Henry Leperlier Multilinguisme, Identité Et Cinéma Du Monde
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Henry Leperlier Multilinguisme, identité et cinéma du monde sinophone : nationalisme, colonialisme et orientalisme -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- LEPERLIER Henry. Multilinguisme, identité et cinéma du monde sinophone : nationalisme, colonialisme et orientalisme, sous la direction de Gregory B.Lee. - Lyon : Université Jean Moulin (Lyon 3), 2015. Disponible sur : www.theses.fr/2015LYO30032 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Document diffusé sous le contrat Creative Commons « Paternité – pas d’utilisation commerciale - pas de modification » : vous êtes libre de le reproduire, de le distribuer et de le communiquer au public à condition d’en mentionner le nom de l’auteur et de ne pas le modifier, le transformer, l’adapter ni l’utiliser à des fins commerciales. Thèse de doctorat d’Études de l’Asie et de ses diasporas Présentée par Henry Leperlier MULTILINGUISME, IDENTITE ET CINEMA DU MONDE SINOPHONE : NATIONALISME, COLONIALISME ET ORIENTALISME Soutenue le 18 septembre 2015 à L’Université Jean-Moulin Lyon 3 Directeur de Thèse Professeur Gregory B. LEE Université Jean-Moulin Lyon 3 Jury composé de : Sean GOLDEN, Professeur à l'Université Autonome de Barcelone Roger GREATREX, Professeur, Université de Lund Vanessa FRANGVILLE, Professeur, titulaire de la Chaire de chinois à l'Université Libre de Bruxelles Gregory LEE, Professeur des universités, Université Jean Moulin Corrado, NERI, MCF HDR, Université Jean Moulin Florent VILLARD, MCF HDR, Université Jean Moulin MULTILINGUISME, IDENTITE ET CINEMA DU MONDE SINOPHONE : NATIONALISME, COLONIALISME ET ORIENTALISME 1 « Taïwan is a true island with a well-earned right to a profound identity crisis » Jerome Silbergeld, Hitchcock with a Chinese Face « Hong Kong has no pre-colonial past to speak of. (…) the Hong Kong Chinese are now culturally and politically quite distinct from mainlanders, two peoples separated by a common ethnicity » Ackbar Abbas, Hong Kong and the Politics of Disappearance 1 Nous utiliserons le mot sinophone pour nous référer plus spécifiquement à toutes les langues faisant partie du groupe des langues ou dialectes chinois. L’expression Monde chinois sera en référence aux régions où les populations ethniques sont présentes soit majoritaires soit minoritaires par rapport à la majorité Han mais disposant alors de leurs institutions soit politiques soit communautaires comme par exemple en Malaisie. Le terme sinophone gagne en acceptation en anglais comme en témoigne son usage dans le livre de Shumei Shi : Visuality and Identity: Sinophone Articulations across the Pacific, University of California Press, 2007. Le terme sinophone reflète le caractère transnational du cinéma de langue chinoise ou trouvant son origine dans un pays ou une communauté de langue ou de culture chinoise. 2 Avant-Propos Cette recherche trouve son origine dans trois voyages et séjours, parmi d’autres, que j’ai entrepris en Chine et à Taïwan. En 1982 pour la première fois je partis à Taïwan pour apprendre le chinois mandarin. J’avais écouté des conseils me suggérant que l’apprentissage du chinois, comme je l’appelais à l’époque, était plus professionnel à Taïwan et que la Chine, ayant tout juste commencé à sortir de la révolution culturelle, n’enseignait le chinois que par la « méthode » de la répétition, à la façon d’automates, en groupe. Bref, l’objectif était d’apprendre le chinois à Taïwan quitte à aller ensuite en Chine pour le pratiquer. L’image de Taïwan, officiellement, alors et aujourd’hui, connu sous le nom de République de Chine, était assez simpliste : celle de la Chine de Tchiang Kai-Shek, une Chine libre du communisme dont le but était de récupérer toute la Chine ; ceci s’affichant, par exemple dans les cinémas, où l’auditoire devait se lever et chanter l’hymne national face à une carte de la Chine, présentant un avenir radieux et un but idéologique à un auditoire jeune en majorité. Lors de mon séjour à Taïwan, je découvris que la réalité était tout autre. Les professeurs de chinois parlaient un mandarin apparemment très standard avec un accent et une prononciation qui n’était présente que dans les médias, les classes et certains fonctionnaires. Le plus intriguant était que les trois chaînes de télévision diffusaient un feuilleton télévisé d’une durée de 30 minutes suivis ou précédés de nouvelles dans un « dialecte » qui m’apparaissait comme n’ayant rien de commun 3 avec le mandarin, contrairement au cantonais où une visite au Musée de la Science de Hong Kong, quelques jours avant mon arrivée en « Chine » m’avait permis de reconnaître certains mots en commun au mandarin et au cantonais. Quelques semaines après mon arrivée à Taipei, je fus recruté par une secrétaire assistante, venue à cet effet à notre résidence universitaire ; ma tâche était de faire semblant d’être un ingénieur allemand, en visite à Taïwan pour examiner un problème de dysfonctionnement de machines à emballer sous vide exportées par cette firme allemande où elle travaillait. À ce but, je devais aller à Yilan et prétendre examiner la machine en question. Le choc culturel fut multiple et me mit dans une certaine torpeur : je passais plusieurs heures n’entendant que du taïwanais essayant péniblement en vain de saisir un mot par-ci par-là sans aucun succès. Je suis persuadé qu’une telle expérience rend quiconque quasiment dans l’impossibilité de considérer le taïwanais ou hokkien comme étant un « dialecte » du chinois mandarin.2 Ceci me força à remettre en question les images identitaires véhiculées soit par les « deux Chines » ainsi que celles transmises par les manuels de langue : ces derniers à l’époque ne comportant presque aucun avertissement sur l’interdiction du pinyin à Taïwan ou des caractères simplifiés à Taïwan. 