Les Cahiers d’Outre-Mer Revue de géographie de Bordeaux

217 | Janvier-Février 2002 Guinée

Electronic version URL: http://journals.openedition.org/com/1030 DOI: 10.4000/com.1030 ISSN: 1961-8603

Publisher Presses universitaires de Bordeaux

Printed version Date of publication: 1 January 2002 ISSN: 0373-5834

Electronic reference Les Cahiers d’Outre-Mer, 217 | Janvier-Février 2002, « Guinée » [Online], Online since 13 February 2008, connection on 08 October 2020. URL : http://journals.openedition.org/com/1030 ; DOI : https:// doi.org/10.4000/com.1030

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TABLE OF CONTENTS

Avant-propos Georges Rossi

La population de la Guinée – dynamiques spatiales Jean-Etienne Bidou and Julien Gbéré Toure

La Guinée maritime aujourd’hui Georges Rossi, D. Bazzo and M. Lauffer

Les visages du Fouta-Djalon Des campagnes en mutation : des représentations au terrain Véronique André and Gilles Pestaña

Le renouveau de l’élevage au Fouta-Djalon : le retour de la tradition ? Bano Nadhel Diallo

Rôle d’une ville secondaire dans l’organisation de son espace : le cas de Labé dans la région du Fouta-Djalon (République de Guinée) Ibrahima Diallo

Problèmes fonciers et environnement en Guinée forestière Jean-Etienne Bidou and Julien Gbéré Toure

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Avant-propos

Georges Rossi

1 L’histoire du peuplement de la Guinée est encore très mal connue. Elle présente une mosaïque de groupes ethniques dont la répartition, complexe, est pour autant qu’on le sache, le fruit d’une longue histoire de migrations.

2 Les études, réalisées sur des amas coquilliers situés entre la Mauritanie et la Sierra Léone, laissent à penser que des populations occupent le littoral depuis 2 000 ans au moins. A l’arrivée des premiers explorateurs puis commerçants européens, les populations vivaient en groupes bien différenciés tant par la langue que par les structures sociales. Ces groupes avaient des contacts réguliers entre eux pour le commerce et les échanges de produits. On sait aussi que la plupart des groupes culturels et linguistiques de la région sont descendus du Fouta-Djalon dans un mouvement qui a peut-être commencé dès le XIIIe siècle, mais qui a atteint son maximum au cours du XVIIe siècle.

3 Sur les plateaux et les versants du Fouta-Djalon, les ancêtres des actuels Baga, Nalou, Minkiforé, mais aussi probablement des Bassari, Conyagui (qu’on retrouve actuellement dans le Badiar) et probablement aussi des Kissi avaient formé des sociétés peu hiérarchisées cultivant le riz, le fonio, le mil en essartage et dans les bas-fonds. Il est difficile d’affirmer que ces groupes étaient, à l’origine, déjà culturellement individualisés. Aucune structure politique centralisée, aucune figure charismatique ne semble avoir émergé de ces sociétés claniques à l’époque où elles peuplaient le Fouta- Djalon.

4 Le mouvement de migration vers la côte semble avoir pour origine l’arrivée des premiers groupes dialonké et peuhl non islamisés (les Pulli), provenant de l’effondrement des empires de la zone sahélo-soudanienne, très vraisemblablement sous l’effet de la longue période d’aridification contemporaine du « Petit âge glaciaire » qui débute vers le milieu du XIVe siècle. L’afflux de ces populations ne provoqua probablement pas immédiatement des conflits ouverts et de grande ampleur avec les populations plus anciennement installées. Il est plus vraisemblable que les pressions foncière et culturelle, associées à la difficulté de cohabitation entre des sociétés d’éleveurs fortement structurées et centralisées et des agriculteurs aux organisations

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sociales plus lâches aient poussé ces derniers à reculer progressivement vers la côte. La pression s’est ensuite accentuée avec la mise en place d’un pouvoir peulh qui s’est rapidement islamisé, déclarant le djihad au début du XVIII e siècle. Le mouvement d’exode s’achève au tout début du XIXe siècle, les aires culturelles paraissant alors stabilisées.

5 Les premiers groupes à atteindre la côte guinéenne seraient des Nalou qui, après avoir décrit un arc de cercle les menant du Fouta-Djalon jusque dans l’actuelle Guinée-Bissau en passant par le Badiar, se seraient fixés dans le nord, au moins jusqu’au rio Pongo, entre les XIIIe et XIVe siècles. Une deuxième vague nalou serait partie juste après la guerre de Talansan (1727-1728). Formant de petites communautés, les Nalou adaptent leurs techniques de riziculture sur brûlis aux têtes de chenaux d’arrière-mangrove qu’ils mettent en valeur. Ce premier peuplement nalou sera ensuite assimilé ou repoussé vers le nord par les Baga dont deux premiers groupes importants empruntent, l’un, le chemin de la vallée du Konkouré pour aboutir dans la région de Conakry, puis essaimer le long de la côte vers le nord, fondant le Kaloum, puis le Koba et le Kakissa ; l’autre, le chemin qui longe les contreforts nord du Fouta-Djalon pour aboutir dans la région de Boké pour se disséminer dans les plaines du rio Kapatchez et du rio Nuñez.

6 Les migrations vers la côte de ces différents groupes pourraient s’être étalées, en plusieurs vagues, sur une très longue plage de temps entre le XIVe et le début du XIXe siècles. On suppose que les Baga-Fore qui occupent actuellement la plaine de Monchon pourraient être parmi les derniers Baga à avoir quitté le Fouta-Djalon. Les implantations baga actuelles ont par ailleurs été considérablement renforcées par des groupes d’origines très diverses progressivement assimilés. Les Landouma, dont la langue s’apparente aussi au Baga-Sitemu, se sont installés sur le plateau de Boké, s’étendant jusqu’en Guinée-Bissau au nord et s’approchant des plaines du rio Kapatchez au sud.

7 Au sud de la péninsule de Kaloum, les premiers arrivants sur la côte pourraient être les Mandényi originaires des plaines du sud du Fouta-Djalon et qui ont abouti sur la côte en passant par l’actuelle Sierra Léone. Leur aire de peuplement se serait étendue depuis la frontière de la Sierra Léone jusqu’au cap Verga. Ils auraient ensuite été repoussés vers le sud jusqu’aux îles de Kabak et de Kakossa au cours du XVIIe siècle par les Malinké de la famille Touré Kalaï installés à Forécariah .

8 Le littoral guinéen servit donc de refuge à de nombreux groupes culturels issus de l’intérieur et qui avaient en commun une origine et des pratiques agraires semblables, fondées sur l’agriculture itinérante sur brûlis et une organisation politique peu hiérarchisée. Les Soussou descendirent en dernier du Fouta-Djalon et s’imposèrent rapidement sur la plus grande partie de la côte, tant par leur organisation politique que parce qu’ils furent les premiers à se convertir massivement à l’Islam puis à le propager. La plupart des peuples anciennement installés furent rapidement assimilés à la culture soussou dont la langue est aujourd’hui largement dominante en Guinée Maritime.

9 Guinée... Le mot a longtemps fait rêver. On prêtait dès la « découverte » par les Portugais, au milieu du XVe siècle, à ce pays quelque peu mystérieux bien des richesses et bien des étrangetés. On décrivait les populations anthropophages de l’intérieur. Ce n’était pas inexact. Plus tard, les femmes bien en chair de la « smala » de Samory, capturé dans la région de Man et qui étaient conduit vers le Niger à travers la forêt, en firent l’expérience, avant que la guerre civile au Libéria ne réveille ce rituel à peine assoupi. On crut qu’il recélait l’or, l’argent, les diamants que rapportaient les premiers

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explorateurs de ces côtes inhospitalières basses, vaseuses, encombrées de mangroves et qui, en cela, furent relativement moins touchées que celles du Sénégal ou du Libéria par la traite négrière.

10 Ces descriptions font état de populations qui pratiquaient l’agriculture, la pêche, l’élevage et l’artisanat (travail du bois et du cuir, fabrication de poteries, teinture des étoffes…). Ces activités variées permettaient des échanges avec les populations de l’intérieur. Lorsque le commerce européen puis la traite commencèrent, les routes commerciales vers l’intérieur se développèrent. Certains groupes ethniques du littoral devinrent alors des pourvoyeurs ou des intermédiaires pour le trafic des esclaves razziés à l’intérieur ou capturés lors des guerres entre royaumes. Encore en 1880, « les Sou-sou qui se civilisent rapidement, revendent les nègres de l’intérieur jusqu’à 200 francs-or » (Elisée Reclus). Puis on compta beaucoup sur le palmier à huile, le bois, le latex...et sur la liaison entre la mer et nos colonies du Soudan.

11 En 1885 la Guiné (et non point Guinée) comptait, nous dit encore Elisée Reclus, 150 000 habitants sur environ 42 000 km?. Quelques factoreries comme Boké « gracieux village dont les cases se montrent au milieu de la verdure », Boffa « au centre d’un labyrinthe de marigots poissonneux » et, surtout, Benty « poste relativement salubre » où réside l’administrateur français des « Rivières du sud » assurent la présence européenne. « Konakri est un village qui vient de s’établir sur le promontoire de Tombo ». « Les Européens sont peu nombreux et la plupart n’y séjournent qu’un temps bien court, les dangers du climat obligeant les étrangers à hâter le plus possible la conclusion de leurs affaires ». Ce sont les Sénégalais « fourriers de la civilisation » qui étendent sur la cote et dans l’intérieur l’action des maisons de commerce.

12 Plus elliptique et nettement moins inspirée, en 1939, la géographie universelle publiée chez A. Colin nous dit, sous la plume d’Augustin Bernard et en 22 lignes, que la Guinée française est un territoire de 251 000 km2 et de 2 millions d’habitants dont 3 000 européens (1 200 d’entre eux résidant à Conakry,14 000 habitants, chef lieu de la colonie) « qui exportait du caoutchouc et des bœufs et maintenant se consacre à la banane, produit de grand avenir ». C’est peu, mais l’évolution est sensible en comparaison du jugement de H. Lemonnier en 1921 dans son cours de géographie (Hachette) qui nous apprend que les habitants des Rivières du Sud sont « presque tous sauvages ».

13 Après la guerre qui démultiplia les difficultés économiques, la loi-cadre sur l’outre-mer donne une réalité à l’éventualité d’une décolonisation. En 1956, la Guinée et ses 245 000 km2 comptait 2,6 millions d’habitants. A. Cholley (Cours de géographie, Baillière et fils) explique qu’il s’agit d’un pays relativement riche et prospère grâce à l’alumine et au fer mis en exploitation en 1953, à l’or et au diamant de Siguiri, aux noix de palme, aux bananes, aux agrumes et...aux primeurs de contre-saison des planteurs blancs exportés par l’excellent port de Conakry : 40 000 t. Seules, les populations forestières de l’est sont qualifiées de « peu évoluées ».

14 Ahmed Sékou-Touré est, à l’origine, on le sait, avant tout un leader nationaliste, ambitieux, vaguement « socialiste », certainement pas un idéologue marxiste. Puis survient la fameuse visite de De Gaulle à Conakry et le choc de deux fortes personnalités, de deux orgueils surtout. Sur la place, face au palais du gouverneur, des cris s’élèvent de la foule, interrompent le discours du général : « Indépendance ! Indépendance ! » La réponse fut immédiate « Vous voulez l’indépendance ? Et bien prenez-la » . Les témoins disent que De Gaulle, glacial, ignora Sékou Touré jusqu’à une poignée de main distraite à l’aéroport. Et pourtant, en privé, ce dernier professait une véritable

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admiration pour De Gaulle. Le sort en était jeté. La Guinée dit « non » au référendum et dans une atmosphère de violences ethniques et de règlements de comptes, le jeune Pierre Messmer organisa le retrait total de la présence officielle de la France.

15 On connaît la suite : un régime « socialiste » à la soviétique, le parti unique, l’étatisation quasi complète des moyens de production et de l’économie, les utopies de la « grande agriculture socialiste » qui prétendait cultiver le coton sur le bowal de la plaine des Timbis, les échecs imputés aux « ennemis de l’intérieur » aux « saboteurs de la glorieuse révolution socialiste» la dérive totalitaire d’un système et d’un chef de plus en plus isolé, qui distribue les prébendes comme la mort, devenu paranoïaque et sanguinaire, que l’on disait rongé par la syphilis. Arrestations, tortures, assassinats ne se pratiquaient pas qu’au sinistre « Camp Boirau » et étaient devenus progressivement une véritable méthode de gouvernement. Relisons « En attendant le vote des bêtes sauvages » de Kourouma qui fait une extraordinaire description de cette période ou bien les « Chroniques de Guinée » de N. Bari (Karthala, 1994). Les exactions, les relents de tribalisme et les difficultés économiques entraînèrent une importante émigration. On ne connaît pas exactement le nombre de ceux qui ont « voté avec leurs pieds ». Les estimations sont de l’ordre de 15 à 20% d’une population estimée, en 1966, à 3,6 millions d’habitants et, pour Conakry, à 120 000.

16 Le pire fut, peut-être, avec la désorganisation économique, le délabrement généralisé des infrastructures et les pénuries, l’instauration de la « norme ». Chaque paysan devait livrer au parti, à prix administré, une certaine quantité, fixée par l’administration, de ses productions. Comme les paysans se dérobaient, comme en Guinée forestière où ils n’hésitaient pas à couper les caféiers, cette norme fut régulièrement augmentée jusqu’à la mort de Sékou Touré, en 1984. Même si, cette année là, la sècheresse avait sévi, il fallait, en Guinée forestière respecter la norme et livrer, à partir de 1997, 50 kg de café décortiqué, 80 kg de paddy et 50 kg de riz décortiqué par personne, y compris les enfants, une femme enceinte comptant pour deux personnes... En 1983, pour mettre fin au « sabotage de la révolution » la vente au parti est obligatoire que l’on possède ou non une plantation et les « trafiquants » peuvent être immédiatement exécutés.

17 Les effets économiques et sociaux furent dramatiques dans les campagnes. Cette norme représentait, pour une famille moyenne de six à huit personnes, entre le tiers et la moitié de la récolte les bonnes années, parfois plus que la récolte les années déficitaires. Lorsque, souvent alourdie par les représentants locaux du parti, plus ou moins corrompus, elle ne pouvait pas être honorée, les miliciens collecteurs utilisaient la violence : tortures, viols, arrestations et cela pouvait se terminer dans les cuves d’acide du Camp Boirau. La mémoire de cette période noire de pauvreté absolue, où l’on ne trouvait même plus d’allumettes ou de clous, où porter une chemise neuve conduisait dans les locaux de la milice pour soupçon de trafic est encore ancrée chez les anciens.

18 Dans les villes les services publics ne fonctionnaient plus et les infrastructures étaient en déliquescence. A la fin de la dictature, la route Conakry-Labé, axe majeur du pays, n’était qu’une suite de fondrières. Dans la capitale sans eau, sans électricité, sans téléphone, sans égouts, sans ramassage des ordures, dans les magasins vides trouver le moindre produit manufacturé ou de l’essence relevait de l’exploit.

19 Aujourd’hui, la Guinée connaît encore périodiquement des soubresauts politico- militaires, au moins en partie liés aux évènements du Libéria, de la Sierra Léone et, plus récemment de la Guinée-Bissau. Cependant, au milieu d’une région particulièrement

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instable, elle fait figure de havre de calme, certes relatif. Les campagnes, après les villes de l’intérieur et après Conakry ont, avec la liberté d’action et la libéralisation économique, beaucoup changé.

20 En dépit de ses erreurs et, souvent, de son inadaptation, l’aide internationale a joué un rôle déterminant dans une amélioration des conditions économiques et sociales spectaculaires pour qui a connu la Guinée « d’avant ». Cela dit, ici comme ailleurs, on peut se demander si cette aide n’a pas, avant tout, servi à travers les détournements d’objectifs, les utilisations, imprévues, qu’ont pu en faire, parfois bien après la fin du « projet » les « groupes cibles » du développement. Autrement dit si un certain nombre de projets qui n’ont pas atteint leurs objectifs ne sont pas ceux qui, en fait, ont le mieux réussi. Sur ce point, l’exemple de Kaback est édifiant.

21 Mais il est un domaine dans lequel l’inadaptation des actions extérieures est flagrante : l’environnement. Comme dans celui du développement, la Guinée ne s’y s’abstrait pas des politiques menées à l’échelon international, en complet décalage avec non seulement les réalités vécues et perçues par les populations locales, mais aussi avec, tout simplement, la réalité tout court que les derniers travaux de recherche, aussi bien français qu’anglais, mettent maintenant en évidence : sur une période de l’ordre d’un siècle, il n’y a pas évidence d’une déforestation importante et l’érosion post-holocène est des plus discrètes. Et pourtant, voilà un siècle que le colonisateur hier, le coopérant et l’expert aujourd’hui luttent imperturbablement contre une érosion et une déforestation que les paysans « inconscients » continuent, avec obstination, à ne pas voir et à ne pas prendre en compte en dépit d’innombrables campagnes de « sensibilisation » et « d’éducation »... Qui est aveugle ?

22 A parcourir ce pays, on est surpris de la multiplicité, de la vigueur des dynamiques économiques, spatiales et même sociales. On est très loin de l’image stéréotypée des sociétés « traditionnelles ». On reste parfois confondu par l’adaptabilité des pratiques, leur souplesse, la mise en valeur des bas-fonds du Fouta par les femmes, la gestion opportuniste de la multi-activité en Guinée maritime, l’évolution du foncier en Guinée forestière, l’évolution du périurbain de Conakry et des villes secondaires n’en sont que quelques exemples.

23 La Guinée est un pays en rapide évolution. Certes, la « tradition » reste un repère identitaire, une forme « d’attracteur étrange » à l’intérieur d’un système socio-naturel en perpétuel mouvement, un ciment social à travers l’entrelacement des droits et des obligations réciproques, le contrôle social de l’espace et des pratiques et, à ce titre, joue un rôle déterminant dans l’évolution du couple milieu/société. Pour autant, ce ciment n’est pas toujours très solide, il n’est pas obligatoirement, parce que « traditionnel » capable de faire face au changement, de répondre à toutes les situations, encore moins d’éviter à tout coup les crises, même s’il incorpore, comme le montrent les articles de ce numéro, en permanence de la nouveauté et de l’innovation.

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AUTEUR

GEORGES ROSSI Professeur à l’Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3, UMR CNRS – IRD Regards

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La population de la Guinée – dynamiques spatiales

Jean-Etienne Bidou et Julien Gbéré Toure

1 La connaissance de la population guinéenne a beaucoup progressé depuis une dizaine d’années. Le Recensement Général de la Population de 1996, dont on publie les résultats définitifs fait suite à celui de 19831; deux enquêtes Démographie et Santé en 19922 puis en 19993, complètent le dispositif. Entre cette période d’ intense activité et la publication des premières enquêtes démographiques coloniales en 1954-554, une trentaine d’années se sont écoulées sans qu’on ait des renseignements fiables sur la population guinéenne.

2 Il est difficile, et sans doute irréaliste à l’heure actuelle d’essayer de retracer l’histoire démographique de la Guinée depuis un demi-siècle; comme son évolution politique, elle a été trop mouvementée. Par contre on dispose d’outils nombreux pour l’analyse de la situation actuelle. C’est en partie en raison de leur abondance qu’on s’est ici appuyé sur les techniques d’analyses multivariées. Elles permettent de joindre aux indicateurs démographiques classiques d’autres éléments, sociaux en particulier. Les dynamiques de la population ne peuvent guère être séparées de leurs influences économiques et culturelles.

3 Le dernier recensement a également un autre avantage, celui de donner une grande partie de l’information à l’échelle de la sous-préfecture5. Cela permettrait de décrire avec une relative finesse l’inscription des évolutions dans leur cadre spatial si les recensements guinéens, comme la plupart de ceux qui ont été menés en Afrique, ne souffraient d’assez nombreuses imperfections. Mais au moins, les analyses multivariées, travaillant sur les corrélations améliorent la cohérence de l’ensemble.

4 L’augmentation rapide de la population (plus de 3% par an) est à la fois l’indicateur et le moteur de transformations profondes dans la société. L’analyse statistique les structure en trois grands types de dynamiques spatiales. La croissance des villes constitue l’élément majeur : elle concerne la capitale Conakry mais aussi les villes moyennes. En second lieu vient la permanence de régions très faiblement peuplées : elle affecte une grande partie du territoire guinéen. Enfin apparaissent des dynamiques régionales qui

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différencient les quatre grands foyers de peuplement : le Fouta Djallon central, le pays mandingue, la Guinée forestière et le littoral atlantique. La population guinéenne et ses dynamiques : fondement d’une typologieLes données du recensement 5 Avec 7 156 000 habitants en 1996, la Guinée reste très inégalement peuplée. Sa densité moyenne de 29 hab./km2 masque des disparités considérables. Les foyers de peuplement sont souvent séparés par de vastes solitudes. Alors que la densité de population dans certaines sous-préfectures rurales du Fouta Djallon ou de Guinée forestière dépasse 100 hab./km2, elle s’abaisse à moins de 5 hab./km2 dans de vastes secteurs de Haute Guinée. La sous-préfecture la moins peuplée, Sangardo, près de Kissidougou a une densité inférieure à 1 hab./km2.

6 La population s’accroît pourtant rapidement. Pour la période intercensitaire 1983-1996, le taux d’accroissement par an est en moyenne de 3,15%, ce qui, actuellement, même pour un pays africain, est élevé. Certes, il faut faire entrer en ligne de compte la fiabilité des recensements (celui de 1983, le premier en Guinée, a nécessité des redressements parfois importants), mais aussi l’intensité des mouvements migratoires. La mort de Sékou Touré a entraîné le retour de nombreux Guinéens “de l’extérieur” et les guerres civiles du Libéria et de la Sierra Léone ont déversé sur le territoire guinéen quelque 500 000 réfugiés.

7 Par comparaison, le taux d’accroissement naturel est estimé à 25,5%, résultante d’une natalité forte (Tn = 39,7 %) et d’un taux de mortalité encore élevé (Tm = 14,2 %). L’indice synthétique de fécondité (6,2) est inférieur à celui de nombreux pays sahéliens (Mali, 7,1 en 1998 ; Niger, 7,0 en 1998 ; Burkina Faso, 6,9 en 1993) et de même niveau que certains pays voisins comme le Sénégal ou la Côte d’Ivoire. On ne dispose pas des chiffres de mortalité suivant les sous-préfectures, par contre les taux de fécondité générale et les taux de natalité sont donnés par le recensement; ils ont été intégrés dans les calculs

8 La population guinéenne est donc très jeune : l’âge médian est inférieur à 15 ans (14,9 ans), bien qu’ici aussi les disparités spatiales soient considérables. Alors que la proportion de personnes âgées reste en moyenne très faible (4,3% de plus de 65 ans) elle peut être localement très importante, comme au Fouta Djalon où dans certaines sous-préfectures elle s’élève à plus de 12%. Le recensement, qui donne la répartition par grands groupes d’âge (0-15 ans, 15-64 et plus de 64 ans) permet donc d’explorer les effets de structure.

9 Par contre, et c’est une faiblesse à la fois du recensement et de la base de données employée ici, on dispose de peu de données directes sur les migrations. Or les flux semblent intenses. Rien n’est fourni sur l’émigration temporaire qui pourrait être approchée par la différence entre populations de droit et de fait et peu de renseignements sur la stabilité de la population (par exemple la comparaison entre commune de résidence et commune de naissance n’est possible qu’à l’échelle des préfectures). Le seul moyen d’estimer l’importance des flux migratoires reste assez fruste : il s’agit du taux de masculinité, sachant que les migrants sont le plus souvent des hommes jeunes.

10 Un certain nombre de différences dans les grands paramètres démographiques, et en particulier ceux liés à la nuptialité et à la fécondité, sont liées à des attitudes culturelles

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spécifiques, qu’elles soient d’origine ethnique, religieuse, ou simplement influencées par la “modernité”6.

11 Deux données du recensement concernant les groupes familiaux sont susceptibles d’éclairer les influences culturelles : la taille des ménages et le taux de polygamie.

12 La taille des ménages varie assez fortement sur le territoire. En milieu rural elle rend compte de la puissance du modèle patriarcal. Les ménages les plus nombreux se rencontrent en pays mandingue où l’organisation sociale est bâtie sur la famille élargie et régie par un aîné, chef de la concession; la taille des ménages est de 8,4 personnes en moyenne en Haute Guinée, mais s’élève jusqu’à 15 dans certaines sous-préfectures. Cette structuration est moins rigide dans le reste du pays où les ménages comptent moins de membres. Par contre, en ville et particulièrement à Conakry, on retrouve des ménages de très grande taille, grossis par l’afflux des parents ou des relations de province.

13 La polygamie est pratique courante en Guinée et concerne près d’un tiers des hommes. Comme partout en Afrique elle augmente avec l’âge (la moitié des hommes de plus de 50 ans sont polygames), mais en Guinée sa prévalence varie beaucoup selon les régions. Les taux le plus bas se rencontrent en Guinée forestière (la coutume l’autorise mais les populations en partie christianisées la rejettent) et à Conakry où moins d’un quart des hommes mariés sont polygames.

14 Deux des indicateurs de la modernité sont sans contestation l’alphabétisation et la scolarisation. De ce point de vue, le niveau d’instruction de la population guinéenne reste, malgré de gros efforts depuis une dizaine d’années, un des plus bas du monde, particulièrement pour les femmes : moins de 20% des femmes savent lire et écrire. Dans ces conditions, la scolarisation actuelle des filles à l’école primaire présente beaucoup d’intérêt et peut être un révélateur du changement des mentalités.

15 Un dernier aspect important des données du recensement a trait à l’activité. On a négligé le taux d’activité qui est généralement en Afrique sujet à caution dans la mesure où le chômage, le sous - emploi et l’activité sont des notions très diversement appréciées. Par contre le pourcentage des agriculteurs et celui des salariés paraissent particulièrement utiles. Hormis à Conakry, les agriculteurs (et surtout les agricultrices) restent une fraction importante de la population active des agglomérations urbaines (de 10 à 15% de la population à Kankan, Labé et N’Zérékoré). A l’opposé ils constituent plus de 90% de la population active dans les trois quarts des sous-préfectures du pays, signe manifeste du faible degré d’ouverture économique des campagnes guinéennes.

16 2 - Trois grandes dynamiques

17 Soumises à une analyse en composante principale, les 17 variables choisies s’organisent sur trois grands axes. Le premier rend compte de 33% de l’inertie, 17% pour le second, 14 % pour le troisième. Au delà, la contribution des axes ne dépasse pas 7%, c’est à dire à peine plus que la contribution d’une variable isolée.

18 Le premier axe voit s’opposer le niveau d’instruction, la densité de la population, le pourcentage de salariés et la proportion d’adultes d’un côté et de l’autre à la part de la population agricole, au dynamisme du mouvement naturel et à la proportion des jeunes. Il s’agit là clairement d’une opposition ville-campagne et la position des sous- préfectures sur cet axe traduit leur situation dans un état de transition urbaine et démographique. Les fortes densités expriment la concentration urbaine; la croissance démographique y est généralement plus forte qu’ailleurs; elle est alimentée par

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l’immigration des hommes comme le montre un taux de masculinité élevé et une forte proportion d’adultes. L’alphabétisation nettement plus importante qu’ailleurs dans le pays est, comme souvent, liée de façon significative à la baisse de la fécondité.

19 Le second axe est lié en partie à la structure par âge, où s’opposent les jeunes et les adultes. Cette opposition est enrichie par la contribution de la proportion d’agriculteurs et les faibles densités de population, fortement corrélées à la proportion d’adultes. On peut interpréter cet axe comme celui du sous-peuplement. Du point de vue spatial, les sous-préfectures représentées négativement sur cet axe occupent la bande de terres peu peuplées des savanes pré-forestières qui courent de Beyla à Mamou; s’y ajoutent un grand nombre de sous - préfectures du piémont du Fouta Djalon. Là où la densité de population est très basse, l’étroitesse des possibilités économiques rend compte du poids de l’agriculture tandis que le sous-équipement, en particulier en matière de santé, entraîne de fortes mortalités infantile et juvénile, et, par conséquent, une sous-représentation des jeunes par rapport à la moyenne nationale.

20 Le troisième axe amalgame des indicateurs liés à la migration, à la fécondité et à la taille des ménages. Certaines sous-préfectures sont caractérisées par une faible croissance (souvent nulle ou négative), par des taux de masculinité très bas (à cause de l’émigration des hommes partis en “aventure”), par une faible taille des ménages et une forte proportion de vieux ou d’ hommes en situation de polygamie : c’est le cas de la grande majorité des sous-préfectures du Fouta Dja lon. A l’opposé certaines régions sont marquées par un forte fécondité des femmes et une taille des ménages supérieure à la moyenne : on retrouve là de nombreuses sous-préfectures du pays mandingue. On entre là dans le domaine des caractéristiques des foyers régionaux de peuplement, pour partie liées aux cultures locales, pour partie aux spécificités des flux migratoires. Transition urbaine et transition démographique. 21 En 1983, la population guinéenne restait fortement rurale: sur 4,66 millions d’habitants, seul 1,21 million résidaient en milieu urbain, soit 26%. Encore, la population urbaine était-elle définie comme celle qui réside au chef-lieu de préfectures. Celles-ci étant fort étendues, on agrégeait à la population effectivement agglomérée, celle des hameaux et villages de la sous-préfecture concernée. En 13 ans, de 1983 à 1996, la population urbaine a plus que doublé et le taux d’urbanisation serait, en 1996, de 36 %. La croissance de la capitale 22 La capitale a été la principale bénéficiaire du développement urbain de la Première République, passant de 42 000 habitants sous la colonisation7 à 710 000 en 1983. Même si l’on peut douter de la véracité de ce décompte (à l’époque, les chefs de famille et en particulier les fonctionnaires, qui bénéficiaient d’une dotation en produits de première nécessité au prorata de leur charge de famille, avaient tendance à exagérer la taille de leur famille), l’essor est considérable8. La ville de la Première République avait largement débordé le site primitif de l’ancienne île de Tumbo, où s’était étendue la ville coloniale et qui conserve encore les fonctions de centre urbain. Dès les années 1980, la presqu’île de Kaloum était presqu’entièrement occupée, les anciens village étant progressivement absorbés dans le tissu urbain.

23 Au début des années 1990, Conakry passait le million d’habitants et atteignait 1,1 au recensement de 1996 si l’on tient compte seulement des limites administratives. Alors que la population des quartiers anciens stagne ou diminue, celle de la périphérie s’accroît (les quartiers de Matoto et de Ratoma ont plus que doublé en 6 ans) et une

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partie de la croissance est désormais réalisée hors de la Région spéciale de Conakry, dans les sous-préfectures voisines de Manéah, Coyah et même Dubréka, situées à plus de 50 km du centre ancien de la ville.

24 Si l’on s’en tient cependant aux limites administratives, Conakry capitalisait 16% de la population guinéenne. Un renforcement récent du réseau des centres urbains secondaires 25 Jusqu’en 1983, le reste de l’armature urbaine demeurait à un niveau assez bas: Kankan, deuxième ville du pays ne comptait pas plus de 55 000 habitants, les deux autres villes, N’Zérékoré et Kindia dépassant tout juste 30 000 habitants, Labé, pourtant capitale de la moyenne Guinée était moins peuplée que Fria, la ville de l’alumine, de même que quelques centres ruraux comme Kissidougou, Faranah ou Mamou.

26 Le recensement de 1996 a révélé que la croissance urbaine la plus élevée était celle des villes régionales : Kindia, N’Zérékoré et Kankan se renforcent et dépassent désormais 100 000 habitants ; les agglomérations de plus de 30 000 hab. sont au nombre de 18 en 1996. Si Conakry s’ est accrue de 400 000 habitants entre les deux recensements (peut- être 600 000, suivant certains décomptes), les autres villes ont gagné près d’un million. L’évolution guinéenne qui voit le renforcement des centres urbains secondaires est donc parallèle à ce qui a été observé dans une grande partie de l’Afrique de l’Ouest9 et même des pays pauvres.

27 Mais cette croissance est fragile, une partie importante étant liée à l’afflux de migrants qui constituent une population flottante. Au palmarès des gains on comptabilise : des villes frontières qui ont bénéficié dans les années 1990 de l’afflux de réfugiés du Libéria ou de la Sierra Léone10, surtout si elles avaient une influence polarisante auparavant (Guéckédou, 5ème ville en 1996, qui abritait le plus grand marché du pays, Diéké, siège de la Soguipah) ; des villes minières (comme Kamsar, 6ème agglomération du pays mais qui n’était pas classée agglomération urbaine en 1983) ; les sous-préfectures de la périphérie de Conakry (Coyah, Manéah, Dubréka) qui ont bénéficié de l’extension de la capitale. Parmi les pertes de rang (mais pas forcément de population) on compte les villes du centre et de l’est de la Guinée, favorisées pendant la Première République (Faranah, Kissidougou et même Kankan qui passe du 2ème au 4 ème rang), des villes minières de la première génération (Fria qui passe de la 6ème à la 12 ème place) et beaucoup de petits centres administratifs de la colonisation qui avaient survécu à la Première République et qui ont perdu beaucoup de leur influence (Tougué, Mali, Pita au Fouta Djalon, Kouroussa en Haute Guinée, mais surtout Dalaba, villégiature coloniale au Fouta Djalon, encore 3ème agglomération du pays en 1955 et qui pointe au delà du 25ème rang actuellement).

28 Le renforcement des centres urbains secondaires est donc très inégal et ne remet guère en cause la suprématie de la capitale. Urbanisation et “modernité” 29 La résidence urbaine a un effet certain sur la baisse de la fécondité. La récente Enquête Démographie et Santé (EDS) donne un indice de fécondité de 4,4 enfants par femme en ville et de 6,1 en milieu rural. Dans ces indices calculés au niveau national, Conakry pèse d’un poids considérable : la ville millionnaire a la fécondité la moins élevée du pays : 4 enfants par femme. Les différences de fécondité par âge entre les populations urbaine et rurale s’observent surtout avant trente ans. La fécondité est moitié moindre

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avant 20 ans, et le pic de 25-29 ans est bien inférieur en ville (197 %) à ce qu’il est à la campagne (267 %).

30 Cette différence entre milieux rural et urbain est relativement récente. Les enquêtes démographiques coloniales donnaient une égalité parfaite : 5,64 enfants par femme11. Un écart est pour la première fois mis en évidence lors du recensement de 1983 : pour un ISF national de 5,8, les femmes rurales ont en moyenne 1,3 enfant de plus que celles qui vivent en ville. Il s’est creusé en 1999 où il atteint 1,7 enfant. La Guinée, malgré les vicissitudes politiques a donc connu l’évolution commune des démographies africaines. Alors que la fécondité en milieu rural est restée au même niveau qu’autrefois et localement a pu s’accroître, les villes sont engagées de plus en plus nettement dans un processus de baisse de la fécondité.

31 Une partie de cette diminution est liée à l’élévation lente de l’âge au mariage; l’âge médian qui était de 15,8 ans en 1992 est de 16,4 ans en 1999 du fait surtout de la diminution des mariages très précoces (avant 15 ans) qui constituent encore 20% des premières unions. Actuellement, l’âge médian est de 17,9 ans à Conakry, 17,4 ans pour l’ensemble de la population urbaine, 16,4 ans pour l’ensemble du pays. L’intervalle intergénésique ne s’allonge que très peu : 35,4 mois contre 35 entre 1992 et 1999 ; les différences entre l’urbain et le rural restent faibles (36,5 mois contre 35). L’instabilité des unions fait le reste, encore que si la proportion de divorcées semble être de moitié plus importante à la ville qu’à la campagne, cette situation reste marginale : elle n’affecte que 2,2% des femmes en âge fécond.

