CAHIERS FRANÇOIS VIETE

Série II – N°1

2009

Varia

ANDRÉ CAUTY - Promenade en arithmétique maya DIANE DOSSO - Les scientifiques français en exil aux États-unis pendant la seconde Guerre Mondiale FRANÇOIS LOGET - Viète sur l'angle de contact ou la postérité d'un isolé SYLVÈNE RENOUD - Les images dans les ouvrages de sciences de la vie du XVIe au XIXe siècle PIERRE SAVATON - Les cartes géologiques départementales : entre savants et ingénieurs des mines

Centre François Viète Épistémologie, histoire des sciences et des techniques Université de Nantes

Achevé d'imprimer sur les presses de l'imprimerie centrale de l'université de Nantes, juillet 2011 Mise en ligne en juin 2016 sur www.cfv.univ-nantes.fr

SOMMAIRE

 ANDRÉ CAUTY ...... 5 Promenade en arithmétique maya

 DIANE DOSSO ...... 31 Les scientifiques français en exil aux États-unis pendant la seconde Guerre Mondiale

 FRANCOIS LOGET ...... 61 Viète sur l'angle de contact ou la postérité d'un isolé

 SYLVÈNE RENOUD ...... 79 Les images dans les ouvrages de sciences de la vie du XVIe au XIXe siècle

 PIERRE SAVATON ...... 103 Les cartes géologiques départementales : entre savants et ingénieurs des mines

Cahiers François Viète, Série II, 1,2009,31-59

LES SCIENTIFIQUES FRANÇAIS EN EXIL AUX ETATS-UNIS PENDANT LA SECONDE GUERRE MONDIALE*

Diane DOSSO

Résumé Après la signature de l'armistice franco-allemand en juin 1940, une poignée de scientifiques français se préparèrent à l'exil. Qui sont ces scientifiques? Pourquoi quittèrent-ils leur pays? Comment organisèrent-ils leur départ? Après avoir exami• né ces différentes questions, nous suivrons l'itinéraire de certains scientifiques au départ de France, nous enquêterons sur leur emploi et leurs ressources en Amérique, jusqu'à la création du Bureau Scientifique au sein de la Délégation de la France libre aux États-Unis. Le relatif échec de leur participation à l'effort de guerre allié dans les laboratoires américains sera finalement compensé par le succès de la Mission Scien• tifique Française en Grande-Bretagne, première étape vers leur retour en France en 1945.

Introduction

Au début du mois de mai 1940, l'offensive allemande sur les Pays• Bas, le Luxembourg et la Belgique rompt l'immobilisme de la période de « la drôle de guerre». À la défaite militaire, succèdent la débâcle puis l'exode de la population vers le sud. Près de huit millions de Français, civils et mili• taires, deux millions de Belges réfugiés en France, fuient dans la terreur et la panique l'avancée des chars allemands, sous la menace des avions bom• bardiers. Le plus grand désordre règne. L'atmosphère est apocalyptique, aucune sphère de la société n'est épargnée. Les Allemands entrent dans Paris déserté par le gouvernement et la majorité de ses habitants le 14 juin 1940. Le 22 juin est signé l'armistice franco-allemand. Il entre en vigueur le 25 juin. Les soldats sont démobilisés. Les programmes de recherches inté• ressant la Défense nationale sont annulés1. La France est désormais coupée en deux par une ligne de démarca• tian: « zone occupée» au nord; « zone libre» ou, plus exactement, « zone non occupée» au sud. Son tracé part de la frontière espagnole à l'est

* Conférence donnée le 20 avril 2004 au Centre François Viète. 1 Picard Jean-François, « La création du CNRS », La Revue pour l'histoire du CNRS, n"}, Novembre 1999, p. 61. 32 DIANE Dosso

d'Hendaye, remonte à l'est de Bordeaux, Angoulême et Poitiers, s'infléchit vers l'est au sud de Tours, passe par Moulins et Chalon-sur-Saône pour atteindre la Suisse au nord de Genève. De juillet 1940 à mars 1943, il faut pour franchir cette nouvelle frontière légalement, en plus d'une carte d'iden• tité en règle, se munir d'un laissez-passer (ausweis) délivré par les oc• cupants. En août 1940, le recteur de l'université de Paris Jérôme Carcopino, qui souhaite se rendre à Vichy, doit patienter dix-sept jours avant de l'obte• nir. À partir d' avril 1941, le Reich renforcera sa surveillance sur la ligne de démarcation, ce qui aura des conséquences fâcheuses pour maints scientifi• ques préparant leur départ vers l'Amérique. D'autant plus que jusqu'en juin 1941, le voyage aller et retour de zone non occupée à zone occupée est rarement autorisé. Le l" juillet 1940, après un séjour de 48h à Clermont-Ferrand succé• dant au repli en Touraine (le 11 juin) puis à Bordeaux (le 14 juin), le gou• vernement français s'installe définitivement à Vichy, en zone non occupée. À la suite des évènements dramatiques de Mers el-Kébir, les relations di• plomatiques franco-britanniques sont rompues le 8 juillet 1940. Le projet de collaboration renforcée entre scientifiques français et anglais participant à l'effort de guerre est définitivement réduit à néant. Par un vote de l' Assemblée Nationale réunie à huis clos le 10 juillet 1940 dans la salle de théâtre du Grand Casino de Vichy, par 569 voix contre 80, la IIIè Républi• que prend fin, donnant naissance à l'Etat français. Avec l'adoption le 11 juillet 1940 des trois premiers actes constitutionnels, le maréchal Pétain détient non seulement le pouvoir constituant, mais également les pleins pouvoirs législatif et exécutif. Il propose rapidement aux Français de se rassembler contre la France laïque et républicaine, la France des juifs et des francs-maçons. Les premiers visés par le régime de Vichy sont les Français ayant obtenu la nationalité française par voie de naturalisation. La loi du 10 août 1927 leur avait facilité l'accès à la nationalité française, il est désor• mais procédé à la « révision de toutes les acquisitions de nationalité fran• çaise » intervenues depuis cette date (loi du 22 juillet 1940, J.O. du 23 juil• let 1940). L'éviction des naturalisés ne se limite pas aux cabinets ministé• riels et à la fonction publique. Elle touche successivement les vétérinaires, les médecins, dentistes et pharmaciens, les avocats et enfin les architectes. De nombreux scientifiques, en majorité universitaires, perdent automati• quement leur emploi en étant déchu de leur nationalité. Durant les années trente, la France a accueilli de très nombreux réfu• giés, victimes des politiques menées aussi bien par Staline, Hitler, Mussoli• ni, Salazar ou Franco. Au cours de ces mêmes années, la question de l'or• ganisation de la recherche scientifique a été très fréquemment discutée au LES SCIENTIFIQUES FRANÇAIS EN EXIL AUX ETATS-UNIS 33

Parlement. Au cœur de ce débat, se trouvait précisément la question de l' accueil des scientifiques et savants étrangers. La science est par essence internationale, lieu d'échanges, de dialogues, de collaborations. Pour se développer, la science, par exemple française, a besoin d'apports extérieurs. Paradoxalement, c'est au moment où les menaces fascistes étaient les plus lourdes, que les forces politiques de gauche au pouvoir en France ont réussi à inscrire au budget de I'Etat des sommes tout spécialement destinées aux étrangers. L'artisan de ces mesures est un biochimiste, lui-même étranger, Louis Rapkine-. Profitant des circonstances favorables créées par la victoire électorale du Front populaire, il est parvenu à mettre en place à Paris le Comité français pour l'accueil et l'organisation du travail des savants étrangers? en liaison avec son homologue anglais, la Societyfor the Protec• tion of Science and Learning (société pour la protection de la science et du savoir). Ce Comité vient en aide aux victimes de tous les totalitarismes, qu'elles soient ou non juives. La guerre réduit considérablement son activi• té.

1. Accepter ou refuser l'exil ? Il semble que les nombreuses personnes menacées par la nouvelle si• tuation politique soient contraintes à l'exil, pour assurer leur survie même. Quelle autre solution pour des individus privés du jour au lendemain d'em• ploi, et redevenus dans le même temps des étrangers dans le pays qu'ils avaient choisi comme lieu d'asile? Repartir, émigrer une seconde, voire une troisième fois. La France n'aura finalement été pour eux qu'un pays de transit. Sont particulièrement visés les signataires en 1934 du manifeste du Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes (CVIA) tels le physi• cien Pierre Auger, directeur du Service de Documentation créé pendant la « drôle de guerre », le 16 novembre 1939, le mathématicien Jacques Hada• mard, le directeur du CNRS et physiologiste Henri Laugier (de plus franc• maçon); les personnes engagées à gauche, figures du Front Populaire comme les physiciens Jean Perrin et son fils Francis doivent impérative• ment quitter la France pour se soustraire à une arrestation prévisible.

