MUSÉE DES BEAUX-ARTS

Salammbo FUREUR ! PASSION ! ÉLÉPHANTS ! DOSSIER DE PRESSE

2 2 0 0 EXPOSITION 2 2 23 AVRIL1 • 19 SEPTEMBRE1 SALAMMBÔ FUREUR ! PASSION ! ÉLÉPHANTS ! MUSÉE DES BEAUX-ARTS, ROUEN, 23 AVRIL – 19 SEPTEMBRE 2021 MUCEM, , 20 OCTOBRE 2021 – 7 FÉVRIER 2022 MUSÉE NATIONAL DU BARDO, TUNIS, PRINTEMPS 2022

« Décrire Carthage, qu’on « C’était à Mégara, faubourg de Carthage, dans les jardins d’Hamilcar ».

connait si peu, était à Publié en 1862, le roman de Flaubert retrace l’attraction fatale entre Salammbô, prêtresse de Tanit et Mathô, chef des mercenaires révoltés contre l’opulente Carthage. En convoquant l’époque de Flaubert et littérature, peinture, sculpture, photographie, arts de la scène, cinéma, bande dessinée et ar- chéologie, l’exposition Salammbô. Fureur ! Passion ! Éléphants ! nous plonge au cœur d’un au fond serait encore tourbillon d’images et de sensations qui révèle la portée considérable de ce texte sur les arts, mais aussi son héritage dans l’histoire de la Méditerranée et son actualité. Portée par aujourd’hui, une entreprise la RMM (Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie) et le Mucem (Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée) et l’INP (Institut National du Patrimoine de presque insensée. (…) Tunisie), l’exposition présente environ 350 œuvres de collections publiques et privées, ainsi que des trésors archéologiques de l’époque punique des musées du Bardo et de Carthage. l’excellence du style Une expérience unique où les émotions sont portées à leur paroxysme. fait tout accepter : on demeure ébahi devant COMITÉ SCIENTIFIQUE DE L’EXPOSITION SALAMMBÔ ces phrases dont chacune Jacques Neefs, professeur émérite de littérature française, Université 8 et Université Johns Hopkins Ségolène Le Men, Professeure émérite d'histoire de l'art contemporain à l'université Paris Nanterre est une pièce d’or ou de Mathias Auclair, conservateur général, directeur du département de la Musique, BnF Joël Daire, directeur du patrimoine, Cinémathèque française bronze pesant de tout son Myriame Morel-Deledalle, conservateur en chef émérite, Mucem Leïla Ladjimi-Sebaï, Archéologue émérite, présidente de l’Association de Carthage poids, suspendue au fil Ahmed Ferjaoui, Chercheur, archéologue, Institut National du Patrimoine, Tunisie Imed Ben Jerbania, Chercheur, archéologue, Institut National du Patrimoine, Tunisie quelque peu ténu de cette Sylvain Amic, conservateur en chef, directeur de la réunion des Musées Métropolitains, Rouen Normandie Laurence Marlin, conservatrice, musée des Antiquités, Rouen affabulation romanesque Diederik Bakhuÿs, conservateur peintures anciennes et Arts Graphiques, musée des Beaux-arts, Rouen sur la fille d’Hamilcar. » Marguerite Yourcenar

Visuel de couverture : 2 Philippe Druillet, Salammbô, planche, coll. part. SOMMAIRE

I. SALAMMBÔ : UN VOYAGE ENTRE HISTOIRE, INVENTION ET ILLUSIONS 4 1. La création de Salammbô 5 a. Carthage avant Flaubert b. Flaubert et Salammbô : Genèse de l’ouvrage c. Connaissance de Carthage à l’époque de Flaubert 2. Salammbô et les arts 8 a. Salammbô au salon b. Salammbô illustré c. Salammbô en musique d. Salammbô au cinéma 3. Après Salammbô : l’archéologie du retour au réel 13 a. L’exploration de la cité des morts b. Tophet, nécropoles et sanctuaires

II. SALAMMBÔ : SENSIBILITES CONTEMPORAINES 16 1. André Gelpke 16 2. Salammbô et Métal Hurlant : l’épopée de Philippe Druillet 18 3. Yesmine Ben Khelil 20 4. Douraïd Souissi 22 5. Retour à l’opéra : Philippe Fénelon et Salammbô 24 6. Et s’il n’y avait pas eu Salammbô, longtemps après... 26

III. SALAMMBÔ : EXTRAITS CHOISIS 27 1. Carthage ressuscitée par Flaubert 27 2. Salammbô, le défilé des cimaises 28 3. Salammbô au cinéma 29 4. Salammbô à l’opéra 30 5. Salammbô en bande dessinée, orchestrée par Philippe Druillet 31 6. Les joyaux de Salammbô : Inspiration et reconstruction carthaginoises 32

IV. La Réunion des Musées Métropolitains 33

V. Le Mucem 34

VI. Programmations : Colloques et journées doctorales 35

VII. Visuels presse 38

VIII. Mécénes et partenaires 41

Informations pratiques 42

3 PARTIE I SALAMMBÔ : L’EXPOSITION

marquera le bicentenaire de la naissance de Flaubert. À cette oc- casion le musée des Beaux-Arts à Rouen, le Mucem à Marseille et 2021 l’Institut national du patrimoine à Tunis s’unissent pour proposer une exposition inédite et ambitieuse, qui envisage la portée considérable sur les sciences et les arts de ce roman « monstre », mais aussi les échos de son message politique dans le débat contemporain. Le projet explore autant l’immense domaine de la création plastique, l’histoire et l’actualité des fouilles archéologiques du site de Carthage, que les questions d’al- térité, d’émancipation et d’assignation sociale, illustrant la puissance démiurgique du mythe littéraire inventé par Flaubert.

L’exposition présente 350 œuvres issues des collections publiques et privées françaises et européennes, dont le musée du Louvre, la Bibliothèque nationale de France, le Musée natio- nal d’art moderne-Centre Pompidou, le musée d’Archéologie méditerranéenne de Marseille, le Cabinet des Médailles (Archives municipales) de Marseille, les musées de Rouen, Munich et Berlin… Grâce à l’Institut national du Patrimoine de Tunisie, avec lequel le Mucem entre- tient depuis cinq ans une étroite politique de coopération, des prêts majeurs ont été consen- tis par les musées du Bardo et de Carthage, permettant au public français de découvrir les trésors archéologiques de l’époque punique.

Commissaire général : Sylvain Amic, conservateur en chef du patrimoine, directeur de la Réunion des Musées Métropolitains Rouen Normandie Commissaire associée : Myriame Morel-Deledalle, conservatrice en chef émerite du patri- moine, Mucem Commissaire associé : Imed Ben Jerbania, chargé de recherche, Institut National du Patri- moine, Tunisie.

Manufacture des Gobelins, carton de François Bonnemer d’après Jules Romain et Francesco Penni, Tenture de l’Histoire de Scipion : la Bataille de Zama, 1688-1689 © Paris, Musée du Louvre, Département des Objets d’art

4 PARTIE I SALAMMBÔ : L’EXPOSITION 1. LA CRÉATION DE SALAMMBÔ

Baron Pierre-Narcisse Guérin, Énée racontant à Didon les malheurs de la ville de Troie, 1819 a. Carthage avant Flaubert source d’inspiration liée au monde carthagi- jusqu’alors, par l’effet de scandale qu’avait Carthage tient une place importante dans nois. Elle fournit, elle aussi, quelques récits eu ce premier roman mais surtout par la l’imaginaire européen, bien avant la parution poignants de destins malheureux, comme profonde nouveauté esthétique de son « ré- de Salammbô. Son image a été façonnée celui de la reine Sophonisbe, souvent illus- alisme ». avant tout par des sources textuelles grecques tré à l’époque baroque (Mattia Preti, Rem- Le livre à peine terminé (il en corrige alors et latines. Pendant des siècles, la ville demeure brandt, Guerchin) ; Corneille et Voltaire y ont les épreuves), Flaubert se lance aussitôt pour les peintres une sorte de Rome de rêve trouvé chacun la matière d’une tragédie. dans la conception de ce qu’il appelle son « transposée au bord de la mer. Alors que les Mais elle abonde aussi en récits de batailles, roman carthaginois », estimant que revenir principaux témoignages visuels sur le monde rendues presque fabuleuses par le recours à un « roman moderne » « lui est interdit », et punique sont le fruit de découvertes archéo- aux éléphants dont les charges furieuses que revenir à La Tentation de saint Antoine logiques postérieures à la parution du roman fascineront aussi Flaubert : ces mêlées « le ferait aller en cours d’assise. » de Flaubert, les artistes s’inspirent en premier spectaculaires ont contribué au succès de la lieu de récits mythiques, comme l’histoire de tenture sur l’Histoire de Scipion inspiré des L’histoire antique est un détour stratégique : Didon, la fondatrice de la cité, connue notam- projets de Jules Romain, maintes fois tissée « Je vais donc momentanément faire un peu ment à travers l’Enéide de Virgile. à partir du XVIe siècle. d’histoire. C’est un large bouclier sous lequel on peut abriter bien des choses. Or je crois L’amante abandonnée d’Énée devient à la b. Flaubert et Salammbô : qu’il y a matière à beaucoup de style dans Renaissance l’une des grandes incarnations genèse de l’ouvrage une peinture la plus exacte & la plus colo- féminines du désespoir amoureux : elle le Salammbô est le deuxième livre publié rée possible de la Guerre des Mercenaires. » restera pendant des siècles, inspirant les par Flaubert. Il paraît en novembre 1862, Flaubert en fera une fantasmagorie puis- écrivains et les musiciens aussi bien que les six ans après Madame Bovary. Avec Ma- sante de la violence collective, historique et peintres. Dans sa destinée tragique, Didon dame Bovary, d’abord publié en feuilletons politique. Flaubert reprend ainsi son « rêve préfigure à bien des égards le personnage dans la Revue de Paris, du 1er octobre au oriental » commencé tôt, en particulier avec de Salammbô. 15 décembre, puis chez Lévy en avril 1857, La Tentation de saint Antoine et surtout lors L’histoire des guerres puniques écrite par Flaubert s’était trouvé tout à coup célèbre, de son grand voyage en Orient avec Maxime les vainqueurs romains forme l’autre grande à l’âge de 35 ans, sans avoir jamais publié du Camp, de 1849 à 1851. 5 « Je m’occupe…d’un Flaubert s’enquiert de « vues photogra- parisien » (L’Éducation sentimentale écrit phiques de Tunis et des environs » et en- de 1864 à 1869), et le projet de ce qui sera travail archéologique, treprend une enquête érudite considérable, Bouvard et Pécuchet. Ainsi enchâssé parmi sur les lieux, les mœurs, les techniques de les récits désenchantés de héros modernes sur une des époques guerre, les usages religieux de Carthage. cantonnés dans les marges des grandes es- Les références à la Bible seront particuliè- pérances, Salammbô semble montrer que les plus inconnues de rement importantes, en relation avec une le théâtre des passions, de la fureur et des interprétation anthropologique et historique luttes ne procure pas de destinée plus en- l’Antiquité, travail qui est (Bible de Cahen). Le livre prend place ainsi viable. dans une recherche tout à fait nouvelle sur la préparation d’un autre. l’Orient, à travers l’histoire de Carthage (le c. Connaissance de Carthage à l’époque département des Antiquités orientales du de Flaubert Je vais écrire un roman Louvre ne sera ouvert qu’en 1881). Flaubert L’archéologie carthaginoise connaît à complète la documentation livresque par un l’époque de Flaubert ses premiers balbu- dont l’action se passera voyage en Tunisie d’avril à juin 1858. tiements. Le souvenir du passé prestigieux de la cité refait néanmoins surface par les trois siècles avant J.-C. quelques ruines éparses de l’antique cité (ci- terne romaine, aqueduc), dont témoignent car j’éprouve le besoin de les récits de voyageurs arabes ou euro- péens. sortir du monde moderne L’archéologie, qui se précise comme science, accompagne les conquêtes françaises en où ma plume s’est trop Afrique du Nord et les missions explora- toires se multiplient. Antérieur à la conquête trempée et qui d’ailleurs arabo-musulmane, le passé romain de la rive sud de la Méditerranée est alors convo- me fatigue autant à qué pour légitimer l’expansion coloniale de la France : l’empire romain est montré reproduire qu’il me comme un modèle dans une dialectique opposant civilisation et barbarie. Très signi- dégoûte à voir… ». ficativement, Flaubert choisit pour son ro- Correspondance de Flaubert à Marie-So- man une époque plus lointaine : en le situant phie Leroyer de Chantepie, 18 mars 1857 dans un épisode des guerres puniques pré- cédant la souveraineté romaine, et en mon- trant les fastes d’une Carthage qui fait alors jeu égal avec Rome, Flaubert déjoue par avance toute tentative d’instrumentalisation de son récit. Le site de Carthage retient l’attention des , Salammbô, édition originale, érudits de toute l’Europe dès les années Michel Lévy, 1863. 1830. Les travaux de cartographie réalisés par le Danois Christian Falbe et le Français La rédaction s’étend de septembre 1857 à Adolphe Dureau de la Malle sont notam- avril 1862. Après le scandale Bovary, c’est ment largement exploités par Flaubert. La peu dire que le nouveau roman de Flaubert nécessité de disposer de renseignements de est attendu ; le succès populaire est à la hau- première main motive le voyage de Flaubert teur de la surprise causée par Salammbô, et à Carthage d’avril à juin 1858, période durant de sa réception tumultueuse par la critique : laquelle l’auteur parcourt également l’Algérie lutte d’érudition, controverse « archéolo- et d’autres sites tunisiens pour son roman. gique » de Frœhner, démolition en règle de Rassemblés dans un carnet aujourd’hui Sainte- Beuve. Admiration de George Sand : conservé à la Bibliothèque historique de la « Il est formidable comme l’abîme ». Enthou- Ville de Paris, ses notes de voyage, impres- siasme de Berlioz : « J’en rêve la nuit ». sions, sensations, croquis de paysages et de Dès la publication, Flaubert relance ses projets ruines forment les fragments épars du futur 6 suivants ; il hésite entre son « grand roman « décor » de Salammbô. Recherches sur l'emplacement de Carthage, par Christian Tuxen Falbe (1791-1849), Paris, Bibliothèque nationale de France, GE D-17918 (1-5), Planche V.