32 Cette évolution lente des éléments de la fécondité ne traduit que partiellement l’apparition de nouveaux comportements démographiques liés à la modernité. Pour M.L. Keïta12, qui a étudié, sur une base de données nationale les caractéristiques des couples et leurs attitudes envers la planification familiale, ces comportements sont actuellement le fait d’une petite minorité d’entre eux caractérisée par une position socio-culturelle supérieure : les conjoints ont fait des études secondaires, le mari est cadre supérieur ou exerce une profession libérale, l’épouse mène éventuellement sa propre activité, le niveau de vie du couple est moyen à élevé . Dans ces conditions, 68% ont une très bonne connaissance de la planification familiale et 53% ont déjà utilisé la contraception. Ils ne représentent pourtant que 2% de la population, mais constituent un modèle de réussite urbaine; ce sont les éléments de la société par qui passe le changement. Les villes moyennes dans la transition démographique 33 Si l’association entre la modernité et l’urbanisation existe au niveau des comportements individuels, elle doit se retrouver du point de vue collectif, dans l’évolution démographique des villes vue sous l’angle de la transition démographique. Plus une ville est importante, plus elle a de chance d’abriter des couples “modernes”, plus elle devrait être engagée dans le processus de baisse de la fécondité. La fig. 4 montre le croisement du taux de fécondité générale et de la taille des villes secondaires de Guinée sur les données du recensement général de la population de 1996. Du point de vue général, on observe effectivement une baisse globale du taux de fécondité avec la taille des villes : d’environ 150 ‰ pour des sous-préfectures de 20 000 habitants, il s’abaisse à moins de 100 ‰ pour celles de 120 000 habitants. Mais selon la taille, la baisse connaît des exceptions plus ou moins nombreuses.

34 Au dessus d’une population de 70 000 habitants dans la sous-préfecture, toutes les villes se placent dans l’intervalle de confiance : certaines à un niveau un peu élevé, comme

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Kindia et Kankan, d’autres à un niveau un peu faible, comme Guéckédou et surtout Labé.

35 Ce n’est qu’à partir du huitième rang, pour Mamou, que la position des agglomérations s’écarte nettement de la droite de régression. Au dessous de 40 000 habitants, les différences deviennent considérables, au point que la taille de l’agglomération n’est plus un facteur plausible d’explication des niveaux de fécondité. Tout se passe comme si, la taille augmentant, les populations citadines se conformaient davantage à un mode de vie urbain, y compris vis-à-vis de la reproduction.

36 Les facteurs qui caractérisent le haut de la hiérarchie urbaine sont : des densités importantes (>500 hab./km2, supérieures à 1000 pour Labé et N’Zérékoré) ; une population agricole faible, mais encore notable (en moyenne 20%). En effet, les sous- préfectures comportent encore une partie rurale et les activités agricoles, notamment le maraîchage périurbain y prospèrent. Les proportions d’actifs salariés, bien que faibles (>10%) et d’adultes alphabétisés y sont plus importantes qu’ailleurs (>33%) et la scolarisation actuelle des filles y est remarquablement poussée (>60%). Enfin, on a noté précédemment que c’est le niveau le plus dynamique de la hiérarchie puisque globalement la population progresse de 4 à 5% par an, signalant qu’au moins la moitié de la croissance est due à l’immigration.

37 Le niveau inférieur présente des caractères communs : forte place de la population agricole, presque toujours majoritaire (en fait les agglomérations ne concentrent qu’une minorité de la population de la sous-préfecture), rareté du salariat ; faible niveau d’alphabétisation (en général la scolarisation des filles est de l’ordre de 45%). Ces bourgs ruraux se différencient surtout par la diversité de leur croissance. Certains ont connu une croissance fulgurante ces dernières années: Diéké, Lola et les sous- préfectures de la périphérie de Conakry: Manéah, Coyah, Dubréka. Par contre, une majorité stagne, comme dans le centre du pays, ou décline, comme la plupart des villes de la périphérie du Fouta Djallon : Dinguiraye, Koubia, Tougué dans l’est, du Fouta, Mali, Koundara ou Télimélé au nord et à l’ouest.

38 Engoncées dans une ruralité, quelquefois en régression, elles en ont encore les caractères démographiques ce qui fait qu’on y retrouve les tendances régionales. La fécondité reste très forte dans les villes du centre et de l’est Kérouané, Beyla, Kouroussa. Elle est au contraire plutôt faible dans les petites villes de Guinée maritime: Forécariah, Boké, Fria ou dans le Fouta central : Pita. La « diagonale du vide »Le complexe du sous-peuplement 39 La bande des faibles densités de population qui traverse la Guinée du Nord Ouest au Sud Est a une origine ancienne; elle s’inscrit en creux entre les foyers de peuplement du Fouta Djalon et du pays mandingue au nord et au nord-est, de la Guinée la maritime et de la Guinée forestière à l’ouest et au Sud. Ici, les densités sont particulièrement faibles. Les préfectures du centre ont des densités très faibles : Kouroussa, 10 hab./km2; Faranah, 11, Kankan, malgré la présence de la ville, 13 seulement, comme Mandiana). Kissidougou avec 12 hab./km2 englobe la commune au peuplement le moins dense, Sangardo avec 1,2 hab./km2. Le pourtour du Fouta Djalon, au peuplement plus disparate, atteint des moyennes plus élevées quoique certaines sous-préfectures soient quasiment vides : Balaki dans la préfecture de Mali a 2 hab./km2.

40 Ces faibles densités ont une origine clairement historique. Certes, ce sont des savanes sub-soudaniennes peu douées pour l’agriculture; la trypanosomiase, animale et humaine, y a sévi dans le passé et reste présente; mais tout ceci n’a pas empêché les

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Sénoufo de Côte-d’Ivoire, dans les mêmes conditions, de construire un foyer de fortes densités de population.

41 Du point de vue spatial, ces faibles densités correspondent au domaine d’ethnies diverses et peu nombreuses. Leur origine est variée. A l’ouest dominent les ethnies de langue mèl : les Kissi de la région de Kissidougou sont les plus nombreux; près de la côte dans la région de Boké on trouve les Landouma, les Nalou et les Yola; au nord sur le piémont du Fouta Djalon subsistent les Bassari, Coniagui et Badiaranké. Souvent animistes, ces ethnies ont considéré le christianisme colonial comme un facteur de résistance à l’islamisation. Sociétés acéphales, elles ont difficilement résisté à leurs puissants voisins du pays mandingue et du Fouta Djalon. Mais la paix est en train de réduire ce que les razzias n’avaient pu vaincre : les plus petites d’entre elles sont en voie d’assimilation.

42 Pour les Kissi, qui sont un groupe important (plus de 5% de la population guinéenne), la situation se pose bien sûr en d’autres termes. Au centre de la «diagonale du vide», dans la région de Faranah se trouve l’aire dialonké la plus étendue. De langue mandé, ils font figure de peuple refoulé du Fouta Djalon. Qu’ils soient restés sur le plateau, ou qu’ils aient émigré sur son piémont, ils ont alimenté pendant longtemps la classe des captifs au Fouta Djalon13. Ainsi, par ponction directe mais surtout par la déstructuration liée aux razzias, ces populations n’ont pas pu constituer d’Etats qui auraient été les garants de leur sécurité et par là même capitaliser des excédents démographiques.

43 Enfin, les guerres de la deuxième moitié du XIXème siècle ont laissé des traces considérables. Un cas exemplaire est celui de la sous-préfecture de Kindoyé à Faranah. Même dans cette partie de la diagonale du vide, elle présente des caractères extrêmes : une densité inférieure à 5 hab./km2 en déclin de 3% par an entre les deux recensements ; un taux de natalité parmi les moins élevés de Guinée (31 %) ; une population d’agriculteurs analphabète à 99,5%. Historiquement pourtant Kindoyé est la capitale des Hubbu, dissidents opposés au pouvoir des almamy du Fouta Djalon, rassemblés, au moins au début, autour de l’idée d’un retour à la pureté islamique et à la justice sociale. Leur lutte contre la capitale du Fouta, Timbo, est célèbre, de même que leur liquidation en 1882 par les lieutenants de Samory, allié pour la circonstance aux almamy du Fouta.

44 Quels mécanismes ont fait perdurer les effets de ces affrontements plus d’un siècle après? Voilà qui est peu clair, mais le phénomène se retrouve dans toute la bande orientale du pays du Wassoulou jusqu’en Côte-d’Ivoire, cette région ayant été dévastée aussi lors des guerres de l’époque de Samory. Le sous-peuplement et ses conséquences 45 La croissance démographique de ces régions est modérée à faible (pour un pays en transition démographique). Sans atteindre les cas extrêmes précédents, certains secteurs voient même leur population diminuer sensiblement depuis le recensement de 1983. L’essentiel de la préfecture de Beyla, le piémont nord-ouest du Fouta Djalon, un certain nombre de sous-préfectures de Faranah, Kissidougou ou Kankan enregistrent des baisses de plus de 2% par an pendant la période intercensitaire. Même si l’on ne peut pas éliminer les erreurs de décompte, ces diminutions sont si généralisées qu’il est certain que la brousse se dépeuple.

46 La structure de la population met en évidence une part plus importante qu’ailleurs d’adultes de 15 à 60 ans. Aux confins des préfectures de Macenta et de Kissidougou, les moins de 15 ans ne représenteraient que moins de 40% de la population, de même qu’à

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Beyla, ou dans quelques sous-préfectures du nord du Fouta Djalon (Youkounkoun par exemple). L’immigration n’est pas en cause, puisque la croissance démographique est faible; ce caractère semble plutôt lié à un déficit de jeunes. A partir de là on ne peut formuler que quelques hypothèses .

47 L’une reste, bien sûr, un sous-enregistrement des enfants. Une autre, non exclusive, est une forte mortalité infantile et juvénile. Celle-ci reste bien sûr très mal connue dans ses aspects spatiaux. Elle serait actuellement de 106 ‰ pour toute la Guinée. Si on ajoute la mortalité juvénile (de 1 à 4 ans) qui est de 99 ‰, on aboutit à un quotient global de mortalité infanto-juvénile de 195 ‰14. La baisse de la mortalité des enfants a été importante durant ces vingt dernières années; elle était estimée à 270 ‰ en 1983. Mais cette diminution est affectée par des disparités régionales considérables. L’enquête EDS met en évidence des oppositions entre le milieu rural (211 ‰ pour la mortalité infanto- juvénile) et le milieu urbain (149 ‰, et même 141 ‰ pour Conakry). Du point de vue régional la Guinée forestière et la Haute Guinée (dont une grande partie du territoire est prise en écharpe par «la diagonale du vide») enregistrent les plus forts quotients de mortalité ( respectivement 222 et 221 ‰). Comme partout l’accès aux structures de santé et la qualité des services restent déterminants. Or l’encadrement sanitaire est ici particulièrement déficient : Mandiana compte trois agents de santé pour 1000 habitants, Kouroussa et Kérouané 5, Boké seulement 2. Si l’on ajoute les difficultés liées à l’accès aux dispensaires du fait même de la distance dans ces régions très faiblement peuplées, on peut penser que les populations qui y résident ont été privées de l’amélioration de la santé des enfants, pourtant sensible dans le reste du pays.

48 Enfin, au moins pour les ethnies les plus petites, on ne peut pas écarter l’idée d’un véritable déclin démographique. Pour certaines le cas est documenté. Chez les Tenda, dès 1950 les perspectives démographiques étaient considérées comme défavorables : les populations étaient au mieux stables. En 1970, des études démographiques y montraient une fécondité faible pour la Guinée (3 à 4 enfants suivant les groupes ethniques), mais surtout une stérilité importante des femmes (de l’ordre de 6 à 15%); ceci joint à une forte mortalité infantile et surtout à l’émigration rendait la survie de ces groupes assez précaire15. Les sous-préfectures de Guingan chez les Bassari et surtout de Youkounkoun chez les Coniagui enregistrent actuellement des pertes de population sévères. Un faible dynamisme économique 49 Il est difficile, dans des pays aussi peu peuplés, de créer des projets de développement. Les distances rendent l’organisation peu rentable. Alors que, dès la période coloniale, la culture du coton gagnait les savanes du Nord-Est et le café les forêts du Sud, les savanes pré-forestières avaient peu à offrir, pas même de la main-d’œuvre. Très peu d’efforts leur ont été consacrés jusqu’à aujourd’hui.

50 L’agriculture de ces régions se maintient donc dans le registre des cultures vivrières et du pastoralisme. Le manque d’ouverture économique ne signifie cependant pas toujours enclavement. Si l’ouest et le nord du Fouta Djalon restent difficiles à atteindre, de même que de nombreux secteurs des préfectures de Kérouané ou Beyla, par contre, d’autres zones de la «diagonale du vide» sont traversés par de grands axes, Conakry- Kankan, Conakry-Nzérékoré, Labé-Dakar. Mais, en traversant ces vastes solitudes les routes n’ont fixé que des centres de taille moyenne: Faranah, Kissidougou. Au delà se trouvent les régions les plus faiblement urbanisées du pays : Beyla a un taux

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d’urbanisation de 11%, Kérouané de 15%, et au nord -ouest du Fouta Djallon, Mali de 10% et Gaoual de 11%. Des oppositions régionales : Fouta Djalon et pays mandingue 51 Le troisième type de dynamique, après l’urbanisation et le sous-peuplement est le plus étroitement spatialisé. Il oppose un complexe associant la forte taille des ménages à une fécondité élevée, à un autre marqué par des taux de masculinité très faibles et une représentation relativement forte de gens âgés, fréquemment polygames. Ces facteurs différencient deux ensembles fondamentaux: le premier caractérise le cœur très peuplé du Fouta Djalon, le second le pays malinké et ses marges.

52 A coup sûr, le caractère ethnique joue par le biais des structures familiales et des normes sociales liées à la fécondité. Dans cette opposition liée aux caractères démographiques on retrouve un des clivages anthropologiques majeurs en Afrique de l’Ouest16. Mais d’autres facteurs interviennent, qui sont moins directement liés aux traits culturels, en particulier la stabilité de la population et l’existence de puissants courants migratoires qui retentissent fortement sur l’évolution démographique du Fouta-Djalon. Le pays mandingue : structures familiales et natalité 53 Le pays mandingue se caractérise depuis longtemps par une forte fécondité. Elle est déjà mise en évidence dans les enquêtes démographiques de 1954-55. A l’époque la Haute Guinée dépasse très largement les moyennes nationales : la descendance finale y est de 6,5 enfants pour 5,5 pour la Guinée toute entière. Si les indicateurs de la fécondité ne sont pas comparables (descendance finale et indice synthétique de fécondité), les enquêtes démographiques suivantes confirment cependant cette caractéristique : l’ISF est égal à 6,2 en Haute Guinée pour une moyenne nationale de 5,8 en 1983; en 1999, ces indices sont respectivement de 6,9 pour 5,5.

54 Les structures sociales des Malinké sont certes caractéristiques. L’unité fondamentale est la famille patriarcale étendue. Elle est dirigée par un patriarche, qui gère les biens de la famille, organise le travail familial, distribue entre les ménages la nourriture quotidienne et représente la famille dans la vie publique. Autour de lui gravitent les frères cadets, leurs femmes et leurs enfants. Ces larges familles qui regroupent fréquemment quatre générations se scindent à l’extinction de la génération la plus ancienne. Croisant cette organisation verticale de la société, les classes d’âge associent les membres qui ont partagé la même cérémonie d’initiation17. Un tel contexte social, encadré jusqu’à la rigidité, favorise le conservatisme social.

55 Il est sensible notamment dans le domaine scolaire : c’est ici qu’on trouve les taux de scolarisation les plus bas. Sauf en préfecture de Kankan, nulle part le taux de scolarisation dans le primaire n’atteint un tiers des enfants scolarisables. Il est extrêmement bas pour les filles : à Siguiri ou Mandiana, il ne dépasse pas 15%.

56 Les paramètres de la fécondité restent particulièrement stables18. Le mariage est précoce, mais pas beaucoup plus qu’en Guinée forestière. A 16,7 ans, la moitié des filles sont mariées et, même, l’âge médian à la première union semble s’abaisser (15,9 ans) pour les cohortes les plus jeunes (20-24 ans). L’intervalle inter-génésique est le plus court de toute la Guinée (32,8 mois)19 bien qu’on ne puisse guère l’imputer à des pratiques d’allaitement différentes (celui-ci est de 24 mois comme partout et induit une période d’aménorhée de 7 mois en moyenne). Par contre la période d’abstinence post- partum est beaucoup plus brève : 19 mois contre 22 pour l’ensemble de la Guinée. Or si

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la durée de l’aménorhée est une réaction biologique, la période d’abstinence est, elle, purement culturelle : elle est liée aux croyances et aux interdits coutumiers.

57 Parmi toutes ces sociétés guinéennes, celle du Mandingue paraît la plus consciemment nataliste : le désir d’enfant y est le plus élevé pour la Guinée, 6,8 pour les femmes et 10 pour les hommes, contre respectivement 5,7 et 7,1 pour toute la Guinée20. Le Fouta – Djalon : “aventure” et involution 58 L’image classique du Fouta Djalon est celle de hautes terres densément peuplées. Si ceci n’a jamais été vrai que pour le Fouta central, de Timbo jusqu’au nord de Labé, c’était là, un caractère ancien. Les enquêtes démographiques des années 1950 donnaient déjà des densités supérieures à 30 habitants au km2 pour les cercles de Labé et de Pita où elles montaient même à plus de 60 dans certains cantons. Ces fortes densités proches des centres politiques anciens, étaient vues comme les résultats des razzias du temps passé, surpopulation du Fouta et dépopulation des régions avoisinantes allant de pair21. L’opposition entre les classes de maîtres et de serfs allait jusqu’à la séparation physique des populations en hameaux distincts : rundé des captifs dominés par les missidé habités par les Foula. Certes, cette structuration de la société a perdu de sa pertinence depuis la complète libération des serfs : il en demeure néanmoins des traces profondes22.

59 Les fortes densités de population ont engendré des courants migratoires anciens et puissants. Dès les premiers recensements on constatait dans le cercle de Labé un déséquilibre du rapport de masculinité : 0,79% en 1946. Dans les cantons les plus peuplés, les hommes partaient massivement, au Sénégal surtout comme navétanes pour la récolte du coton, sur la côte guinéenne, comme travailleurs dans les plantations de bananiers ou dans les villes; c’était une émigration temporaire, les hommes partaient en “aventure” laissant sur place leur famille. A l’époque, les serfs émigraient davantage que leurs maîtres, si le rapport de masculinité était un bon indicateur23.

60 Les flux se sont poursuivis, accélérés dans les années 1970, avec les crises politiques qui ont contribué à leur donner une ampleur dramatique. Ils ont pris également des caractères nouveaux. Désormais, ce sont les Foula qui partent le plus. Utilisant les réseaux familiaux établis à Dakar, Banjul, Abidjan et Conakry, les jeunes hommes vont tenter leur chance dans le commerce. Ils reviennent à partir de 25 ans, lorsqu’ils ont réussi. Les aînés des familles restent car la charge de leurs vieux parents et de la concession leur incombe, les autres repartant le plus souvent après avoir construit leur maison et s’être marié. Dans une enquête à Linsan, en préfecture de Lélouma, pourtant dans des densités de population faibles, la moitié des actifs masculins des missidés étaient absents, et de ceux des rundé24.

61 L’absence des hommes se traduit par des taux de masculinité très bas : 83% en préfecture de Dalaba, ainsi que dans celle de Labé où la ville ne parvient pas à rééquilibrer les taux très bas de la campagne, 79% à Pita. Mais désormais l’émigration s’est affranchie de ses liens avec la pression démographique. Même les pays faiblement peuplés sont touchés, quelquefois même davantage : 81% en préfecture de Mali, proche de la frontière sénégalaise, mais seulement 74% à Lélouma où, dans certaines sous- préfectures, on tombe à 60%.

62 Du coup, les gens âgés sont proportionnellement plus nombreux. Alors qu’en Guinée les plus de 65 ans ne représentent que 4% de la population, ils sont plus de 7% dans le Fouta central et dans certaines sous-préfectures plus de 10%. C’est cette structure par âge et par sexe, et non une propension culturelle particulière qui fait que la polygamie

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est plus répandue qu’ailleurs en Guinée : ici, près de 40% des hommes mariés sont polygames.

63 La natalité est en baisse. Rarement dans tout le Fouta Djallon dépasse-t-elle 40 %, ce qui reste encore considérable. En préfecture de Labé, elle est de 36 %, à Pita de 35 %. Il ne s’agit probablement pas d’un effet de changements de mentalité, quoiqu’une partie des migrants de retour aient pu adopter quelques habitudes citadines, mais plutôt la conséquence de la déstructuration de la société par l’émigration.

64 Cette émigration, autrefois temporaire, tend, comme souvent, à devenir définitive. Combinée à une relative baisse de la natalité, elle explique des taux de croissance inférieurs à la moyenne nationale. Entre les deux recensements de 1983 et de 1996, il est un peu inférieur à 2% par an. Mais certaines préfectures sont bien au dessous : Lélouma et Mali ont une croissance inférieure à 1%, Pita, juste de 1,3%. A titre d’exemple, Bantignel qui était en 1955 le canton rural le plus densément peuplé de toute la Guinée a conservé quasiment les mêmes effectifs un demi siècle plus tard.

65 En 1996, la population guinéenne était évaluée à 7 160 000 habitants, en hausse de près de 2 700 000 depuis 1983. Cet accroissement de plus de 3%, mis en parallèle avec la théorie néo-malthusienne dominante, laisse augurer des difficultés considérables sur le plan du développement économique et de la conservation de l’environnement. L’exemple guinéen conduit cependant à nuancer l’inquiétude face aux contraintes démographiques.

66 Près des deux tiers de cette croissance ont été absorbés par les villes. Or, dans les villes la modification des comportements démographiques est très sensible. Alors que la politique démographique guinéenne s’est limitée jusqu’à présent à l’amélioration de la santé de la reproduction, la fécondité urbaine a baissé de façon substantielle: à Conakry, l’ISF est tombé de 5,5 enfants par femmes à 4 en l’espace d’une quinzaine d’années. La croissance rapide de la population de la capitale et des centres urbains secondaires laisse supposer la poursuite de cette tendance. L’urbanisation est ici l’élément moteur de la transition démographique.

67 Dans les campagnes la question de la pression démographique qui, exprimée de façon très générale, laissait craindre une dégradation de l’envi- ronnement, ne semble pas devoir se poser dans ces termes. Sans revenir au fait que les liens entre ces deux notions sont loin d’être systématiquement démontrés, force est de constater que l’évolution démographique est très contrastée. Ce sont les anciens foyers qui continuent à accumuler leur population. Encore, ces foyers ne connaissent que des densités de population modérées (le plus peuplé, le Fouta Djalon central atteint 60 hab./km2 en comptant la population des villes) et leur croissance, assez inégale, est généralement inférieure à la moyenne nationale. Centrés souvent sur d’anciennes entités politiques, ayant capitalisé sur le temps long des excédents démographiques, identifiés sur le modèle des ethnies majeures du pays, ils restent des réalités fondamentales. A l’inverse, les brousses peu peuplées qui couvrent pourtant un bon tiers du pays, voient leur population stagner ou même diminuer.

68 C’est finalement l’inégale répartition de la population qui paraît être la difficulté fondamentale: l’isolement des foyers de peuplement, leur éloignement par rapport à la capitale pose la question de l’intégration territoriale. Certes une ambitieuse politique d’aménagement des grands axes routiers a rendu moins difficiles les communications intérieures, mais elle n’a que peu profité aux villes moyennes jusqu’à présent. Conakry qui rassemble 60% de la population urbaine continue d’écraser la hiérarchie des villes

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guinéennes. Or, ces déséquilibres échappent aux problématiques néo-malthusiennes : ils dépendent, et cela ne les rend pas plus faciles à corriger, des questions de politiques publiques et d’aménagement du territoire.

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NOTES

1.- GUINEE. Ministère au Plan, 1989 2.- GUINEE. Ministère au Plan, 1993 3.- GUINEE. Ministère au Plan, 2000 4.- Il s’agit d’un sondage au 1/20ème, remarquable pour l’époque. Résultats définitifs de l’étude démographique par sondage. Guinée 1954-55. 5.- La Guinée est subdivisée en 7 régions administratives, 33 préfectures, 340 sous préfectures (dont 38 communes urbaines) 6.- Sans philosopher trop longuement, on appellera modernes les nouveaux comportements influencés par les idées et les genres de vie occidentaux. 7.- Enquêtes démographiques 1955, op. cit. 8.- G. ROSSI, dir;. 2001 - Il l’estime sur la base des décomptes ultérieurs, à un peu plus de 500 000 à cette date (p. 46). 9.- BERTRAND M. et DUBRESSON A. , 1997, 326 p. 10.- Mais leur situation est très instable. Attaquées par des factions armées, Macenta et surtout Guéckédou ont beaucoup souffert. 11.- Il s’agissait de descendance finale. 12.- KEITA M. L., 1999. 13.- SURET CANALE J., 1969 14.- GUINEE, Ministère du Plan, 1999, p. 157. 15.- LESTRANGE M.T. de, 1980. 16.- DE BRUIJN M. et VAN DIJK H., eds., 1997 17.- Sur les structures sociales du pays malinké, voir par ex. PERSON Y., 1968, 1970, 1975 ; sur ses aspects démographiques, LANGANEY A et alii,. 1979. 18.- A propos de l’influence ethnique sur les paramètres démographiques, cf. par ex. CANTRELLE P. et alii., 1980. 19.- GUINEE. Ministère du Plan, 1999, p. 100 20.- GUINEE. Ministère du Plan, 1999, p 110 21.- RICHARD MOLARD J., 1958. 22.- BOTTE R., 1994. 23.- RICHARD MOLLARD J., op. cit. 24.- USAID, 1994

RÉSUMÉS

La population guinéenne (7,2 millions d’hab. en 1996) est en forte croissance (3% par an). Cela est dû en partie à l’afflux de réfugiés de pays voisins, en partie à un bilan naturel encore très élevé dans le milieu rural. Mais une partie de cette croissance est absorbée par les villes (où les indicateurs montrent une diminution sensible de la fécondité) alors que les campagnes les moins peuplées se vident.

The Population of the Guinean Republic – Spatial Dynamics. The Guinean population (7 200 000 inhabitants) is in a phase of strong growth (3 % per year). This is due in part to a strong

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influx of refugees from neighboring countries, in part to a natural increase that is still high in the countrysides. But a part of this growth is absorbed by the towns and cities (where data show a significant drop in fecundity) whereas the countrysides having the least amount of people are emptying.

INDEX

Mots-clés : analyse multivariée, croissance urbaine, densités de population, Guinée, transition démographique

AUTEURS

JEAN-ETIENNE BIDOU Maître de conférences, UFM Poitou-Charentes

JULIEN GBÉRÉ TOURE Maître de conférences, Université de Konakri

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La Guinée maritime aujourd’hui

Georges Rossi, D. Bazzo et M. Lauffer

1 S’ouvrant sur l’océan Atlantique par une façade de quelques 300 km, la région administrative de Guinée Maritime1 occupe une bande d’environ 150 km de largeur moyenne entre les contreforts du plateau du Fouta-Djalon à l’est et l’océan à l’ouest. Sur 43.730 km, elle regroupe, grâce à la présence de la capitale, Conakry, quelque 36% de la population du pays soit 2,5 M.hab. (ou 1,4 M.hab. et 20% de la population totale si l’on fait abstraction du poids de la capitale afin d’avoir une meilleure appréciation de la population rurale).

2 Elle se caractérise par un climat aux précipitations abondantes, toujours supérieures à 2m, mais avec une saison sèche très marquée d’au moins cinq mois, par un réseau hydrographique peu hiérarchisé, largement ouvert sur l’océan grâce à de nombreux chenaux et estuaires. Ce réseau de drainage est remonté, parfois sur près d’une centaine de kilomètres, par des marées à forte amplitude, qui dépassent 5m dans les estuaires du Nord. Il débouche sur une plate-forme continentale exceptionnellement large, près de 160 km au Nord, et à très faible pente, par l’intermédiaire de vasières largement développées qui donnent au littoral guinéen sa physionomie spécifique.

3 Trois écosystèmes se succèdent de l’est à l’ouest : le rebord profondément entaillé du plateau gréseux du Fouta-Djalon, des marais maritimes occupés par la mangrove, puis des eaux littorales peu profondes. L’ensemble, en interrelation, constitue un système écologique complexe aux multiples interfaces.

4 La diversité et la richesse du système écologique se traduisent aussi par celle des paysages ruraux et des modes de mise en valeur. Plusieurs caractères discriminants peuvent être proposés pour décrire cette diversité. Si les grandes unités écologiques ont occasionné une différenciation très nette des paysages ruraux en paysages d’altitude, de piémont et de mangrove, deux autres groupes de facteurs permettent d’expliquer plus finement la diversité des situations observées.

5 D’une part, le peuplement de la Guinée Maritime, résultat d’une longue histoire de migrations et les particularités spatiales et sociales qui en découlent. D’autre part, le maillage de l’espace par un réseau urbain et de transport dont l’influence s’exerce de façon très inégale sur les campagnes.

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6 Tous ces facteurs de diversification ont conduit à une véritable mosaïque rurale, où les paysages, les cultures, les modes de mise en valeur et les conditions sociales et économiques, la structuration de l’espace changent très rapidement.

7 Après avoir caractérisé ces dynamiques actuellement à l’œuvre, nous examinerons ce que sont les contraintes que doit affronter le développement des zones de mangrove et la façon dont les paysans y répondent. Enfin, nous tenterons de dégager quelques pistes pour tenter de définir les conditions d’un développement véritablement durable. Des espaces en rapide mutationLa monétarisation de l’économie rurale 8 La monétarisation de l’économie rurale est un élément central des dynamiques économiques et sociales à l’œuvre en Guinée Maritime. Influençant les modes de mise en valeur, elle a aussi une importance capitale en termes écologiques. Notre étude n’avait pas pour but de quantifier ce phénomène, mais elle a permis de comprendre par quels mécanismes la monnaie s’est progressivement introduite jusqu’au cœur des stratégies de gestion des populations.

9 Dans la zone littorale de Guinée, la proximité, voire la simultanéité, des influences continentales et océaniques produisent et entretiennent une mosaïque de facettes agro-écologiques extrêmement diversifiées et aux fonctionnements interdépendants. Ce système écologique est exploité à travers des modes de gestion dont le point commun est la recherche de complémentarités entre plusieurs activités menées simultanément. Ces modes de gestion peuvent être qualifiés d’opportunistes car la gestion simultanée de plusieurs activités complémentaires et parfois concurrentes, aussi bien en termes de travail que d’investissement financier, intègre, nécessairement, la plasticité face aux évolutions peu prévisibles des contextes économiques, sociaux, climatiques, hydro-sédimentaires, et même politiques.

10 Depuis l’Indépendance, les systèmes de gestion développés sur tout le littoral combinent un pôle d’activités monétaires et un pôle d’activités vivrières. L’apparition du pôle monétaire est difficile à situer : la commercialisation des surplus de riz dans les années 1920 n’est pas forcément un indice de monétarisation. Ces surplus étaient plutôt le fruit aléatoire d’une agriculture à fort potentiel dans des contextes écologiques et démographiques favorables. Par ailleurs, cette mise sur le marché des excédents de production ne correspondait pas à une opération d’échange du travail agricole contre de l’argent, mais à un troc. La généralisation de la monétarisation de l’économie rurale est plus récente. Elle a commencé un peu avant l’Indépendance avec celle des échanges qui a ultérieurement entraîné celle des itinéraires techniques. A partir de la Deuxième République l’argent devient une véritable valeur-étalon et un outil de gestion qui permet de décloisonner les activités et d’effectuer, au gré des nécessités, des transferts entre elles. Dans ce cadre, la situation apparaît comme très hétérogène le long du littoral.

11 A proximité immédiate des villes qui offrent simultanément demande et facilité d’enlèvement, abondance et diversité des possibilités de consommation, le pôle monétaire a pris une importance quasi exclusive. Les ceintures maraîchères, l’arboriculture ou le petit élevage ne sont cependant pas le signe d’une mono-activité. A l’échelle de l’unité familiale, d’autres activités, comme le salariat urbain, sont pratiquées qui permettent souvent de financer l’investissement initial et de compléter les revenus. A cela s’ajoute une rapide monétarisation du foncier.

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12 Les zones intermédiaires sont marquées par la coexistence d’ activités à finalité monétaire et d’ activités principalement destinées à l’autoconsommation au sein d’un système de gestion où l’argent joue un rôle de lien entre elles. Dans ce cas, au sein des villages les activités monétarisées sont apparues au cas par cas à la suite d’une conjonction de facteurs aboutissant, localement, à une crise de la riziculture. Cela a été, par exemple, le cas à Douprou à partir des années 1980 lorsque l’érosion de la plaine de front de mer conjuguée à la croissance démographique n’a plus permis d’assurer l’autosuffisance en riz. Dans le même temps, le changement social faisait apparaître de nouveaux besoins et le désenclavement de nouvelles opportunités.

13 Lorsque ces situations locales de crise se produisent, l’agriculture vivrière ne permettant plus de satisfaire les besoins familiaux, leur sécurisation rend l’intensification des activités à finalité monétaire indispensable. Mais, à force de travail constante, il devient alors inévitable de réduire la quantité de travail investie dans les activités vivrières. Dans ce cas, le recours à la main-d’œuvre salariée permet de maintenir au sein de l’unité familiale une riziculture financée par les activités monétaires. Chaque foyer réalise ainsi en fonction de ses moyens et de ses besoins, un réglage entre activités à but monétaire et activités à but principalement d’autoconsommation, choisissant à chaque étape des itinéraires techniques de recourir soit à la main-d’œuvre familiale, soit au salariat en fonction de leurs coûts d’opportunité respectifs. Par ailleurs l’essor des activités monétaires, lié au désenclavement, laisse aux populations locales une relative indépendance par rapport aux acteurs dominants des filières et la liberté d’organiser ces stratégies au mieux de leurs intérêts.

14 Les raisons du maintien d’un pôle vivrier important sont multiples. Au premier rang vient probablement la maîtrise du risque : il est considéré comme une assurance face aux aléas des activités monétarisées. Par ailleurs, la rizière conserve une valeur symbolique très forte et fait donc parti des critères de l’honorabilité. Dans le cas particulier de la riziculture baga, cette valorisation sociale se prolonge par une valorisation du foncier, reconnue à travers la mise en valeur. Aussi, les notables de la société baga dépensent-ils souvent de fortes sommes pour mettre en culture le foncier familial et considèrent-ils cette attitude comme l’une de leurs plus importantes responsabilités sociales. Il s’agit d’un investissement à finalité politique et à rentabilité sociale, ce qui ne veut pas dire qu’il ne se traduise pas, à un moment ou à un autre, par un retour financier. Le maintien d’un vaste domaine foncier, la présence de nombreux dépendants, garantissent notoriété, pouvoir et le cas échéant, aide.

15 Dans les zones les plus enclavées comme les îles Tristao, la monétarisation de l’économie rurale est plus rare et, lorsqu’elle est effective, s’effectue brutalement. En effet, la difficulté d’accès aux marchés urbains diminue la rentabilité des activités monétaires à un point tel qu’elles ne permettent pas d’assurer une fonction de sécurisation. Celle-ci est alors recherchée à travers, d’une part, la qualité d’une mise en valeur rizicole minutieuse qui exploite une panoplie technique très riche, d’autre part, en utilisant au maximum les complémentarités offertes par les différentes facettes écologiques. Mais ce comportement d’aversion au risque nécessite un investissement en travail considérable, qui ne laisse que peu de place aux autres activités. Cela rend, dans le contexte actuel, ces systèmes très fragiles.

