Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com

Michel PINAULT

L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert

L’implication des scientifiques sur la scène publique et leur engagement dans des causes d’intérêt général – toutes choses qui caractérisent les intellectuels – se sont faits, de la fin du XIXe siècle à aujourd’hui, sur des thèmes et dans des formes, et selon une chronologie, qui distinguèrent ces scientifiques des autres intellectuels, hommes de lettres et artistes en particulier. C’est dans ce cadre qu’il convient de faire avancer cette « histoire en chantier » qu’est l’histoire des intellectuels scientifiques1. Dans le texte qui suit, après un bilan historiographique, je proposerai quelques caractérisations d’ensemble de ces intellectuels scientifiques et quelques charnières de leur évolution.

En consacrant, depuis une vingtaine d’années, leurs efforts au développement d’une histoire des intellectuels, les historiens français du contemporain ont généralement réservé aux scientifiques la portion congrue. C’est finalement ce que l’on constate lorsqu’on interroge les tables des matières et les index des derniers ouvrages de synthèse parus2. Nul ne songerait à en faire le reproche aux auteurs ; il ne s’agit que de la conséquence de l’état des recherches sur ce sujet. On note que si, dans de tels ouvrages, quelques grandes figures sont régulièrement invoquées, , Jean Perrin, d’autres, c’est plus souvent au titre d’archétypes symbolisant le milieu que d’une connaissance réelle de leurs trajectoires et de l’originalité de leur rôle politique.

1 Jean-François Sirinelli, « Le hasard ou la nécessité ? Une histoire en chantier : l’histoire des intellectuels », vingtième siècle, revue d’histoire, janvier-mars 1986, p. 97-107. 2 Voir Jacques Julliard et Michel Winock (dir.), Dictionnaire des intellectuels français, Seuil, Paris, 1996, et M. Winock, Le siècle des intellectuels, Seuil, Paris, 1997. 1

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com Il y a certes des freins structurels qui ne favorisent pas l’accumulation de travaux. Ainsi en est-il de la tradition qui a pu réserver, dans l’université française, l’histoire des sciences aux philosophes et aux épistémologistes, tandis que les historiens, qui paraissent craindre de s’attaquer à un domaine qui leur semble réclamer des compétences de spécialiste, se tournent encore trop souvent « naturellement » vers l’étude des écrivains et autres gens de plume3. Ainsi en est-il aussi du fait que reste négligé le rôle devenu décisif de la science et de la technique dans la vie sociale. La culture scientifique n’y progresse que lentement et la science n’apparaît dans les médias, le plus souvent, qu’à l’occasion de dérives inquiétantes et spectaculaires – « vache folle », SIDA, OGM, attentats bactériologiques – tandis que des découvertes importantes, des événements (attribution d’un prix Nobel, disparition d’un ancien prix Nobel), des prises de positions publiques pourtant incontournables des scientifiques sont à peu près ignorés : physiciens nucléaires au sujet de l’énergie nucléaire, biologistes au sujet des cultures d’OGM, pour ne citer que deux cas où certains scientifiques sont, à tort où à raison, plutôt à contre-courant de l’« opinion »4. Il faut donc que les historiens s’inscrivent à rebours de ces tendances pour choisir de travailler sur l’histoire des intellectuels scientifiques. L’article fondateur de Jean-François Sirinelli, « Le hasard ou la nécessité ? Un histoire en chantier : l’histoire des intellectuels », reste pour cela d’une grande actualité, en ce qu’il définissait un cadre, une problématique et des objectifs : re-parcourir des itinéraires d’intellectuels scientifiques et les rendre intelligibles, re- situer leur place au sein de leurs milieux et rendre compte de l’impact de leurs interventions sur

3 En voulant « introduire ses lecteurs aux réalités de la pensée scientifique » (Avant-propos, p. VII), grâce au Dictionnaire d’histoire et de philosophie des sciences (PUF, Paris, 1999) dont il a dirigé la réalisation, Dominique Lecourt a pérennisé cette démarche en accordant peu de place aux interventions directes des scientifiques dans le débat public. Dans son « Que sais-je ? » sur l’Histoire des sciences, Pascal Acot écrit un bref chapitre « Histoire des sciences, idéologie et politique » (PUF, Paris, 1999). La publication récente, sous la direction de Nicolas Witkowski, du Dictionnaire culturel des sciences (Seuil, Paris, 2001), a permis de donner une large place à l’histoire culturelle et à l’histoire des idées. Cependant, l’histoire des intellectuels scientifiques y est très peu revisitée. 4 Voir Bernadette Bensaude-Vincent et Anne Rasmussen, La Science populaire dans la presse et l’édition, XIX et XXe siècles, CNRS, Paris, 1997. Les débats intellectuels occasionnés par « l’affaire Sokal » ont donné une nouvelle dimension à la question de la science dans la vie intellectuelle : voir Alan Sokal Jean Bricmont, Impostures intellectuelles, Odile Jacob, Paris, 1997 ; Baudouin Jurdant(dir.), Impostures scientifiques. Les malentendus de l’affaire Sokal, La Découverte/Alliage, Paris, 1998 ; « Retour sur l’affaire Sokal : le vrai débat », en particulier les articles de Jean Khalfa et Juliette Simont, Les Temps modernes, n° 600, juil-sept. 1998. 2

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com les enjeux de leur temps5. Bien des « traversées de siècle » devront être accumulées pour que le temps des vastes synthèses s’ouvre dans notre domaine. L’histoire des intellectuels scientifiques, si elle doit se nourrir de travaux d’histoire culturelle et d’histoire intellectuelle - tant l’analyse des discours des intellectuels scientifiques sur la science, par exemple sur la science et la guerre, ou sur la science et la technologie, est essentielle, pour elle-même et pour les confronter à leurs pratiques6 -, ne peut s’envisager que fortement inscrite dans l’histoire sociale des milieux scientifiques. La sociologie, en affirmant que le science est soumise aux mêmes déterminations que les autres activités humaines a ouvert la voie à une telle histoire7. Ainsi, Pierre Bourdieu définit-il le « champ » scientifique comme « le lieu (c'est à dire l'espace de jeu) d'une lutte de concurrence qui a pour enjeu scientifique le monopole de l'autorité scientifique inséparablement définie comme capacité technique et comme pouvoir social »8. La vie scientifique comme une lutte pour le pouvoir ? On voit bien tout ce qu’une histoire des intellectuels scientifiques peut gagner à emprunter à cette approche démarches et définitions. Ainsi le sociologue Bruno Latour, soulignant que « ce que nous appelons société et ce que nous appelons la science sont rendus indissociables par le travail de nombreux savants, politiques et militaires », définissait son approche de l’étude des pratiques publiques des scientifiques en concluant : « On pourra même imaginer deux professions d'historiens, l'une qui préfèrera l'explication par la pure politique, l'autre par la pure science. On a coutume d'appeler externaliste la première et internaliste la seconde...J'appelle histoire sociale des sciences le projet intellectuel qui a pour but de résister à cette partition »9.

5 Voir Michel Pinault, Frédéric Joliot-Curie, Odile Jacob, Paris, 2000. 6 David Bloor, Knowledge and Social Imagery, Routledge, Londres, 1976 ; Steven Shapin, « History of Science and its Sociological Reconstructions », History of Science, 1982-20, p. 157-211. 7 Il reste nécessaire de relire les conférences fondatrices de Max Weber sur Le Savant et le Politique (Plon, Paris, 1959, 1ère éd. 1919). Krzysztof Pomian qui écrit que « les liens entre la science et l’histoire sont beaucoup plus profonds qu’on ne le pense d’habitude », invite à rapprocher, dans le cadre d’une histoire de la connaissance, l’étude des pratiques scientifiques et des pratiques historiennes (K. Pomian, « L’Histoire de la science et l’histoire de l’histoire », Annales ESC, n° 5, 1975, p. 935-952, texte repris dans Sur l’histoire, Gallimard, Paris, 1999). 8 Pierre Bourdieu, "La Spécificité du champ scientifique et les conditions sociales du progrès de la raison", Sociologie et Sociétés, VII, 1975, p. 91-118. Voir aussi P. Bourdieu, Les usages sociaux de la science. Pour une sociologie clinique du champ scientifique, INRA éd. Paris, 1997. 9 Bruno Latour, « Joliot : l’histoire et la physique mêlées », dans M. Serres (dir.), Eléments d’histoire des sciences, Bordas, Paris, 1989, p. 493-513. Latour appartient à un courant, issu des Social Studies of Science anglo-saxonnes, d’abord soucieux d’une approche micro-sociologique des pratiques de laboratoire et élargissant son champ de réflexion aux rapports entre les pratiques scientifiques et les différents pouvoirs (économiques, militaires, politiques…). Voir B. Latour, Le Métier de chercheur, regard d’un anthropologue, INRA éd., Paris, 1995, et le recueil d’articles, La science en action, La Découverte, Paris, 1989. Bilans historiographique et bibliographique par Bernard-Pierre Lecuyer d’une part ("Bilan et perspectives de la 3

