Né à Lyon le 9 décembre 1918, Jean Laborde est entré dans le journalisme après des études de droit. En 1945 il devient chroniqueur judiciaire de « France- Soir ». A ce titre, il assiste aux grands procès de l'après-guerre, dont celui intenté par l'un des premiers transfuges soviéti- ques, Victor Kratchvenko, à un journal français. Puis c'est l'affaire Dominici où Jean Laborde, après avoir assuré le compte rendu des audiences, se livre à une contre- enquête. Il assiste encore aux tumultueux débats de l'affaire Marie Besnard puis du procès de Pierre Jaccoud, l'avocat genevois accusé de meurtre. En 1964, il passe à « L'Aurore » où, tout en assurant encore la rubrique judiciaire lors du procès des ravisseurs de Ben Barka notamment, il fait du reportage poli- tique et économique. Il a écrit de nombreux romans dont certains sont inspirés par son expérience de la justice. Plusieurs ont été portés à l'écran : « Les Bonnes Causes », tourné par Chris- tian-Jaque avec Bourvil, Pierre Brasseur, Marina Vlady, « La Seconde Vérité » (Chris- tian-Jaque metteur en scène, avec Michèle Mercier et Robert Hossein), « Le Pacha », mis en scène par Georges Lautner avec Jean Gabin, « Les Assassins de l'Ordre », un film de Marcel Carné avec Jacques Brel. Marié, deux enfants, Jean Laborde partage sa vie entre Paris, la vallée du Rhône, où il a une propriété, et la Côte basque.

Document de couverture : Photo A.F.P. Maquette Jean Denis.

COLLECTION "CE JOUR-LA" DU MÊME AUTEUR

L'HÉRITAGE DE VIOLENCE (Flammarion). LE MOINDRE MAL (Flammarion).

AMOURS, QUE DE CRIMES (Gallimard). LES LOUPS DERRIÈRE LE TRAÎNEAU (Plon). LES ASSASSINS DE L'ORDRE (Plon). LES BONNES CAUSES (Plon). UN HOMME A PART ENTIÈRE (Plon). LES GRANDES CHALEURS (Hachette). LE VOYAGE EN SIBÉRIE (Plon). JEAN LABORDE

UN MATIN D'ÉTÉ A LURS 5 août 1952

ÉDITIONS ROBERT LAFFONT 6, place Saint-Sulpice, Paris-6e COÉDITION ROBERT LAFFONT — OPERA MUNDI

Si vous désirez être tenu au courant des publications de l'éditeur de cet ouvrage, il vous suffit d'adresser votre carte de visite aux Editions Robert Laffont, Service « Bulletin », 6, place Saint-Sulpice, Paris-VI Vous recevrez régulièrement, et sans aucun engagement de votre part, leur bulletin illustré, où, chaque mois, se trouvent présentées toutes les nouveautés — romans français et étrangers, documents et récits d'histoire, récits de voyage, biographies, essais — que vous trouverez chez votre libraire.

© Opera Mundi, 1972. PREMIÈRE PARTIE

LE DRAME C'est pour moi un devoir agréable de signaler que ce livre a été écrit grâce à l'aide apportée par mon confrère et ami, Raymond CALAME. J. L. SOMMAIRE

PREMIÈRE PARTIE

LE DRAME

I. Une fillette gisait sur un talus 11 II. L'étrange famille de la Grand'Terre 43 III. La première chance des policiers 77 IV. Gustave tombe pour la première fois ...... 109 V. La condamnation de Gustave 135

DEUXIÈME PARTIE

LES AVEUX

VI. Reprise de l'offensive 167 VII. Les accusations de Gustave 213 VIII. Les étranges aveux 251

TROISIÈME PARTIE

LE PROCÈS

IX. Solitaire est le juge 301 X. Un passionnant procès 323 XI. La famille déchirée ...... 353 QUATRIÈME PARTIE

LA CONTRE-ENQUÊTE XII. Les accusations du condamné ...... 381 XIII. La dernière chance 407