16 En effet, lorsqu’une opportunité de revenus monétaires apparaît, l’enclavement rend difficile son intégration aux systèmes de gestion existants. L’organisation des filières

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compense l’enclavement par une très forte structuration des nombreux intermédiaires selon un schéma hiérarchique très strict, ce qui entraîne une dépendance exclusive de la main-d’œuvre. Cependant la possibilité d’un gain en numéraire exerce sur les jeunes un attrait comparable à celui des villes dans d’autres circonstances, car en l’absence de possibilités d’évolution du système rural lui-même, il n’existe pas, sur place, d’autre possibilité pour se procurer de l’argent.

17 L’exemple des Tristao montre que l’arrivée d’une filière monétaire dans ce contexte de fort enclavement ne permet pas son appropriation et son intégration dans un système de multi-activités, comme c’est le cas dans les zones intermédiaires. On observe alors le passage brusque d’un système de production voué à l’autoconsommation, très dépendant des conditions écologiques, à un système monétarisé étroitement lié à une filière dont le centre de gravité est extérieur à la zone. Ce passage se traduit par une déstructuration du système vivrier et, tout particulièrement, d’une riziculture performante mais très exigeante en temps. Une région fortement polarisée 18 Le littoral guinéen apparaît comme une zone d’attraction à deux niveaux. La concentration de la population y est visible à l’échelle régionale, mais aussi nationale. Dans un cas comme dans l’autre, elle se traduit par un double mouvement vers les villes et vers les campagnes les plus côtières.

19 A l’échelle nationale, la polarisation s’exprime avant tout par la croissance du tissu urbain. Conakry, mais aussi d’autres grandes villes industrielles (Kamsar, Fria) ou commerciales (Kindia) attirent des populations de l’ensemble du pays. En effet, elles proposent, outre des opportunités économiques, une forte concentration d’infrastructures et de services aujourd’hui jugés indispensables. L’attraction urbaine est également sensible dans certains centres secondaires de croissance récente ( Dubréka, Forécariah, à un moindre degré Boké, plus récemment Kolaboui, Tougnifily et Tanéné) qui profitent du dynamisme commercial suscité par la monétarisation du marché de certaines productions (poisson, sel). On constate que les services publics ont du mal à suivre cette très rapide croissance (l’augmentation de la population de Conakry a été de 630 % depuis 1960) et que, de plus en plus, le secteur privé prend le relais dans la fourniture des services de base tels que la santé ou l’éducation.

20 A l’échelle régionale, la richesse écologique des campagnes du littoral permet une grande diversité d’activités. Ce potentiel, joint à l’existence d’un réseau urbain et de transport relativement dense, crée des opportunités économiques qui poussent de plus en plus de ruraux de l’intérieur de la Guinée Maritime à migrer vers la côte. Ainsi, le développement de la filière pêche a joué un rôle moteur important. En effet, l’accès à la ressource n’est limité par aucune territorialisation des eaux côtières, et les techniques de pêche artisanales sont consommatrices de main-d’œuvre. Elles s’accompagnent souvent de modalités de rétribution en nature (poisson frais) qui, quand les conditions de conservation par le froid ne sont pas remplies, obligent à développer simultanément des activités artisanales (fumage, salage, séchage) et commerciale. Le poisson transformé est alors, soit vendu sur des marchés locaux, soit exporté vers des marchés régionaux (Sénégal, Mali…) et internationaux (Europe, USA…).

21 Cette capacité d’intégration de la filière pêche génère un mouvement de main-d’œuvre en direction de la côte. Mouvement saisonnier d’abord puisque, dans un premier temps, la pêche artisanale n’est généralement pas pratiquée toute l’année, puis définitif car l’intégration plus complète dans la filière nécessite une présence permanente sur le

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littoral afin d’optimiser les conditions de commercialisation ou l’utilisation et la rentabilité des investissements en matériel. Cela se traduit, pour la pêche utilisant des embarcations à voile, par des mouvements de migration qui conduisent les pêcheurs de campements en campements au cours de la saison. Les grands débarcadères de la côte ont ainsi vu leur fréquentation croître dans des proportions telles qu’actuellement ils sont souvent les plus importants pôles d’attraction de leurs zones. Les marchés quotidiens, rendus nécessaires par l’importance de leur population non agricole, génèrent des activités maraîchère et de petit commerce dans les villages voisins. Dans les zones les plus isolées (Tristao), les besoins de la filière pêche sont par ailleurs à l’origine de leur désenclavement, certes très relatif.

22 Cette polarisation sous l’influence d’une filière commerciale rendue possible par les opportunités écologiques, s’exprime aussi, bien que de manière moins nette que pour la pêche, pour la saliculture, la foresterie, et pour les activités agricoles monétarisées. La croissance des besoins urbains en bois de chauffe et en charbon de bois a donné lieu à la professionnalisation de bûcherons et de charbonniers et à l’organisation de cette filière. La saliculture en mangrove est, depuis longtemps, une activité suscitant des migrations saisonnières de femmes provenant des zones continentales de toute la région et, là encore, la filière du sel, très structurée, couvre toute la Guinée et s’étend au-delà des frontières. Ce dynamisme est susceptible de limiter ou d’inverser les migrations vers les villes. L’île de Kaback, intégrée à la ceinture maraîchère de Conakry, affiche un comportement démographique radicalement différent des sous-préfectures voisines. Sa population se maintient sur place, et accueille même de nouveaux arrivants, souvent originaires de l’île, qui l’avaient quittée pour fuir les conditions de vie médiocres qu’elle offrait alors.

23 Cette polarisation est relayée par l’action des opérateurs de développement. En Guinée Maritime, les opérations de développement en milieu rural concernent les domaines de l’aménagement (aménagement rizicole en mangrove, rarement en bas-fonds, construction et réhabilitation de pistes, de points d’eau, d’infrastructures scolaires et de santé) ; du soutien aux organisations professionnelles (pêche, riziculture, saliculture) ; du micro-financement (crédit rural) ; de la gestion des milieux (baie de Sangaréya). Hormis le micro-financement, la majorité des interventions restent sectorielles et concernent des filières. Or, pratiquement toutes les filières de Guinée Maritime sont fondées sur l’exploitation de ressources dépendant du fonctionnement du système écologique du littoral.

24 Les différents facteurs de la polarisation régionale et, en partie, nationale sur la bande littorale, suscitent de facto, une intensification de l’exploitation des ressources du système écologique. Elle s’accompagne parfois d’innovations techniques permettant de mieux exploiter la ressource (cas de la pêche ou, partiellement, du sel), mais, dans la plupart des cas, l’innovation majeure est sociale et économique et correspond à la structuration des filières, leur monétarisation et, parfois, leur professionnalisation.

25 Il est capital de prendre en compte ce phénomène car il induit une pression nouvelle et importante sur les diverses ressources car les profits ainsi dégagés par les différents acteurs exercent un fort pouvoir d’attraction qui amplifie le phénomène migratoire. Les enquêtes ont montré, par exemple, que tirée par la demande et une filière bien organisée, la production croissante de sel pouvait entraîner, en mangrove, l’installation de saliculteurs allochtones qui, sachant qu’ils ne reviendront pas l’année suivante, n’hésitent pas à couper à blanc des peuplements entiers d’Avicennia. Dans certains cas

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c’est la réserve de bois de chauffe de tout un village qui, en quelques semaines, est détruite.

26 Face à ces évolutions, aujourd’hui puissantes et rapides, on peut essayer de définir ce que sont, actuellement, les enjeux de développement de la région. Quel développement pour les zones de mangrove ? 27 Nos différentes analyses conduisent à tenter d’apporter des éléments de réponse à trois interrogations principales, liées, qui concernent les acteurs du développement en Guinée Maritime : pour quelles raisons les opérations mo-dernes d’aménagement en milieu de mangrove connaissent-elles de multiples difficultés, soulignées depuis un demi-siècle, par le caractère répétitif des projets ? Quel développement peut-on envisager en zone de mangrove ? Dans un contexte marqué par de très rapides changements démographiques, économiques et sociaux, quels sont les risques pour l’écosystème anthropisé que constitue la mangrove ? La mangrove guinéenne est un milieu d’une extrême mobilité morpho-sédimentaire, mobilité imprédictible dans l’espace et le temps 28 Les côtes guinéennes, basses, échancrées de profondes rias, presque exclusivement bordées par des vasières et des marais maritimes couverts de forêts de palétuviers, ont l’apparence de milieux stables. Cette impression est trompeuse, car le complexe hydro- sédimentaire qui les constitue est en réalité spatialement très instable et réagit rapidement à une modification des facteurs de l’équilibre morpho-sédimentaire. Sur ce littoral constitué essentiellement de sédiments fins, meubles et récents, très facilement remis en mouvement en dépit de la faible énergie des vagues, ces modifications d’équilibre se traduisent, concrètement, par l’évolution continue de la configuration du trait de côte et des vasières d’estuaire. C’est dire les contraintes imposées à l’aménagement hydro-agricole par les dynamiques morpho-sédimentaires.

29 L’équilibre, instable, du trait de côte, de celui des berges des estuaires et des drains secondaires dont dépend l’inondation / drainage des plaines, est principalement déterminé par deux groupes de facteurs plus ou moins étroitement liés aux composantes du climat, c’est-à-dire imprévisibles et variables en permanence dans l’espace et le temps. Il s’agit de la quantité et du type de sédiments apportés par les fleuves, des conditions de déplacement et de dépôt / érosion de ces sédiments le long de la côte par l’intermédiaire des courants engendrés par les marées et la houle. Un exemple, exposé très schématiquement, permet d’appréhender à la fois la complexité et le caractère aléatoire de ces interactions.

30 Une augmentation ou une diminution de la pluviométrie sur les bassins-versants va modifier la quantité (et parfois aussi la nature) des sédiments apportés au fleuve par les versants, en même temps que la quantité d’eau écoulée et les modalités de cet écoulement. Ce changement du rapport débit / charge du fleuve se répercute sur la quantité et la composition granulométrique (plus ou moins grande proportion d’éléments fins) des sédiments apportés par les fleuves aux estuaires et à la mer. Il va déterminer, aussi, en un point donné, la capacité d’érosion ou de sédimentation du cours d’eau. En dehors de variations climatiques d’ordre pluri-décennales, les apports sédimentaires varient dans d’importantes proportions d’une année sur l’autre (variations interannuelles), et, considérablement, dans l’année, entre saison des pluies et saison sèche. Ils sont donc, à différentes échelles de temps, de type spasmodique. On pourra, de manière imagée, retenir l’idée de l’expulsion, plus ou moins périodique, par les fleuves, de « paquets sédimentaires » de volume et de composition variables.

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31 L’importance et la localisation des phénomènes de sédimentation / érosion le long de la côte (les deux peuvent se produire simultanément à faible distance ou se succéder dans le temps en un même lieu) dépendent donc en partie de l’importance et de la nature, variables, de ces apports sédimentaires et des conditions de leur transport. Dans les estuaires, la sédimentation, la mobilisation et le déplacement des sédiments sont principalement liés à l’amplitude des marées et au débit instantané du fleuve au moment de cette marée, c’est-à-dire à la position plus ou moins à l’amont ou à l’aval du contact entre eau douce et eau salée (biseau salé), ainsi qu’à la vitesse des courants de flot et de jusant.

32 Sur la côte, le transport est effectué essentiellement par les courants engendrés par la houle (dérive littorale). Leur direction, leur aptitude à éroder, transporter, déposer sont, pour un même lieu, liées à leur capacité de transport. Celle-ci est fonction de la vitesse et de l’angle d’incidence de la houle à la côte, elle-même dépendante de la direction et de la vitesse initiale de la houle au large (et donc de la direction, de la course et de la vitesse de vents formés dans l’Atlantique), modifiée par la diffraction introduite par la topographie, très mobile, des petits fonds. On peut ajouter que, compte tenu des caractéristiques morpho-sédimentaires de la côte guinéenne, l‘énergie des vagues et clapots déclenchés par des vents locaux peut être suffisante pour remettre en suspension et déplacer un matériel argileux. Aussi, à côté des apports fluviatiles, une part non négligeable du volume sédimentaire en transit et en dépôt provient de l’érosion et de la remobilisation périodique des dépôts des vasières littorales et subtidales.

33 Bien évidemment, les vents, généraux ou locaux, à l’origine de ces modalités de transports sont variables en vitesse et en durée et, dans une certaine mesure, en direction, en fonction de la période de l’année ainsi que d’une année à l’autre, modifiant ces modalités de façon significative. Il faut, par exemple, garder à l’esprit le fait que la capacité de transport d’une dérive littorale double pour une simple augmentation de 10° de l’angle d’incidence de la houle, mais devient brutalement nulle pour un angle supérieur à 50-55°.

34 L’envasement ou le dévasement en un point, la vitesse de ces phénomènes, sont liés aux interactions permanentes entre ces multiples facteurs. On en conçoit l’extrême complexité. L’image à retenir est celle de « paquets sédimentaires » de volume et de composition variables, isolés ou en trains, transitant, se sédimentant ou se mobilisant le long du littoral à des vitesses variables et à différents pas de temps, en fonction de conditions hydrologiques et morphologiques locales liées aux caractéristiques du moment des facteurs climatiques.

35 Ces mouvements sédimentaires peuvent être rapides et amples, non seulement en front de mer, mais aussi le long des estuaires. Ils entraînent de brutales variations des conditions écosystémiques (dynamiques hydro-sédimentaires, pédologiques, phytogéographiques) et, par voie de conséquence, des conditions de l’aménagement et de la mise en valeur. Un drain, important pour le fonctionnement hydraulique d’un périmètre, peut s’envaser en quelques mois, une vanne peut, de même, être déchaussée, une digue emportée, un sens de drainage progressivement s’inverser, avec les conséquences pédologiques et les incidences sur la production que l’on connaît bien aujourd’hui. Ajoutons que contrairement à une idée reçue, la mangrove n’est pas en mesure d’empêcher, en front de mer, l’érosion du substrat vaseux des marais maritimes. Si elle est capable de coloniser rapidement un banc de vase fraîchement

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déposé et de contribuer à son exhaussement et à sa stabilisation relative, elle ne peut en aucun cas protéger durablement un ouvrage en cas de dévasement provoqué par un changement de l’équilibre hydro-sédimentaire.

36 L’île de Kabak illustre bien les conséquences de ce que nous venons d’exposer. En dépit d’une histoire des aménagements caractérisée, depuis cinquante ans, par une succession d’échecs, en 1996, a été construite une nouvelle digue, techniquement comparable à celle qui avait été emportée à la fin des années 1970. Elle reprend le même tracé, se situant simplement en retrait à l’endroit de sa précédente rupture. L’hydraulique a été revue, c’est-à-dire qu’elle a été adaptée aux conditions de drainage et à la situation hydro-sédimentaire constatée au moment de la conception de l’ouvrage. On se retrouve donc toujours dans le même cas de figure. Une digue en terre imposante, des ouvrages hydrauliques fixes, impossibles à adapter à une inévitable mobilité hydro-sédimentaire, si ce n’est au prix d’un entretien très coûteux en temps pour les paysans (et / ou en argent pour l’aide extérieure). Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il est fort probable que cet aménagement n’aura pas plus de succès que les précédents. Une démonstration du même type peut être facilement faite en ce qui concerne les causes des problèmes multiples qu’ont connu, depuis cinquante ans, les périmètres du rio Kapachez.

37 C’est là une des difficultés principales de l’intervention en mangrove : de par les types d’aménagements, permanents, lourds et coûteux, les périmètres hydro-agricoles supposent, pour fonctionner et être rentabilisés, des conditions hydrologiques, sédimentologiques et agronomiques stables sur des périodes longues. Or, ces milieux de mangrove, qu’il s’agisse de ceux de front de mer ou de ceux d’estuaire, sont en permanence soumis à une très forte instabilité hydro-sédimentaire. Ces évolutions sont qualitativement et quantitativement imprévisibles. Il est extrêmement difficile et onéreux de lutter contre eux. Il existe donc une incompatibilité de fond entre le principe même du grand aménagement et l’extrême mobilité du milieu biophysique. C’est un certain type de conception du périmètre hydro-agricole qui est inadapté à la réalité hydro-morphosédimentaire du littoral guinéen. La mangrove est une mosaïque complexe de micro-milieux : cette diversité, à l’origine de sa richesse, est aussi une contrainte forte à l’aménagement 38 Sous une apparente uniformité, l’écosystème de la mangrove cache une grande variété de facettes agro-écologiques en fonction des caractères pédologiques, de la micro- topographie qui commande l’importance, la durée, le rythme des inondations (douce ou salée), et de la position par rapport au front de mer et aux axes de drainage. Des multiples interfaces entre ces facettes naissent la richesse et la diversité du milieu. Nous ne reviendrons pas sur le fait que cette mosaïque évolue, naturellement, à plusieurs pas de temps, en fonction des variations des facteurs climatiques qui commandent, pro parte, les dynamiques hydrologiques et sédimentologiques fluvio- marines.

39 La grande variabilité spatiale des caractéristiques pédologiques, ainsi que la sensibilité des sols ou anciens sols de mangrove à l’aménagement sont une contrainte majeure. Les risques d’acidification sont potentiellement considérables (voir la notice sur les sols). Ils résultent directement des conditions hydro-morphologiques prévalant lors du dépôt des sédiments, celles-ci ayant guidé la colonisation préférentielle par des Rhizophora ou par des Avicennia, autre facteur déterminant du risque. Ces formations ont pu, en un même point, se succéder dans le temps en fonction des évolutions

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morphodynamiques. Les sols de mangrove sont un véritable puzzle dans lequel un sol non potentiellement sulfaté acide en surface peut recouvrir des vases susceptibles de s’acidifier en cas de drainage.

40 A ce véritable puzzle pédologique est associée une micro-topographie complexe caractéristique de cette morphologie de plaines littorales fluvio-marines ou d’anciens marais littoraux. Les dénivelés sont très faibles, parfois insensibles, et ne peuvent être décelés qu’à partir d’un levé topographique, mais quelques dizaines de centimètres suffisent à modifier les conditions d’inondation et de drainage, aussi bien pour les eaux douces que pour les eaux salées et, par-là même, le risque pédologique.

41 La difficulté dans la mise en valeur de ces marais maritimes à mangrove est donc de tenir compte de potentialités et de risques spatialement très variables sur de faibles distances. Des points de vue agronomique et économique, on peut difficilement considérer une plaine ou une fraction de plaine comme une entité homogène qu’il est possible de découper en parcelles géométriques, au potentiel productif équivalent, que l’on peut gérer de façon identique. Les principes d’aménagement et de gestion actuels des périmètres hydro-agricoles supposent un minimum d’homogénéité spatiale et de standardisation. On ne peut que constater qu’ils vont à l’encontre de la très grande hétérogénéité de la mosaïque hydro-morphopédologique complexe que sont ces espaces. Les techniques et stratégies paysannes s’adaptent à ces caractéristiques 42 Ces mosaïques de micro-milieux, aux sols lourds mais riches en matière organique, à la fertilité régulièrement renouvelée en régime naturel, ont depuis longtemps attiré les hommes. Pour ces populations de tradition rizicole, appartenant essentiellement aux groupes baga et balante, la mangrove est au cœur du système rural et ils ont développé des techniques adaptées à ses potentialités, à ses contraintes, à son fonctionnement très particulier. Les modes de gestion très souples, de type opportuniste, basés sur la diversité et la complémentarité des écosystèmes et des activités agricoles, permettent de couvrir l’essentiel des besoins vivriers. A cela s’ajoutent de multiples activités agricoles et non agricoles, aujourd’hui destinées, dans les zones désenclavées, à assurer des revenus monétaires. Fondamentalement, les techniques de production et les stratégies des paysans visent, avant tout, à gérer et à minimiser le risque, qu’il soit écologique ou économique, et à optimiser la productivité du travail. En dépit de l’omniprésence des rizières dans le paysage, les paysans gèrent empiriquement et avec la souplesse qu’impose la fragilité alimentaire / économique face à l’aléa et à l’insécurité du lendemain, une multi-activité que l’on peut qualifier d’opportuniste.

43 En effet, le temps de travail disponible à l’intérieur des unités de production est réparti au long de l’année sur les différentes activités en fonction des ordres de priorité et des opportunités du moment. Bien qu’il existe, pour les activités agricoles, la pêche et la saliculture, des périodes d’activité liées aux contraintes du milieu biophysique, cette affectation de la force de travail peut fort bien varier, une même année, d’une unité de production à une autre, et pour une même unité, d’une année sur l’autre. Cette stratégie d’aversion au risque, tout comme l’importance donnée au lien social et à son entretien, est la meilleure réponse - et, en tout cas, la seule - qu’il leur soit possible d’apporter aux faiblesses des contextes technique et économique dans lesquels ils vivent ainsi qu’aux lacunes des systèmes sociaux publics de prévention et d’assu-rance. On peut cependant dégager quelques principes généraux :

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44 a - Premièrement, si la riziculture reste encore pratiquée presque partout en mangrove, la gestion de l’espace productif est plus ou moins finement adaptée au caractère de mosaïque du milieu en fonction d’un faisceau de contraintes qui prend en compte les situations foncière, financière, de travail disponible, de niveau technique de l’exploitation. Ce dernier est dépendant des facteurs culturels, mais aussi de la disponibilité en travail ou en numéraire, c’est-à-dire aux possibilités de diversification et de monétarisation des activités, en grande partie liées au désenclavement et à la position au sein du maillage spatial par les réseaux.

45 Toutes les parcelles d’une exploitation ne sont pas traitées de la même manière. Au sein de l’espace productif, le maximum de travail (et donc de soins dans les façons culturales) va être investi sur les parcelles dont on sait, par expérience, qu’elles offrent le plus de garanties et permettent, en principe, de sécuriser l’autoconsommation. Ensuite, on va, graduellement, en fonction du temps de travail encore disponible, éventuellement mettre en culture des parcelles jugées de plus en plus « à risques », mais en y investissant moins de travail, et donc avec des façons culturales moins soignées. Ainsi, telles parcelles, à un moment perçues comme menacées par un dégraissement du littoral, l’envasement d’un drain ou une acidification excessive, ne feront, le cas échéant, l’objet que d’une mise en culture très sommaire, voire inexistante certaines années.

46 On peut donc distinguer schématiquement, au sein des exploitations, des parcelles où les risques sont minimums, systématiquement et soigneusement mises en culture, directement ou grâce au travail salarié, et des parcelles à risque croissant, où la mise en culture n’est réalisée que s’il reste du travail ou de l’argent disponible. Autrement dit, le paysan va chercher à optimiser le temps de travail investi par unité de surface en fonction du risque potentiel estimé, y compris du risque climato-hydrologique. Il s’agit bien, alors, de techniques extensives, mais elles ont leur logique, y compris en termes économiques. Le corollaire de la flexibilité dans l’affectation du travail disponible est la souplesse de l’occupation spatiale. De ce point de vue on peut parler de « terroirs caoutchouc ». Cet ensemble de pratiques est bien adapté au caractère de mosaïque mouvante des micro-milieux de la mangrove guinéenne.

47 b - Deuxièmement, à l’échelle de l’ensemble ou d’une portion du terroir, il s’agit, à travers une série de règles collectives qui ont fait leurs preuves dans toutes sortes de situations écologiques, climatiques, économiques, sociales, de gérer le patrimoine foncier, et de sécuriser la production. Le mode d’organisation et de mise en valeur du terroir passant, le cas échéant, par le biais de la monétarisation des activités non- rizicoles, privilégie la sécurisation face à la performance économique.

48 Ce contrôle social repose sur un ensemble de règles et de pratiques mettant en forme un certain nombre de savoirs et de valeurs sociales ou religieuses que nous groupons sous le terme de «tradition», ce qui ne veut pas dire qu’elles soient figées, immuables et réfractaires à l’innovation, bien au contraire, et implique un pouvoir capable de faire respecter les décisions et de sanctionner. Pour autant, il ne s’agit en aucune façon de démocratie et les collectivités ne fonctionnent pas obligatoirement sur le mode du consensus. A l’intérieur de celles-ci existent des contradictions, des luttes, des intérêts divergents, des stratégies diverses, et les luttes de pouvoir et d’influence y sont la règle.

49 Toutefois, les enquêtes montrent que ce contrôle social s’exprime différemment dans la société baga et dans la société soussou. Seule la société soussou possède de véritables instances de gestion et de décision collectives disposant d’un pouvoir réel au niveau de

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l’ensemble d’un terroir villageois dans lequel il n’existe pas de véritable appropriation individuelle de la terre. Chez les Baga les décisions de gestion se prennent au niveau du territoire de chaque famille. Au niveau de l’ensemble du terroir, le pouvoir du descendant des fondateurs est, avant tout, symbolique : « l’appel baga » n’est pas plus qu’un catalogue de recommandations. Dans les faits, chaque famille, reconnue propriétaire de la terre par l’endiguement, est maître chez elle. Par ailleurs, sur le foncier non encore approprié ou conservé indivis, comme certains peuplements de palétuviers, il existe une imprécision quant à la définition des droits de chacun. Cette organisation sociale est cohérente avec les nécessités et les contraintes de la gestion territoriale en mangrove. Pour être efficace, celle-ci doit se faire sur de petites unités gérées indépendamment et ne nécessite nullement une organisation d’ensemble de la gestion de l’espace et de la production.

50 Les conséquences pratiques de ces différences sont importantes. Ces sociétés sont relativement plus perméables que des groupes à structure centralisée, tels les Soussou, aux pénétrations territoriales allochtones, en particulier sur les portions de terroir collectivement appropriées sur lesquelles peut régner un certain flou juridique. L’absence de véritable contrôle social collectif et d’instance d’arbitrage et de sanction sur l’ensemble du terroir peuvent le rendre sensible à des pratiques non régulées, prédatrices, que ce soit par des autochtones ou des étrangers. Dans le contexte actuel de monétarisation et de polarisation des activités vers la côte, cela peut aboutir à une situation d’accès non surveillé aux ressources de la mangrove.

51 c - Troisièmement, si les spécificités culturelles et les contraintes foncières et écologiques locales, ainsi que la situation vis-à-vis de l’enclavement, déterminent la diversité de ces systèmes, l’organisation et l’aménagement des terroirs, la complémentarité des diverses facettes écologiques et des activités sont toujours perçues comme un atout. De par sa souplesse, cette diversité permet l’adaptation et l’ajustement permanent à des contextes écologique, social et économique mouvants. A ce titre, elle est activement recherchée.

52 De ce point de vue, on peut distinguer, d’une part, des communautés enclavées pour lesquelles la riziculture conserve, outre une grande importance culturelle, un rôle économique majeur, essentiellement à travers l’autoconsommation ; d’autre part, des communautés plus intégrées dans l’économie de marché pour lesquelles la riziculture reste culturellement et socialement importante, y compris en tant qu’élément de stratégies sociales et foncières, mais n’est plus, à des degrés divers, la principale ressource monétaire. Cela ne signifie pas qu’à un moment ou à un autre les paysans ne seront pas conduits à vendre une partie de leur production. Cela se produit non seulement lorsqu’ils dégagent des surplus mais aussi dans le cas d’un besoin financier qu’ils ne peuvent pas satisfaire autrement. Les usuriers en profitent largement. Mais, globalement, les revenus des unités d’exploitation proviennent essentiellement des autres activités.

53 Dans un contexte de multiplication des opportunités de gain et où la force de travail disponible est limitée, le développement et la monétarisation des multi-activités sont fondés sur le transfert d’une part du temps de travail de la riziculture vers ces activités. Ces stratégies adaptatives peuvent entraîner une stagnation, voire une régression du niveau technique de la riziculture. Par exemple, l’admission de l’eau de mer en saison sèche afin de contrôler la prolifération des adventices, signalée dès 19512, est une technique qui disparaît rapidement, car elle impose une présence sur les périmètres à

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une période de l’année où il peut être opportun de privilégier d’autres activités : pêche, saliculture, emplois urbains, commerce... En retour, ce sont de plus en plus souvent les bénéfices tirés des activités monétarisées qui permettent, à travers le salariat agricole, de maintenir la riziculture dans un contexte de désenclavement et d’ouverture au marché.

54 Dans ce cadre, les différentes productions possibles ne revêtiront un intérêt financier que si le marché permet une rétribution de l’unité de temps de travail au moins équivalente à celle des autres productions. Or, actuellement, du fait de l’importance du temps de travail nécessaire pour assurer des rendements optimums, la rémunération de l’unité de temps de travail investie dans la riziculture de mangrove est inférieure à celle offerte par pratiquement toutes les autres activités. Il est plus rentable de reporter ce travail sur des activités dégageant, en termes monétaires, une meilleure valeur ajoutée.

55 D’autant que lorsque l’autosuffisance en riz ne peut pas être assurée ou compensée au niveau de l’unité de production par suite d’un aléa quelconque, les revenus tirés des autres activités ou, à défaut, les solidarités au sein du groupe, entendons par-là les systèmes d’échanges croisés de dons et de contre-dons, de prêts sous forme d’argent, de nourriture ou de services, vont, d’une manière ou d’une autre y suppléer, à condition que celui qui se retrouve dans le besoin ait soigneusement entretenu ses réseaux de relations. Pour qui ne veut pas courir le risque de l’ostracisme, les activités sociales et les dépenses qu’elles entraînent, obligatoires pour signifier l’appartenance au groupe et le respect de ses règles, sont un élément incontournable de la sécurisation de l’avenir. C’est une forme d’assurance sociale mutuelle à laquelle il n’est guère possible de se soustraire.

56 Par ailleurs, il existe des liens entre une organisation de l’espace et de la production, adaptée aux particularités du milieu biophysique et un type d’organisation et de fonctionnement de la société. Les caractéristiques des différents droits fonciers traditionnels en sont des aspects. Les adaptations entre les modes de gestion des ressources, la structure et les règles de fonctionnement de la société, garantes de leur reproductibilité, c’est-à-dire de leur durabilité, en sont d’autres.

57 En résumé, en situation d’ouverture au marché, le riz conserve toujours de fortes valeurs foncière, culturelle et alimentaire qui s’expriment à travers l’organisation des terroirs, la vie sociale, les transferts financiers et jusque dans le choix des variétés : les critères gustatifs et nutritifs sont généralement privilégiés par rapport aux critères quantitatifs. Mais dans les cas que nous avons étudiés, la force de travail investie dans la riziculture tend à se limiter, le plus souvent, à la production de la quantité nécessaire à l’autosuffisance alimentaire et/ou à la sécurisation foncière. Ces arbitrages sont économiquement cohérents dans la mesure où si le riz nourrit toujours, il ne constitue pas actuellement la source principale des revenus monétaires.

58 Toutefois, il est possible d’observer des situations différentes. C’est le cas de zones où un certain nombre de conditions sont réunies: relative proximité des marchés urbains qui offrent des possibilités de diversification, désenclavement permettant l’évacuation à travers des circuits commerciaux organisés de produits agricoles à forte valeur ajoutée (légumes, fruits...), sécurisation de la production rizicole par des aménagements permettant, à travers un bon contrôle hydraulique, de dégager du temps de travail. Dans ce cas que l’on rencontre essentiellement au sud de Conakry

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(Kabak, Forécariah) et, dans une moindre mesure, dans le sud de la plaine de Monchon, on assiste à une augmentation de la production rizicole.

59 Le cas typique est celui de Kabak où les effets induits des soins et des intrants nécessaires à la culture de plein champ du gombo ont un effet bénéfique sur la riziculture devenue largement excédentaire bien que les paysans n’y investissent pas plus de travail. La commercialisation des surplus profite alors des effets de synergie des circuits créés pour les autres produits pour lesquels les marges bénéficiaires sont plus importantes. Cette dynamique entraîne, faute de temps disponible, l’abandon des activités dont la rentabilité est jugée inférieure ou la pénibilité supérieure comme la fabrication du sel qui a pratiquement disparue de l’île. Dans cet exemple, il est clair que l’augmentation de la production rizicole n’est pas activement recherchée. Elle est la conséquence d’une diversification et d’une intensification de l’ensemble du système rural. C’est un phénomène comparable qui affecte la zone de Forécariah avec les cultures maraîchères, de melons, de pastèques et d’ananas. Les logiques des projets sectoriels ne prennent pas en compte la complexité des systèmes ruraux 60 Même s’il comporte des actions périphériques ou associées, l’intervention de développement est encore conçue de manière sectorielle : riziculture, pêche, saliculture sont considérées comme des activités sans nécessaires connexions avec d’autres secteurs. Elles s’adressent alors à des groupes en considérant que le secteur objet de l’intervention est leur activité principale, sinon exclusive. Or, on a vu à quel point, en mangrove, la complémentarité des activités et leur intégration dans des systèmes multi-actifs sont rendues né-cessaires par les contraintes du milieu et, de plus, légitimées par leur adaptabilité au changement social. Cette situation rend l’appropriation de l’intervention difficile et éloigne ses résultats des objectifs initiaux. En outre, ces approches conduisent à négliger la complexité des transferts financiers qui permettent de décloisonner les activités, ou les contraintes inhérentes à l’organisation des filières de commercialisation.

61 Premièrement, l’intervention sectorielle est sous-tendue par une logique productiviste : l’augmentation de la production doit générer des revenus et alimenter la demande au niveau national. Ces revenus doivent aussi en partie être réinvestis dans l’activité concernée afin de la pérenniser ou de la moderniser. Or les multi-activités sont conçues non pas dans une logique de productivité mais de sécurisation et les investissements financiers consentis, les choix techniques et les modes de gestion seront fondamentalement différents. Dans les contextes écologique, économique et social de la Guinée Maritime, il existe une très forte cohérence à pratiquer des multi-activités opportunistes. Il s’agit avant tout d’optimiser la force et le temps de travail disponible pour sécuriser l’avenir dans un univers caractérisé par une absence de systèmes publics de protection sociale ainsi qu’une faible plasticité économique et technique face aux aléas de la production et de la conjoncture.

62 Deuxièmement, ce schéma productiviste nécessite un surcroît d’investissement en argent ou en temps de travail que les paysans ne sont pas en mesure de fournir ou hésitent à fournir dans des conditions dont ils savent, par expérience, qu’elles représentent des paris agronomique et économique risqués. Ce qui est demandé au paysan à travers l’engagement d’intensifier, c’est, à force de travail constante, de désinvestir en travail dans des multi-acti-vités qui rapportent l’essentiel des revenus monétaires, pour investir plus de temps sur une seule production. Dans ce contexte

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marqué par une très faible plasticité économique vis-à-vis de l’aléa, cela constitue pour lui une augmentation de la prise de risque et une diminution du revenu monétaire.

63 L’exemple de l’appui à la riziculture de mangrove est éloquent : dans ce domaine ont été menées depuis l’après-guerre des opérations sectorielles caractéristiques. Elles ont toutes eu en commun une logique productiviste affirmée qui a conditionné des modes d’intervention comparables : mise à disposition d’aménagements à grande échelle (plusieurs dizaines à plusieurs milliers d’hectares d’un seul tenant) et mesures d’accompagnement composées dans un premier temps de vulgarisation agronomique, complétées par la suite par des structures communautaires telles que des banques de soudure.

64 A l’heure actuelle, la plupart de ces périmètres sont inefficaces : ils n’ont pas permis les augmentations substantielles de rendements attendues. Les raisons en sont multiples. D’abord, la conception des aménagements les rendait peu fiables face à l’hétérogénéité et à la mobilité du milieu biophysique. Les usagers qui ont une connaissance empirique très poussée de leur terroir connaissent par avance les risques liés à de tels aménagements et hésitent à y investir plus que de raison. Force est de constater qu’ils ont eu souvent raison de se méfier. Ensuite, les contraintes de fonctionnement, d’entretien et de gestion d’un périmètre, nécessaires à l’amélioration de la productivité et à sa rentabilisation économique, impliquent que les adhérents bénéficiaires des aménagements se plient à des tâches déterminées, répétitives et uniformes en termes de techniques de production, de calendrier des différents travaux et de mode de gestion d’un espace considéré comme devant recevoir uniformément la même quantité de travail et les mêmes soins.