3 4 Par ailleurs, les manuels de l’époque, et encore aujourd’hui, ne comportaient aucune 2 Quelques années auparavant, en 1972, je partis travailler en Allemagne pour l’été aux fins de perfectionner mon allemand et payer mes études. Un changement de train à Strasbourg pour emprunter la navette à Strasbourg pour rejoindre un train de grande ligne en Allemagne me fit découvrir le dialecte alsacien ; le choc initial d’entendre ce dialecte allemand fut vite maîtrisé car certains mots étaient reconnaissables d’autant plus qu’ils étaient mêlés à des termes officiels français. Rien de comparable avec cette première rencontre avec le hokkien. 4 Il existait bien des manuels de chinois mandarin à Taïwan qui comportaient, en plus du bopomofo, une transcription en pinyin, mais cette transcription s’intitulait « un autre système ». 4 information sur le contexte culturel-linguistique du Monde chinois et ne préparaient pas l’étudiant à sa rencontre avec l’univers linguistique du Monde chinois et de sa diversité. Ceci contrairement à des manuels d’enseignement de langues européennes où il est consacré une large place aux particularismes linguistiques locaux ; les manuels d’espagnols parlant de quechua, ceux de français mentionnant les autres langues de France et ceux d’allemand parlant des dialectes ou de la situation linguistique de la Suisse. Plus de vingt ans plus tard, durant l’été de 2005, flânant dans le rayon électronique grand public d’un Hypermarché Carrefour dans la banlieue sud de Pékin, mon regard fut attiré par un écran géant retransmettant un concert de rock en cantonais. Rien d’inhabituel, sauf que les chanteurs chantaient en cantonais, s’adressaient à leur spectateurs en cantonais et qu’un groupe grandissant de clients, jeunes pour la plupart, s’était arrêté pour suivre le concert qui comportait de nombreuses interruptions en cantonais, parfois sans sous-titres, ce qui ne semblait pas les déranger le moins du monde. J’étais dans la capitale du Monde chinois, un centre géographique renommé de mandarin, et ces jeunes consommateurs prenaient ce cantonais oral comme allant de soi. Je ne peux que faire l’hypothèse que le téléchargement de feuilletons télévisés en cantonais, coréen et japonais avait déjà propulsé la jeunesse chinoise urbaine dans un monde multilingue et multiculturel. Deux ans auparavant, je me trouvais à Taipei après une absence de vingt ans et écoutais distraitement les annonces du MRT, le métro de Taipei. Comme à Pékin ces annonces étaient en deux langues, chinois et anglais américain, ou du moins c’est 5 l’impression qu’un visiteur étranger aurait pu avoir. 5 Ce qui aurait pu intriguer ce visiteur est que, contrairement à Pékin, les annonces en « chinois » étaient environ trois fois plus longues que celles en anglais, donnant l’impression aux visiteurs que l’information en anglais était incomplète ou résumée. En fait les annonces en « chinois » sont en mandarin, taïwanais et hakka reflétant le multilinguisme semi- officiel6 en vigueur à Taïwan. Ces trois événements parmi d’autres sont ceux qui m’ont amené à remettre en question une vision « unitaire » du Monde chinois, de sa culture et de ses langues tels que colportés par de nombreux médias chinois, taïwanais ou occidentaux et à examiner les implications de cette vision que l’on pourrait qualifier, selon le terme d’Edward Said, d’orientaliste. 5 En fait anglais américain à Taïwan, en Chine il n’est pas rare d’entendre de l’anglais soit britannique, de Hong Kong ou australien en plus de l’américain, en particulier sur les chaînes internationales de radio et télévision en anglais. 6 Seul le mandarin est langue officielle de la République de Chine (Taïwan). 6 Introduction et Problématiques 7 Du cinéma asiatique au cinéma du monde chinois Le cinéma asiatique a trouvé sa place dans la culture populaire en Europe. Les bacs de DVD du magasin à succursales FNAC, les sites d’achat en ligne tels que Amazon offrent tous un rayon séparé aux œuvres cinématographiques provenant du continent asiatique. Cet engouement prend place par contre dans un désordre commercial et même intellectuel qui ajoute à une perception, sinon erronée, du moins confuse de la culture et de l’histoire du Monde chinois. Il tend à reproduire certains clichés et approches superficielles déjà préétablies plutôt qu’à provoquer un éclairage nouveau.