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com L'ouvrage collectif sur les milieux pastoriens à la fin du XIXème siècle, dirigé par Claire Salomon-Bayet, constitue une référence pour ceux qui veulent ainsi replacer l’histoire des intellectuels scientifiques dans le cadre d’une histoire sociale qui rend compréhensible leurs trajectoires. Les scientifiques y apparaissent comme de véritables « interfaces » entre la science et la société10. Dominique Pestre a lui aussi ouvert la voie, avec son étude des conditions de développement de la physique en France entre les deux guerres mondiales. Il y étudiait le milieu social concerné, aussi bien son organisation que ses modes de fonctionnement, son renouvellement et ses blocages, ses rapports avec la société, les conceptions idéologiques, épistémologiques ou politiques qui l'animaient11. Les études de sciences politiques, dès les années soixante, ont aussi nourri une approche historienne des rapports entre la science et l’Etat, axée sur les problèmes de la définition d’une « politique de la science », du rôle des scientifiques dans les instances de décision et d’organisation de la communauté de la recherche. Après Robert Gilpin, en 1968, Jean-Jacques Salomon puis Pierre Papon proposaient des monographies sur le science et l’Etat en France. Luc Rouban, en 1988, publiait L'Etat et la science - La politique publique de la science et de la recherche. D’autres étudiaient les rapports entre technocratie et pouvoir politique12. Plusieurs entreprises, en se donnant pour but de faire l’histoire de la recherche publique en France, ont croisé et croisent en permanence la question des intellectuels scientifiques : il s’agit, d’une part, de l’équipe réunie autour d'Antoine Prost, lors de la préparation du colloque du 50ème anniversaire du CNRS, qui a publié dix livraisons des Cahiers pour l'histoire du CNRS, 1939-1989, Jean-François Picard proposant ensuite une importante synthèse intitulée : La République des savants – La recherche française et le CNRS ; il s’agit, d’autre part, des participants à deux séminaires : « Politiques et engagements

sociologie des sciences dans les pays occidentaux", Archives européennes de Sociologie, vol. 19, 1978, p. 257-336) et Dominique Pestre d’autre part ("Pour une histoire sociale et culturelle des sciences. Nouvelles définitions, nouveaux objets, nouvelles pratiques", Les Annales ESC, mai-juin 1995, p. 487-522, et "Les « Social Studies of Science »", Raison Présente, n° 119, 3e trim. 1996, p. 35-46). 10 Claire Salomon-Bayet (dir.), Pasteur et la révolution pastorienne, Payot, Paris, 1986. 11 D. Pestre, Physique et physiciens en France, (1918-1940), Archives contemporaines, Paris, 1984. 12 Robert Gilpin, La Science et l'Etat en France, Gallimard, Paris, 1968 ; Jean-Jacques Salomon, Science et politique, Economica, Paris, 1989, (Seuil, 1970) ; Pierre Papon, Le Pouvoir et la science en France, Editions du Centurion, Paris, 1978 ; Luc Rouban, L'Etat et la science. La politique publique de la science et de la recherche, CNRS, Paris, 1988. Philippe Bauchard, Les Technocrates et le pouvoir, Arthaud, Paris, 1966 ; Gérard Brun, Technocrates et technocratie en France, 1914-1945, Albatros, Paris, 1985. Voir aussi Lawrence Scheinman, Atomic Energy Policy in France under the Forth Republic, Princeton Univ. Press, 1965. 4

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com scientifiques en France, 1958-1968 », animé par Vincent Duclerc, à l’EHESS, et « Histoire du CNRS », animé à l’IHMC par Muriel Le Roux qui est aussi membre du comité pour l’histoire du CNRS, dirigé par André Kaspi, qui édite depuis deux ans La Revue pour l’histoire du CNRS (5 livraisons)13. Concernant les intellectuels scientifiques français, Vincent Duclerc prépare une thèse sur l’engagement des savants et l’affaire Dreyfus, les physiciens nucléaires ont été étudiés par Spencer Weart puis par M. Pinault ; quelques études, en particulier la thèse de Jacqueline Eidelman, ont porté sur la période du Front populaire14. La thèse de Diane Dosso sur la mobilisation scientifique lors de la Seconde Guerre mondiale fait une place aux problèmes de l’engagement15. Quelques itinéraires, enfin, ont été retracés, comme ceux de Langevin, Perrin, Marie Curie, Borel, Henri Laugier16. Dans ce domaine, les éditions Belin, avec leur collection « Un Savant, une Epoque », ont déjà beaucoup apporté. Au sujet des rapports des scientifiques avec le parti communiste, alors qu’ils étaient les grands absents des ouvrages de Tony Judt ou Jeannine Verdès-Leroux, Frédérique Mattonti, après sa contribution sur les intellectuels communistes dans Le siècle des communismes, a proposé une approche de l’engagement des

13 Jean-François Picard, La République des savants – la recherche française et le CNRS, Flammarion, Paris, 1990, et « Le CNRS au temps de », dossier dans La Revue pour l’histoire du CNRS, n° 1, novembre 1999. Voir Serge Moscovici, "L'Histoire des sciences et la science des historiens", Archives Européennes de Sociologie, VII, 1966, p. 116-126, et J. Roger, "Pour une histoire historienne des sciences", dans Pour une histoire des sciences à part entière, Albin Michel, Paris, 1995, p. 45-73. 14 Vincent Duclerc, « De l’engagement des savants à l’intellectuel critique : une histoire intellectuelle de l’affaire Dreyfus », Historical reflexions, 24-81, 1998 ; « L’Engagement scientifique et l’intellectuel démocratique – Le sens de l’affaire Dreyfus », Politix, « Le savant et le politique », n° 48, 4e trim. 1999, p. 71-94 ; et « Les Revues scientifiques : une histoire de la science et des savants français sous l'Occupation », La Revue des revues, n° 24, 1997, p. 161-193. Spencer R. Weart, La Grande aventure des atomistes français. Les savants au pouvoir, Fayard, Paris, 1980 ; M. Pinault, ouvr. cité. Jacqueline Eidelman, La Création du Palais de la Découverte - professionnalisation de la recherche et culture scientifique dans l'entre-deux guerres, thèse Université Paris V, 1988 ; et "Du Maitron à la Montagne Sainte-Geneviève : parcours culturels à travers la recherche scientifique française de l'entre-deux-guerres", dans N. Racine et M. Trébitsch, Intellectuels engagés d'une guerre à l'autre, Cahiers de l'IHTP, n° 26, mars 1994, p.39-50. Mary-Jo Nye, Science in the Provinces, Scientific Communities and Provincial Leadership in France, 1860-1930, Univ. Calif. Press, Berkeley, 1986. Voir aussi les pages sur la science dans Pascal Ory, La Belle illusion – Culture et politique sous le signe du Front populaire, 1935-1938, Plon, Paris, 1994. 15 Diane Dosso, « Louis Rapkine et la mobilisation scientifique de la France Libre », thèse Université Paris VII, 1998 ; et « Les Scientifiques français réfugiés en Amérique et la France Libre », Matériaux pour l’histoire de notre temps, oct-déc 2000, n° 60, p.34-40. 16 B. Bensaude-Vincent, Langevin, science et vigilance, Belin, Paris, 1987 ; Paul Brouzeng, Duhem, 1861-1916, science et providence, Belin, Paris, 1987 ; Micheline Charpentier-Morize, Perrin, savant et homme politique, Belin, Paris,1997 ; Vladimir Maz’ya et Tatyana Shaposhnikova, , A Universal Mathematician, American Mathematical Society, Providence – Etats-Unis, 1998 ; Robert Reid, Marie Curie, derrière la légende, Seuil, Paris, 1979 ; Jean-Louis Crémieux-Brilhac et J.-F. Picard (dir.), Henri Laugier et son siècle, CNRS, Paris, 1995 ; Chantal Morelle et Pierre Jakob, Henri Laugier, un esprit sans frontières, Bruylant/LGDG, Paris, 1997 ; A. Tétry, Jean Rostand, prophète clairvoyant et fraternel, Gallimard, Paris, 1983. Notices de Francis Perrin par M. Pinault, DBMOF, t. 44, Biographies nouvelles, Ed. de l’Atelier, Paris, 1997. Voir aussi Michel Rouzé, Les Nobel scientifiques français, La Découverte, Paris, 1988. 5

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com scientifiques communistes lors du colloque « Actualité de Frédéric Joliot-Curie » qui s’est tenu en octobre 200017. Au total, les travaux sur les intellectuels scientifiques restent trop rares et partiels pour songer à proposer une généralisation, malgré les pages que leur consacrent Christophe Prochasson et Christophe Charle, et l’intérêt des études existantes sur les Normaliens ou les Polytechniciens18. Au moins pouvons-nous nous appuyer sur un certain nombre d’instruments prosopographiques ou biographiques, permettant d’avoir une vue presque complète de la communauté scientifique française au milieu du XXème siècle, grâce en particulier aux travaux de Christophe Charle et Eva Telkès, et sur de nombreux récits autobiographiques, souvent d’un grand intérêt, par exemple, ceux de Marcel Prenant, de Anatole Abragam ou de Laurent Schwartz19. Signalons une séries d’approches internationales, souvent menées par des historiens anglo- saxons, comme John Heilbron, Lewis Feuer ou Spencer Weart, ainsi que les études de Brigitte

