marié ! Fusillé ! Un hymen ! Un amen ! Et demain, sous ma main, DON CÉSAR Il faut que tout plie ! Un mystère ? Morbleu! Vous vous moquez de moi? C’est peut-être plaisant, mais ce n’est pas fort brave. DON CÉSAR (à Don José) Ma fiancée, est-elle au moins jeune et jolie ? jolie ? DON JOSÉ Non, jamais je ne fus plus grave. DON JOSÉ (un peu embarrassé) Je l’ignore. DON CÉSAR à part. Je voudrais bien savoir quelle est l’infortunée DON CÉSAR Qui peut ainsi vouloir d’un semblable hyménée ! Si c’est ainsi, Convoiterait-elle mon bien ? Mon très cher, je la vois, je la vois d’ici ! Mais… sauf mes dettes… je n’ai rien ! Rien !... (Don César contrefaisant des manières de duègne.) Que mon nom... mon nom !... Dieu quelle idée ! Une duègne aux mimes dolentes, C’est cela qui l’a décidée ! Sur qui neigent cinquante hivers, (à Don José) C’est à mon titre qu’on en veut ?… Cheveux absents et dents branlantes, Front chargé de sillons divers ! DON JOSÉ D’ici je vois une duègne aux mines dolentes ! Je ne sais… il se peut. D’ici je vois une duègne aux mines dolentes ! Je vois d’ici cette duègne ! DON CÉSAR Je vois cette duègne ! Ah ! ah ! ah ! ah ! Puisqu’elle tient à la noblesse, N’est-ce pas son portrait, mon maître ? Eh bien ! eh bien ! Qu’elle soit donc Comtesse. Puisqu’elle tient à la noblesse, DON JOSÉ Qu’elle soit donc Comtesse. Il se peut...

DON CÉSAR DON CÉSAR Marié ! Eh bien ! Franchement, Le diable m’emporte, N’espérez pas que j’aille mettre Si jamais je croyais, Mon nom sur ce vieux monument ! Je croyais finir de la sorte ! Un hymen ! DON JOSÉ Puis l’on m’expédie. Vous refusez ? O destin ! Quelle fin ! Digne de ma vie ! DON CÉSAR Absolument ! DON JOSÉ (à part) Fusillé ! DON JOSÉ C’est bien de la sorte. Alors... pendu ! Je l’emporte ! Un amen ! DON CÉSAR Vite on l’expédie ! Diable!

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(réfléchissant) Il faut que je meure, Sous ma main ! Il faut que tout plie ! Dans une heure, Mes projets (avec intention) C’est avant la nuit... avant la nuit… Sont parfaits Oui! je l’emporte ! DON JOSÉ (avec impatience) C’est bien de la sorte ! Eh bien ?... Un amen, Je l’emporte ! DON CÉSAR (avec effort) Vite on l’expédie ! Je consens ! Demain, Sous ma main, Et sans y regarder, oui, sans y regarder, Il faut que tout plie ! Je prends la duègne et ses mines dolentes, Fusillé ! Et son front aux sillons divers ! Un amen ! Dès demain ! DON CÉSAR Marié ! Les faux cheveux, les dents branlantes, Fusillé ! Et de plus, les cinquante hivers Un hymen ! Sans regarder, Un amen ! Je prends la duègne aux mines dolentes, Et demain, Sans regarder, Sous ma main Je prends le duègne aux mines dolentes, Il faut que tout plie ! Sans regarder, Je prends la duègne ! DON CÉSAR DON JOSÉ Marié ! Fusillé ! O destin ! Enfin je l’emporte Quelle fin ! Quelle fin ! C’est bien de la sorte... Mes projets sont parfaits ! Le diable m’emporte, Un hymen ! Si jamais je croyais, Un amen! Ah, c’est parfait ! C’est parfait, vraiment ! Si jamais je croyais, Un hymen ! Un amen ! Ah ! c’est parfait ! Je croyais finir de la sorte ! C’est parfait vraiment ! Quelle fin ! O destin ! O destin ! Quelle fin ! DON JOSÉ Marié ! Fusillé ! Vous ne le verrez pas, Le diable m’emporte, Elle sera voilée ; Si jamais je croyais Elle-même ne verra pas, Je croyais finir de la sorte ! Sur quel beau cavalier va s’appuyer son bras. Un hymen ! Puis, l’on m’expédie ! DON CÉSAR (avec élan) O destin ! Quelle fin, Ah ! J’en ai l’âme consolée ! Quelle fin Digne de ma vie ! Car si mes traits encore gardent quel que fraîcheur, Marié ! Un hymen ! (se contemplant piteusement) O destin ! Quelle fin ! Pour mon habit, c’est autre chose ; Marié ! Fusillé ! Il tombe... de fatigue ! Un hymen! Un amen ! Quelle fin vraiment DON JOSÉ Digne de ma vie ! Il faut qu’il se repose. Don César sort. Entrez là ; tout est prêt... D’un riche et beau seigneur, Vous allez retrouver la grâce et la splendeur ! SCÈNE III

DON CÉSAR (rayonnant) DON JOSÉ, PERES Ah ! C’est royal ! Ma dernière heure Est la plus belle et meilleure ! DON JOSÉ (regardant sortir Don César) Il faut des hommes comme cela... Quand on croit qu’ils ne DON CÉSAR (avec une explosion comique) sont plus bons à rien, il y a encore quelque chose à en faire: Marié ! on les marie. (Il appelle) Pérès ! Le diable m’emporte, Si jamais, Je croyais, PÉRES (entrant) Je croyais Finir de la sorte ! Monseigneur ?... Un hymen, Puis l’on m’expédie ! O destin ! DON JOSÉ Quelle fin Digne de ma vie ! Qu’on apporte une table richement servie.

DON JOSÉ PÉRES Fusillé ! Oui, monseigneur, (Il va pour sortir) C’est bien de la sorte. Je l’emporte ! DON JOSÉ Un amen Ah !... envoie-moi Lazarille... un enfant qui habite cette Vite on l’expédie ! forteresse. Va et sois prompt. (Pérès sort. Don José Demain, sous ma main, il faut que tout plie ! triumphant.) Eh bien ! la belle Maritana, ma prédiction va s’accomplir... Entre le roi d’Espagne et toi, humble DON JOSÉ chanteuse des rues, il n’y a plus que l’épaisseur d’un Mes projets Sont parfaits, gentilhomme ruiné...et tout à l’heure, il n’y aura plus rien. Ah! C’en est fait ! Je l’emporte ! Demain, tu t’es montrée plus être rétive que lui... Il a fallu te dire: « La reine, » quand je pensais: « Le roi... » Il t’a fallu des DON JOSÉ explications sur tout. Pourquoi ce mystère ?...

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pourquoi ce voile et cette prison ?... pourquoi ce mari qui César arrivera à huit heures... Don César mourra... mais Sa disparaît et qu’on ne reverra que dans des temps Majesté très catholique sera bénie. meilleurs?... Enfin, le nom de la reine nous a fait raison de tes scrupules et tu te laisses fairecomtesse... Grand merci, LAZARILLE (entrant) la belle ! Monseigneur, voici les arquebusiers. (Il va au fond, fait un signe ; des valets apportent une table SCÈNE IV richement servie. Des soldats entrent d’un autre côté. Don César reparaît magnifiquement vêtu.) DON JOSÉ, LAZARILLE DON JOSÉ (à Don César.) LAZARILLE (entrant) Voici le festin et voici les convives. Monseigneur m’a fait appeler ?... Il sort suivi de Lazarille.

