Le Conte Au 18Ème Siècle : Pour Une Nouvelle Esthétique
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LE CONTE AU 18ÈME SIÈCLE : POUR UNE NOUVELLE ESTHÉTIQUE Anne Steinberg A dissertation submitted to the faculty of the University of North Carolina at Chapel Hill in partial fulfillment of the requirements for the degree of Doctor of Philosophy in the Department of Romance Languages and Literatures. Chapel Hill 2013 Approved by: Diane Leonard Hassan Melehy Ellen Welch Dorothea Heitsch Philippe Barr (chair) © 2013 Anne Steinberg ALL RIGHTS RESERVED ii ABSTRACT ANNE STEINBERG : Le conte au 18ème siècle : pour une nouvelle esthétique. (Under the direction of Philippe Barr) L’amour et le conte sont intrinsèquement liés depuis la naissance de ce genre à la définition impossible. Si les critiques ont tenté d’établir des catégories auxquelles le conte se plie (libertin, merveilleux, moral, réaliste, etc…), il est encore difficile de comprendre la place qu’il possède dans l’histoire littéraire du 18ème siècle et la façon dont l’amour participe à lui conférer une nouvelle esthétique. Trois auteurs en marge du clan philosophique, Crébillon fils, Marmontel et Rétif de la Bretonne se sont servis du conte pour véhiculer à la fois des idéaux en phase et en marge des Lumières, révélant la potentialité expérimentale d’un format encore considéré comme frivole et irrationnel. Au carrefour du théâtre, du roman et de son ancêtre le conte de fées, ce genre « mineur » redessine non seulement les contours du champ littéraire mais aussi ceux de la parole efficace. Cette étude entend montrer comment chez ces trois auteurs, la rhétorique de l’amour au sein du conte engage pour Crébillon fils un discours sur la connaissance, dont le clair-obscur régit l’esthétique. Pour Marmontel, le conte est un moyen de s’ancrer dans le champ littéraire de la mi siècle, en y inscrivant les valeurs bourgeoises émergentes et lui donnant une définition qui le détache du roman. Rétif, lui, fait du conte une véritable économie narrative qui au crépuscule de l’Ancien Régime promeut une valeur essentielle : le travail. iii TABLE OF CONTENTS INTRODUCTION…………………………………………………………………vi Chapter : I. L’esthétique crébillonienne : si l’art d’aimer était conté…………………1 La modification du rôle de la fée…………………………………..25 La mise en place de la rencontre par le songe ou les lumières de l’obscurité……………………………………..33 L’échec de l’échange diurne……………………………………….46 Le franchissement : les bois d’amour ou un locus amoenus privilégié……………………………………49 II. Le conte au naturel : le cas de Marmontel……………………………...59 Le conte théâtral ou le théâtre du conte……………………………76 Le conte moral : un anti-roman…………………………………….84 Le conte moral : une reprise du conte crébillonien ?......................................................................90 III. La Révolution du conte de Rétif de la Bretonne : du philosophe à l’artiste…………………………………………………....120 Le Palais-royal : entre travail et spectacle………………………….135 Rétif conteur : conter ou compter les femmes……………………...140 La parole enchantée et la structure des « Converseuses »………….146 …ou l’influence des Mille et une Nuits…………………………….151 iv La métamorphose sociale : le merveilleux rétivien ou l’éthique du travail………………………………………………….154 CONCLUSION……………………………………………………………………..173 OUVRAGES CITÉS………………………………………………………………..183 v INTRODUCTION Si l’on se réfère aux écrits antiques, à Aristote notamment, la poétique est intrinsèquement liée à l’art de plaire et à la valeur morale ou instructive qu’elle véhicule. Il en va de même au 17ème siècle, à la différence que la question esthétique tourne davantage sur l’imitation elle-même que sur l’objet imité. Le critique s’intéresse de plus en plus à la manière dont la mimesis est opérée ; c'est-à-dire, comment l’artiste parvient à toucher le spectateur. Les théoriciens de l’esthétique tels que l’Abbé Du Bos1 ou le Père Rapin2 considèrent les conditions de possibilité de l’œuvre d’art en fonction de l’affect et de l’effet produit sur le spectateur : « Pour toucher son public, l’artiste doit traiter d’un sujet que le public puisse facilement reconnaître, sans quoi il ne pourrait parvenir à l’intéresser3 ». Cette question de l’affect demeure l’une des questions centrales et devient l’un des débats esthétiques du 18ème siècle, puisque que l’un des principaux projets des Lumières vise à universaliser la connaissance et à la vulgariser, afin d’abolir la frontière entre savants et non-savants. Il importe, dès lors, de trouver le véhicule approprié afin de convaincre le spectateur que tous les moyens sont bons pour « écraser l’infâme », tout en mettant à l’avant-scène de la représentation les valeurs humanistes et universalistes nécessaires à la 1Voir Du Bos, Jean-Baptiste. Réflexions critiques sur la poésie et la peinture. Paris, P.-J. Mariette, 1733. 2Voir Rapin, René. Réflexions sur la poétique d'Aristote et sur les ouvrages des poètes anciens et modernes de 1676. 