Gustave Flaubert, Manuscrit de Salammbô, Paris, Bibliothèque nationale de France.

7 PARTIE I SALAMMBÔ : L’EXPOSITION 2. SALAMMBÔ ET LES ARTS

« Qui peut dire le nombre a. Salammbô au Salon Ce que Léonce Bénédicte note dans cette de carthaginoiseries dont remarque sur le Salon de 1891 traduit bien la réalité de la relation qu’ont eue les artistes de il faut charger la mémoire la fin du XIXe siècle au roman de Flaubert. Si, de son vivant, Flaubert reste inflexible sur sa de Flaubert ! Hérodias, volonté de ne pas voir son texte illustré, re- fusant tout pouvoir d’évocation aux images Salammbô, La Tentation imprimées, à compter de sa mort en 1880 et dans les quelques décennies qui suivent, de Saint Antoine, étaient les artistes sont fascinés par ce texte, qui résonne particulièrement avec un certain d’ailleurs bien faits pour nombre de sujets en vogue et de problé- matiques picturales qui les occupent à cette frapper les imaginations époque. Dès le Salon de 1881 la sculpture de Jean-Antoine Idrac qui illustre le roman Georges-Antoine Rochegrosse, Salammbô de peintres, par la connaît un grand succès. et les colombes, vers 1895, Dreux, musée d’art et d’histoire Marcel-Dessal. netteté, par la grandeur et d’un érotisme exacerbé, qui se traduit pic- l’originalité des tableaux. turalement par une débauche d’effets de matière, d’ornements, de bijoux, de couleurs Il y avait là, avec la chaudes évoquant un Orient qui se fait écran de projection des fantasmes de l’Occident. fascination du langage, D’autres artistes se saisissent de l’œuvre quelque chose de nouveau, carthaginoise pour renouveler la peinture d’histoire. En ce sens, la modernité littéraire d’imprévu, d’encore de Salammbô peut se traduire par une mo- dernité picturale équivalente, en contribuant inusité. On y trouvait des à acter la fin de la hiérarchie des genres, avec des peintures d’histoire qui ne sont plus visions qui réveillaient le seulement des illustrations de passages lit- téraires, mais des scènes prisées du public sens créateur appauvri. »15 pour l’effroi et l’impression durable qu’elles suscitent, les scènes de massacre et de sup- Théodore Rivière, L'éléphant d’Hamilcar, Tunis, 1892, plices étant nombreuses dans le roman. Galerie Nicolas Bourriaud, Paris. L’Orient étrange de Salammbô ouvre ain- si de nouvelles perspectives aux peintres Le vocabulaire très pictural de Salammbô, d’histoire qui ont épuisé Rome et la Grèce. qui brosse un tableau saisissant d’une An- Une autre réponse à l’œuvre de Flaubert, tiquité à la fois archéologique et rêvée, contemporaine des enjeux esthétiques nou- donne lieu à de multiples images, de l’art veaux introduits par son roman, se situe académique jusqu’au symbolisme et aux du côté des artistes de l’Art Nouveau, qui tendances les plus contemporaines au dé- puisent dans Salammbô l’inspiration pour but du XXe siècle. Salammbô arrive en ef- réaliser des œuvres dont la profusion orne- fet à point nommé pour satisfaire le goût mentale répond à la surenchère de détails d’une époque qui se détourne du réalisme sensuels du roman. L’un des premiers ar- et du naturalisme, et qui cherche des sen- tistes à s’intéresser à Salammbô est Victor sations fortes dans la représentation de fi- Prouvé, à qui l’on doit des reliures extraordi- gures historiques et mythiques, séductrices nairement pensées et travaillées, et le maître et dangereuses (Cléopâtre, Judith, Salomé, Page de droite : Alfons Mucha, Salammbô, 1897, de l’Art Nouveau Alfons Mucha produit éga- Hélène). Le roman rejoint la fascination fin- lithographie, Rouen, Bibliothèque Villon lement une affiche magistrale pour l’opéra de- siècle pour les femmes fatales et l’œuvre d’Ernest Reyer. 8 de Flaubert est propice à la représentation 9 Victor Prouvé, Reliure pour Salammbô, 1893, Nancy, musée de l’Ecole de Nancy. b. Salammbô illustré C'est à propos de Salammbô que Flaubert évidence les conventions du découpage en exprime avec le plus de véhémence son scènes-clés, ainsi que les leitmotivs de ces déni de l'illustration. Pourtant ce roman sus- mises en images qui réduisent à l'échelle de cite de multiples interprétations graphiques la page les grandes machines de l'art pom- - le dessin privé (Rodin), l'estampe (Mucha), pier : focalisation sur Salammbô (érotisme la caricature (Stop), ou les croquis de presse de la femme fatale au serpent), théâtre de la évoquant l'opéra -, sans oublier l'illustra- cruauté (batailles, têtes coupées), fantasmes tion, depuis l'édition d'amateur jusqu'aux orientalistes. couvertures de livres de poches et à l'uni- Outre un choix de volumes et de planches, vers d'images polychromes et délirantes elle présente plusieurs dessins préparatoires des adaptations de Druillet. Après Madame aux illustrations (suite de dix dessins de Poir- Bovary (27), Salammbô donne lieu au plus son 1885-1886, Prouvé 1893, Rochegrosse grand nombre d'éditions illustrées (22) de 1900), jusqu’à leur relecture contempo- l'œuvre de l'écrivain, principalement dans le raine par la jeune artiste tunisienne Jasmine champ de la bibliophilie. Benkhelil. La sélection retenue, de 1879 à 1940, rend compte de cette pluralité d'expressions comme de cette fortune éditoriale qui ac- compagne les grandes étapes de l'histoire de l'illustration tour à tour narrative et or- nementale, tout en cherchant à mettre en Victor-Armand Poirson, Illustrations pour Salammbô, 10 Rouen, Bibliothèque Municipale c. Salammbô en musique Dès la publication de Salammbô, Flaubert Flaubert inspire aussi la musique pure (Sa- songe à une adaptation lyrique de son roman. tie aurait pensé à Salammbô en composant Berlioz en « rêve la nuit» en 1862, un projet ses Gymnopédies dont le manuscrit auto- est échafaudé avec Verdi l’année suivante, graphe sera présenté) et la musique de film : Moussorgski débute un opéra, Le Libyen, qu’il Florent Schmitt compose celle du film Sa- laisse inachevé en 1864, mais c’est finalement lammbô réalisé par Pierre Marodon en 1925 Ernest Reyer qui est officiellement chargé de (le manuscrit autographe de la Bibliothèque la tâche : avant même la publication de Salam- nationale de France sera présenté dans l’ex- mbô, le romancier s’est engagé envers le com- position). Créé à l’Opéra de Paris en 1998, positeur à lui fournir la matière d’un opéra dont Salammbô de Philippe Fénelon propose une Théophile Gautier serait le librettiste. Gautier adaptation moderne du roman de Flaubert décède en 1872 sans avoir eu le temps de rédi- sans renoncer à la beauté sulfureuse, exo- ger le livret qui échoit à . tique et sensuelle de celui-ci. Les représen- Créé au Théâtre de de Bruxelles tations de cette œuvre seront illustrées par avec dans le rôle-titre, l’ouvrage les manuscrits autographes du compositeur est repris à l’Opéra de Paris en 1892. Des ma- ainsi que par des photographies du spectacle. quettes de décors et de costumes des pro- Adapté pour la scène au XIXe siècle par dif- ductions de Bruxelles et de Paris (provenant férents compositeurs (Vincenzo Fornari en Léon Bonnat, Rose Caron dans le rôle de Salammbô, des archives du Théâtre de la Monnaie et de 1884, Nicolo Massa en 1886), le roman de 1896, Paris, Bibliothèque nationale de France la BnF) témoigneront de ce spectacle tout Flaubert inspire aussi la musique pure (Satie comme des tableaux (Portrait de Rose Caron aurait pensé à Salammbô en composant ses dans le rôle-titre de Salammbô par Georges Gymnopédies dont le manuscrit autographe Clairin, BnF) et des bijoux de scène (notam- sera présenté) et la musique de film : Florent ment la coiffe portée par Rose Caron). Schmitt compose celle du film Salammbô ré- Adapté pour la scène au XIXe siècle par dif- alisé par Pierre Marodon en 1925 (le manus- férents compositeurs (Vincenzo Fornari en crit autographe de la Bibliothèque nationale 1884, Nicolo Massa en 1886), le roman de de France sera présenté dans l’exposition)..

Eugène Lacoste, Maquette pour l’opéra d’Ernest Reyer, Costume de Salammbô, 5e acte, cortège de mariage, plume et aquarelle sur calque, Paris, Bibliothèque nationale de France, département Bibliothèque-musée de l'opéra.