DON JOSÉ SCÈNE VI Oui... Approche, mon enfant... Tes parents ?... DON CÉSAR, DES SOLDATS LAZARILLE Je n’en ai pas, monseigneur... N° 9A

DON JOSÉ CHANSON DE MATALOBOS Tes amis ?... DON CÉSAR (aux arquebusiers) LAZARILLE [11] A boire, amis, je vous invite, Un seul... qui s’est intéressé à moi, hier, et qui va mourir... A boire, amis, je vous invite ! aujourd’hui. Le temps est prompt, la vie est courte, Profitons-en ! DON JOSÉ La vie est courte, buvons vite ! Don César, n’est-ce pas ?... En effet, il t’aime ; et c’est à sa (levant son verre) A la Comtesse de Bazan! recommandation que je me charge de ton avenir. CHOEUR (avec franchise) LAZARILLE Ce seigneur nous invite, Eh quoi !... Votre Excellence daignerait... Amis, Ce seigneur nous invite. Le vin est vieux, DON JOSÉ La vie est courte. Dés présent,... je t’attache à mon service. Profitons-en ! La vie est courte, buvons vite ! LAZARILLE A la comtesse de Bazan ! A présent ?... Pardon, monseigneur, mais c’est dans quelques instants que Don César va mourir...mourir pour DON CÉSAR moi... et j’aurais voulu être le dernier à lui serrer la main, le Allons, compagnons, prenons place ! premier à prier pour lui. Treize à table ! Ne craignez rien, non mes amis ! DON JOSÉ (à part) Non mes amis ne craignez rien. Un coeur généreux !... J’ai besoin de quelqu’un en qui je Celui que l’augure menace, puisse me fier... (haut) C’est bien, Lazarille; demain Parbleu ! Je le connais trop bien, seulement, tu feras partie de ma maison. Je le connais, je le connais trop bien ! Chantons ! Chantons ! Pour égayer la fête ! LAZARILLE Et dès demain, monseigneur, je vous serai tout dévoué, CHOEUR comme je l’aurais été à Don César, lui-même. Chantons !

DON JOSÉ DON CÉSAR (largement) J’y compte... Fais monter les arquebusiers. Je veux qu’avec moi l’on répète (Lazarille salue et sort.) La nouvelle chanson de mon ami de coeur, Matalobos le voleur ! SCÈNE V (franchement et accentué) Piller, voler et prendre, DON JOSÉ, LAZARILLE Garder sans jamais rendre, C’est acquérir DON JOSÉ (tirant des papiers de sa poche) Et s’enrichir, A mon rôle politique, maintenant !... (s’asseyant et lisant) « C’est acquérir Nous, Charles II, etc... faisons grâce pleine et entière à Don Avec plaisir, César de Bazan, comte de Garofa... » Il ne manque plus à Morbleu ! les biens des autres cela que la signature royale. (serrant les papiers) Ne sont-ils pas les nôtres ! L’admirable comédie !... Il faut bien que ce pauvre Charles II Volons, amis, soit béni quelquefois... Dès qu’un de ses sujets, Pillons, bandits, gentilhomme ou manant, est condamné à mort, le coeur du Autant de pris ! bon roi s’émeut... Par nos conseils... il signe, avec des larmes de joie, toujours conseillé par nous, la grâce du DON CÉSAR ET CHOEUR coupable, mais, par un hasard, une fatalité inexplicable... Volons, amis, que nous avons prepare d’avance...la grâce arrive toujours Pillons, bandits, une heure trop tard... C’est un malheur. La sentence de Don Autant de pris, César doit être exécutée à sept heures... la grâce de Don Volons amis, Pillons, bandits, pillons, bandits !

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Autant de pris ! C’est acquérir Et s’enrichir, DON CÉSAR C’est acquérir Une amoureuse qui se donne Avec plaisir ! Et qui n’appartient à personne ! Morbleu ! les biens des autres Ne sont-ils pas les nôtres ! CHOEUR Volons, amis. Eh bien !... Pillons, bandits ! Autant de pris ! DON CÉSAR Volons, amis, N’est certes pas à mépriser. Pillons, bandits, C’est toujours bien bon, un baiser. Autant de pris ! Volons, amis, CHOEUR Pillons, bandits, C’est vrai ! Pillons, bandits, Autant de pris ! Buvons ! DON CÉSAR Mais, vive celle que l’on vole ! UN SOLDAT C’est la seule, sur ma parole, Monseigneur ! Monseigneur ! les juges ! Dont l’amour soit vraiment divin. (Tous les soldats se levant.) Vive la femme du voisin ! DON CÉSAR (fort calme et ironique) CHOEUR Les juges ! C’est pour moi. Laissez entrer la justice du Roi. Voilà l’amour vraiment divin, Vive la femme du voisin ! SCÈNE VII

DON CÉSAR ET CHOEUR DON CÉSAR, DES SOLDATS, LES JUGES Piller, voler et prendre, Les juges sont entrés solennellement. Un Juge s’avance Garde sans jamais rendre ! tenant un large parchemin. Il donne à Don César lecture de C’est acquérir l’arrêt. Et s’enrichir, C’est acquérir UN JUGE (lisant) Avec plaisir ! « De par notre Seigneur le roi Charles deuxième, à Don Morbleu ! Les biens des autres César de Bazan, comte de Garofa, condamné à mort, il-est Ne sont-ils pas les nôtres ! fait grâce de la corde. Douze arquebuses, chargées, seront Volons, amis. bénies et laissées à la surveillance de l’armurier des gardes Pillons, bandits ! ou de son aide, et justice sera faite. La nuit venue, le corps Autant de pris ! sera relevé par les moines de San Rafael, qui lui rendront Volons, amis, les honneurs dus à un grand d’Espagne et à un chrétien. Pillons, bandits, Ainsi soit fait ! » Charles, roi d’Espagne. Autant de pris ! Volons, amis, DON CÉSAR (dès qu’ils sont sortis, gaiement et comme si Pillons, bandits, rien ne s’était passé.) Pillons, bandits, Troisième couplet ! Autant de pris ! Bientôt dans les profondeurs sombres DON CÉSAR Où vont jeûner nos pauvres ombres. Jouer son or et ses domaines. Manger ses prés, CHOEUR Boire ses plaines, Hélas !

CHOEUR DON CÉSAR Eh ! bien ?... Je vais descendre sans regret, Content des bons tours que j’ai faits ! DON CÉSAR C’est beau, mais le charme inouï CHOEUR Est de manger le bien d’autrui ! Vraiment !

CHOEUR DON CÉSAR C’est vrai ! Mais à Satan qui la réclame, Si je pouvais voler mon âme DON CÉSAR Pour la ramener où l’on boit, Le vin qu’on paie est bon sans doute, Ce serait mon plus bel exploit ! Mais combien vaut mieux une goutte De celui qu’on vole au prochain, CHOEUR Vive la treille du voisin ! Il fait la mener où l’on boit, C’est là vraiment un bel exploit ! CHOEUR Il faut le voler au prochain ! DON CÉSAR ET CHOEUR Vive le treille du voisin ! Piller, voler et prendre, Garde sans jamais rendre ! DON CÉSAR ET CHOEUR C’est acquérir Piller, voler et prendre, Et s’enrichir, Garde sans jamais rendre ! C’est acquérir

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Avec plaisir ! SCÈNE IX Morbleu ! Les biens des autres Ne sont-ils pas les nôtres ! LAZARILLE Volons, amis. Pillons, bandits ! LAZARILLE, seul. Autant de pris ! L’instant est venu... l’instant suprême où doit finir sa vie, à Volons, amis, lui, le seul homme qui se soit intéressé au pauvre Lazarille ! Pillons, bandits, Hélas ! je suis né pour être toujours malheureux !... Pour la Autant de pris ! première fois, j’airencontré un ami, et ils vont l’envoyer à la Volons, amis, mort !... Pillons, bandits, Pillons, bandits ! N° 10 Sans être pris ! Pillons ! Volons ! ROMANCE Prenons ! Buvons amis, le temps est prompt ! LAZARILLE Chantons, buvons encore ! [12] Rien ne peut le défendre, Chantons, buvons encore ! Tout l’accable à la fois !... Chantons, buvons encore ! Ne saurai-je lui rendre Buvons, la vie est courte ! Les jours que je lui dois, Buvons, amis, buvons, amis, Les jours que je lui dois. Buvons amis Seigneur, je vous supplie, (à volonté) Ah! Buvons ! Dieu fort, Dieu triomphant. Ils me prendront sa vie !... Orgue dans la coulisse. Je ne suis qu’un enfant !... Je ne suis qu’un enfant!... DON CÉSAR Mais l’amour au plus frêle, Ma femme ! (aux arquebusiers.) La Comtesse ! (Les donner la vigueur : arquebusiers quittent la table et se rangent au fond.) Ma tendresse est fidèle Et ma force est au cœur !... SCÈNE VIII Ma force est au cœur !... Mon Dieu ! Je vous supplie, DON CÉSAR, DES SOLDATS, DON JOSÉ, MARITANA, Rendez-moi riomphant, DAMES ET SEIGNEURS Ah ! Pour sauver sa vie, Maritana entre, le visage couvert d’un voile épais, et amenée C’est assez d’un enfant ! par Don José. C’est assez d’un enfant !

