Mediterannée Tome
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Méditerranée N° 1.2 - 2006 33 NOTE Notice biographique de Paul Ricard Biographical note of Paul Ricard Jean DOMENICHINO* La biographie, qualifiée par d’aucuns comme un – la sienne et celle de l’entreprise – intimement liées et genre mineur, utilitaire et sans prestige, a connu cependant sans cesse confondues, au travers d’une presse un succès sans cesse renouvelé qui a fait que le flux des d’entreprise particulièrement riche et fournie(2), et de biographies est resté approximativement stable pour nombreuses brochures spécifiques reproduisant ses représenter en France, bon an mal an, environ 2% du discours ou ses analyses sur telle ou telle question marché total de l’édition. Par contre, ce qui est nouveau, sociétale. Cette manière de procéder a eu des c’est que les historiens n’hésitent plus à s’essayer à cet conséquences étonnantes et complique la tâche du exercice, suivant en cela la voie tracée par Jean MAITRON chercheur, en particulier de l’historien du Temps présent, avec son Dictionnaire biographique du mouvement grand utilisateur des sources orales, car les discours des ouvrier français qui fait école, et ce dans d’autres témoins se ressemblent tous et reproduisent peu ou prou domaines et pour d’autres corpus. les pensées ou les écrits de Paul Ricard. Nous sommes en Dans ce cadre, notre ambition est beaucoup plus présence, à ce niveau, d’un véritable culte de la modeste. Il s’agit tout simplement de livrer quelques personnalité, ou d’un culte du chef, qui a façonné les repères permettant de comprendre la trajectoire de mentalités et, au-delà, les pratiques sociales. Aussi, Paul Ricard et d’approcher les raisons de sa formidable l’entreprise constitue un espace à part, une sorte de réussite entrepreunariale. Pour ce faire, nous nous sommes royaume, une « Ricardie » qui tarde à se diluer, malgré le nourris des différents travaux universitaires consacrés au renouvellement naturel des personnels. Cela n’est pas sans nous étonner car Paul Ricard s’est attaché à répandre bien personnage et à ses œuvres (BERNARD, 1997 ; au-delà de Marseille et de son entreprise, les vertus de ANBERGEGANI, 2003 ; CALCAGNETTI, 2003 ; GILLY, 2003 ; cette Ricardie en écrivant ou suscitant la publication d’une SEILHES, 2003), et de notre connaissance des archives de l’entreprise, en particulier des comptes rendus des conseils série d’ouvrages qui tendent tous à magnifier l’homme et d'administration et des assemblées des actionnaires(1) que son œuvre (MEDERIC, 1969 ; RICARD, 1983 ; POCHNA, nous avons systématiquement dépouillés. Malgré tout, 1996), masquant ainsi la réalité du personnage qu’il n’est nous doutons d’avoir échappé aux affres d’ordre pas aisé à redécouvrir. épistémologique du biographe empêtré dans ses doutes, ses limites faites de partialité et d’aveuglement, englué dans les contractions des relations qu’il établit avec l’autre, ballotté entre une subjectivité envahissante dont il 1. Naissance et formation d’un entrepreneur n’est pas dupe et une objectivité qu’il s’efforce d’imposer marseillais (MADELENAT, 1983). Dans notre cas, cette situation a été d’autant plus Paul Ricard est né en 1909, à Marseille, au 4 rue prégnante que Paul Ricard a eu très tôt la volonté de Berthelot dans le quartier de Sainte-Marthe. Il est issu produire sa propre histoire, résultante de deux histoires d’une lignée d’artisans commerçants. Son grand-père paternel Louis Ricard est un boulanger qui exerce d’abord * Maître de conférences en histoire, Université de Provence, UMR TELEMME, Aix-en-Provence. 1- Archives Ricard, cartons 1217/111/ 1, 17, 18. 2- Il s’agit de La Gazette Ricard de 1938 à 1952, remplacée alors par Les Nouvelles Ricard qui paraissent encore. Le tout s’est enrichi de Ricard Flash publié depuis 1964. 34 dans des villages de la grande banlieue marseillaise, même si son rêve est – nous le savons – de « faire les comme Gémenos et Peynier, avant de venir s’installer à Beaux-Arts ». À 17 ans, à la fin de sa seconde, il obtient Marseille dans le quartier d’Endoume. Son père Joseph est de son père l’autorisation de rejoindre l’entreprise né en 1885. Comme il est courant alors, il choisit le même familiale, avec comme objectif avoué de créer ensuite sa parcours professionnel que son père. Il intègre la propre affaire. Au cours d’un déplacement à la coopérative boulangerie familiale mais il est aussi attiré par la du Beausset pour acheter du vin en vrac, il rencontre un musique. Il apprend seul à jouer de la clarinette, suit des certain Espanet, un « ancien coiffeur reconverti dans le cours au Conservatoire et ses qualités font qu’il est admis