65 Ces organisations du travail, du temps, de l’espace, obligatoires pour que le système fonctionne correctement techniquement et économiquement, sont totalement différentes de celles que les paysans pratiquent depuis toujours et ont éprouvé comme pouvant assurer leur reproduction au travers des incertitudes climatiques, écologiques, économiques et sociales. Traditionnellement, ils développent des aménagements à gestion familiale qui leur permettent de s’adapter aux caractéristiques locales de chaque secteur et de développer en toute liberté leurs propres stratégies. L’aménagement représente donc souvent une contrainte supplémentaire qui ne remplit pas forcément son objectif de sécurisation. Peu approprié, son entretien par les paysans est souvent bâclé lorsqu’il n’est pas rendu impossible par l’importance des moyens nécessaires.

66 Leur choix d’adhérer à des projets de ce type, et ce, malgré le risque qu’implique la mise en retrait d’activités complémentaires, peut s’expliquer par le fait qu’ils trouvent ainsi le moyen de financer à un prix attractif des aménagements qu’ils n’auraient pas pu réaliser seuls. Dans ce cas c’est la fonction de sécurisation qui est l’élément déterminant de l’adhésion, car elle limite le risque alimentaire en permettant de dégager du travail. Mais, c’est aussi, comme à Douprou ou à Kabak, la création et la remise en état d’infrastructures favorable au désenclavement, et les compléments de revenus résultant du projet qui sont des éléments de motivation.

67 En fin de compte, ils acceptent les éléments du projet avec comme idée de l’adapter à leur mode de fonctionnement et de mise en valeur, l’aménagement perdant dans ce cas sa finalité productiviste pour devenir un facteur de limitation du risque sur une activité incontournable du système rural. Et l’on peut se poser la question de savoir si, à l’inverse de ce qui est attendu d’eux, ces aménagements ne leur permettent pas, en fait,

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de désinvestir en travail pour une production équivalente et sécurisée, c’est-à-dire de dégager du temps pour des activités à plus forte valeur ajoutée. De ce point de vue, l’aménagement va dans le sens d’un renforcement des multi-activités. Ce n’est pas le but initialement recherché par le projet, mais c’est certainement un facteur de développement économique.

68 S’il semble acquis que les buts poursuivis par un projet et par les paysans qui l’acceptent sont rarement convergents, il serait cependant inexact de penser que, parce que les objectifs initiaux ne sont pas remplis, le projet a échoué. L’exemple de Kaback est tout à fait clair : aucun des projets d’intensification de la riziculture n’a rempli ce but. Leurs diverses retombées, et en premier lieu le bac et les pistes, n’en ont pas moins permis de faire de l’île une zone rurale démographiquement attractive et relativement prospère. Comme le montre, dans un autre domaine, l’histoire de l’introduction des salines mixtes où les paysans ont accepté les bâches mais ont gardé le principe ancestral de la terre grattée5, les opérations de développement et leur contenu technique sont ainsi souvent détournées de leur objectif initial, réinterprétées, capitalisées de manière différente par les paysans, et c’est en cela qu’elles sont, de toute façon, utiles. Quels enjeux pour la zone littorale de Guinée Maritime ? 69 Nous avons vu que lorsqu’un certain nombre de conditions préalables sont réunies, des dynamiques endogènes se créent et s’avèrent efficaces pour générer un processus de développement. Aussi, face aux tendances lourdes qui affectent à des degrés divers l’espace et les sociétés du littoral guinéen, l’un des principes de base de l’intervention pourrait consister à s’insérer dans ces dynamiques pour les accompagner, en améliorer l’efficacité, en palier les faiblesses, en limiter les effets potentiellement dangereux. Dans ces domaines, l’enjeu des développements économique et social est étroitement lié à l’enjeu écologique. Les enjeux économique et social 70 La généralisation de la monétarisation et la croissance économique des campagnes, corollaires des changements politique et social des deux dernières décennies, se sont accompagnées de la monétarisation et de la diversification de multi-activités dont le principe est fort ancien. La rémunération de l’unité de temps travail investi dans la riziculture n’étant pas concurrentielle par rapport à celle offerte par la plupart des autres activités, cela a conduit, lorsque sont réunies les conditions d’ouverture au marché, à une intensification globale des systèmes ruraux qui, en retour, est susceptible de profiter à la riziculture. Ce processus est rendu possible grâce à la circulation des capitaux et de la main-d’œuvre entre activités au sein des unités de production.

71 Cette intensification globale est cependant difficile dans les zones les plus enclavées. Elle se traduit alors, comme dans le cas des Tristao, par une spécialisation risquée et par une régression technique de la riziculture dont la maîtrise nécessite un investissement important en travail. Dans de bonnes conditions d’accès au marché, ce sont les activités à forte valeur ajoutée qui, de plus en plus souvent, la financent. Ce financement peut être direct à travers le recours à la main-d’œuvre salariée, ou indirect à travers les diverses conséquences du développement de l’agriculture commerciale. Dans ce dernier cas, l’augmentation de la production rizicole et sa commercialisation doivent être comprises comme une conséquence de l’intensification du système rural qui permet cette augmentation sans investissement direct

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supplémentaire en argent ou en travail. Toute opération sectorielle qui se focaliserait sur l’intensification de la seule riziculture se heurterait à cette réalité.

72 Par contre, la sécurisation de la production rizicole, facteur important de gain de temps et de réduction de l’incertitude économique, est un élément clé de l’intensification du système rural. Dans ce domaine, les aménagements lourds, comportant des ouvrages importants, fixes, coûteux, et donc conçus pour être rentabilisés sur une longue période, exigeant une organisation rigide du temps de travail, impossibles à modifier rapidement et à moindre coût avec des moyens techniques réduits, ont fait la preuve de leur inadaptation, aussi bien pour les plaines de front de mer que pour celles d’estuaire. Ces projets, ont cependant eu ponctuellement des résultats, mais très différents des prévisions et, surtout, obtenus aux prix d’investissements financiers considérables.

73 Aussi, la sécurisation pourrait être obtenue à l’aide d’aménagements suivant d’aussi près que possible, en les améliorant, les techniques utilisées par les paysans. Non seulement pour permettre leur indispensable appropriation, mais aussi parce que ces techniques sont, en l’état, les plus efficaces dans les contextes écologique, foncier, social et économique local. Ils doivent être de petite taille pour permettre une gestion décentralisée, souples et peu coûteux pour répondre à la mobilité du milieu hydro- sédimentaire, peu gourmands en temps et / ou argent pour leur entretien. La sécurisation de la production devrait avant tout être comprise comme devant permettre de dégager du travail et non comme impliquant automatiquement l’intensification.

74 Ce développement économique des campagnes est également important en termes d’aménagement du territoire car il pourrait permettre de limiter la poursuite de la polarisation de l’espace littoral en luttant contre l’exode rural. Maîtriser les rapports ville-campagne, c’est avant toute chose améliorer les conditions de travail et de vie de manière à ce que le départ à la ville ne soit plus la seule alternative. Pour les régions les plus enclavées, cette amélioration passe aussi par l’accès aux infrastructures de base : eau potable, services de santé et d’éducation, parfois dramatiquement rares. Tout ceci est connu, mais cette amélioration passe aussi par des mesures accompagnant la transition vers une économie rurale plus ouverte aux échanges : désenclavement, appui financier à la diversification des activités, soutien à l’organisation des producteurs de manière à leur permettre de mieux maîtriser la commercialisation. Sous certaines conditions, l’inversion des tendances migratoires est possible, l’exemple de Kabak le montre.

75 L’enjeu est de taille, car la polarisation spatiale du littoral guinéen s’exprime avant tout par une croissance urbaine considérable: Conakry est passée de 600 000 à 1 000 000 habitants entre 1990 et 1996, accroissement principalement absorbé par les communes périphériques. La ceinture rurbaine de Conakry se densifie rapidement : les sous- préfectures de Coyah-centre, Manéah et Wonkifong enregistrent également des taux de croissance importants. Cet afflux de population se produit également dans les centres urbains secondaires de la région : Kamsar, Kindia ou encore Fria et Sangarédi sont en pleine croissance. Cet ensemble de dynamiques n’est pas sans conséquences sur les écosystèmes et singulièrement sur la mangrove. L’enjeu écologique 76 Face à cette évolution le véritable risque pour la mangrove de Guinée est que la complémentarité des activités sur un même espace, créatrice de richesses, se transforme, parfois rapidement comme près des villes, en demandes concurrentes

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génératrices de tensions sur les différentes ressources. Car, avec le développement de la demande, le rôle croissant des filières commerciales et l’amplification de la polarisation de l’espace, ce qui tend à être pris en compte est plus le temps court, permettant le fonctionnement économique de la filière, que le temps long de la reproduction de la ressource écosystémique.

77 Dans ce domaine l’action devrait avoir comme objectif institutionnel de compenser ou de pallier l’affaiblissement des règles traditionnelles d’accès aux ressources des zones de mangrove. Tirées par la croissance de la monétarisation et des activités, les possibilités de gains en numéraire se multiplient. En l’absence de contrôle social centralisé des terroirs et d’instances de décision collectives, ils peuvent conduire à la délégitimation des règles communes, non contraignantes, qui réglementent leur appropriation et leur gestion, c’est-à-dire au passage d’une situation d’accès surveillé visant prioritairement aux reproductions sociale et écosystémique, à une forme d’accès libre qui autorise des comportements de prédation.

78 Ce point est particulièrement important. Car si la situation de pression accrue sur les écosystèmes est, en tant que telle, classique dans une économie en développement, elle doit cependant porter en Guinée Maritime à une particulière prudence. Le fonctionnement actuel des unités écologiques, le renouvellement de leurs ressources, sont étroitement liés, sous la contrainte du climat, à leurs interrelations permanentes, tant biophysiques qu’anthropiques. Leur grande diversité biologique et leurs productivités remarquables résultent des multiples jeux d’interfaces entre les différentes facettes écologiques qui la composent. Au sein de ce système agro- écologique complexe, en constant réajustement dynamique, les marais maritimes à mangrove constituent une unité particulièrement fragile, entièrement dépendante des deux autres et en grande partie à l’origine de la richesse des eaux côtières.

79 Appuyer et structurer les dynamiques locales en s’y insérant tout en créant les conditions techniques et institutionnelles du contrôle de la gestion des ressources par les populations locales et les collectivités décentralisées est peut-être l’une des voies à explorer pour avancer sur la voie d’un développement durable.

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NOTES

1.- Atlas infographique de Guinée maritime. Programme IRD – REGARDS - Ministère guinéen de l’agriculture sur financement de l’Agence Française de Développement

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RÉSUMÉS

Les travaux menés à l’occasion du programme « Observatoire des mangroves de Guinée » , soit la cartographie de l’ensemble des informations thématiques disponibles sur la Guinée Maritime, une cartographie plus fine pour des sous-préfectures témoins, des enquêtes directes sur un échantillon de villages sur les thèmes des modes de mise en valeur, de leurs contextes ethno- historiques, sociaux et économiques, permettent de faire apparaître les principales dynamiques qui affectent la Guinée Maritime depuis la libéralisation économique de 1984. Deux tendances lourdes se dégagent : la monétarisation croissante des activités dans les campagnes et la polarisation de l’espace régional. Ces dynamiques conjuguées sont porteuses de progrès social mais constituent aussi un nouveau risque pour les ressources.

Coastal Today. The research and study undertaken during the “Observatory of the Guinean Mangroves” program, whether the mapping of the total information available regarding Coastal Guinea, or a more detailed mapping for the sub-prefecture areas concerned, plus direct investigations based on a selection of villages as regards development, their ethno-historical, social and economic contexts, make it possible to reveal the main dynamic forces that affect Coastal Guinea since the economic liberalization inaugurated in 1984. Two tendancies, pregnant with significance, stand out : the growing money-making activities in the countrysides, and the polarization of the regional space. These combined dynamics are encouraging for social progress, but they also constitute a new risk for the natural resources in the entire area.

AUTEURS

GEORGES ROSSI Professeur à l’Université Michel de Montaigne – Bordeaux 3, UMR CNRS – IRD Regards

D. BAZZO UMR CNRS - IRD Regards

M. LAUFFER UMR CNRS - IRD Regards

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Les visages du Fouta-Djalon Des campagnes en mutation : des représentations au terrain

Véronique André et Gilles Pestaña

1 Lorsque la Guinée s’ouvre en 1984, les opérations de développement se multiplient au Fouta-Djalon. Elles donnent lieu à toute une série de rapports d’experts et de diagnostics de nature très hétérogène, menés dans un cloisonnement relatif et largement fondés sur des analyses anciennes, alors même que la recherche en sciences humaines accuse un retard préjudiciable depuis la Première République. Cette littérature “ grise ” fatalement ciblée et répondant à des objectifs d’opérationalité forts distincts de ceux de la recherche, a fini par forger et conforter une certaine représentation géographique du Fouta-Djalon touchant aux relations entre la société peule et le milieu qu’elle exploite. Elle a abouti à la construction d’un scénario catastrophe reposant sur l’idée que des pratiques paysannes extensives seraient, dans un contexte de pression démographique, une menace pour l’environnement du Fouta- Djalon, menace suffisante pour mettre en péril le « château d’eau de l’Afrique de l’Ouest ». Or, des recherches récentes sur le terrain1 ont ouvert un certain nombre de réflexions sur la nature et la validité de ces représentations. Entre la vision stéréotypée et monolithique du Fouta- Djalon telle qu’elle apparaît dans les descriptions classiques et la dynamique actuelle des campagnes, il existe en effet un net décalage, dont il s’agit de comprendre les raisons. Les représentations : uniformité des campagnes et dégradation de l’environnement 2 Une représentation d’un lieu, d’un phénomène ou d’un groupe humain est par essence subjective. Identifier et caractériser les grands thèmes des représentations usuelles et donc du discours officiel sur le Fouta-Djalon permettra par la suite d’en montrer les limites. Le Fouta-Djalon : une délimitation délicate mais une image forte 3 La représentation la plus courante considère le Fouta-Djalon comme une région homogène et l’assimile aux seuls hauts plateaux. C’est à la fois “ le château d’eau de l’Afrique de l’Ouest” avec ses plateaux échancrés de vallées, le pays des Peul et de leurs bœufs, le lieu de construction d’un Etat structuré pré-colonial, un espace de fortes densités rurales, une terre baignée d’Islam, etc. Autrement dit, le Fouta-Djalon serait simultanément une région naturelle, historique, agricole, démographique... en somme

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une région homogène, une “ vraie ” région. Cette perception est confortée par le fait que la région dispose d’une dénomination propre, “Fouta-Djalon”, contrairement aux autres régions du pays pourtant proclamées “ naturelles ” elles aussi : Guinée Maritime, Haute Guinée et Guinée Forestière.

4 Il n’est pas innocent de la part des pouvoirs coloniaux, puis de la Première République d’avoir rebaptisé “ Moyenne Guinée ” ce qui correspondrait au Fouta-Djalon. Manifestement, pour le pouvoir politique, “ le ” Fouta-Djalon passait pour une région suffisamment homogène des points de vue géographique, historique, ethnique, religieux, voire économique pour détenir une identité susceptible de menacer à terme l’unité de la colonie puis de la nation guinéenne. L’appellation plus neutre de “ Moyenne Guinée ” permettait de gommer en partie cette représentation identitaire.

5 Cependant, rebaptiser ou redécouper un espace ne suffit pas à en modifier rapidement ses représentations géographiques. En fait, personne ne songe à imaginer que le Fouta- Djalon n’est pas une région, même si tout le monde est bien en peine d’en tracer les limites. Cet espace recouvre t-il une réalité historique, géologique, ethnique ou simplement administrative? La façon la plus simple d’éluder la question est d’assimiler le Fouta-Djalon à la région administrative et soi-disant “ naturelle ” de Moyenne Guinée. Quelques postulats trompeurs 6 S’il est évident que nulle délimitation géographique du Fouta-Djalon ne fait l’unanimité, son assimilation aux seuls hauts plateaux pose également problème. Or s’est imposée une image d’un Fouta homogène pouvant se résumer aux caractéristiques de ces hauts plateaux ou plateaux centraux. Les plateaux centraux, expression géographique du “ vrai Fouta ” 7 Etendus du Nord au Sud, de Mali à Dalaba, les hauts plateaux entaillés par un chevelu hydrographique dense culminent entre 1 000 et 1 500 m. Consacré “ pays des eaux vives ” (proverbe peul cité par G. Vieillard, 1940), le Fouta-Djallon est le domaine d’une savane arborée installée sur des sols minces et médiocres alternant avec une maigre prairie sur bowal. Subsistent ça et là sur les versants des fragments de forêt mésophile2, reliques supposées d’une grande forêt dense qui aurait hélas aujourd’hui disparu, si l’on en croit une légende tenace partagée par les divers intervenants depuis la période coloniale.

8 La plupart du temps la littérature grise se borne à la description de cette ossature principale et structurante, considérée comme le cœur du Fouta et assimilée in fine à la totalité de la région. Une image d’un milieu foutanien stéréotypé est ainsi née montrant des paysages très anthropisés où alternent espaces tabulaires presque dénudés comme les Timbis, collines aux versants largement déboisés, et parcelles mises en culture. La physionomie des hauts plateaux, devenue l’étendard du Fouta-Djallon, serait représentative de l’ensemble du Fouta-Djallon et constituerait le “ vrai Fouta ”. Le pays des Peul et des fortes densités 9 Un autre raccourci répandu consiste à considérer le Fouta-Djalon comme un espace strictement « peul » et en proie au surpeuplement.

10 Au XVIIIe siècle, la fondation du royaume théocratique du Fuuta Jaloo asseoit une domination politique de l’ethnie peul et instaure un système social et économique fondé sur la distinction hommes libres-esclaves. Les esclaves proviennent de razzias, d’achats ou, plus rarement semble-t-il, des populations animistes asservies sur place et appartenant à des ethnies différentes (Suret-Canale 1969 ; Botte, 1994). Une société

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rurale très structurée et marquée par un contrôle social de l’espace s’est alors mise en place. Les maîtres, se consacrant exclusivement à la lecture du Coran, à leurs bœufs et à la guerre, s’installent sur les donghols, hauteurs peu fertiles des terroirs, laissant les zones basses (aïndés) plus fertiles mais insalubres, à leurs captifs (matioubé), chargés de les servir et de les nourrir. Sous la colonisation et la Première République, la captivité disparaît peu à peu, les maîtres se font agriculteurs et les différences de modes de vie s’estompent. Avec le temps, la mosaïque ethnique s’est brouillée à la faveur d’une assimilation réelle ou décrétée au point de considérer le Fouta comme “ le pays des Peuls ” (Detraux, 1991, p.69).

11 Le Fouta-Djalon est réputé pour ses fortes densités démographiques. En effet, sur les hauts plateaux, des chiffres de 100 habitants/km2 sont régulièrement avancés. Parmi les plus élevés de Guinée, ils sont mis en relation avec un système de production agro- pastoral jugé consommateur d’espace3 et font craindre, depuis la période coloniale, l’existence d’une surpopulation inquiétante mais jamais clairement démontrée. Nombreux sont ceux qui l’estiment préjudiciable à la bonne gestion et à la conservation des ressources naturelles, rappelant sans cesse la disparition de la forêt dense foutanienne4. Un système agraire réputé uniforme 12 A travers la prédominance des Peul, la mise en valeur agro-pastorale a été le facteur prépondérant d’uniformisation du paysage et du système de production.

13 Le Fouta-Djalon a pu refléter l’image d’un espace très fortement humanisé et mis en valeur par une population toujours croissante, où la divagation du bétail impose des contraintes lisibles dans le paysage à travers les nombreuses clôtures végétales. L’histoire du peuplement, le poids de l’élevage, les conditions naturelles ont conduit à l’élaboration d’un paysage agraire typique, caractérisé principalement par le diptyque tapades-champs extérieurs. L’espace d’une exploitation agricole s’organise suivant un système de culture à deux composantes : les champs extérieurs (nguessa), sièges d’une agriculture extensive classique en Afrique, et les vastes jardins de case ou tapades, espace de production intensive. A cela s’ajoute l’élevage extensif, principalement bovin, basé sur la divagation.

14 Les champs extérieurs sont l’œuvre des hommes qui y pratiquent une culture sur brûlis généralement de fonio ou de riz. L’efficacité et la pérennité du système se fondent sur un temps de culture relativement court (1 à 3 ans), un temps de jachère long (8 à 15 ans) et la disponibilité de terres cultivables.

15 La tapade, domaine exclusif des femmes, est le lieu des cultures en association (maïs, taro, manioc, arachide, haricot, piment, gombo...). Elle forme une véritable oasis, délimitée par des haies (clôtures) mortes, vives ou mixtes, et marquée par la présence de nombreux arbres fruitiers plantés (manguiers, orangers, avocatiers...), qui forçaient déjà l’admiration des premiers administrateurs coloniaux. Les sols, quelles que soient leurs potentialités d’origine, sont fortement amendés et offrent une remarquable fertilité, régulièrement entretenue.

16 Enfin, le système d’élevage présente des spécificités inscrites dans le paysage agraire : au Fouta, le bétail est roi et ce sont les cultures que l’on parque. Les troupeaux en liberté divaguent au gré des pâtures à leur disposition. L’importance numérique du troupeau a toujours reflété la dignité et le statut social du propriétaire. D’après les textes majeurs qui ont participé à l’élaboration de l’image « officielle », le troupeau ne

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répondrait à aucun objectif réel de production, ce qui amena le géographe J. Richard- Mollard à parler du “ prétendu élevage foula ” (Richard-Mollard, 1944).

17 L’ensemble de ces représentations du Fouta a abouti à la construction d’un scénario “ catastrophe ” reposant sur des dysfonctionnements du système extensif aux conséquences préoccupantes : les pratiques paysannes, surtout dans un contexte de pression démographique croissante, mettraient en péril le “ château d’eau de l’Afrique de l’Ouest ” menaçant l’intégrité de l’envi-ronnement du Fouta-Djalon. Une dynamique de dégradation de l’environnement systématiquement dénoncée 18 Le Fouta-Djalon fait l’objet de discours récurrents, communs à de nombreuses régions d’Afrique, sur la dégradation du milieu. Les pratiques des pasteurs et agriculteurs sont jugés quasi unanimement comme responsables de la destruction des ressources. L’existence d’un cercle vicieux de dégradation de l’environnement lié à une pression démographique trop forte et incontrôlée est donc depuis longtemps admis sans réserve, et utilisé par la plupart des intervenants.

19 Ce discours n’est pas nouveau. Depuis la colonisation française et jusqu’à ce jour, les administrateurs, les chercheurs et les techniciens n’ont cessé de s’inquiéter de l’avenir socio-économique et environnemental de cet espace réputé fragile, voué à l’agropastoralisme. Le scénario envisagé s’appuie sur une crise du système agraire dont les composantes sont : pratiques prédatrices, pression démographique, manque de terre, réduction du temps de jachère, appauvrissement des sols, déforestation totale et en définitive érosion catastrophique5.

20 Toujours selon les représentations courantes, le fort recul de la forêt (non daté ni évalué) favoriserait notamment une diminution des précipitations, l’irrégularité des débits des cours d’eau et même leur tarissement en saison sèche, donc une certaine “ aridification ”6. La réduction drastique des temps de jachère, l’incendie répété des forêts et savanes auraient détruit peu à peu le sol, appauvri la flore en diminuant inévitablement la biodiversité, et favorisé l’action destructrice de l’érosion. Certains continuent de penser que les fameux bowé seraient le résultat terminal de l’évolution des sols ferrallitiques sous l’influence des feux de brousse associée à la déforestation de “ la vaste forêt originelle ”7.

21 C’est la fonction même de “ château d’eau de l’Afrique de l’Ouest ” qui serait directement mise en péril. Les conséquences pourraient s’avérer dramatiques, comme l’illustre une allocution du Ministre de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Forêt, lors du séminaire sur le programme régional d’aménagement des bassins versants du Haut Niger et de la Haute Gambie à Conakry en mars 1995 : “ Quand un arbre brûle au Fouta- Djalon, c’est le taux de carbone qui augmente dans l’atmosphère, c’est un affluent du Niger ou de la Gambie qui verra son écoulement perturbé, c’est Tombouctou qui manquera d’eau en fin de saison sèche ”. Ainsi les avis sont-ils unanimes, soutenant l’impérieuse nécessité d’intervenir pour “ restaurer ” et “ protéger ” le massif du Fouta-Djalon. De nombreux projets poursuivant cette seule fin ont donc été mis en œuvre dont le plus important reste le projet d’envergure régional « Restauration et protection du massif du Fouta- Djalon », initié par l’O.U.A. en 1979.

22 De cet exposé rapide sur les représentations de l’espace régional et de sa gestion par les paysans, l’image d’une région relativement homogène mais menacée par l’Homme domine. Les principales idées récurrentes caractérisant le Fouta-Djalon ont été ici évoquées. Cette image issue de la période coloniale et non exempte de néomalthusiannisme, s’est trouvée renforcée sinon confortée par le paradigme du

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développement durable et le rôle des projets de développement rural. Ceux-ci ont largement contribué à diffuser, ou tout au moins à entretenir, l’image d’un Fouta- Djalon à la géographie monolithique8. Simples exécutants de politiques pensées en amont, les artisans des projets n’ont pas pu nuancer ou remettre en cause les représentations majoritaires et ont même accentué une vision catastrophiste de l’avenir, justifiant alors des interventions extérieures lourdes. Traversant trois régimes politiques très différents, ces représentations se sont édifiées, renforcées jusqu’à devenir une caricature parfois dogmatique. Quelques enseignements du terrain 23 Afin de mettre à l’épreuve les représentations de la région, de ses systèmes ruraux et de ses problématiques environnementales, la comparaison de deux campagnes9 du Fouta- Djalon permet de prendre la mesure du risque à considérer ces représentations comme vérités absolues. Deux campagnes, deux visages 24 Les espaces ruraux comparés sont tous deux inclus dans les Fouta- Djalon historique, climatique, géologique, ethnique et dans le Fouta-Djallon administratif c’est-à-dire la Moyenne Guinée (fig. 1). La campagne au sud d’Ouré-Kaba sera comparée à celle proche du centre urbain de Pita (environs de Bantignel et des Timbis). Un espace de transition et de contact (Ouré-Kaba) et une campagne des hauts plateaux (Pita) 25 La campagne d’Ouré-Kaba s’étend à l’extrême sud-est du Fouta-Djallon et appartient administrativement à la préfecture de Mamou. Formée de croupes granitiques de basse altitude, en moyenne 300 m, qui donnent au paysage un aspect assez accidenté, cette campagne se situe dans une zone de transition entre les influences montagnardes des hauts plateaux et celles plus soudaniennes de Haute Guinée. Les précipitations y sont plus abondantes (autour de 1800 mm), les températures plus chaudes et la végétation plus fournie que celles des hauts plateaux foutaniens.

26 Périphérie du Fouta physique, Ouré-Kaba appartenait au diwal de Timbo et correspond à une ancienne marche historique. Offrant un caractère frontalier (avec la Sierra Léone), elle constitue aussi une zone de contact entre les populations peul et malinké qui se sont partagées le territoire jusqu’à aujourd’hui. Si les Malinké sont cultivateurs, les Peul sont demeurés pour l’essentiel des éleveurs nomades ou semi-sédentaires.

27 La région de Pita situé au cœur du Fouta, appartient à la dorsale des hauts plateaux et présente dans la région des Timbis, au nord-ouest, un aspect tabulaire (dénommée abusivement “ plaine ” des Timbis) comme dans la zone de Bantignel au nord-est. Le caractère semi-montagnard y est nettement affirmé avec une amplitude thermique annuelle plus marquée que dans la région d’Ouré-Kaba. Le couvert végétal herbacé ou arbustif est discontinu à l’exception des forêts galeries. La région constitue l’un des bastions du Fouta théocratique et la population peul est fortement majoritaire, d’autant que les descendants des captifs tendent à s’y fondre. Tous les ruraux sont ici des sédentaires principalement cultivateurs. Deux contextes démographiques 28 L’inégale densité de population marque une première différence de taille entre les deux campagnes. La campagne de Pita avec 70 à 100 habitants/km2 apparaît comme relativement peuplée à l’échelle du Fouta-Djalon mais aussi à l’échelle de l’Afrique de

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l’Ouest. Ces chiffres traduisent une sédentarisation déjà ancienne et une forte emprise humaine sur un paysage largement façonné par le système agraire.

29 A l’opposé, la campagne d’Ouré-Kaba paraît peu peuplée au sein du Fouta avec seulement de 10 à 15 habitants/km2. La population actuellement résidente est encore en voie de sédentarisation. Les éléments les plus fixes sont les cultivateurs malinké. Les Peul quant à eux se répartissent schéma-tiquement dans deux catégories : les semi- sédentaires, d’une part, réinstallés durablement depuis la chute de la Première République ; les nomades d’autre part, qui suivent leurs bœufs au gré des zones de pâturage favorables et dont l’installation temporaire repose sur des accords passés avec les propriétaires peul et malinké. Deux systèmes agro-pastoraux aux fonctionnements distincts 30 Il existe donc d’une part, une campagne où l’emprise humaine est suf-fisamment forte et ancienne pour avoir façonné un paysage agraire établi et d’autre part, une campagne où la population récemment installée ou réinstallée n’a engendré qu’un paysage agraire “ sommaire ” et instable.

31 La tapade n’est pas systématique au Fouta-Djalon.

32 Dans la région de Pita, les vastes tapades représentent le socle du système de production puisqu’il s’agit du seul espace agricole pérenne et commun à toutes les familles. Elles constituent un élément fondamental du paysage, véritables îlots de verdure construits et dont les haies plantées démontrent un savoir-faire accumulé depuis des générations.

33 A Ouré-Kaba, pas de trace de tapade : au mieux, il existe une haie morte sommaire autour des cases rudimentaires et rares sont les arbres fruitiers et les cultures pratiquées à proximité des habitations. Cette absence peut s’expliquer par une sédentarisation encore fragile, l’influence des Malinké qui n’ont traditionnellement pas de tapade, et l’omnipotence de l’élevage qui impose déjà de gros efforts pour ceinturer les champs extérieurs.

34 Les champs extérieurs : différence de nature, différence de gestion.

35 Dans la région de Pita, l’exploitation des champs extérieurs est l’objet d’une concertation collective qui permet de mieux gérer les ressources naturelles et favorise une meilleure protection des cultures contre la divagation du bétail. Le fonio constitue la culture principale sur des sols très pauvres, de type dantari et hollandé10.

36 A Ouré-Kaba, il n’y a pas de véritable concertation pour le défrichement des champs extérieurs. Chacun peut cultiver là où il le souhaite à la condition de dresser une clôture protectrice. Ces champs extérieurs cultivés en riz reposent généralement sur des sols hansanghéré11relativement fertiles. Eléments des dynamiques rurales et environnementales 37 Deux campagnes, deux visages, deux trajectoires : la combinaison des différents facteurs identifiés précédemment implique une divergence tangible des transformations sociales, économiques et environnementales des campagnes.

38 Des dynamiques démographiques divergentes.

39 Les deux campagnes connaissent bien entendu un accroissement naturel relativement élevé mais le solde migratoire constitue un critère majeur de différenciation des dynamiques démographiques.

40 Ouré-Kaba : une campagne en peuplement : La campagne au sud d’Ouré-Kaba constitue un cas sans doute rare au Fouta-Djalon puisque les arrivants sont aujourd’hui plus

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nombreux que ceux qui partent. Le retour de la Sierra Léone représente un facteur conjoncturel auquel se combine une évolution plus structurelle, la sédentarisation, même si celle-ci paraît encore hésitante.

41 Un exode rural sensible dans la campagne de Pita : La campagne de Pita connaît un exode rural conséquent, phénomène des plus répandus au Fouta-Djalon et qui n’est pas l’apanage des seuls hauts plateaux. Les hommes, surtout s’ils sont jeunes, ont une plus forte propension à l’émigration temporaire ou définitive. Dans la sous-préfecture de Timbi-Madina, 48% des maris sont absents et 79% des jeunes hommes sont partis à Conakry ou à l’étranger (Beck, 1990). Dans les villages, les hommes et les adolescents se font rares, particulièrement en saison sèche, lorsque le travail est moindre. Composition et recomposition : deux trajectoires pour les systèmes ruraux 42 Ouré-Kaba : un espace abondant à conquérir, une campagne en construction. Toutes proportions gardées, la situation actuelle du système agraire de la campagne d’Ouré- Kaba donne des éléments de compréhension sur la sédentarisation des populations et l’évolution du système agraire dans celle de Pita d’il y a trois siècles et peut-être davantage. En effet, cette campagne apparaît en pleine composition ou construction avec l’arrivée de nouvelles familles. Il reste encore suffisamment d’espace pour défricher ou brûler “ librement ” à des fins culturales ou pastorales. L’abondance des terres, la facilité d’accès au foncier engagent à des pratiques extensives d’élevage et de culture, mais aussi d’une certaine façon à des pratiques extensives de peuplement. Ces pratiques extensives renvoient au moins à deux logiques : une logique économique et une logique sociale. La logique économique de l’extensif a notamment été évoquée par P. Pélissier (1978, p.5) qui à l’aide de multiples exemples indique, à juste titre, que pour le paysan africain “ la productivité maxima du travail est assurée par la consommation de l’espace ” (Couty, 1988, l’a également calculé en économie). La logique sociale s’inscrit dans le besoin de conquérir l’espace disponible, de le marquer socialement. L’exploitation extensive permet ainsi d’affirmer son droit d’usage et de s’assurer du “ contrôle foncier ” (Pélissier, 1978, p. 7).

43 Ces logiques permettent de mieux appréhender les dynamiques du système rural. Le genre de vie (une sédentarisation balbutiante) et le besoin de marquer le territoire expliquent que l’habitat soit beaucoup plus dispersé que dans la campagne de Pita dont la population est depuis longtemps établie. La volonté de contrôler l’espace explique aussi que les paysans (même malinké) défrichent des superficies plus vastes que celles qu’ils pourront réellement cultiver. En schématisant, les pratiques extensives exacerbées correspondent à une course au défrichement.

44 L’absence de tapade est à la fois un indice et une conséquence des logiques évoquées. Une installation très récente et encore hésitante hypothèque toute velléité d’élaboration et d’entretien d’un jardin de case (plantation de fruitiers, construction d’une haie et transfert de fertilité). Malgré des conditions favorables (déjections abondantes) le besoin de réaliser un espace de production intensive ne se fait pas encore sentir. De plus, le régime alimentaire rudimentaire des Peul, composé essentiellement de riz et de lait se passe pour l’instant de tous les produits généralement cultivés dans la tapade. L’espace agricole d’Ouré-Kaba ne montre pas aujourd’hui de caractère de saturation. Cependant, dans les faits, deux systèmes agraires cohabitent, l’un plus agricole (malinké), l’autre plus pastoral (peul). Leur coexistence génère des conflits d’usages des ressources mais sans remettre en cause ni le fonctionnement ni la reproduction à court terme de ces systèmes agraires. Par

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contre les pratiques extensives et expéditives, et la cohabitation de deux systèmes agraires, favorisent une gestion des ressources assez désordonnée. “ Course au défrichement ” et besoins croissants en bois de clôture pour les champs se conjuguent pour exercer une pression tangible sur les ressources ligneuses notamment. Celles-ci ne manquent pas mais sont fortement sollicitées.