DON JOSÉ (bas, à Don César.) On entend de nouveau le bruit des cloches. Pas un mot ! Pas un regard !... La cérémonie est achevée, les voilà qui se dirigent de ce DON CÉSAR côté... Vite, à mon poste, et que le ciel me protège ! (Il sort Pas un regard ?... A quoi bon ?... (montrant le voile) Ce n’est d’un côté en même temps que Don José, Maritana et leur pas un voile, cela, c’est une cloison. suite rentrent de l’autre.)

DON JOSÉ (haut) SCÈNE X Don César... la main à la señora ! DON JOSÉ, MARITANA, DAMES ET SEIGNEURS DON CÉSAR (à part) La main !... oh je saurai bien, au contact d’une main veloutée N° 10 BIS ou rugueuse... (S’approchant et cherchant à distinguer le visage à travers le voile). Jamais je n’ai vu de femme si MÉLODRAME calfeutrée... Allons ! (Il regarde le cadran; à part) Moins dix!... Bah ! Soyons galant... une dernière fois ! ... SORTIE DE LA CHAPELLE

N°9C DON JOSÉ (aux laquais) Faites prévenir les pages de Madame la Comtesse de MADRIGAL Bazan. DON CÉSAR En vous, je vais placer, Madame, MARITANA (étonnée) Tout l’espoir de mon avenir. Mes pages ! De votre seul amour mon âme, Jusqu’à la mort, jusqu’à la mort va se remplir. DON JOSÉ Ma pensée à la vôtre unie, ne suivra que votre désir ; Votre carrosse vous conduira chez vous, Madame la A vous mon coeur, à vous ma vie, ma vie, Comtesse... à votre palais de San-Fernando. Jusqu’au dernier soupir, jusqu’au dernier soupir ! Jusqu’au dernier soupir ! MARITANA A vous mon coeur, à vous ma vie, Mon palais !... Mais lui, le comte... mon mari ?... Jusqu’au dernier soupir ! A vous ma vie, Madame ! DON JOSÉ Votre mari ? (on entend une décharge de mousqueterie.) (Parlé à part) Je ne me compromets pas ! Tout le monde sort, en même temps que paraît Lazarille au fond.

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N° 11 Ah ! Partons ! Éloignons-nous !

FINALE Don José s’éloigne entraînant Maritana - il est suivi par les témoins, les seigneurs et les pages. La nuit est venue MARITANA graduellement. [13] Grand Dieu ! Quel est ce bruit ? SCÈNE XI DON JOSÉ Dissipez vox alarmes… DON CÉSAR, LAZARILLE Quelque pauvre soldat qu’on passe par les armes. La porte de droite s’entrouvre et Lazarille parait à demi. Nuit. MARITANA Musique à l’orchestre. Où donc m’entraînez-vous, seigneur ? Où donc ? Répondez-moi ? LAZARILLE Personne ! DON JOSÉ (calme) (Il va regarder au fond.) A la fortune, à la grandeur ! CRI LOINTAIN CHOEUR Sentinelles, veillez ! Son esprit est plein de ténèbres Et son coeur de crainte est saisi ! LAZARILLE (à Don César qui parait) Ah ! Dans ces demeures funèbres, Fuyez !... cette clef ouvre la poterne... Hâtez-vous !... Seul, il sait, il sait où l’on marche ainsi ; DON CÉSAR (chancelant comme un homme ivre et se MARITANA frottant les yeux) Autour de moi, tout est ténèbres Ah! ce n’est pas un rêve !... Je suis bien vivant !... Et son coeur de crainte est saisi ! (à Lazarille) Je n’ai donc pas entendu les balles siffler à mon Je ne vois qu’images funèbres ! oreille ? Ah ! je ne sais où l’on m’entraîne ainsi. Je ne sais ; autour de moi, tout est ténèbres LAZARILLE (bas) Et mon coeur de crainte est saisi ! Impossible ! Les voilà toutes ! Je ne vois qu’images funèbres Ah ! je ne sais ! et mon coeur de crainte est saisi DON CÉSAR Je ne sais où l’on m’entraîne ainsi. Comment ?

DON JOSÉ LAZARILLE Je tiendrai toutes les promesses ! Le gardien des arquebuses, c’était moi !... moi qui vous ai A toi les villas, les palais ! A toi les titres et les villas, dit : « Tombez et ne bougez pas ! » Et les palais, à toi les titres, les richesses et les villas et les palais ! DON CÉSAR (prenant les balles) (à part) Son coeur de crainte est saisi, Douze ! Le compte y est ! (les mettant dans sa poche) Mais, seul, je sais, je sais où l’on marche ainsi ! Allons! j’aime mieux les avoir dans ma poche que dans ma Je tiendrai toutes les promesses ! poitrine. Partons ! A toi les titres, les richesses ! Partons ! A toi les villas, les palais ! LAZARILLE (vivement et l’entraînant) De crainte son coeur est saisi, Partez ! Quittez Madrid !... Mais, seul, je sais, seul je sais où l’on marche ainsi. DON CÉSAR (franchissant le rempart) DON JOSÉ Adieu ! (Au moment de disparaître et comme par Venez !... réminiscence) Tiens ! Mais maintenant que je suis mort, je n’ai plus de MARITANA créanciers ! Je frissonne… CRI LOINTAIN DON JOSÉ Sentinelles, veillez ! Partons !... DON CÉSAR (reparaissant encore) MARITANA Ah ! Diable ! mais je suis marié ! (S’abandonnant malgré elle à Don José qui l’entraîne Il disparaît. doucement.) De crainte mon coeur est saisi. LAZARILLE s’élance et dit à voix basse. Allez, et que Dieu vous conduise ! DON JOSÉ Venez !... Eloignons-nous ! DON CÉSAR, au loin. Pauvre, j’ai traîné ma misère, MARITANA Royalement, sous le ciel bleu… Il est saisi ! De crainte mon coeur est saisi ! FIN DE L’ACTE II

DON JOSÉ Mais son coeur de crainte est saisi, il est saisi ! Venez !... Partons !

CHOEUR

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DISC 2 LAZARILLE Monseigneur a besoin de mes services ?

[1] ENTRACTE DON JOSÉ

Hier, au palais de l’Escurial, où tu m’avais suivi, une SEVILLANA personne s’est approchée de moi, et m’a dit : Soyez le

bienvenu, Don José de Santarem... Tu pourrais, au besoin, ACTE TROISIÈME te rappeler son visage ?