2 Dosso Diane, « Louis Rapkine, biochimiste (Tchichenitch, près de Minsk, Russie, 14juillet 1904 - Paris, 13 décembre 1948) », Archives Juives, Revue d'his• toire des Juifs de France, n032/2, 2è semestre 1999, pp. 130-133. 3 Le Populaire, organe central du Parti socialiste (S.F.I.O.), 12juillet 1936, p.5. 34 DIANEDosso

Comment ces personnes menacées pourraient-elles dès lors refuser l'exil? Elles ne semblent déjà plus avoir le choix en juillet 1940. Cepen• dant, ce serait oublier la diversité, la complexité des situations, la multitude des motivations d'ordre privé, difficilement perceptibles par l'historien. Chercher à comprendre l'autre suppose de se défaire de tout a priori. Tel savant, juif, connu pour son engagement à gauche, nous paraît fondamenta• lement en danger en France et donc contraint à l'exil. Pourtant, il reste en France pendant l'Occupation, sous une fausse identité, réussit même à pour• suivre ses travaux, et survit à ces noires années." Tel autre, engagé publi• quement dans la lutte antifasciste depuis les années trente et donc en danger en France occupée, refuse l'exil proposé au motif qu'on ne quitte pas la patrie en danger.> Un troisième, débarqué à Londres le 22 juin 1940, sem• ble à l'abri, mais il choisit de retourner en France avec les derniers rapatriés de l'ambassade et des missions françaises, et y participe activement à la Résistance intérieure.? Nous nous proposons d'observer plusieurs itinéraires de scientifiques tels que nous avons pu les reconstituer. Commençons par le mathématicien Emil Gumbel. Né en 1891 à Mu• nich, il se réfugie en France en 1932. Dès l'année suivante, il enseigne à Lyon, « d'abord comme assistant étranger à la faculté des sciences, puis comme chargé de recherches (à partir d'août 1935) et maître de recherches (1937) au titre de « la » CNRS7, enfin à partir de 1938 comme chargé de cours à la faculté des sciences. »8 Militant socialiste, membre de la Ligue des droits de l'homme, il poursuit en France son combat contre les nazis, dénonçant leurs crimes dans des livres très documentés. La nationalité fran• çaise, sollicitée dès 1934, lui est accordée en août 1939. Elle lui permet d'échapper à l'internement dans un camp de rassemblement, mesure concernant tous les « ressortissants de puissance ennemie» définie et ren-

4 « Edgar Lederer, la chimie des substances naturelles », Cahiers pour l'his• toire du CNRS 1939-1989, n02, 1989, Editions du CNRS, Paris, pp. 43-54. 5 Langevin, André, mon père, Paris: Les Editeurs Français Réunis, 1971, p. 171. 6 Il s'agit d'Henri Longchambon (1896-1969), directeur du CNRSA (créé le 24 mai 1938) puis de la section recherche appliquée du CNRS. 7 La Caisse nationale de la recherche scientifique a réuni en 1935 la Caisse des recherches scientifiques (1901) et la Caisse nationale des sciences (1930). 8 Les bannis de Hitler. Accueil et luttes des exilés allemands en France (1933-1939), dir. Gilbert Badia, Vincennes: Etudes et Documentations Internatio• nales et Presses Universitaires de Vincennes, 1984, pp. 159-160. LES SCIENTIFIQUES FRANÇAIS EN EXIL AUX ETATS-UNIS 35 forcée par différents textes officiels au cours du mois de septembre 1939.9 Mais après l'armistice, il est désormais en danger en France, de par son engagement antinazi même. Menacé d'extradition, il est contraint d'émigrer une seconde fois, et choisit les Etats-Unis où il s'installe définitivement.l'' Autre cas, celui du physicien Edmond Bauer. À l'automne 1940, re• tour à l'ordre oblige, les professeurs sont convoqués à Paris afin d'effectuer la rentrée des élèves. Mais pour se rendre dans la capitale, située en zone occupée, il faut être en possession d'un ordre de mission officiel, délivré à Vichy où les ministères de l'Etat français se sont réinstallés, puis solliciter un ausweis auprès des autorités allemandes. Fin septembre 1940, Bauer écrit à un collègue américain: « J'ai reçu un ordre du Ministère de retour• ner à mon poste au Collège de France (Paris). Mais quand je suis allé cher• cher« mon ordre de mission', on m'a dit que traverser la ligne de démarca• tion m'était interdit, et ils m'ont temporairement assigné à la Faculté de Clermont-Ferrand. »11 Bauer est victime de la première ordonnance alle• mande « relative aux mesures contre les Juifs', publiée en zone occupée le 27 septembre 1940 (J.O. des ordonnances du gouvernement militaire pour les territoires français occupés du 30 septembre 194012). Elle précède d'une semaine le statut des Juifs. « Les Allemands ont pris les devants et rempor• té la course sur les autorités de Vichy. » commente l'historien André Kas• pp3 dans son ouvrage Les Juifs pendant l'Occupation. On constate donc que cette mesure prise par les autorités allemandes fut immédiatement ap• pliquée par le ministère de l'Education nationale. De plus, la « loi du 3 octobre 1940 portant statut des juifs» (J.O. du 18 octobre 1940) va entraî• ner la révocation immédiate de l'enseignement supérieur d'Edmond Bauer. Comment alors survivre sans salaire? Dans le livre de témoignages recueil• lis en hommage à Louis Rapkine, Etienne Bauer (un des fils d'Edmond), témoignera de ces temps difficiles :

« Mon père était interdit de cours dans cette université de Strasbourg repliée à Clermont, bientôt largement raflée, dépor-

9 Chapitre 3, « Une «drôle de guerre» », p. 72, in Denis Peschanski, La France des camps. L'internement 1938-1946, Paris: Gallimard, 2002. 10 Il meurt à New York le 10 septembre 1966. II Tanytown (New York), Rockefeller Archive Center (RAC), Record Group (RG) 1.1, Serie 224 D, Box l, Folder 11, « Translation of Letter from E. Bauer to Karl K. Darrow», 30.9.1940. 12 Rémy, Dominique, Les lois de Vichy, Paris: Romillat, 1992, p. 124. 13Kaspi, André, Les Juifs pendant l'Occupation, Paris: Seuil, 1991, p.66. 36 DIANEDosso

tée dans les neiges des camps de concentration. (...) Alors nous arriva, venant par dessus les océans comme d'un monde fabu• leux, un télégramme invitant mon père aux Etats-Unis. Ainsi, ce paria qui avait fait son dernier cours dans un amphi bondé, ému, (...) , cet impur n'était pas oublié, rejeté à jamais dans les ténèbres extérieures: ailleurs, là-bas, au soleil, on s'était sou• venu de lui. C'est alors quej'entendis prononcer à voix basse, pour la première fois le nom de Louis Rapkine. Mon père ne voulait pas partir sans les siens; Rapkine nous fit tous inviter. Entre temps, ma sœur avait été contactée par un officier des Forces Françaises Libres parachuté en France; mon frère aîné se battait dans un réseau de renseignements; je m'agitais aussi dans la clandestinité. J'allai les consulter: ensemble nous avons refusé ce merveilleux départ, contraint mes parents à rester, à risquer. »14

13. Comment gagner les Etats-Unis? Le plan de sauvetage'> « Pour bénéficier d'un visa de transit, il fallait naturellement posséder un visa d'entrée quelque part. Ce qui nécessitait, en premier lieu, d'avoir un passeport. En outre les Portugais, afin d'être sûrs de se débarrasser de vous, exigeaient un billet, dû• ment payé, à destination d'un pays d'outre-mer. Lequel billet devait être réglé en dollars - chose irréalisable pour la plupart des émigrés qui n'avaient pas d'argent ni, à plus forte raison, d'autorisation de transfert de dollars. Pour se rendre de France au Portugal, il fallait également un visa de transit espagnol - que l'on ne pouvait demander que sur présentation de celui du Portugal: tous les pays avaient peur de voir les émigrants s'incruster chez eux comme des punaises. En outre, tous ces visas étaient bien entendu payants. » 16

14 Bauer,Etienne,« Fanaldansla nuit », pp. 14-16,in Karp,Vivianet Ben, Louis Rapkine 1904-1948, TheOrpheusPress,1988. 15 Dosso Diane, « Le plan de sauvetagedes scientifiquesfrançais- New York,1940-1942», Revue de Synthèse, à paraîtrefin 2004. 16 Fittko Lise, Le chemindes Pyrénées.Souvenirs1940-41,Paris: Maren Sell& Cie, 1987,p. 136,315pages. LES SCIENTIFIQUES FRANÇAIS EN EXIL AUX ETATS-UNIS 37

Ce témoignage permet de mesurer la complexité des démarches me• nant au pays de l'exil. Pour un scientifique français, telle physicien Francis Perrin ou son collègue Pierre Auger, il faut en premier lieu obtenir un per• mis de sortie. Sur présentation de l'invitation à venir enseigner ou à donner des conférences émise par une institution américaine reconnue, il est déli• vré par le Service des Œuvres du ministère des Affaires étrangères situé en zone non occupée, à Vichy. Ce document n'est valable que deux mois. Mu• ni de cette invitation, avec l'accord de sa hiérarchie, le candidat au départ doit ensuite obtenir le visa américain, puis les visas de transit espagnol et portugais si l'embarquement pour l'Amérique est prévu à Lisbonne. Le visa portugais n'est d'ailleurs délivré qu'à celui qui est déjà en possession d'un billet de bateau. Enfin, l'exportation de devises est soumise à l'autorisation du contrôle des changes. L'ordre dans lequel ces différentes démarches doivent être effectuées est immuable. Par contre, une variable majeure est le temps. Suivant la période à laquelle se déroulent les préparatifs, les rè• glements évoluent, ou pire, les personnes chargées de leur application en font une lecture différente. De plus, au fil des mois, de nouvelles lois, plus strictes, font leur apparition. On comprend à l'énoncé de cette liste de do• cuments officiels à rassembler, de validité limitée, que le départ de France ne puisse s'accomplir hors du cadre de la légalité. C'est également ce qu'ont compris deux scientifiques français, Henri Laugier et Louis Rapkine, que nous avons évoqué brièvement précédemment. Recommandés par d'éminents scientifiques anglais aux bons soins de la fondation Rockefeller, Laugier et Rapkine arrivent à New York le 26 août 1940 en provenance de Londres, invités pour trois mois par la fonda• tion. Ils ne sont pas des inconnus pour ses officiers. Le premier a travaillé en collaboration avec elle à la tête du CNRS, créé le 19 octobre 193917, un mois et demi après la déclaration de guerre. Le second est un ancien bour• sier. Laugier est arrivé à Londres le jour de la signature de l'armistice fran• co-allemand. Rapkine y travaillait pour la Mission française d'achat des charbons depuis le mois de janvier 1940. Le décret de sa naturalisation française avait été signé le 28 septembre 1939. La rupture des relations diplomatiques entre Londres et Paris les a empêchés de poursuivre leur projet de participation scientifique française à l'effort de guerre anglais. Dès le 9 juillet 1940, Laugier demandait par lettre à la fondation Rockefeller de l'aide pour les scientifiques français afin de sauver « un capital intellectuel