11 Jeanne de Balzac et Rolla Norman dans le film de Pierre Marodon, Salammbô, 1925. © Paris, CNC d . Salammbô au cinéma À la différence de Madame Bovary, qui fait Kane, confiant le soin à son compositeur (1959), de Roger Vadim où elle joue une l’objet d’une vingtaine d’adaptations pour Bernard Herrmann de créer un air d'opé- autre novice, Cécile de Volanges. le cinéma et la télévision, la Salammbô de ra original pour la scène où Susan, maî- C’est cependant le film de Pierre Marodon Flaubert effraie le cinéma par sa démesure. tresse du magnat de la presse, empanachée et Louis Aubert qui constitue la démarche Certes, dès 1907, Jacques Deviola signe une de plumes dans un costume orientaliste, la plus ambitieuse pour porter Salammbô Salambô dont il ne subsiste que quelques échoue à interpréter l’«Aria from Salam- à l’écran. Pierre Marodon qui comptait déjà photos et en 1911, l’italien Arturo Ambrosio mbô» avant de sombrer dans la dépression. une douzaine de films à son actif, bénéficia réalise La Prêtresse de Tanit, probablement À la fin des années 1950, Sergio Grieco tire du plus grand chef- opérateur français de perdue. Puis en 1914, Domenico Gaido pro- du roman un péplum de série B qui connaît l’époque, Léonce-Henri Burel (collabora- pose une nouvelle version sous le titre Sa- une intense promotion dans les langues et teur attitré d’Abel Gance) à qui l’on doit la lambô. La prêtresse de Tanit y est interprétée pays les plus divers. Jeanne Valérie (Miche- qualité de la photographie. Film ambitieux par Suzanne de Labroy. Même si le synopsis line Yvette Voituriez décédée en septembre par les moyens mobilisés, assez rares dans prend des libertés par rapport au roman, le 2020) y incarne une Salammbô boudeuse, une production française: un budget de 10 film recèle malgré tout bien des qualités, à à peine sortie des Liaisons dangereuses millions de francs de l’époque, 7 mois de commencer par les acteurs, le luxe des dé- tournage, précédés de plusieurs mois d’écri- cors et des costumes, les séquences finales ture et de préparation, nombreux décors du film particulièrement réussies sur le plan dans les studios de Sacha Films à Vienne photographique. (Autriche), plus de 10 000 figurants sur Il faut attendre 1924 pour que le producteur scène, sans compter les chevaux, pour cer- Louis Aubert confie à Pierre Marodon une tains tableaux- clés (Festin dans les jardins version de Salammbô vraiment fidèle au d’Hamilcar, Assaut de Carthage, Défilé de roman de Flaubert. Marc Allégret envisage la Hache, etc.), commande d’une partition une adaptation au début du parlant, mais il symphonique au compositeur Florent Sch- n’en subsiste que le synopsis, le film n’ayant mitt. Salammbô bénéficia d’une promotion jamais été tourné. En 1941 Orson Welles importante et fut projeté pour sa première à Toile peinte par les ateliers Publidécor pour la promotion 12 évoque Salammbô dans Citizen du film de Sergio Grieco. Marseille, Mucem. l’Opéra de Paris en octobre 1925. PARTIE I SALAMMBÔ : L’EXPOSITION 3. APRÈS SALAMMBÔ : L’ARCHÉOLOGIE DU RETOUR AU RÉEL

Le roman de Flaubert a indéniablement b. Tophet, nécropoles et sanctuaire contribué à stimuler l’archéologie de Car- Dans le roman Salammbô, Flaubert décrit thage et la recherche sur les guerres pu- des cérémonies de sacrifices collectifs d’en- niques. Systématiquement confrontées fants, décidés par les Anciens pour obtenir au roman, ces découvertes introduisent un la clémence des dieux au cours de la Guerre rapport inédit et troublant entre la fiction des Mercenaires (241-237 av. JC). Le texte et la réalité des sites. dit : « Alors les Carthaginois, en réfléchissant sur la cause de leurs désastres, se rappelèrent a. Fouilles anciennes et découvertes qu’ils n’avaient point expédié en Phénicie l’of- récentes frande annuelle due à Melkarth- Tyrien (…) ». Flaubert n’est pas le seul Rouennais dont S’en suit une description inspirée des sources le nom est associé à celui de Carthage. Al- anciennes (Polybe, Diodore de Sicile, etc.), qui fred-Louis Delattre (1850-1932), né à Dé- marque pour longtemps l’idée que l’on se fait ville-lès-Rouen, est chargé dès 1875 par le de la société carthaginoise. cardinal Lavigerie de recueillir les vestiges Pourtant, lors du séjour de Flaubert à Car- archéologiques de l’antique cité. Son action thage (1858), aucun vestige archéologique le conduira principalement à l’exploration de ce type n’a pu alimenter son imagi- des nécropoles puniques de Carthage. naire. Il faut attendre 1921 et la découverte Par ses découvertes et leur diffusion, le du « Tophet », sanctuaire dédié à Tanit et « père de l’archéologie carthaginoise » incite Baal-Hammon, divinités de Carthage et de une génération de savants français à tour- la « stèle du prêtre à l’enfant » pour confor- ner son regard vers la cité punique. Ainsi, ter son hypothèse. Les controverses n’ont Paul Gauckler (1866-1911), second directeur depuis pas manqué : le « Tophet » était-il Œnochoé, Carthage, Sainte-Monique Seyda, fouilles Delattre, Ve siècle avant J.-C., bronze et argent, Réunion du Service des Antiquités, explore la né- seulement un sanctuaire ou bien également des Musées Métropolitains Rouen Normandie, Musée cropole punique de Dermech. Archéologue, un lieu destiné aux sacrifices d’enfants ? des Antiquités épigraphiste, il rompt pourtant avec l’habi- La présence avérée d’ossements d’enfants tude de la recherche des objets et inaugure mais également d’animaux dans quelques la fouille scientifique à Carthage. Ses carnets urnes a permis d’envisager toutes les hy- de fouilles témoignent de sa rigueur et de pothèses ; le poids de cette réputation jugée son souci de relever graphiquement et de néfaste pour la Tunisie a parfois été imputé noter avec précision les découvertes réali- à Flaubert lui-même. sées au cours de ses fouilles. Dans les années 1970, le lancement de la Pionniers de l’archéologie punique, Delattre campagne UNESCO « Pour sauver Car- et Gauckler ne se contentent pas d’étudier thage » a permis de reprendre des fouilles ces vestiges, ils les diffusent à travers les méthodiques dans plusieurs secteurs de la musées européens. Sarcophages anthro- ville. Alors que certains archéologues inter- poïdes, rasoirs gravés, masques grimaçants, prétaient la présence d’ossements d’enfants coquilles d’œufs d’autruche peints, têtes à des morts naturelles, les conclusions de d’hommes barbus en verre révèlent ainsi à l’équipe américaine qui a fouillé le Tophet toute l’Europe l’originalité de la culture pu- furent les suivantes : « les fouilles de l’ASOR nique. Le réseau rouennais permet aussi dans le tophet (…) ont mis au jour 400 urnes au musée des Antiquités de se faire l’écho funéraires intactes ou fragmentaires conte- des premières explorations archéologiques nants des restes brûlés d’enfants et de à Carthage avec l’acquisition en 1906 d’une jeunes animaux. Les restes des contenus et dizaine de pièces données par Delattre, puis le contexte archéologique des urnes, ainsi de 128 pièces envoyées par l’intermédiaire que la reconsidération des sources écrites, du Ministère de l’Instruction publique. bibliques ou non, sur la religion cananéenne, phénicienne et punique démontrent sans aucun doute que le sacrifice des enfants était pratiqué à Carthage depuis au moins 750 avant J.-C. jusqu’à la destruction de Carthage en 146 avant J.-C. ». 13 Les débats sont intenses et la question toujours posée. Les fouilles de l’équipe archéologique de l’Institut national du Patrimoine tu- nisien en cours sur ce secteur ont récemment mis au jour un très grand nombre d’urnes dont les analyses permettront peut-être de compléter, confirmer, infirmer, apporter des nuances dans ce débat.

Si les premières fouilles archéologiques du site de Carthage datent de 1835, suivies par celles du père Delattre à partir de 1880, les dé- couvertes phénico-puniques furent rares avant la campagne in- ternationale de sauvegarde et de mise en valeur du site lancée par l’UNESCO qui a mobilisé de 1972 à 1992 douze pays. Au-delà de celles du tophet, les fouilles ont permis plusieurs avancées majeures concernant l’époque punique : l’équipe allemande a dégagé l’un des plus anciens (VIIIe siècle av. J.-C.) quartiers d’habitat protégé par une muraille maritime, les équipes américaine et britannique ont révélé les ports puniques de l’Amirauté, enfin l’équipe française a mis au jour le quartier punique des IIIe-IIe s. av. J.C. sur la colline de Byrsa.

Des traces inédites d’occupation remontant au VIIIe siècle avant J.-C. soit à la période de fondation de Carthage datée de 814 avant J.-C. ont été mis au jour : ces vestiges d’habitat permettent de conclure à la planification de la fondation d’une Ville nouvelle (Qart Hadasht). Les maisons du quartier punique de Byrsa, remarquablement conservées et mises en valeur ont livré un matériel considérable, permettant d’imaginer la vie quotidienne des Carthaginois à la fin de la période punique et juste avant sa destruction par Rome (146 avant J.-C.) dont elles portent les traces. Figurine de femme les bras étendus : supports de lampes, Ve siècle avant J.C., terre cuite. Paris, musée du Louvre, département des Antiquités orientales, don père Delattre, 1904.

14 Carthage, Tophet, Brûle-parfum à tête de divinité mas- culine coiffée d’une tiare à plume / Baal Hamon (?), mi- lieu IIe s. av. J.-C. © Carthage, Musée de Carthage

Stèle du prêtre à l’enfant, IIIe siècle av J.C., calcaire, Tunis, musée du Bardo.