45 Les périodes de crise des systèmes agraires sont en général souvent considérées comme propices à une pression accrue sur l’environnement. Ici, au contraire, une forte pression anthropique s’exerce sur les ressources alors même que le contexte se caractérise par une faible densité démographique et un équilibre momentané du système.

46 Pita : une campagne en voie de recomposition : La campagne qui s’étend autour de Pita traverse une période de recomposition du système agraire et plus globalement peut- être du système rural. Le paysage est ici entièrement anthropisé, et la gestion du terroir villageois suit des règles collectives. Ici, peut-être plus que partout ailleurs, la pression démographique a été crainte puis utilisée pour expliquer la pauvreté des sols, le manque de terre, la diminution du temps de jachère puis l’exode rural. G. Vieillard dont l’œuvre ethnologique est pourtant des plus précieuses et respectables se lamentait : “ Dans le Labé, et surtout dans les Timbis, le spectacle de la campagne évoque une campagne française. Il n’y a plus d’arbres qu’autour des habitations, les plaines sont nues, en jachère ou en culture, et malheureusement souvent épuisées : on est arrivé au dernier stade, après lequel il n’y a plus qu’à émigrer pour cultiver ailleurs ” (G. Vieillard, 1940, p.197).

47 La pauvreté des sols dans la campagne de Pita fait l’unanimité ; son origine est fondamentalement intrinsèque et finalement assez peu anthropique. Bantignel et plus encore Timbi-Madina se caractérisent par la prépondérance de sols pauvres de type dantari et hollandé (un quart et un tiers de la superficie des sous-préfectures) La maigreur des repousses végétales lors des périodes de jachère s’explique par la médiocrité chimique des sols et leur faible épaisseur. Cette particularité fonde en partie la prépondérance de la culture de fonio (Digitaria exilis), plante très peu exigeante. Beaucoup ont rendu le fonio responsable de l’épuisement des sols, or il semble plus juste de penser que les agriculteurs pratiquent la seule culture possible étant donné la qualité des sols.

48 En 1990, les études menées par Jean Vogel (Vogel, 1990) sur la fonioculture décrivent des rotations culturales de 3 à 7 ans de culture suivie de 7 à 9 ans de jachère, avec une utilisation du feu très limitée, voire absente. En 1944, J. Richard-Mollard mentionnait : “ A Timbi-Madina, l’on ne dépasse guère la 7ème année (de culture), la moyenne s’établit entre 3 et 6 années quand le terrain n’est bon qu’au fonio. Puis jachère de 7 ans ”. Autrement dit, contrairement aux idées reçues, la diminution du temps de jachère sur près de 50 ans ne peut être avérée. Il apparaît au contraire une relative stabilité du temps de jachère des champs extérieurs même si l’on ne connaît pas les détails de l’évolution entre ces deux dates. Dans le village de Dantari, à l’ouest de Pita, le temps de jachère est resté lui aussi constant (4-5 ans) entre 1955 (Mission démographique de Guinée, 1955) et 1997 (enquêtes personnelles). Les paysans déclarent aujourd’hui qu’ils ont individuellement diminué la surface des champs extérieurs cultivés. A proximité de Bantignel, les anciens, aujourd’hui bien seuls au village, regrettent que la terre ne soit plus cultivée et sont unanimes pour reconnaître que les temps de repos de la terre augmentent : les champs sont défrichés tous les 10 à 15 ans actuellement au lieu des 7 à 9 ans dans le passé (enquêtes personnelles, 1997).

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49 La non réduction du temps de jachère est étroitement liée d’une manière globale à la recomposition du système rural. L’un des aspects majeurs de cette recomposition correspond aux effets de l’émigration. Outre des impacts directs sur la charge démographique, le facteur émigration se révèle fondamental dans les conséquences indirectes qu’il induit. Le rôle des transferts monétaires, dans les revenus familiaux par exemple, semble loin d’être négligeable (même si les données précises manquent) et au- delà pèse sur la physionomie de l’économie et de la société locale. De plus, l’effet le plus décisif de l’émigration reste la fuite des actifs, particulièrement des hommes et des jeunes. Ceux qui restent, les anciens, les enfants et les femmes, ne peuvent pas perpétuer le même système de culture. Ce phénomène est à l’origine d’un repli vers les cultures de tapades. L’emprise spatiale des tapades dans les espaces villageois de la sous- préfecture de Timbi-Madina, est d’ailleurs particulièrement forte : jusqu’à 20 % de la surface totale du terroir.

50 Le travail de E. Boserup a été très souvent simplifié au point de réduire sa pensée à une évolution qui lierait de manière étroite l’émergence d’un système de culture plus intensif à un accroissement continu de la population. Si cette interprétation peut se vérifier en maintes régions, force est de constater que dans la campagne de Pita, ce n’est pas parce qu’il n’y a plus assez de terres que les paysans se replient sur l’intensif, mais surtout parce qu’il n’y a plus assez d’hommes.

51 L’exode rural n’est pas seul à l’origine d’un recul agricole (économique et/ou spatial). Les activités “ secondaires ” sont parfois prépondérantes. D’après l’enquête de J.M. Garreau (1993, p. 48) dans les Timbis, seuls 59% des chefs de famille se déclaraient d’abord cultivateurs et au moins 50% des “ exploitations ” ont un revenu global largement déconnecté de l’agriculture. Dans les 50% restants, pour 25% des exploitations (appartenant aux roundés), la production agricole repose en grande partie sur des cultures intensives (bas-fonds, tapades et champs de pomme de terre) avec un but lucratif clairement affiché. L’exploitation des bas-fonds, par les revenus qui en découlent, apparaît aujourd’hui comme une donnée essentielle dans la campagne de Pita. Un contexte favorable (V. André et G. Pestaña, 1998) a permis à certaines familles de s’orienter vers des spéculations rentables (la pomme de terre ou l’ail par exemple), qui trouvent un débouché national voire international (vers le Sénégal notamment), grâce au dynamisme du marché de Timbi-Madina et à une bonne organisation de l’exportation par l’intermédiaire des commerçants et des transporteurs.

52 Mais au-delà de la recomposition du système agraire, c’est l’ensemble du système rural qui se modifie. Outre une économie rurale et des ménages de plus en plus extravertis (activités de rente, émigration, transferts monétaires, etc.), la société se transforme avec une redistribution des rôles, et parfois l’émergence de conflits latents ou naissants. Parmi ces évolutions, les femmes en raison d’un pouvoir économique accru, en particulier à la faveur des activités de maraîchage, et de l’absence du mari voient leur rôle redéfini au sein de la famille (V. André et G. Pestaña, 1998). Toutefois, cela ne se passe pas toujours sans heurts ou sans débats au sein des ménages et même des villages. D’autre part, des tensions foncières entre anciennes familles de maîtres et descendants de captifs peuvent ressurgir. Les premiers se réclament propriétaires de terres, notamment de bas-fonds, alors même que les descendants de captifs les cultivent depuis plusieurs générations parfois et en tirent de substantiels revenus.

53 Au total, la campagne de Pita connaît une évolution non conforme aux représentations classiques, avec un recentrage sur les activités non-agricoles, les espaces de production

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intensive, et une modification en profondeur de certains rapports socio-économiques. Enfin, la plupart des attaques portées aux pratiques paysannes supposées responsables, à elles seules, de la dégradation de l’environnement ne tiennent plus : le feu est relativement peu usité, les défrichements intensifs et abusifs sont fatalement limités voire inexistants du fait de la pauvreté structurelle d’une grande partie des sols et d’une certaine stagnation et voire une régression des surfaces de champs extérieurs.

54 Les deux études de cas illustrent le décalage sensible entre certaines représentations du Fouta-Djalon héritées, et les résultats de travaux de recherches actuels. Elles fondent l’idée d’une réelle diversité des paysages du Fouta, des populations et des dynamiques rurales, sans pour cela renier l’existence globale d’une région foutanienne. Dépasser les caricatures pour mieux comprendre les mutations actuelles 55 L’accumulation des simplifications et la vétusté des analyses expliquent le hiatus entre les représentations courantes du Fouta et la situation de nombre de ses campagnes. Prendre acte de cette diversité, c’est tenter de dépasser ou plus modestement enrichir des représentations qui à force de se scléroser tendent à devenir des caricatures, quelque peu vidées de sens. Les contrastes mis en relief dans l’étude comparative de deux campagnes du Fouta-Djalon fournissent plusieurs entrées permettant de dégager, à l’échelle régionale cette fois, plusieurs facteurs élémentaires de diversité. Quelques nuances régionales élémentairesUn éventail de paysages, de potentialités et de terroirs 56 Le massif du Fouta-Djalon ne se résume pas aux seuls plateaux “ centraux ”, et se compose aussi de “ la région environnante ” : c’est souvent de cette façon que le reste de la région est évoqué12, alors que cette “ périphérie ” comprend des hauts lieux de l’histoire du Fuuta Jaloo, tels que Timbo, Kébali ou Fougoumba. Compartimenté, le massif s’organise suivant un système de plateaux étagés. Par l’intermédiaire de gradins successifs, trois niveaux topographiques se superposent. L’axe central constitue le niveau supérieur à partir de 1000 m. A l’est de celui-ci, se localise un niveau topographique inférieur que l’on retrouve de Tougué à Timbo et dont les altitudes varient de 700 à 900 m. Un dernier pallier à 300-600 m s’individualise particulièrement bien à l’ouest dans les régions de Télimélé, Gaoual et au sud dans la région d’Ouré-Kaba.

57 Il n’est pas nécessaire d’entrer dans les détails pour rendre compte de la diversité des situations biophysiques au Fouta-Djalon. Le paramètre climatique donne à lui seul une idée des distinctions nécessaires à établir. Les marches occidentales du Fouta constituent des espaces plus chauds et humides que les hauts plateaux où se combinent une relative proximité de l’influence océanique, des altitudes plus basses que le reste du massif, une protection des hauts plateaux qui minorent les effets desséchants de l’Harmattan d’origine continentale... En revanche, dans le Fouta oriental la continentalité s’affirme avec des précipitations moindres et des amplitudes thermiques annuelles plus marquées. A ces considérations viennent s’ajouter des facteurs azonaux : l’ouverture sur la grande plateforme mandingue favorise le souffle de l’Harmattan en saison sèche et la présence de hauts plateaux à l’ouest limite les précipitations d’hivernage. La végétation présente alors des caractères fortement soudaniens. Enfin, au sein même des hauts plateaux, les vallées profondes qui les morcellent (comme celle de la Kakrima) déterminent des enclaves chaudes et humides, fort originales.

58 Il faut bannir l’idée d’Un terroir foutanien : nuances climatiques, topographie, palettes et répartitions des sols se combinent, individualisant des “ équations naturelles ” variées.

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Une configuration sociale plus complexe qu’il n’y paraît 59 La composition ethnique et les hiérarchies sociales des campagnes du Fouta-Djalon se présentent comme un puzzle dont de nombreuses pièces seraient manquantes. Il s’agit d’un champ d’étude sensible et encore peu exploité. Moins apparente et lisible que les paysages, la configuration sociale peut influencer l’organisation du système rural à l’échelle locale, même si la composante “ ethnique ” semble une entrée sans grand intérêt et relever d’une perception aussi obsolète que polémique. A première vue la faible pertinence d’une telle entrée repose sur le postulat que les minorités non peul ont été assimilées et que leurs système agraire et organisation sociale ont subi une “ foulanisation ”.

60 Si un tel postulat peut se vérifier en de nombreux lieux et notamment dans les plateaux centraux, il demeure bien hasardeux dès que l’on s’éloigne du Fouta central. En fait, de nombreuses poches de minorités subsistent. Par exemple, les Dialonké du Sangala sont majoritaires au nord-est de Koubia, dans les campagnes proches de Balaki, Gada Woundou, Fello Koundoua.

61 Ces minorités ont pu préserver une organisation sociale, un type d’habitat et/ou des stigmates agraires sensiblement différents de ceux généralement attribués aux populations peul. Ainsi, à Badougoula, à l’ouest de la préfecture de Mali, les Sarakolé possèdent un système agraire original basé sur une culture des berges de la Bantala avec des tapades réduites et peu productives (B. Ly, 1998) qui les rapprochent du simple jardin de case. De la même façon, on ne peut pas ignorer que certains Peul demeurent de purs éleveurs comme dans les bowé de Gaoual ou de Télimélé, lieux où la tapade est inexistante à l’instar d’Ouré-Kaba.

62 Nombreux sont aussi les villages roundés dont les populations sont spécialisées dans un artisanat (forgerons, potiers, cordonniers,..) et qui constituent autant de groupes intégrés mais non assimilés. Selon la proportion de descendants de captifs, leurs plus ou moins grandes émancipations sociale et économique, les contextes locaux connaissent parfois des spécificités, bien délicates à extrapoler. Pour une meilleure compréhension des systèmes ruraux du Fouta-Djalon, il convient donc de prendre en considération la composition et l’organisation de la société locale, mais en se gardant bien entendu de tout déterminisme ethnique ou social.

63 La société du Fouta-Djalon apparaît finalement comme une mosaïque dont la foulanisation n’est ni systématique ni totale. Plutôt que le “ pays des Peul ”, il serait plus rigoureux de qualifier cette région comme le pays où l’influence peul est prépondérante. D’importants contrastes de densités humaines 64 Si l’on en croit le Recensement Général de la Population et de l’Habitat de 1983 (celui de 1996 demeurant en grande partie inutilisable), la Moyenne Guinée enregistre une densité moyenne de 22,5 hab./km2 qui peut sembler relativement modeste.

65 Mais les chiffres et les impressions qui ont frappé les esprits concernent les hauts plateaux où les densités proposées dépassent 50 hab./km2 pour la quasi-totalité des sous-préfectures, avec des maxima dépassant les 120 hab./km2 (fig. 2) pour celles de , Daralabé, (202 hab./km2). Il est vrai que des densités rurales supérieures à 50 habitants/km2 sont peu fréquentes au sein d’une Afrique de l’Ouest où le Fouta- Djalon apparaît nettement comme un pôle de fortes densités. Cela pourrait conforter l’image d’une éventuelle pression démographique si les densités n’étaient pas

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spatialement fortement hétérogènes. De nombreuses campagnes du Fouta-Djalon connaissent en effet des densités bien inférieures, sans commune mesure avec celles des hauts plateaux. La carte des densités montre une organisation en auréoles autour du “ noyau ” démographique de Labé, selon un gradient décroissant (moins de 15 hab./ km2 sur la périphérie).

66 Afin de mieux cerner les réalités des contextes démographiques, il conviendrait de raisonner en terme de charge de population et de rapporter la population totale à la superficie cultivable. Cela révélerait, par exemple, des charges démographiques importantes dans les régions où les bowé sont très étendus, comme celles de Koubia, Tougué, Donguel Sigon ou encore de Télimélé. Or actuellement, les insuffisances quantitative et qualitative des statistiques ne peuvent permettre une telle étude. L’analyse des rapports entre société et espace ne peut ignorer de tels contrastes de densité, qui suggèrent l’existence de contextes et de perspectives hétérogènes voire parfois opposés. Une influence des contextes géo-économiques et politiques à prendre en considération 67 La situation géographique, les contextes économiques et politiques peuvent influencer directement ou indirectement les dynamiques rurales et sont autant de facteurs de diversité des campagnes du Fouta-Djalon.

68 L’enclavement représente un facteur majeur d’inégalité économique au Fouta-Djalon. Malgré d’importants efforts, de nombreuses campagnes demeurent mal desservies ou inaccessibles du fait de pistes impraticables durant toute ou une partie de l’année. Certaines campagnes (les bowé de Koubia et Télimélé entre autres) ont une économie empreinte d’autarcie tandis que d’autres (telles Timbo ou Timbi-Madina) grâce au bitume, ou à des pistes de réfection récente, connaissent un dynamisme en partie ou largement lié à des possibilités d’écoulement des produits agricoles.

69 La proximité d’un centre urbain ou d’un marché hebdomadaire actif correspond aussi à un facteur d’inégalité spatiale. La proximité d’une ville génère des opportunités de vente de produits de l’agriculture ou de l’artisanat, des opportunités d’activités citadines comme le commerce. Des embryons de ceintures maraîchères commencent à se développer dans les villages à la périphérie des villes les plus dynamiques, à l’image de Labé.

70 L’aire d’action des projets de développement peut aussi jouer un rôle dans la diversité des trajectoires économiques. Il est indéniable que certains projets agricoles, tel que le Projet de Développement Agricole de Timbi-Madina, ont accompagné ou encouragé une modification du système de production de certaines exploitations paysannes et ce faisant du système rural de la campagne concernée.

71 La proximité de la frontière représente un facteur supplémentaire de différenciation des dynamiques rurales. Les flux transfrontaliers de marchandises ou d’hommes modifient directement ou indirectement la physionomie des systèmes ruraux des espaces frontaliers. De plus, le contexte politique doit être pris en considération. La Première République avait signifié une fuite dans les pays voisins. Aujourd’hui, les drames récents de la Sierra Léone engendrent à l’inverse des flux d’immigrants.

72 Les facteurs de diversité, tant des contextes que des dynamiques, n’ont pu être qu’effleurés. Mais il se comprend aisément qu’une région estimée à près de 80 000 km2 (G. Diallo et al., 1987), soit une fois et demi le Togo ou trois fois le Burundi, ne puisse être appréhendée de manière monolithique. Non seulement les plateaux centraux ne

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résument pas le Fouta-Djalon mais encore faut-il s’efforcer de dépasser les représentations et les idées reçues les plus communes si l’on tient à comprendre les évolutions en cours et à les percevoir de façon plus réaliste. Les représentations ne sont pas des diagnostics 73 Les représentations les plus courantes du Fouta se sont transmises, depuis les années 1930, de génération en génération. Et ce sont ces mêmes représentations qui constituent ou influencent fortement encore les bases des diagnostics élaborés par les « experts », diagnostics qui fondent ensuite les modes d’intervention de nombreux projets de développement, ignorant ainsi certaines nuances ou remises en cause du discours classique traitant du Fouta- Djalon. La pression démographique n’est pas généralisée 74 L’examen des densités brutes de population a montré des contrastes importants. Les lacunes statistiques ne permettent pas toujours de prouver l’existence ou non d’une surpopulation.

75 Le mythe de la surpopulation trouve davantage sa source dans des observations partielles et finalement des extrapolations d’abord accomplies par des cadres coloniaux. La surpopulation est un concept vieilli qui correspond à une vision étriquée des contextes économiques et géographiques. Depuis quelques décennies déjà, le concept de pression démographique exprime une dynamique plutôt qu’un état (la surpopulation). La pression démographique, souvent mise en avant au Fouta-Djalon, demeure une notion bien délicate à généraliser tant les situations sont multiples et parfois contradictoires. A Ouré-Kaba, la pression démographique est un problème qui ne se pose pas (encore ?), tandis qu’à Pita il ne se pose plus... Dans le premier cas, la faiblesse du peuplement et la réserve d’espace n’obligent pour l’instant à aucune réduction des temps de jachère, tandis que dans le second cas, ceux-ci sont stabilisés et parfois en progression. Ces types de contre-exemples permettent de renier un discours univoque dans lequel la pression démographique représente une des principales problématiques du développement rural et durable aujourd’hui. Bien entendu, il n’est pas question ici de nier que de nombreuses campagnes dans l’ensemble du Fouta subissent une relative pression sur les terres cultivables et doivent réduire leurs temps de jachère mais il faut aussi reconnaître que d’autres (Pita) souffrent d’une relative hémorragie de la population active et parfois d’une déprise rurale (Bantignel par exemple).

76 En finir avec la tentation généralisatrice consiste à opérer une révolution copernicienne, en tenant le plus possible à l’écart les représentations courantes qui engendrent irrémédiablement un point aveugle puisqu’elles n’autorisent pas tous les questionnements. Quel bilan pour l’environnement ? 77 L’hypothèse d’un environnement menacé, déchu même, reposait sur un scénario associant pratiques culturales traditionnelles prédatrices et pression démographique exagérée. Les conséquences annoncées et souvent décrites comme avérées - elles hantent les représentations courantes du Fouta étaient et sont toutes plus catastrophistes les unes que les autres : disparition du couvert arboré, réduction des temps de jachère, érosion incontrôlée, stérilisation des terres, jusqu’au pronostic d’une désertification...

78 S’il est vrai que la pluviométrie annuelle diminue assez significati-vement depuis 1970, cela n’est point une spécificité foutanienne, mais suit une tendance globale qui

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concerne l’ensemble de l ’Afrique de l’Ouest. Enfin, une région qui reçoit entre 1400 et 1900 mm d’eau en moyenne, semble difficilement, même à moyen terme, menacée de désertification.

79 De plus un certain nombre de principes et de mécanismes, considérés comme acquis et responsables d’une dégradation du milieu semblent loin d’être aussi effectifs que l’on veut bien le laisser croire. La campagne de Pita est sur ce point des plus représentatives. Localisée en un des lieux réputés les plus en danger du Fouta, elle combine un certain dépeuplement à des temps de jachère en stagnation ou même en augmentation. Quant à Ouré-Kaba, s’il existe certes des défrichements, la disponibilité en terre autorise des rotations permettant une reconstitution correcte du couvert arboré.

80 Mais plus étonnant encore est de ne pas trouver vraiment trace et reconnaissance (à l’exception de quelques travaux comme ceux de J. Vogel et C. Lauga-Sallenave) de la remarquable capacité des paysans à construire ou reconstruire leur environnement. Si l’on reconnaît que les haies vives des tapades sont de belle facture, il n’est jamais mentionné que ces mêmes haies totalement anthropiques sont d’une grande diversité botanique, contribuant à assurer une certaine biodiversité (Lauga-Sallenave, 1997). Elles gardent en revanche leur image d’élément du « paysage traditionnel peul », grandes consommatrices de bois. De plus, si les premiers administrateurs coloniaux s’extasiaient déjà sur l’espace de production intensif que constitue cette même tapade, en terme d’environnement ou de gestion des ressources, on a tendance à oblitérer le fait que leurs sols, capables de hauts rendements, sont de véritables anthroposols (Vogel, 1993).

81 Quant à l’origine des bowé liée à la destruction de la mythique forêt dense et plus globalement à une déforestation ancienne et intense, elle n’a jamais été réellement démontrée. Certains auteurs (Rossi, 1998 ; André, 2002) proposent même une lecture et une analyse fort différentes du paysage à partir de son évolution morphopédologique et aboutissent à une tout autre conclusion : les bowé existaient tels quels à l’arrivée des Peul et furent utilisés au mieux de leurs potentialités par les pasteurs qui les estimaient uniquement aptes à la pâture.

82 Ainsi, aurait-on seulement voulu garder et transmettre l’image de paysans dévoreurs d’espaces forestiers, vampirisant la fertilité de sols pourtant souvent très pauvres à l’origine et menaçant la durabilité de leurs ressources ?... quand ils sont tout autant de remarquables bâtisseurs de haies, de vergers et de sols particulièrement fertiles. Là encore, se dégager des représentations, à la fois héritées mais aussi intégrées aux nouveaux soucis écologiques, devient une nécessité pour s’autoriser à mieux comprendre la gestion des ressources par la population. Quelques mutations des systèmes ruraux à ne plus oblitérer 83 Les représentations, aussi inévitables soient-elles, engagent trop souvent à ne suivre que des perspectives balisées. Leurs influences occultent encore fortement l’identification de mutations actuelles et fondamentales au sein des campagnes du Fouta-Djalon. Parmi ces transformations, qui s’inscrivent dans les temps longs et les temps courts, la baisse de la prépondérance de l’agriculture dans de nombreux systèmes ruraux n’est pas des moindres. En effet, le bétail, par exemple, s’est largement raréfié dans les hauts plateaux, sans perdre totalement toutefois son rôle social, au point que l’image du pasteur peul appartient davantage à l’histoire qu’à l’actualité. En ce sens, l’exemple d’Ouré-Kaba où le bétail est encore au centre du système agraire,

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indique concrètement que certaines campagnes du Fouta-Djalon connaissent une évolution pour le moment bien étrangère à celle de ces hauts plateaux, d’où la nécessité de ne pas accoler trop vite des dynamiques constatées localement à un ensemble régional.

84 L’exode rural, le développement des cultures commerciales dans les bas-fonds, la recomposition des rapports sociaux hommes/femmes et ex-maîtres/descendants de captifs sont quelques exemples de profondes mutations, de plus en plus prégnantes mais non systématiques, au sein des exploitations, des villages et des campagnes (V. André et G. Pestaña 1998a, 1998b). Ces mutations économiques, sociales et spatiales sont généralement minorées puisqu’elles n’entrent pas dans les schémas de pensée pré- établis et encore dominants.

85 Les représentations les plus courantes ont progressivement élaboré un seul modèle pour la dynamique du milieu et des sociétés du Fouta Djalon, ainsi que pour les liens qu’ils entretiennent. A ce titre les problèmes de gestion de l’espace et de l’environnement sont considérés comme uniformes. Certes des éléments d’unité, et peut-être d’identité géographique, sont indéniables. Pourtant une analyse qui ne considère pas comme admis ce modèle et tente d’en vérifier la pertinence révèle que la région offre plusieurs visages. Les deux campagnes prises à titre d’illustration donnent une idée des contrastes spatiaux, socio-économiques et environnementaux que l’on rencontre, et illustrent le caractère stéréotypé de ces représentations encore dominantes.

86 C’est la persistance des idées reçues, des simplifications et des généralisations hâtives, et parfois, la transcription locale de dogmes planétaires qui engendrent l’incompréhension des sociétés rurales, de leurs stratégies, de leurs capacités… et de leurs véritables problèmes. Le décalage entre ces représentations figées, ces postulats trompeurs peu ou pas remis en cause, et la réalité, est à l’origine d’une longue litanie d’échecs ou de demi-succès des opérations de développement. Si la connaissance des campagnes du Fouta Djalon doit encore progresser afin de nuancer des schémas trompeurs, cette nouvelle vision doit surtout être intégrée par des opérateurs dont les logiques internes et les modes opératoires s’accommodent mal de la diversité et de la nuance.

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NOTES

1.- ANDRE V., 2002 et PESTAÑA G. (thèse en cours de réalisation). 2.- «La forêt sèche couvrait autrefois l’ensemble du Fouta Djalon, mais elle a été presque complètement détruite par les incendies et par le pâturage, à l’exception de quelques petites superficies près de la Guinée-Bissau et du Sénégal.» B. HASSON, 1998, p.18. 3.- « Plus particulièrement on note : une forte densité de population dans le Fouta- Djallon, parfois jusqu’à 140hab./km2; la pression foncière qui en résulte et la conséquente réduction du temps de jachère qui est à l’origine de l’appauvrissement des sols ; l’extension des terres cultivées, au détriment des surfaces forestières et pastorales. ». F.A.O., 1992, pp.7-8. 4.- « La forêt dense sèche ou ce qu’il en reste ne présente plus qu’une mosaïque de reliques dispersées. [...]elle a subi une très forte pression et de ce fait elle est menacée d’une disparition rapide. » F.A.O., 1992, p. 29. 5.- « Incontestablement les feux de brousse supportent, à l’heure actuelle, la majeure part des responsabi- lités. La dénudation des pentes, aussi faibles soient-elles, laisse le sol nu, exposé aux averses. Le pâturage excessif ne permet pas la reconstitution d’une végétation qui s’appauvrit en quantité et en qualité. Les sentiers suivis par les troupeaux préparent les chemins que l’eau empruntera ; le pullulement des chèvres (l’autre grand ennemi des sols) est à l’origine de la mutilation des jeunes pousses... enfin, le surpeuplement humain exacerbe tous ces facteurs destructifs dont la virulence ne connaît plus de limites. » J. POUQUET, 1956, p.9. 6.- « En résumé, le massif du Fouta - Djalon, véritable château d’eau de la sous-région de l’Afrique de l’Ouest est, du fait de sa charge démographique et des pressions d’origines diverses sur un milieu naturel fragile, menacé par un processus de désertification... ». O.U.A., 1981, p.4. 7.- « Le grignotage des terres s’accuse de jour en jour.[...] Les bowals, stricto sensu, progressent vertigineusement ». J. POUQUET, 1956, p.244. 8.- « D’une manière générale, les systèmes (sous-systèmes) de culture et d’élevage sont assez similaires d’une région à l’autre du Fouta - Djalon.». DETRAUX M., 1992, pp. 23. 9.- Pour simplifier le propos, le terme de campagne sera préféré à celui de “ sous- préfecture ” trop peu géographique, à celui “ d’espace rural ” trop vague, enfin à celui de “ pays ” à la signification précise et adaptée mais malheureusement trop peu usité pour être parlant.

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10.- Dantari : sol ferrallitique limoneux ou sablo-limoneux, ocre ou beige, très lessivé, perméable et battant, très acide, localisé sur les faibles pentes et les surfaces subordonnants, chimiquement pauvre. Hollandé : souvent associé au dantari, il se rencontre dans de légères dépressions (teinte grise) ; sol colluvial, limoneux ou argilo-limoneux, peu structuré et à hydromorphie temporaire, extrêmement acide. 11.- Hansanghéré : sol caillouteux composé de matériaux hétérogènes résultant de l’altération de roches dures et du démantèlement des cuirasses. Localisé sur des versants à forte pente ( plus de 12%), ce sol ferrallitique rouge, souvent épais, meuble, bien structuré et filtrant offre une certaine fertilité chimique. 12.- « Du point de vue de l’altitude on peut le diviser en deux parties : les hauts plateaux, une région de plus de 10 000 km2 se trouvant pour la plupart au-dessus de 800 m, et comprenant les villes de Dalaba, Pita, Labé et Mali ; la région environnante se trouvant pour la plupart au-dessous de 800 m. ». I. LANGDALE-BROWN, 1961-1962.

RÉSUMÉS

Le Fouta-Djalon (République de Guinée) dispose d’une image forte digne d’une image d’Epinal. Il est le “ château d’eau de l’Afrique de l’Ouest ” dégradé et menacé par des pratiques agropastorales prédatrices. Nous identifierons et caractériserons tout d’abord les représentations usuelles qui le fondent ce discours “ officiel ”. Puis l’analyse de deux campagnes du Fouta-Djalon nous permettra de nuancer cette image et d’en montrer les limites, en tant qu’état de référence. Enfin nous dégagerons les dynamiques sociales et environnementales actuelles qui animent le Fouta - Djalon et engagent à reconsidérer les fondements mêmes de ses représentations.

The Different Faces of Fouta-Djalon, Guinee Republic and the changing Countrysides : Representations Observed in the Field. Fouta - Djalon, Guinee Republic, presents a picture worthy of a picture of Epinal. It is the “water tower of western Africa”, deteriorated and threatened by predatory agro-pastoral practices. We first identify and characterize the customary representations which render this discourse “official”. Next, the analyses of two countrysides in the Fouta Djalon area enables us to refine this picture and show the limits of it, as regards its use as a reference base. Finally, we describe the present social and environmental dynamics which prevail in Fouta - Djalon and endeavor to reconsider the very foundations of its representations.

INDEX

Mots-clés : environnement, Fouta-Djalon, Guinée, pratiques paysannes, représentations, système rural

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AUTEURS

VÉRONIQUE ANDRÉ PRAG, Université de la Rochelle - UMR REGARDS

GILLES PESTAÑA PRAG, Université de Nouméa - UMR REGARDS

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Le renouveau de l’élevage au Fouta- Djalon : le retour de la tradition ?

Bano Nadhel Diallo

1 Le pastoralisme a toujours été un sujet préoccupant pour les spécialistes du Fouta- Djalon. Dès les premières heures de la colonisation, le cheptel bovin a été considéré, au mieux comme un capital improductif qu’une meilleure gestion pourrait valoriser, au pire comme un élément central dans la dégradation accélérée des milieux.

2 Depuis, l’élevage a subi une crise majeure, celle de la période de la Première République. Le cheptel a dramatiquement diminué, beaucoup d’éleveurs s’étant enfuis dans les pays limitrophes. Après la mort de Sékou Touré et la libéralisation de l’économie guinéenne, l’élevage a repris. Les questions qui se posent sont nombreuses. D’une part, la traversée de cette crise l’a-t-elle profondément modifié et, par exemple est-on passé du pastoralisme, qui était son trait dominant, à une forme plus productive? D’autre part, si la gestion traditionnelle des parcours aboutissait, comme on le pensait dans les années 1950, à leur irréversible dégradation, l’élevage a-t-il sa place dans un contexte de développement de plus en plus conçu comme respectueux de l’environnement? Enfin, alors que cette vision coloniale de l’élevage au Fouta Djallon demeure encore bien vivante dans les études des projets de développement, est-elle elle-même irréprochable du point de vue scientifique et ne fait-elle pas une impasse sur les logiques locales ?

3 Pour éclairer les aspects les plus récents de l’élevage il faut bien entendu faire un retour vers le passé avant de dégager les principaux aspects spatiaux des mutations de l’élevage et de décrire enfin l’évolution récente de ses finalités Des représentations figées de la « manie pastorale » 4 Dès les premières descriptions de la société du Fouta-Djalon, l’élevage est évoqué sous les traits les plus communs du pastoralisme africain. Chacun, du voyageur à l’administrateur colonial et au géographe, exprime la passion du Peul pour son troupeau. Richard Molard y façonne son terme de “boomanie”. Mais à l’inverse, le tableau devient rapidement négatif. Si au début du siècle on insiste surtout sur le fait que le troupeau est peu productif, dans les années 1940 on l’associe à la structure

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particulière de la société pour le dépeindre comme un élevage de caste. Les années 1940 et 1950 mettent l’accent sur son rôle dans la dégradation des milieux. Un élevage improductif 5 Dans le classique “Essai sur la vie paysanne au Fouta-Djalon”1 Richard Molard décrit “le prétendu élevage foula”. En effet, le Peul ne peut pas être un éleveur : il n’utilise pas son bétail. Il ne s’en sert pas comme bête de somme : “signe de noblesse, il semble que le bœuf jouisse des privilèges du noble lui même : aucun effort, aucune fin utilitaire” (p. 179). Il ne consomme pas ou peu de viande, il n’utilise pas le cuir, “il ne sait même pas tanner”(p. 180). Il est lactophage mais “il aime le laitage parce qu’il a des bêtes” (p. 180). On apprend plus loin que les Peul ne savent pas vraiment traire ; ils ne savent pas sevrer les veaux et s’encombrent de vieilles vaches. De plus,”l’absence de toutes techniques pour l’entretien des bêtes nous interdit encore plus de parler d’élevage” (p. 181): pas d’abri pour les bêtes, seule la distribution du sel constitue un soin, mais il n’y a pas d’alimentation supplémentaire en saison sèche ce qui occasionne une mortalité des veaux effrayante. La seule surveillance est négative: elle est destinée à protéger les cultures ; peu de transhumance, malgré l’opinion répandue.

6 Bien entendu, reste la question du capital bovin, souvent envisagé comme une quasi- monnaie, une forme d’épargne ou un moyen d’échange. Mais “le Foula ne tient pas ses bêtes pour une richesse à proprement parler ; le Foula collectionne son bétail un peu comme Harpagon ses écus» (p. 313). Finalement, “le bœuf n’est pas utile. Il signifie plutôt simplement la noblesse”.

7 Ce tableau est évidemment sans indulgence mais assez typique de la perception, par la littérature coloniale de l’époque, du pastoralisme africain. On trouverait sous la plume de vétérinaires belges l’équivalent sur l’élevage au Ruanda-Urundi. Encore Richard Molard ajoute-t-il « il s’agit bien plutôt d’un pseudo-élevage où l’Occidental ne reconnaît rien de ce qu’il attendrait.» Un élevage de caste 8 Selon Richard Molard, «l’élevage est un reflet de la structure sociale. Les bovins sont aux mains de la classe des nobles peuls». Ceci est une affirmation aussi brutale que les autres, mais elle mérite d’être discutée.

