L'ère Du Renouveau
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Le propos de l’exposition L’ère du renouveau Jean-Louis Andral Conservateur en chef du musée Picasso, Antibes Commissaire de l’exposition Extraits du catalogue « Picasso, écrit le critique d’art parisien René Rennes faisant siennes les paroles contemporaines de René début janvier 1947, travaille à de très grandes Char : « Certaines époques de la condition humaine peintures […] et il faut dire que l’esprit de ces œuvres subissent l’assaut glacé d’un mal qui prend appui sur constitue une nouvelle étape dans son histoire. Depuis les points les plus déshonorés de la nature humaine. le dégoût et l’indignation exprimés dans Guernica, ses Au centre de cet ouragan, le poète complétera toiles ont toutes été plus ou moins dans le même esprit par le refus de soi le sens de son message, puis se – l’expression du meurtre et de la barbarie –, mais à joindra au parti de ceux qui, ayant ôté à la souffrance Antibes, Picasso a clos le cycle infernal de Guernica. son masque de légitimité, assurent le retour éternel Les cieux lumineux de Méditerranée remplacent le de l’entêté portefaix, passeur de justice. » soleil noir de l’Espagne en guerre. Les centaures jouent C’est aussi la tâche que s’assigne Picasso, de concilier de la diaule et une muse, inspiratrice, une sorte de dans son œuvre les deux issues contradictoires de déesse de la joie, danse en compagnie de chevreaux. cette nouvelle conscience de l’homme de l’après- […] Le message qu’il envoie d’Antibes est un message guerre, démuni, amputé du monde, estampé de son d’espoir et de grandeur. » destin : la tentative existentielle de dire l’absurdité L’ambition de cette exposition est tout entière ici du monde – 1945 est ainsi l’année où il peint résumée : réunir à Antibes des œuvres réalisées par Le Charnier –, ou l’éthique escarpée de lui trouver Picasso juste avant qu’il y passe l’été et l’automne un sens. […] 1946, et d’autres qui ont suivi, à son retour à Paris Les motifs restent concentrés sur des portraits, ou à Vallauris, et qui, témoignant de cet indigène des nus, des natures mortes, et, de même que la message d’« espoir et de grandeur », fondent couleur vert-de-gris des uniformes des troupes bien dans sa production une ère du renouveau. […] allemandes va peu à peu saturer l’espace visuel des À bien considérer l’œuvre de Picasso de ces Français occupés, la palette du peintre va petit à petit années de guerre, on est frappé par la gravité qui se limiter à des camaïeux de gris, ocres, noirs. […] s’y exprime, où l’artiste, fort de son individualité, Avec la Libération, Picasso va retrouver ses témoigne son opposition à ce qu’il voit autour de lui, migrations estivales vers le Midi, et l’été 1945 le verra et affirme l’irréductibilité de la dignité humaine en quelque temps dans la villa Shady Rock de Marie poursuivant sa création dans la plus grande pénurie, Cuttoli, au Cap d’Antibes. 02/03 Une de couverture : Figure féminine, 30 décembre 1946 Nature morte à la tête de mort, aux poireaux et pichet devant une fenêtre, 16 mars 1945 Nature morte aux crâne et trois oursins, 6 janvier 1947 Le 26 novembre, jour de ses vingt-quatre ans, souvenirs Françoise Gilot : « Au départ, La Femme- Françoise Gilot, qui a rencontré Picasso en mai 1943 fleur était le portrait d’une femme assise (c’est nous et hésite à céder à ses avances, le rejoint dans qui soulignons) sur un long tabouret africain, en son atelier de la rue des Grands-Augustins où elle forme de conque. On peut encore voir transparaître le retrouve occupé à des essais de lithographies certains éléments sous la version définitive, et Pablo avec l’imprimeur Fernand Mourlot, dont elle est le peignait d’une manière assez réaliste. Puis, après sujet principal. C’est que, depuis leur rencontre, avoir travaillé un moment : “Non, ce n’est pas votre Picasso, peu à peu, l’introduit dans son œuvre de style, dit-il soudain. Une interprétation réaliste ne manière, au début, assez discrète : quelques dessins, vous personnifierait en rien.” Alors, il essaya de quelques peintures dont une belle Femme debout rythmer différemment le tabouret et d’assouplir les dès septembre 1943. Et puis, peu à peu, il va installer contours, mais cela n’allait pas non plus. “Vous n’êtes Françoise dans un fauteuil, comme il l’avait fait pas le genre passif. Je ne vous vois que debout.” auparavant avec Fernande Olivier, Eva Gouel, Olga Il se mit à simplifier et allonger les lignes de mon Kokhlova, Sara Murphy, Marie-Thérèse Walter ou corps. » Dans cet allongement radical disparurent Dora Maar, avant que