SCÈNE PREMIÈRE LAZARILLE

Si je le pourrais !... Un visage et un nom qui se trouvent sur LAZARILLE, MARITANA, DON JOSÉ, CHOEUR dans la la monnaie de toutes les Espagnes... coulisse

DON JOSÉ N° 12 Silence !... Tu te rappelleras ce visage, et tu oublieras ce

nom... Tout à l’heure, quand tout ce ROMANCE Monde aura quitté le palais, cette personne est la seule

qu’on y laissera pénétrer. MARITANA (seule)

[2] Cette splendeur, qui devant moi, déroule LAZARILLE Son luxe éblouissant et ses bruyants plaisirs, Si quelque autre se présente ?... Me laisse froide et triste... Et parmi cette foule... DON JOSÉ avec amertume ( ) Je me sens seule hélas ! Tu refuseras d’ouvrir. Si l’on insiste, si l’on te menace, tu as Ainsi déjà s’écroule une arquebuse... Mon beau rêve rempli d’espoir et de désirs. Je sais qu’il est une âme, LAZARILLE Qui de la mienne est soeur, Et je sais m’en servir. Je sais qu’il est un coeur, un coeur Qu’en vain le mien réclame, DON JOSÉ Pour ce cher inconnu C’est bien... Va, laisse-moi. (Lazarille s’éloigne.) Dont le sort me sépare Quels trésors je prépare, MARTIANA (revenant en scène) Ah ! Que n’est-il venu ! Maintenant, nous sommes seuls... expliquez-moi enfin... Ah ! Que n’est-il venu ? Mon mari ?... Ah ! Que n’est-il venu ? DON JOSÉ dans les coulisses CHOEUR ( ) Il est ici... près de vous... La! La! MARITANA MARITANA Ici !... Il n’aura qu’à paraître : Mon regard ébloui DON JOSÉ Et mon coeur plein de lui, Mais, forcé de se cacher à tous les yeux, tant qu’une Mon coeur saura le reconnaître. condamnation terrible pèsera sur lui... C’est pour vous seule Loin de lui c’est l’exil, qu’il revient! La souffrance éternelle ; Ma tendresse l’appelle ! MARITANA (vivement) Ah ! Quand donc viendra-t-il ? Ah ! Nous lui trouverons un asile !... Mais où est-il donc ? Hélas ! Quand donc viendra-t-il ? Hélas ! Quand donc viendra-t-il ? DON JOSÉ Le voici... (Le roi paraît.) DON JOSÉ (qui a écouté les derniers mots)

Votre mari, madame, don César de Bazan, viendra MARITANA (reculant à sa vue, avec un cri étouffé) aujourd’hui même. Mon Dieu !

MARITANA LE ROI (s’avançant, et d’une voix tremblante) Aujourd’hui !... Madame !... Maritana !... Me reconnaissez-vous?

(Don José remonte vers le fond comme pour s’assurer que DON JOSÉ personne ne vient, puis il disparaît.) Il est près d’ici, et vous le verrez bientôt…

SCÈNE II MARITANA

Parlez, expliquez-vous, de grâce ! MARITANA, LE ROI

DON JOSÉ MARITANA (à part et comme brisée) Éloignons d’abord tout ce monde, et vous ne tarderez pas à Lui ! C’était lui !... dont l’aspect me glaçait autrefois !... le voir paraître.

LE ROI MARITANA Reconnaissez-vous l’homme dont le regard vous poursuivait Le voir... le voir enfin !... en tous lieux, quand vous chantiez, pour le peuple, sur les (Elle remonte vers le fond et congédie ses invités. Don José places de Madrid ? fait un signe à Lazarille.)

MARITANA (avec effort)

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Je vous reconnais, monseigneur ! MARITANA Oui, vous avez raison, Monsieur le Comte... LE ROI (s’oubliant) A vous de commander...A moi d’obéir... vous êtes mon C’est que je vous aimais tant, Maritana ! C’est que mon seigneur et maître ! bonheur et ma joie n’étaient plus que là où vous étiez ! Oh ! (Elle s’incline et sort.) Il fallait que la distance fût franchie entre vous et moi, il fallait que nous fussions pauvres tous deux, ou tous deux riches et SCÈNE III nobles. C’est pour cela que j’ai voulu... LE ROI, DON CÉSAR MARITANA Me donner votre nom?... LE ROI Enfin !... elle est à moi !... Par amour ou par crainte... LE ROI (se calmant) heureuse ou résignée... elle est à moi !... (Il va pour suivre Mon nom... Oui, j’ai voulu vous donner mon nom. Maritana; on entend un coup de feu et Don César entre) Un Et maintenant, chère Maritana... homme ! (Il remonte le théâtre, tandis que Don César (Il s’approche d’elle, qui se recule vivement) redescend et ne le voit pas.) Pourquoi vous éloigner de moi? DON CÉSAR MARITANA Vilaine façon de recevoir les gens !... Pardon, monseigneur, c’est que... Qui diable a pu me faire ce chaleureux accueil ?... (Le roi redescend la scène en observant Don César.) LE ROI Comme vous êtes pâle !... LAZARILLE (paraissant au fond, une arquebuse à la main) (Il lui prend la main qu’elle retire) Don César !... C’était don César !... (Il disparaît.)

MARITANA (avec effroi.) DON CÉSAR Monseigneur !... Hein ?... (Il se retourne et aperçoit le roi) Pardon, monsieur, je n’avais pas l’honneur de vous LE ROI apercevoir ! Qu’est-ce donc, madame ?... LE ROI MARITANA D’où vient, monsieur, que vous entriez ici... et que désirez- Oui, je suis en effet bien troublée... bien émue... mais ce vous ? trouble, cette émotion doivent-ils vous surprendre ?... Notre mariage a été si bizarre... si étrange... DON CÉSAR Pardonnez-moi donc ce que j’éprouve ici, et l’aveu que je Ah ! Si vous voulez finir vite, ne me demandez pas ce que je vais vous faire… désire... (avec effort) Monsieur le comte, j’ai peur de vous !... LE ROI LE ROI Mais enfin, le motif ? Peur de moi, Maritana... Peur de l’époux le plus dévoué, le plus tendre ? DON CÉSAR Le motif, je vais vous le dire. Hier, à mon retour d’un lointain N° 13 voyage, j’étais attablé entre un spadassin et un aventurier, quand vint à passer un carrosse, dans lequel se trouvait une CAVATINE femme adorable ! J’admirais, sans parler, absorbé dans ma contemplation, quand un de mes compagnons me dit : « LE ROI (simplement et très doux) Vous êtes gentilhomme, connaissez-vous ces armoiries ? » [3] Que de ta lèvre en fleur Je regarde !... C’était les armoiries des Bazan. « Quelle est Sur moi tombe un sourire cette femme ? » m’écriai-je alors. « La comtesse de Bazan, Qu’un seul instant j’aspire, me dit-on !... Elle habite le palais de San-Fernando. » J’ai Qu’un seul instant j’aspire voulu revoir cette femme, et je suis venu. J’ai frappé à la Ton souffle et sa fraîcheur ! porte, on a refusé de m’ouvrir... comme je tenais à entrer, j’ai Que tes yeux soient sans voiles, franchi une muraille... et l’on a tiré sur moi... Sainte Que ton regard soit pur, hospitalité, voilà comme on t’exerce !... (Il ôte son chapeau, Ma nuit se remplira d’étoiles, une balle tombe.) Tiens, la balle a percé mon chapeau !... Mes jours se rempliront d’azur ! Mes jours se rempliront d’azur ! LE ROI (s’emportant) O Maritana, ô Maritana ! Laisse, laisse, Mais de quel droit pénétrez-vous ici ? Sur ton beau front mes lèvres se poser ! O Maritana ! ô Maritana ! Je veux gouter l’ivresse DON CÉSAR De ton premier baiser ! Pardon !... Si j’avais eu des droits, je les aurais fait valoir O Maritana ! Je veux gouter l’ivresse avant qu’on fit feu sur moi... Je demande à voir cette femme, De ton premier baiser ! voilà tout... (avec ardeur) Je t’aime ! LE ROI (brusquement) MARITANA (se défendant) Je ne veux pas que vous la voyiez !... Au nom du ciel, Monsieur le Comte... DON CÉSAR LE ROI (avec colère) Comment !... Vous êtes donc ?... Ah! je comprends tout, madame, peut-être un rival !... Mais non !... vous êtes à moi, à moi... LE ROI Votre mari... Le maître de ce logis...