17 Décret du 19 octobre 1939, paru au Journal Officiel du 24 octobre 1939. 38 DIANEDosso d'une valeur inestimable. »18Une fois à New York, Laugier et Rapkine n'ont de cesse d'inciter la fondation Rockefeller à répondre favorablement à leurs sollicitations concernant un véritable « plan de sauvetage » dont ils prennent l'initiative. Dès l'origine de ce projet ambitieux, Laugier et Rapki• ne savent qu'il doit se dérouler dans la légalité. C'est à la fois son originali• té, et la garantie de son succès. Bien renseignés, ils perçoivent vite malgré leur éloignement géographique que pour le gouvernement de Pétain le prin• cipal est de sauver les apparences et de faire croire au maintien de la coopé• ration internationale malgré le conflit mondial en cours. Soulignons que jusqu'au début de l'année 1942, les Etats-Unis sont représentés à Vichy par leur ambassadeur, l'amiral Leahy, tandis qu'à Washington Gaston Henry• Haye, ami de Laval, représente la France. L'analyse faite par Laugier et Rapkine est qu'au nom du renom intellectuel de la France à l'étranger et pour conserver ses bonnes relations avec les Etats-Unis, le gouvernement de Vichy ne s'opposera pas au départ de ses scientifiques les plus brillants, surtout s'ils sont invités pour une courte durée par de prestigieuses univer• sités américaines qui prennent en charge leur salaire et leurs frais de voya• ge. Leur plan ne peut donc concerner qu'un petit nombre de scientifiques de haut niveau, reconnus internationalement par leurs pairs. Grâce à d'incessantes entrevues et des négociations quotidiennes acharnées, Laugier et Rapkine obtiennent l'appui financier et logistique de la fondation Rockefeller. Parallèlement, ils multiplient les démarches en direction des différents comités d'aide aux réfugiés présents à New York. Munis des recommandations de leurs collègues anglais, ils visitent plu• sieurs universités aux Etats-Unis, à la recherche de postes d'enseignement et/ou de recherche pour les futurs exilés. Ils plaident aussi la cause de leurs collègues français auprès des autorités en charge de l'immigration à Was• hington. Pour entrer aux Etats-Unis, savants et universitaires bénéficient de visas hors quota (non-quota visas). De plus, en 1940, un « Programme de visas du visiteur d'urgence» est établi pour les réfugiés politiques particu• lièrement en danger, et un « Comité consultatif pour les réfugiés politiques » (Advisory Committee for Political Refugees), directement responsable devant Roosevelt, est chargé de conduire ce programme. Ce dernier type de visa ne nécessite pas la promesse d'un contrat de deux ans comme le visa hors quota. Précisons que pour l'écrasante majorité, l'exil se déroulera aux Etats-Unis, mais que certains furent invités au Brésil (le couple de biophy-

18 Tarrytown (NY), RAe,RG l.1, S 200, Box 51, Folder 604, Lettre d'Henri Laugier (à Londres) à « [ses] chers amis [de la fondation Rockefeller] »,9.7.1940. LES SCIENTIFIQUES FRANÇAIS EN EXIL AUX ETATS-UNIS 39

siciens Sabine et René Wurmser), au Pérou (le chimiste né en Russie Israel Marszak) ou encore en Argentine (le physicien né en Autriche Guido Beck). D'autres enfin, une petite trentaine, travaillent en Grande-Bretagne de 1940 à 1944, tandis que le physicien Alexandre Proca, élève de Louis de Broglie, se réfugie au Portugal où il enseigne à l'université de Porto. Obtenir le visa américain semble donc relativement aisé pour les scientifiques français, mais un obstacle important subsiste. Il concerne la durée des séjours. Les points de vue sont diamétralement opposés. Tandis que Vichy est favorable à une sortie de France de ses scientifiques les plus talentueux, pourvu que cette sortie soit temporaire et de courte durée, un an maximum, les Américains envisagent pour eux le long terme, dans l'espoir que leur installation aux Etats-Unis soit définitive, au bénéfice de leur pays. La législation sur les visas traduit ce point de vue. L'entrée aux Etats-Unis n'est acceptée par le State Department que pour des séjours de deux ans. Par conséquent, les invitations doivent se conformer à cette durée. À pre• mière vue rhédibitoire, cette difficulté va être résolue grâce à l'utilisation d'un double discours. En Amérique, dans les correspondances avec le mi• nistère français on évoque des séjours d'un an, tandis que dans les courriers adressés directement aux consulats américains en France, on précise que les invitations sont pour deux ans, afin que les scientifiques puissent obtenir le visa américain. Enfin, Laugier et Rapkine acceptent d'assumer l'écrasante responsa• bilité d'établir la liste des personnes à sauver en priorité. Pour en décider, le critère principal est la valeur scientifique de l'individu, et la reconnaissance que ses pairs, au niveau international, lui accordent. Est ensuite évalué le danger qui le menace en France selon qu'il est ou non juif, politiquement marqué à gauche. L'âge et le désir qu'on lui prête de quitter ou non la Fran• ce sont les derniers critères examinés. Quatre-vingt quatorze noms sont ainsi retenus, dans six disciplines appartenant exclusivement aux sciences exactes. Au total, sur cent-onze individus d'une dizaine de nationalités secou• rues de 1940 à 1945, la fondation Rockefeller est venue en aide à trente• quatre Français.I? Ce chiffre relativement important est le résultat des pres-

19 Il s'agit de : Etienne Dennery (sciences politiques), Jean Gottmann (géo• graphie), Ervand Kogbetlianz (mathématiques), Eugène Kulischer (droit interna• tional), Henri Laugier (physiologie), W Theo. Liberson (physiologie), Darius Mil• haud (musique), Paul Vignaux (philosophe) pris en charge par le programme Aide aux savants révoqués (Aidfor Deposed Scholars, 1940-1945) et de: Pierre Auger (domaine: physique; subvention attribuée à l'université de Chicago), Jean Benoît- 40 DIANEDosso

sions constantes de Laugier et Rapkine. Douze scientifiques ont bénéficié de l' aide conjointe de Rapkine et de la fondation Rockefeller (onze ayant pour domaine d'études les sciences exactes, dont neuf étaient sur les listes préparées par Laugier et Rapkine, et Claude Lévi-Straussj.ê'' Par ses pro• pres efforts, Rapkine contribue à faire sortir de France une vingtaine d'autres scientifiques, juifs et non juifs, dont quatre non français-l, aux• quels il faut rajouter les membres de leur famille, soit en définitive une soixantaine de personnes. Les arrivées à New York s'échelonnent du prin• temps 1940 à l'automne 1942. Les plus nombreuses s'effectuent durant l'automne-hiver 1941. Seule la coordination des efforts a rendu possible la réalisation de ce plan de sauvetage, et son succès, grâce en particulier à la complicité active des fonctionnaires gaullistes du Service des Œuvres à Vichy et à la présence à Marseille de l'émissaire de l'Emergency Rescue Committee, l'américain Varian Fry .22 L'aide de Fry est décisive pour le