17 Tony Judt, Un Passé imparfait, les intellectuels en France, 1944-1956, Fayard, Paris, 1992 ; Jeannine Verdès-Leroux, Au Service du Parti, le Parti communiste, les intellectuels et la culture (1944-1956), et Le Réveil des somnambules, le Parti communiste, les intellectuels et la culture (1956-1985), Fayard-Minuit, Paris, 1983 et 1987 ; Michel Dreyfus et al. (dir.), Le Siècle des communismes, Ed. de l’Atelier, Paris, 2000 ; Frédérique Matonti, « Joliot-Curie et l’engagement politique des scientifiques de son temps », dans M. Bordry et P. Radvanyi (dir.), Œuvre et engagement de Frédéric Joliot-Curie, EDP- Sciences, Les Ulis, 2001, p. 107-120. Rappelons l’intérêt de deux études sur l’affaire Lyssenko : D. Lecourt, Lyssenko, histoire réelle d’une « science prolétarienne », François Maspéro, Paris, 1976, et Joël et Dan Kotek, L’Affaire Lyssenko ; Complexe, Bruxelles, 1986. 18 Christophe Prochasson, Les Intellectuels et le socialisme, Plon, Paris, 1997, chap. III « Science et socialisme », p. 71-95 ; Christophe Charle, La République des universitaires, 1870-1940, Seuil, Paris, 1994, en particulier le chap. 7 « Champ universitaire et champ du pouvoir », p. 291-342 ; J.-F. Sirinelli, Génération intellectuelle, khâgneux et normaliens d’une guerre à l’autre, Fayard, Paris, 1988 ; Terry Shinn, Savoir scientifique et pouvoir social, l’Ecole polytechnique, 1794-1914, Presses de la FNSP, Paris, 1980. 19 Citons, pour l’essentiel : Annuaire des membres de la Société Philomathique de Paris, PUF, Paris, 1990 ; C. Charle et Eva Telkès, Les Professeurs du Collège de France - dictionnaire biographique, 1901-1939, INRP/CNRS, Paris, 1988, et Les Professeurs de la Faculté des sciences de Paris - dictionnaire biographique, 1901-1939, INRP/CNRS, Paris, 1989 ; Claudine Fontanon André Greton, Les Professeurs du Conservatoire national des arts et métiers, dictionnaire biographique, 1794-1955, 2 vol., INRP-CNAM, Paris ; Huguet Françoise, Les Professeurs de la Faculté de Médecine de Paris, dictionnaire biographique, 1794-1939, INRP/CNRS, 1992 ; peu de choses publiées sur les pasteuriens, mais il existe un DEA de S. Legout et les dossiers biographiques réunis par les archivistes de l’Institut Pasteur ; Nath Imbert, Dictionnaire national des contemporains, Editions La Jeunesse, Paris, 1939 ; Index biographique de l'Académie des Sciences, 1966-1978, Académie des Sciences, Paris, 1979 ; J.-F. Sirinelli (dir.), Ecole Normale Supérieure. Le livre du centenaire, PUF, Paris, 1994 ; catalogue de l'exposition L'Ecole Normale Supérieure, Maîtres et élèves, célébrités et savants, 1794-1994 (Archives Nationales, oct. 1994-janv. 1995) ; Jacques Lesourne (dir.), Les Polytechniciens dans le siècle, 1894-1994, Dunod, Paris, 1994 ; Jean Maitron et Claude Pennetier, Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français, 1914-1939, Editions ouvrières, Paris, 1981-1991 ; et aussi Biographical Memoirs of the Felows of the Royal Society, The Royal Society, Londres, 47 vol ; Biographical Memoirs de la National Academy of Sciences des Etats-Unis, Nat. Acad. Press, Washington D.C., 73 vol. ; Charles Gillipsie (dir.), Dictionary of Scientific Biography, 16 vol., Scribners & Sons, New York, 1970-1980 ; ainsi que les notices nécrologiques dans les Cahiers rationalistes, la Revue du Palais de la Découverte ou le Dictionnaire des francs-maçons français (Albatros, paris, 1981). Marcel Prenant, Toute une vie à gauche, Encre–éd., paris, 1980 ; Anatole Abragam, De la physique avant toute chose, Odile Jacob, Paris, 1987 ; Laurent Schwartz, Un Mathématicien aux prises avec le siècle, Odile Jacob, Paris, 1997. Voir aussi Marian Schmidt, Hommes de science, 28 portraits, Hermann, Paris, 1990. 6

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com Schroeder-Gudehus20. Enfin, certains mouvements internationaux de scientifiques ont commencé à être étudié, comme le mouvement de Pugwash ou le Congrès pour la liberté de la culture21. Les recherches sur les intellectuels scientifiques américains, britanniques, voire allemands, sont plus avancées et souvent d’un grand intérêt quant à la méthodologie et à la problématique. Citons, entre autres, les travaux de Paul Forman, Seymour M. Lipset et Thomas Bender, et l’ouvrage majeur de Daniel Kevles sur les physiciens américains, les nombreuses biographies, donnant le plus souvent une large place à l’activité sociale des scientifiques américains, les travaux sur les scientifiques immigrés et les nombreuses études sur l’attitude des atomistes, mais aussi des biologistes, vis à vis de l’arme nucléaire.22 Signalons d’autre part la superbe étude de Gary Werskey sur les scientifiques de gauche britanniques des années trente23. Dans un important article, D. Edgerton a proposé une bibliographie essentielle sur les intellectuels scientifiques britanniques24. Le cas de l’Allemagne, en particulier pendant le régime nazi, a aussi fait l’objet de solides travaux25. Des études comparatives, prolongeant les

20 Thomas Bender, « Recent Trends in the Historiography of Intellectuals in the United States », polycopié, séminaire du CTHST, La Villette ; Lewis Feuer, The Scientific intellectual, Basic Books, New York, 1962 ; Jean-Jacques Salomon, "The Internationale of Science", Science Studies, 1971-1, p. 23-42 ; R. E. Lapp, The New priesthood. The scientific elite and the use of power, New York, 1965 ; J. Meynaud et B. Schroeder, Les Savants dans la vie internationale, Etudes de science politique, Lausanne, 1962 ; Maurice Goldsmith, "Three Scientists face Social responsability : J. Needham, J.D. Bernal, Frédéric Joliot- Curie", Lectures Series, 5-76, New Delhi, 1976, 39 pages ; Brigitte Schroeder-Gudehus, "Les Congrès scientifiques et la politique de coopération internationale des académies des sciences", Relations internationales, n° 62, 1990, p. 135-148, et Les Scientifiques et la paix. La communauté scientifique internationle au cours des années 20, Presses Univ. de Montréal, 1978. 21 Joseph Rotblat, Scientists in the quest for peace - A history of the Pugwash Conferences, MIT Press, Cambridge et Londres, 1972 ; Pierre Grémion, Intelligence de l’anticommunisme, Fayard, Paris, 1995. 22 Paul Forman, « Independence, Not Transcendence, for the Historian of Science », Isis, 1982, p. 71-86 ; Daniel J. Kevles, Les Physiciens - Histoire de la profession qui a changé le monde, Anthropos, Paris, 1988 (York, 1971). Fleming Donald et Bernard Bailyn, The Intellectual Migration, Cambridge, Mass. 1969. Nuel Pharr Davis, Lawrence and Oppenheimer, New York, 1969 ; Barton J. Bernstein, "Four physicists and the bomb : The early years, 1945-1950 », Historical Studies in Physical Science, 1988. Robert A. Divine, Blowing on the wind : the nuclear test ban debate, 1954-60, New York, 1978 ; R. Gilpin, American Scientists and Nuclear Weapons Policy, Princeton University Press, 1962 ; William Lanouette, Genius in the shadows, a biography of Leo Szilard, New York, 1992 ; J. S. Rigden, Rabi. Scientist and Citizen, Basic Books, New York, 1987 ; Donald A. Strickland, Scientists in Politics. The Atomic Scientists Movement, 1945-1946, Purdue University Studies, 1968 ; Robert C. Williams, Klaus Fuchs, atom spy, Harvard, 1987 ; Herbert F. York, The Advisors : Oppenheimer, Teller and the superbomb, W.H. Freeman & C°, San Francisco, 1976. 23 Gary Werskey, The Visible Collège, a collective biography of british scientists and socialists of the 30es, F.A.B., Londres, 1988 ; W. McGucken, Scientists, Society and the State, Ohio State Univ. Press, Columbus, 1984 ; R. M. Young, « The Scientists as Guru : The Explainers », Science as Culture, Pilot, Issue, p. 130-140, 1987 ; M. Goldsmith, Sage - A life of J.D. Bernal, Hutchinson & C°, Londres, 1980 ; Greta Jones, Science, Politics and the Cold War, Routledge, Londres, 1988 ; Tom Wilkie, British Science and Politics since 1945, Blackwell, Oxford, 1991. 24 D. E. H. Edgerton, « British scientific intellectuals and the relations of science, technology and war », dans P. Forman et J. M. Sánchez-Ron (eds.), National Military Establishments and the Advancement of Science and Technology. Studies in the 20th Century History, 1-35, Kluwers Academic Publishers, Pays-Bas, 1996. 25 Thomas Powers, Le Mystère Heisenberg, l’Allemagne nazie et la bombe atomique, Albin Michel, Paris, 1993 ; Mark Walker, German National Socialism ant the Quest for Nuclear Power, 1939-1949, Cambridge University Press, 1989 ; John L. Heilbron, The Dilemnas of an upright man, Max Planck, a spokesman for german science, Berckeley, 1986. Voir l’article récent 7

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com travaux déjà menés à l’IHTP, en particulier sur les intellectuels européens, sont envisageables à court terme et pourraient avoir un effet dynamisant pour les recherches en France.