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DON CÉSAR Je suis le Roi de toutes les Espagnes ! De ce logis... où se trouve la Comtesse de Bazan ?... mais, si elle habite ici, si cette demeure est la vôtre,... qui êtes- LE ROI (à part) vous ? Quel peut être cet homme ? Quelque seigneur proscrit ou révolté ! LE ROI (avec hauteur) Quel est cet homme étrange ? Je suis... (dirigeant ses regards vers la porte de Maritana) Je suis le Comte de Bazan. (Il s’assied.) LE ROI Donc, vous êtes le Roi d’Espagne ? DON CÉSAR (ébahi) Le… le comte de Bazan ?... (a part) Ah çà ! mais, ma famille DON CÉSAR (s’asseyant et se prélassant) brave la mort bien mieux que le phénix !... car on n’a tué Eh oui ! qu’un Bazan, et en voilà deux qui renaissent de sa cendre ! Tout comme vous êtes Don César ! Parbleu, mon gentilhomme vous êtes étonné n’est-ce pas de LE ROI me voir Voyons, monsieur, je vous ai dit qui je suis... A votre tour de Dans ce pays perdu, seul, sans suite... le soir. me dire que vous êtes. C’est que parfois ma majesté s’ennuie Et vient se délasser des soucis du pouvoir DON CÉSAR (a part) Près d’une femme indulgente et jolie... Parbleu ! voilà un effronté menteur, et je veux… Et qui n’est pas la sienne... (Lazarille paraît à droite.) Ah ! C’est une folie Qui doit rester secrète, Don César ! LAZARILLE (bas) Mais bah ! Ce n’est pas vous qui me trahirez... non... car... Chut ! Je suis le Roi de toutes les Espagnes !

DON CÉSAR (bas) LE ROI (à part) Lazarille ! L’impudent !

LAZARILLE (de même) DON CÉSAR C’est le roi ! (il disparaît) Ce chaste roi vanté pour ses vertus. Je viens chercher au fond de ces campagnes. DON CÉSAR (ôtant son chapeau) L’ombre qui sied é mon austérité ; Le... le roi ici !... à cette heure !... Et ma femme ?... Ah ! je Je suis le Roi de toutes les Espagnes ! comprends tout !... LE ROI (à part) LE ROI Quel peut être cet homme ? Répondez-vous enfin ?... Qui êtes-vous ? Quelque seigneur proscrit ou révolté ! Quel est cet homme étrange cet homme... N° 14 quel est-il ?

DUO DON CÉSAR A propos... DON CÉSAR Ce César de Bazan que vous êtes... [4] Qui je suis ? Beau cavalier, grand faiseur de conquêtes, Qui je suis ? Bien fait, galant, spirituel, Tua, s’il nous souvient, en duel, LE ROI Au mépris des édits, La question vous embarrasse... Un de nos capitaines (mouvement du Roi) Sans pitié, Don César fut jugé, DON CÉSAR Condamné, fusillé. Je l’avoue... elle m’a surpris. Et je vous trouve ici, vous, (à part) Eh morbleu ! Lorsqu’il prend ma place... Dispos et bien portant ! Mon nom et mon titre à la fois. (insistant) Répondez, je vous prie : Qui, diantre, peut-il que je sois ? De quel droit vivez-vous ?

LE ROI LE ROI (d’un ton de reproche) Allons, monsieur, je veux savoir, vous dis-je, Ah ! Votre Majesté bien promptement oublie... Quel est votre nom. Je l’exige. DON CÉSAR DON CÉSAR Et... qu’a-t-elle donc oublié... Ma Majesté ?... Mon nom ?... (avec intention) Vous êtes, dites-vous, Don César de LE ROI Bazan... Qu’elle a fait grâce de la vie à Don César. (mettant fièrement son chapeau) Et moi… (avec majesté) Je suis le Roi d’Espagne ! DON CÉSAR Ah ! bah ! (à part) Je suis gracié ! LE ROI (à part) (À part, joyeux et léger) Je puis porter la tête haute, L’impudent ! Agir et marcher au grand jour !

DON CÉSAR (avec désinvolture) LE ROI (à part) Je suis le Roi de toutes les Espagnes, Sans la prudence Ce chaste roi vanté pour ses vertus ; J’aurais chassé ce fou qui trouble mon amour ! Je viens chercher au fond de ces campagnes Sans la prudence L’ombre qui sied à mon austérité. J’aurais contraint à la retraite

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Ce fou qui trouble mon amour LAZARILLE DON CÉSAR Je suis son plus dévoué serviteur. Quelle fête ! Et dans Madrid demain la fête LE ROI Sera d’apprendre mon retour ! Aie les yeux sur cet homme. Quelle le fête ! Demain ! Quel joyeux retour ! LAZARILLE Je ne le quitterai pas... DON CÉSAR (Gaiement) Et quand ai-je signé cette grâce suprême ? LE ROI Qu’on l’éloigne d’ici sans retard; je le veux ! LE ROI (il sort précipitamment.) A huit heures... le soir même... LAZARILLE DON CÉSAR (lui coupant la parole) Eh quoi ! Don César, c’était vous !... Bien! (à part) Une heure trop tard ! DON CÉSAR Noble compassion ! Moi, que tu as sauvé.

LE ROI LAZARILLE Vous voyez donc que j’ai le droit de vivre. Et sur qui j’ai tiré un coup d’arquebuse !...

DON CÉSAR (changeant de ton) DON CÉSAR Et moi, je me délivre Ah bah !... Ce n’était donc qu’un prêt que tu me faisais, en D’un masque lourd... d’un titre vain !... me sauvant la vie... puisque tu voulais me la reprendre tout à l’heure ? LE ROI Ainsi, vous l’avouez... LAZARILLE Vous n’êtes pas... Oh ! je ne soupçonnais pas que ce fût vous !...

DON CÉSAR DON CÉSAR Le Roi d’Espagne ?... C’est certain ! C’est très bien... Mais on t’a ordonné de me faire sortir de cette maison. DON CÉSAR Je puis porter la tête haute, LAZARILLE Et marcher au grand jour ! En effet.

LE ROI (à part) DON CÉSAR Sans la prudence Et si je refuse ?... si je résiste ?... J’aurais chassé ce fou qui trouble mon amour ! Sans la prudence N° 14 BIS J’aurais contraint à la retraite Ce fou qui trouble mon amour ! DUETTINO Ah ! J’aurais chassé ce fou qui trouble mon amour Mon amour ! LAZARILLE Résister ?... à qui donc ?... Quand je suis seul ici. DON CÉSAR Moi je suis tout à vous ? Quelle fête ! Et dans Madrid demain le fête DON CÉSAR Sera d’apprendre mon retour ! O brave coeur, merci ! Quelle fête ! Demain ! Quel joyeux retour ! LAZARILLE Quelle fête dans Dieu que ne voudrais-je faire, Madrid ! Quelle fête dans Madrid ! Pour assurer votre bonheur, Quel retour ! Et détourner toute douleur. De la seule âme qui m’est chère ! SCÈNE IV Pourtant si pauvre que je sois, Je puis encore donner ma vie. LE ROI, DON CÉSAR, LAZARILLE S’il vous les faut je vous en prie, Prenez ces jours que je vous dois. LAZARILLE (entrant, et bas) S’il vous les faut, prenez ces jours, prenez ces jours que je Sire, un message secret... vous dois !... (Il met un genou à terre et présente une lettre au roi). DON CÉSAR LE ROI Cher petit ! bien souvent la fortune nous triche, Qu’ai-je lu ?... Trahison !... La reine a été prévenue !... Elle Mais si jamais elle me rendait riche !... est au palais d’Aranjuez !... Vite, mon cheval !... LAZARILLE LAZARILLE Ah ! si vous me preniez alors, pour vous servir, Il est tout prêt. Quel bonheur, quel plaisir ! Ne craignez pas que je vous embarrasse… LE ROI (le prenant à part) Car je suis si petit, je tiens si peu de place !... Tu appartiens à Don José ?