Levy (films documentaires; New Schoo!), Henri Bonnet (diplomatie; American Council on Learned Studies), Léon Brillouin (physique; université du Wisconsin), Raymond Cahen (pharmacologie; Yale University), Théophile Cahn (biochimie; New York Universit), Gustave Cohen (théâtre médiéval; Yale University), Raymond de Saussure (psychiatrie; New Schoo!), Boris Ephrussi (génétique; New School), Emil Gumbel (mathématiques; New Schoo!), Alexandre Koyré (histoire (histoire de la philosophie; New Schoo!), Charles-Philippe Leblond (endocrinolo• gie ; New Schoo!), Claude Lévi-Strauss (anthropologie; New School), Boris Mirki• ne-Guetzévitch (théorie politique; New Schoo!), Robert Mossé (sociologie; New Schoo!), Charles Oberling (pathologie; Tulane University), Francis Perrin (physi• que; Columbia University), André Philip (économie politique; New Schoo!), Ro• ger Picard (économie politique sociale; New Schoo!), Salomon Rosenblum (physi• que; New Schoo!), Louis Rosenstock-Franck (économie politique; Brookings Institute), Louis Rougier (philosophie; New Schoo!), Paul Vaucher (histoire éco• nomique; New Schoo), Jean Wahl (philosophie; New Schoo!), André Weil (ma• thématiques; New Schoo!), René Wurmser (physiologie; université du Brésil) pris en charge par le Programme d'urgence pour les savants européens (Emergency Programfor European Scholars, 1940-1945) entré en action Ie 27 septembre 1940, après l'arrivée à New York de Laugier et Rapkine. 20 Dosso Diane, "The Rescue of French Scientists. Respective Roles of the Rockefeller Foundation and the Biochemist Louis Rapkine (1904-1948)", The 'Unacceptables'. American Foundations and Refugee Scholars between the Two Warsand after, G. Gemelli (ed.), PIE-Peter Lang: Bruxelles, 2000, pp. 195-215. 21 Guido Beek (exilé en Argentine, physicien), Zacharias Dische (biochimis• te), Hans Ekstein (physicien) et Otto Schwartzkopf (chemical physicist). 22 Varian Fry séjourne à Marseille du 13 août 1940 au 29 août 1941. Il y diri• ge le Centre Américain de Secours. Cf Fry, Varian, Surrender on demand, New LES SCIENTIFIQUES FRANÇAIS EN EXIL AUX ETATS-UNIS 41 départ vers l'Amérique du mathématicien André Weil, d'Otto Meyerhof (prix Nobel de physiologie en 1922 avec l'anglais A.V. Hill) et sa femme, puis de leur fils Walter Meyerhof d'abord retenu en France parce qu'il est d'âge militaire. Le mathématicien et le physicien Jean Perrin, âgés en 1940 respectivement de soixante-quinze et soixante-dix ans, un âge trop avancé selon la politique de la fondation Rockefeller, ne doi• vent leur sortie de France qu'à la seule persévérance de Rapkine. Celui-ci n'aurait pu agir avec efficacité sans l'expérience qu'il avait acquise dès 1936 en organisant le comité français, sans l' appui administratif et financier de la fondation Rockefeller (à New York, mais aussi à Lisbonne et à Paris où le bureau n'est fermé qu'en 1941) et l'aide d'Alvin Johnson, directeur de la New School for Social Research (New York). Cette institution a fourni une invitation fictive à de très nombreux exilés (tels le généticien Boris Ephrussi, le mathématicien André Weil,23 la biologiste Nelicia Maier), et un emploi bien réel à quelques-uns d'entre eux (comme le statisticien Emil Gumbel, l'anthropologue Claude Lévi-Strauss). Le physicien Francis Perrin, arrivé le 14 octobre 1941 à New York accompagné de sa femme et de leurs trois enfants (âgés de quatorze, douze et huit ans), précède de plus de deux mois son père Jean Perrin qui débar• que à New York le 23 décembre 1941 avec sa « collaboratrice et nouvelle compagne »24Nine Choucroun, et le physicien Salomon Rosenblum, sa femme et leurs deux enfants (âgé d'un an, et la dernière, née sur l'Excam• bion deux jours avant l'arrivée au port et dont Jean Perrin est le parrain). Les Rosenblum avaient dû quitter Paris cachés sur le sol, à l'arrière d'une voiture.P Le permis de sortie de France avait été accordé à Rosenblum dès le mois de septembre 1941. Mais ensuite, il avait dû patienter en zone non occupée, avant d'obtenir fin octobre seulement le visa américain, grâce aux démarches de Rapkine en coopération avec la fondation Rockefeller. Quant à Francis Perrin (tout comme Pierre Auger), il faillit être victime du renfor• cement de la législation américaine. Entrée en vigueur le 1er juillet 1941,

York: Random House, 1945 ou la version française: Fry, Varian, La liste noire, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Edith Ochs, Paris: Plon, 1999. 23Weil, André, Souvenirs d'apprentissage, Bâle-Boston-Berlin : Birk- haü• ser, 1991, p.183. 24Charpentier-Morize, Micheline, Perrin savant et homme politique, Paris: Belin, 1997, p. 231 : « [Sur le Massilia], Jean Perrin, qui avait perdu sa femme fin 1938, était accompagné de sa collaboratrice et nouvelle compagne Nine Chou• croun. » 25 Tarrytown (NY), RAC, Interview de F.B. Hanson, 28.10.1941. 42 DIANEDosso

une nouvelle loi stipulait que toute demande de visa émanant de quiconque ayant des proches en Allemagne, en Italie ou dans un pays occupé devait désormais être présentée au Département d'Etat à Washington et non plus directement dans les consulats américains, à Lyon ou Marseille. Le 19juil• let, un câble signé de Francis Perrin annonçait donc à Rapkine que, comme Auger, il allait devoir renoncer à l'invitation américaine. Or, Rapkine s'étant renseigné à Washington, il apparut que ce renforcement de la législation ne concernait pas les Français nés Français. Les visas américains furent fina• lement accordés. Francis Perrin et sa famille débarquèrent à New York le 14 octobre 1941, et il put débuter ses recherches à l'université Columbia dès le lendemain. Pierre Auger, sa femme et leurs deux filles arrivèrent treize jours plus tard. Après avoir préparé son voyage aux Etats-Unis en zone libre, Auger était retourné à Paris pour faire passer les examens à ses étudiants. Il avait ensuite dû quitter précipitamment la capitale, la Gestapo étant venu l'arrêter chez lui. Par chance, il était juste sorti. Auger commen• ce par poursuivre ses travaux sur les rayons cosmiques à l'université de Chicago, en tant qu'assistant de recherche dans le laboratoire de physique dirigé par Arthur H. Compton. Il rejoindra à Montréal, en décembre 1942, le projet atomique anglo-canadien.

En février 1941, Laugier part enseigner à l'université de Montréal, soulagé de retrouver une activité professionnelle, dans un pays francopho• ne. Rapkine poursuit désormais seul l'exfiltration de ses collègues. Mais son but n' est pas seulement de mettre à l' abri du risque de collaboration forcée l'élite de la science française, il est de la faire participer par ses tra• vaux à l'effort de guerre allié. Par quels moyens?

4. Création du Bureau Scientifique Le 11 décembre 1941, un câble en provenance de Londres, signé du général de Gaulle, officialise la création du Bureau Scientifique au sein de la Délégation de la France libre aux Etats-Unis. Chaque candidature doit être soumise à de Gaulle afin qu'il prenne lui-même la décision finale.26 Rapkine est désigné comme le chef du Bureau Scientifique. Le même jour, l' Allemagne (et l'Italie) déclare la guerre aux Etats-Unis: les Américains rejoignent les Anglais dans leur lutte contre Hitler. Ce changement de la

26 Paris, Archives de I'IP, Fonds Rapkine, Correspondance « officielle» (France libre), Correspondance avec Londres, Câble du général de Gaulle à « Lib• France» du 11.12.1941, en anglais. LES SCIENTIFIQUES FRANÇAIS EN EXIL AUX ETATS-UNIS 43 situation internationale va faciliter l'emploi de certains réfugiés français, remplaçant à leur poste les Américains mobilisés. Dès la fin du mois de décembre 1941, Rapkine écrit aux scientifiques pour leur demander leur adhésion de principe au Bureau des Scientifiques.ê? Les réponses sont en• thousiastes. Boris Ephrussi déclare: « Désireux de continuer à servir les intérêts de la France, j'ai hâte de me mettre à la disposition de ce Bureau. »28 Ephrussi est arrivé à New York le 2 juin 1941, avec l'aide de la fonda• tion Rockefeller dont il fut le boursier en 1934, et de Rapkine. Réfugié à Juan-les-Pins, il avait tenté de partir de Marseille pour la Martinique, mais ce projet avait échoué. Il était alors retourné à Paris, en zone occupée. Etant juif, il avait dû franchir la ligne de démarcation de manière illégale. Parve• nu à Lisbonne au terme de quatre mois de voyage, il s'était embarqué à destination de l'Amérique sur l'Excalibur le 23 mai 1941. Emil Gumbel, dont nous avons déjà parlé plus haut, est arrivé à New York le 10 octobre 1940. Il écrit en réponse à la circulaire de Rapkine :« Vous savez sans dou• te que j'ai combattu les Nazis depuis qu'ils existent, et je serais heureux de continuer cette lutte. »29 Le physicien Ignace Zlotowski ne peut faire partie du Bureau Scientifique à cause de sa nationalité polonaise. Il écrit néan• moins à Rapkine :

« Non seulement je suis anxieux de rendre service à la cause commune de tous les hommes libres - à la guerre contre le Fascisme - mais je suis prêt à sacrifier tout en vue de prendre une part active dans cette guerre. Malheureusement pour des raisons de santé il ne m' a pas été donné de lutter pour notre avenir fusil à la main. Je reste donc enfermé dans la tour d'ivoire de la science soi-disant apolitique et indépendante. Mais j'en ai vraiment assez. Et ce serait l'accomplissement de mes sincères désirs si j'avais une possiblité quelconque de tra• vailler pour la Défense Nationale aux Etats-Unis. »30

27 Paris, Archives de I'IP, Fonds Rapkine, Lettres circulaires de Rapkine du 22 ou 23.12.1941. 28 Paris, Archives de l'IP, Fonds Rapkine, Dossiers d'organisation, Corres• pondance avec les scientifiques, Lettre d'Ephrussi, 23.12.1942. 29 Paris, Archives de I'IP, Fonds Rapkine, Dossiers d'organisation, Corres• pondance avec les scientifiques, Lettre de Gumbel, 1er.l.1942. 30 Paris, Archives de I'IP, Fonds Rapkine, Dossiers d'organisation, Corres• pondance avec les scientifiques, Lettre de Zlotowski, 11.1.1942. 44 DIANEDosso

Parvenu aux Etats-Unis grâce à l'aide de la fondation Kosciuszko." cet ancien collaborateur de Marie Curie, puis de Frédéric Joliot au labora• toire de chimie nucléaire du Collège de France, commence par mener des recherches dans le Service de chimie analytique de l'université du Minneso• ta grâce à une bourse de la fondation Carnegie. Le soutien financier de la fondation Rockefeller lui permet ensuite de poursuivre ses travaux dans le Service de physique de cette même université.