9 Il faut en effet attendre 1946 et l’abolition du travail forcé, et donc du servage, pour établir au Fouta-Djalon, l’égalité des hommes, au moins en droit. Certes, par l’arrêté de 1902 le colonisateur avait interdit la traite et de ce fait l’achat ou la vente d’esclaves, mais jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale subsistait une très importante communauté de captifs. Les enquêtes démographiques de 1954-55 les estiment, près de 10 ans après leur libération, à un quart de la population du Fouta - Djallon. Or la loi stipule que “celui qui est possédé ne possède même pas ce qu’il porte sur sa tête”. Autant dire que l’élevage est effectivement à cette époque là une affaire d’hommes libres.

10 Mais ces hommes libres, qui constituent, on le voit les trois quarts de la population, sont de différentes origines. Etaient libres, évidemment, les descendants des conquérants, mais aussi les descendants des Peul païens, les Pulli, nombreux au Fouta- Djalon, convertis à l’Islam au temps de la guerre sainte au XVIIème siècle, et encore des non-Peul, généralement hommes de métiers. Les deux premiers groupes sont concernés à des degrés divers par l’élevage du gros bétail mais l’opinion de Guébhard, administrateur colonial, qui écrit au début du XXème siècle, est que, “contrairement à ce que l’on pourrait croire, la noblesse et les chefs, au Fouta, ne possèdent pas de grands troupeaux” 2. Fractionnés au gré des héritages, éléments essentiels de la dot des femmes, les

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troupeaux sont petits, mais nombreux. L’administrateur voyait dans ce fractionnement un élément positif de répartition de cette richesse (et d’élargissement de l’assiette de l’impôt). Que faut-il penser de la différence d’appréciation de Richard Molard qui écrit près de quarante ans plus tard ? Mauvaise information de l’administrateur de 1910 ? Mutation de l’élevage sous la colonisation française? Caractérisation exagérée du géographe qui pousse dans son ouvrage l’opposition entre nobles et captifs? Il faudrait une étude historique précise pour répondre, mais il faut reconnaître que la répartition géographique actuelle reproduit cette opposition entre grands troupeaux des régions périphériques et petits troupeaux dans les régions centrales, cœur du pouvoir dans le Fouta ancien comme l’avait noté Guébhard. Elevage et dégradation du milieu 11 L’élevage du Fouta-Djalon est basé sur l’exploitation des terrains de parcours. Ceux-ci sont d’une façon générale inscrits dans l’espace villageois. Suivant les saisons (la saison des pluies durant généralement de mai à septembre), les éleveurs procèdent au moins à trois déplacements sur les terres du village.

12 Le premier, au commencement de la saison des pluies est le roumirgo. L’endroit choisi est sec, une vieille jachère, loin des cultures et l’abondance de l’herbe n’incite pas le bétail au vagabondage.

13 Après la saison des pluies commence le dabirgo : le bétail est conduit d’abord sur les bowé couverts d’herbe fine dès le début de la saison des pluies mais aussi dans les champs extérieurs débarrassés de leurs récoltes de fonio ou de riz, sur des hollandé, aux sols sablo-argileux. Lorsque cette herbe est sèche, dès novembre ou décembre, le bétail est transféré sur les donghol, qui sont des collines et plateaux où peuvent se trouver des champs extérieurs.

14 La fin de la saison sèche est la période la plus pénible. De février à mars, l’emplacement du parc est généralement un parawol, tête de vallon, site d’une source, au sol encore humide et qui conserve encore de la végétation. Sans cela, le bétail atteindrait difficilement la saison des pluies. Il est d’ailleurs laissé libre et erre en quête de pâture.

15 L’élément fondamental de structuration, à la fois temporel et spatial, est le parc, le dinguira. Au début du siècle, le parc de nuit était la règle, parti-culièrement lorsqu’il y avait des cultures proches ou des bêtes sauvages : parc entouré d’une haie de broussailles, les veaux étaient placés au centre, puis les vaches et les bœufs, par souci de protection mais aussi pour la facilité de la traite. Chaque matin le troupeau allait paître sous la garde des enfants. Dans le Fouta central, les parcs étaient à proximité des villages ; le bétail était conduit en saison des pluies sur les jachères, puis sur les éteules, enfin plus près des cases puisqu’il fallait pourvoir à leur alimentation. Il semble que de nos jours cette discipline se soit beaucoup relâchée.

16 La gestion des pâturages inclut nécessairement le feu. C’est lui qui permet de nettoyer les vieilles pâtures et d’éliminer les herbes montées en graine et trop sèches pour être consommées par le bétail. Dans le Fouta central, ce sont généralement des feux précoces, cantonnés le plus souvent sur les bowé. Les grands feux de saison sèche n’éclatent guère que dans les grandes savanes des périphéries peu peuplées. Quels qu’ils soient, les feux ont été rendus responsables de l’évolution régressive des écosystèmes pâturés: «ils détruisent tout sous bois, tout rejeton : ils entravent la reconstitution de la forêt par jachère ; complémentaires des essartages dans la déforestation, ils interdisent dans leur zone d’extension la reconstitution de la forêt», dit Richard Molard3. D’autre part ils réduisent la variété des espèces aux seules espèces pyrophiles. Enfin, et surtout, on

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considère à l’époque qu’ils participent à la “bowalisation”, c’est-à-dire à la progression du cuirassement ; on a depuis assez largement démontré le contraire. Mais en 1959, à la Conférence Interafricaine des Sols de Dalaba, R. Portères, pouvait encore déclarer : “ l’ennemi du pâturage c’est le feu.4” Crise et renouveau de l’élevageLa crise de la période socialiste 17 Les premiers décomptes, au début du siècle donnent un cheptel de l’ordre de 400 0005 têtes, sans que l’on connaisse réellement la méthode du dénombrement, ni le territoire que représente “le Fouta-Djalon”. Dans les années 1950, alors que le bétail est soumis à l’impôt, et donc consciencieu-sement caché, il est estimé à 500 000 bêtes. En 1966, le recensement montre qu’il dépasse le million, chiffre probablement sous-estimé. En effet, des prélèvements obligatoires sont organisés. Pour faire face aux difficultés d’approvisionnement des villes en viande, le gouvernement met sur pied un Office national chargé de la commercialisation du bétail (Obétail). On taxe les régions excédentaires à raison d’un taux annuel de 10 % du bétail recensé, ce qui se traduit par une diminution du cheptel recensé6. A Dalaba, par exemple, il tombe en quelques années de 96 000 à 37 000 bêtes. Mais dès que les circonstances y poussent les éleveurs, le bétail réapparaît : à Dinguiraye, lors de la peste bovine de 1967, on vaccine 76 000 têtes de bovins pour 30 000 recensées. Aussi, Suret Canale7 estime le cheptel à 1,5 million têtes.

18 Mais la réalité sociale est difficile. Les gardes de cercle et les miliciens ajoutent avec impunité leurs besoins aux “normes” produites par la bureaucratie. Certains éleveurs migrent sur les marges du massif, moins contrôlées, et même vers les pays voisins : plusieurs centaines de milliers de têtes de gros bétail auraient ainsi quitté le pays. Quant à ceux qui décident de le dissimuler, ils laissent pâturer librement la nuit leur troupeau. «L’élevage au Fouta-Djalon devient une activité souterraine8» La croissance récente du cheptel bovin 19 En 1984, à l’instauration de la Deuxième République, la norme est abolie, mais l’élevage semble ruiné. Il ne faut pas trop prendre en considération les premiers chiffres fournis par l’administration (23 000 têtes), qui restent, dans les circonstances politiques incertaines d’alors, une simple référence bureaucratique. Progressivement les effectifs augmentent par la sortie du troupeau de la clandestinité, puisqu’il n’est plus taxé, et avec le retour des éleveurs du Liberia à partir de 1989, à la suite du déclenchement de la guerre civile, et surtout de ceux de la Sierra Léone après l’extension du conflit.

20 Il faut attendre le résultat du recensement du bétail de 1990-1991 pour obtenir les premiers chiffres à peu près dignes de foi. Pour un domaine qui englobe la région de Moyenne Guinée et si l’on ajoute la préfecture de Dabola à l’est et de Télimélé à l’ouest pour obtenir un territoire qui soit semblable au Fouta - Djalon historique, on obtient un total de 850 000 bovins, effectif déjà considérable et qui rejoint le niveau des décomptes coloniaux. Depuis, un second recensement a confirmé cette forte expansion: 1,3 million en 1995, soit une croissance de près de 50 % en 5 ans.

21 On peut d’abord se poser la question de la véracité des statistiques de 1990 et 1995. Elles sont cependant confirmées par les données issues du tatouage du bétail. Issu d’un souci des services vétérinaires, il répond aussi à un souci croissant des éleveurs d’utiliser les services gouvernementaux :le tatouage est une condition pour l’accès aux soins (vaccinations en parti-culier). L’enregistrement est aussi une garantie contre le vol, qui est une des plaies du Fouta-Djalon : ancré dans les mentalités, il a été favorisé par la clandestinité imposée à l’élevage par les conditions régnant lors de la Première

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République : comment déclarer le vol d’une bête elle-même cachée aux autorités ? Le tatouage est nécessaire aussi, si l’on veut intégrer les circuits commerciaux : vente dans les marchés ou abattage. Les statistiques du tatouage montrent 412 500 têtes en Moyenne Guinée, les veaux et génisses étant sans doute mal représentés. Des mutations spatiales : centre et périphérie du massif 22 La crise de l’élevage, pendant près de 20 ans, et son renouveau se traduisent par un réarrangement spatial marqué. On peut l’appréhender à partir de quelques indicateurs simples: densités bovines, nombre de bovins par habitants, croissance 1990 - 1995.

23 Les densités bovines les plus élevées restent, comme autrefois, au cœur du massif du Fouta-Djalon. Labé a plus de 30 bovins au km2, Dalaba et Lélouma entre 20 et 30. Ces densités restent encore fortes dans trois préfectures nettement moins peuplées : Mamou, au sud-est, qui dispose de très vastes savanes le long de la frontière sierra- léonaise, et Gaoual et Koudara dans la région des bowé. Cette bande est entouré au nord-est, de Mali à Dabola, et au sud-ouest, de Boké à Kindia, par deux zones où la densité du bétail est beaucoup plus faible: de 5 à 15 têtes au km2.

24 La répartition est inverse si l’on examine le ratio bovin par habitant. Labé et Pita ont moins de 0,2 bovin par habitant. L’est du massif en a entre 0,3 et 0,5. Gaoual, qui compte de très grands troupeaux pour une population clairsemée 0,8 bovin par habitant. Cette répartition est confirmée par la taille moyenne des troupeaux, c’est-à-dire le cheptel préfectoral divisé par lenombre d’éleveurs. A Labé et Pita, la taille moyenne des troupeaux est inférieure à 7 têtes. Les tailles augmentent vers la périphérie. Encore inférieure à 10 en préfectures de Lélouma, Koubia, Tougué et Dalaba, elle s’élève à une quinzaine à Mali, Télimélé, Fria, Kindia, Mamou et Dabola. C’est à Gaoual et à Dinguiraye qu’elle atteint son maximum, aux alentours de 25. Ces moyennes cachent bien sûr une grande disparité locale.

25 Du fait de l’incertitude statistique, on ne sait plus très bien à quoi peut correspondre l’évolution du cheptel suivant les préfectures : progrès du recensement ou réelle croissance ? Si les effectifs sont partout en hausse,l’évolution est contrastée. La plus forte croissance est enregistrée dans la préfecture de Mamou (+75 % en 5 ans, sur de forts effectifs) : la raison essentielle est la fuite des pasteurs de la Sierra Leone. Télimélé et Dubreka enregistrent des croissances comparables mais sur des effectifs moyens ou franchement faibles.

26 De manière un peu surprenante, les troupeaux des régions centrales s’accroissent de façon sensible : >50 % en 5 ans pour Labé, Pita et Lélouma. Il s’agit là des régions les plus peuplées, où le troupeau est déjà le plus important : il y aurait donc au moins capitalisation sur place du croît naturel du cheptel. Cette croissance soulève un certain nombre de questions liées à l’alimentation du troupeau et à la gestion du territoire villageois.

27 Les autres préfectures montrent une croissance inférieure à celle de l’ensemble du Fouta-Djalon, mais sensible tout de même (+30 à 50 %). Elle est plus forte là où les pâturages sont encore vastes, comme à Gaoual et à Kindia. Types de régions d’élevage au Fouta-Djalon 28 Ces quelques paramètres (effectifs, croissance du cheptel, densité du cheptel, ratio, nombre de têtes/hab.) permettent de brosser à grands traits quelques types de régions.

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29 Eliminons rapidement les préfectures en dehors du Fouta - Djalon où les effectifs bovins sont faibles, quoique en croissance : Dubréka, Coyah, Forécariah, préfectures de la Guinée Maritime aux terres basses et chaudes. Il reste trois types de régions d’élevage :

30 - Les régions périphériques où, sous des densités de population moyennes à faibles (sauf Pita dont la circonscription est très hétérogène), l’élevage atteint des densités moyennes. La croissance du troupeau paraît moyenne, soit que son contrôle soit peu rigoureux, soit que cette croissance moyenne corresponde à la réalité. Il s’agit des préfectures de Télimélé et Kindia à l’ouest, Mali, Koubia, Tougué, Dinguiraye et Dabola à l’est. L’accroissement y est varié, nettement plus fort à l’ouest qu’à l’est.

31 - Les régions d’élevage faiblement peuplées. C’est probablement là que survit et prospère le grand pastoralisme. A Gaoual et Koundara, les bœufs sont plus nombreux que les gens; à Mamou, plus peuplée, mais dont le sud et l’ouest de la préfecture s’apparentent aux deux précédentes. Ce sont toutes des régions proches de la frontière, cette ligne floue, qui présente aux yeux des éleveurs le double avantage du trafic vers les marchés de Freetown et de Banjul en échappant à tout contrôle et de la protection: sous Sékou Touré tous les éleveurs avaient franchi la frontière ; l’éclatement du conflit armé au Liberia et en Sierra Leone à partir de 1989, a provoqué d’importants mouvements de retour.

32 - Les régions très peuplées du centre, Dalaba et Lélouma, voient le maximum être atteint à Labé qui, avec une densité de 120 hab./km2, a la plus forte densité de bovins du Fouta-Djalon. Sa croissance est généralement élevée.

33 On estimait ces régions saturées et l’évolution agraire prive progressivement le troupeau de ses pâturages de saison sèche ; les bas-fonds sont rapi-dement convertis à la culture maraîchère. On peut donc se demander comment est résolu le problème de l’alimentation du bétail. Est-ce par utilisation plus intense des ressources fourragères des jachères, avec peut-être exacerbation des conflits avec les agriculteurs ? Est-ce par mutation des pratiques avec compléments alimentaires, et donc une certaine intensification ? Une chose est sûre cependant, les années 1970 ont vu la fin des grands troupeaux. Aujourd’hui ou assiste, au retour à l’élevage bovin d’un grand nombre de petits propriétaires qui l’avaient abandonné dans des circonstances politiques et économiques difficiles. Vers de nouvelles fonctions 34 La monétarisation sociale, la liberté des initiatives, le retour d’éleveurs commerçants orientent désormais l’élevage vers des fonctions nouvelles. Désormais, des personnes nanties investissent dans cette activité pour obtenir des bénéfices. Une meilleure valorisation du troupeau 35 Le temps n’est plus où l’éleveur n’abattait guère et où les villes manquaient de viande. Si l’on se réfère à l’évolution du volume des transactions dans les marchés de bétail, la tendance est, depuis le milieu des années 1980 à la hausse. On peut analyser ici l’évolution du marché de bétail de Labé.

36 Si l’on se souvient des observations de Richard Molard dans les années 1950 (le Peul ne mange que peu de viande et n’abat pratiquement jamais), la situation a nettement changé. Les abattages ont crû régulièrement depuis les années 1980 pour atteindre en 1995 plus de 8 000 têtes abattues sur la place de Labé. Ces chiffres traduisent un changement de mentalités, au niveau des habitudes alimentaires (consommation de

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viande) particulièrement en ville, mais aussi au niveau des éleveurs eux-mêmes : l’élevage devient une activité banalisée qui peut procurer de l’argent.

37 Que penser cependant de l’importance de l’abattage ? Si le nombre de têtes abattues est rapporté au cheptel de la préfecture de Labé (75 000 en 1995) on dépasse le taux de prélèvement imposé par la norme de Sékou Touré. En fait, la plupart des animaux commercialisés ou abattus à Labé, arrivent des autres Préfectures du Fouta comme Koubia, Dalaba, Tougué, Mali, Gaoual, Lélouma et Koundara. Sur 8 038 bovins abattus en 1996 et dont les origines sont connues, 22,30 % seulement viennent de la préfecture de Labé (et encore à ce niveau ce sont les sous-préfectures périphériques de , Dalen, Sanoun, Noussi et surtout Dionfo qui sont les plus importants fournisseurs). Il faut certes ajouter pour la même période 250 bovins achetés sur pied et qui ont pris la direction de Conakry. Mais on se trouve encore à des niveaux de prélèvement relativement faibles.

38 Parallèlement aux progrès de la commercialisation, le troupeau est davantage perçu comme un capital qu’il faut essayer de préserver contre la maladie, ou comme on dit traditionnellement contre “le vent”. On a de plus en plus recours aux soins vétérinaires. Pratiquement disparues au début des années 1980, les campagnes de vaccination sont de plus en plus suivies. Plus de 10 000 vaccinations par an depuis 1990 contre le charbon bactéridien, de 10 à 30 000 selon l’importance des épidémies contre le charbon symptomatique, et depuis 1995, près de 5000 vaccinations contre la pasteurellose bovine. Cette évolution est d’autant plus symptomatique que l’organisation vétérinaire s’est progressivement privatisée et que les soins sont payants. Entre prestige et marché 39 L’élevage pour le prestige reste une notion profondément ancrée dans les mentalités. Cet élevage se cristallise autour d’un certain nombre de pratiques festives. La plus importante est le Touppal9, la cure de sel, qui est aussi une occasion d’admirer et de faire admirer son troupeau.

40 Les plus pauvres, principalement des femmes, supplient leurs parents plus nantis de leur confier une ou deux vaches. Car, posséder une vache est déjà un signe de richesse. Pour les plus riches, maintenir un troupeau est presque une obligation sociale. C’est ce qui explique le fait que le premier but de l’élevage ne soit pas toujours lucratif. Faire de l’élevage c’est d’abord acquérir ou maintenir une certaine position.

41 En cela, la répartition de l’élevage dans la société est le miroir des mutations de la société foutanienne. Beaucoup de commerçants, ou d’émigrants de retour d’”aventure”,

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quelle que soit leur origine, prennent le soin de marquer leur richesse par l’acquisition de bêtes. La vache apparaît de plus en plus dans les roundé, les anciens villages de captifs. Si l’élevage du bétail est encore un critère net de différenciation sociale, celle-ci se fait de plus en plus par l’argent et non par la naissance.

42 Il est dès lors difficile d’établir une séparation nette entre un élevage commercial avec soins vétérinaires, compléments alimentaires de saison sèche et commercialisation, un élevage traditionnel ayant gardé les traits du pastora-lisme et un élevage de loisir de Peul tirant leurs revenus d’autres activités et qui reviennent à l’élevage comme un passe-temps ancré dans leur culture, d’autant que les pratiques se confondent souvent. Sans doute un des meilleurs marqueurs entre le traditionnel et le moderne est le tatouage. Sa répartition est très inégale : maximal à Koubia, où presque tout les bovins sont tatoués, et très important dans les préfectures voisines : Tougué et Mali, Labé et Pita. Par contre, moins d’un quart du troupeau est tatoué dans les savanes de Gaoual et Koudara, ou celles de Mamou et Dabola.

43 Un autre reflet de la société actuelle est certainement la faiblesse actuelle du gardiennage. Certes, il y a là une survivance des stratégies menées sous la Première République où l’on évitait de regrouper ses troupeaux pour échapper à la surveillance des bureaucrates, mais cette mutation est surtout liée au manque de main-d’œuvre : les enfants sont scolarisés, le salaire d’un bouvier est trop onéreux pour de petits troupeaux. Les villages manquent d’hommes, partis en aventure. L’élevage et les transformations des terroirs 44 Traditionnellement, on retrouve dans le finage deux espaces de culture : les tapades et les champs extérieurs. Tous deux sont protégés par des haies. La tapade est un vaste jardin de case dans l’enceinte de la concession ; elle est le domaine des femmes. Les champs extérieurs, individuels, mais organisés en soles collectives, sont ouverts périodiquement sous un système de défriche-brûlis. La haie qui les protège est donc une marque de la séparation du domaine de la culture et de celui de l’élevage.

45 Certes, il existe un transfert de fertilité où l’élevage bovin joue un rôle majeur. Ces transferts sont dirigés vers la tapade, et plus récemment vers les bas-fonds cultivés. On ne fabrique pas de fumier, mais les bouses sont consciencieusement ramassées dans le parc de nuit lorsqu’il existe ou autour des concessions. La poudrette fait d’ailleurs l’objet d’un commerce et les gros agriculteurs vont même s’approvisionner dans d’autres régions de la Guinée. Cependant, force est de constater que l’intégration entre les deux activités est très imparfaite et la haie symbolise bien la séparation entre l’agriculture etl’élevage. A l’échelle des terroirs, lorsque la densité des bovins est forte comme dans le Fouta central, cette cœxistence peut se traduire en termes de concurrence et l’augmentation récente du cheptel peut se révéler source de problèmes.

46 L’évolution de l’agriculture dans le Fouta central apporte des éléments de solution. Depuis un demi-siècle, les champs extérieurs sont moins cultivés; le recul est inégal mais sur une période longue, la tendance est évidente. Il a commencé dans les missidé et les foulasso dès la disparition du servage. Le fait d’avoir à rétribuer la main-d’œuvre dans un système à faible productivité, comme la culture du fonio, ôtait toute rentabilité à l’exploitation des champs extérieurs. Ils se sont mieux maintenus dans les roundé mais les réquisitions de la Première République ont brisé la résistance de la céréaliculture : l’agriculteur, quel qu’il soit, n’avait aucun intérêt à produire des surplus ou même à se signaler par une accumulation visible de richesse. L’agriculture s’est alors repliée sur les tapades. Enfin l’émigration a fourni à tous une alternative viable au travail des

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champs. On est incertain sur l’évolution des superficies cultivées depuis 1984, par contre les conséquences sur l’utilisation des terroirs est visible. La déprise est nette lorsque les champs extérieurs sont éloignés des habitations. Ceci, en principe, devrait libérer des terrains pour le parcours du bétail, du moins si les éleveurs pouvaient lutter contre leur embroussaillement.

47 Cependant, les conflits se multiplient. La plupart sont traditionnels mais traduisent le déclin du contrôle de l’espace villageois à cause du manque de main-d’œuvre. Divagation du bétail par manque de bouviers, négligence à entretenir les haies fortes consommatrices de temps de travail ressortent de la même origine.

48 De nouveaux conflits s’articulent autour de l’élément actuellement le plus dynamique et rémunérateur du système agraire : la mise en culture des bas-fonds. Les bas-fonds, spécialement lorsqu’ils sont proches des centres urbains ou des routes ou des grands marchés, ont été mis en valeur pour le maraîchage, surtout de contre-saison. Or il s’agit là de la période la plus difficile pour l’élevage pendant laquelle le pâturage des bas- fonds devient crucial. On pourrait avoir là un cas typique de l’opposition éleveur cultivateur, mais là encore on y échappe rapidement. Les plus grands propriétaires de bas-fonds sont justement les grandes familles nobles où se recrutent les éleveurs. Dès lors le choix de mise en culture légumière ou en réserve pour l’élevage est davantage un choix agricole plutôt qu’un conflit entre groupes sociaux, hormis, bien sûr, le cas où les anciens captifs ont profité de la période de Sékou Touré pour mettre en culture des terres que les éleveurs considèrent comme usurpées. C’est surtout dans ces conditions que les conflits éclatent.

49 L’élevage au Fouta-Djalon est l’objet de représentations très typées issues de l’analyse coloniale. Elles n’étaient pas forcément justes à l’époque. Les mutations récentes les ont éloignées davantage de la réalité. Or c’est pro-bablement à cause d’elles que les projets de développement qui s’activent au Fouta Djallon depuis une quinzaine d’années, essentiellement dans le domaine du développement durable, se sont à peu près désintéressés de cette activité économique. Peu de choses ont été faites : deux recensements du cheptel ont eu lieu ; le projet Haute Gambie avait initié un volet “pâturage amélioré” dans deux secteurs de la Dimma sous forme de surfaces expérimentales avec des espèces introduites de Chine ; deux fermes modernes, une à Lariah et une à Sannoun, dans la préfecture de Labé, sont financées par des associations de l’aide au développement communautaire. Depuis 2000, un projet d’appui au developpement de l’élevage financé par l’Union européenne s’est installé à Labé mais ses activités sont encore balbutiantes.

50 Or l’élevage non seulement fait partie de la culture locale mais il représente un capital qui pourrait être mieux développé. Une partie des éleveurs s’est intégrée dans les circuits commerciaux mais beaucoup reste encore à faire notamment au niveau de l’alimentation, de l’abreuvement, de la situation sanitaire du troupeau ainsi que dans l’analyse et la régulation des conflits d’usage. Les regards, que l’on porte sur l’élevage, devraient progresser au rythme de l’évolution de la pratique pastorale.

51 Enfin, au nom d’une conception historiquement datée, on estime encore que l’élevage a pour conséquence la dégradation de l’environnement. Alors que l’utilisation de l’espace se modifie lentement et que dans la plupart des villages apparaissent à la périphérie des finages des jachères de longue durée, il reste à trouver une place pour le bétail dans la gestion des terroirs. La recherche réellement écologique doit se faire, en dehors de tout stéréotype hérité de périodes révolues.

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BIBLIOGRAPHIE

RICHARD MOLLARD J., 1944 - Essai sur la vie paysanne au Fouta-Djalon : le cadre physique l’économie rurale, l’habitat. Géographie alpine, Grenoble, vol XXXII, fax 2., pp 135-239

GUEBHARD P., 1910 - Au Fouta-Djalon. A. Challamel ed., Paris

PORTERES R.M., 1960 - Le problème de la restauration du fouta-Djalon. In : Réunion d’experts des sols, Mamou, 2-7 mai 1960. Recherches Africaines, Conakry, n°3, juillet-septembre, pp 49-52

SURET-CANALE J., 1970 - La République de Guinée. Editions sociales, Paris, 432 p

LAUGA-SALLENAVE C., 1996 - Le cercle des haies. Paysages des agro-éleveurs peuls du Fouta- Djalon (Plaine des Timbis, Guinée) - Paris, Université-Paris X-Nanterre, 423 p. (doctorat de géographie)

NOTES

1.- RICHARD MOLARD J., 1944 2.- GUEBHARD P., 1910 - p. 34 et suivantes 3.- RICHARD MOLARD, op. cit., p. 323 4.- PORTERES R.M., 1960 - L’auteur est professeur au Muséum National d’Histoire Naturelle à Paris 5.- GUEBHARD op. cit. 6.- SURET-CANALE J., p. 245 et suivantes. 7.- SURET-CANALE J., op. cit. 8.- LAUGA-SALLENAVE C., 1996 - pp. 320 –321 9.- Le Touppal est la fête traditionnelle des troupeaux. Elle est réalisée 2 à 3 fois par an. Les dates sont fixées en commun accord à la mosquée par les vieux. Les deux plus importantes ont généralement lieu au beau milieu des deux grandes saisons sèche et pluvieuse. Une troisième se tient que souffle l’harmattan, ou Dabboudè. L’objectif est de fournir des produits contre les parasites aux animaux. La technique consiste à entrelacer des lianes sous forme de récipient à l’intérieur duquel on mélange la terre d’une termitière vivante à des lianes de Laka et des écorces de Goumbambè. Ces produits, dit-on, possèdent des vertus magiques sur le troupeau: la terre d’une termitière relève la reproduction tandis que l’écorce est un déparasitant. Après s’être occupé du bétail, les hommes se retrouvent dans les Gallè pour manger copieusement du maïs saucé au lait et au beurre de vache.

RÉSUMÉS

L’élevage, activité traditionnelle du Fouta-Djallon, a traversé une très grave crise pendant la Première République (1958-1984). Mais depuis la libéralisation du régime, les troupeaux bovins se

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sont reconstitués alors que les éleveurs conservaient généralement les pratiques anciennes : gestion d’une partie des parcours par le feu, faible surveillance des troupeaux. Dans un espace rural qui se transforme (exploitation maraîchère des bas-fonds, augmentation des friches dans les régions de forte émigration) cela conduit à des problèmes très divers de gestions sociale et environnementale qui ne sont que rarement pris en compte par les projets de développement.

The Renewal of Animal Raising in Fouta-Djalon: the Return of Tradition ? Animal raising, the traditional activity in Fouta Djalon, underwent a very serious crisis during the First Republic (1958-1984). But since the liberalization of the regime, cattle herds have been reconstituted although animal raisers generally keep to the old practices: scorching a part of the pasture lands, inadequate surveillance of the herds. In a changing rural setting (garden farming in the lowlands, increase in the amount of fallow land in regions of high rural emigration) problems of various social and environmental management have arisen that are rarely taken into account by those responsible for developmental projects.

INDEX

Mots-clés : cheptel bovin, conflit agriculteur-éleveur, Fouta-Djalon, gestion des parcours, Guinée, pastoralisme

AUTEUR

BANO NADHEL DIALLO Université de Konakri

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Rôle d’une ville secondaire dans l’organisation de son espace : le cas de Labé dans la région du Fouta- Djalon (République de Guinée)

Ibrahima Diallo

1 Dans son rapport final sur les villes de Guinée en 1983, la Direction Nationale du Plan et de la Statistique qualifie les villes du Fouta - Djalon de «véritables gros villages… qui incitent à redéfinir le concept de ville en République de Guinée». Peut-être déjà à cette époque Mamou et Labé, les deux villes les plus importantes de la région, échappent-elles à cette description ; l’une au centre des plateaux centraux, l’autre au sud du massif sur un des carrefours majeurs de la Guinée semblent être aussi celles dont les fonctions polarisent réellement les hommes et les activités de leur territoire. Mais elles sont encore peu peuplées: l’une comme l’autre ont moins de 25 000 habitants Depuis, en moins de 15 ans, la population de Labé a triplé, la ville du cœur du Fouta prenant l’ascendant sur sa rivale.

2 A priori plusieurs facteurs ont concouru à cet essor spectaculaire. L’avènement de la Deuxième République, en 1984, a permis le retour de la population peul, émigrée en particulier au Sénégal. La libéralisation économique a facilité le développement du commerce. Cette évolution spontanée a été appuyée par une politique nationale de développement des centres urbains secondaires, l’idée générale étant de rééquilibrer l’armature urbaine du pays par l’implantation d’infrastructures et équipements nécessaires dans les capitales régionales pour retenir les migrants dans leur région d’origine.

3 Dès lors, Labé parvient-elle à polariser sa région? Peut-on d’ailleurs, dans un pays en développement se contenter d’utiliser les outils classiques fournis par l’étude des services qu’offrent la ville, ses infrastructures et équipements et leur usage par la population régionale? En arrière plan demeure la question fondamentale, qui est de savoir si cette ville, du reste dynamique, sert simplement de relais à des flux et décisions exogènes où si c’est elle qui, dans les faits, joue le rôle de dynamisation dans

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une zone où les hommes et les activités sont pris dans l’engrenage du système d’une économie mondialisée. La croissance d’une petite capitale régionale : entre dynamisme et stagnation 4 On peut dater le développement des villes de Guinée à partir de la période coloniale car, avant, le pays offre le visage d’un territoire non urbanisé. La colonisation, ici comme ailleurs, a favorisé l’émergence d’une ville principale, Conakry, résidence du gouverneur de la colonie et principal port maritime, débouché de l’économie de traite, devenue à l’Indépendance, en 1958, capitale politique et économique. Conakry se développe alors rapidement mais draine alors un arrière-pays faiblement urbanisé. Naissance de l’agglomération de Labé 5 La ville de Labé a été fondée vers 17431 sur un vaste plateau vallonné. Le site devait abriter une grande mosquée construite non loin des trois principaux foyers religieux du Fouta Djalon : Sagalé, Koula et Jawya. Elle sera ensuite la capitale de la plus grande province de la région. Son site primitif est formé de quatre petits villages presque contigus : Dowsaré, Leysarè, Bowoun Loko et Bowoun Wolarbhè. La mosquée a été construite à Dowsaré, sur le plateau le plus haut.

6 Durant la période du Fouta théocratique (1768-1898), fondé sur la division de la société en classes, le voisinage de la mosquée est réservé à la famille régnante et à sa suite ; viennent ensuite la famille fondatrice, puis les autres nobles dans l’ordre décroissant de la hiérarchie sociale. Plus loin, s’installeront les étrangers, les affranchis, les hommes de castes et les serfs qui occupent le bas de l’échelle. Les Kaldouyanké, fondateurs de la ville et descendants de Karamoko Alpha2, s’installèrent donc aux alentours de la mosquée. La périphérie des villages servait de pâturage aux éleveurs kaldouyanké.

7 Au nom de l’Islam, les chefs du diwal (province) font la guerre sainte, ramènent du butin et des esclaves et assurent le peuplement rapide de l’agglomération. A son apogée la province de Labé atteint la Gambie, le Sénégal et la Guinée Bissau.

8 Après la mainmise française, le poste administratif et l’école de Labé sont construits à Kouroula en 1901 ; l’école a un effectif de 50 élèves en 1904. Les quartiers se forment rapidement autour de la mosquée, du marché et du centre administratif. Puis, se développent très vite la gare routière et les innombrables services (commerce, ateliers d’artisans et réparateurs) qu’elle génère. Le commerce de traite fait de Labé le centre de transit de la banane et des fruits de Guinée et de l’arachide du Sénégal. A la faveur de ce commerce de traite, le marché et la gare routière du centre ville débordent rapidement et se démultiplient à la périphérie sur les axes principaux. Elles fixent rapidement l’habitat mais, lors de l’Indépendance, Labé compte encore moins de 10 000 habitants. Les contrastes de l’évolution sous la Première République 9 L’analyse du tableau montre que l’évolution démographique de Labé se compose de 2 étapes qu’on peut résumer comme suit :

10 1 - De l’Indépendance à 1963, le premier plan de développement national correspond à une forte relance économique et sociale couronné d’un grand essor urbain. On construit à Labé d’importants équipements socio-collectifs ; le centre administratif et commercial, le poste de police, la douane et les résidences administratives. La construction de quatre ponts sur le Pounthiounwol, principal cours d’eau de la ville facilite les déplacements entre les quartiers de la ville. Cette période de prospérité entraîne l’extension du premier périmètre urbain qui déborde les limites des quartiers

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du centre pour englober à l’est les villages de Thindel et Konkola, au sud le centre administratif de Kouroula, à l’ouest et au nord-ouest les quartiers de Tata et Daka.

11 2 - Tout change à partir de la loi cadre du 8 novembre 1964. La loi-cadre interdit les activités et le commerce privés : l’Etat devient seul acteur légitime du développement. Durant les vingt années qui suivirent (1964-1984), le pays vit un état de crise. Les diverses réformes socio-économiques et politiques entraînent la suppression du commerce libre sur toute l’étendue du territoire national, l’établissement de l’impôt en nature, la “norme” tandis qu’à partir de l’agression du 22 novembre 1970 le climat politique devient délétère (crise peul des années 1975-80, par exemple).