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DON CÉSAR Un jour, vous vous êtes dit : « Je suis belle... (la regardant) Alors donc ! je te donnerais dix laquais pour qu’on t’obéisse, très-belle !... mais ce n’est pas assez, je veux être une Et tu n’aurais d’autre maître que ton caprice !... grande dame... car une jolie fille enfouie dans le peuple, c’est une fleur dans le désert, une perle au fond de LAZARILLE l’océan... » Comme vous êtes bon ! MARITANA DON CÉSAR Mais, qui êtes-vous donc, monsieur, pour me parler ainsi ? Mais, dis-moi dans cette maison, Depuis quelques jours est venue DON CÉSAR Une femme inconnue ? Qui je suis ?... Un juge... qui ne se serait pas montré bien sévère pour vous, car il n’a pas été bien rigoureux pour lui- LAZARILLE même. Mais si j’ai fait bon marché de mon rang, j’ai toujours En effet ! Nul ne doit la voir. Ni l’approcher !... porté haut la tête et le coeur... Qu’avez-vous fait, vous, madame, de mon honneur et de mon nom ? DON CÉSAR Et si je le voulais ?... MARITANA Mais de quel honneur, de quel nom me parlez-vous ? LAZARILLE Pourrais-je l’empêcher ! DON CÉSAR De mon nom et de mon honneur, madame !... Car je suis DON CÉSAR Don César de Bazan ! Merci cher enfant ! J’aimerais mieux perdre la vie. MARITANA Mes jours, enfant, je te les dois, je te les dois ! Mais Don César de Bazan, je l’ai revu aujourd’hui, Mes jours, enfant, je te les dois ! ce matin !... Et tout à l’heure, il était encore ici !... Mes jours, enfant, je te les dois ! Mes jours, enfant, je te les dois ! DON CÉSAR Tout à l’heure, il n’y avait ici que votre amant... il n’y avait ici LAZARILLE que le roi d’Espagne. S’il vous les faut je vous en prie, Prenez ces jours que je vous dois. MARITANA (égarée) S’il vous les faut, prenez ces jours, Le roi !... Prenez ces jours que je vous dois !... S’il vous les faut, prenez ces jours, DON CÉSAR Prenez ces jours que je vous dois !... Eh ! Vous le saviez bien !

DON CÉSAR MARITANA (la tête perdue) Maintenant il faut que je parle à cette dame... va la prévenir. Une preuve, monsieur !... Avez-vous une preuve de ce que vous dites ? Car enfin, moi, je ne peux pas deviner... je ne LAZARILLE peux pas savoir... Au pied de l’autel j’étais couverte d’un C’est inutile, la voici. voile... (vivement) Ah ! Monsieur, si c’est vous, vous devez vous rappeler vos paroles, les seules que vous m’avez MARITANA (entrant) adressées ? Un étranger ! N° 15 DON CÉSAR Laisse-nous. DUO

LAZARILLE DON CÉSAR (parlé) J’obéis. (Il sort.) [5] Oui, je m’en souviens madame…

SCÈNE V Nous sortions de ma prison... Le prêtre allait nous bénir... Moi, pauvre condamné, DON CÉSAR, MARITANA Je riais de ma mort si prochaine... Et, vous tendant la main... je vous dis… DON CÉSAR (après l’avoir regardée en silence) En vous je vais placer, Madame, Enfin nous sommes en présence, madame... et ce n’est pas Tout l’espoir de mon avenir ; sans peine... de mon côté, du moins... Car il m’a fallu, pour De votre seul amour, mon âme... vous voir, braver l’accueil peu cordial qu’on me faisait ici, à coup de mousqueton. MARITANA (se souvenant peu à peu des paroles de Don César) MARITANA Jusqu’à la mort !... va se remplir, Pour me voir ?... Je ne comprends pas… Oui c’est vous ! ah! C’est bien vous ! Ah ! Maintenant j’espère, oui c’est bien vous ! DON CÉSAR A vous ma vie ! Ma vie jusqu’au dernier soupir !... Vous semblez fort étonnée, et, cependant, nous nous jusqu’au dernier soupir !... connaissons bien... si bien, que je puis vous dire qui vous A vous ma vie à vous mon coeur ! A vous ma vie êtes… (avec mépris) Et ce que vous êtes... jusqu’au dernier soupir !

MARITANA DON CÉSAR Monsieur ! Jusqu’à la mort va se remplir ! Ma pensée à la vôtre unie, DON CÉSAR Ne suivra que votre désir

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A vous ma vie. A vous, mon coeur, ma vie, ma vie DON CÉSAR Jusqu’au dernier soupir ! A vous mon coeur, à vous ma vie ! Ma vie A vous mon coeur à vous ma vie ! Ma vie Jusqu’au dernier soupir ! Jusqu’au dernier soupir !... Jusqu’au dernier soupir !... MARITANA (très expressif) Ah ! Que ne puis-je fuir avec vous ? DON CÉSAR J’irais trouver la reine, (Ironiquement) C’est-moi qu’on croyait mort, Me jeter aux genoux Moi qu’on n’attendait guère De notre souveraine ! Et qui reviens troubler (Comme frappé d’une idée soudaine.) Ah ! Quel espoir ! En leur paisible cours Ecoutez, Don César... Vos coupables amours La reine me connaît, elle m’aime... Et votre royal adultère. Partez sans retard, à tout prix voyez le vous-même... Partez ! MARITANA (Très suppliante.) Dites-lui mes dangers, mes larmes, ma M’avez-vous cru assez infâme, douleur ! Pour avoir pu prêter les mains Allez ! Vous serez mon sauveur ! A leurs mystérieux desseins Dont eux seul ont ourdi la trame ! DON CÉSAR et MARITANA Ils me disaient, ils me disaient : enfant, A vous mon coeur jusqu’au dernier soupir ! La reine vous appelle, Jusqu’au dernier soupir ! La reine vous attend ! A vous mon coeur, à vous ma vie ! A vous ma vie ! Et je les ai suivis, croyant aller vers elle ! Jusqu’au dernier soupir ! Il fallait, m’ont-ils dit, A vous ma vie, à vous mon coeur ! Unir ma destinée A jamais ! A celle d’un proscrit, Et je les ai suivis de tous abandonnée ! FIN DE L’ACTE III Ma folle ambition, L’orgueil qui me dévore, [6] ENTRACTE Egarait ma raison... Mais, je suis pure encore... ACTE QUATRIÈME Digne de votre amour ! (Suppliante) Croyez-moi ! Don César ! Je vous implore ! SCÈNE PREMIÈRE

DON CÉSAR LAZARILLE, MARITANA Mais quelle preuve enfin, Quelle forte assurance... Un oratoire. La nuit. Une madone. Une lampe suspendue Et quel gage certain éclaire la scène. Cloche lointaine. Aurai-je de votre innocence ? LAZARILLE MARITANA Déjà les matines qui sonnent au convent de San Geronimo... Une preuve ? MARITANA DON CÉSAR Eh bien, Lazarille ? Parlez ! LAZARILLE MARITANA Personne… Personne encore… Une preuve... O mon Dieu ! MARITANA DON CÉSAR Comme il tarde à revenir !... Parlez ! LAZARILLE MARITANA (très déclamé) Et cependant il y a près de trois heures qu’il est parti ! Si j’ai quelque souillure au front, Chassez-moi! Si je suis indigne MARITANA De votre amour, de votre nom, Puisque la reine est à sa résidence d’Aranjuez, il devrait Condamnez-moi, Je me résigne ! l’avoir vue, avoir imploré son aide... Il devrait être de retour Enfin... Si j’ai trahi ma foi, près de moi. (Éperdue) Monseigneur, frappez-moi ! (Elle tombe à ses pieds.) LAZARILLE Courage, madame, le ciel ne vous abandonnera pas. DON CÉSAR (vivement et dans le plus grand trouble) Relevez-vous, Madame ! Séchez vos larmes ! N° 16 (Avec noblesse) Vous ne serez la maîtresse du Roi Que le jour où la mort se saisira de moi ! DUO NOCTURNE