Chaque membre du Bureau Scientifique signe un engagement dans les Forces Françaises Libres. Ils furent, Rapkine et Laugier compris, trente• cinq à signer cet engagement, de mars 1942 àjuin 1943. Parmi eux, le pre• mier arrivé à New York était René Planiol, envoyé en mai 1940 en mission officielle aux Etats-Unis, où il était resté. Ses recherches portaient sur de nouveaux modèles de char de combat. Il s'engagea par la suite avec son frère André dans la construction de « super chargers» pour avions. Le der• nier à parvenir à New York, en octobre 1942, fut le biologiste Leonide Goldstein qui travailla en tant que généticien au Amherst College (Massa• chusetts). On dénombre dans ce groupe de scientifiques français treize juifs, deux dont la femme est juive, quinze naturalisés français entre 1929 et 1939. Ce groupe comprend trois femmes dont les maris sont également membres du Bureau: Nelicia Maier, Sabine Wurmser, Aniuta Winter. Le physicien Hans Halban et le chimiste Jules Guéron travaillent en Grande• Bretagne. À ces trente-trois membres du Bureau Scientifique physiquement présents aux Etats-Unis, il faut rajouter les femmes et les enfants, soit un total de soixante-neuf personnes. Sur ces trente-trois personnes, seulement dix travaillent à New York, les autres sont dispersées sur le territoire améri• cain. Trois membres du Bureau sont normaliens: Léon Brillouin, Francis Perrin, Pierre Auger (respectivement des promotions 1908, 1918 et 1919). Le biophysicien René Wurmser, exilé au Brésil et le physiologiste André Mayer ont bénéficié de la dérogation au statut des juifs, accordée à une vingtaine d'enseignants (dont quinze universitaires) entre 1941 et 1943 d'après l'historien Claude Singer.V Les disciplines représentées sont majo-

31 La Fondation Kosciuszko fut créée en 1925 aux Etats-Unis pour promou• voir la culture et la science polonaise par l'émigré polonais Stefan Mierzwa. 32 Singer, Claude, Vichy, l'université et les Juifs, Paris: Les Belles Lettres, 1992,437 p. LES SCIENTIFIQUES FRANÇAIS EN EXIL AUX ETATS-UNIS 45 ritairement la physique (avec douze mernbresjê>, la biologie (quatrej-+, la physiologie (quatre)35, les mathématiques (troisj'", la biophysique (deuxjê", la chimie (deux)38. Le groupe comprend également deux ingénieurs-", un médecin (Charles Oberling), un psychiatre (Rudolph Lœwenstein), un géo• graphe (Jean Gottmann), un anthropologue (Claude Lévi-Strauss), un neu• rophysiologiste (Haïm Haimovici), un biochimiste (Louis Rapkine). Deux personnes sont toujours en vie: Claude Lévi-Strauss (né en 1908 à Bruxel• les) et Charles-Philippe Leblond (né en 1910 à Lille, installé à l'université Mac Gill à Montréal depuis 1946).

5. Le financement du Bureau Scientifique Créé tout à fait officiellement au sein de la Délégation de la France libre aux Etats-Unis, le Bureau Scientifique ne dispose cependant d'aucun budget. La France libre ne reçoit d'ailleurs aucun argent des Américains. C'est seulement entre la Grande-Bretagne et la France libre qu'un accord financier est intervenu le 19 mai 1941. Il stipule que le budget ordinaire de la France libre est financé par les territoires ralliés et les dépenses militaires par les Britanniques.t? Au mois de juin 1941, René Pleven est arrivé aux Etats-Unis, spécia• lement mandaté par le général de Gaulle pour y mettre en place une Délé• gation de la France libre. Rapkine a rencontré pour la première fois Pleven le 7 août 1941, à Washington. En septembre, Rapkine lui écrit pour sollici• ter une aide financière, son travail devenant de plus en plus précaire. N'ayant plus d'argent à cette date pour subvenir aux frais de voyage des scientifiques, il est obligé d'avoir recours à divers comités, démarches qui entraînent une énorme perte de temps. Or, précise-t-il dans sa lettre, « une

33 Pierre Auger, Jean et Francis Perrin, Léon Brillouin, Ladislas Goldstein, Salomon Rosenblum, Anatole Rogozinski, René Planiol, Jules Guéron, Hans Hal• ban, Stanislas et Aniuta Winter. 34 Boris Ephrussi, Charles-Philippe Leblond, Nelicia Maier et Leonide Goldstein. 35 Henri Laugier, Wladimir Liberson, André Mayer et Théophile Cahn. 36 Emil Gumbel, Jacques Hadamard et . 37 René et Sabine Wurmser. 38Michel Magat et Bertrand Goldschmidt. 39 Robert Alkan et Pierre Mercier. 40 Kaspi, André, La deuxième guerre mondiale, Chronologie commentée, Pa• ris : Perrin, 1990, p. 196. 46 DIANEDosso perte de temps peut être fatale. »41Sa demande est entendue grâce à Pleven. La France libre participe donc financièrement au transport des scientifiques exfiltrés de France. Nous avions signalé précédemment que l'automne-hiver 1941 est la période de plus grande activité du plan de sauvetage, au cours de laquelle quinze scientifiques rejoignent les Etats-Unis. L'insistance de Rapkine était fondée.

Concrètement, Rapkine travaille le matin dans un bureau de la Délé• gation, et l'après-midi dans un bureau de la New School qu'il loue pour 20$/mois. Pourquoi cet arrangement? Parce qu'il lui permet de recevoir des dons privés bénéficiant de l' exemption d'impôts. Observons quelles sont les différentes dépenses: le « salaire pour secrétaire sténo-dactylo bilingue» (90$), les frais de câbles (100$), de téléphone (40$), de port (10$). Le budget comporte une entrée pour un « Fonds Médical» (150$). Rapkine explique qu'il l'a créé en raison « des faibles traitements de nos scientifiques» (sauf exception, 200$ pour un homme marié, quelque soit le nombre d'enfants, 125$ à 150$ pour un célibataire), qui font que « les frais du médecin et du dentiste sont des fardeaux trop lourds à porter. (...) En plus, cela apprend à nos scientifiques, qui ont trop souvent vécu dans des « tours d'ivoire », à s'habituer aux problèmes de la médecine sociale. Mais, surtout, ils peuvent se faire soigner sans que cela ne comporte un endette• ment pour chacun d'eux. (...) C'est un budget minimum que je demande, car je ne vous ai pas parlé des subventions nombreuses que j' ai données et que je continue à donner aux scientifiques pendant les premiers temps qui suivent leur arrivée jusqu'à ce qu'ils soient placés dans leurs postes. Je crois ne pas exagérer en répétant que le Bureau Scientifique a fait ses preu• ves. »42Ces demandes seront satisfaites. À New York, Rapkine est resté l'animateur infatigable et unique du Bureau Scientifique, après le départ de Laugier au Canada en février 1941. Mais la reprise en main par Laugier de l'association France Forever au printemps 1942 va lui donner l'occasion de fréquents déplacements à New York, où par ailleurs, l'Ecole Libre des Hau• tes Etudes (ELHE) est inaugurée le 14 février 1942. Laugier, Rapkine, Jean Perrin et son fils Francis constituent l'équipe dirigeante de la section des

41 Paris, Archives de l'IP, Fonds Rapkine, Correspondance « officielle» (France libre), Création du Bureau Scientifique, Lettre de Rapkine à Pleven, 9.9.194l. 42 Paris, Archives de l'IP, Fonds Rapkine, Lettre de Rapkine à Tixier, 26.2.1942. LES SCIENTIFIQUESFRANÇAISENEXILAUXETATS-UNIS 47 sciences de l'ELHE qui ouvre peu après, en avril 1942.43 La plupart des membres du Bureau Scientifique, mais également d'autres scientifiques réfugiés, français et belges, y enseignent leur discipline, en français.