Conclusion Retour à la Grand'Terre ...... 441 CHAPITRE PREMIER

UNE FILLETTE GISAIT SUR UN TALUS

Mains sur les hanches, Faustin Roure, brigadier-chef à la gare de Lurs, contemple le talus éboulé au point kilométri- que 319,280 de la voie ferrée Marseille-Digne. Il est rassuré : la situation est sérieuse mais non catastrophique. La micheline de huit heures passera sans encombre et c'est l'essentiel. La terre a coulé en abondance. A vue d'œil Faustin en évalue le volume : une douzaine de mètres cubes environ. Gustave Dominici, le fils du fermier voisin, de la Grand'Terre, a dégagé les rails. La boue ne les recouvre plus que sur une distance de quatre mètres environ. Gustave est responsable du glissement de terrain : les jours pré- cédents il a trop généreusement arrosé son champ situé au-dessus de la voie ferrée. Selon le règlement, quiconque occasionne par sa faute un retard est redevable d'une amende basée sur les minutes perdues par le convoi. La veille au soir Gustave s'est d'ailleurs inquiété. Il est venu voir Roure à pour lui signa- ler l'incident. Faustin a promis de passer le matin. 5 août 1952, aux environs de 7 heures. Il fait déjà chaud et le ciel a ce bleu pâle qui annonce les journées caniculaires. La lumière est vive, comme aux lendemains de pleine lune. La traîne un courant amaigri par la sécheresse des derniers jours. Un léger brouillard flotte au-dessus de la montagne vers Ganagobie, un soupçon de brume plutôt, l'évaporation de l'humi- dité nocturne sous le soleil. Faustin Roure prend sa décision : dans l'après-midi il reviendra avec cinq ou six ouvriers. Quelques instants suffiront pour enlever la terre qui sur le ballast pourrait gêner les trains. Quant au fossé à demi comblé par l'éboulement, on verra plus tard. Un acacia et des troncs morts sont mêlés à la boue. La seule précaution à prendre est de couper les branches enchevêtrées dans les fils téléphoniques. Le brigadier-chef remonte en direction du chemin pierreux qui mène à la route nationale 96. Un pont y enjambe la voie ferrée. Faustin découvre que son adjoint, Clovis Dominici, s'y trouve. Il est l'aîné de Gustave. Debout, face à la Durance, il semble contem- pler un spectacle qui se trouve sur la pente conduisant à la rivière. — Tu as vu ? demande Clovis. — Oui, fait le brigadier-chef, ce n'est pas grave. Il pense que Clovis a dans la tête l'éboulement et ses consé- quences. Clovis n'habite plus la Grand'Terre. Travaillant à la SNCF, il s'est établi à Peyruis, le village voisin. Mais les Domi- nici — 9 enfants, 20 petits-enfants — sont une famille fort unie. Souvent Clovis vient aider son frère qui exploite la ferme, tandis que le père, le « patriarche », Gaston, 75 ans, se borne à emmener ses chèvres dans la montagne, retrouvant ainsi le premier métier de son enfance. Il est donc naturel que Clovis soit préoccupé par le glissement de terrain. Mais Clovis secoue la tête. — Regarde, dit-il. A mi-chemin de la Durance il désigne un point : dans l'herbe sèche repose le corps d'une enfant : — Elle est morte, ajoute-t-il. Derrière Clovis, Faustin Roure aperçoit Marcel Boyer, un autre cheminot, beau-frère des Dominici, qui a accompagné Clovis. Faustin a doublé les deux hommes sur la route car il était à cyclomoteur et eux à bicyclette. Ils descendaient vers la gare de Lurs pour prendre leur travail. Il ne savait pas que Clovis et Boyer s'étaient arrêtés à la Grand'Terre. Les trois hommes s'avancent en direction du corps. — Elle est morte, répète Clovis. Après un instant de silence ils font demi-tour et remontent en direction de la route nationale. Ils ne songent pas à échanger leurs impressions. Faustin Roure n'ose pas questionner Clovis : comment a-t-il découvert le cadavre ? Clovis marche un peu en avant, les épaules voûtées. Lorsqu'ils parviennent à quelques mètres de la route, Faustin s'immobilise à la vue du spectacle auquel il n'a prêté aucune attention lors de son arrivée un quart d'heure plus tôt. De l'autre côté de la route sur l'espace herbeux qui la sépare du fossé se trouve un lit de camp. Mais celui-ci recouvre un corps dont on ne distingue que l'extrémité des pieds. Faustin se demande même s'il rêve : c'est presque à cet endroit qu'il a coupé les gaz de son vélomoteur pour s'arrêter. Or il n'a rien constaté d'insolite. Il a traversé la route pour accoter son engin contre un arbre. Il a vu une voiture arrêtée près d'un mûrier et tout autour un grand désordre. Mais il n'a pas été intrigué pour autant : les campeurs étaient sans doute descendus vers la Durance pour se baigner ou faire leur toilette. Faustin Roure note alors des détails qui resteront gravés dans sa mémoire. Ainsi il remarque que les pieds qui dépassent du lit sont chaussés de pantoufles et de chaussettes grises. On aperçoit une quinzaine de centimètres de la partie inférieure des jambes « mais, précisera-t-il plus tard devant le commissaire Chenevier, sans que la chair soit apparente ». Etonnante fidélité des souvenirs. Mais les circonstances sont exceptionnelles. En outre chaque témoin de cette extraordinaire affaire sera appelé à répéter tant de fois son récit qu'il devient pour lui une leçon aussi familière et aussi machinale que la première fable de La Fontaine rabâchée à l'école. C'est alors qu'il remarque le troisième corps. Il se trouve entre la voiture et la Durance, à deux mètres environ, étendu parallèle- ment au véhicule et dissimulé par une couverture. — C'est un massacre, dit-il. Clovis approuve de la tête. Les quelques phrases qu'ils échan- gent alors, Faustin ne pourra jamais les répéter contrairement aux détails visuels. Il parlait sans penser, terrifié par le spectacle. Il saisit son cyclomoteur, tandis que Clovis et Boyer repren- nent leur bicyclette. Ils se dirigent vers la Grand'Terre mais au bout de quelques mètres Clovis enfourche son vélo et les devance. Boyer l'imite bientôt, et, lorsque Faustin Roure arrive dans la cour de la ferme, les deux hommes s'y trouvent déjà, formant un groupe avec Gustave, sa mère, Marie Dominici, sa femme Yvette, jolie brune de 20 ans, et un quatrième cheminot, Roger Drac, qu'un besoin naturel a retardé en chemin. — Vers 1 heure du matin, dit Yvette à son beau-frère Clovis au moment où Faustin Roure les rejoint, on a entendu des coups de feu. — On a pensé à des braconniers, ajoute Gustave. Faustin Roure s'inquiète : a-t-on fait prévenir les gendarmes ? — Gustave a arrêté un motocycliste sur la route, fait Clovis, il lui a demandé d'aller au plus vite à Oraison. Faustin en déduit que Gustave s'est déjà rendu près de la voiture. Il estime qu'il n'a plus rien à faire à la Grand'Terre, pas plus que les trois ouvriers de son équipe. Le travail ne manque pas à la gare. Sur la voie plusieurs chantiers sont en cours, pour la réfection et le contrôle des rails. Un triple meurtre, ce n'est pas son affaire dès l'instant que les gendarmes sont alertés. Le briga- dier des chemins de fer ne soupçonne pas les proportions mythi- ques qu'atteindra l'enquête. — Bon, les gars, dit-il, le boulot vous attend. Marcel Boyer et Roger Drac obéissent aussitôt. Clovis s'attarde encore auprès de son frère. Puis à son tour il enjambe son vélo. Faustin Roure décide de retourner à Peyruis : il doit avertir le contrôleur des PTT du danger que représentent les branches de l 'acacia. Il en profite pour passer chez lui et annoncer à sa femme qu'un crime a été commis à la Grand'Terre.