MARITANA (plus animé et avec élan) LAZARILLE ET MARITANA Ah ! Maintenant j’espère ! [7] Aux coeurs les plus troublés la nature sourit Oui, c’est bien vous ! En répandant sur eux un rayon d’espérance ; Et Dieu, qui bien souvent nous frappe et nous punit, MARITANA Apaise la douleur et calme la souffrance !... A vous ma vie ! Ma vie Ainsi tous nos chagrins disparus sans retour... Jusqu’au dernier soupir ! Vont s’enfuir à jamais dans un flot de lumière ; Plus de crainte en nos coeurs, bientôt parait le jour

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Et Dieu veillant sur nous entend notre prière ! LE ROI LAZARILLE Eh bien ! puisqu’on vous a révélé mon rang et mon titre, je C’est en vain que le sort voudrait nous menacer... veux que vous sachiez la vérité tout entière !... Je le veux, car cette contrainte était un supplice, ce mensonge révoltait MARITANA ma fierté !... Oui, je suis le roi... Non plus cet amant timide et Non, le ciel a repris sa parure d’étoiles ! faible, qui tremble devant une femme !...

LAZARILLE ET MARITANA N°17 Et dans le clair lointain on voit déjà passer L’avenir radieux au travers de ses voiles ! AIR L’avenir radieux... L’avenir Mon amour me rend à moi-même : L’avenir au travers de ses voiles... En me donnant à toi, C’est depuis que je t’aime MARITANA Que je suis vraiment roi ! Écoute, je crois entendre... Oui, je suis vraiment roi ! Le jour où je t’ai vue, errante et pauvre encore, LAZARILLE (allant à la porte et revenant avec effroi) Le jour où sur tes pas le destin m’a jeté, Le roi ! Le roi, madame ! Dans mon sein j’ai senti naître la volonté, Dans mon ciel s’est levée une nouvelle aurore. MARITANA Ma puissance et les dons que je tenais de Dieu, Le roi !... Ne me quitte pas !... Ma couronne, mon trône, Enfant, m’importaient peu. Mais l’amour me rend à moi-même, en me donnant à toi, LAZARILLE Et depuis que je t’aime ; Ah ! je suis vraiment roi ! S’il m’ordonne de sortir ?... Depuis que les désirs m’ont brûlé de leur flamme, Depuis qu’ils ont fondu les glaces de mon coeur, MARITANA En vous j’ai retrouvé ma force et ma grandeur, Ne me quitte pas !... Plus vaillante est mon âme, plus puissant est mon bras ; Je ne suis plus ce roi débile et sans pouvoir, LAZARILLE Je suis le maître enfin !... Je veux ! Je sais vouloir ! Mais c’est le roi, madame, le roi à qui tout obéit !... Car l’amour me rend à moi-même, en te donnant à moi, Et depuis que je t’aime ; Ah ! je suis vraiment roi ! SCÈNE II Oui, je suis vraiment plus que roi !

LAZARILLE, MARITANA, LE ROI MARITANA Sire, vous aurez compassion de moi... et je vous bénirai… si LE ROI (entrant, à Lazarille) vous consentez à partir ! Cet étranger que j’ai laissé ici ?... LE ROI LAZARILLE Partir ! Quand il est venu, enfin, ce jour que j’appelais de Est parti presque aussitôt. tous mes voeux !

LE ROI MARITANA Qui était-il ?... Que venait-il faire dans cette maison ? Oh ! Vous entendez ma voix, vous aurez pitié de mes pleurs !... LAZARILLE Chercher un refuge contre des alguazils qui le poursuivaient. LE ROI Un délire comme le mien ne se calme pas avec une parole MARITANA (à part) !... Un feu comme celui qui me dévore ne s’éteint pas avec Que peut-il lui dire ? une larme !...

LE ROI (haut) MARITANA Maintenant, laisse-nous !... Arrêtez, sire !... Ne m’approchez pas ! (Lazarille regarde Maritana et hésite.) Eh bien ?... LE ROI (s’arrêtant) MARITANA Mais c’est donc de l’horreur que je vous inspire ? Obéissez à votre maître... au mien... Exécutez les ordres... de Sa Majesté Charles II. MARITANA Non… je ne vous hais pas, sire, mais j’appartiens à un autre. LE ROI Que dit-elle ? (Lazarille sort.) Qui donc a osé me trahir ? LE ROI Mais quel est-il donc, cet homme ? MARITANA (avec amertume) Celui qui vous a trahi, sire, je vais vous le faire connaître. MARITANA Celui qui vous a trahi, c’est l’homme qui vous a conseillé une Cet homme, c’est mon mari, sire... perfidie et un mensonge indignes d’un roi ! LE ROI (allant à elle) LE ROI Mais Don César de Bazan est mort ! Madame! DON CÉSAR (entrant) MARITANA Pas encore, sire ! Puisque Votre Majesté a daigné lui faire C’est l’homme qui s’est joué du serment le plus saint, des grâce ! liens les plus sacrés, et qui m’a dit à moi : « Maritana, voici votre époux, voici le comte de Bazan ! »

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SCÈNE III j’entends deux voix... l’une tremblante d’émotion, l’autre vibrante et fière... Je regarde vers l’allée, qu’éclairaient les MARITANA, LE ROI, DON CÉSAR rayons de la lune... Une femme écoutait, pleine de terreur, un homme à genoux devant elle… « Il vous trompe, MARITANA (avec un cri de joie) Madame ! s’écriait-il... cette nuit même, à l’instant où je Ah ! Maintenant, j’ai pour me défendre, Don César mon parle, votre mari est aux bras d’une maîtresse... et je vous mari ! aime, moi, d’un amour qui m’élève au-dessus de lui, qui me grandit jusqu’à vous !... Vous faut-il une preuve de cet amour LE ROI ? Vous faut-il une preuve de son crime ? Vous l’aurez Votre... votre mari, Madame... lui !... (Don César, sans dire bientôt... Avertis par moi que le Roi s’est égaré pendant la mot, va fermer la porte de droite, et en retire la clef. Puis chasse, tous les officier de sa suite vont parcourir la forêt, se après l’avoir suivi des yeux…) Que faites-vous là, feront ouvrir une maison isolée et ils trouveront leur monsieur ? monarque parjure !... »

DON CÉSAR (avec calme) LE ROI (avec anxiété) Je ferme cette porte, sire... afin que nul n’entre ici... afin que Cet homme… Cet homme ? nul n’entende ce qui doit n’être entendu que de vous... et d’elle... de cette pauvre femme qui vous voyez là, haletante DON CÉSAR et brisée. C’était Don José de Santarem, votre Ministre et votre ami. Cette femme... c’était la Reine d’Espagne ! MARITANA (à part) Que va-t-il dire ?... que va-t-il faire ?... MARITANA La Reine !... LE ROI Monsieur !... c’est au roi d’Espagne que vous parlez ? LE ROI (avec explosion) Répétez !... répétez ce que vous venez de dire !... DON CÉSAR (présentant son épée au roi) Mensonge ! Trahison ! (Il s’élance vers la porte.) Dirais-je à tout autre qu’au roi d’Espagne : Prenez mon épée et brisez-la ! (Le roi repousse du geste l’épée, Don César la DON CÉSAR (froidement) jette loin de lui.) Mais, cependant, il lui faut une réparation... Je vous ai dit, Sire, que j’avais fermé cette porte. une vengeance…à ce mari, que votre royale main vient de souffleter. LE ROI Misérable !... LE ROI Monsieur !... TRIO