6. Création du French Scholars' Fund Alors que Rapkine lui-même ne dispose d'aucun salaire, qu'il a refu• sé plusieurs postes de recherche pour se consacrer entièrement à l'exfiltra• tion de l'élite des scientifiques français, il réunit un fonds en leur faveur. À l'origine destiné à financer le voyage des bénéficiaires de visas d'urgence, il sert rapidement à constituer une réserve pour dépanner les nouveaux arri• vés et les aider à faire face aux difficultés liées à leur installation dans ce pays d'exil. Rappelons que, pour des raisons de sécurité, les scientifiques n'arrivent pas seuls aux Etats-Unis, mais accompagnés de leur famille (femme, enfants, éventuellement leurs propres parents et/ou beaux• parents) : de nombreuses bouches à nourrir. Le fonds est constitué principa• lement des dons de Français également en exil aux Etats-Unis: Paul, Pierre et Jacques Wertheimer (parfumerie Bourjois et Chanel+', Edouard, Guy, Bethsabée de Rothschild, Claude Bernheim, Horace Finaly (ancien prési• dent de la Banque de Paris et des Pays-Bas), etc. Ce fonds prend en 1941 le nom de French Scholars' Fund (président: Bethsabée de Rothschild, secré• taire: André Wertheimer, trésorier: Janine Bernheim.P À part ces person-

43 Sur I'ELHE, cf Chaubet, François et Loyer, Emmanuelle, « L'école libre des hautes études de New York: exil et résistance intellectuelle (1942-1946) », Revue historique, Octobre-Décembre 2000, pp.939-972 et Zolberg, Aristide R. with the assistance of Agnès Callamard, "The Ecole Libre at the New School, 1941-1946", Social Research, Winter 1998, pp. 921-951. Sur la section scientifi• que de l'ELHE, cf Dosso, Diane, « Les scientifiques français réfugiés en Amérique et la France Libre », in Matériaux pour l'histoire de notre temps, n° 60, octobre• décembre 2000 (publié en octobre 2001), pp. 34-40. 44 Coco Chanel (1883-1970) confia en 1924 la fabrication et la distribution de ses parfums à Pierre Wertheimer, déjà propriétaire de l'entreprise Bourjois. Il contrôle alors 70 % du capital, et Coco Chanell0 %. Depuis 1954, la famille Wer• theimer (aujourd'hui les petits enfants de Pierre, Alain et Gérard), détiennent la totalité des parts de la société Chanel. 45 Le 17 septembre 1951, il prendra officiellement le nom de Rapkine French Scientists Fund (fonds Rapkine des scientifiques français) ; présidente: Bethsabée de Rothschild; Antoine Wertheimer, secrétaire; Janine Bernheim, trésorière. Ce fonds permet aux scientifiques français bénéficiant de dons en dollars versés par des particuliers ou des organismes américains de faire procéder à l'acquisition aux 48 DIANEDosso

nes très fortunées qui ont pu émigrer confortablement (certaines ont traver• sé l'Atlantique en hydravion), les réfugiés français vivent modestement à New York. L'avocate Suzanne Blum témoigne dans son livre Vivre sans la patrie:

« Je découvris [Laugier et Rapkine] au Pickwick Arms, dans deux chambres cellules, séparées par une douche commune, s'apprêtant à subir l'hiver new-yorkais en costume d'été. Des amis se cotisèrent pour leur offrir au moins des manteaux. Laugier accepta de bonne grâce. Pour Louis [Rapkine] ce fut presque une tragédie. Il s'était fabriqué une dignité de pauvre qui allait être mise à rude épreuve. »46

Autre témoignage, celui du brésilien Paulo Duarte:

« Certains avaient des moyens, d'autres étaient riches comme Jules Romains, d'autres, enfin, comme Rapkine, les Bonnet,"? Laugier, River''' et nous [Paulo Duarte et sa femme Juanita] vivions très chichement. (...) [Laugier, depuis Montréal] m'a

Etats-Unis de matériels destinés à leurs laboratoires, en France. C'est une œuvre privée qui a alors pour siège le bureau de New York du CNRS. 46 Blum, Suzanne, Vivresans lapatrie, 1940-1945, Paris: Plon, 1975, p. 67. 47 Henri Bonnet (1888-1978), diplomate, a dirigé à Paris de 1931 à 1940 l'Ins• titut International de Coopération Intellectuelle que les autorités allemandes fer• ment à leur arrivée dans la capitale. Il se réfugie à Londres, puis à New York le 21 août 1940 grâce au financement de la fondation Rockefeller. Il est l'un des premiers à y rencontrer Laugier et Rapkine, cinq jours après leur arrivée. Le 20 novembre 1940, une bourse pour deux ans lui sera attribuée pour permettre à l'American Council of Learned Societies (Centre américain des sociétés savantes) de l'employer. (Tarrytown (NY), RAC, RG 1.1, S 200, Box 48, Folder 554). 48 Paul Rivet (1876-1958), créateur avec Marcel Mauss et Lucien Lévy-Bruhl en 1925 de l'Institut d'ethnologie de l'université de Paris. Il est l'un des fondateurs en 1934 avec Paul Langevin et Alain du Comité de Vigilance des Intellectuels Antifascistes. Révoqué de l'université de Paris en novembre 1940, en même temps que Paul Langevin, il perd son poste de directeur du Musée de l'Homme. Avant de prendre finalement la route de l'exil en Colombie (où il crée un institut comparable à celui de Paris), Rivet penchait pour la résistance intérieure. Il avait d'ailleurs demandé à Laugier de l' « oublier dans les ordres d'évacuation », ce que Laugier avait fait. (Paris, Archives du Musée de l'Homme, Correspondance Paul Rivet, Ms 1/4432, Lettre de Laugier, s.d., [1941].) En 1945, de Gaulle le nommera conseiller culturel à Mexico. LES SCIENTIFIQUES FRANÇAIS EN EXIL AUX ETATS-UNIS 49

déclaré qu'il ne pouvait plus vivre tranquille sans connaître notre situation financière. (...) Laugier avait reçu son premier traitement à l'Université (500$) et avait pris le train de nuit pour nous donner respectivement cent dollars à Rapkine et à moi. »49

7. Vers la possibilité de travailler pour la Défense Nationale américai• ne? Bien qu'officiellement rattachés à la France libre par la signature de l'engagement, les scientifiques ne sont pas encore autorisés à travailler pour la Défense Nationale américaine. C'est à cela que Rapkine travaille d'arra• che-pied. Le 13 février 1942, il envoie un mémorandum et la liste des scientifiques approuvée par les autorités militaires de Londres aux autorités américaines de Défense Nationale, après avoir rencontré un membre de chacune d'elles: le National Defense Research Committee (comité de re• cherche de la défense nationale), l' Office of the Coordinator of Information (bureau du coordinateur de l'information), le Bureau of the Naval Intelli• gence (bureau des renseignements de la marine), le Foreign Liaison Office of the WarDepartment (bureau de liaison avec l' étranger du ministère de la guerre'P''. D'après Colin W. Nettelbeck, auteur d'un ouvrage sur les Fran• çais exilés aux Etats-Unis de 1939 à 1945, ce texte représente une « tentati• ve d'obtenir des autorités américaines qu'elles reconnaissent explicitement à l'organisation gaulliste un rôle réel et direct dans l'effort de guerre améri• cain. Ce qui aurait entraîné une reconnaissance de facto des Free French. C'était impossible puisqu'au début de l'année 1942 l'Amérique était encore très engagée dans sa reconnaissance de la légitimité de Vichy. »51 Ce n'est en effet que le 1er mai 1942 que l'ambassadeur des Etats-Unis en France, l'amiral Leahy, quittera définitivement la France, rentrant officiellement pour « consultation à Washington », signe que la politique française de

49 Paris, Institut , Fonds Henri Laugier, Extrait d'un article de Duarte, Paulo, « Henri Laugier, un mage moderne », traduit du portugais par le Quai d'Orsay à la demande d'André Ganem, 0 Estado (Sao Paulo), 1973 ou 1974. 50 Paris, Archives de l'IP, Fonds Rapkine, Dossiers d'organisation, Bureau des Scientifiques, "Memorandum concerning French Scientists in North- and South- America", en anglais, 13.2.1942. 51 Nettelbeck, Colin W., Forever French. Exile in the United States, 1939- 1945, New York-Oxford: Berg, 1991, p. 118. 50 DIANE Dosso

Washington a échoué. Bien que désormais tièdes, les relations diplomati• ques ne sont cependant pas encore rompues avec Pétain. La France libre n'a toujours pas bonne presse auprès des Américains qui n'ont aucune sympa• thie pour le général de Gaulle. Pour l' administration américaine de Was• hington' il n'est rien d'autre qu'un apprenti-dictateur. C'est seulement à la fin du mois de juillet 1942 qu'on assistera à un timide rapprochement entre les Etats-Unis et la France libre: Roosevelt chargera l'amiral Stark de re• présenter les Etats-Unis auprès du général de Gaulle.V Dans son rapport, Rapkine explique de nouveau pourquoi il a fait venir en Amérique ces scientifiques français. Il s'agissait d'abord de leur éviter une collaboration forcée avec les Allemands. Ensuite, il fallait que ces scientifiques français puissent partager avec leurs confrères britanniques, américains et cana• diens, leurs connaissances, leur expérience et leurs compétences. C'est une façon de placer la France libre au cœur des Nations Unies.V Rapkine insis• te sur le fait que ces scientifiques français, partis de France « non par peur des privations mais parce qu'ils voulaient être plus près du champ de batail• le », sont « psychologiquement et moralement malheureux d'être seulement autorisés à poursuivre leurs recherches scientifiques fondamentales person• nelles. (...) Ils désirent énormément être utilisés totalement à des problèmes de Défense Nationale. Ils veulent être à la disposition entière des autorités américaines. » Il explique qu'il les connaît tous personnellement, qu'il ré• pond de chacun d'eux. Bref, il plaide sa cause de la façon la plus convain• cante possible, répète sur tous les tons que si ces scientifiques français sont venus aux Etats-Unis, quittant leur pays, leurs affaires, et tout ce qui leur est cher, c'est uniquement pour « poursuivre la lutte pour la démocratie aux côtés des Américains et des Britanniques », « comprenant parfaitement que cette guerre contre le fascisme va au-delà des frontières nationales ». Il met en avant que maintenant qu'ils sont groupés au sein du Bureau Scientifique, la sécurité est totale car « chaque individu du groupe est responsable pour chaque autre individu. (...) De plus, et ceci est extrêmement important du point de vue de la sécurité, tous les scientifiques qui sont mariés sont arri-

52 Kaspi, [1990], op. cit., p. 308. 53 Ce terme qui remplace celui de Puissances associées (1917) est apparu lors de la conférence réunissant Churchill et Roosevelt à Washington du 22 décembre 1941 au 14janvier 1942. C'est à cette occasion que sont redéfinis les cadres de la coopération anglo-américaine, et que la déclaration des Nations Unies est adoptée par vingt-six pays. La France libre, qui vient d'irriter Washington en libérant Saint• Pierre-et-Miquelon, ne figure pas parmi les signataires. Elle en fera partie quelques années plus tard, en compagnie de vingt autres nations. LES SCIENTIFIQUES FRANÇAIS EN EXIL AUX ETATS-UNIS 51 vés avec femme et enfants afin qu'aucune pression morale ne puisse leur être imposée depuis la France. » Bien entendu, la décision finale appartient aux autorités américaines souligne-t-il en conclusion.