15 André Gelpke, Yvonne, Salambo, 1978. © Coll. Fotomuseum Winterhur 16 PARTIE II : SALAMMBÔ : SENSIBILITES CONTEMPORAINES

1. André Gelpke Raphaëlle Stopin, directrice du Centre photographique de Rouen.

« Ce qui me fascine en tant que Les photos de cette série montrent des per- D’abord à distance, dans la pénombre, le photographe à propos de ces formeurs de plusieurs Sex theatre à Ham- photographe observe puis rapidement se bourg (St. Pauli) ; de l’Alcazar, Regina, Sa- trouve une routine, arrivant à 21h tous les gens, c’est la personnalité des lambo, en passant par Tabu et Palverfass. soirs et commençant par la loge : regarder individus : l’acteur qui est préparé les performers –venus du monde entier– Des vestiges de l’érotisation de la figure de se préparer, apprendre à les connaître. Les à ramener à la vie les fantaisies Salammbô et de son hyper sexualisation se portraits viendront dans un second temps, sexuelles d’une société inhibée, retrouvent jusque dans le quartier rouge de après des prises de vues plus distanciées Hambourg, dans l’antre éponyme tenue par et la timidité du photographe vaincue. Des à la pleine vue d’un public, et en un certain René Durand entre les années strip tease aux relations sexuelles perfor- échange d’un petit coût. 1960 et 1980. Club de strip tease et de live mées en direct, André Gelpke n’omet aucune sex, ledit « Salambo » évolue parmi les « Co- scène. Sa manière objective les tableaux qui libri » et « Safari » qui jalonnent la Reeper- se jouent devant lui, à l’image de la descrip- Malgré une interaction entre le bahn, connu populairement sous le nom de tion technique qu’il en fait : « les activités « kilomètre du péché » (die sündigste Meile). sexuelles sur la scène étaient réelles, les propriétaire avare d’un théâtre Des noms pour dire, à coups de néons cli- parties du corps concernées, qu'elles soient et la lascivité du public, le perfor- gnotants, qu’ici on fait commerce des cli- hétérosexuelles ou homosexuelles, étaient chés de « tropiques et de palmes » pour entremêlées les unes avec les autres. Cela se meur ne pouvait recevoir qu’une emprunter l’expression de Victor Segalen. passait généralement au milieu de la scène, chose : l’espoir d’un monde idéal. » Derrière les portes du Salambo, s’exposent sur une plate-forme tournante qui permet- sur scène Wilbert, Angelique, Yvonne, Rita, tait de voir le couple en train de copuler de des vies que seule la nuit vient éclairer ; face tous les côtés. » à elles, assis et repu, un public d’anonymes, Photographiant ainsi la mécanique du des hommes et parfois quelques femmes, théâtre du sexe, il place dans son cadre tous les regardent. ses accessoires : paillettes, plumes, cuis- C’est au début des années 1970 que le jeune sardes en skaï, godemichets, fausses four- photographe André Gelpke (1947, Beien- rures léopard et autres tissus à pas chers rode), étudiant d’Otto Steinert à la Folkwang s’étalent face à une clientèle en habit du School à Essen, décide d’en faire son sujet. dimanche. C’est elle et ce qu’il nomme le « Le projet documentaire, commencé en 1972, double standard de moralité » d’une socié- s’achèvera en 1979. Dès la première nuit, té allemande qui réprime dehors ce qu’elle pluvieuse, passée à arpenter la Reeper- consomme avec tant d’appétit depuis la bahn, le photographe fait face à l’évidence : salle du Salambo, qui retiendra tout autant « personne, mais vraiment personne, ne l’y son attention. Aux côtés des plans larges attend. » Espérant contrer l’indifférence des prennent place, comme en contrepoint, de clubs et de leurs videurs, il s’essaie quelques nombreux portraits des performers, en pied, nuits au Café Lehmitz, sur les bancs duquel avec le seul silence des coulisses pour re- le photographe suédois Anders Petersen cueillir leurs espoirs et aspirations. R.Stopin avait, quelques années auparavant en 1969- 70, réalisé une galerie de portraits qui fera date. L’entremise faite par une danseuse rencontrée lors d’une énième nuit pluvieuse, André Gelpke parvient enfin à être accepté au Salambo.

17 Philippe Druillet, Salammbô, planche, coll. part. PARTIE II : SALAMMBÔ : SENSIBILITES CONTEMPORAINES

2. Salammbô et Métal Hurlant : l’épopée de Philippe Druillet

Lorsque Philippe Druillet, auteur de bande Flaubert. A l’issue d’un travail titanesque de L’œuvre de Druillet conquiert un très large dessinée et créateur de la revue Métal sept années Druillet analyse : « J’ai décou- public dans les marges de la contre-culture Hurlant se penche sur Salammbô, le coup vert le travail de découpage de Flaubert sur et, à travers les albums, le jeu vidéo, et plus de foudre est immédiat. Ayant revisité les Salammbô. Surprise : c’est exactement le récemment la peinture, devient une réfé- productions artistiques qui le précèdent, il même que le mien ! Il y a deux colonnes où rence pour plusieurs générations. se lance dans une adaptation parfaitement il y a marqué : "puissance", "force", "calme", servie par la virtuosité de son trait, mais "amour", "violence", "bataille". Et dans mon aussi par une recherche de la démesure, du adaptation, j’ai fait pareil. » lyrisme et de l’excès fidèle aux intentions de

19 Yesmine Ben Khelil, « Ô Tanit ! Tu m’aimes, n’est-ce pas ? », 2017. © Collection Yesmine Ben Khelil

20 PARTIE II : SALAMMBÔ : SENSIBILITES CONTEMPORAINES

« Ô Tanit tu m’aimes n’est-ce pas 3. Yesmine Ben Khelil ? est une série de collages, réa- Philippe Dagen, Le Monde, 12 décembre 2020 lisée à partir de l’édition de 1890 Née en 1986 à Tunis, vit et travaille à Tunis, En 1890, Guy de Maupassant publie La Vie du roman de Flaubert, Salam- diplômée en arts plastiques (paris Panthéon errante, chronique d’un voyage en Méditer- Sorbonne) en 2012, Yesmine participe à de ranée, de l’Algérie à l’Egypte en passant par mbô. C’est en tombant dessus par nombreuses manifestations artistiques en la Tunisie. Yesmine Ben Khelil, qui est née hasard chez un bouquiniste, que Tunisie et à l’étranger. à Tunis en 1986, y a trouvé bien des lieux communs de l’orientalisme, splendeur du l’objet m’a interpelé, Salammbô La démarche de Yesmine consiste princi- couchant, lascivité des femmes, mythe d’un évoque trois temps, trois récits palement à se réapproprier ou à réinterpré- paradis perdu. Elle les transpose en collages, ter, par divers moyens, dessins, collages, la plupart de petit format, dans lesquels des qui se superposent et s’entre- installations, vidéos, des images mises en images sont découpées comme au scalpel mêlent. Celui de l’époque punique circulations sur le net, des photographies et superposées comme de fines couches anciennes, toutes sortes de documents vi- géologiques. Prises dans des livres illustrées qui est conté dans le roman, celui suels, textuels ou sonores. Le but étant de et à des cartes postales touristiques, elles de l’époque coloniale, que rap- figurer un monde saturé de représentation, sont le plus souvent rehaussées de lignes de transformé en flux d’informations où se couleur délibérément kitsch et placées sur porte Flaubert durant son séjour transposent passé et futur, fiction et réalité. des fonds aquarellés ironiquement décora- en Tunisie, et l’actuel, qui est naît tifs, qui rappellent les papiers marbrés des Yesmine tente ainsi à travers différents mé- reliures du temps de Maupassant. Ainsi Ben d’une confusion entre fiction et diums de rendre visible un monde « réel » Khelil réunit-elle une galerie d’imageries vérité historique. Ainsi c’est cet en dissolution. exemplaires de ce que fut l’exotisme oriental en Europe − et de ce qu’il est encore si fré- effet de strates que j’ai voulu quemment aujourd’hui. rendre dans ces collages. L’image est traitée comme une surface disséquée qui révèle la multitude de couches de matières et de temps qui la composent. »

Yesmine Ben Khelil

21 22 PARTIE II : SALAMMBÔ : SENSIBILITES CONTEMPORAINES

4. Douraïd Souissi

Douraïd Souissi est un photographe dont Ses photographies ont été exposées dans En sillonnant Carthage, Douraïd Souissi le travail traite principalement des relations plusieurs institutions et manifestations d’art nous donne une image vivante de la Tuni- entre l’espace, la société et l’individu. Dans contemporain et de photographie tels que le sie contemporaine, et de l’appropriation du plusieurs séries réalisées dans sa Tunisie 1:54 à Londres, l’Institut du Monde Arabe et personnage de Flaubert par les habitants natale, il explore des régions particulière- AKAA à Paris, l’Instituto Tomie Ohtake à São du quartier de Salammbô. Comme les ar- ment marginalisées telles que Kef, Siliana Paulo, Villa Empain à Bruxelles, Voies Off à chéologues sur le site du Tophet, il nous et Kairouan, en utilisant principalement des Arles et Expo-Talan à Tunis. Il s’investit as- invite à confronter les images de la litté- photographies de paysages pour explorer sidûment pour que ses oeuvres soient ex- rature à celles que nous offre un réel bien des problématiques sociales, historiques et posées également un peu partout en Tunisie malicieux. On ne résiste pas à s’abandonner politiques étroitement liées au contexte ac- comme à Siliana, Kef, Haouaria, Hammamet, à quelques divagations littéraires en obser- tuel de la post-révolution. Son dernier tra- Ghar el Melh, et Douz, où il a déjà exposé. vant un serpent onduler sur le caducée du vail intitulé “Mohamed Salem Omrane Hbib Centre médical Salammbô, devant l’entrée Hsouna Alaa Farid Hamza Mehdi Oussama Douraïd Souissi a enseigné la photographie du Parc de Salambô où festoient peut-être Kamel” —une série de portraits d’hommes à l’École Supérieure d’Audiovisuel et de Ci- encore quelques mercenaires, et l’on rêve plongés dans un vaste espace vide et néma de Gammarth, a effectué une rési- aux amours coupables de Mathô et de la fille sombre— évoque discrètement et subtile- dence d’un an à la Cité Internationale des d’Hamilcar sous l’enseigne lumineuse de l’ ment des thèmes aussi denses et variés que Arts de Paris en 2016-2017 et est titulaire Hôtel Salammbô (une étoile). le rôle des images, l’identité, le mépris social, d’un Master en philosophie de Marquette la spiritualité. University aux États-Unis.

23 Marie-Jeanne Lecca, Costume pour Salammbô, opéra de Philippe Fénelon, mis en scène par Francesca Zambello, Opéra-Bastille, 1998. Porté par une figurante pour le rôle d’une servante. En dépôt à Moulins, Centre National du Costume de Scène. © CNCS/Florent Giffard

24 PARTIE II : SALAMMBÔ : SENSIBILITES CONTEMPORAINES

5. Retour à l’opéra : Philippe Fénelon et Salammbô

En s’appuyant sur un livret de Jean-Yves — nous l’avons constaté en évoquant le livre consultation des documents archéologiques Masson, la Salammbô de Philippe Fénelon autour de nous —, qu’Hamilcar, personnage et par l’étude des historiens antiques, nous propose une adaptation moderne acclamée historique, a réellement eu une fille nommée n’avons fait que respecter paradoxalement à l’Opéra de Paris en 1998, sans renoncer à Salammbô. l’intuition qui gouvernait son usage de l’éru- la beauté sulfureuse, exotique et sensuelle Plus fondamentalement encore, dans les dition, persuadé qu’il était de devoir en fin de de l’ouvrage de Flaubert. « Nous reconnais- noms de Rome et, surtout, de Carthage, compte se conformer, en l’absence de certi- sions dans Salammbô, écrivent les deux se concentre l’idée de deux grandes puis- tudes sur ce que fut réellement Carthage, « comparses, des situations de lutte pour sances rivales qui ont une valeur mythique à une certaine idée vague que l’on s’en fait » le pouvoir qui pouvaient nous permettre universelle que nous pouvions exploiter (lettre à Ernest Feydeau, octobre 1858). C’est de faire de notre adaptation une mise en : aussi étions-nous certains que l’action pourquoi, du reste, on sous-estime souvent garde contre toutes les formes de dictature construite par Flaubert, même dépouil- la part d’ironie que comporte l’érudition de qui guettent une société endormie dans sa lée de toute la documentation historique Flaubert dans Salammbô, qui ne contredit prospérité, une dénonciation du mensonge et des détails innombrables qui ont servi nullement la mélancolie profonde qui tra- et de la trahison qui conduisent au chaos. au romancier à donner l’illusion de la cou- verse toute l’œuvre. » Mais nous pensions que cette volonté s’ex- leur locale, conserverait sa force évocatrice primerait de façon d’autant plus efficace que et que, situant l’action dans un au-delà de Cette œuvre, qui fut le premier opéra notre sujet ferait appel à un univers déjà l’histoire bien plus imprécis que chez Flau- contemporain créé à l’Opéra Bastille, est présent, même de façon vague, dans la mé- bert, nous pourrions parler efficacement à présente dans l’exposition avec les manus- moire des futurs auditeurs de l’œuvre. (…) les la conscience du spectateur de cette fin du crits autographes du compositeur, les pho- principaux personnages du roman de Flau- XXe siècle. En ôtant au récit de Flaubert une tographies de la mise en scène de Francesca bert ont une certaine existence dans l’in- part de ces images qu’il a pris tant de peine Zambello, et les splendides costumes de conscient, au point que certains s’imaginent à étayer, sa correspondance l’atteste, par la Marie-Jeanne Lecca."