Venons-en à quelques propositions pour définir les intellectuels scientifiques et périodiser leur action. Depuis deux siècles, les rapports entre les scientifiques et la société, en France, ont connu des constantes, la communauté savante aspirant dans le même temps à « donner aux sciences leur juste place au service du progrès des Lumières », selon l’expression de Nicole et Jean Dhombres, et à défendre ses intérêts pratiques26. Dès la Révolution, la figure de l’académicien d’Ancien Régime fut remplacée par celle du citoyen-savant. Les Monge, Carnot ou Laplace, convaincus que le progrès était la grande idée neuve en Europe devinrent alors de véritables « figures de proue de ce mouvement irrésistible » de transformation de la société27. On songe au savant de Condorcet - le « philosophe » selon sa formulation – contemplant le « tableau de l’espèce humaine, affranchie de toutes ses chaînes, soustraite à l’empire du hasard comme à celui des ennemis de ses progrès et marchant d’un pas ferme et sûr dans la route de la vérité, de la vertu et du bonheur »28. C’est en se voulant les héritiers de ces citoyens- savants que des scientifiques français créèrent, en 1930, l’Union rationaliste et que Paul Langevin, accompagné de Georges Cogniot, représentant le parti communiste, fonda en 1939 La Pensée, revue du rationalisme moderne. Pour atteindre leurs objectifs, les savants ont constitué une force tendant à la conquête d’un pouvoir au sein de la société. Nicole et Jean Dhombres retiennent le terme de « lobby » pour caractériser cette action au cours de la période révolutionnaire. Et Jean-François Picard évoque, à propos de la réunion du Colloque de Caen, en novembre 1956, la naissance d’« un nouveau lobby scientifique » succédant à celui qui, dans l’entre-deux-guerres, s’était mobilisé en faveur

de Jérôme Segal, « La société Max Planck de 1946 à la réunification allemande : entre continuité et ruptures », La revue pour l’histoire du CNRS, n° 3, novembre 2000, p. 6-21. 26 Nicole et Jean Dhombres, Naissance d’un nouveau pouvoir : science et savants en France, 1793-1824, Bibliothèque historique Payot, Paris, 1989, p. 67. Voir aussi Yves Gingras, Keating Peter et Limoges Camille, Du Scribe au savant. Les porteurs de savoir, de l’Antiquité à la révolution industrielle, PUF, Paris, 2000, et Michel Blay et Robert Halleux (dir.), La Science classique. Dictionnaire critique, Flammarion, Paris, 1998. 27 N. et J. Dhombres, ouvr. cité, p. 7 et 971. 28 Condorcet, dernières phrases de l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain, rédigé en 1793, GF- Flammarion, Paris, 1988, p. 296. 8

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com de la professionnalisation de la recherche. Ces scientifiques, qu'on pourrait qualifier de « dominants », par opposition à la poignée de ceux qui travaillaient dans l'industrie, aux armées et dans certains ministères, dont le prestige n'avait rien à voir avec le leur, s’efforcèrent alors de promouvoir une « politique de la science »29. Ils s'appuyèrent sur la mise en œuvre de réseaux de relations diversifiés au sein d'une communauté scientifique et universitaire qui se structurait alors rapidement et s'étendit aux milieux politiques et industriels. Le mouvement avait été enclenché par des savants comme Emile Borel, Jean Perrin, Georges Urbain, André Mayer, Paul Langevin et Marie Curie, tous habiles à faire aboutir auprès des ministères leurs demandes de crédits, de locaux et de personnels. Marie Curie traduisit cet engagement en siégeant au sein de la Commission de Coopération Intellectuelle de la Société des Nations et en y intervenant, par exemple, en faveur de la défense de la propriété scientifique : « Il faut, disait-elle, que ne soient plus détournés de la recherche scientifique des jeunes gens spécialement doués pour elle mais désireux de ne pas renoncer, pour eux-mêmes et leurs enfants, à une part légitime dans le produit de leur travail »30. Ainsi émergea le « travailleur scientifique » qui, plutôt que le « chercheur », occupa d’abord la scène. Tout un univers de scientifiques, d'étudiants et de professeurs, de techniciens, d'aides de laboratoires et d'ouvriers, se constitua alors, souvent en dehors de l’Université et en supplantant même celle-ci, transformant profondément la communauté des savants telle qu’elle avait émergé lors de la Révolution française et lui donnant une place nouvelle dans la société. La création, en 1920, de la Confédération des travailleurs intellectuels (CTI), dont Borel devint le président, marqua une étape dans l'émergence d'une conscience collective. Ses adhérents revendiquèrent la reconnaissance de leur fonction sociale et l'amélioration de leurs conditions de vie par l'attribution de bourses de recherche et la création dans les laboratoires de postes d'assistants, de maîtres de conférences, de chefs de travaux et d'emplois de techniciens. Puis en 1937, naquit Jeune Science, un regroupement plus spécifique, inspiré par le parti communiste et partisan d’une science engagée, partie prenante du développement social.

29 La pratique par les universitaires d’une « science pure et désintéressée » a été particulièrement revendiquée par J. Perrin : voir la notice « science pure », de D. Pestre, dans le Dictionnaire culturel des sciences, ouvr. cité. 30 Commission de la propriété scientifique, Genève, séance du 28 mars 1928, archives nationales, fonds Curie. 9

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com La bataille acharnée pour obtenir une prise de conscience aussi bien dans les milieux politiques que dans l'opinion publique aboutit, en 1930, à la naissance de la Caisse nationale de la recherche scientifique, matrice d'où naîtrait en 1939 le CNRS. La création, au sein du gouvernement du Front populaire, en juin 1936, du sous-secrétariat d'Etat à la Recherche scientifique, confié successivement à deux scientifiques, Irène Joliot-Curie et Jean Perrin, fut perçue comme un aboutissement. Mais Perrin poursuivit sa « croisade » en imaginant et en réalisant le Palais de la Découverte, à l'occasion de l'Exposition universelle de 1937. Accueilli dès l'entrée par un gigantesque générateur de hautes tensions réalisé par Frédéric Joliot, le grand public y découvrait une mise en scène futuriste de l'activité du chercheur démiurge annonçant, selon Perrin, « cette cité future, cette cité de rêve, dont l'architecture encore incertaine tremble dans une brume ensoleillée, cette cité où le progrès nous semble devoir être indéfini, où règneront sans effort conscient la justice et la fraternité, où la maladie aura disparu, où la mort aura reculé jusqu'à n'être plus qu'un repos librement accepté, où chaque existence humaine se déroulera dans l'harmonie et la beauté »31.

Le milieu scientifique était resté profondément marqué par l’ambiance de prise de parti qu’il avait connu lors de l’affaire Dreyfus et par la révélation de l’importance la véritable magistrature d’experts qu’avaient exercé certains savants comme Emile Ducleaux, Edouard Grimaux ou Henri Poincaré dans le dévoilement des dessous du dossier judiciaire. Outre l’émergence de l’intellectuel contemporain, cet épisode avait mis en lumière ce que Vincent Duclerc appelle « la vocation politique des scientifiques » ou « l’intellectuel critique », appelé à s’exprimer tout au long du XXe siècle32. Ainsi, dans une des ses dernières interventions publiques, en 1945, Langevin déclarait : « Il est nécessaire que la science tende la main à la justice, par l’application des méthodes scientifiques à l’étude des problèmes humains et par un développement de la conscience civique chez ceux qui contribuent au développement de la science. A l’exemple des intellectuels qui, au temps de l’affaire Dreyfus, mirent leur force d’esprit au service de la justice individuelle, c’est aujourd’hui un devoir, pour ceux qui créent

31 Jean Perrin, « La Science et la paix », discours prononcé au meeting du Rassemblement Universel pour la Paix, la Sorbonne, 11 novembre 1936, cité par J. Eidelman, ouvr. cité. 32 V. Duclerc, art. cité, dans Politix. 10

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com la science, de veiller à l’usage qu’en font les hommes »33. Cette génération et la suivante firent leur l’idéologie radicale-républicaine et prolongèrent les liens tissés alors au sein de la Ligue des Droits de l’Homme, autour de La Revue du mois, créée en 1906 par Camille Marbo, fille du recteur Appell, et son époux, Emile Borel, où encore l’été, à l’Arcouest, en Bretagne, où avaient commencé à se rassembler les familles Perrin, Curie, Auger, Maurain autour de l’historien Charles Seignobos et du biologiste Louis Lapicque. Avec La Revue du mois, les douze membres du comité de rédaction, tous des savants, entendaient donner une audience publique aux idées engagées qu’ils avaient l’habitude de soutenir au cours de leurs débats internes34. Si le poids des dreyfusards lors de l’affaire avait dominé le milieu au point de paraître engager l’autorité de l’Académie des sciences, certains savants avaient cependant été antidreyfusards et il exista, à partir de cette époque, un courant constamment représenté de conservateurs, souvent catholiques, parfois anti-républicains et proches des ligues nationalistes, particulièrement dans certaines sections où les services scientifiques des Armées étaient fortement représentés. Emile Picard qui fut secrétaire perpétuel de 1924 à 1941, et Pierre Duhem ont pu représenter cette tendance qui trouva une certaine continuité dans la génération suivante, dans les milieux proches de Maurice et Louis de Broglie, très influents à l’Ecole polytechnique35. Elle était aussi traditionnellement dominante chez les pharmaciens et dans le secteur de la recherche chimique lié à ceux-ci, par exemple au Collège de France. Pendant la Première Guerre mondiale, y compris si on observe l’ensemble de la scène intellectuelle européenne, beaucoup de scientifiques se rallièrent au nationalisme et au bellicisme ambiant et la plupart servirent de leur mieux l’effort scientifique de guerre36. On ne vit pas, en France, de conscience tourmentée se lever parmi les savants, comme Albert Einstein, lui-même très isolé en Allemagne, ou entrer en correspondance avec Romain Rolland, le

