« S'enraciner En Périgord Ou La Technique De L'occupation Selon
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« S’enraciner en Périgord ou la technique de l’occupation selon François Augiéras. » seance VIII Nelly Fray Dernier ouvrage de FrançoisAugiéras,Domme ou l'essai d'Occupation, écrit vers 1970 et publié à titre posthume en 1982, onze ans après la mort de l’auteur, ponctue une carrière littéraire assez peu comprise par ses contemporains,mais portée aux nues par quelques inconditionnels. Ayant perdu l’espoir d'être reconnu comme écrivain, Augiéras aborde avec Domme sa dernière aventure littéraire. Il y évoque ses tentatives pour vivre loin des hommes, dans le déni des valeurs occidentales et chrétiennes, une vie de liberté absolue et agressive.Ce sera son « essai d’Occupation ». A-t-il vécu l'expérience de Domme, la vie dans la caverne glacée dominant la rivière Dordogne, les médita- tions dans les jardins à l'abandon de la porte des combes ? S'est-il faufilé par effraction dans la Chambre royale sous les ruines du château où, pensait-il, les grands courants tellu- riques se rejoignent ? Sans doute, du moins les lieux existent bel et bien,Nelly Fray les a parcourus en compagnie de Paul Placet, l'ami de toujours et le témoin privilégié de la vie d’Au- giéras. Il semble légitime d'appréhender cet « essai d’Occu- pation » comme un nouvel appartenir, une façon inédite d’habiter les lieux, de les investir de pouvoirs magiques, de les ensorceler en quelque sorte pour en faire le réceptacle de l’oeuvre à naître. Comment s’échapper de cette grotte-tom- beau,où l’on se fait oublier au risque de disparaître tout à fait, sinon en faisant de cette caverne un lieu de germination et de création ? L’abri contre les intempéries est aussi le terrain d’une expérimentation artistique jamais tentée.Dans Domme ou l'essai d'Occupation, Augiéras va s’attacher aux étapes de cette création qu'il traduira en lieux : la grotte, l’acropole, le jardin de la porte des Combes jalonnent ces étapes. S'enraciner à Domme en Périgord, la technique d'occupation selon François Augiéras Dernier ouvrage de François Augiéras, Domme ou l'essai d'Occupation, publié à titre posthume en 1982,onze ans après la mort de l’auteur, ponctue une carrière littéraire assez peu comprise par ses contem- porains, mais portée aux nues par quelques inconditionnels. Son premier ouvrage, Le Vieillard et l'enfant, publié à compte d’auteur en 1949 avant d’être retravaillé par Augiéras pour paraître aux éditions de Minuit en 1954, avait remporté un succès d'estime au parfum de scandale. Il a été cité par les plus grands, à com- mencer par Gide. La mort de celui-ci ne lui a pas permis de défendre, comme il aurait pu, la réputation du jeune Augiéras. De son vivant, l'auteur n'a jamais eu droit à l’accueil qu'il aurait sans doute souhaité pour son oeuvre. Dans Domme, c'est un homme usé, seul, qui fait un bilan amer. L'auteur de La trajectoire, roman de formation autrement appelé Une adolescence au temps du Maré- chal, ne nous a pas habitué à ce ton désabusé, à un tel aveu d'échec de son existence terrestre. Ses ouvrages sont pleins d'un enthousiasme parfois naïf, qui tourne à l'autosatisfaction, au culte de soi. L’auteur s’y pré- sente comme un être destiné à une vie aventureuse et à la gloire.C’est un autoportrait complaisant qu'Au- giéras trace tout au long de son oeuvre. Il s’y construit un personnage d’une « féroce intelligence », trans- gressif, sans doute tel qu’il voulait se voir ou qu’on le voit. Mais ce n’est pas le cas dans Domme. L'auteur est à bout de souffle : « Le coeur rompu, et la santé ruinée, je me vois, à quarante ans, seul, incurable, indigent, admis dans un hospice ». Telle était en effet sa misérable condition quand il séjournait dans cette bastide du Périgord noir et écrivait son ultime ouvrage. Sans argent et n'ayant pas accédé à la réputation artistique à laquelle il aspirait,Augiéras était alors un auteur sans lecteur ou presque, un peintre qui laissait ses toiles, en particulier ses petites icônes, en lieux sûrs, chez des amis qui sauraient bien les ressortir... le moment venu. Il mourra à 46 ans des suites d’un infarctus. C'est donc ayant perdu l’espoir d'être reconnu par ses contemporains qu'il aborde sa dernière aven- ture, son expérimentation d’une vie différente, son « essai d’occupation », comme il l’appelle.A-t-il vécu l'ex- périence de Domme, la vie dans la caverne glacée dominant la rivière Dordogne, les méditations dans les jardins bordés de murets de la porte des combes ? S'est-il faufilé par effraction dans