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/«T\ ^ « C/w V/** ^-/<*^^ «»^^^'» vy .0 ALFRED, OU LE JEUNE VOYAGEUR IMP, DE rÉLÎX LOCQUICr, rueN,-.D.-de*-Vicloire&, n* i6. ^ <t^rU y/^/Y ^. r/// / '^ y% V / ALFRED OU LE JEUNE VOYAGEUR OUVRAGE DÉDIÉ A LA JEUNESSE PAR M. DE MARZi:S. Auteur des Merveilles de la nature et de l'art dans les cinq parties du monde , de l'Histoire des Ai'abes en Espagne , de THiàtoire générale de l'Inde, etc. PARIS DIDIER ^ LIBRAIRE-ÉDITEDR BE LA BIBLIOTHÈQUE DES JEU^iES VOYAGEURS;» QUAI DES AUGUSTIWS, 47- 1835 INTRODUCTIOrV. EH bien ! mon cher Dorville, vous voilà décidé, m'a-t-on dit, à commencer ce grand voyage qui ne doit s'arrêter qu'aux lieux ou la terre vous manquera? Est-il vrai surtout que vous n'allez l'entreprendre que pour servir de mentor à votre jeune frère, à qui vous pensez qu'il sera très- utile? — Oui, Monsieur, cela est vrai. — Ma foi, tant pis pour vous et tant pis pour lui. — Je ne vois pas les choses tout-à-fait comme vous. Monsieur. — Je le sais bien ^ et Dieu sait si je vous ai re proché souvent vos opinions! — Mais, ces opinions que vous me reprochez sont celles de tout le monde. — Eh! oui, de tout le monde : route large et commode qui presque toujours conduit à faire des sottises. — Croyez-vous qu'on les évite, en pensant au trement que les autres? Et lorsque tous s'accor dent sur un points lorsqu'une opinion est le fruit 2 INTRODUCTION. de l'expérience commune, est-on à blâmer de l'adopter pour soi-même? Qui ne dit, par exem ple, que les voyages instruisent et forment la jeu nesse ? — Souvent la corrompent, ou du moins lui apprennent à perdre un temps qu'elle pourrait employer beaucoup mieux. — Ce ne sont point les voyages qui peuvent corrompre-, dites plutôt les mauvais exemples, les mauvais conseils, les distractions trop fri voles qui accoutument à Toisiveté, l'abus qu'on peut faire de ses moyens, de ses facultés, de tous les dons qu'on tient de la nature ou de la fortunej et c'est précisément pour que mon jeune frère ne se corrompe pas , comme vous avez l'air de le craindre, que j'ai pris le parti de l'accompagner. Il ne peut avoir encore l'expérience dont on a besoin pour marcher seul dans le monde, mais il a tout ce qu'il faut pour l'acquérir : bonne vo lonté, jugement, mémoire. Nous mettrons en commun ses ressources ei les miennes, et il ar rivera plus aisément, je pense, au point où vou lait tant le voir mon respectable père. —• C'est fort bien. Je sais que votre père en mourant vous l'a recommandé , et que vous lui avez promis, bien que vous fussiez issu d'un pre mier lit^ que vous le regiarderiez comme votre INTRODUCTION. 5 fils*, mais enfin, dans tout cela, qu'y a-t-il de commun avec vos projets de voyage? Votre frère ne peut-il apprendre chez vous ce que vous dé sirez qu'il apprenne? Ne saurait-on cultiver son esprit, l'orner même de connaissances variées, qu'en parcourant les mers et les terres? Est-ce en visitant les Malais ou les Caraïbes ^ les Chinois ou les Lapons , les Nègn^s ou le;> Samoyèdes, que vous l'initierez à la première de toutes les scien ces, la connaissance de soi-même, et l'art d'être heureux sur la terre? Croyez-moi: vous êtes ri che, votre frère le sera aussi par sa mère : restez chez vous, à Parisj les sujets d'observation ne vous manqueront pas. — Non, sans doute, et votre conseil me pa raîtrait excellent, s'il ne s'agissait pour mon frère qièe d'un simple cours de morale; mais si je veux remplir les intentions de mon père, il faut que je le mette en état de juger des hommes et des choses par ses propres lumières, non par les yeux des autres. Paris, me dîrez-vous encore, renferme assez de choses et d'hommes, et le talent d'obser vation y trouvera sans peine de quoi s'exercer. le n'en disconviens pas, maïs ce sont moins des caractères divers que cette réunion d'hommes pourra offrir à l'observateur , que d'innombra bles nuances du même caractère, modifié de mille 4 INTRODUCTION. manières par des circonstances de position. Or, si c'est en France qu'il faut étudier le français, c'est à Londres, à Madrid^ à Vienne qu'on doit étudier l'Anglais, l'Espagnol, l'Allemand. Pour atteindre ce but, on n'a qu'une voie : celle des voyages. Ne croyez pas au reste que je veuille dès aujourd'hui attacher sur des matières trop abs traites la jeune et vive imagination de mon frère. La science qui a pour but la connaissance des hommes n'est point facile; le plus souvent même elle n'est point gaie ; elle effaroucherait un adepte de quinze ans. Ce que je veux maintenant, c'est