Solidement arrimé dans le side-car de la moto que conduit le gendarme Raymond Bouchier, le maréchal des logis Louis Roma- net se demande bien ce qu'il va trouver à la Grand'Terre. Des coups de feu, un cadavre, c'est tout ce qu'il sait. A 6 h 30, soit une demi-heure plus tôt, le téléphone a sonné à la gendarmerie de . Au bout du fil le chef de la brigade d'Oraison, bourgade proche. Des coups de feu ont été tirés dans la nuit aux environs de la gare de Lurs, dit-il. Un motocycliste vient de nous pré- venir. Il paraît qu'il y a un mort. Il se trouve au bord de la route nationale. Son chef hiérarchique prévenu, Louis Romanet est aussitôt parti sur la moto de la gendarmerie. Lurs, la Grand'Terre, il connaît assez bien l'endroit et les gens, les Dominici qui vivent là depuis une vingtaine d'années. Il ne pense pas au crime. Le mort, c'est sans doute quelque victime de la circulation. Quant aux coups de feu, rien d'étonnant dans un pays où l'on est chasseur avant même d'atteindre l'âge du permis et où l'on traque le gibier aussi bien de jour que de nuit, de préférence la nuit. Ce n'est pas braconner : ce qui vit et ce qui pousse sur la terre appartient aux gens du pays et d'ailleurs il y a toujours l'alibi des nuisibles. Chaque nuit ou presque retentissent des détonations qui visent aussi bien le sanglier que le blaireau ou le lapin. Louis Romanet n'établit pas un rapport nécessaire entre les coups de feu et le cadavre. Ils approchent de Lurs lorsqu'ils voient, venant à leur ren- contre, un homme sur un cyclomoteur qui leur fait de grands gestes. Romanet reconnaît le passant : Aimé Perrin, un habitant de Peyruis, qui a épousé une fille Dominici. — Il y a un crime à la Grand'Terre, dit-il. J'allais vous prévenir. Louis Romanet indique qu'ils étaient déjà au courant. — Ils étaient inquiets de ne pas vous voir arriver. C'est Yvette qui m'a demandé d'aller à Forcalquier. Elle était déjà partie sur son vélo lorsque je l'ai rencontrée. — Qui est la victime ? demande le maréchal des logis. — Personne ne la connaît, je crois... Le lecteur s'étonnera peut-être. L'auteur fait dialoguer ses personnages comme s'il assistait à leur entretien. Invention, bro- derie, fiction, pensera-t-on. Imposture ? Pas le moins du monde. Ces phrases sont reproduites sous la forme où elles ont été prononcées. Elles figurent dans le volumineux dossier qui d'août 1952 à janvier 1956 fut dressé par les dizaines de policiers et de magistrats appelés à se pencher sur l'affaire. Ce n'est pas un roman que l'auteur entend écrire mais la reconstitution scrupu- leuse d'un fait divers qui pour de multiples raisons devait peu à peu grandir, s'amplifier, s'épanouir jusqu'à devenir sinon l'égal du moins l'équivalent d'une tragédie grecque. Le mot fait sourire. Il est grandiloquent, emphatique. Non ! Car si la tragédie grecque fut, comme on l'a dit, l'intrusion du destin dans la vie d'un homme ou d'un groupe, si elle fut aussi la lutte d'un individu contre la société, si elle prend pour thème favori la fragilité de l'être humain en face de forces qui le dépassent, alors l'affaire Dominici mérite ce nom et supporte cette comparaison. Suffit-il dans ces conditions de raconter l'histoire et de laisser le lecteur libre de juger, présenter les personnages, rapporter ce qu'ils disent et ce qu'ils font, les mettre en conflit, discerner les vainqueurs et les vaincus sans faire de morale ? Est-ce un choix possible ? Une tragédie, qu'elle soit grecque ou américaine, est faite de personnages qui ont leur vérité. Elle contient sa propre logique qui se dégage d'elle-même. Si ses acteurs se contredisent entre eux ou avec eux-mêmes, le spectateur est aussitôt fixé. Il sait ou peut décider qui a tort, qui ment ou ne ment pas et à quel moment. En revanche, si l'affaire Dominici était jouée dans quelque théâtre d'Orange, il faudrait pour la présenter convena- blement, répéter chaque scène deux, trois ou quatre fois, les personnages déclarant à chaque reprise le contraire de ce qu'ils viennent de dire. Nous nous trouvons, si l'on peut s'exprimer ainsi, en face du type même de l'affaire « anti-vérité ». Quiconque a lu et relu le dossier ne peut plus désormais parler de la vérité comme d'une matière brute. Il pense plutôt à ces bijoux du théâtre qui mieux que n'importe quel diamant jettent mille feux fallacieux. L'affaire Dominici, c'est la désagrégation de la vérité en des millions de neutrons et de protons grâce au plus puissant cyclotron qui ait fonctionné dans l'histoire de la justice : la volonté sauvage d'une famille de protéger les siens. Cela aussi, c'est un thème de tragédie grecque. Un exemple. Que s'est-il passé jusqu'ici ? Un brigadier-chef de la SNCF a découvert en compagnie de deux hommes de son équipe qu'un crime a été commis à Lurs dans la nuit du 4 au 5 août 1952. Un maréchal des logis arrive sur les lieux. Il semble que tout soit clair et qu'aucune controverse ne puisse déjà s'intro- duire dans le cours des événements. Or le conflit existe déjà en puissance, lorsque Clovis Dominici décrète que l'enfant est morte sans s'approcher du corps. D'où tient-il cette certitude ? Comment peut-il deviner en restant à trois ou quatre pas que la malheu- reuse ne respire plus ? Tout ne se passe-t-il pas comme s'il voulait empêcher les autres de s'approcher ? Cela est si vrai que par la suite il s'opposera sur ce point à Marcel Boyer qui se trouvait déjà sur les lieux en sa compa- gnie avant que Roure ne remonte de la voie ferrée. Il assurera qu'il a pu constater le décès en se penchant sur la dépouille de l'enfant. — Impossible, répliquera Marcel Boyer. Il ne s'est pas plus que moi approché du corps. Qui a raison ? Qui rapporte la scène avec la fidélité la plus grande ? Et, si Clovis se trompe, le fait-il sciemment ou non ? Pour l'instant posons seulement les questions ! Mais le « procès » Dominici, le mot devant être pris dans son sens le plus large, procédure, enquête, instruction, audience, procès qui fut celui de l'opinion, procès qui est maintenant celui de l'histoire, tient dans une infinité de détails dont aucun n'est accepté par l'ensem- ble des acteurs. Sauf un : au matin du 5 août trois corps, un père, une mère, une enfant, sujets britanniques gisaient sans vie sur le territoire de la commune de Lurs. En dehors de cela, c'est la grande pagaille des sentiments et des mots. Une immense fresque de mosaïque qu'il nous faut reconstituer patiemment. Que dirait un artiste s'il devait composer son tableau avec des éléments dont les contours changeraient sans cesse ?