12 Au cours de la période, toutes les formes de migrations sont interdites ; les déplacements de populations entre localités voisines sont strictement surveillés et ceux à grande distance sont prohibés. Les centres urbains sont systématiquement fermés et tout étranger arrivant dans un centre (urbain ou rural) doit être enregistré; il est suivi dans ses moindres déplacements et un rapport quotidien est fourni aux autorités de divers échelons.

13 Néanmoins la période se solde par un exode massif hors du pays. Bien que les statistiques de l’époque soient sujettes à caution, les chiffres montrent une évolution irrégulière de la population: l’immigration des préfectures de Tougué, Mali, Lélouma et Koubia compense plus ou moins la fuite des actifs vers le Sénégal, la Guinée ou la Gambie. Alors qu’à la même époque des villes moyennes d’Afrique occidentale comme Bouaké ou Thiès réussissent leur décolage, en Guinée, Labé, comme d’ailleurs les centres provinciaux se présentent encore comme de petites villes d’un vaste espace sous-urbanisé. L’expansion actuelle 14 A partir des années 1980, les sources démographiques se précisent : deux recensements généraux de la population et de l’habitation sont effectués, l’un en 1983 et l’autre en 1996. Les résultats montrent une forte croissance de la population urbaine et en conséquence, une rapide extension spatiale ces dernières années.

15 En 13 ans, la sous-préfecture de Labé-centre passe de 24 622 habitants. à 79 361. Certes, il y a difficulté à séparer ce qui est véritablement “urbain” dans la circonscription ou, par exemple, 12% des actifs déclarent encore une activité agricole. Mais, les limites n’ayant pas changé entre les deux recensements, le taux de croissance ainsi dégagé représente 5,1% par an, un des plus élevés de Guinée. Cependant, ce rattrapage, même rapide ne corrige que peu la sous-urbanisation persistante du Fouta : la population régionale reste rurale à plus de 85%.

16 Une vue panoramique de la ville à partir d’un point haut permet de distinguer plusieurs fronts d’urbanisation à travers la ville. Les fronts les plus dynamiques se trouvent le long des principaux axes routiers, en priorité sur l’axe bitumé Labé-Pita le long duquel la poussée urbaine est particulièrement accélérée. Le long des grands axes les terrains à bâtir font l’objet de nouveaux lotissements. Un examen de la délivrance des permis de construire délivrés par le Service régional de l’urbanisme et habitat, malgré la qualité très imparfaite de l’archivage, montre que la construction a surtout progressé à l’ouest dans les quartiers de Pounthioun et Tata, le long de la route de Conakry et du Sénégal et au nord, à Daka sur la route de Mali. Là se trouvent de vastes espaces plats et libres. Les quartiers péri-centraux de Kouroula et Konkola continuent à se densifier. Par contre, peu de permis de construire ont été délivrés pour le centre-ville.

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17 La croissance de Labé détonne dans un Fouta Djallon faiblement urba-nisé où les petits centres ne progressent que lentement, voire même perdent une partie de leur population. Cette croissance s’est appuyée sur la mise en œuvre du programme de développement des villes secondaires (PVS) qui commence par le renforcement des capacités de ces villes notamment en matière d’infrastructures de base. Pourtant les effets induits en matière de polarisation régionale restent encore mal élucidés. Comment mesurer l’influence d’une ville moyenne en Afrique ? 18 On peut mesurer l’influence d’une ville à partir de l’étude de trois phénomènes fondamentaux : l’ampleur des services rendus par la ville, l’organisation de son approvisionnement et son rôle dans les relations avec les autres villes. Les services de la ville. L’offre de modernité 19 En général les commodités de la ville, le commerce, l’administration, les services de scolarité et de santé figurent parmi les services prioritaires qui motivent les déplacements des populations. Les populations qui sollicitent les services de la ville parcourent des distances de rayons variables qui dessinent aussi des auréoles de déplacement autour de la ville. En général la distance de déplacement varie en fonction de l’équipement, de l’accessibilité et de la combinaison possible des affaires à traiter.

20 Un effort particulièrement important a été fait en matière d’éducation dans le cadre du Programme d’Ajustement Structurel de l’Education (PASE). Sa mise en œuvre a visiblement privilégié la capitale régionale. Si, en 1984, Labé détenait seulement 8% des lycées et collèges de la région, la proportion est montée à 25% en 1995. Sur les 26 établissements construits dans le Fouta Djallon pendant cette période, 11 l’ont été dans la capitale régionale. Ce déséquilibre, certainement voulu pour des raisons de rentabilisation des locaux et d’efficacité du personnel enseignant ont en retour drainé vers la ville tout un flux d’élèves. Une enquête menée dans les établissements montre sur un échantillon aléatoire de 600 élèves qu’un peu plus du quart des élèves des lycées et écoles professionnelles de la ville (28%) viennent des autres préfectures du Fouta, particulièrement de celles qui sont sous la dépendance directe de Labé, 12% viennent de Guinée maritime et de Guinée forestière ( généralement de familles originaires de Labé mais établies ailleurs) et encore 8% des pays voisins (surtout du Sénégal, de Côte- d’Ivoire, de la Sierra Leone et du Libéria ; ce sont le plus souvent des enfants d’expatriés). Au total, seuls 52% des élèves viennent de la commune urbaine où leur famille réside.

21 Le poids de Labé dans l’infrastructure scolaire a récemment été accentué par l’ouverture fin 2001 d’une Université, certes encore étroitement spécialisée dans l’informatique, mais amenée à se développer.

22 Le cas est apparemment moins flagrant en matière de santé. Mais ici aussi, l’examen des bulletins d’hospitalisation montre que 25 % des malades proviennent des autres préfectures du Fouta Djallon, notamment de Tougué, Koubia, Léloumé et Mali, c’est-à- dire de régions situées quelquefois à plus de 100 km. En fait, la proportion est plus importante mais les malades préfèrent déclarer l’adresse de leurs parents en ville.

23 Pour les services administratifs courants, c’est à Labé que les citoyens de Tougué, Koubia, Mali et Lélouma viennent faire établir leurs cartes d’identité et préparer leurs titres de voyage. Evidemment, chaque ville préfectorale dispose d’une justice de paix à compétence étendue et d’un commissariat central avec le personnel nécessaire; mais ces services sont peu sollicités, puisque la plupart des conflits sont traités à l’amiable

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dans le cadre traditionnel. Les cas d’effusion de sang et de vol (surtout à main armée), les seuls qui échappent à la justice traditionnelle, sont obligatoirement transférés à Labé. De la sorte, du point de vue des services de l’administration, Labé garde également la primauté dans l’ensemble régional.

24 Les services de jeunesse, des sports et loisirs, les PTT ne sont pas mieux répartis. Ce sont autant de services qui privilégient Labé par rapport au reste de la région. Ainsi se dessine une zone d’influence exercée dans la moitié nord du Fouta Djalon, tandis qu’au sud, l’influence de Labé se heurte à celles de Pita, pourtant plus petite et de Mamou.

25 Pourtant dans la sphère économique moderne, l’influence de Labé est plus vaste. Par exemple, dans le cadre bancaire, la succursale de la BICIGUI (la seule banque opérant à l’intérieur du pays) voit sa clientèle être répartie ainsi : 70% sont des résidents de Labé (surtout des commerçants, des artisans et des fonctionnaires), 9% sont établis à Tougué, Koubia, Mali et Lélouma, mais également 15% des clients viennent de Pita, surtout des commerçants, et même 2% de Koundara, à plus de 200 km, près de la frontière du Sénégal. Les sièges d’assurances et des agences de voyage (importantes, car les commerçants locaux se déplacent beaucoup) sont également concentrés à Labé, ce qui aboutit à renforcer le poids de la capitale régionale en même temps qu’il accentue le déclin des autres villes. L’alimentation de la ville : flux commerciaux et mutations rurales 26 Pour son alimentation quotidienne, le citadin de Labé recourt principalement aux marchés qui lui fournissent l’essentiel des denrées. Les animaux de boucherie, les céréales, les tubercules, les fruits et légumes de consommation courante viennent des marchés hebdomadaires ruraux qui assurent l’essentiel de l’approvisionnement. En complément de ces produits, généralement récoltés dans les champs et les tapades, les citadins participent de plus en plus à la production maraîchère autour des villes de la région.

27 L’approvisionnement de Labé à partir des marchés s’effectue à travers des auréoles de spécialisation dont l’organisation et le fonctionnement dépendent directement des acteurs et de la demande de la ville de Labé. En contrepartie, l’essentiel des marchandises importées arrive jusqu’aux populations rurales à travers des faisceaux d’échanges organisés par la ville. Dans l’ensemble, on peut structurer l’espace d’approvisionnement et de services rendus de la ville de Labé en trois auréoles .

28 La première auréole figure l’essentiel de la vie quotidienne des citadins dans leur espace de vie ; elle compte les petits marchés ruraux qui assurent l’approvisionnement quotidien de la ville. Ceux-ci sont situés dans un rayon d’une trentaine de kilomètres et représentent le premier point de vente des produits agricoles. , , Kalan, Daralabé, Garambé, Popodara ouvrent une fois par semaine et sont fréquentés par les femmes commerçantes, les dioula moussou qui travaillent le plus souvent dans tous les registres du commerce, depuis le micro-détail jusqu’au semi-gros et sont particulièrement bien adaptées à ces marchés de récupération.

29 La deuxième zone d’influence de Labé englobe la précédente et s’étend jusqu’aux grandes zones d’élevage nord et aux grands marchés régionaux comme Sarébhoïdho, à plus de 200 km. En matière d’échanges, elle fournit l’essentiel des produits secs non périssables (les céréales surtout) et une partie des produits du cru en provenance des autres régions ainsi que certaines marchandises importées.

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30 La troisième zone d’attraction de Labé dépasse 150 km en moyenne. C’est l’aire d’attraction régionale qui concerne principalement les échanges des niveaux supra- régional et international. Elle mobilise des acteurs à haut niveau de responsabilité et d’implication dans l’ensemble de l’économie. Il s’agit de la sphère des produits régionaux complémentaires, du bétail, du commerce supérieur et des services rares.

31 L’urbanisation de Labé, la croissance de la demande et l’augmentation du pouvoir d’achat des citadins ont conduit à une restructuration de l’espace rural dont un des signes les plus visibles est l’aménagement maraîcher des bas-fonds.

32 Ce créneau a été favorisé par l’action des coopérations étrangères institutionnelles ou des ONG qui encadrent les associations de producteurs depuis la fourniture de semences jusqu’à l’écoulement vers les marchés urbains. Dans la mesure où il s’agit d’une filière actuellement très rentable, d’autres acteurs s’y sont investis. Dans le secteur commercial, les dioula moussou sont désormais concurrencées pas les commerçants transporteurs de la ville et, d’autre part par les groupements de producteurs qui essaient de contrôler l’aval de la filière. Mais des modifications sont également sensibles au niveau de la production : attirée par ce créneau porteur, on assiste à la montée de l’initiative privée, celle des citadins apportant des ressources financières et usant de leurs relations pour obtenir des terres à proximité des ressources en eau. Les fonctionnaires et les commerçants de la ville sont devenus les principaux acteurs de la filière, au moins dans l’auréole proche de la ville.

33 Cette mutation montre bien sûr que la proximité des centres urbains consommateurs est un facteur déterminant et que l’agriculture est capable de s’adapter rapidement pour faire face à la demande. Cependant le maraîchage reste une activité limitée dans l’espace car les bas-fonds sont peu nombreux, les conditions hydrologiques précaires, les conditions d’exploitation limitant les espaces maraîchers à des ceintures urbaines, des bandes le long des grands axes routiers et la périphérie des marchés ruraux actifs. C’est peu, mais cela correspond à la faible capacité d’absorption par le marché pour ce type de produits; l’expansion est réduite par suite de la faiblesse de la demande solvable.

34 Si l’influence directe de Labé reste limitée en ce qui concerne les produits du maraîchage, l’auréole d’approvisionnement s’étend plus loin pour d’autres types de produits moins périssables ou de moindre valeur. Ceci est conforme dans une certaine mesure aux lois de von Thünen et s’applique bien pour l’approvisionnement en bois de feu. On peut estimer, sur la base d’une consommation quotidienne de 1,4 kg/hab./an, en moyenne en Afrique de l’Ouest, que la demande de la ville est de l’ordre de 80 tonnes de bois par jour.

35 Deux bassins d’approvisionnement existent, fortement structurés par la route qui les traverse. Le plus important est celui de Dionfo, sur la route de Tougué; le second est celui de Sarékali, sur la route de Mali. L’un et l’autre se trouvent à une distance d’une quarantaine de kilomètres de Labé. Tout commerce cesse vers une soixantaine de kilomètres. La filière est tenue par des commerçants grossistes en bois et charbon propriétaires de vieux camions dits “gaz modifié”: véhicules chinois ou soviétiques, ils ont assuré le transport pendant toute la période du commerce d’Etat sous Sékou Touré. Réformés au profit des chauffeurs et des citoyens influents de l’époque, ils trouvent là leur dernière utilité. L’examen de la structure des prix montre que la filière est peu rentable: le commerçant ne s’en sort qu’en utilisant le camion au retour vers Labé pour le bois mais aussi à l’aller pour le transport du ciment, des tôles, et autres matériaux de

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construction vers les marchés plus importants de la périphérie de la préfecture comme Dionfo ou même au-delà comme Yambéring.

36 On se trouve là aux limites de l’influence commerciale directe de Labé. Au-delà se trouve la zone d’intervention d’un certain nombre de gros commerçants de Labé, qui s’articule autour des marchés importants. Dans un rayon de 70 à 80 km autour de Labé, 40 marchés de niveau intermédiaire animent l’espace des préfectures. Mais les commerçants de Labé n’y détiennent pas toujours une position dominante. La démonstration est faite de façon exemplaire par le marché de Timbi Madina. Ce marché a une existence ancienne, consolidée par la colonisation française, mais sa véritable expansion date de 1984. S’il est le principal fournisseur de produits agricoles pour Labé, il dispose également d’une très grande autonomie liée au dynamisme de ses familles commerçantes. Celles-ci disposent de leur propre réseau qui leur permet de s’approvisionner directement à Dakar ou Conakry. Bien qu’il s’agisse encore d’un marché hebdomadaire, c’est un des plus grands marchés de toute la Guinée: 160 boutiques, près de 5000 personnes en moyenne fréquentent le marché du dimanche. Enfin, la petite ville qui compte déjà 36 000 habitants, est le siège de la Fédération des Paysans du Fouta - Djalon ; constituée d’abord autour de la culture et de la commercialisation de la pomme de terre, elle envoie ses produits dans toute la Guinée.

37 Tous les marchés régionaux n’ont pas le dynamisme de Timbi Madina, et si l’influence de Labé reste généralement dominante, elle est loin d’être exclusive. A plus forte raison entre 150 et 200 km à la ronde, le Fouta - Djalon compte plus de 20 marchés de niveau supérieur dont la zone d’influence déborde la région et s’imbrique aux autres villes régionales et les pays voisins. Ici, les origines/destinations des transporteurs et commerçants présents dans les marchés régionaux, non seulement n’affichent pas une proportion dominante des acteurs de Labé, mais aussi, les produits de la région y sont en minorité. Les villes du nord (Gaoual et Koundara) sont sous l’influence marquée de la Sénégambie, celle de l’est (Dabola) dépendent de Kankan et celles de l’ouest (Dalaba et Mamou) appartiennent déjà à la zone d’attraction de Conakry. La maîtrise de la route 38 Ces grands commerçants qui disposent des capitaux nécessaires pour le commerce de gros s’appuient sur deux atouts logistiques fondamentaux: la capacité de stockage et surtout la capacité de transport par camion. Tous ces grossistes regroupés à la Chambre de Commerce Régionale sont des commerçants transporteurs, ce qui fait leur originalité et leur force dans la région et au délà. L’Union Nationale des Transporteurs Routiers dans laquelle ils se regroupent en compte 105 à Labé, pour une flotte de poids lourds qui doit avoisiner 200 unités. Sur le plan régional les transporteurs de Labé détiennent la moitié des camions de la région (40% en 1992) et à peu près autant de taxis-brousse (30% en 1992). Joints aux transporteurs de Pita (qui viennent en seconde position avec environ 25% et 34% respectivement) auxquels ils louent souvent leur véhicules, ils constituent un bloc monopolistique qui dirige l’essentiel des activités de négoce de la région.

39 Ainsi, on peut distinguer des formes différentes d’influence. L’une que l’on pourrait qualifier de directe correspond à l’aire d’approvisionnement de la ville, animée par des flux commerciaux importants même s’ils sont assurés par un très grand nombre de personnes. C’est aussi une zone de service dense où les gens viennent à la ville pour régler leurs affaires de façon régulière. Cette zone est très réduite en ce qui concerne Labé : on peut estimer son rayon à une soixantaine de kilomètres maximum, sauf au

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sud, où l’influence de Labé se heurte à la concurrence de Pita, agglomération bien plus petite. Au-delà se trouve une zone d’influence diffuse, quelquefois même fictive tellement les flux sont ténus et irréguliers. Elle s’appuie d’une part sur la structure administrative, d’autre part sur les échanges menés par les grands commerçants dans des marchés lointains.

40 Mais c’est oublier ce qui fait peut être la spécificité de Labé, et probablement d’autres villes africaines, l’activité commerciale, menée par et dans le cadre de larges familles et s’appuyant sur des membres implantés dans les grandes villes nationales et étrangères. Elle est issue mais aussi alimente la diaspora peul et se focalise d’abord sur la capitale du Fouta - Djallon. Classe commerçante et diaspora. Familles et filières commerçantes 41 Le commerce à Labé est une affaire de famille. «Partout on nous harcèle, …, si l’on veut les défier et réussir nos affaires, nous devons les monter en famille», déclare en substance un grand commerçant. On peut le montrer assez facilement pour le cas de filières commerciales bien circonscrites comme celles de la farine, de la tôle et du ciment. La vente de ces produits est encore très réglementée puisque l’offre ne doit pas souffrir de rupture de stock ou de détérioration de la qualité. Pour ces raisons (et bien d’autres encore), la commercialisation de ces produits s’effectue à travers des filières organisées de l’amont à l’aval. Elles sont organisées de la même manière partout. Les grossistes import-export résident à Labé-ville, se chargent de l’importation et de la répartition entre les préfectures où les représentants aux divers échelons de la filière distribuent la marchandise en fonction de la demande des préfectures où la dotation est gérée par des commerçants agréés, représentants locaux de la filière. Les représentants aux divers échelons se chargent de la vente sur place, de la récupération des fonds et de leur expédition à Labé.

42 Tous les acteurs sont importants dans la filière. Pour la farine par exemple, le président de la Chambre régionale de commerce, grand commerçant Import-Export, est le chef de la filière. Il est le fournisseur agréé de farine aux commerçants des préfectures de Pita, Labé, Lélouma, Koubia, Mali et Tougué3, rôle qu’il assumait durant la Première République. Ceux-ci ont des liens de parenté plus ou moins étroits avec le commerçant grossiste, chef de la filière et résident à Labé : ses fils, ses neveux, éventuellement des membres plus éloignés de son clan, amis avec lesquels se sont tissés des liens matrimoniaux.

43 Mais ce parallélisme entre réseaux commerciaux et réseaux familiaux existe dans toute la classe commerçante du Fouta. De ce fait le commerce de Labé s’appuie sur l’emigration mais aussi l’alimente. Il s’appuie sur elle parce que les émigrés du Fouta constituent des colonies commerçantes dans toutes les villes de Guinée et des pays voisins. Ainsi une étude sur l’emploi urbain effectuée en 1990 par la Banque Mondiale dans les 5 premières villes de Guinée, montre que les originaires du Fouta détiennent à cette date, 57% des entreprises commerciales de Conakry, 19% de celles de Kankan, 58,2% de celles de Kindia et, bien sûr, plus de 95% de celles de Labé et Mamou. Les originaires du Fouta sont les principaux acteurs de l’ensemble des marchés4 du pays puisqu’ils dépassent en nombre, sans exception, les commerçants originaires des régions où se tiennent les marchés : ils représentent 49% en Guinée Maritime, 88% au Fouta, 47% en Haute Guinée et 58% en Guinée Forestière.

44 Mais ils alimentent aussi la diaspora, car malgré sa croissance récente, Labé est une ville marquée par un très fort pourcentage de résidents absents.

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Migration et population urbain 45 L’enquête concession/ménage du recensement général de la population de 1996 montre qu’à Labé 20% des chefs de ménage sont des femmes (ce qui signifie le plus souvent que leur mari est absent) et que plus de 40% des maisons sont vides ou en location, leurs propriétaires se trouvant dans d’autres villes du pays ou à l’étranger. Ce sont deux quartiers du centre (Mairie et Doghora) et trois de la couronne péricentrale (Kouroula, Tata et Daka) qui sont les plus touchés par les départs.

46 A l’intérieur du territoire national, Conakry est la destination de loin la plus importante suivie par les autres villes de Guinée où l’ordre est Gueckédou (pendant longtemps le plus grand marché de Guinée), N’Zérékoré, Kankan, Kérouané et Kissidougou. On peut difficilement comptabiliser l’émigration vers les pays voisins, mais d’autres enquêtes montrent que Dakar est encore une destination très importante et qu’elle a été prépondérante pendant la Première République, bien avant Banjul ou Bissao.

47 Au Fouta - Djalon la migration est un phénomène courant à tous les âges. La migration des enfants qui découle de la délégation des rôles de parents biologiques vers d’autres parents, amis et alliés est la première, mais n’en est pas la moindre puisqu’elle initie déjà l’enfant à ce qui sera un de ses principaux comportements. Elle est de nature et de durée variables selon les situations et les raisons qui motivent la délégation. Les raisons les plus courantes sont les raisons sociales (éducatives en particulier, d’entraide et d’équilibre entre les divers membres ruraux et urbains comme les multiples types d’aides familiaux) et économiques (apprentissage à un métier). La toile de fond reste que cette première migration en prépare toujours une autre, souvent consensuelle puisque dans la famille il y a ceux qui restent et ceux qui partent ailleurs à la recherche de ce qui manque à l’ensemble.

48 Durant leur activité, les Peul vont chercher du travail dans les autres régions et les pays voisins. Puis, ils retournent chez eux passer le temps de la vieillesse avec les leurs. Etant donné que les hommes sont traditionnellement les plus touchés par l’émigration, ici, le poids social et économique du migrant de retour se mesure au nombre de maisons et de véhicules qu’il possède d’une part, les affaires et les sommes qu’il brasse d’autre part. Les migrants de retour, toutes préfectures confondues, choisissent Labé comme première résidence. Leur choix s’explique d’abord parce qu’ils y ont construit une ou plusieurs maisons durant leur période de migration. Le choix s’explique aussi par leur activité. L’ouverture du pays en 1984, a été vivement saluée par de milliers d’anciens émigrés ayant hâte de revenir investir au pays natal. Le commerce, l’immobilier et les petites et moyennes entreprises, mais plus rarement l’agriculture et l’industrie, sont les secteurs d’investissement de ces migrants de retour.

49 L’étude précédente sur les cycles de vie montre que le commerce et les affaires constituent, sinon les seules, du moins les deux principales activités des migrants de retour : 70% contre 25% d’artisans et 4% de fonctionnaires en retraite.

50 Labé polarise-t-elle sa région? De toute évidence assez mal. Son influence directe ne dépasse guère une soixantaine de kilomètres, strict nécessaire pour la satisfaction des besoins primaires d’une ville de 80 000 habitants. Le reste du Fouta - Djallon reste peu animé par la ville par l’intermédiaire des réseaux hiérarchiques de l’administration ou l’activité de quelques gros marchés.

51 Ceci reflèterait la situation de n’importe quelle petite ville d’Afrique occidentale sans deux caractéristiques : le dynamisme des commerçants qui ont structuré leur activité

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autour de réseaux familiaux et la très forte mobilité qui affecte les populations du Fouta Djallon en général et celles de la préfecture de Labé en particulier.

52 Les deux phénomènes sont liés et historiquement datés. Ils commencent dans la dernière décennie de la colonisation lorsque les grandes familles peul recentrent leur activité dans le commerce tandis que commencent les migrations vers les villes et le Sénégal. Les crises de la Première République portent un coup d’arrêt à la croissance de Labé, et provoquent l’émigration massive des habitants du Fouta Djallon vers Dakar, Banjul et Bissao où beaucoup développeront leur activité commerciale. A partir de 1984, la libéralisation de l’économie et le retour d’une partie des migrants permettront l’émergence d’une classe commerçante active et puissante qui dispose de bons relais à l’étranger.

53 Dès lors, l’influence de Labé se mesure aussi à l’intensité des flux de biens et de personnes qui la lie aux grandes villes de Guinée, d’Afrique de l’Ouest, voire d’Europe ou des Etats-Unis; en quelque sorte à l’animation des îlots d’un archipel des Peul de Labé.

NOTES

1.- Archives régionales. 2.- Karamoko Alfa mo Labé, car il y a aussi Karamoko Alfa de Timbo, ancêtre de la lignée des Alfaya, l’une des deux familles régnantes du Timbo. 3.- Les préfectures de Gaoual et Koundara s’approvisionnent à partir de Dakar et Banjul. Quant aux préfectures de Dalaba et Mamou, elles se ravitaillent à partir de Conakry tandis que Gaoual et Koundara s’approvisionnent au Sénégal et en Guinée Bissau. 4.- L’USAID Conakry a effectué des enquêtes dans 9 villes marchés de Guinée où les résultats montrent partout, la supériorité numérique des ressortissants peul. Ce sont en Guinée Maritime : Bangouyah, Waléah et Kounkouré ; au Fouta, Timbi Madina et Porédaka ; en Haute Guinée, Tokounou et Faranah et en Guinée Forestière, Gueckédou et Yendé Millimou.

RÉSUMÉS

Labé, capitale ancienne du Fouta - Djalon, est devenue une ville moyenne de 80 000 hab. Et connaît une forte croissance. La polarisation de la région est très imparfaite mais les acteurs les plus importants se regroupent au sein d’une classe de commerçants-transporteurs très active. Les échanges, débordant des frontières et s’appuyant sur une diaspora ancienne établie dans les

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villes de Guinée et les capitales d’Afrique occidentale, portent l’influence de la ville bien au delà du territoire guinéen et contribuent fortement à la croissance de la ville.

Role of a Secondary City in the Organization of its Space: The Case of the Fouta Djalon Région, Guinean Republic. Labé, the former capital of Fouta Djalon Région, has become a medium-size city of 80 000 inhabitants. And it is experiencing sharp growth. The polarization of the region is very irregular, but the most important participants are found at the heart of a very active class of merchants and transportation people. Business transactions, overflowing frontiers and based on an old diaspora long established in the cities of Guinee and the capitals of Western Africa, carry the influence of the city well beyond Guinean territory and contribute greatly to the growth of Labé.

INDEX

Mots-clés : centre urbain secondaire, diaspora, Fouta-Djalon, Guinée, marchés, zone d’influence

AUTEUR

IBRAHIMA DIALLO Université de Conakry, département de Géographie - F.L.A.S.H

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Problèmes fonciers et environnement en Guinée forestière

Jean-Etienne Bidou et Julien Gbéré Toure

1 En Guinée forestière, la guerre civile libérienne, qui s’est étendue quelques années plus tard à la Sierra Léone a déversé sur les régions frontalières plusieurs centaines de milliers de réfugiés. Cet afflux de population s’ajoutant à une croissance naturelle élevée a réveillé la vieille peur du déséquilibre entre les besoins soudain amplifiés et les ressources limitées par un milieu fragile. De fait, l’accroissement de la pression démographique, dans un système d’agriculture sur brûlis tel qu’il est pratiqué en Guinée forestière risque d’entraîner des dégradations environnementales sérieuses. Le raccourcissement des durées de jachères a été décrit dans son contexte historique et social1 de même que les empiètements des villageois sur des forêts classées, quelquefois même des réserves mondiales de la Biosphère comme au mont Nimba2 et au Ziama.

2 Cependant bien qu’il soit logique, le lien entre accroissement de la population et dégradation du milieu n’est pas pour autant mécanique. S’interpose tout le système social et en particulier les conditions d’accès à la terre. Or, de ce point de vue, la Guinée Forestière, comme d’ailleurs de très nombreuses régions d’Afrique, est en train de connaître des mutations considérables. La terre qui, dans l’économie ancienne, était une ressource utilisée pour la reproduction du groupe devient, dans une économie de plus en plus marchande, une richesse faisant l’objet d’une capitalisation. Dans ces conditions, il est nécessaire de préciser la nature des mutations foncières et ses conséquences sociales et environnementales. Inégalité foncière et types d’exploitations : exemples en Guinée ForestièreLa communauté rurale : un mythe ? 3 Depuis 1984, un certain nombre d’enquêtes agricoles ont été menées en Guinée Forestière. L’impression qui en ressort est celle d’une très grande homogénéité des systèmes agraires.

4 Quelle que soit la diversité ethnique ou la densité de population, et même la taille ou l’ancienneté des villages, les finages villageois s’organisent tous à peu près de la même façon. Le village est massé, isolé dans une ceinture arborée, qu’il s’agisse d’un bois

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sacré, d’arbres d’ombrage des plantations caféières de l’époque coloniale ou de vergers de colatiers ou de bananiers.Au-delà, les champs de coteau défrichés pour la culture du riz pluvial sont dispersés dans des jachères forestières à divers stades de recrû. Comme, lors des défrichements, on respecte les arbres utiles et en particulier le palmier à huile, dans les régions les plus anciennement peuplées on a abouti à des paysages de palmeraies à mosaïque de cultures et de jachères. Les bas-fonds étaient autrefois peu cultivés, et seulement par les femmes pour cultiver les légumes ou le riz de contre- saison. Ils sont devenus une part importante de la production agricole du fait de l’extension de la riziculture inondée. Cette organisation des finages en auréoles se retrouve chez les Toma au nord, les Kpéllé au centre, les Manon au sud ou les Kono à l’est et participe de la relative parenté culturelle de ces ethnies de Guinée Forestière.

5 Plus surprenante est l’homogénéïté des exploitations agricoles à l’intérieur d’un même village3. Que ce soit en pays Kono (à Lola), en pays Toma (à Sérédou), les exploitations agricoles sont basées sur la riziculture de versant. Les champs sont généralement semés en riz la première année, en maïs et manioc la deuxième, et mis en jachère la troisième année. S’ajoutent les plantations pérennes, soit intégrées au marché moderne du café, du cacao, soit à l’autoconsommation et aux échanges plus traditionnels comme la cola. Depuis une dizaine d’années les agriculteurs ont ajouté une parcelle de riz dans les bas- fonds tandis que les raphiales naturelles sont entretenues et même replantées en raphia afin de spécialiser les parcelles.

6 Tout au plus peut-on relever un début de différenciation sociale4 : l’inégalité, lorsqu’elle existe, commencerait dès que la couverture des besoins alimentaires familiaux est assurée. Si c’est le cas, les exploitants peuvent utiliser leurs surplus de trésorerie pour engager des ouvriers agricoles et augmenter leurs superficies dans les domaines actuellement les plus productifs : les cultures de rente et la riziculture de bas fond. Il est vrai qu’en l’absence de mécanisation les différences ne peuvent qu’être limitées aux effets induits par la taille des familles et le nombre d’actifs disponibles et évidemment à l’emploi d’une main d’œuvre extérieure à l’exploitation.

7 Cela ne peut manquer de surprendre dans la mesure où ces sociétés forestières n’étaient guère égalitaires au siècle dernier. Avec quelques nuances selon les ethnies, elles se divisaient en trois grands groupes: guerriers, hommes libres cultivateurs et captifs. Au sein d’une même catégorie, il existait une hiérarchie de fait entre les lignages. Il est fort possible que la colonisation française puis le régime de Sékou Touré aient effacé ces distinctions mais on peut craindre que derrière l’idée d’une faible différenciation sociale passe, la faible connaissance des sociétés actuelles de Guinée Forestière, référence à une société précoloniale égalitaire, dont le mythe, très largement accepté auparavant, a été entretenu par Sékou Touré5. Dès lors l’ouverture au marché et la marchandisation de l’économie seraient les outils de la dynamique de la stratification sociale.

8 Il faut noter cependant que ces enquêtes agricoles sont essentiellement le fait de spécialistes de l’économie rurale. Attentifs à la production agricole, ils s’intéressent essentiellement à la superficie cultivée, aux résultats de l’exploitation et aux ressources des familles. Mais c’est faire peu de cas des conditions de reproduction du système, qui est fondamentalement celui de la défriche-brûlis. Dans ce contexte, il est indispensable d’intégrer dans le calcul de la superficie des exploitations, les terres de réserve, les jachères, les friches et même pour les plus anciennes, les forêts, qui règlent la longueur de la jachère et donc les conditions de régénération de la fertilité. Peu d’études le font,

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au mieux la proportion des terres cultivées et des terres en friche sur l’ensemble des terroirs villageois (75% à Lola par exemple) sont évaluées comme si les terres après avoir été cultivées revenaient dans une sorte de bien commun géré par la collectivité. Ce n’est pourtant pas le cas, au moins depuis quelques décennies, en Guinée Forestière où les maîtrises foncières sont désormais familiales et non lignagères ou villageoises. Terres de réserve et inégalité foncière 9 Si l’on comptabilise les terres de réserve dans la superficie des exploitations agricoles, la distribution révèle, dans ces conditions, une forte inégalité. A Nonah6, en préfecture de Yomou, des enquêtes menées en 1996 avaient montré que 10% des chefs d’exploitation détenaient la moitié des terres du village. Les densités de population dans cette partie du pays manon étaient plutôt faibles (20 hab./km2), encore qu’une partie du finage villageois ait été amputée par le classement de la forêt de Diéké. Cette inégalité se retrouve à Kokota, où elle est à peine un peu moins forte : 16% des exploitants ont la maîtrise foncière de la moitié des terres du village ; à peine 4% en détient le quart. Ici, il s’agit d’un village très peuplé du pays Kono, à une quinzaine de kilomètres de Lola. Les densités de population atteignent 60 hab./km2 et ont baissé depuis une quinzaine d’années, traduisant la saturation des terroirs ou l’attraction de la ville de Lola.

10 Dans les deux cas, la taille de ces réserves foncières conditionne évidemment la durée des jachères et, semble-t-il, les choix agricoles. Une classification automatique traitant l’affectation des terres dans l’exploitation, la superficie totale, et les données démographiques des unités de production (population totale et population active) permet de distinguer 6 classes d’exploitation. Ici encore on trouve une forte ressemblance avec les données des deux enquêtes menées à Nonah et à Kokota. On montrera ceux de Kokota.

Un faible nombre de grandes exploitations 11 On a coutume de désigner les chefs de famille comme des “anciens”. Ce n’est pas toujours le cas, car on peut arriver à ce statut à un âge relativement précoce. Ainsi un tiers des chefs des grandes exploitations a moins de 35 ans. L’âge rejaillit sur leur situation familiale et sur l’affectation des terres. Leur famille n’est pas encore très nombreuse : une quinzaine de membres en comptant les dépendants. Ils n’ont qu’une femme et des enfants en bas âge. Leurs champs de coteau ne sont pas très vastes;

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certains n’en ont pas du tout. Ils possèdent peu de caféiers, un peu moins que la moyenne alors qu’ils disposent de réserves forestières et de friches importantes. Par contre l’exploitation des bas-fonds serait impressionnante s’ils la réalisaient eux- mêmes : près de 7 ha en riz. En fait, riches en terres, ils en ont cédé une partie, opération dont ils en tirent un double avantage : des revenus monétaires que leur procure la location et un aménagement des bas-fonds qu’ils ne sont pas obligés d’exécuter eux-mêmes. Certains, ayant fait accomplir ces travaux, prennent de la main- d’œuvre sous contrat journalier et se comportent comme de véritables entrepreneurs.