25 PARTIE II : SALAMMBÔ : SENSIBILITES CONTEMPORAINES

6. Et s’il n’y avait pas eu Salammbô, longtemps après... Samia Kassab-Charfi (Université de Tunis)

Un jour. Un certain jour, précis, On le verra, la relation des écrivains tuni- notre contemporanéité mondialisée, choc circonstancié, orageux, le cours siens avec Flaubert est passionnelle. Pas de générateur d’une « très grande violence » ? quartier. On s’attendrait presque à : « Pour- Au-delà même de l’intérêt scientifique que de l’âme humaine a entièrement quoi n’a-t-il pas attendu que nous soyions peut représenter la reconstitution de « l’im- changé. Il y a eu le jour où, là ? Pourquoi a-t-il écrit seul, sans nous ? » pressionnante investigation intellectuelle » À contretemps – comme la littérature, tou- accomplie par un Flaubert archéologue du le matin, certaines vieilles divini- jours – il a fallu doucement, parfois amère- terrain carthaginois, c’est l’aptitude de son tés couraient encore sur la terre, ment, formuler la substance de l’attente et la écriture – et de là, sa sidérante moderni- posture. Ici, en l’occurrence, deux écrivains té – à inscrire une anticipation des chocs à comme elles le faisaient depuis francophones, une femme et un homme, venir qui retient l’attention, en une « vision trente-cinq mille générations, tous deux êtres d’entre-deux, ont accepté prophétique du passé » (Édouard Glissant). d’en parler, avec leur ton singulier et leur vi- Anticipation qui commande au lecteur d’ef- et le soir, elles sont descendues sion propre, allant vers cet écrivain étrange fectuer l’itinéraire inverse de celui accompli sous les replis les plus secrets de venu à Carthage découvrir et éprouver une par Flaubert : non plus depuis le site car- altérité qui lui manquait sans doute, fasciné, thaginois jusqu’à l’œuvre composée, mais la terre et elles n’ont plus jamais épris, saisi peut-être d’une soif d’exotisme, des parages romanesques vers le site per- mis leur étrange pied dehors, cueilleur d’histoires et fabuleux conteur. pétuellement enténébré des turbulences Dans une étude consacrée à Salammbô, historiques – au lieu même de l’impossible à l’extérieur. Notre propre monde, où elle fait valoir le formidable potentiel de trêve –, ce qui est au fond le propre de tout y compris ses religions, ses pro- l’œuvre à remettre « en circulation le sym- art intemporel, qui fait sens conjointement bolique et ses implications dans la violence dans le moment et hors du moment de sa phètes, ses régimes, ses sciences de l’histoire », la chercheure franco-algé- conception. L’œuvre alors devient désor- et ses ignorances, a commencé le rienne Beida Chikhi souligne que Salammbô mais le site privilégié de l’appropriation du « fait partie de ces œuvres qui modèlent, lecteur, où qu’il soit, et surtout, par l’avè- lendemain matin. [...] parfois transforment radicalement, la re- nement différé d’une heureuse réciprocité, Et s’il n’y avait pas eu Eschyle, lation subjective que l’on peut avoir avec dans « l’espace socioculturel » d’en face – la littérature, l’histoire, la culture » . C’est Afrique du Nord... Sans doute aussi faut-il longtemps après, si Eschyle d’ailleurs tout l’enjeu symbolique de cette se demander si ces « marques des tensions le poète n’était pas né pour déter- renégociation des liens entre histoire et lit- infligées aux textes sources » que relève B. térature, entre identité et récit historique, qui Chikhi dans Salammbô ne seraient pas les rer les vieilles paroles enfouies,et est formulé dans l’extrait de Nedjma cité par stigmates stylistiques des antagonismes et pour reconstituer « ce jour inouï », B. Chikhi, enjeu cristallisé dans le roman de outrances historiques, en un effet de trans- Kateb Yacine par le risque ultime de « perdre fert bien plus éloquent que ne le serait tout l’Oubli absolu aurait gagné. ma Salammbô et d’abandonner à mon tour réquisitoire abrupt. Ainsi, et plutôt que de « la partie ». Comme si le roman de Flaubert rendre intelligibles les étranges recommen- figurait, par l’appareil subtil d’intrications et cements de l’histoire de l’Afrique », comme le de passerelles qui compliquent la cartogra- prétend Louis Bertrand , Salammbô ébranle phie des appartenances, l’incommodité du de la manière la plus radicale le stéréotype lien organique à la patrie, ce lien cependant du déterminisme géohistorique africain en transtemporel où perdure la trace d’identités introduisant de l’inhomogène et du dissem- concurrentes, précisément à la faveur d’un blable là où une vision paresseuse se suffi- récit des origines différent – sujet majeur rait d’une triste et fausse unité ethnologique. de cet autre chef-d’œuvre de la modernité Elle l’ébranle avec la sensualité violente du littéraire francophone qu’est Nedjma. Dès style, les accidents et les dénivelés de la lors, le désir de Flaubert « d’explorer une syntaxe, les saines démesures de l’hypoty- contrée qui progressivement entrait dans pose – qui toujours dans Salammbô invitent sa propre histoire » ne résonne-t-il pas dans à mettre en doute le « réalisme » de Flaubert le contexte actuel comme une troublante –, avec les hésitations et les trépignations prescience de ce « choc des territoires gravées dans l’historique génétique du ma- symboliques » auquel nous assistons dans nuscrit flaubertien. 26 PARTIE III : SALAMMBÔ : EXTRAITS CHOISIS

1. Carthage ressuscitée par Flaubert Ahmed Ferjaoui, Institut National du Patrimoine (Tunis)

« … me croyez-vous Dès la parution de Salammbô en 1862, la été insuffisant sans un grand talent d’évo- question de la représentation de Carthage cation exercé depuis son enfance, et sans assez godiche pour être qui constitue la trame du roman a été posée une fascination pour l’Orient puisée chez et la réalité historique de cette œuvre a été les auteurs lus durant sa jeunesse : Voltaire, convaincu que j’aie fait mise en doute. Historiens et critiques litté- Byron, Hugo et d’autres. Cette véritable raires étaient partagés entre admirateurs qui passion pour le Levant lui a permis, outre dans Salammbô une croyaient que l’auteur a su reproduire, grâce la réalisation de son chef-d’œuvre littéraire, à son génie, une civilisation méconnue, et d’entrer de plain-pied dans une réalité plus vraie reproduction de sceptiques de la vision de ce dernier, telle- lentement et difficilement accessible à la ment notre ignorance de cet univers était méthodologie prudente des chercheurs. Il Carthage ? Ah non ! grande. Cette dernière a été développée à était aidé aussi par son recours à l’induction travers les aspects matériels de la culture chaque fois que la matière manquait et que mais je suis sûr d’avoir carthaginoise comme la guerre, l’armée, la source directe faisait défaut. le commerce, pour lesquels l’auteur a sui- exprimé l’idéal qu’on en a vi les sources littéraires classiques, mais L’analyse de cet idéal que Flaubert nous a lais- aussi à travers la religion, la cosmogonie, sé n’est pas sans intérêt. En dépit des erreurs aujourd’hui ». les mythes, les légendes, les pratiques reli- historiques qu’il a commises, reflet de l’état gieuses, les coutumes, les parures etc., dont des connaissances de l’époque, l’image qu’il les sources étaient très rares voire absentes. nous a transmise avait pour toile de fond la Gustave Flaubert (éd. 1971 – 1975), t. 16 : Cette composante essentielle de la culture et Guerre des Mercenaires que Carthage a subie 310. Citation apud P. Adda, Introduction à du roman que nous avons effleurée dans un au lendemain de sa première défaite contre Salammbô, Paris, Cluny, 1937, p. V travail précédent, mérite d’être reconsidérée Rome en 238 av. J.-C., guerre que l’on connait à l’occasion du bicentenaire du Flaubert. grâce au récit de l’historien grec Polybe. A cette trame historique Flaubert ajoute la pas- À l’époque où le romancier décide d’écrire sion de l’un des chefs révoltés, Mathô, pour sur Carthage, de ressusciter sa culture et Salammbô, fille imaginaire du général car- sa civilisation, on ne savait presque rien sur thaginois Hamilcar. L’évocation de Carthage, cette ville et sur son histoire. Le site était cependant, déborde les événements de 238 parfaitement sauvage, transformé depuis le pour faire allusion à d’autres moments de Moyen Âge en véritable carrière servant à la l’histoire de la ville et à de nombreux aspects construction et à l’embellissement de palais de sa culture. Ainsi, par exemple, Hérodote, et d’édifices divers, aussi bien en Tunisie Aristote, Diodore de Sicile, Justin, Appien qu’à l’étranger. […] ont été mis à contribution pour évoquer les différents peuples qui constituaient l’armée Pour guider sa reconstitution Flaubert avait des mercenaires, les institutions puniques, donc à sa disposition davantage de légendes la ville, les sacrifices d’enfants etc. L’image et d’hypothèses que d’éléments archéolo- de cette guerre, peinte à partir de ces témoi- giquement et historiquement établis. Son gnages et des inductions qu’il a faites à partir recours aux bibliothèques, à l’érudition la de ces derniers, est proche de celle véhiculée plus récente et aux études de terrain, aurait par ces sources.