La première chose que voit Louis Romanet, c'est la voiture en stationnement. Elle est immatriculée GB et la plaque porte le numéro NNK 686. Il s'agit d'un break Hillmann de couleur vert amande. Elle est arrêtée sur l'emplacement d'un dépôt de gravier des Ponts et Chaussées, sur le côté gauche de la route, le nez tourné vers Marseille. Les deux portières de côté sont fermées à clef, tandis que la portière arrière est simplement poussée avec la clef sur la poignée. Louis Romanet note à l'intérieur un désordre indescriptible. Sur la carrosserie aucune trace de balle. Il relève seulement sur le pare-chocs arrière un lambeau de chair qui y est collé. Il cherche aussi des empreintes de doigts : néant. Avec le gen- darme Bouchier il prend les premières mesures. Il fait l'inven- taire des objets épars autour de la voiture : un lit de camp sur lequel sont posés des couvertures, un sac de plage, une serviette, deux sièges provenant probablement de la voiture, une bouteille, un chapeau en toile blanche pour enfant, un cahier dont l'écriture « semble anglaise », deux pièces de cinq francs. Le maréchal des logis s'intéresse alors au corps le plus proche de la voiture. C'est une femme dont la dépouille a été cachée à moitié par une couverture qui masque le haut du corps à partir des reins. Louis Romanet soulève cette couverture : il aperçoit une tête face contre terre. Mais il peut se rendre compte que le visage est bleuté et taché de sang. Il rabat la couverture et se relève. — Il y a un homme mort de l'autre côté de la route, lui signale Bouchier. Il est recouvert d'un lit de camp. Les deux hommes traversent la route et Romanet se penche sur le second cadavre. Il s'agit d'un homme vêtu d'un tricot de peau, d'un pantalon de pyjama bleu ciel, chaussé d'espadrilles non lacées. Il est légèrement recroquevillé, la tête en direction de , c'est-à-dire côté Marseille. Sa face est violette. Romanet constate une blessure à la poitrine qui a été probable- ment transpercée par une balle. Age : 60 ans environ, crâne légè- rement dégarni, petite moustache blonde, tel est le signalement sommaire que trace le maréchal des logis. Les gendarmes reviennent vers l'Hillmann et Romanet exa- mine le corps de la femme. Sous le bras il distingue une ample blessure. Signalement : 40 ans environ, cheveux bruns, assez forte corpulence. Louis Romanet note soigneusement la position de la victime par rapport à l'auto : à gauche de celle-ci, en obli- que — le détail aura son importance — à 5,25 m de l'arrière et 5,30 m de l'avant, c'est-à-dire pratiquement au milieu. Préci- sions qui sont la routine des premiers instants d'une enquête. Souvent ils sont inutiles : ils joueront ici un grand rôle par la suite. C'est en se relevant après avoir pris une mesure que Louis Romanet se rend compte d'une présence : un homme grand et vigoureux, le visage fortement taillé, vêtu d'un pantalon brun et d'un maillot de corps se tient derrière lui. Romanet le connaît plus ou moins : Gustave Dominici, le fils du fermier de la Grand'Terre — Quelle nuit ! dit Gustave. — En effet. — Nous avons eu très peur. Romanet ne prête pas attention sur-le-champ à la phrase qu'il vient d'entendre. Qu'a voulu dire Gustave Dominici ? A-t-il vu, entendu, sait-il ce qui s'est passé ? Le gendarme suit le geste du fermier qui de la main désigne la Durance. — Il y en a un troisième, dit-il. Romanet s'étonne : cela tourne au massacre. — Une fillette, précise Gustave. Ils descendent le chemin. Au passage Romanet remarque que des objets sont encore disséminés sur le sentier, notamment un coussin de plage. Par la suite il trouvera à proximité une pièce de dix francs. Sa première pensée est qu'il s'agit d'un crime de rôdeurs : après avoir tué ils ont pillé la voiture et cherché les objets de valeur qu'ils pouvaient emporter. La fillette qui paraît âgée de 10 ans environ est vêtue d'un pyjama bleu ciel. Elle gît les bras en croix, couchée sur le dos, les pieds nus. La tête est un paquet de sang. Elle a été assommée avec un instrument contondant. Le corps est déjà froid, comme ceux des adultes d'ailleurs. Romanet mesurera par la suite la distance qui sépare le cadavre de l'enfant de l'Hillmann : 77 mètres. — C'est terrible, dit Gustave. Lentement ils reviennent vers la voiture. Romanet avise sur le sol un carnet noir. A la première page est inscrite l'identité du propriétaire : « Drummond Jack, Cecil, directeur, né le 12 janvier 1891 à New Caster (Angleterre). » Romanet songe qu'il est désormais urgent de prévenir ses chefs et de mettre en mouvement l'appareil judiciaire. Ce n'est plus une affaire banale. Trois Anglais massacrés dans ce coin de Provence, gisant sous le soleil d'été, touristes venus là pour ren- contrer la mort, l'événement ne passera pas inaperçu. Mais avant d'aller téléphoner Louis Romanet entreprend quelques recherches : si, comme tout le laisse penser le meurtre a été commis à coups de feu, l'on doit trouver les douilles, élément essentiel pour identifier par la suite l'arme — ou les armes. Mais la première pièce qu'il découvre est une balle non percutée. Elle se trouve à 6,40 m de la voiture près d'un regard d'écoulement des eaux d'arrosage. Non loin d'elle Romanet ramasse un étui de cartouche vide, donc percuté. De même à hauteur de la tête de la femme le maréchal des logis recueille deux autres étuis vides. — On dirait que c'est une carabine américaine, note aussitôt le maréchal des logis. Louis Romanet s'intéresse également à d'autres indices des traces de pas sur le rebord de la falaise. Elles vont dans deux sens opposés vers le corps de la fillette. Elles semblent avoir été faites par des chaussures à semelle de crêpe, trois trous au talon, cinq à la semelle. Les empreintes sont très nettes, le sol étant sablonneux. Elles ne révèlent aucune trace de coupure ou d'usure. Les mesures permettent d'établir qu'il s'agit d'une pointure 42 1/2. Les gendarmes les protègent avec des branchages. Taches de sang aussi : Romanet et Bouchier en relèvent près d'un chêne situé à 6,50 m de l'arrière de la voiture et sur la route nationale. Elles partent du regard d'écoulement en direction du corps de l'homme, diminuant à mesure qu'elles sont plus proches du cadavre. Elles permettent donc de suivre la course de la vic- time fuyant devant son ou ses assassins. Aucune trace de lutte autour des corps ou de la voiture. Louis Romanet estime que ses premières constatations lui permettent de faire un rapport suffisant à ses chefs. Il laisse Bouchier sur les lieux et gagne le poste téléphonique le plus proche, celui d'un abonné de Lurs, M. Silve. En quelques mots, il met au courant le chef de la gendarmerie de Forcalquier. Puis il se rend à la mairie de Lurs pour prévenir le maire, M. Estou- blon. — Je vais demander au docteur Dragon de venir sur les lieux, dit-il. Pendant ce temps le capitaine Albert, commandant la sec- tion de Forcalquier, donne les coups de fil nécessaires, avertis- sant le procureur de Digne et la police judiciaire, sans oublier des personnages de moindre importance mais que les règlements l'obligent à alerter : le juge de paix de Peyruis et le garde- champêtre de Lurs. Une enquête sur un crime est un théâtre où l'on ne lésine pas sur le nombre des personnages. Même s'ils ne doivent faire que de la figuration.