MARITANA (bas et avec effort) DON CÉSAR (au Roi, avec fermeté) Don César ! C’est le roi ! Je vous l’ai dit : A l’époux qu’on offense, DON CÉSAR (froidement) Dont on souille le nom, C’est le roi, puisqu’il existe encore. (s’adressant au roi) Il faut une vengeance Sire... cette pauvre femme, que la lute épouvantait, a Eclatante comme l’affront. demandé secours et protection... A Dieu, d’abord... puis à Faible sujet, que puis-je celle dont tout bon Espagnol ne prononce le nom qu’avec Contre vous si puissant ?... amour et respect... A la reine. Et mon honneur exige Plus que la mort, plus que du sang ! (avec un rire amer et LE ROI (vivement) avec intention) La reine !... Vous me comprenez bien : il est dans vos demeures, Aux pieds de votre femme, il est un homme heureux DON CÉSAR Pour qui le temps s’écoule et rapide et joyeux, J’ai couru au palais d’Aranjuez... Lorsque pour vous l’angoisse éternise les heures. Vous me trompiez ici : l’on vous trompe là-bas, LE ROI Et, je vous l’ai juré, vous ne sortiriez pas ! Vous avez osé !... LE ROI (avec violence) DON CÉSAR (continuant) Don César, ouvrez cette porte ! Espérer qu’on me laisserait arriver jusqu’à Sa Majesté, était folie... Aussi, profitant de l’obscurité et bravant les DON CÉSAR (continuant) arquebuses des sentinelles... Les maux que j’ai soufferts vous sont-ils bien rendus ? Chaque instant vous apporte MARITANA Un outrage de plus. O ciel !... Chaque minute accroît votre souffrance, Et chacune entraîne en silence DON CÉSAR (souriant, en la rassurant) Un lambeau d’espoir sur ses pas, Les balles ne m’atteignent pas... Et, je vous l’ai juré, vous ne sortirez pas !

N° 17BIS MARITANA Grâce ! Grâce, c’est le Roi ! MÉLODRAME LE ROI DON CÉSAR (reprenant) Don César ! Ouvrez cette porte ! [8] Je pénétrai furtivement dans le parc comme un (à Don César) Eh ! Bien ! S’il faut pour que je sorte, malfaiteur !... Je m’enfonçai dans le massif, dont le feuillage Passer sur votre corps, rendait l’ombre plus épaisse encore, quand, tout à coup, Monsieur, défendez-vous !

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Reprenez cette épée ; Sans châtier le traître ! (avec une colère croissante) En ce lieu nous ne sommes, LE ROI (anxieux) Don César, que deux gentilshommes, Ah ! ... de mes doutes affreux... En gentilshommes, battons-nous. Comte, délivrez moi !

MARITANA (éplorée et courant au Roi) DON CÉSAR Apaisez votre colère, Ce collier d’or que votre main Royale, sur sa poitrine (courant à Don César) César, écoutez ma prière ! déloyale Daigna mettre jadis... Sur son cadavre je l’ai pris... LE ROI Défendez-vous ! LE ROI Sinon, je frappe ! Quoi ! C’est vous !

MARITANA (épouvantée) DON CÉSAR (relevant son épée, et la présentant au Roi) Don César ! Et voici mon épée Du sang de cet infâme, elle est encore trempée LE ROI De son forfait il a trouvé le prix ! Défendez-vous ! je vais frapper ! SCÈNE IV MARITANA (se jetant entre le Roi et Don César) Ah ! MARITANA, LE ROI, DON CÉSAR, LAZARILLE, DES OFFICIERS DU ROI DON CÉSAR (présentant sa poitrine) Frappez ! Mais il serait trop tard ! N° 17 BIS SCÈNE FINALE LE ROI (laissant retomber son bras) Trop tard ! CHOEUR (voix dans la coulisse, au dehors) Le Roi ! le Roi ! MARITANA (à part) Trop tard !... DON CÉSAR (au Roi) Ce sont les gens que vous envoie Don José !... MARITANA ET DON CÉSAR (à part) Et sur eux il avait compté ! Quels doutes, quelle crainte, Envahissent son coeur ! Les officiers pénètrent brusquement dans la chambre. Quels doutes, quelle crainte, Envahissent son coeur ! CHOEUR (à l’aspect du Roi) (Très marqué) Quel affront, quelle atteinte Ah ! Voici le Roi ! A subi son honneur ! Quel affront, quelle atteinte LE ROI (avec calme aux officiers) A subi son honneur ! Son honneur ! Rassurez-vous, messieurs ! Ici nous sommes Grandeur, pouvoir suprême Chez le plus loyal serviteur Ne sont rien ici-bas, Le Comte de Bazan : parmi nos gentilshommes Puisque la honte même Nous chercherions en vain un plus sûr défenseur Ne les épargne pas ! (mouvement général) Nous voulons lui donner un Puisque la honte même témoignage insigne Ne les épargne pas ! De notre affection dont il s’est montré digne Et nous le nommons gouverneur de Valence, LE ROI (accablé) (bas, à Don César) A cinquante lieues de Madrid. Quels doutes, quelle crainte, Envahissent mon coeur ! DON CÉSAR (bas, au Roi) Quels doutes, quelle crainte, A Valence, à ses montagnes bleues, je préfère Grenade et Envahissent mon coeur ! son ciel enchanteur… (très marqué) Quel affront, quelle atteinte A subi mon honneur ! LE ROI (de même) Quel affront, quelle atteinte Grenade ! Mais pourquoi ?... A subi mon honneur ! Son honneur ! Grandeur, pouvoir suprême DON CÉSAR (souriant) Ne sont rien ici-bas, Grenade est à cent lieues ! Puisque la honte même Ne les épargne pas ! LE ROI (bas) Puisque la honte même Qu’il soit donc fait selon votre désir... Ne les épargne pas ! (Haut) Dès demain, vous devrez partir.

DON CÉSAR (au Roi, fièrement, avec noblesse) DON CÉSAR (à Lazarille) Depuis quand, Monseigneur, dans notre vieille Espagne Lazarille, veux-tu nous suivre ? Souffre-t-on qu’on insulte son Roi ! qu’on insulte son Roi ? Je te donne tes dix laquais !

MARITANA LAZARILLE (à Don César et à Maritana – vivement et avec Que dit-il ? affection) Moi, je vous quitterai !... DON CÉSAR Quand auprès de vous deux il m’est si doux de vivre ! J’aurais vu sous mes yeux Ce crime se commettre

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LAZARILLE (ensemble) Ah! que jamais l’amour sème Les roses sous vos pas ! Et que la mort elle même Ne vous sépare pas ! Que la mort elle même Ne vous sépare pas ! Qu’à jamais l’amour sème Les roses sous vos pas !

MARITANA & DON CÉSAR (ensemble) Ah! que jamais l’amour sème Les roses sous nos pas ! Et que la mort elle même Ne nous sépare pas ! Que la morte elle même Ne nous sépare pas ! Qu’à jamais l’amour sème Les roses sous nos pas !

LE ROI (ensemble) Ah ! Pour toujours toi que j’aime Bientôt tu me fuiras ! Jusqu’à la mort elle même Dans mon coeur tu vivras ! Mais jusqu’à la mort même Dans mon coeur tu vivras ! Pour toujours, toujours Ah ! Pour toujours, oui, tu vivras !

CHOEUR (ensemble) Béni soit le Roi qui sème Tant de biens sur leurs pas ! Béni soit le Roi, dont la main à ceux qu’il aime Ne les épargne pas Béni soit le Roi ! Béni soit le Roi ! le Roi ! Béni soit le Roi ! le Roi ! Béni soit le Roi !

Rideau.

FIN DE L’OPÉRA

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