27 PARTIE III : SALAMMBÔ : EXTRAITS CHOISIS

2. Salammbô, le défilé des cimaises Dominique Lobstein, historien de l'art

« Ah ! Qu’on me le montre, Ironie du sort, c’est ce fameux Hannibal qui évoluèrent au fil du temps –, qu’en 1880, sortira le premier du roman pour apparaître date du décès de Flaubert, et y apparaître le coco qui fera le portrait sur les cimaises officielles, en 1869. Cette dorénavant très régulièrement pendant année-là, le sculpteur Prosper d’Epinay vingt ans avant de disparaître progressive- d’Hannibal et le dessin (1836-1914) a fait enregistrer, sous le numé- ment durant les vingt années suivantes. […] ro 3413, un groupe en bronze qu’il a intitulé d’un fauteuil carthaginois ! L’Enfance d’Hannibal. Bien que son auteur En 1882, les cimaises allaient accueillir à se soit gardé de mentionner la source de sa nouveau une version peinte, par Adrien Il me rendra grand service. représentation, il illustrait exactement un Adolphe Bonnefoy (dates inconnues) qui extrait du chapitre « Hamilcar Barca » de Sa- renouvelle l’iconographie s’il faut en croire Ce n’était guère la peine lammbô, où on lit : « L’autre lune, croirais-tu, la description du tableau qu’en donne il a surpris un aigle ; il le traînait, et le sang de Théodore Véron : « Salammbô, vêtue d’une d’employer tant d’art à l’oiseau et le sang de l’enfant s’éparpillaient longue tunique blanche, s’avance sur le bord dans l’air en larges gouttes, telles que des d’une terrasse d’où l’on découvre la ville au laisser tout dans le vague, roses emportées. La bête, furieuse, l’enve- loin, et adresse une invocation à la lune dont loppait du battement de ses ailes ; il l’étrei- le croissant argenté brille dans le ciel as- pour qu’un pignouf vienne gnait contre sa poitrine, et à mesure qu’elle sombri. Auprès d’elle un trépied supportant agonisait ses rires redoublaient, éclatants et des charbons ardents dont la fumée s’élève. démolir mon rêve par sa superbes comme des chocs d’épées. » Six Au fond, dans une salle ouverte, une esclave ans plus tard, ce sera au tour de l’héroïne agenouillée accompagne l’invocation des précision inepte.» de Flaubert d’être représentée et exposée sons de sa lyre. Motif tiré de l’œuvre célèbre au Salon. L’auteur du tableau, originaire de de Gustave Flaubert. Effet de nuit bien com- Gustave Flaubert dans une lettre à son ami Lemberg, dans l’actuelle Ukraine alors autri- pris. » Par contre, le sculpteur Jean-Antoine Jules Duplan, 24 juin 1862. chienne, Alexandre Albert de Cetner (dates Idrac (1849-1884) expose sous le numéro inconnues), était venu se former au « grand 3991, une statue de plâtre qui porte le nom genre » à Paris et avait choisi d’étudier au- de l’héroïne… accompagnée de son serpent. près d’Alexandre Cabanel (1823-1889). Son tableau, exposé en 1875 sous le numéro Au Salon suivant, en 1883, sous le numéro 395, portait uniquement le nom de l’héroïne, 4492, il en propose la version en marbre qui mais un sous-titre qui, à défaut de critique est acquise par la direction des Beaux-Arts dans la presse contemporaine, permet de sans soulever l’enthousiasme de la presse : « préciser le sujet : « G. Flaubert, le Serpent. », La carthaginoise Salammbô est ici représen- faisant ici encore explicitement référence à tée debout, roulant son serpent autour de son l’un des chapitres les plus célèbres du ro- bras. Aucune idée spéciale, aucune intention man, le dixième intitulé Le Serpent, qui trou- humaine ne ressort de cette académie habile- vait là une de ses premières évocations. ment taillée dans le marbre. Si ce n’est qu’une étude, pourquoi l’intituler Salammbô ? Si La princesse carthaginoise et ses acolytes c’est une Salammbô, pourquoi est-elle d’un créés par Flaubert allait retomber dans l’ou- caractère si vague ? Je le répète : ce n’est pas bli pour plusieurs années. Le nom de Salam- assez de savoir rendre, il faut savoir ce qu’on mbô n’allait resurgir sur les murs du Salon rend. » (Louis de Fourcaud, « Appendice au – manifestation artistique officielle régulière Salon. Notes sur la Sculpture », Le Gaulois, n° créée sous Louis XIV, dont la forme et le nom 1021, 30 juin 1883, p. 2.)

28 3. Salammbô au cinéma Joël Daire, directeur du patrimoine, Cinémathèque française

« Tout homme qui se sert À la différence de Madame Bovary, qui fit jourd’hui bien oublié, il avait alors à son ac- l’objet d’une vingtaine d’adaptations pour tif une douzaine de films avant de réaliser de la photographie est le cinéma et la télévision, la Salammbô Salammbô. Il bénéficia en outre du plus de Flaubert n’inspira guère les cinéastes. grand chef-opérateur français de l’époque, d’ailleurs coupable ». Certes, dès 1907, Jacques Deviola signait Léonce-Henri Burel (collaborateur attitré une Salambô aujourd’hui perdue dont il ne d’Abel Gance, André Antoine et Jacques Gustave Flaubert, subsiste que quelques photos. En 1911, l’ita- Feyder). La qualité de la photographie de lettre à Georges Feydeau lien Arturo Ambrosio réalisa La Prêtresse Salammbô lui doit tout. […] de Tanit, également perdue semble-t-il. Puis en 1914, Domenico Gaido propose une Le film bénéficia d’une promotion impor- nouvelle version sous le titre Salambô. La tante, étant annoncé régulièrement dans la prêtresse de Tanit y est interprétée par Su- presse cinématographique plusieurs mois zanne de Labroy. En dépit d’une entrée en avant sa première, qui eut pour cadre rien matière assez laborieuse (25’ sur 75), le film moins que l’Opéra de Paris en octobre 1925. recèle malgré tout bien des qualités, à com- mencer par les acteurs, le luxe des décors et La Cinémathèque française exhuma le film des costumes, les séquences finales du film de l’oubli en 1991, à l’occasion du festival Ci- particulièrement réussies sur le plan photo- né-Mémoire qu’elle venait de créer. Le film graphique. fut projeté dans la cour d’honneur du Pa- En 1924, le producteur Louis Aubert confie lais des Papes en Avignon, restauré par les à Pierre Marodon une version de Salammbô Archives françaises du Film (CNC), avec la vraiment fidèle au roman de Flaubert. Marc partition de Florent Schmitt (170 exécu- Allégret envisagea un temps une adaptation tants sur scène, dont 70 choristes, sous la au début du parlant, mais il n’en subsiste que direction de Jacques Mercier). C’est bien la le synopsis, le film n’ayant jamais été tourné. musique de Schmitt qui, de l’avis d’une cri- Puis, plus rien avant la fin des années 1950, tique unanime, fit l’intérêt de cette résurrec- où Sergio Grieco tire du roman un péplum tion, plus que le film lui-même, jugé un peu de série B qui aura une certaine audience trop « décoratif » et ne bénéficiant pas d’une dans les cinémas de quartier mais ne sus- direction d’acteurs à sa mesure. Mais beau- citera guère l’intérêt de la critique. Signalons coup saluèrent la qualité de la photographie encore en 1960, un Carthage en flamme signée par Burel, et la qualité expressive du signé Carmine Gallone (avec un casting de dernier tableau (la mort de Matho et de Sa- luxe : Pierre Brasseur, Daniel Gélin, Terence lammbô). « Dispendieux navet ou péplum Hill…) qui n’est pas inspiré du roman de Flau- baroque » s’interrogeait alors de quotidien bert bien que le sujet s’en rapproche. belge Le Soir (3 août 1991) ? La question C’est donc autour du film de Pierre Marodon restera posée aux spectateurs de la présente et Louis Aubert que se concentre pour l’es- exposition à travers extraits du film, af- sentiel le destin de Salammbô à l’écran. […] fiches, photographies, matériel publicitaire Si Pierre Marodon est un réalisateur au- et périodiques d’époque.

29 PARTIE III : SALAMMBÔ : EXTRAITS CHOISIS

4. Salammbô à l’opéra Mathias Auclair, directeur du département de la Musique, Bibliothèque nationale de France Passionné d’opéra, Flaubert témoigne à plu- effet, la partition est commandée à Florent « Tout cela était-il sieurs reprises de ses émotions lyriques et Schmitt pour la première au Palais Garnier fréquente régulièrement le salon de la can- du film Salammbô, réalisé par Pierre Maro- vraiment musicable ? » tatrice Pauline Viardot, où est exposé à de- don. La générale a lieu le 22 octobre 1925 et meure le manuscrit autographe du Don Gio- elle est suivie de six représentations dans vanni de Mozart qu’il admire plus que tout : ce théâtre, mais lorsque le film est ensuite « Les trois plus belles choses que Dieu ait projeté en salles (notamment au Gau- faites, c’est la mer, l’Hamlet et le Don Juan de mont-Palace), il n’est plus accompagné par Mozart . » Ce goût de Flaubert pour l’opéra se la musique de Schmitt. En outre, lorsque le lit aussi dans ses romans qui, pour la plupart, compositeur fait éditer sa partition deux ans contiennent des références à la vie musicale plus tard, il évite toute référence au film, qu’il et théâtrale de leur temps : les artistes et la considère comme « un peu incohérent » et sociologie du Théâtre des Arts de Rouen intitule ses trois suites : « Salammbô : il- dans Madame Bovary, le salon de Maurice et lustration de quelques pages de Gustave Élisa Schlésinger (alias Monsieur et Madame Flaubert ». Redécouverte à l’occasion de la Arnoux) dans L’Éducation sentimentale… restauration du film de Marodon et de sa Dans un registre différent, Flaubert soigne projection au Festival d’Avignon et au Palais tout particulièrement l’atmosphère sonore de Garnier en 1991, la musique de Schmitt ré- Salammbô, une « œuvre emplie de musique unit quelques extraits d’œuvres antérieures jusqu’au silence ». Mais plus encore que la du compositeur (Antoine et Cléopâtre et musique des tambourins, des crotales et des Mirages) au sein d’une partition composée buccins, ce sont les allures d’« opéra en prose en très grande partie pour le film lui-même. » du roman qui expliquent le grand nombre Construite sur l’intervalle de quarte augmen- d’œuvres lyriques qui en sont inspirées. C’est tée (dite triton) qui symbolise pour Schmitt un panorama synthétique et non exhaustif la barbarie orientale, elle est très évocatrice de ces mises en musique de Salammbô que de l’atmosphère violente et voluptueuse cet essai tente de dresser . de Salammbô au travers de quatre types de séquences qu’identifie la biographe du Florent Schmitt compositeur, Catherine Lorent : « scènes À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, Sa- de volupté orientale », « scènes de magnifi- lammbô donne lieu à plusieurs adaptations cence », « scènes de désolation » et « scènes lyriques sur lesquelles le destin semble de violence». Par son esthétique, elle est s’être acharné : la Salammbô de Nicolò Mas- proche des grandes pages orchestrales de sa, créée avec succès à Milan en 1886, n’est Claude Debussy et de Maurice Ravel. Ainsi, plus connue que par quelques fragments ; le « supplice de Mathô » de la troisième suite celle d’Andreas Börtscher, donnée pour la rappelle la « danse guerrière » de Daphnis première fois en 1920 à Altenbourg sans être et Chloé. À l’issue des premières projections ensuite reprise, connaît un sort identique. à l’Opéra, le film de Marodon est très criti- Au moment où il est porté plusieurs fois à qué tandis que la musique de Schmitt est la scène dans différents pays, le roman de couverte d’éloges. Ainsi, le musicologue et Flaubert inspire aussi la musique pure : Sa- grand spécialiste de Flaubert, René Dumes- tie aurait pensé à Salammbô en composant nil affirme : « […] de tous les collaborateurs ses Gymnopédies en 1888 ; André Caplet du cinédrame, c’est le musicien, seul, qui a en France et Henry Franklin Belknap Gilbert compris Flaubert et seul a servi sa mémoire. aux États-Unis créent chacun un poème […] Si nous avons perçu au-delà d’une réali- symphonique sur ce thème, respectivement sation matérielle conjecturale ou imparfaite en 1901 et 1906. Grâce à la suite orchestrale les intentions du poète, si nous avons senti composée par Florent Schmitt pour le ciné- toute la beauté, toute l’horreur d’une œuvre ma, la musique de film n’est pas non plus en éclatante et tragique, d’une « œuvre pourpre reste, même si, à certains égards, la création d’or », c’est à la musique de Florent Schmitt de Schmitt s’apparente plus à de la mesure que nous l’avons dû. » 30 pure qu’à de la musique pour le cinéma. En 5. Salammbô en bande dessinée, orchestrée par Philippe Duillet Christophe Quillien, auteur, historien de la bande dessinée

« Pour la première fois, un auteur de bande de Gustave Flaubert, dont j’allais aussitôt GUSTAVE FLAUBERT PHILIPPE DRUILLET dessinée illustre un classique de la littéra- dévorer l’œuvre entière, et de l’Antiquité », ture », se réjouit Philippe Druillet dans De- déclare-t-il dans le livre Avec Alix-L’univers lirium. Fidèle à sa tendance à l’excès, qui de Jacques Martin. Destinée à un jeune pu- caractérise son graphisme comme sa vie blic, sa série ne fait toutefois que suggérer la