Louis Romanet est de retour sur les lieux du crime. Bouchier, le gendarme, lui fait son rapport. Aucun incident mais les pas- sants commencent à s'arrêter et il faut les refouler sans cesse. Quant à Gustave il se tient à proximité. Le maréchal des logis s'adresse à lui : — Il faudrait que vous me fassiez une première déclaration, dit-il. Les mains dans les poches, Gustave a déjà cet air absent et contraint qu 'il opposera par la suite à tous ceux qui l'interroge- ront. C'est un très solide gaillard aux cheveux noirs et bouclés, les pommettes charnues, le regard sombre, la peau bronzée. Les Anglais, dit-il, je les ai vus hier soir pour la première fois. Il devait être huit heures et demie. — Comment avez-vous su qu'il s'agissait d'Anglais ? — A cause de la voiture. — Que faisiez-vous dehors à 20 h 30 ? J'avais peur pour l'éboulement. Je voulais aller voir où il en était. Les mains sur les hanches, Gustave répond sans paraître réflé- chir, nullement embarrassé. — Ils se couchaient, je crois, dit-il, ils étaient en pyjama, j 'ai même pensé : Tiens voilà des gens qui ne s'en font pas de se déshabiller en plein air. Je suis passé près d'eux et je suis allé vers la voie ferrée. Ensuite je suis rentré me coucher. — Et les coups de feu ? Gustave arrête la question. — Vers 23 h 30, dit-il, il y a eu autre chose. J'ai entendu un side-car ou une grosse moto derrière la ferme. Il était monté par un homme, une femme, un enfant. L'homme est entré dans la cour et a appelé. Mais il parlait une langue étrangère et je n'ai rien compris. Il n'a pas insisté. Je me suis rendormi et c'est vers 1 heure du matin que j'ai entendu cinq ou six coups de feu. Ils venaient de la route nationale, pas très loin, je pense. Les chiens ont aboyé pendant une demi-heure. — Et vous n'avez pas été voir ce qui se passait ? — Non, fait simplement Gustave. — A quelle heure avez-vous découvert le crime ? — A 5 heures et demie, en me levant. Son premier soin, en se réveillant, raconte-t-il, a été de vérifier si le talus avait tenu. Il s'est donc rendu sur la voie ferrée en empruntant le même chemin que la veille au soir. En passant près de la voiture il n'a rien remarqué d'anormal et a poursuivi jus- qu'aux lieux de l'éboulement. C'est du haut de la pente qu'il a aperçu la fillette allongée dans l'herbe, la figure ensanglantée. — Elle avait l'air morte, dit-il. J'ai pensé que c'était la fille des campeurs. Il est donc remonté vers la route. C'est alors qu'il a arrêté un motocycliste qui passait, M. Jean-Marie Olivier, le priant de prévenir les gendarmes. — Au moment des coups de feu, vous n'avez entendu aucun cri, aucun appel ? demande Louis Romanet. — Rien. — Ce motocycliste qui est venu dans la nuit, vous pourriez le reconnaître ? — Non, il faisait trop sombre. — Et la moto ou le side-car ? — Je ne l'ai pas vu. Ainsi parle en ces premières minutes de l'enquête Gustave Dominici dont le monde entier va sous peu connaître le nom, découvrir aussi non seulement l'image mais sa vie tout entière, ses habitudes, son genre de vie. La Grand'Terre, l'endroit où il est né et dont il n'est jamais sorti, ferme anonyme sur laquelle les automobilistes jettent un coup d'œil furtif, devient tout à coup l'un des hauts lieux de l'actualité. Or, si l'on en croit Gustave, les j échos du terrible drame se réduisent à bien peu de choses : quelques coups de feu auxquels pas plus que sa femme ou son père il n'a prêté attention. Quant à sa découverte matinale elle s'est faite par hasard sans que Gustave montre beaucoup de curio- sité. Il est passé près d'une voiture abandonnée autour de laquelle règne le plus grand désordre. Il découvre une fillette inanimée. Ses parents campent à quelques mètres — 77 —, et son détache- ment est admirable. Pourquoi ne se précipite-t-il pas vers les parents pour voir ce qu'ils sont devenus et leur apprendre le drame qui les frappe, s'ils ne le connaissent pas ? Mais Louis Romanet a autre chose à faire en cet instant que d'entreprendre la critique de la première déposition. Il achève l'inventaire de la voiture, découvrant un billet de 5 000 F, somme qui en 1952 ne correspond guère aux besoins d'une famille étran- gère en déplacement à travers la France. Il se peut donc que le vol soit le mobile du crime et que la coupure ait été oubliée par l'assassin.