Jacqueline Roque à son tour le torse et les jambes devenus, prolongés par le cou, ne vienne clore la liste des muses inspiratrices une véritable tige porteuse de trois sphères, deux de l’artiste qui affectionnait particulièrement cette pour les seins comme deux fruits et une pour pose, traitée souvent avant lui par Cézanne, en ce la tête, corolle de cette fleur couronnée par les longs qu’elle permet une sorte d’objectivation de la femme, cheveux du modèle en forme de feuilles vertes. enchâssée entre le dossier et les accoudoirs, comme La transformation était totale. sur un présentoir permettant de toujours renouveler Il existe une photographie d’un premier état de le rapport à l’espace de la figure. Une de ces cette œuvre – où le redressement de la figure avait premières Femme dans un fauteuil, datée du 12 avril déjà eu lieu – qui ne satisfit point Picasso, mais 1945 est un tableau très particulier. D’une extrême pour apprécier mieux l’évolution de la conception concision dans sa représentation de la composition, de ce portrait, on peut mentionner trois études, structurée uniquement par quelques lignes pour un dessin au crayon graphite du 2 mai (Zervos, XIV, le dossier et les accoudoirs du fauteuil, les bras et 159), trois autres réalisés la veille de la peinture, les épaules de la femme, son visage, sa chevelure, l’un dans la collection du musée national Picasso, son torse résumé en une forme de cœur, déclaration déposé au musée Picasso d’Antibes, et deux autres évidente au modèle, l’artiste y a déposé la couleur dans une collection privée, et une petite huile avec une inhabituelle touche fragmentée, sur toile, sensiblement de même dimension, réalisée presque pointilliste. Le résultat est pour le moins le jour même, le 5 mai 1946 (Zervos, XIV, 160). saisissant et d’une grande audace. […] Le modèle est ici assis sur une chaise, le bras droit Au printemps 1946, en effet, alors que Françoise ou le bras gauche posé en haut du dossier. Picasso Gilot vit avec lui depuis quelques mois, Picasso n’a pas trouvé sa formule, celle qui va lui permettre réalise une série de portraits de sa compagne, sans la transmutation de Françoise en fleur, mais il a jamais la faire poser, que l’on pourrait qualifier déjà décidé plusieurs paramètres nécessaires à son de « végétaux » si on se réfère à leur point de départ alchimie : l’allongement du personnage qui donne la Femme-fleurdu 5 mai 1946. L’artiste sait que, l’impression d’une station debout alors qu’il s’agit comme le poète a besoin de mots souvent répétés, encore d’une femme assise, l’épanouissement de mots achevés par l’usage, la seule manière de la poitrine de part et d’autre de l’axe central du pour un peintre de communiquer directement une corps auquel répond le déploiement arrondi des idée est par le moyen d’une icône qui devient alors cheveux autour d’une tête réduite au strict minimum, une image mentale. La Femme-fleur sera cette icône un petit cercle vide. Le processus qui va peu à peu de Françoise, chargée de transmettre au monde faire perdre à la femme son statut de sujet est sa vision de son nouvel amour : « Il y a en vous l’élan en marche sans que l’on puisse déjà alors augurer d’une plante au printemps, et je ne savais comment de ce que sera son dernier avatar. Que l’on note ou exprimer cette idée que vous appartenez au règne non le caractère phallique de ces études, l’anonymat végétal. Je me demande ce qui me pousse à vous du modèle, privé de visage, est en tout cas flagrant, représenter de cette façon. C’est bizarre, n’est-ce à moins qu’il ne suffise pour désigner une femme pas ? Mais c’est tout à fait vous. » L’étape essentielle de caractériser sa gorge et sa chevelure. C’est de cette métamorphose s’effectuera par le passage sa transfiguration en végétal qui seul autorisera le à la verticalité, ainsi que le raconte encore dans ses retour des traits de Françoise, sans aucun doute 04/05 Nu assis sur fond vert, 1946 possible, avec son sourcil droit caractéristique en du minotaure. Mais il allait pouvoir les développer accent circonflexe davantage encore lorsqu’il pourrait disposer d’un Picasso fut très satisfait du résultat, au point véritable atelier méditerranéen en prise directe avec de revenir par la suite sur cette icône à plusieurs cette culture gréco-romaine, ce que sa bonne fortune reprises, de la marcotter pour ainsi dire. […] n’allait pas tarder à lui offrir. « Chaque fois que j’arrive à Antibes, aimait-il à répéter, ça me prend et me reprend, comme les poux !… Pourquoi ? Au début du mois de juillet 1946, Picasso et Françoise À Antibes, je suis repris par cette Antiquité.