FLAUBERT DRUILLET FLAUBERT personnelle, le voilà surpris en flagrant délit violence et la cruauté à l’œuvre chez Flau- de réécriture de l’Histoire... Car Salammbô, bert. Carthage apparaît pour la première fois longtemps avant lui, a fait l’objet de bandes dans L’île maudite. Outre une référence au dessinées dont la plupart sont tombées dieu Moloch, « dont la gueule béante crache dans l’oubli, signées par Robert Dansler, des flammes en permanence », Martin lance Pierre Dupuis, Fernandino Fusco, Gahou, un clin d’oeil à ce passage qui voit Mâtho L’INTÉGRALE Christo ou Marc-René Novi. En 1950, dans et Spendius se laisser porter par le courant Vaillant, « l’ancêtre » de Pif Gadget, le scé- d’un aqueduc pour s’introduire dans la cité nariste Jean Ollivier l’adapte pour Raymond punique. Celle-ci est de nouveau évoquée Poïvet, le dessinateur des Pionniers de l’Es- avec La Griffe noire, à travers le récit drama- pérance. Deverchin et Cheneval publient en tique de l’extermination des habitants d’Ica- 1966 La révolte des mercenaires dans l’heb- ra, l’une de ses colonies. Le Tombeau étrus- domadaire Tintin, une version de Salammbô que déroule, en quelques cases, l’argument ISBN 978-2-7234-7991-2 condensée en quatre pages. de Salammbô, avant de mettre en scène le 35,50 € PRIX TTC France 74.3785.8 meurtre rituel d’enfants offerts en sacrifice

660101 SSALAMMBOALAMMBO NNE[BD].inddE[BD].indd 1 004/02/20164/02/2016 009:369:36 Salammbô – L’intégrale, de Gustave Flaubert et Philippe à Moloch. Et dans Le Spectre de Carthage, Druillet © Editions Glénat 2010 Jacques Martin, créateur en 1948 de la série la jeune Samthô est une référence évidente Alix dans ce même Tintin, s’est lui aussi ins- à l’héroïne de Flaubert. « J’ai imaginé une piré de Flaubert et de Carthage. Salammbô a femme qui, deux siècles après la révolte des été l’une de ses influences, à l’origine de son mercenaires, caresserait l’espoir d’être une intérêt pour l’Antiquité. « Alors que j’étais nouvelle Salammbô », confie Jacques Mar- à la recherche d’une idée à présenter au tin. Avec cet album, il a voulu rendre hom- journal Tintin, je relus Salammbô. Là, ce fut mage à l’écrivain et « à ce prodigieux Salam- quelque chose d’énorme, un véritable tour- mbô que je relis au moins tous les deux ans nant dans ma vie ! Je m’épris simultanément et sur lequel il me fallait bien revenir ».

31 PARTIE III : SALAMMBÔ : EXTRAITS CHOISIS

6. Les joyaux de Salammbô : Inspiration et reconstruction carthaginoises

Anaëlle Gobinet-Choukroun, Assistante de roïne : création d’un « ceinturon lune argent conservation (Musée d’art et d’histoire du or rouge émail noir or » (cat. 296) et d’une Judaïsme) « grande coiffure haute or argent pierreries fleurs pavot » (cat. 293). Mais difficile de sa- Les abondantes descriptions des costumes voir si la cantatrice portait bel et bien « entre carthaginois du roman flaubertien ont été les chevilles une chaînette pour régler sa une manne précieuse dans laquelle les marche » … […] costumiers de l’Opéra de Paris ont puisé pour son adaptation lyrique. Les dessins Les créations de Richard Gutperle pour Sa- du peintre Georges Clairin et du costumier lammbô marquent certainement l’apogée de Charles Bianchini pour la création bruxel- la bijouterie de scène orientaliste. On notera loise témoignent d’un premier état de ces notamment l’utilisation allégorique de l’or et costumes, d’une « Salammbô en corset » de l’argent pour signifier la dualité entre Mo- aux atours relativement simples et conven- loch (le feu) et Tanit (la Lune), la récurrence tionnels. […] du motif de croissant lunaire, ainsi que l’em- ploi de véritables opales et chrysoprases On sollicite le costumier Eugène Lacoste, qui - pierres prétendument apotropaïques. Ces réalise 118 dessins aquarellés entre mai et bijoux s’inscrivent à la fois dans l’histoire juin 1892. Charles Bianchini l’assiste, repre- des arts décoratifs fin-de-siècle et dans nant ses maquettes de 1890. Les costumes celle de l’Art Nouveau. Ils entrent en réson- sont réalisés dans les Ateliers de couture de nance avec les parures scéniques de Lalique Rose Caron dans le rôle-titre de Salammbô, costume de l’Opéra, supervisés par la première d’atelier pour Sarah Bernhardt, et l’interprétation prêtresse, photographie, Bibliothèque-musée de l’Opéra Madame Floret. Seuls les costumes de la précieuse de Georges Fouquet (cat. n°149 et / BnF scène du camp des barbares en fête (Acte n°391). Notons enfin que la coiffe aux plumes I, 5e tableau) sont empruntés à la loueuse de paon et lotus de Salammbô est présentée Delphine Baron. Pour la fabrication et l’en- à l’Exposition Universelle de 1900 comme tretien, on sollicite les fournisseurs habituels l’un des emblèmes du savoir-faire des ate- : M. Martineau pour les fleurs et feuillages liers de l’Opéra, gage de légitimation de ces artificiels, MM. Églésia et Gutperle pour la bi- bijoux en faux au même titre que la bijoute- jouterie et l’armurerie. Les livres de comptes rie précieuse. Ainsi encensés, les joyaux de conservés à la BMO détaillent ces dépenses la Salammbô de Reyer fusionnent avec ceux à la perle près. Ils permettent de constater de Flaubert dans l’imaginaire des lecteurs certaines adaptations dans la parure de l’hé- de la Belle Époque.

D’après Eugène Lacoste, Coiffe portée par Rose Ca- ron dans le rôle-titre de Salammbô d’Ernest Reyer, 1892. © Pairs BnF, Département de la musique, Biblio- thèque-musée de l’Opéra de Paris

32 PARTIE IV : LA RÉUNION DES MUSÉES MÉTROPOLITAINS

UN PROJET UNIQUE ET NOVATEUR

Depuis le 1er janvier 2016, le musée des Au 1er janvier 2021 la Réunion des Musées Avec l’intégration de ces trois musées au Beaux-Arts a rejoint la Métropole et la Ré- Métropolitains s’agrandit, passant de 8 à 11 sein de la Réunion des Musées Métropo- union des Musées Métropolitains (RMM) : musées. La maison natale de Pierre Cor- litains, le moment est venu de penser le une seule et même institution qui rassemble neille, près de la place du Vieux-Marché temps long de ces musées littéraires, non sept autres musées du territoire de la Métro- à Rouen, le Pavillon de Flaubert à Crois- comme une simple juxtaposition, mais bien pole Rouen Normandie : à Rouen, le musée set-Canteleu et le musée Flaubert et d’His- comme un assemblage mobilisant les com- des Antiquités, le musée de la Céramique, le toire de la médecine, rue de Lecat, vont pétences de la Métropole Rouen Normandie, musée Le Secq des Tournelles, le Muséum rejoindre la RMM, constituant ainsi, avec le développant des réseaux d’experts et en- d’Histoire naturelle et à Elbeuf la Fabrique musée Corneille de Petit-Couronne, son pôle courageant les synergies, afin de renforcer des savoirs, à Petit Couronne le musée Pierre littéraire. l’identité littéraire de Rouen et de son agglo- Corneille et à Notre-Dame-de-Bondeville le mération. Et de s’inscrire ainsi résolument musée de la Corderie Vallois. Autant de lieux dans la perspective de la candidature de pour se ressourcer, pour stimuler l’imagina- Rouen au titre de Capitale Européenne de la tion et la créativité, pour comprendre l’évo- Culture en 2028. lution des sociétés et remonter aux sources des grands débats du monde contemporain. Parce que ces trésors de la Métropole Rouen Normandie, collectés et préservés à travers les siècles, ont une valeur universelle, l’accès aux collections permanentes est désormais libre, pour tous, toute l’année. Ça n’a pas de prix, c’est donc gratuit !

33 PARTIE V : LE MUCEM

« Salammbô » n’est jamais passé par Marseille, à la différence de Gustave Flaubert qui en 1840, s’y arrête : "C’est le lendemain en me réveillant, que j’ai aperçu la Méditerranée, toute couverte encore des vapeurs du matin qui montaient pompées par le soleil ; ses eaux azu- rées étaient étendues entre les parois grises des rochers de la baie avec un calme et une solennité antiques.

Et il ajoutait « J’aime bien la Méditerranée, elle a quelque chose de grave et de tendre qui fait penser à la Grèce, quelque chose d’immense et de voluptueux qui fait penser à l’Orient. » Cela suffirait amplement pour justifier qu’un hommage à l’auteur soit rendu, à l’occasion du bicentenaire de sa naissance.

Le projet porté par la Réunion des musées métropolitains Rouen-Normandie ne pouvait que retenir l’accueil enthousiaste du Mucem, musée des civilisations de l’Europe et de la Méditer- ranée. Il est en effet marqué par la complémentarité des approches, littéraires bien sûr, mais aussi archéologiques et iconographiques, de la peinture au cinéma. Il s’inscrit de surcroît dans la politique de coopération menée depuis 5 ans avec l’Institut national du patrimoine tunisien et le Musée national du Bardo, avec lesquels le Mucem entretient une complicité exigeante et amicale.

Jean-François Chougnet Président du Mucem

FOCUS SUR LE MUCEM

Mucem 2019 - Architectes Rudy Ricciotti et Roland Carta © Mucem - Photo Cyrille Weiner

Ouvert à Marseille en juin 2013, le Mucem - Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée – figure dans le Top 5 des musées les plus visités en France. Le Mucem est un grand ensemble constitué de trois sites, répartis Côté ville, le Centre de Conservation et de Ressources (CCR), sur près de 45 000 m2, de l’entrée du port à la Belle de Mai, en conçu par les architectes Corinne Vezzoni et André Jollivet, abrite plein centre de Marseille. les collections du musée, constituées de plus d’un million de pièces, un espace documentaire de consultation ouvert au public, Côté mer, le musée occupe un site unique incarnant parfaitement des réserves accessibles et une petite salle d’exposition. son projet d’établir un trait d’union entre les deux rives de la Médi- terranée avec le J4, bâtiment exceptionnel conçu par Rudy Ric- Véritable musée du XXIe siècle, le Mucem constitue un lieu ciotti et Roland Carta, et le fort Saint-Jean, monument historique pluridisciplinaire où anthropologie, histoire, archéologie, histoire entièrement restauré ouvert pour la première fois au public depuis de l’art et art contemporain se croisent. Il présente un regard plusieurs siècles. culturel, social, mais aussi scientifique et politique sur la plura- lité des civilisations qui ont constitué le monde méditerranéen de Ces deux bâtiments accueillent chaque année près de 10 expo- la préhistoire à nos jours. Si les expositions du Mucem abordent sitions temporaires, les rendez-vous hebdomadaires (spectacles, des thématiques variées, elles tendent toujours à apporter un conférences, cinéma…) et les temps forts de la programmation. éclairage sur la compréhension du monde contemporain

En 2019, le Mucem a confirmé son attractivité avec 1 207 000 visites.