la « Chambre royale » sous les ruines du château où, pensait-il, les grands courants telluriques se rejoignent ? Sans doute, du moins les lieux existent bel et bien, je les ai parcourus en compagnie de Paul Placet, témoin privilégié de la vie d’Augiéras.De plus, ses biographies en attestent. Serge Sanchez, dans François Augiéras, le dernier primitif, édité chez Grasset en 2006, situe à deux brèves périodes la vie à l’hospice et les séjours dans la grotte, là où l’auteur en fait un récit linéaire durant tout un printemps et un été.Mais nous verrons qu’avec Augiéras, la durée est toujours sujette à caution, le temps pouvant sous sa plume se concentrer et se dilater à l’envi. Son récit de Domme débute à la fin de l’hiver, quand il cherche un abri contre les intempéries, et s’achève au plus fort de l’été, le laissant méditer dans quelque jardin écrasé de lumière. Plus précieux encore, le témoignage des lettres nombreuses laissées par Augiéras. Et surtout les souvenirs de Paul Placet qui a érigé, à Sarlat où il vit aujourd’hui, un « lieu de culte, de travail, de méditation » à la gloire d’Augiéras. Donc, cet « essai d'occu- pation » est une sorte de condensé de plusieurs périodes de la vie de l’auteur. Condensé est le terme, tout y paraît extrême : aussi bien la solitude d’un ermite ou d’un étrange Maldoror en Périgord, que les extases à plusieurs mètres sous terre lorsque l’auteur, ou plutôt son double de papier, médite et appelle de ses voeux l’émergence d’une civilisation nouvelle, venue des astres.Dans ce livre, chaque page est un cri, un appel dé- sespéré, pour ne pas disparaître tout à fait dans les profondeurs de cette caverne d’oubli. Domme est à lire comme une tentative de survivre, ou tout simplement d’occuper l’espace, ce qui voulait dire pour Augiéras être lu, compris, « admis dans une unité idéale » pour plagier Paul Placet. Aujourd’hui, Paul Placet me sert de guide dans la grande caverne, la chambre royale d’Augiéras. © Nelly Fray « Je ne suis plus qu’un esprit dans cette chambre royale, un esprit vaste, heureux, isolé du monde, libéré de toute entrave. » © Nelly Fray « Un champ d’Energie émane de la roche : un des plus stables à l’ouest del’Europe.» © Nelly Fray Il me faut d’abord appréhender cet « essai d’occupation » comme une nouvelle façon d’habiter les lieux, de les investir de pouvoirs magiques, de les ensorceler en quelque sorte, comme s’ils étaient le réceptacle de l’oeuvre à naître. Comment s’échapper de cette grotte-tombeau, où l’on se fait d’abord oublier avant de disparaître tout à fait, sinon en en faisant un lieu de germination et de création ? L’abri contre les intempé- ries est aussi le terrain d’une expérimentation artistique jamais tentée. Dans Domme, Augiéras va s’attacher aux étapes de la création. Il les traduira en lieux : la grotte, l’acropole, le jardin de la porte des Combes. Des lieux réels, mais aussi des ilots et « des modalités d’occupation et d’insularisation » (p. 288), commentera Jacques Isolery, dans FrançoisAugiéras, Trajectoire d’une ronce. PourAugiéras, il n’était possible de créer qu’à la condition de « s'incarner dans le monde des formes », comme il le dit dans son roman La trajectoire. Ainsi se conçoit l’écriture de Domme ou l'essai d'occupation dont Augiéras, épistolier, rend compte étape après étape, en particulier à Jean Chalon auquel il adresse des lettres de 1968 à 1971 : la période de Domme. La première partie de cette présentation s’attache à ses commentaires envoyés à Jean Chalon à propos de l’oeuvre qu’il est en train de composer. Comment ancrer l’écriture d’une expérience singulière, sinon en fai- sant des lieux réels des étapes dans l’écriture de cette expérience ? La question se pose pour Domme,mais aussi pour toute l’oeuvre d’Augiéras. Dans une deuxième partie, je propose une lecture du roman Domme à travers sa symbolique. Je ferai ré- férence à l’essai sur l’imagination de la matière de Gaston Bachelard qui propose une interprétation de la grotte, du serpent, de la racine, de l’eau matricielle, du feu purificateur... selon d'anciens mythes pas seule- ment occidentaux. Ces mythes primitifs sous-tendent l’oeuvre entière, mais Domme est sans doute l’ouvrage qui les convoque le plus directement. Enfin, en guise de conclusion, je reprendrai les termes de l’interview de Paul Placet que j’ai réalisée en mars dernier à Sarlat, dans un lieu,mi bureau mi musée, consacré à son ami peintre et écrivain. Des commentaires de première main qui me semblent indispensables pour comprendre le rapport au lieu sorcier, au Périgord occupé par Augiéras. I.