12 Les autres grands exploitants sont plus âgés. Ils se distinguent essentiellement par leur choix techniques. La classe 2 est peu nombreuse; elle est constituée par des chefs de large famille (21 personnes en moyenne) où les actifs sont nombreux. Ils ont fait le choix de défricher une partie de leur vaste domaine pour planter des caféiers et sont à la tête de plantations importantes pour la région (6 ha). Le deuxième point fort de leur exploitation est le bas-fond, comme pour la classe précédente (5,3 ha).

13 La classe 3, également peu nombreuse est aussi plus âgée (55 ans). Les familles sont moins nombreuses, une partie des enfants s’ est mariés et a quitté la concession ce qui réduit le nombre des actifs. Ces exploitations se caractérisent par leur vaste superficie (plus de 25 ha) où se pratique l’agriculture sur brûlis la plus traditionnelle ; mais les champs restent d’une superficie peu importante car les besoins vivriers familiaux sont restreints. Ces agriculteurs ont planté des caféiers, mais moitié moins que pour la classe précédente. Il n’y a pas ou peu de riziculture de bas-fonds, sans doute parce que la nécessité ne se fait guère sentir. Il s’agit là apparemment de la classe la plus traditionnelle des agriculteurs : ceux qui n’éprouvent pas le manque de terre et que des besoins monétaires restreints n’ont pas contraint à évoluer. C’est donc, bien sûr dans cette classe que les réserves de terre sont les plus importantes.

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14 Ces trois classes représentent moins de 20% de l’échantillon mais disposent de 50% de la superficie, jachères forestières comprises. Une majorité de petites exploitations 15 80% des exploitations ont moins de 6 ha au total. Mais beaucoup ont élaboré des stratégies qui leur permettent d’atténuer le manque de terre, à tel point d’ailleurs que l’agriculture proprement dite apparaît souvent comme une activité complémentaire dans les ménages.

16 a - Les plus jeunes représentent la moitié du village (classe 4). Ils connaissent la difficulté d’avoir peu de main-d’œuvre, généralement deux actifs (le couple d’adultes) et un nombre varié d’enfants en bas-âge qui constituent une charge souvent lourde. La superficie de leur exploitation est réduite (moyenne 3,4 ha), la moitié en jachère, ce qui ne leur assure au mieux qu’une rotation d’un an sur deux, largement insuffisante pour régénérer la fertilité des champs. Ils en sont arrivés à une alternance de cultures de versants, cultivés de la façon la plus habituelle sur deux ans : riz la première année, maïs et manioc la deuxième puis mise en jachère pour deux ans. Pendant ce temps, ils dépendront de la riziculture de bas fonds, mais sur des superficies assez réduites (0,8 ha), pas davantage à cause du manque de main-d’œuvre. L’agriculture sur ces exploitations couvrira donc tout juste les besoins familiaux.

17 Les hommes sont obligés de trouver ailleurs l’argent qui leur manque en étant artisans, grimpeurs de palmiers ou fabricants d’huile de palme, ouvriers agricoles employés à la tâche par des propriétaires plus gros. D’une façon générale, les revenus de leur seconde activité leur permettent de louer des bas-fonds pour la culture du riz, lorsqu’ils n’ont pas de rizière en propre.

18 Peu se plaignent de leur sort, et lorsqu’ils le font, c’est pour regretter les injustices dont ils sont victimes sur le plan des partages fonciers.

19 b - La classe 5 se signale par des familles extrêmement nombreuses. Il s’agit en fait de familles élargies où le partage des terres n’a pas été effectué et où plusieurs frères vivent ensemble. Ce choix est le moins mauvais lorsque le bien du père n’était pas suffisant. La taille de la famille est donc importante (29 personnes en moyenne) et les actifs nombreux. Ils ont donc développé encore plus les stratégies précédentes où il s’agit de réunir des revenus monétaires. Leur richesse est finalement leur nombre, et elle est sensible tant qu’ils trouvent des terres en location et sont capables de mobiliser des revenus extérieurs. Alors, ils louent de vastes bas fonds pour vendre les surplus de riz.

20 c - Les plus âgés constituent la classe 6; leur situation est assez satisfaisante avec une moyenne d’âge élevée (61 ans), une famille réduite par le départ des enfants (7,4 membres) et peu d’actifs. Ils se distinguent de la classe 2 par des domaines restreints (5,5 ha en moyenne). Comme pour la classe 3, ils ont planté des caféiers sur leurs terres de versant, conservent un champ plus ou moins grand mais ne disposent plus de beaucoup de réserves de terre. Pour cette raison, ou pour d’autres, ils exploitent leurs bas fonds en rizières.

21 Cette situation semble relativement nouvelle. L’enquête de Niehen, village kpélé étudié en 19557, décrivait une situation où il n’y avait pas de compétition dans le partage de la terre, “chacun ayant droit à son lopin dans la mesure où il peut l’exploiter”. L’origine de l’inégalité : mutations sociales et transition foncièreLignages et répartition foncière

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22 La plupart des villages de Guinée Forestière, quelle que soit l’ethnie, comptent plusieurs lignages, dont un généralement dominant. Ces villages sont relativement anciens même s’ils ont changé plusieurs fois de site. A Niehen par exemple8, la fondation du village actuel remonte au milieu du XIX; il était alors entouré de fortifications. Mais l’origine du village est plus ancienne; le site original était un piton, incommode mais adapté à la défense. Ces villages ont connu plusieurs phases d’installation : une première ancienne d’agriculteurs-chasseurs, rejointe plus tard par des clans guerriers qui se sont généralement imposés comme chefs. Mais les anciens occupants, comme d’ailleurs souvent en Afrique, ont gardé une partie de leur autorité: ils conservent encore des fonctions religieuses et c’est généralement chez eux que se recrutent les zohomou, à la fois guérisseurs, sorciers, maîtres des masques traditionnels, organisateurs de l’initiation et membres influents du ton, conseil et tribunal du village. Enfin, attirés par le prestige de certains chefs, de nouveaux habitants se sont installés, soit comme cultivateurs, soit comme guerriers9.

23 La répartition du pouvoir politique entre lignages est assez variable et les différences entre ethnies peuvent être sensibles, mais il ne semble pas que cela ait donné naissance à des différences dans les attributions foncières, au moins à l’origine. A Niehen, la famille la plus ancienne, les Monémou, a accueilli d’autres familles. De ce moment date l’affectation des terres, chaque grande famille ayant reçu son lot dans un secteur déterminé. La distribution est radiale commandée par les chemins issus du village et le long duquel se déploient les champs. A Niehen en 1955, il n’y avait pas de compétition pour le partage des terres.

24 A l’heure actuelle, il n’existe que peu d’inégalités entre les lignages villageois quant à l’extension des maîtrises foncières. Ainsi à Kokota, en pays manon, le lignage majeur est celui des Doré qui forme près de la moitié de la population du village, davantage même si l’on y agrège celui des Lolamou, branche des Doré revenue de Lola. Les Sönömou (et leur version en langué malinké, les Kourouma) sont le lignage local, rejoint par les Doré au milieu du XIXe siècle. Les Gbamou (ou en malinké les Sagno) font aussi partie des lignages importants. Mais les différences entre les superficies des tenures foncières (jachères comprises) des unités de production des différents lignages ne les distinguent guère: de 4,5 à 8,5 ha en moyenne. Seuls quelques individus se signalent par de très faibles superficies, d’ailleurs obtenues à titre précaire: ce sont des neveux des lignages majeurs ou leurs descendants. Venus s’établir au village auprès de leur oncle maternel, ils ont bénéficié à ce titre de terres à cultiver mais ont été écartés des héritages. Ceci est conforme à la tradition, durement respectée dans la période actuelle de tensions foncières.

25 Sans pouvoir encore généraliser à toute la Guinée Forestière, il semble donc que l’inégalité soit postérieure à la délimitation des territoires lignagers. Quels qu’ils soient, guerriers, agriculteurs et peut-être descendants de captifs intégrés au lignage, les hommes ont été bien accueillis et ont bénéficié de larges attributions de terres tant que celles-ci étaient abondantes. L’éclatement des communautés lignagères 26 Dans un tel système, les droits fonciers de l’individu n’étaient reconnus qu’en fonction du groupe auquel il appartenait. C’est au nom de ce principe que chaque famille disposait d’une parcelle qu’elle exploitait dans le cadre du territoire lignager. Elle disposait ensuite d’un droit d’usage préférentiel pour les parcelles qu’elle avait défrichées et cultivées et qui étaient ensuite retournées en jachère.

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27 La famille de Guinée Forestière est à l’origine une famille étendue, patrilinéaire. Elle était une communauté d’habitation et souvent une communauté de travail (mais jamais aussi strictement qu’en pays malinké par exemple). En effet la gestion des terres et du travail familial par le chef de famille variait selon les régions ; chez les Toma, il n’y a pas très longtemps, la terre était cultivée en champ commun par tous les membres de la famille ; hors ce travail commun, les ménages et les célibataires pouvaient cultiver leur propre champ. Chez les Kpéllé et les Konon il n’y a pas d’évidence du champ commun dans un passé récent : chaque ménage cultivait le sien, celui du chef de famille étant plus grand que les autres. Par contre, il pouvait mobiliser le travail familial.

28 Mais chez tous les Guinéens de la Forêt, le chef de famille est l’administrateur du patrimoine. A sa mort, on distingue ses biens propres et les biens de la communauté. Les premiers vont à ses héritiers, les seconds à son successeur à la tête de la famille. Les règles varient mais presque partout le chef de famille sera le frère, aîné, cadet ou à défaut le fils aîné. L’héritage des biens propres ira aux fils sauf s’ils sont mineurs. On voit là les difficultés que peut susciter l’éclatement de la famille élargie.

29 C’est d’abord la communauté d’habitation qui a éclaté. On peut dater l’éclatement de ces concessions lignagères, ou au moins en préciser la période. En 1955 à Niéhen, la communauté restait bien en place. Plus d’un quart des concessions comptaient 7 ménages et plus et rassemblaient les deux tiers de la population du village.

30 Trois facteurs vont contribuer à l’éclatement de la communauté d’habitation. La croissance démographique a rendu les concessions familiales trop petites, d’autant que, dans les villages d’autrefois, les cases sont serrées le plus possible. L’émigration temporaire de certains cadets, émancipés par la conscription dans l’armée coloniale, ou le séjour en ville, a déclenché les premières scissions. Enfin, l’aménagement des villages avec la viabilisation, la création ou l’extension des marchés, a favorisé la dispersion des lignages: à Niéhen, l’administration a éventré le village pour y faire passer la route; dans des agglomérations plus importantes, comme à Lola, la place du marché est déblayée au milieu de l’espace bâti. Mais c’est finalement le lotissement des villages, le bornage des parcelles et l’individualisation des propriétés qui marquent la fin de la vie communautaire dans les concessions familiales. Acquise pour les petites villes dès la période coloniale, elle se poursuit dans les bourgs sous la Première République. Désormais, contrairement à la concession patriarcale, ces nouvelles parcelles sont des propriétés individuelles, des biens de la famille nucléaire où ne vivent que le père de famille, sa ( ou ses) femmes et ses enfants10.

31 Parallèlement, la famille élargie cesse d’être une communauté de travail : elle ne l’était déjà plus que très partiellement chez les Kpéllé et les Kono dès les années 1950; mais au moins comptait-on sur l’effectif de la famille lignagère et sur l’entraide pour satisfaire ses besoins en main-d’œuvre. Actuellement, ayant accès à l’argent par des prestations en travail, les jeunes se sont arrogés une autonomie précoce vis-à-vis de leur famille et rendent difficile même la mobilisation du travail familial. Modes d’héritage et montée de l’inégalité 32 Les unités de production s’étant petit à petit individualisées au niveau de la famille nucléaire, les règles d’héritage se sont modifiées. Le fils reçoit de la terre directement de son père sans aucun intermédiaire du lignage. Le partage peut se faire selon plusieurs modèles acceptés par la coutume. Le plus commun se déroule comme suit: le père accorde une partie du patrimoine à son fils aîné, les autres fils ne recevant qu’un champ au moment de leur mariage. Le reste de la terre est partagé après le décès du

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père entre tous les fils (ou encore entre les fils qui ont un champ du vivant du père). Tant que les terres étaient abondantes, le système fonctionnait sans trop de problèmes. Depuis que les terres à défricher sont plus rares, il favorise fortement l’aîné.

33 L’individualisation de la maîtrise de certaines terres avait commencé dès l’époque coloniale. Meillassoux11 a montré comment la diffusion des cultures de rente, le café en particulier, avait entraîné la valorisation de la terre et l’apparition de la propriété foncière chez les Gouro de Côte-d’Ivoire (qui appartiennent au même ensemble culturel que les peuples de la forêt guinéenne). Cette évolution a été observée également en Guinée Forestière12. Mais, c’est la Première République, alors qu’elle vire rapidement ausocialisme et affirme rapidement la propriété de l’Etat sur la terre, qui renforce fortement la position de l’aîné dans le système familial.

34 Le plus important de ces facteurs est l’impôt. En 1964, remplaçant l’ancienne capitation payée en numéraire, l’administration établit la “norme”, prélèvement en nature portant sur le riz et le café. Le chef de famille, inscrit sur la liste des contribuables, est responsable sur sa personne et ses biens du paiement de l’impôt. La contrainte physique n’est pas rare d’autant qu’en 1964, la “norme” atteint des niveaux exorbitants13. S’ouvre alors pour la Guinée Forestière une période noire marquée par l’émigration massive des populations vers le Libéria, la Sierra Léone et la Côte-d’Ivoire, et par la ruine de l’économie rurale. On ne peut guère dire que les chefs de famille aient profité de cette période très difficile, mais ils en émergent à la mort de Sékou Touré avec une autorité sur leurs dépendants, ainsi que sur le patrimoinefamilial, qu’aucun cadet ne leur aurait contesté en ces circonstances.

35 Et ceci d’autant moins que pendant cette période, qui court entre 1964 et 1984, une partie de la population a émigré. Beaucoup de successions se sont faites en l’absence d’une partie des héritiers et lorsque beaucoup d’entre eux sont revenus, après la mort de Sékou Touré, il leur a été difficile de revenir sur le partage.

36 Les histoires de vie recueillies lors d’entretiens montrent des scénarios assez répétitifs liés au retour de migration de longue durée : le père est mort, les frères présents se sont répartis l’héritage. Dans certains cas, pendant l’absence de l’ayant droit, l’héritage a été vendu (ce qui est possible dans le droit moderne mais qui n’est pas acceptable dans la tradition) à des Malinké immigrés dans la région. D’autres scénarios montrent le rôle mineur des femmes: le père meurt, laissant des enfants en bas âge; les oncles reprennent la terre ne laissant à la mère qu’une part très faible, et refusent de revenir sur le partage lorsque leurs neveux ont grandi.

37 En principe ces conflits fonciers sont réglés devant le tonamou, organisation de sages, cooptés pour leur intégrité. De fait, les aînés sont bien représentés dans ce conseil. Derrière, se profile la société de masques qui a repris de la vigueur depuis la fin du régime de Sékou Touré. “Pourquoi se plaindre d’un partage au risque de se faire empoisonner? ” demande un grimpeur de palmiers dépossédé de son héritage. Pourquoi, réellement, alors qu’il existe encore des solutions alternatives. Stratégies individuellesLes petits exploitants : réduction des jachères et recherche de revenus extérieurs 38 On a vu que la réduction des terres disponibles avait eu pour effet le passage d’une rotation traditionnelle de trois ans de culture pour sept de jachère à un cycle beaucoup plus court de quatre ans: une année de riz, une autre de riz, maïs, manioc, suivie de deux années de repos, adéquates pour le contrôle des adventices mais insuffisantes pour la restitution de la fertilité. Pendant ces deux années de repos, la subsistance

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familiale dépendra de la culture du riz dans les bas fonds sur ses propres parcelles ou sur des parcelles louées. L’extension considérable des rizières inondées en Guinée Forestière dans les années 1990 traduit donc en partie la différenciation croissante de la société.

39 Parallèlement, la recherche du numéraire s’est traduite par la prolifération de petits métiers, la généralisation du système des “contrats” d’ouvriers agricoles travaillant à la journée tandis que les éléments traditionnels de régulation sociale étaient de plus en plus mis à contribution. L’un des plus importants actuellement en Guinée forestière, tant du point de vue économique que du point de vue de l’évolution des paysages est l’exploitation du palmier à huile “sauvage”.

40 Elaeis guineensis, héliophyte des forêts secondaires prospère sur les jachères où il domine les fourrés bas et les jeunes arbres. Dans la mesure où il est protégé par les agriculteurs, il constitue des groupements d’autant plus denses que la zone est anciennement occupée. Le palmier, en Guinée Forestière, appartient à la communauté villageoise, et peut donc être exploité par quiconque.

41 Dans le climat sub-équatorial qui règne en Guinée Forestière, la fructification du palmier, même si elle se poursuit toute l’année, est maximale à la fin de la saison sèche. Les grimpeurs professionnels travaillent en toute saison, mais sont rejoints par des occasionnels, agriculteurs, artisans ou même jeunes scolarisés qui concentrent leur activité sur deux ou trois mois. La récolte des régimes est un travail risqué et faiblement rémunérateur ; il est poursuivi dans le cercle familial par les femmes qui extraient l’huile rouge et valorisent fortement l’activité.

42 A Gouécké14, les grimpeurs professionnels dégagent ainsi un revenu moyen de 2 000 000 FG15, tant par la vente directe des régimes que par l’extraction de l’huile réalisée par leur femme. “Je gagne ma vie avec mon dos” dit l’un d’entre eux, mais son revenu annuel dépasse largement celui d’un petit fonctionnaire. La saison de travail est plus courte pour les agriculteurs qui grimpent généralement après avoir défriché leur champ ; c’est pour cela qu’on ne les voit guère en brousse avant le mois de mars, mais ils poursuivent leur activité jusqu’aux grosses pluies de juillet. Les revenus qu’ils en tirent sont de l’ordre de 500 000 FG, apport essentiel puisqu’il permet non seulement d’acheter les semences pour l’année en cours, mais aussi de se nourrir pendant la période de soudure de la saison des pluies et de payer les dettes de l’année.

43 La filière commerciale s’est considérablement amplifiée depuis une dizaine d’années. L’huile rouge est apportée par les producteurs aux marchés locaux ; elle y est vendue soit au détail, soit à des intermédiaires qui achètent pour le compte de grossistes installés à N’Zérékoré. De là, une partie alimentera Kankan et Labé et de là, le Mali ou le Sénégal.

44 Le succès même de la filière de l’huile de palme a entraîné des crispations sur la cueillette des régimes alors que l’exploitation du palmier sauvage était libre suivant la tradition. Le litige porte sur la notion de brousse ouverte où tout membre de la communauté villageoise a des droits. A Gouécké par exemple, où la densité de population est élevée et la terre clairement appropriée, les grimpeurs, lorsqu’ils ne se trouvent pas sur les terres de leur lignage doivent demander l’autorisation aux “propriétaires” des jachères dans lesquelles se trouvent les palmiers. De simple courtoisie, la demande est devenue obligatoire et l’autorisation, si elle est

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généralement obtenue, demande du temps et quelquefois une persuasion d’ordre monétaire.

45 Ce changement d’attitude semble accompagner le mouvement foncier contemporain vers un droit de propriété unique succédant à un régime de superposition de droits individuels ou collectifs sur une parcelle. Du coup, une des préoccupations des riches est de sécuriser leurs droits fonciers. Deux stratégies sont possibles : la plantation et l’alliance avec les projets de développement. Plantation et sécurisation des droits fonciers 46 Dans ce contexte de mutation des droits fonciers et de tension sur les terres, un des procédés de sécurisation foncière les plus usuels, dans la région comme du reste en Afrique, est la plantation d’espèces pérennes. L’arbre est le symbole de l’appropriation. En Guinée Forestière, ce rôle est surtout tenu par le colatier et le caféier.

47 L’exploitation du colatier est ancienne dans cette partie de l’Afrique occidentale. Elle a jadis alimenté les routes commerciales vers l’empire du Mali dès le XVIe siècle. Arbre sacré, le colatier est enraciné dans les traditions des peuples de Guinée Forestière, lié aux rituels de la mort ou du mariage, mais aussi aux transactions de tous les jours ou aux simples manifestations de respect. Naguère cueillie dans la forêt par les seuls initiés des sociétés de masques, la cola est devenu depuis la colonisation française un produit de vergers plus ou moins vastes et réguliers, plantés par des individus.

48 A Samoé, en pays kpéllé16, dans une région où la production est stimulée par la proximité de la ville de N’Zérékoré, les plus anciens vergers datent des années 1930 ; beaucoup de vergers hérités datent des années 1950, mais l’essentiel a été planté entre 1980 et 1995. On observe à peu près le même rythme en pays manon17 où un tiers des vergers a été plantés entre 1981 et 1985. Deux raisons sont avancées : d’une part le désir des habitants de s’affranchir du monopole des initiés sur les produits de la forêt et d’autre part, l’incitation forte du gouvernement de la Première République. Il faut sans doute ajouter, bien que cela soit rarement dit, qu’à partir de 1984 commence le retour des émigrés qui réclament de la terre.

49 Ces vergers sont généralement de taille moyenne, de 20 à 60 arbres, presque toujours complantés de caféiers. Mais certains chefs de grande famille disposent de vergers beaucoup plus vastes atteignant plusieurs centaines d’arbres. Une partie est destinée à la consommation personnelle et a pour but d’entretenir le réseau des relations sociales, une autre partie est destinée à la vente. Mais dans un contexte de monétarisation croissante, c’est cet aspect commercial qui est responsable, depuis quelques années de la désaffection que subit la plantation de colatiers. Le verger suppose en effet un investissement important : il faut débroussailler la parcelle, puis la nettoyer régulièrement en attendant que les plants aient acquis une taille suffisante pour ne pas être étouffés ; les colatiers ne parviendront à maturité qu’au bout de 8 à 10 ans. Il s’agit donc de dépenses importantes avant de voir le premier fruit. Or les prix sont actuellement peu attractifs : 300 à 400 FG le kilogramme de noix non lavées. Les plus gros vendeurs du village n’écoulent pas plus de 600 kg de noix, soit une rentrée d’argent médiocre eu égard aux frais encourus, mais il reste le prestige attaché à la cola, la part de la récolte qui rentre dans l’économie du don, car pour ce qui est de la sécurisation de la terre, on dispose d’un arbuste plus rentable, le caféier.

50 A l’Indépendance, la production de café atteignait 15 700 t., puis la trachéomycose et la politique de Sékou Touré eurent raison des plantations les plus prospères. De cette époque les villages ont conservé leur ceinture de caféières, mais en 1984, le pays

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n’exportait guère plus officiellement de café ; 300 t. seulement ; la filière café était ruinée.

51 Progressivement les quantités commercialisées se sont accrues, surtout depuis que la caféiculture est encadrée par un projet national RC2, la deuxième relance caféière. Les exportations se situent actuellement aux alentours de 15 000 t., soit la production de la fin de la période coloniale; mais le contexte a beaucoup changé. Pour les paysans, le café n’est plus qu’une source de revenus parmi d’autres ; il vient bien après l’huile de palme et au même niveau que le vin du palmier raphia. En fait, seulement 10% des exploitants sont de véritables caféiculteurs et les ventes leur procurent plus de la moitié de leurs revenus18. A Kokota par exemple, l’essentiel des plantations est aux mains de 5% de la population. Disposant de plusieurs parcelles, ils totalisent 5 ha de caféiers, en moyenne. De ce point de vue, ce sont de véritables planteurs.

52 Ce n’est pas pour autant que les techniques ou les façons culturales se sont perfectionnées. Le rendement par caféier a été calculé pour toute la Guinée Forestière et s’élève à 120 g19. Ce serait presque ridicule si les caféiculteurs apportaient quelque soin à leur entreprise. Mais la plupart des caféières, de 40 ans, héritées des parents, n’ont jamais été recépées; les parcelles sont envahies par les herbes et les arbres plus que jamais d’ombrage. Pour valoriser l’espace on les a complantées en colatiers ou en ananas. En fait, il s’agit pour l’essentiel d’une cueillette.

53 Mais depuis 1990, les possibilités d’utiliser des plants sélectionnés se sont multipliées sous la houlette du projet RC2. Ce projet consiste à créer des groupements villageois et à les aider techniquement et financièrement. En 1993, malgré un taux de pénétration élevé dans les campagnes de Guinée Forestière (40% des villages avaient au moins un groupement RC2), la population des planteurs encadrés restait réduite: 7 000 planteurs, soit 10% de la po-pulation intéressée et 5% de la commercialisation. Pourtant, les exploitants non encadrés continuaient à planter, par la force des choses, des sauvageons qu’ils n’entretiendraient pas et pour une récolte faible. Une caféiculture à deux vitesses se développait donc: l’une moderne, mais très minoritaire, visant la productivité, le revenu et éventuellement l’ascension sociale à travers l’Union des Planteurs de Café, l’autre basée sur la cueillette.

54 Quel intérêt à la caféiculture dans ces conditions? Sans doute une réduction des risques par la diversification des sources de revenus, mais le plus puissant avantage est le marquage foncier. A la limite des finages, les conflits entre villages deviennent nombreux. Ces terres éloignées sont davantage cultivées actuellement et chacun cherche à s’approprier les terres du village voisin. Mais d’une façon plus générale, le contrôle de la terre est devenu l’enjeu majeur dans les villages. L’alliance avec les projets de développement 55 L’engagement des paysans dans les projets de développement agricole lorsqu’ils existent, ou leur forte demande lorsqu’ils sont absents, doit être resitué dans ce contexte de mutations foncières et de compétition croissante entre les groupes familiaux.

56 Un des terrains les plus évidents de cette alliance est certainement le bas fond, de plus en plus exploité en riziculture. Jusque dans les années 1990, le bas fond n’était guère mis en valeur : c’était la place de la raphiale qui fournissait le vin de palme, mais en général, on le cultivait peu; domaine des femmes, elles y faisait venir des légumes et souvent un peu de riz, comme appoint. Comme souvent les bas-fonds appartenaient aux

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propriétaires du versant qui les bordait, mais n’étant pas réellement un enjeu important, les règles foncières qui s’y appliquaient étaient assez floues.

57 Les choses ont commencé à changer à partir du milieu des années 1980. Le retour des émigrés après la mort de Sékou Touré, l’afflux des réfugiés fuyant la guerre civile du Libéria donnent une soudaine valeur aux terres de bas fonds jusque là délaissées mais que l’on peut attribuer aux nouveaux arrivants pour leur subsistance. En Guinée, des projets de mise en valeur des bas fonds sont rapidement initiés par le Haut Commissariat aux Réfugiés (HCR), dans le but de nourrir la population déplacée tout en préservant la région de la déforestation20. L’aménagement des rizières est financé par le HCR à partir de 1991, et des périmètres, de petite taille, sont gérés par des groupes mixtes de réfugiés et de villageois.

58 Du point de vue institutionnel, le contexte a lui aussi été profondément modifié par la Lettre de politique de développement agricole en 1991, où le gouvernement guinéen, visant à relancer les cultures vivrières et notamment la riziculture pour reconquérir le marché national, invite les bailleurs de fonds à appuyer des programmes de développement rural.

59 Dès lors, la conjonction des éléments est particulièrement favorable : les financements du HCR et des institutions de coopération bilatérales, l’appui technique (en particulier de l’AFVP), l’abondance de la main-d’œuvre rendue nombreuse par la poursuite de la guerre libérienne, et l’intérêt des ayant-droits, parce que c’est à eux que profite l’investissement à long terme de l’aménagement des bas fonds. Jusqu’alors détenteurs de droits relativement flous, le projet les a confirmés dans leurs prérogatives en mesurant les parcelles, désormais nominatives. Lorsque le bas fond ne leur appartient pas, les exploitants réunis en groupement, paient une redevance au propriétaire (ce qui peut être assimilé à une location) ou lui sont liés par contrat de métayage. Un des rôles du projet est de sécuriser l’exploitant mais aussi le propriétaire “de manière à leur assurer qu’ils ne perdront aucun droit sur leur propriété après le départ des équipes du projet”21. A Kokota, près de Lola, on a vu une classe de propriétaires disposer de plus de 8 ha en rizières, qu’ils prêtent, louent, ou exploitent eux-mêmes en utilisant de la mai-d’œuvre salariée. Mais en dehors des zones développées par les projets, les aménagements sont rares. Dans de nombreux villages, les propriétaires attendent l’hypothétique arrivée du projet PDPEF, non parce qu’ils manquent de moyens pour aménager les bas-fonds mais parce qu’ils souhaitent bénéficier de la sécurisation des transactions foncières.

60 De 1991 à 1996 près de 700 ha de bas-fonds auraient été aménagés, sur les 3 700 ha inventoriés comme aménageables ; depuis les travaux de mise en valeur stagnent. La paix relative au Libéria, le retrait de nombreux projets, rendu effectif par l’insécurité qui règne aux frontières de la Guinée Forestière depuis 2000, et la concurrence du palmier raphia, comme source de revenu et comme sécurisation traditionnelle des bas fonds en sont les causes.

61 Pour les projets, le bas fond a été perçu comme une porte d’entrée dans l’espace villageois (et elles étaient relativement rares à la fin des années 1980) et une occasion de développer des programmes locaux où participent les bénéficiaires, le pouvoir local, le conseil des sages et les animateurs du projet.

62 Cette clé a été utilisée dans d’autres projets souvent plus lourds. Lorsque la SOGUIPAH installe ses plantations industrielles à Diéké, elle est contrainte de s’appuyer de la même façon sur les pouvoirs villageois, les gros propriétaires, qu’il faudra dédommager et qui seront les principaux bénéficiaires des plantations villageoises de palmier à

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huile, d’hévéa, alors que parallèlement la société doit entreprendre un important volet d’aménagement des bas fonds pour occuper et nourrir la population déplacée.

63 La Guinée Forestière a connu depuis une quinzaine d’années des mutations considérables, liées de façon conjoncturelle au retour des émigrés de la Première République et à l’afflux massif des réfugiés des guerres libérienne et sierra-léonaise et de façon structurelle à l’entrée dans une économie de marché.

64 La combinaison de ces facteurs s’est traduite par une mutation foncière profonde qui a vu l’éclatement des domaines lignagers. S’agit-il de cette “transition foncière” qui fait passer la terre de l’usufruit collectif à la propriété privée ? Cela est peu clair. Il semble qu’on n’ait approché la propriété privée que dans le domaine d’intervention des projets, qui ont importé les concepts occidentaux de propriété avec parcelles bornées et nominatives (encore que de plus en plus les projets, par prudence, se contentent de s’assurer que les parcelles aménagées sont libres de conflit et s’effacent devant les opinions des conseils de villages). Sur le reste du finage demeure un régime de superposition complexe de droits individuels et collectifs sur le même espace, de surcroît variable selon les contextes locaux.

65 Ces mutations vont dans la direction d’une inégalité croissante des maîtrises foncières et une nette différenciation sociale. Quelles conséquences ces changements ont-ils du point de vue environnemental? Pas forcément celles qu’on croit: l’essentiel des réserves de terre sont partagées par un faible nombre d’exploitations qui peuvent y maintenir des temps de jachère longs ou bien les défricher pour la caféiculture. Dans ces conditions, l’évolution dépend bien plus des conditions de commercialisation du café que de ce qu’on désigne comme la “pression démographique”. Les mutations paysagères ont été considérables avec l’aménagement des bas fonds et, sur les versants, l’extension d’un agro-système forestier aux temps de jachère variés.

66 Société en crise? Evidemment, un regard extérieur considérera avec un peu d’effarement ce qui peut apparaître comme une spoliation massive (mais après tout les partages inégaux et le droit d’aînesse ne sont finalement pas si éloignés dans l’histoire rurale française par exemple). Est-elle perçue en Guinée Forestière comme une injustice? Apparemment pas, tant qu’il reste des compensations sous la forme de la responsabilité sociale et aussi financière des aînés vis-à-vis des cadets et des alternatives économiques. Celles-ci existent sur le territoire villageois, sous la forme d’autres activités agricoles comme la filière du palmier à huile, ou l’artisanat. Elles existent aussi en dehors, sous la forme d’une mobilité accrue, à la recherche de contrats comme travailleur agricole et, de plus en plus, d’emplois durables ou précaires en ville. N’Zérékoré est une des villes de Guinée au plus fort taux de croissance22.

67 Pourtant de fortes tensions existent, qui se font jour sous la forme de conflits locaux. L’insécurité frontalière qui règne depuis 1999 dans les préfectures de Guéckédou, de Macenta, se traduit localement en replis identitaires qui s’enracinent dans des litiges fonciers entre Toma et immigrants malinké et dégénèrent en explosions de violence. Mais on peut penser que tant que demeureront des alternatives économiques viables à la subsistance agricole dans un milieu refermé sur lui-même, ces risques demeureront limités.

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NOTES

1.- ROSSI G., 1993 2.- BERDOULAY V.,SOUBEYRAN O., PASCUAL J.F., 1999 3.- HOUEL E. et LESPINE C., 1994 ; GUINEE. Développement PDPEF, 1994. 4.- HOUEL E. et LESPINE C., op. cit. 5.- Sur la question de la différenciation sociale en Guinée, voir la remarquable thèse de Cl. RIVIERE, 1975. 6.- BIDOU J.E., 1997, 7.- GUINEE. Mission Démographique 1954-55. 8.- GUINEE. Mission Démographique 1954-55. 9.- GERMAIN J., 1984. 10.- TOURE J. Gbéré, à paraître 11.- MEILLASSOUX C., 1964. 12.- RIVIERE C., 1975, p. 500 et suivantes. 13.- ROSSI G., 1995. 14.- SAGNO P., 2001. 15.- 1 euro : 1 700 FG environ. 16.- THEA N., 2002. 17.- BIDOU J.E., 1998. 18.- BANGOURA A., 1994. 19.- SOCA2, s.d. 20.- BLACK R., 1999. 21.- GUINEE. PDPEF, 1998. 22.- Voir dans le même numéro BIDOU et TOURE, “La population de la Guinée : dynamiques spatiales”.

RÉSUMÉS

Les mutations démographiques, économiques et sociales en cours en Guinée Forestière ont conduit à un éclatement du système lignager des maîtrises foncières et à l’accroissement des inégalités. Les exploitants agricoles disposant de peu de terres doivent réduire leurs jachères sur les versants, cultiver le riz de bas-fonds et rechercher des revenus extérieurs. Les gros exploitants peuvent maintenir des temps de jachère long, ou convertir leurs friches en cultures commerciales (café et cola). La crise sociale a donc une influence modérée sur l’environnement, l’essentiel du terroir demeurant sous le système des rotations longues. Ce sont ici les conditions d’accès à la terre, bien plus que l’accroissement de la population, qui règlent l’évolution de l’agriculture sur brûlis.

Real Estate and Environmental Problems in the Guinée Forestière Province. The demographic, economic and social changes that are occurring in the fGuinée Forestière Province have led to a break up of the lineage system of real estate management and to an increase in inequalities. The farmers possessing little land must reduce their fallow fields situated on slopes, grow rice in low- lying areas, and seek non-farming income in order to make ends meet. The big farmers may keep

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land fallow for a long period of time, or convert their fallow fields to the raising of commercial crops (coffee and cola). The social crisis has thus only a moderate influence upon the environment, the major part of the fields remaining under the system of long rotation. Here the question involves the conditions of access to land, far more than the increase in the population, that governs.

INDEX

Mots-clés : bas fonds, cultures commerciales, Guinée forestière, jachère, maîtrise foncière, mutations sociales, pluri-activité

AUTEURS

JEAN-ETIENNE BIDOU Maître de conférences, UFM Poitou-Charentes

JULIEN GBÉRÉ TOURE Maître de conférences, Université de Konakri

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