33 P. Langevin, discours lors de l’hommage solennel du Front national universitaire, Grand amphithéâtre de la Sorbonne, 3 mars 1945, cité dans Paul Langevin, La Pensée et l’action, Editions sociales, Paris, 1964, p. 308-310. Voir aussi B. Bensaude- Vincent, ouvr. cité. 34 Parmi les membres du comité de rédaction de la Revue du mois figuraient Borel, Langevin, Perrin, Aimé Cotton, Jacques Ducleaux, Henri Mouton, Robert Lespieau et Jacques-Louis Simon. Voir Camille Marbo, A travers deux siècles – Souvenirs et rencontres (1883-1967), Grasset, Paris, 1967 ; Anne Rasmussen, « Sciences et sociabilités : Un "tout petit monde" au tournant du siècle », Bulletin de la Société d’Histoire Moderne et Contemporaine, 1997 (3/4), p. 49-57. 35 Notice « Académie des sciences », par V. Duclerc, et celles sur Duhem, de Broglie, Carrel, dans J. Julliard et M. Winock, Dictionnaire des intellectuels français, déjà cité. Georges Lochak, Louis de Broglie, Flammarion, Paris, 1992. 36 Christophe Prochasson et Anne Rasmussen, Au nom de la patrie. Les intellectuels et la Première Guerre mondiale (1910-1919), La Découverte, Paris, 1996. 11

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com proscrit volontaire. Dans la paix revenue, si un ou deux, comme Borel ou Painlevé, se risquèrent à une carrière politique, les scientifiques se mobilisèrent plutôt pour les postes d’influence, un décanat de Faculté, un rectorat ou un fauteuil d’académicien. A l’exception, fort décriée à l’époque, de Langevin qui prit position, dans l’Humanité, en faveur des mutins de la Mer Noire et contre l’utilisation des élèves ingénieurs pour briser la grève des cheminots, on n’entendit plus guère les savants. Ce n’est que sur les questions de la SDN et, plus précisément, de sa Commission de la coopération intellectuelle que les scientifiques, Curie, Borel, Perrin, Langevin et Hadamard en particulier, soucieux de surmonter les séquelles de la guerre dans les relations scientifiques internationales, se mobilisèrent. Dès cette époque, les liens internationaux entre intellectuels scientifiques prirent une grande importance. La référence à la démarche scientifique dans le débat intellectuel devint une constante et elle contribua sans doute à freiner la propension à l’engagement. Ainsi Marie Curie déclina-t-elle successivement les propositions de Henri Barbusse et Romain Rolland pour adhérer à Clarté et à la « Déclaration d’indépendance de l’esprit » : « J'ai une grande appréhension à entrer dans un vaste groupement en vue d'une propagande politique, écrivait-elle au premier.(...) Je sais que les personnes très habituées à prendre la parole en public se rallient, en général, volontiers à un groupement par partis, l'adhésion nominale signifiant en ce cas que l'on se range dans tel grand parti. Mais c'est précisément ce que je ne désire pas faire car il y a là une sorte d'opposition avec les méthodes de travail qui me sont coutumières.(…) Je reconnais que l'expression honnête de la pensée peut, à l'époque que nous vivons, apparaître comme un devoir de citoyen, mais je pense que si le scientifiques doivent s'engager dans cette voie, ils rendront d'autant plus service qu'ils se conformeront davantage à leurs méthodes d'action habituelles »37. C’est donc très logiquement que quelques savants « disposés à dérober quelques heures à leurs recherches personnelles pour se consacrer à (une) œuvre d’éducation » décidèrent, en 1930, de créer l’Union rationaliste afin, comme ils le proclamaient dans le premier numéro des Cahiers rationalistes, « de défendre et de répandre dans le grand public l’esprit et les méthodes de la Science pour lutter contre l’irrationalisme, et plus encore,

37 Marie Curie, lettre à Henri Barbusse, 15 mai 1919, archives nationales, fonds Curie, cité dans M. Pinault, « Marie Curie, Romain Rolland, Henri Barbusse et Albert Einstein, en conscience », dans Les Ecrivains de la conscience européenne, Légendes, Herblay (F95220), 1997, p. 44-55. 12

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com l’ignorance ». Dès la première année, il y eut 1200 adhérents à l’Union rationaliste qui furent 3000 à la veille de la Seconde Guerre mondiale38.

C’est seulement à partir des années trente que la tendance des scientifiques à l’engagement politique se précisa. Les savants français, fortement marqués depuis deux ou trois générations par un scientisme souvent virulent, étaient fort influencés par un courant d’idées venues d’outre-Manche et qu’incarnait le cristallographe John Bernal, né en 1901 et futur prix Nobel. Celui-ci fut l'inspirateur, voire le théoricien, d’un mouvement des intellectuels scientifiques britanniques que l’historien anglais G. Werskey a décrit dans son étude, The Visible College : « Dans sa forme la plus extrême et la plus optimiste, écrit Werskey, le Bernalisme conduit à l'idée que la science, et non la lutte des classes, est le moteur de l'histoire »."39 Membre du parti communiste dès le début des années trente, Bernal avait songé à aller s'installer en URSS mais il quitta le parti en 1933 et agit désormais, au nom de la responsabilité sociale des scientifiques, au sein du Cambridge Scientists' Antiwar Group comprenant une centaine de membres et dans l'Association of Scientific Workers alors forte d'environ mille trois cents adhérents. Les modérés libéraux, comme le président de l'Association britannique pour l'avancement des sciences, Julian Huxley, l'éditeur de Nature, Richard Gregory, ou le physicien, Ernest Rutherford, rejoignaient alors les plus radicaux dans une sorte de « front populaire des savants ». Le discours contre la guerre de ces intellectuels scientifiques a été étudié, en particulier par les historiens britanniques : alors que les scientifiques avaient massivement participé à la recherche militaire pendant le Première Guerre mondiale, voire continuaient à le faire dans la paix, ces intellectuels des années vingt et trente « oubliaient » de revenir sur ces pratiques pour éventuellement les critiquer, n’hésitant pas à entretenir des liens individuels avec les milieux du pouvoir et affirmant même parfois que les scientifiques sont plus capables que les militaires de mener la guerre de manière « scientifique », et ils affichaient parallèlement un pacifisme, en apparence intransigeant, fondé sur l’idée que tout oppose la science et la guerre, leur nature, leurs buts, la morale même. Lorsque les tensions internationales s’accrurent, tout en

38 « Notre programme », Cahiers rationalistes, n° 1, janvier 1931. Voir Michel Trébitsch, « Les Réseaux scientifiques : Henri Laugier en politique avant la Seconde Guerre mondiale, 1918-1939 », dans J.-L. Crémieux-Brilhac, ouvr. cité. 39 G. Werskey, ouvr. cité. 13

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com participant à des mouvements contre la guerre, ils revendiquèrent leur place dans la mobilisation scientifique40. Ce mouvement pétri de contradictions des intellectuels scientifiques britanniques influença donc fortement les scientifiques français, auxquels les constats énoncés ci-dessus peuvent être étendus. Leur radicalisation s’opéra après le 6 février 1934 et ils prirent une place décisive au sein du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes41. Ainsi, plus des deux tiers des signataires de la « Lettre aux Parlementaires », parue dans Vigilance, le journal du CVIA, le 5 novembre 1934, mettant en garde les députés contre la tentation de voter les pleins pouvoirs, étaient des scientifiques. Ils furent sept des neuf qui lancèrent l’« Appel des intellectuels » en faveur de la candidature de Paul Rivet dans le Ve arrondissement, en mai 1935 : Hadamard, Langevin, Irène et Frédéric Joliot, Lapicque, Perrin, Urbain ainsi que Lucien Lévy-Bruhl et Ferdinand Brunot. Leur omniprésence sur le terrain de l'action collective et publique fut alors remarquable, souvent à des postes de responsabilités, y compris dans les organisations suscitées par le parti communiste dans la mouvance du comité Amsterdam-Pleyel, à partir de 1932. Langevin présidait le comité d'aide aux victimes du fascisme hitlérien, Hadamard présidait le comité Dimitrov, Perrin, le Cercle des Nations. On les retrouvait dans le comité Thaelmann, le comité de soutien au peuple éthiopien, le comité d'aide à l'Espagne républicaine, le cercle de la Russie neuve et ils y entraînaient un nombre certain de leurs collègues en particulier les jeunes. Au cours des mêmes années, le comité d'aide aux scientifiques étrangers fuyant les régimes autoritaires européens, créé par Louis Rapkine, un biologiste de l’Institut de Biologie Physico- Chimique, fut une autre forme de mobilisation propre à ce milieu. En 1937, se tint à Paris, à l’occasion de l’Exposition universelle, un congrès scientifique international que présidaient Perrin et Joliot. L’ambiance fut d'emblée très politique. Dans son compte-rendu pour Nature, le physicien hongrois réfugié en Angleterre, Michael Polanyi, parla des « combats de la science internationale contre les différentes tyrannies existantes ». Et il