courtage en vins sans compter une spécialisation assez au sein de l’Harmonie municipale de Marseille. Tout cela marquée dans le braconnage, le ramassage des peut paraître anecdotique mais on retrouve, à travers ces champignons et la cueillette des plantes aromatiques […] deux personnages, des pratiques et des valeurs qui qui fabriquait lui-même son pastis avec de l’alcool de marquent de manière indélébile le futur Paul. De son bouilleur de cru, du fenouil et d’autres herbes, comme grand-père avec lequel il reste très proche, il acquiert beaucoup de paysan de la région » (RICARD, op.cité, p.50). l’attachement au terroir, en particulier à celui de cette Cette rencontre est décisive. Alors qu’il vient de se lancer Provence intérieure qu’il parcourt souvent en sa dans la commercialisation d’un vin cacheté du Var baptisé compagnie, et le respect du « travail manuel » qu’il ne « Canto-Agasso », puis ensuite d’un marc de Provence dédaigne jamais, bien au contraire. Il se plaît à le pratiquer sous la marque « Cantagas », il aspire à autre chose. Il dans l’atelier de menuiserie installé dans sa demeure de la rêve de réussir à la manière d’un Renault ou d’un Citroën, Tête de l’Evêque, à Signes, où il multiplie la fabrication de qui ont pris des places prépondérantes dans l’automobile. demi coques de bateau qu’il offre à ses visiteurs. De son Après réflexions et le souvenir d’Espanet aidant, Paul père, il hérite l’attrait pour les « disciplines artistiques » Ricard décide que son secteur de prédilection sera celui qu’il ne peut totalement assouvir au niveau de ses études, du pastis, un apéritif produit clandestinement(3) et circulant son père lui refusant l’inscription aux Beaux-Arts. Malgré sous le manteau dans toute la Provence sous différentes tout, il s’en accommode et assouvit son amour fou, voire appellations – pastis, pataclé ou lait de tigre (ARMOGATHE, démesuré pour la peinture. À partir de là, il ne cesse de 2005) – à raison d’un minimum de 15 000 bouteilles par peindre presque jusqu’à l’obsession des paysages et jour. surtout des portraits car, dit-il, « quand on fait un portrait, Pour ce faire, il installe un laboratoire dans une on dialogue avec le personnage, on regarde ce qu’il a pièce de la maison familiale et se livre à d’innombrables dans le cœur et dans le ventre. La peinture, c’est une expériences de distillation, de rectification et de nourriture de l’esprit » (POCHNA, op.cité). La réussite macération, soutenu par son frère Pierre qui ne lui a jamais industrielle et financière aidant, il pratique un mécénat de ménagé ses encouragements. Il teste son produit à la tous les instants en aidant, avec générosité et bonheur, les caserne pendant son service militaire, auprès des patrons artistes et créateurs les plus divers, dont Antoine Serra, et de bars qu’il visite pour vendre son « Canto-Agasso » et ce très tôt, dès 1948 (ARROUYE et al., 2005). son « Cantagas », mais il ne peut le diffuser car sa Pour revenir à la saga familiale, à 22 ans, le père de production n’est pas conforme à la loi de 1922 qui limite Paul quitte le métier de boulanger pour celui de à 150 grammes de sucre par litre les liqueurs anisées qui commerçant en vin. Avec l’aide de son père, il achète un ne peuvent devenir limpides qu’avec l’addition de petit commerce de vin à Marseille, rue Moulet. On peut 7 volumes d’eau. C’est en 1932 que tout se décide. La être surpris de cette reconversion. En fait, elle s’explique, nouvelle loi votée alors autorise la libre édulcoration. d’une part parce que cette nouvelle activité est moins Ricard peut commercialiser son breuvage qui titre pénible que la boulangerie, et laisse plus de temps pour la 40 degrés et termine son louchissement avec 5 volumes pratique de la musique ; d’autre part parce que ce d’eau : il en dessine lui même l’étiquette, lui donne son commerce n’est pas chose nouvelle dans la famille Ricard. nom, fonde une société en commandite. En 1932, il en En effet, en 1907, Joseph – le père de Paul – épouse vend déjà 250 000 litres auprès de patrons de bars qu’il Rose Joséphine Cournand, fille d’un employé de la visite lui-même un à un, d’abord à Marseille, puis dans compagnie de chemins de fer Paris-Lyon-Méditerranée l’ensemble du département. En 1933, il s’allie au (PLM) dont l’oncle – un certain Roubaud – est un gros secrétaire général des cafetiers de Marseille, Louis (4) négociant en vin. Il n’a pas d’enfant et à sa mort, sa femme Bergamaschi , pour obtenir du gouvernement dote les jeune époux qui peuvent ainsi acheter un fonds l’autorisation du pastis à 45° dont il est le seul à avoir mis plus important à Sainte-Marthe, rue Berthelot, là où Paul au point la formule.