34 PARTIE VI : PROGRAMMATION : COLLOQUES ET JOURNÉES DOCTORALES

I. Colloque : Genre et sexualité dans l’œuvre de Gustave Flaubert

C’est un défi d’envisager en bloc l’œuvre de Flaubert avec la catégo- rie du genre. Comme chaque fiction se différencie radicalement des précédentes, il n’existe pas de type flaubertien, masculin ou féminin. De récit en récit, les populations de personnages, les corps, les dé- sirs, les styles de vie, les intelligences, sont toujours renouvelés. L’œuvre mute et réinvestit chaque fois à nouveaux frais les choses de la vie et la réalité des rapports sociaux : on n’y trouve pas de scé- nario amoureux récurrent, pas d’érotique banale, pas de psycholo- gie arrêtée, pas de répartition ordinaire des rôles entre personnages masculins et féminins. Ce qu’on repère quelquefois chez Stendhal, Sand, ou Balzac, comme une insistance à dire telle situation exis- tentielle, tel désir fondamental, telle révolte, ne se rencontre pas non plus chez Flaubert. Du fait de ce défaut de constance, de certitude peut-être, et par conséquent d’évidence dans la représentation des hommes et des femmes, persiste également, d’œuvre en œuvre, toujours dramatique, le problème de leurs rapports, aussi bien dans l’espace public que sur la scène privée. Le genre, chez Flaubert, semble perpétuellement déconstruit, et dans le même temps le sexe possède une mystérieuse puissance, une puissance de scandale aussi, qu’aucun discours ne relativise ni ne normalise jamais.

C’est à cette richesse extraordinaire de l’œuvre de Flaubert que l’on souhaiterait rendre hommage dans ce colloque, à l’occasion du bi- centenaire de sa naissance. Cette extrême variété, qui fait vraisem- blablement de Flaubert un cas unique au sein de la production lit- téraire française du XIXe siècle, constitue en elle-même un sujet de méditation substantiel, mais elle peut se décliner en une série de problématiques particulières, qui concernent la sociologie du genre, mais aussi la psychanalyse, l’histoire des représentations et la poé- tique.

> Université de Rouen, avec le soutien CEREdI / GRIC / LASLAR / CRP 19 28, 29 et 30 avril 2021 Rouen, Musée des Beaux-Arts et Campus de Mrs. Algernon Bourke costumée en Salammbô, Tableau vivant à Bleheim Palace, 1897. Mont-Saint-Aignan, entrée libre. © Londres, Victoria & Albert Museum

35 II. Journées d’étude : à propos de Salammbô

Si Salammbô n’est pas le roman le plus célèbre de Flaubert, il est ce- lui qui a, dès sa parution et ce de manière tout à fait exceptionnelle et durable, influencé la peinture, la sculpture, l’illustration, la musique, le cinéma, et l’ensemble des arts, y compris la bande dessinée. Pour- quoi ?

Salammbô inaugurait une nouvelle « archéologie orientale » en s’at- tachant à Carthage (site archéologique en Tunisie) et à la « guerre des mercenaires » de 240 à 238 avant J.-C., que Michelet appelait, à la suite des historiens de l’Antiquité, la « guerre inexpiable ».En lien avec l’exposition présentée au Musée des Beaux-Arts, deux journées questionneront l’actualité de cette œuvre s’agissant de la violence politique, du sacrifice, de l’érotisme, et de ce que Flaubert appelait la « barbarie moderne ». Seront évoquées sa vision de l’Afrique, ce qu’il nommait « l’Orient du canal de Suez », la place de Salammbô dans l’histoire de l’Antiquité, de l’archéologie, jusqu’à l’histoire contempo- raine de la Tunisie. Mais aussi la puissance « visionnaire » de l’œuvre donnant lieu, aujourd’hui encore, à de multiples prolongements (ré- écritures, adaptations...) dans les différents arts. Le mot de la fin re- vient à Laure de Maupassant, qui témoigne des effets du livre sur un jeune lecteur - auditeur promis à l’avenir que l’on sait : « Mon fils Guy [il a alors douze ans] n’est pas le moins attentif ; tes descriptions, si gracieuses souvent, si terribles parfois, tirent des éclairs de ses yeux noirs, et je crois vraiment que le bruit des batailles et les hurlements des éléphants retentissent à ses oreilles. » Lettre à Flaubert, Étretat, 6 décembre 1862.

> Université de Rouen Avec Cerisy 28 et 29 juin 2021, Auditorium du Musée des Beaux-Arts Victor Prouvé, Salammbô : dessin pour le plat supérieur de la reliure, Nancy, musée de l'École de Nancy

36 III. Journée doctorale : Carthage : Reflets seuls textes anciens dont nous disposons mière la fécondité de cette mémoire et les fi- antiques, fantasmes contemporains ont été écrits par des Grecs et des Romains, liations entre les œuvres, d’étudier comment étrangers voire adversaires. Les sources du différents artistes et époques se sont appro- Dresser un état des lieux de la recherche ré- monde punique mises au jour par l’archéo- priés le mythe carthaginois, en résonance cente sur Carthage, réfléchir aux représenta- logie, vestiges, inscriptions et monnaies, avec leurs propres codes, préoccupations et tions de celle-ci à travers les siècles, et par là peinent à contrebalancer ces représenta- aspirations. même à l’influence réciproque entre les arts tions tissées de fantasme et d’idéologie. et l’histoire, voilà le propos de cette journée Mais leur rareté même, associée à une cer- > Journée doctorale d’étude. Depuis l’Antiquité, la Carthage his- taine difficulté d’interprétation, laissant libre 30 juin 2021 (sous réserve), Auditorium du torique est indissociable du mythe qui l’en- cours à l’imagination, elles nourrissent éga- musée des Beaux-Arts, entrée libre toure. L’exposition tenue à Rome en 2019- lement l’inspiration des artistes et des créa- 2020, Cartago. Il mito immortale, appelait teurs. Parmi les œuvres attachées à la cité Collaboration RMM et Mathilde Cazeaux, ainsi à une réflexion collective sur la part punique, Salammbô de Flaubert est sans docteure en études grecques et latines, d’imaginaire qui entre dans les représenta- doute celle qui a le plus influencé les repré- agrégée de Lettres classiques, agrégée pré- tions occidentales de la cité d’Élissa. Sparte sentations de Carthage, aussi bien celles des paratrice en langue et littérature latines à a, dans l’historiographie grecque, été perçue artistes que celles des historiens. Il convient l’ENS Lyon, Charles-Alban Hor vais, agrégé comme une « anti-Athènes », conduisant à de prendre du recul sur l’écriture de l’histoire d’histoire, doctorant en histoire romaine à ce que des historiens ont appelé le « mirage carthaginoise depuis le XIXe siècle, d’une l’Université de Rouen (rattaché au GRHis) spartiate ». On peut également parler d’un part en revenant sur la « contamination » de et ATER en histoire romaine à l’Université « mirage carthaginois », construit en oppo- la discipline historique par les représenta- de Nantes et Manon Montier, doctorante en sition à Rome, l’ennemie atavique fondée tions artistiques, d’autre part en faisait état Lettres modernes à l’Université de Rouen par une femme, cité de commerçants et de des progrès récents de la recherche. Sonder (rattachée au CEREdI, EA 3229) mercenaires, peuplée de « barbares » per- l’évolution des représentations littéraires et fides... La réalité de la Carthage antique est artistiques de Carthage, de l’Antiquité à nos d’autant plus difficile à appréhender que les jours, permettra également de mettre en lu-

37 PARTIE VII : VISUELS PRESSE

Théodore Rivière, L'éléphant d’Hamilcar, Tunis, 1892, Mrs. Algernon Bourke costumée en Salammbô, Tableau vivant à Bleheim Palace, 1897. Galerie Nicolas Bourriaud, Paris © Londres, Victoria & Albert Museum

Carthage, Tophet, Stèle votive, IIIe siècle av. J.-C. (?). Georges-Antoine Rochegrosse, Salammbô et les colombes, 1895. © Paris, Musée du Louvres, Département des Antiquités orientales © Dreux, Musée d’art et d’histoire Marcel Dessal

38 PARTIE VII : VISUELS PRESSE

Victor Prouvé, Reliure pour Salammbô, 1893. © Nancy, Musée de l’Ecole de Nancy Jeanne de Balzac et Rolla Norman dans le film de Pierre Marodon, Salammbô, 1925. © Paris, CNC

George-Antoine Rochegrosse, Salammbô, 1886. Théodore Rivière, Salammbô chez Mathô, Je t'aime ! je F.-L. Schmied, hors-texte en couleurs et ornements © Moulins, Musée Anne de Beaujeu t'aime !, 1895. Paris, Musée d'Orsay © RMN-Grand Palais / gravés sur bois, in Gustave Flaubert, Salammbô, 1923. Hervé Lewandowski © Rouen, Bibliothèque Villon

39 PARTIE VII : VISUELS PRESSE

Alfons Mucha, Salammbô, 1897, lithographie, Rouen, Carthage, Tophet, Brûle-parfum à tête de divinité Bibliothèque Villon masculine coiffée d’une tiare à plume / Baal Hamon (?), milieu IIe s. av. J.-C. © Carthage, Musée de Carthage

Richard Gutperle, bijoutier de théâtre, d’après les maquettes de Charles Bianchini. Ceinture de hanches portée par Rose Caron pour le rôle- titre de Salammbô d’Ernest Reyer. © Paris BnF, Département de la musique, Bibliothèque - musée de l’Opéra de Paris

Adolphe Cossard, Salammbô, 1899. © Paris, Coll. Part. 40 PARTIE VIII : ORGANISATEURS ET MÉCÈNES

ORGANISATEURS

MÉCÉNES Les expositions de cette saison ont pu voir le jour grâce à nos mécènes que nous remercions chaleureusement :

La Maison du Tapis

41 INFORMATIONS PRATIQUES

MUSÉE DES BEAUX-ARTS

HORAIRES Exposition ouverte tous les jours de 10h à 18h. Fermé les mardis, et le 1er mai

TARIFS DE L'EXPOSITION Tarif plein : 9€ / Tarif réduit : 6€ / Gratuit pour les moins de 26 ans et les bénéficiaires des minimas sociaux Ouvert du 23 avril au 19 septembre 2021

ENTRÉE Esplanade Marcel-Duchamp 76000 Rouen

TÉL. : 02 35 71 28 40

ACCÈS • Accès en train : Gare SNCF Rouen Rive droite 1h10 depuis Paris Saint-Lazare • Accès en bus : - Arrêt square Verdrel, rue Jeanne d’Arc (F2, 8, 11,13), - Arrêt Beaux-Arts, rue Jean Lecanuet (F2, 5, 11, 13, 20) • Métrobus : Station gare Rue Verte ou Palais de Justice • Parking : Espace du palais

CONTACTS PRESSE

Hélène Tilly / Chargée de projets communication et partenariats, Réunion des Musées Métropolitains [email protected] Alexis Le Pesteur / Chargé de communication, Réunion des Musées Métropolitains [email protected] / Tél. 02 76 30 30 71 Presse nationale et internationale / anne samson communications Camille Julien : 06 29 21 94 54, Federica Forte : 01 40 36 84 40 / [email protected]

DIRECTION DES MUSÉES MÉTROPOLITAINS Le 108 - 108, Allée François Mitterrand - CS 50589 - 76006 ROUEN Cedex Tél. 33 (0)2 35 71 28 40 Fax 33 (0)2 35 15 43 23 [email protected] - www.musees-rouen-normandie.fr

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