Il est 8 h 30 lorsque le docteur Dragon arrive. Le prati- cien se met aussitôt au travail. Sur le corps de l'homme il découvre deux traces de balles : l'une entrée à la base de l'omo- plate gauche, l'autre à 3 cm au-dessus du mamelon droit. La femme porte une blessure en dessous du sein gauche. La balle est sortie au-dessus et en arrière du sein droit, brisant l'humérus droit. Le cœur et les poumons ont été lésés. Un second coup de feu a frappé à 2 cm de la base de l'omoplate droite. Les blessures de l'enfant retiennent son attention. Elles sont horribles. Le crâne a été littéralement défoncé par un instrument dont on s'est servi avec une grande violence. La région frontale est écrasée de même que l'orbite droite. La région mastoïdienne est également atteinte. Tandis que le docteur Dragon effectue son examen, un vieillard chemine tranquillement vers les lieux du crime, s'appuyant sur une canne noueuse, vêtu d'un pantalon de velours et d'une chemise bleu sombre à rayures, une ceinture de vieille étoffe faisant plusieurs fois le tour de la taille, un chapeau à large bord sur la tête. Avec sa moustache blanche et drue, son visage bien rempli, ses pommettes qui se plissent volontiers, ses sourcils fournis toujours noirs malgré l'âge, il donne une impres- sion de confiance et de solidité. Les gendarmes le connaissent bien d'ailleurs : Gaston Dominici, maître de la Grand'Terre. — Alors, pépé, dit l'un d'eux, il s'en est passé des choses cette nuit près de chez vous. Gaston hoche lentement la tête. Il vient, dit-il, d'apprendre la nouvelle par sa belle-fille, Yvette. Il n'est au courant de rien. A 4 heures comme chaque matin il s'est levé pour guider ses chèvres dans la montagne, prenant la direction opposée au cam- pement des Anglais. Il s'approche de la voiture et aperçoit le cadavre de la femme. Un gendarme lui montre le corps de Sir Jack Drummond. — Il y en a un troisième là-bas sur la pente, dit-il. Une petite fille. — Malheur ! fait Gaston. Puis de sa démarche lente mais souple encore il se dirige vers le pont du chemin de fer. Il revient quelques instants après. Il affirmera plus tard qu'il a donné un conseil : — Il faudrait mettre une couverture sur la petite, les fourmis commencent à lui courir sur les joues. Un gendarme lui tend une couverture. Le vieillard redescend vers la voie ferrée. Quand il revient, il se tient debout sur le bord du chemin, observant les gendarmes qui continuent à prendre des mesures ou à dresser l'inventaire. Gustave est toujours près de la voiture qui semble le fasciner. Il y a maintenant beaucoup de monde. Gaston parle avec ceux qu'il connaît, un garde forestier, M. Barrière, le boucher du village qui faisait sa tournée et qui s'est arrêté. A tous Gaston répète qu'il ne sait rien, pas plus que son fils. Ils ont entendu des coups de feu, c'est vrai, mais ce n'est pas un événement insolite. Les chiens ont aboyé mais là encore ce n'est pas suffisant pour vous tirer du lit. A 9 h 30 une voiture déverse sur les lieux le procureur de Digne, le juge d'instruction Roger Périés, un commandant de gendarmerie. Le Parquet saisi de l'affaire prend la direction de l'enquête. Adossé au mûrier, fumant sa pipe qu'il vient d'allumer, Gaston contemple ces grands personnages qui envahissent ses terres. Il n'en paraît pas troublé le moins du monde.