40 Voir D. E. H. Edgerton, art. cité. Le Centre de recherche en histoire des sciences et des techniques (La Villette, Paris,) a organisé, le 21 novembre 2001, une seconde journée d’étude, après celle de novembre 1998, sur « La science de guerre, 1914- 1939 » ou cours de laquelle ont été largement confrontés le discours des scientifiques sur la guerre et leurs activités de recherche liées à la guerre. 41 Nicole Racine-Furlaud, "Le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes (1934-1939). Antifascisme et pacifisme", Le Mouvement social, n° 101, oct-déc. 1977, p. 87-113, et "Antifascistes et pacifistes : le Comité de vigilance des intellectuels antifascistes", dans Anne Roche et Christian Tarting, Les Années Trente. Groupes et ruptures, CNRS, Paris, 1985. 14

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com ajoutait : « Une poignée d'hommes firent face à la violence du gouvernement et à la furie de la populace pour établir l'innocence de Dreyfus. Ils ont vaincu et la France politique moderne a été bâtie sur cette victoire. Aujourd'hui, la nouvelle menace qui s'accroît contre la liberté provoque l'appel angoissé mais optimiste du gouvernement français aux hommes dont la profession implique le droit à la discussion raisonnée et dont le devoir politique est de défendre ce droit »42. Si on en croit Polanyi, la boucle était donc bouclée et la continuité totale, depuis les engagements dreyfusards jusqu’à l’antifascisme, y compris dans l’argumentation qui se référait à « l’esprit scientifique » pour définir les devoirs intellectuels des scientifiques43. Vichy et l’Occupation favorisèrent l’affirmation et la clarification, dans le monde scientifique, de tendances antérieures à la guerre. Ainsi les courants planistes ou technocratiques qui s’étaient développés dans les années trente se divisèrent-ils entre partisans du régime de Vichy et résistants. Le CNRS – entre maintien ou suppression, entre indépendance ou soumission des laboratoires aux comités d’organisation de l’industrie, entre application ou contournement du statut des juifs ou du recensement des chercheurs pour le STO - fut ainsi l’enjeu de luttes sourdes. Les sociétés scientifiques se divisèrent entre celles qui épousèrent l’idéologie de la Révolution nationale, comme la Société de Physique, et celles qui se tournèrent vers la Résistance, comme la Société philomathique, datant de la fin du XVIIIe siècle. L’Académie des Sciences elle-même, alors que plusieurs de ses membres étaient arrêtés et emprisonnés par la Gestapo, se divisa, ceux de ses membres qui étaient proches du Conseil national de Vichy l’entraînant sur des positions d’accommodement avec l’occupant. La simple poursuite de l’activité scientifique, y compris le maintien des revues scientifiques, devint un enjeu, au point que, souligne V. Duclerc, « le milieu scientifique français avait globalement admis l’idée qu’il était possible de publier sans collaborer et que le simple maintien de la recherche nationale équivalait au refus de la soumission voire à une position de résistance »44.

42 M. Polanyi, "Congrès du Palais de la Découverte - International Meeting in Paris", Nature, 23 octobre 1937, p. 710. 43 Ainsi le physicien Francis Perrin, fils de Jean, proclamait-il, dans l'Almanach populaire de 1938 : « Je suis socialiste comme je suis physicien. J'essaie d'utiliser dans l'un et l'autre domaines les mêmes règles logiques, les mêmes notions de lois, et surtout les mêmes méthodes de pensée libre(...). J'ai conscience de travailler dans l'un et l'autre cas, dans la mesure de mes moyens, à l'affranchissement des hommes ». 44 V. Duclerc, art. cité dans La Revue des revues. Voir Philippe Burrin, La France à l’heure allemande, 1940-1944, Seuil, Paris, 1995, et M. Pinault, « Frédéric Joliot, les Allemands et l’université aux premiers mois de l’Occupation », vingtième siècle, revue d’histoire, n° 50, avril-juin 1996, p. 67-88. 15

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com Enfin, la question « rester ou partir » agita tous les milieux, y compris parmi les scientifiques d’origine juive dont certains, comme Edmond Bauer et ses enfants, décidèrent de rester et de participer à l’action clandestine. Dans un milieu universitaire qui, globalement, participa peu à la Résistance, les plus engagés furent les scientifiques. Grâce à leur force et à leur influence incontestable parmi leurs pairs, ces résistants purent reprendre, à la Libération, l’héritage du CNRS et relancer dès l’été 1944 son activité, en particulier la mobilisation de guerre et les missions scientifiques en Allemagne. Quant à l’Académie des Sciences qui avait failli élire Emile Borel, représentant de l’aile résistante, comme secrétaire perpétuel contre Louis de Broglie qui l’emporta finalement, elle connut alors une évolution rapide tendant à la faire sortir de son strict rôle académique pour devenir une force intellectuelle à part entière, en prise directe avec les grandes questions politiques de l’après-guerre et susceptible de se former en conseil d’experts à la disposition du gouvernement.

Ce modèle d’engagement public complexe fait, d’une part, de défense organisée de la communauté scientifique, en particulier au sein du CNRS, assimilée à la défense de l’intérêt de la République, de l’Etat, et passant par la conquête de positions de pouvoir, d’autre part, de promotion de la science - identifiée au progrès moral, intellectuel et social - et de mobilisation de l’« esprit scientifique » au service d’une intervention critique des savants dans la sphère publique – y compris de manière coordonnée au plan international, connut son apogée dans les deux décennies qui suivirent la Seconde Guerre mondiale. Il se renforça alors de l’aspiration nouvelle des scientifiques à devenir des conseillers des gouvernements, appelés à définir les voies les plus propres à assurer ce progrès. Une partie d’entre eux appartint, parfois brièvement, au parti communiste, convaincus qu’ils étaient que la science avait vocation à libérer l'homme a condition d'être soustraite aux lois capitalistes. Le poids de la personnalité de Joliot, directeur du CNRS puis haut-commissaire à l’énergie atomique, fut alors considérable et, d’une certaine façon, le drame de sa trajectoire personnelle épousa les contradictions dans lesquelles le milieu vécut toute la période. En effet, au moment où il semblait s’imposer, ce modèle de politisation des scientifiques entra en crise larvée précoce sous l’impact de plusieurs facteurs nouveaux. D’une part, la science « pure et

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Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com désintéressée » devint chaque jour un peu plus – si elle ne l’avait pas toujours été – un mythe au regard de sa transformation, dès le début des années cinquante dans certains secteurs de la recherche, en technoscience, c’est-à-dire de son implication directe dans l’activité industrielle et militaire, voire même de son installation au cœur du complexe militaro- industriel. D’autre part, l’identification de la connaissance scientifique au progrès social, voire au bonheur de l’humanité, devint définitivement problématique devant les menaces de guerre nucléaire générale et d’extermination de l’espèce humaine que celle-ci impliquait. Enfin, les scientifiques se heurtèrent, les premiers parmi les intellectuels, aux violences politiques et idéologiques du stalinisme, avec l’éclatement, dès 1948, de l’affaire du lyssenkisme et du conflit supposé entre « science bourgeoise » et « science prolétarienne ». Dans la question de l’arme nucléaire et, par extension, dans les conflits de la guerre froide, les scientifiques se retrouvèrent dans une position double d’experts dans des questions que le grand public voire les hommes politiques maîtrisaient mal et, à cause de leur supposé caractère désintéressé, de références morales. Michel Foucault parla, à leur sujet, d’« intellectuels spécifiques » : « C'est peut-être le physicien atomiste - disons d'un mot, ou plutôt d'un nom : Oppenheimer -, écrivit-il, qui a fait la charnière entre intellectuel universel et intellectuel spécifique.(…) Pour la première fois, je crois, l'intellectuel a été poursuivi par le pouvoir politique, non plus en fonction du discours général qu'il tenait, mais à cause du savoir dont il était détenteur : c'est à ce niveau-là qu'il constituait un danger politique »45. Ces intellectuels, observés avec inquiétude et méfiance par leurs collègues, perçus comme des rivaux potentiels par certains hommes politiques, payèrent parfois leurs interventions publiques du prix fort, en termes de carrières et de reconnaissance sociale. De ce point de vue, la position actuelle des biologistes confrontés à l’évolution de la technoscience du vivant est assez comparable. La trajectoire de Joliot-Curie fut ainsi marquée, dès 1945 par sa volonté de mettre l’énergie nucléaire à la disposition de la France dans un but pacifique46. Comme haut-commissaire, il définit, en mars 1946, la position officielle du gouvernement français s’engageant à ne pas fabriquer l’arme atomique et, la même année, désigné comme

45 Michel Foucault, « Entretien avec Michel Foucault », Dits et écrits, vol. 3, Gallimard, Paris, 1994, p. 429-442. 46 Voir M. Pinault, Frédéric Joliot-Curie , ouvr. cité. 17

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com expert français à la commission de l’énergie atomique de l’ONU, il milita pour l’organisation d’un contrôle international de son utilisation et pour la destruction des stocks d’armes existants. En mars 1950, il lançait, comme président du mouvement des Partisans de la Paix, le fameux Appel de Stockholm qui reprenait les mêmes orientations. Son action étant perçue comme trop engagée aux côtés de la diplomatie soviétique, il prit contact, en 1955, avec Bertrand Russell afin d’obtenir une prise de position commune des scientifiques des deux bords contre les essais thermonucléaires dans l’atmosphère, contre les concepts de « bombe propre » et de guerre atomique limitée, et pour le désarmement. Ce fut l’origine de l’Appel Einstein-Russell et du mouvement de Pugwash qui, plus tard, milita aussi bien contre les bombardement américains sur les digues au Nord-Vietman que contre l’incarcération des scientifiques dissidents dans des hôpitaux psychiatriques en URSS.