3Kremer, Nathalie. Préliminaires à la théorie esthétique du XVIIIe siècle. Editions Kimé, 2008. Print. p.26. réalisation de ces idéaux cardinaux. A partir de la seconde moitié du siècle, les écrits d’Edmund Burke et de Joseph Addison présentent la sensibilité comme le moyen le plus sûr de gagner une plus large audience. Dans son célèbre Spectator, et plus particulièrement dans “Chevy Chase”, Addison décrit comment la sensibilité opère une scission entre l’art noble et l’art populaire, et ébranle la hiérarchie qui existait entre eux : …so, on the contrary, an ordinary song or ballad that is the delight of the common people cannot fail to please all such readers as are not unqualified for the entertainment by their affectation of ignorance; and the reason is plain, because the same paintings of nature which recommend it to the most ordinary reader will appear beautiful to the most refined4. En tant que format adapté au plus grand nombre, efficace et facile à comprendre, le conte figure, tout comme la chanson ou la ballade, parmi ces véhicules de choix évoqués par Addison en sa qualité de pouvoir toucher la sensibilité du plus « ordinaire » comme du plus « raffiné » ; et, bien qu’il n’entre pas dans le « Temple du Goût » d’un Voltaire, s’inscrit au sein de la lente transformation de la hiérarchie des genres qui régnait encore au Grand Siècle. Tour à tour merveilleux, oriental, libertin, moral ou populaire, le conte se donne effectivement de manière simple et accessible au plus grand nombre pour diffuser un message plus ou moins explicite, qu’il soit moral ou critique. Il apparaît comme un mode d’écriture expérimentale qui, avançant d’abord « masqué », en reprenant les mots de René Descartes recourant à l’ironie ou au sarcasme après avoir étudié « le grand livre du 4Addison, Joseph. « The Ballad of Chevy Chase”in The Spectator, n°70, 1711. vii monde », instaure au fil de l’histoire littéraire d’Ancien Régime une réflexion sur les conditions de possibilité de la parole dite efficace. La vague du conte de fées, phénomène de mode à la fin du Grand Siècle et qui parcourt tout le siècle des Lumières5, offre effectivement à de nombreux écrivains un nouveau terrain d’écriture alternatif à la pratique du roman qui, à cette époque est de plus en plus largement décriée et associé à un tissu d’invraisemblances6. Pour éviter de se faire attaquer, les écrivains des Lumières ont recours à de nombreuses stratégies et cherchent avec obstination à donner de nouvelles formes à la parole, plus particulièrement celles qui permettent l’élaboration d’une parole « qui se donne pour un témoignage authentique, arraché à la réalité, et non pour le fruit de l’imagination7 ». Paradoxalement, les écrivains vont choisir les « Mémoires », ou les « Correspondances », tout en continuant d’utiliser la fiction ou le mensonge, ce qui trouve son paroxysme dans les contes. Si le conte n’a pas encore de définitions propres et précises, il reste une forme de fiction narrative frivole, qui n’est en rien prise au sérieux et qui fait donc peu ou prou l’objet de la critique contemporaine. La concision et la brièveté inhérentes au conte attirent les salonniers, qui vont imiter la forme et développer leurs propres contes dans les années 1700-1720, surtout après la traduction du conte oriental des Mille et Une Nuits, par Antoine Galland, entre 1704 et 1717. Le cadre exotique et l’apparence lointaine des énigmes 5Voir Storer, Mary Elizabeth. Un Episode littéraire de la fin du dix-septième siècle : la mode des contes de fées (1685-1700). Paris : Honoré Champion, 1928. 6May, Georges. Le Dilemme Du Roman Au XVIIIe Siècle; Étude Sur Les Rapports Du Roman Et De La Critique, 1715-1761. New Haven: Yale University Press, 1963. Print. Dans le premier chapitre de son ouvrage, George May met en évidence « ce manque de réalisme et de vraisemblance qui le fait verser dans le non-sens et le mauvais goût ». 7Géraud, Violaine. La lettre et l’esprit de Crébillon fils. Paris: SEDES, 1995. Print. p. 122. viii donnent la possibilité de placer des personnages fictifs qui, sous couvert de noms étrangers et d’accoutrements orientaux, rappellent les figures principales du pouvoir en France. Ainsi commence la première évolution du conte de fées, devenu maintenant oriental. Cependant, dans le conte oriental, le merveilleux ne remplace plus la réalité, il vient se greffer à elle pour lui conférer ce que Jean-Paul Sermain appelle « une troisième dimension8 », lui ajoutant une autre réalité parallèle. Cette vague « orientaliste » du conte reçoit un immense succès en France et intéresse de nombreux écrivains, tels qu’Antoine Hamilton et surtout Crébillon fils. Le premier de ces auteurs est surtout le premier détracteur du conte, ou celui qui a commencé à le parodier. Dès les années 1700, il écrit sur le ton satirique, des contes, qui n’étaient pas destinés à être publiés mais qui circulent dans les salons sous forme de manuscrits et qui attirent compliments et critiques.