Lurs, la Grand'Terre, Peyruis, Ganagobie, ces noms qui bien- tôt vont devenir familiers à tous les lecteurs de journaux, que désignent-ils, quelle région de France, quelle Provence ? Pour répondre nous avons un guide qualifié : Jean Giono, né à quel- ques kilomètres de là, à Manosque, qui y vécut pratiquement toute sa vie et qui de ce périmètre réduit fit le théâtre d'une épopée populaire. — Dominici, c'est moi qui l'ai créé, devait-il dire plus tard non sans ironie. Il ajoutait que les critiques littéraires étaient de curieuses bêtes. Pendant des années ils avaient nié que les personnages de « Regain » ou de « Que ma Joie demeure » existent réellement. Création littéraire, affirmaient-ils, péremptoires. Et Giono mon- trait le vieux Gaston : ne sortait-il pas tout équipé d'une page de roman ? Nul mieux que Giono n'a décrit ce pays. Pour comprendre cette Haute-Provence il n'est nul besoin d'emporter avec soi l'un de ces guides qui décrivent une région mètre par mètre, donnant scrupuleusement le numéro des routes et le kilométrage, s'attar- dant sur la moindre ruine et traçant à son propos un bref histo- rique où l'on retrouve des noms enfuis dès que lus de la mémoire. Mieux vaut partir avec un Giono sous le bras, « Le Hussard sur le Toit » ou bien « L'Iris de Suse ». Vous n'y trouverez pas le nom de toutes les pierres vieillies sous le soleil. Vous saisirez l'âme du pays. C'est l'essentiel. D'abord Lurs. C'est un village au sommet d'une colline, vestige d'une histoire qui remonte au Moyen Age et qui s'achève aujourd'hui avec une poignée de survivants. On peut y acquérir pour pas grand-chose une maison qui eut jadis son heure de gloire — le vendeur du moins l'assurera en évoquant les pro- priétaires disparus et l'on est bien obligé de le croire — mais qui maintenant coûterait une fortune si l'on voulait lui rendre sa grandeur. Autour du village des vignes puis un bois de pins que coupe une falaise de trois ou quatre cents mètres. De là on aperçoit la Grand'Terre qui est située dans la vallée. Peu de traits communs entre les Dominici et les gens « d'en haut ». D'ailleurs à l'époque seuls des chemins caillouteux permettaient d'atteindre Lurs. Il fallait pour s'y rendre un motif sérieux ou le désir de contempler de haut le cours de la Durance tumultueuse. Jadis Charlemagne avait fait don de Lurs aux princes évêques de Sisteron. On s'en souvenait en contemplant les hautes façades de certaines maisons dites « des princes de Lurs » par les gens du pays. Face à Lurs, sur une autre colline, un autre village, un hameau plutôt, Ganogobie. Un beau nom et qui chante sa Pro- vence. Pour le décrire j'emprunterai à Giono. Il serait présomp- tueux d'entrer en concurrence avec lui alors qu'il parle d'un pays qui est le sien : « Ce plateau, rond comme un plateau de garçon de café et guère plus grand, porte à cent mètres au-dessus du lit extravagant de la Durance, des terres qui viennent à peine d'émerger du déluge. Une forêt d'yeuses toute neuve s'y épanouit. C'était un habitat gallo-romain : il en reste une hutte de pierres sèches et les décombres d'un village. L'abbaye elle-même est en ruine autour de son cloître resté intact. Restée intacte aussi l'église de l'abbaye, son porche roman cent mille fois photographié et qui tire des cris d'admiration même à ceux qui ne croient d'ordinaire qu'aux matches de football... « Celui qui est ému à Ganagobie par les vestiges de la foi ou par les vestiges de l'histoire doit aller se pencher, à mon avis, sur les fonds qui séparent Ganagobie de la montagne de Lurs. Il dominera le plan cavalier d'une sauvagerie sans exemple. » A Ganagobie en effet a été édifiée jadis une abbaye de béné- dictins. Il n'en reste plus qu'un ermite, le Père Lorenzi, dont la solitude devait pendant des mois être assiégée par la foule des curieux et des journalistes persuadés que le religieux tenait soit de confidences reçues soit d'une révélation divine la vérité sur le drame « d'en bas ». S'il en fut ainsi, il faut bien dire que c'est là encore l'un des mystères de l'affaire : jamais le père Lorenzi, hôte aimable et souriant, ne livra à quiconque la moindre information. Autre point d'attraction, la gare à moitié désaffectée de Lurs, située dans la vallée à quelques kilomètres de la Grand'Terre. Les trains de voyageurs ne s'y arrêtent plus mais seulement les convois de marchandises. Pourtant elle garde son utilité à l'époque en raison du charbon d'une mine située dans la montagne. Un téléférique aboutit à proximité et les bennes font le va-et- vient sur six kilomètres de câbles entre Sigonce et Lurs. En haut il y a les mineurs, en bas les cheminots. C'est pourquoi Faustin Roure, le brigadier-chef, dispose d'une équipe plus nom- breuse que ne le justifie le trafic. Quant aux lieux-dits ou hameaux les plus proches ils se nomment Oraison et La Brillanne à chaque bout du pont sur la Durance — ou bien au nord Peyruis où demeure Clovis, le fils devenu cheminot. Ce sont les noms qui reviendront le plus sou- vent. Gaston y a essaimé ses neuf enfants qui sauf l'un d'eux se sont fixés dans la région, la plupart cultivateurs comme lui, étroitement unis encore au berceau de leur famille, la Grand'Terre, quelques arpents de terre étranglés entre la grande route et la voie ferrée, qui pour le père étaient le gage de sa réussite. De cette nature rude et primitive, caillouteuse et exubérante à la fois faut-il tirer des enseignements pour connaitre les hommes que nous allons voir agir ? « Nous sommes tombés sur des montres, fait dire Giono à l'une de ses héroïnes, Pauline de Théus, dans « Le Hussard sur le Toit ». « Non, répond Angélo, le hussard, nous sommes tombés sur de braves gens qui ne craignent plus les gendarmes. C'est pire. Ils vous couperaient le cou avec un cure-dent, quitte à s'y reprendre à cent fois. » Jolie formule dans sa cruauté ironique. Il est bien vrai que l'on est toujours étonné de voir surgir dans un box les « monstres » annoncés à l'extérieur. Ils ressemblent en général à tous les autres hommes et pas seulement au physique. Ils ont seulement écouté d'une oreille plus complaisante les voix caverneuses que nous portons en nous. Et surtout est-il certain qu'ils ne craignent plus les gendarmes ? Ainsi ce 5 août au matin peut-on affirmer que ceux qui « savent » ne redoutent pas les questions qu'on va leur poser, les précisions que l'on récla- mera, les pièges que l'on ne manquera pas de leur tendre ? Certes Gaston fume tranquillement sa pipe en promenant un regard placide sur les gendarmes qui s'agitent. Certes Gustave, les mains dans les poches, roule les épaules de groupe en groupe, racontant à chacun comment il a découvert le corps. Ils sont les premiers à s'indigner, surtout pour la « petite ». Pour le reste ils ont l'œil candide de ceux qui n'ont rien à cacher. Mais n'est-ce qu'une attitude ? Au fond d'eux-mêmes ne ressen- tent-ils pas l'angoisse des affrontements qui les attendent ? — C'est le commissaire Sébeille qui monte, dit un gendarme. Le vieux Gaston hoche la tête. Le nom ne lui dit pas grand- chose. Il interroge : qui est ce Sébeille ? — Il est de la P.J. de Marseille, lui répond-on. Il est très fort, paraît-il.