Quant aux scientifiques communistes, il me semble qu’ils ont développé des niches de militantisme plus ou moins spécifiques et aussi une sorte de « retrait » vis-à-vis des tapages organisés par les directions. Lorsque, en octobre 1944, le bureau politique créa une « direction nationale des intellectuels », aucun scientifique n'y était prévu. En fait, le parti communiste n'était pas préoccupé par les questions qui animaient alors ceux-ci : la relance et le développement de la recherche scientifique en France, le rétablissement de la vie scientifique internationale et l'hostilité à la politique du secret établie par les Anglo-Saxons, le contrôle international de l'énergie et de la bombe atomique. Ce trait fut constant comme en témoigne ce que Joliot écrivit à sa femme lors de la crise qui l'opposa, au début de 1949, à Laurent Casanova et à la direction du PCF : « (Le problème) tient sans doute à la méconnaissance (par les dirigeants) de l'importance des événements scientifiques et de l'importance de la science dans la vie moderne.(...) Le responsable des intellectuels (Casanova) est un avocat, certes d'une grande valeur, mais très attiré par la poésie et les lettres et qui ignore tout des scientifiques. Tout passe par Aragon qui semble avoir complètement subjugué Casa »47. Alors qu’elle avait décidé de regrouper les scientifiques communistes en « amicales » et

47 Lettre de F. Joliot à Irène Joliot, 22 janvier 1949, Archives Curie et Joliot-Curie. 18

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com leur avait confié, entre autres tâches, la mission de publier une Encyclopédie de la renaissance française, la direction du PCF dut admettre son échec. Tandis que les amicales s’avéraient difficilement contrôlables et étaient dissoutes, le projet d’Encyclopédie qui avait été pris en charge par le comité de direction de La Pensée, essentiellement par Henri Mougin, agrégé de philosophie et ancien collaborateur de Commune, tout juste de retour de captivité, piétinait. La mort imprévisible de Mougin, en juillet 1946, puis celle de Langevin, la gestion désastreuse du projet par Garaudy et l’autoritarisme de Cogniot fragilisèrent cette entreprise. Mais sans doute y avait-il aussi trop d'écart entre l'ouvrage auquel songeait la direction du parti communiste et ce qu'étaient prêts à entreprendre les spécialistes sollicités. Ainsi Joliot accepta-t-il d'écrire une introduction de la partie « physique » mais son texte, de portée très générale sur la science et la méthode rationaliste, n'évoquant à aucun moment Marx et le marxisme, encore moins la science socialiste, ne pouvait convenir à une entreprise qui devait s'inscrire dans une violente bataille idéologique et politique. Sa conclusion était même à double sens car il écrivait : « L'esprit scientifique ne s'accommode pas de principes a priori ». Bientôt la politique culturelle du PCF arque boutée sur la théorie des « deux sciences » rendit illusoire la poursuite du projet d'Encyclopédie qui disparut d'ailleurs des procès-verbaux du bureau politique. La reprise en main, menée par Casanova, consista à trancher dans le vif des oppositions entre les militants qui acceptaient de privilégier le renforcement de l'organisation communiste et ceux qui continuaient, sur la lancée du Front national et de la Résistance, à vouloir mobiliser des milieux très éloignés du PCF. La croisade idéologique se trouva, de fait, confiée à des militants venant de la section idéologique (Victor Joannès, Victor Leduc, Roger Garaudy) et de la Fédération de la Seine (Annie Besse, Jean Poperen, Jacques Chambaz) ou liés à La Nouvelle Critique (Jean Kanapa, Francis Cohen, Jean Desanti, Gérard Vassails) et aux Lettres françaises. Ceux-ci, sans appartenir toujours aux spécialités scientifiques en jeu, continuèrent de parler au nom de l'ensemble des communistes, eux-mêmes silencieux. Dès lors, certains scientifiques communistes eurent une activité militante spécifique et partiellement autonome. Joliot, appuyé sur son autorité professionnelle, continua à se positionner sur des terrains qui lui paraissent décisifs, en marge et éventuellement en

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Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com opposition avec des axes essentiels de la politique du PCF. Il constitua un environnement militant relativement homogène, en particulier au sein du CNRS et du CEA, en organisant d’anciens résistants en Association des travailleurs scientifiques (ATS) dont le modèle était l'Association of Scientific Workers britannique (AScW). Ses buts, selon un éditorial de son Bulletin, en 1948, étaient : « d’assurer la Raison intellectuelle et la communauté de pensée entre ses membres, d’établir des relations fructueuses entre ceux-ci et leurs collègues étrangers, de prendre part aux délibérations gouvernementales concernant la recherche ». Cette activité mobilisa une large part de l'activité des scientifiques militants et, pendant plusieurs années, maintint l'influence communiste dans le milieu, malgré le poids des campagnes sectaires de la direction. Ajoutons que des évolutions similaires s'affirmaient dans d'autres pays, confirmant ainsi le rôle nouveau que les scientifiques aspiraient partout à jouer. C'est ainsi que fut créée, à l’initiative des savants anglais, en juillet 1946, la Fédération Mondiale des Travailleurs Scientifiques (FMTS) et que Joliot en devint le président. Sa proximité avec l'UNESCO déplut aux Soviétiques - car cette organisation fonctionnait sur le principe de la majorité qu’ils récusaient – et ils n’y participèrent pas. La FMTS voulut être un pont entre l'Est et l'Ouest mais il fallut se rendre à l'évidence, la division du monde divisait aussi la communauté scientifique. L’attachement de Joliot à cette organisation internationale dont les Soviétiques étaient absents parut étrange aux dirigeants du PCF qui n'y virent qu'une sorte de Pen Club plus ou moins transformé en appendice du Mouvement de la Paix. Au total, les scientifiques communistes vécurent cette période dans un isolement relatif en occupant un positionnement original. Il s’agissait moins d’une forme d’opposition, à leur yeux impensable, que d’un élément d’équilibre et de compensation. Tout ceci s’étiola finalement au profit du Syndicat National des Chercheurs Scientifiques, créé avec la participation de militants communistes, et du Mouvement de la Paix où ces scientifiques se retrouvèrent à l'unisson, dans la dénonciation du réarmement de l'Allemagne, de l'OTAN, de l'impérialisme américain et des préparatifs de guerre antisoviétique.

Dès 1946, un manifeste « Sur un oubli dans le Plan Monnet », protestant contre l’absence

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Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com de prévisions concernant la recherche, fut lancé par l’Association des travailleurs scientifiques. Il rassembla tout l'établissement scientifique y compris l’Académie des sciences. La « force recherche scientifique » que, dès septembre 1944, le nouveau directeur du CNRS, Joliot, avait appelé à se constituer, existait pour la première fois. Elle testa sa force. Elle se légitimait de ses compétences professionnelles pour dicter aux hommes politiques une certaine orientation. Elle marquait son positionnement collectif « à gauche » et n’hésitait pas à s’associer à des organisations proches du parti communiste48. L'investissement auquel elle se livra dans les années suivantes, dans le CNRS, son comité national, ses sections et commissions, le rôle que jouèrent le syndicalisme des chercheurs et certaines personnalités représentatives de ce syndicalisme, l’apparition d’un courant « mendésiste », la médiatisation enfin, permirent au monde scientifique de se faire entendre de l'opinion et des pouvoirs publics. Le 19 juin 1954, pour la première fois depuis le Front populaire, le gouvernement Mendès France comprit un Secrétariat d'Etat à la Recherche scientifique et au Progrès technique. Cette expérience constitua un moment important de la mobilisation des scientifiques sous la IVe République. Une nouvelle génération, comprenant André Lichnérowicz, Alfred Kastler, et François Jacob, Jean Dausset, s’affirma en organisant le Colloque de Caen. L'éditorialiste des Cahiers de la République qui en rendit compte, Claude Nicolet, affirmait que « le scientifique - disons, pour généraliser, « l'ingénieur » - (était) devenu, dans la civilisation moderne, un nouveau type de dirigeant », mais il ajoutait que celui-ci « ne saurait en aucun cas se substituer dans l'exercice du pouvoir politique aux citoyens et aux représentants qu'ils se sont donnés »49. Il s’opposait ainsi explicitement à l’essayiste américain, alors très en vogue, James Burnham, qui, le pouvoir économique étant désormais entre les mains des « ingénieurs », revendiquait au contraire le droit pour ceux-ci, qu’il appelait les « organisateurs » ou les « managers », de s'emparer du pouvoir politique. Nicolet espérait donc que l'émergence du « nouveau lobby