que mon frère s'instruise en s'amusant, je veux q'i'^^n voyageant il apprenne à connaître les con trées qu'il parcourra, leurs villes et leurs habi- tans, les principaux traits de leur histoire, les monumens des arts, ceux de la nature. C'est ainsi qu'il peut utilement préluder à des études plus approfondies ou plus sérieuses. Les connaissances qu'il aura d'abord acquises lui applaniront la route,et l'expérience qui sera le premier résultat de ses voyages^ le conduira peut-être dans la suite plus sûrement que ne sauraient le faire des con seils qui ne seraient pas immédiatement appuyés sur des faits. — J'aurais mille choses à re'pondre, si je le voulais : ce serait peine perdue^ car c'est chez INTRODUCTION, 5 VOUS un parti pris, je le vois, et je ne vous con vaincrais pas mieux que vous ne m'avez con vaincu. Pour moi, si j'avais un fils, un pupille, un élève, je lui dirais: mon ami, ce que tu pourras voir, observer, entendre en voyageant, d'autres l'ont vu, observé, entendu; profite de leurs tra vaux, lis avec attention le récit de leurs voyages, cela te suffira. Non , certes, je ne voudrais pas qu'il soufi'iît le froid^ le chaud, les orages, les diligences, les mauvais chemins, les pires au berges, les petites villes, la fatigue, l'ennui, les contrariétés de toute sorte , et cela pourquoi faire, après tout? pour apprendre à grand frais ce qu'il apprendrait aussi bien, mieux peut-être , sans sortir de sa chambre. Mais chacun a sa ma nière, et la vôtre, ne vous déplaise.... N'est pas la meilleure? reprit Dorville en in terrompant son interlocuteur. Cela se peut-, mais si je me trompe, c'est de bonne foi, car je crois ma méthode fort sage, et féconde en bons ré sultats. Dorvilleachevaîtàpeineces mots, que madame Dorville entra dans le salon. Elle essuyait d'une main ses yeux encore tout gonflés de larmes, de l'autre elle tenait son fils Alfred qui, par ses re gards où se peignaient tour à tour l'impatience 6 INTRODUCTION. du désir et l'attendrissement, semblait dire à sa mère : calmez cette douleur qui m'afflige; à son frère : hâte-toi de remplir la promesse que tu m'as faite. Alfred venait d'entrer dans sa seizième année, et à sa haute stature, à son maintien, à l'expres sion de sa physionomie, on lui aurait donné deux ou trois ans de plus; ses traits nobles et réguliers, son air de franchise, son gracieux sourire an nonçaient une belle ame. Sa mère était fière de lui, et on ne trouvait pas qu'elle eût tort. ATex- térleur prévenant, aux qualités du cœur, à l'heu reux naturel qui le portait sans effort à se ren dre aimable aux autres afin d'en être aimé, Alfred joignait un fonds solide d'instruction; et tout ce qu'on peut ou plutôt ce qu'on doit savoir à son âge, il l'avait appris sans peine, parce qu'ac coutumé de bonne heure à un utile emploi de son temps, il avait contracté un goût très vif pour l'étude, goût qui tous les jours se fortifiait parle désir d'acquérir les connaissances auxquelles il se trouvait lui-même étranger, à chaque pas qu'il faisait dans le monde. Son frère aîné, qui avait pour lui la tendresse d'un père, s'était attaché à dirigervers l'étude ses penchans naissans; il lui avait donné les meil- INTRODUCTION. leur^ maîtres; souvent même il lui en avait servi. Peu satisfait des nouvelles méthodes qui font des sa vans dans six mois, prenant dans les anciennes ce qu'elles offrent d'avantageux, persuadé d'ail leurs qu'on ne sait bien que ce qu'on apprend de même, il n'avait épargné ni le temps, ni les soins, ni la peine, pour cultiver l'esprit de son élève. Il avait voulu même qu'Alfred apprît le latin et le grec, malgré l'opposition du vieux chevalier, qui,en sa qualité d'ancien ami de la maison, don nait librementsonavîsentouteschoses,et croyait fermement, en jugeant d'après lui, qu'on pouvait très-bien vivre sans grec, sans latin, et même sans beaucoup de science. Madame Dorville aurait vo lontiers adopté cette manière de voir. La longue absence de son fils qui venait de passer trois ans dans un collège, l'avait soumise à une si pénible épreuve qu'elle ne se croyait pas capable df sup porter une absence nouvelle; et lorsque Alfred, que le projet de son frère avait comblé de joie, voulut parler de son prochain départ, il donna lieu à une violente explosion de plaintes et de murmures, auxquels il était loin de s'attendre, et dont il ne s'expliquait pas bien le motif; il sentait que cette affliction de sa mère venait de sa tendresse pour lui; mais ne l'aimait-il pas lui-même de tout son cœur ? Était-ce une raison 8 INTRODUCTION.