Rapkine ne se contente pas d'écrire aux autorités américaines, il in• forme non seulement son supérieur hiérarchique présent aux Etats-Unis, Adrien Tixier, mais envoie également une copie du mémorandum au conseiller scientifique de Churchill, Frederick Alexander Lindemann (futur Lord Cherwell), par l'intermédiaire de son frère, Charles L. Lindemann, ambassadeur de Grande-Bretagne à Washington. « Il pourrait être très utile pour cette question de I'utilisation des scientifiques, soit par les Améri• cains, soit par les Anglais. » commente-t-il. Bien que les Américains restent très méfiants vis-à-vis des Français, « j'espère », écrit Rapkine à Tixier, « que comme nos amis Anglais, ils considéreront les scientifiques français comme des collaborateurs et comme des amis en qui ils pourront avoir confiance. »54 Malheureusement, les difficultés continuent à s'accumuler. Rapkine se heurte cette fois à l'incompréhension du Colonel Brunschwig, qui fait pourtant partie du Bureau militaire de la Délégation de la France Libre. Ses objections sont au nombre de trois explique Rapkine à Tixier dans une lettre datée du 2 mars 1942 :

« 1) Il se demande très sérieusement si les scientifiques qui sont Français par naturalisation doivent être considérés au même titre que les Français nés. 2) Il objecte à la présence de 2 scientifiques polonais dans ma liste, en disant que les Forces Françaises Libres ne peuvent pas présenter aux Américains des scientifiques d'une autre nationalité. 3) Il n'est pas d'accord avec l'idée que les scientifiques français en Améri• que signent un engagement qui serait formulé un peu autre• ment que les engagements militaires ou civils habituels. »55

S'il comprend la deuxième objection, Rapkine trouve la première inadmissible.

« Cela sent le fascisme. Je vous avoue, je n'ai jamais entendu chose pareille d'aucun membre des Forces Françaises Libres.

54 Paris, Archives de l'IP, Fonds Rapkine, Correspondance « officielle» (France libre), Correspondance du Bureau Scientifique avec la Délégation, Lettre de Rapkine à Tixier, 16.2.1942. 55 Idem, Lettre de Rapkine à Tixier, 2.3.1942. 52 DIANEDosso

Je suis sûr que le général de Gaulle en serait indigné. (...) je suis sûr que vous serez de mon avis que c' est inadmissible de faire quelque distinction que ce soit entre Français. Laval l'a déjà fait, et Vichy continue, et ce ne sont pas des exemples à suivre. »56

Quant à sa troisième objection, il admet qu'il faut en discuter.

8. Quelle est la situation personnelle de Rapkine ? « [V]oici un an que je suis sans ressource aucune et que je ne vis que d' emprunts »57 déclare Rapkine le 26 février 1942 à Adrien Tixier, chef de la Délégation après le retour à Londres de René Pleven. Cette situation lui est devenue particulièrement insupportable depuis que sa femme Sarah et leur fille âgée de 9 ans ont finalement réussi à le rejoindre en Amérique, le 13 juin 1941. À la création officielle du Bureau Scientifique, c'est-à-dire depuis le début du mois de décembre 1941, Rapkine est pourtant devenu un membre du personnel de la Délégation de la France libre aux Etats-Unis. Il estime donc normal de recevoir une aide financière.

« Je ne considère pas qu'un service rendu à quelque cause que ce soit, surtout à la cause de la France, doive être rémunéré. Je demande seulement à pouvoir subsister et faire subsister ma famille pour pouvoir continuer ce travail que je fais, croyez• moi, avec amour. »58

Rapkine s'est parfaitement entendu avec Pleven qui lui a spontané• ment proposé la création du Bureau Scientifique, a participé financièrement au nom de la France libre au transport des scientifiques français et en son nom propre au French Scholars' Fund. Mais avec Tixier, les relations sont plus tendues. Ce dernier aurait souhaité que Pleven lui confirme par écrit ce qu'illui avait seulement exposé oralement avant de repartir pour Londres à propos du projet de Bureau Scientifique et de son futur chef, Rapkine. Su• zanne Blum témoigne dans ses souvenirs:

56 Idem. 57 Idem, Lettre de Rapkine à Tixier du 26.2.1942. 58 Idem. LES SCIENTIFIQUES FRANÇAIS EN EXIL AUX ETATS-UNIS 53

« Hélas... René Pleven partit pour Londres et l'espoir s'évanouit. Louis Rapkine resta aux prises avec Adrien Tixier. Aucune affinité ne pouvait lier ces deux êtres aussi fondamen• talement dissemblables: I'un, toute pureté, foi et amour, I' autre courageux et convaincu, certes, dont le sectarisme et la brusquerie s' accommodaient mal des relations humaines. Ce dernier refusa net l'appui sollicité: René Pleven, disait-il, ne lui avait pas confirmé ce projet par écrit. »59

Dans sa lettre du 26 février 1942 à Tixier (qui doit se rendre prochai• nement à Londres), Rapkine en arrive donc à menacer de « renoncer à tout ce travail afin de trouver des moyens de subsistance. »60 C'est justement dans cette période, le 17 février 1942 exactement, que Rapkine tente de déposer un brevet pour la fabrication du glutathionv'. Apparemment, ce projet ne connut pas de suite, nous ne savons pas pour quelle raison. Dans sa réponse datée du 3 mars 1942, Tixier se déclare tout à fait conscient des efforts de Rapkine, de son dévouement, mais sans ressource suffisante : les accroissements de budget qu'il a demandés à Londres ne lui ont pas été accordés. Il décide néanmoins d'allouer à titre provisoire à Rapkine 200$ par mois à compter du Ier février 194262. Soulignons que Rapkine s'est occupé de sa situation personnelle en dernier lieu, après avoir obtenu de l'argent pour que le Bureau Scientifique puisse continuer à fonctionner correctement, et seulement après l'envoi du mémorandum aux autorités américaines de défense, démarche destinée à obtenir la participation fran• çaise à l'effort de guerre allié.

59 CfBlum, Suzanne, op. cit., p. 74. 60 Paris, Archives de l'IP, Fonds Rapkine, Lettre de Rapkine à Tixier, 26.2.1942. 61 Ibid., « Brevet pour la fabrication du glutathion », 17.2.1942. Le glutathion est un triceptide qui se compose de trois aminoacides: l'acide glutamique, la cystéi• ne et la glycine. C'est l'antioxydant propre de la cellule. Le glutathion joue un rôle clé dans la défense de l'organisme contre les agents polluants et le rayonnement ultraviolet. 62 Paris, Archives de l'IP, Fond~ Rapkine, Correspondance « officielle» (France libre), Correspondance du Bureau Scientifique avec la Délégation, Lettre de Tixier à Rapkine, 3.3.1942. 54 DIANEDosso

9. Premières mises en affectation spéciale Rapkine annonce à Tixier les premiers résultats le 21 mai 1942 : qua• tre scientifiques seront utilisés par des services américains pour des travaux de Défense Nationale. Il s'agit de Claude Lévi-Strauss au War Department (Service de guerre), d' Aniuta Winter dans un Laboratoire d'hygiène, de Francis Perrin au sein de la Canadian Radium and Uranium Corporation, et de Ladislas Goldstein pour cette dernière entreprise.s'' La procédure est la suivante:

« [Les scientifiques sont] placés en affectation spéciale auprès des Services américains, mais contin[ uent] à relever des rè• glements militaires de la France Libre. (...) Cette manière de procéder permet à la fois de satisfaire aux exigences de garan• tie demandées par les autorités américaines, de garder un contrôle sur l'activité du groupe scientifique, et de pouvoir justifier l'affectation spéciale devant les autorités militaires à Londres. »64

Le 23 juillet 1942, soit près deux mois plus tard, trois autres scienti• fiques sont autorisés à mener des travaux pour la Défense Nationale: Mi• chel Magat, pour des études sur le caoutchouc synthétique menées à Prince• ton, Salomon Rosenblum travaillera à son tour pour la Canadian Radium and Uranium Corporation, et Bertrand Goldschmidt étudiera des problè• mes de radiochimie avec le gouvernement britannique.s> Les mises en af• fectation spéciale se font en dehors des situations occupées par les scienti• fiques dans les universités américaines. Ainsi, par exemple, Francis Perrin ne consacre qu'un tiers de son temps à la Défense Nationale au sein de la Canadian and Uranium Radium Corporation. Le 12 septembre 1942, alors que sept scientifiques ont déjà été mis en affectation spéciale, Henri Laugier et Louis Rapkine envoient un « Mé• morandum concernant les scientifiques français en Amérique du Nord et du Sud» à Sumner Welles, le sous-secrétaire d' état américain. Henri Laugier le fait en tant que vice-président de France Forever. Ce mémorandum est accompagné de la liste des scientifiques français aux Etats-Unis, membres