48 L’étude de l’influence directe de la SFIO dans le monde scientifique reste à faire, surtout en ce qui concerne l’après- guerre. Le parti et les intéressés eux-mêmes avaient peu coutume de revendiquer publiquement l’adhésion et les sources sont peu nombreuses – absence quasi totale de collaboration à la Revue socialiste, par exemple – et l’information dispersée. 49 Claude Nicolet, Cahiers de la République, numéro spécial « Sur l’Enseignement et la Recherche Scientifique » (comte- rendu du Colloque de Caen (novembre 1956), 1-1957, p. 14. James Burnham (1905-1987) a publié, en 1941, The Managerial Revolution (L’Ère des organisateurs, 1947, Paris, préface de Léon Blum) 21

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com scientifique » se ferait selon une modalité française, loin du modèle américain de Burnham, selon une version renouvelée de la République. Le sociologue, Robert Gilpin, constata dès le début des années soixante que Burnham allait avoir raison contre Nicolet : « De façon générale, écrivait Gilpin, la direction des institutions scientifiques les plus importantes passa à des dirigeants scientifiques d'un nouveau style. Baptisés « technocrates » par leurs adversaires, ces savants-administrateurs, tel Pierre Aigrain, n'étaient pas engagés politiquement comme leurs prédécesseurs.(…) En France, comme dans tout l'Occident, les scientifiques cessent d'être des révolutionnaires, des intellectuels aliénés, pour faire partie de l'élite technocratique sur les épaules de laquelle repose l'Etat scientifique moderne.(...) Pour la première fois depuis l'Affaire Dreyfus, des scientifiques se dressent « au-dessus de la mêlée » pour faire la paix avec l'Etat »50. Une nouvelle boucle était donc bouclée, mais cette fois, au contraire de ce qui marqua la fin des années trente, la continuité avec l’affaire Dreyfus était rompue. L'engagement politique perdait son ancrage éthique qui avait fait des savants des « intellectuels », pour devenir une entreprise de conquête du pouvoir. Ces « nouveaux » scientifiques allaient ainsi devenir, beaucoup plus que leurs prédécesseurs qui ne faisaient parfois qu’en parler, des acteurs des transformations de la société. Ils choisirent, disait Gilpin, « l'administration rigoureuse des choses » contre la « libération de l'homme aliéné ». Ainsi le mendésiste Jean-Louis Crémieux-Brilhac note-t-il que certains membres de ce courant répondirent à l’invitation, dès 1958, des collaborateurs du général de Gaulle à contribuer aux réformes de structure et à l’élaboration d’une politique de la recherche pour la Ve République51.

Faut-il conclure que les intellectuels scientifiques ont disparu, il y a quarante ans, aux débuts de la Ve République, avec l’entrée massive des chercheurs dans le flot de l’économie réelle et les allées du pouvoir ? Evidemment non, car les interrogations sur la place de la science dans la société et sur la valeur du modèle américain, désormais dominant, ont depuis

50 R. Gilpin, ouvr. cité, p. 297. 51 Jean-Louis Crémieux-Brilhac, « Le mouvement pour l’expansion de la recherche scientifique (1954-1968) », dans J.-L. Crémieux-Brilhac et J.-F. Picard (dir.), Henri Laugier et son siècle, ouvr. cité. 22

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com lors, été permanentes et elles ont suscité des formes renouvelées d’engagement comme ceux des militants venus de tous horizons et de tous les pays au sein du mouvement Pugwash, ceux des « radicaux » de la Nouvelle Gauche américaine et du groupe Science for the people ou, en France, ceux des rédacteurs de la revue Impascience52. Alors qu’en 1960, au moment de l’explosion de la première bombe atomique française, c’étaient encore les physiciens qui, pour l’essentiel, prenaient position, aujourd’hui dans les débats sur l’avenir de l’énergie nucléaire leur voix est souvent confondue avec celle des organismes officiels qu’ils animent53. Par contre, poursuivant dans une voie ouverte en 1970 par Jacques Monod, prix Nobel de médecine, avec son ouvrage destiné à un large public, Le Hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, quelques personnalités venues de la biologie ont depuis pris le relais, – Albert Jacquard, Axel Kahn, Jacques Testart – pour alerter l’opinion et les autorités politiques sur les enjeux économiques et les risques éthiques de la marche en avant des technologies scientifiques54. En 1986, Testart annonçait qu’il arrêtait ses recherches sur la fécondation in vitro avec lesquelles il occupait pourtant une position de pointe. Le biologiste semblait ainsi rejoindre le physicien Einstein qui avait dit, à propos des recherches ayant conduit à la bombe atomique, qu’il y avait des choses qu’il vaudrait mieux ne pas faire : « Non nocere » (ne pas nuire) était devenu sa devise55. Alors que le temps où les intellectuels scientifiques dans leur ensemble avaient cru que la science allait libérer l’homme paraît révolu, ceux-ci se trouvent confrontés aux enjeux de plus en plus directement politiques et internationaux des grands choix scientifiques. L’imbrication directe des progrès de la connaissances avec la vie des sociétés est désormais telle que les gouvernements font appel à l’expertise des chercheurs, par exemple pour mettre en œuvre le « principe de précaution » ou entrer dans des comités d’éthiques56. L’Appel d’Heidelberg lancé en juin 1992, à la veille de la Conférence de Rio, par une soixantaine de prix Nobel qui

52 Sur les Etats-Unis, voir D. Kevles, ouvr. cité ; sur Impascience (une dizaine de numéros parus, entre 1975 et 1977) et le contexte des années soixante dix en France, voir Jean-Marc Lévy-Leblond, L’Esprit de sel, Fayard, Paris, 1981. 53 Voir la table ronde sur « les problèmes de l’énergie » dans M. Bordry et P. Radvanyi, ouvr. cité. 54 Jacques Monod, Le Hasard et la nécessité. Essai sur la philosophie naturelle de la biologie moderne, Seuil, Paris, 1970. 55 Albert Einstein, lettre à Jacques Hadamard, 19 avril 1952, dans A. Einstein, Œuvres choisies, vol. 4, « Correspondances françaises », Seuil-CNRS, Paris, 1989, p. 132. Voir D. Pestre, « Entre tour d’ivoire et Silicon Valley », La Recherche, n° 326, décembre 1999, p. 55-58. 56 Françoise Brisset-Vigneau (dir.), « Le Défi bioéthique – La médecine entre l’espoir et la crainte », Autrement, n° 120, mars 1991, en particulier l’article de Claire Ambroselli, « Comité d’éthique : histoire d’un défi », p. 96-109. 23

Michel Pinault, L’intellectuel scientifique : du savant à l’expert, 2013 michel-pinault.over-blog.com mettaient en garde contre « l’émergence d’une idéologie irrationnelle qui s’oppose au progrès scientifique et industriel », relança un temps le débat sur le scientisme supposé de ses signataires57. L’approche et les formulations choisies par soixante deux académiciens signataires d’une récente déclaration sur les essais d’OGM montrent que le débat reste aujourd’hui entier58. Les interrogations qui traversent aujourd’hui les communautés scientifiques traduisent en fait la douloureuse prise de conscience que, comme l’exprime Axel Kahn, « la prétention de la science de répondre à toutes les questions et d’apporter le bonheur à l’homme est tout simplement contredite par la réalité vécue »59.

Michel Pinault, novembre 2001, [email protected]

57 Voir ce texte dans Raison présente, n° 106, 2d trim. 1993, et les commentaires d’un signataire, Evry Schatzman. Jean- Marc Lévy-Leblond, « Le pavé de Heidelberg », Le Monde diplomatique, août 1992. D. Lecourt, Contre la peur. De la science à l’éthique, une aventure infinie (suivi de la critique de l’Appel de Heidelberg), Hachette-Pluriel, Paris, 1993. Parmi les signataires français de l’appel, on trouvait : Pierre Aigrain, Etienne Baulieu, Jean Dosset (Nobel de Médecine), Pierre Douzou, Pierre-Gilles de Gennes (Nobel de Physique), Paul Germain, François Gros, Philippe Kourilsky, Henri Laborit, Hervé Le Bras, Jena-Marie Lehn (Nobel de Chimie), André Lichnérowicz, Haroun Tazieff, Maurice Tubiana. 58 « Déclaration d’un groupe de Membres de l’Académie des sciences sur les essais d’OGM en champ », 22 novembre 2001, site de l’Académie des sciences. 59 L’Humanité, 4 novembre 2001. Voir Albert Jacquard et Axel Kahn, L’Avenir n’est pas écrit, Bayard, Paris, 2001. Ces dernières années, les grandes revues intellectuelles ont continué à traiter la question des intellectuels en négligeant l’histoire des idées scientifiques et le rôle des intellectuels scientifiques : voir, par exemple, « Passés recomposés, champs et chantiers de l’histoire », Autrement, n° 150-151, janvier 1995 ; ou « Splendeurs et misères de la vie intellectuelle » I et II, Esprit, mars-avril et mai 2000 ; ou « 20 ans » et « Mai 1980-Mai 2000 - Index », Le Débat, n° 110, 111, 112, année 2000. La revue La Recherche et les éditions Odile Jacob sont plus souvent portées à faire une place aux interventions d’intellectuels scientifiques. Notons, cependant, deux dossiers, essentiels pour l’histoire des idées scientifiques et pour les débats historiographiques en cours mais qui ignorent la question des intellectuels scientifiques : « Comment écrire l’histoire des sciences ? », Le Débat, n° 102, novembre- décembre 1998, et « Des sciences dans l’Histoire », Raison présente, n° 119, 3e trim. 1996. 24