63 Ibid., Lettre de Rapkine à Tixier, 21.5 .1942. 64 Ibid., Lettre circulaire de Rapkine du 12.3.1942. 65 Ibid., Lettre de Rapkine à Tixier, 23.7.1942. LES SCIENTIFIQUES FRANÇAIS EN EXIL AUX ETATS-UNIS 55 du Bureau Scientifique, et de leur notice biographique.v'' Quelque temps après, Rapkine envoie également aux services secrets (O.S.S.), ainsi qu'à l'Interallied Information Center (centre d'information interallié) la liste des notices biographiques de trente-sept scientifiques, précisant que seuls vingt• huit d'entre eux appartiennent au Bureau Scientifique.?? La liste les répartit en physiciens (et ingénieurs), mathématiciens, sciences médicales (biochi• mistes, biophysiciens, physiologistes, biologistes), géographes, anthropolo• gues. Les neuf extérieurs au Bureau Scientifique sont: Ferdinand Beer, Claude Chevalley, Ervand Kogbetliantz, Raphaël Salem, André Weil (dis• cipline: mathématiques), Raymond Cahen (pharmacologie), Nine Chou• croun (biological physics), Jacqueline Hadamard et Léon Brillouin (physi• que). Ce dernier signera l'engagement le 5 novembre 1942 seulement, c'est• à-dire au moment du débarquement allié en Afrique du nord où sa fille Isabelle et son gendre, Gilbert Boris68, spécialiste de langues arabes, sont réfugiés. Nous ne savons pas quelles sont les raisons de leur non• appartenance, sauf pour les cas de Claude Chevalley et d'André Weil dont l'adhésion a été refusée par le général de Gaulle à cause de leur attitude au début de la guerre. André Weil était déserteur et Claude Chevalley déjà en poste à Princeton lorsque la guerre éclata, nous ne savons rien de plus sur son attitude politique. Quant à Jacqueline Hadamard, sa non-appartenance au Bureau Scientifique reste à nos yeux mystérieuse puisqu'elle avait ré• pondu positivement à la circulaire de Rapkine : « D' accord pour toutes les propositions que vous pourrez faire sur quelque question que ce soit pour coopérer à la lutte en cours contre le nazisme. »69 Quinze scientifiques français sur les trente-cinq que compte le Bu• reau Scientifique(Rapkine y compris), sont mis en affectation spéciale (AS)

66 Ibid., Dossiers d'organisation, Correspondance avec les centres américains de Défense Nationale, Memorandum cosigné par Rapkine et Laugier, daté du 12.9.1942. 67 Washington, National Archives, RG 226 Records of the OSS, Entry 142, Box l, Folder l, « Liste des scientifiques préparée par Louis Rapkine. For Interal• lied Information Center andfor the Office of Strategic Services », reçue par 1'OSS le 28.9.1942. 68 La section des sciences humaines de la fondation Rockefeller vote en sa faveur, le 24 juillet 1941, une subvention pour qu'il rejoigne pour deux ans la New School for Social Research. Elle sera définitivement annulée le 19 août 1942 : le permis de sortie qui lui aurait permis de quitter Tunis lui ayant été sans cesse refu• sé, tout espoir de rejoindre les Etats-Unis est désormais évanoui. 69 Paris, Archives de l'IP, Fonds Rapkine, Dossiers d'organisation, Corres• pondance avec les scientifiques, Lettre de Jacqueline Hadamard, 13.1.1942. 56 DIANEDosso

de mai 1942 à juillet 194370. Pierre Auger, Salomon Rosenblum, Jules Guéron, Hans Halban le sont au Canada, auprès du Department of Scienti• fic and Industrial Research britannique (DSIR, service de recherche scienti• fique et industriel) ou de l'entreprise Canadian Uranium and Radium Cor• poration, pour Stanislas et Aniuta Winter. Force est de constater que la participation des membres du Bureau Scientifique à l'effort de guerre reste marginale. Malgré tous les efforts de Rapkine, les Américains persistent à « consid[érer] les Français combat• tants, quand il s'agit de travaux secrets de guerre, comme des « enemy aliens'. »71

Conclusion L'histoire des scientifiques français exilés pendant la Seconde guerre mondiale se poursuit avec la Mission Scientifique Française en Grande• Bretagne dirigée par Rapkine, première étape vers leur retour en France. L'organisation depuis New York de cette nouvelle mission est extrêmement complexe d'un point de vue diplomatique et administratif. Qui doit prendre en charge son financement? À qui la rattacher, à la mission diplomatique, à la Délégation de la France libre, à la mission militaire, au Service des Œu• vres ou bien encore au CNRS72 ? Les négociations sont si longues que les scientifiques parviennent à Londres bien après le débarquement des Alliés en Normandie. Mais la guerre n'est pas terminée, et les scientifiques fran• çais trouvent en Grande-Bretagne des collègues chaleureux, qui leur ou-

70 Francis Perrin, Claude Lévi-Strauss, Ladislas Goldstein et Aniuta Winter (mis en AS le 21.5.1942), Bertrand Goldschmidt, Michel Magat, Salomon Rosen• blum (le 23.7.1942), Stanislas Winter (le 14.9.1942), Pierre Auger (le 1er.12.l942), Robert Alkan (le 22.12.1942), Hans Halban (le 13.1.1943), Haïm Haimovici (le 2.2.1943), Leonide Goldstein (le 15.2.1943), Jules Guéron (le 15.6.1943), Szolem Mandelbrojt (le 12.7.1943) 71 Paris, Archives de l'IP, Fonds Rapkine, Correspondance « officielle » (France libre), Correspondance du Bureau Scientifique avec la Délégation, Lettre de Rapkine à Aglion, 3.1.1943. 72Henri Laugier, alors recteur de l'université d'Alger, est officiellement réin• tégré dans ses fonctions de directeur du CNRS par l'ordonnance de 4 juillet 1943 « concernant la réintégration des magistrats, fonctionnaires et agents civils et militai• res révoqués, mis à la retraite d' office, licenciés ou rétrogradés» (1.0. du 10juillet 1943). LES SCIENTIFIQUES FRANÇAIS EN EXIL AUX ETATS-UNIS 57 vrent grandes les portes de leurs laboratoires. La coopération peut repren• dre, les informations circuler des deux côtés de la Manche. L'activité de la Mission est multiple. Visites dans les ministères, les usines, les unités de production, les entreprises de pointe; organisation de conférences; diffusion des rapports détaillés rédigés par chaque participant. Préparation des missions britanniques en France, traduction des conféren• ces anglaises, fourniture des visas et titres de transport nécessaires. Recons• titution de la documentation scientifique pour les bibliothèques françaises. L'objectif des Français est de combler leur retard en matière de recherche scientifique, aussi bien théorique qu'appliquée. La Mission Scientifique Française est constituée de scientifiques exilés majoritairement en Améri• que en 1940-1942, auxquels se joignent les scientifiques français exilés en Angleterre avant la fin juin 1940, et enfin, en visite, ceux qui sont restés en France occupée. C'est là que réside l'originalité de la mission: faire se retrouver à l'étranger, c'est-à-dire en terrain neutre, les scientifiques exilés pendant la guerre et ceux qui ont vécu sous le joug nazi. Cette mission permet également de diffuser en Angleterre les informations sur qui a col• laboré ou non en France sous l'Occupation.

Ces deux à trois années d'exil américain, SUlVIespar ce séjour en Grande-Bretagne d'un an et demi représentent pour les scientifiques une expérience unique, enrichissante, qui va être pleinement utilisée dans la reconstruction de la science française. Désormais, les étudiants seront fré• quemment invités par leurs professeurs et directeurs à faire des stages dans les laboratoires de leurs collègues américains ou anglais. Quant à Rapkine, au moment où la mission est sur le point de s'ache• ver à Londres, à l'automne 1945, après en avoir rédigé un rapport largement diffusé, véritable plan de réorganisation de la recherche scientifique fran• çaise, il repart en mission auprès de la fondation Rockefeller. Il obtient le versement au CNRS de deux allocations utilisables jusqu'au 30 juin 1949 : l'une, d'un montant de 250000$ pour financer l'équipement des 35 meil• leurs laboratoires de sciences exactes de France; l'autre, d'un montant de 100 000$ (ou plus si nécessaire), pour que des scientifiques étrangers assis• tent à une série de petites conférences informelles. Ces subventions aident en profondeur la recherche scientifique française à rétablir rapidement sa position au niveau international. Tandis qu'à Londres, la Mission Scientifique Française en Grande• Bretagne se transforme en un Bureau Scientifique intégré aux services du Conseiller culturel de l'Ambassade, New York voit la création du Bureau Scientifique du CNRS. Les partenaires des deux bureaux sont, outre le 58 DIANE Dosso

CNRS, le tout récent Commissariat à l'Energie Atomique (CEA, créé le 18 octobre 1945), qui sera dirigé successivement par Frédéric Joliot-Curie puis Francis Perrin. Ainsi, l'exil des scientifiques français est à l'origine de nou• velles structures institutionnelles qui renforcent les liens et facilitent les échanges internationaux. Quant à Louis Rapkine, il installe en 1946 à l'Institut Pasteur un ser• vice de chimie cellulaire, impatient de retourner à la vie de laboratoire après ces longues années d'interruption de ses recherches en biochimie. Atteint par un cancer des poumons, il meurt le 13 décembre 1948 à l'hôpital Beaujon, à Paris, âgé de 44 ans. 2004 est le centenaire de sa naissance, le 14juillet 1904, à Tchichenitch, près de Minsk (Russie).

[email protected] LES SCIENTIFIQUESFRANÇAISENEXILAUXETATS-UNIS 59

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