Ce matin-là le commissaire Edmond Sébeille, 45 ans, s'est levé comme chaque jour à 7 heures. Il est seul dans son apparte- ment de la rue du Docteur-Acquaviva à Marseille : sa femme et sa fille Roberte, 18 ans, sont parties en vacances dans la maison que les Sébeille possèdent dans l'Aveyron. Le policier compte bien les rejoindre le 14 août, date du départ de son congé. Il s'est préparé son café, a fumé sa première cigarette puis est descendu pour prendre l'autobus 49 de 7 h 59 pour se rendre à l'évêché. Le mot ne doit pas prêter à confusion : c'est dans l'ancien hôtel des évêques de Marseille que la police tient son siège et notamment le service régional de police judi- ciaire, émanation de la Sûreté nationale, auquel appartient Edmond Sébeille. C'est un vaste bâtiment auquel on accède par le Vieux Port mais d'où l'on domine toute la rade. La cathédrale est en face. Début août, pleine période des congés, les effectifs de la police sont au plus creux. Par chance il semble que les malfai- teurs se donnent aussi de l'aise et se reposent d'une saison bien garnie. Peu d'affaires graves, sinon le meurtre d'un Arabe sur lequel l'équipe de Sébeille enquête. Pourtant le commissaire n'est pas rassuré : — Il vaudrait mieux que l'on ne dérouille pas une grosse affaire, dit-il à son collaborateur, l'inspecteur Henri Ranchin. Nous ne sommes pas lourds. Il est 9 heures environ. Sébeille lit son journal, classe des papiers, relit des procès-verbaux lorsque le téléphone intérieur sonne. Ranchin décroche et presque aussitôt tend l'appareil à Edmond Sébeille. — Le patron. Il veut vous voir. Sébeille prend le combiné. — J'ai quelque chose pour vous, venez vite, entend-il. C'est le « divisionnaire » M. Harzic, commandant la 9 bri- gade de police mobile. Sébeille enfile sa veste qu'il a quittée et d'un pas rapide se rend au bureau de son chef. Celui-ci lui tend aussitôt un télégramme de service. « Trois cadavres, lit Edmond Sébeille, ont été découverts ce jour 5 août 1952, vers 6 heures du matin, sur le territoire de la commune de Lurs, à environ 600 mètres de la gare de la localité. Des premières constatations faites il semble qu'il s'agisse d'un crime dont le mobile paraît être le vol... » Cependant ce message contient plusieurs inexactitudes. Il annonce par exemple que les trois victimes ont été abattues par des armes à feu, ce qui est faux pour la petite fille. Il affirme qu'aucun papier d'identité n'a été découvert. — Partez vite, dit le divisionnaire, vous êtes l'homme qu'il faut. Il fait allusion aux affaires débrouillées par le commissaire Sébeille. Il est vrai qu'un certain nombre d'entre elles ont eu pour cadre la campagne provençale : sur quatorze affaires de sang résolues par lui huit ou neuf concernent le monde rural. Edmond Sébeille comprend le provençal et le parle. Cet atout l'a servi à plusieurs reprises. La première difficulté pour Sébeille est de réunir son monde. Il est impossible, on le conçoit bien, de travailler seul à la solution d'un assassinat. Il faut tout à la fois procéder aux constatations, interroger les témoins, vérifier leurs dires, opérer des contrôles, parfois partir à la recherche d'un absent. Tout doit être fait en même temps. Les policiers du monde entier sont du moins d'accord sur un point : les premiers instants d'une enquête sont capitaux. Parfois son destin se joue au même titre que la vie d'un homme frappé d'une congestion cérébrale et qui doit être ranimé en quelques secondes, faute de quoi les cellules du cerveau sont détruites. Dans une enquête de police la même désintégration s'accomplit : des traces disparaissent, des témoins préparent leurs variations, la vérité se détruit d'elle- même sans espoir de réanimation. Or sans qu'aucune faute puisse lui être reprochée sur ce point Edmond Sébeille va perdre de précieux instants dans la matinée du 5 août. Normalement d'ailleurs c'est Nice qui devrait intervenir : la 9 brigade a un détachement dans les Alpes-Maritimes avec droit de regard sur les Basses-Alpes. Edmond Sébeille en fait l'observation à M. Harzic : — Ils n'ont personne, réplique le divisionnaire. Sébeille constate rapidement qu'il n'est pas mieux partagé. Il lui faut quatre ou cinq inspecteurs : ce n'est que vers midi qu'il réunit son équipe. Ses collaborateurs habituels sont en ville. L'un piste dans le port l'assassin présumé du Nord-Africain, l'autre poursuit une conversation amicale avec un « mouton » de la prison des Baumettes. Finalement à midi s'entassent dans la traction-avant conduite par l'inspecteur Girolami, le commissaire Sébeille et ses adjoints, les inspecteurs Henri Ranchin, Lucien Tardieu et Antoine Culioli. Mais avant de foncer sur Lurs il faut d'abord traverser tout Marseille pour faire le plein d'essence. A cette époque une voiture de police ne peut pas s'arrêter dans une station pour se ravitailler en carburant. Elle doit obligatoirement se rendre dans un parc militaire, boulevard de la Corderie où son chauf- feur règle avec des bons remis par la direction. Les camions militaires eux-mêmes font la queue. A midi et quart seulement Girolami peut mettre le cap sur les Basses-Alpes. Il lance la voiture en avant comme un cascadeur de films policiers. « On n'arrivera jamais à Lurs, pense Sébeille, on va se tuer. » Quel est l'homme à qui échoit le soin de dénouer le triple crime ? Au physique un homme de taille moyenne, le teint brun, les cheveux noirs se dégarnissant sur les tempes, volontiers souriant, tirant sans cesse sur un fume-cigarette qui en l'espace de quelques mois deviendra aussi célèbre que la pipe de Maigret. Au moral on peut inscrire en sa faveur une ténacité peu com- mune et une patience que rien ne rebute. Une conscience profes- sionnelle poussée à l'extrême et un amour de son métier qui ne se démentira jamais. Vif et instinctif il a peut-être le tort de s'exalter et de croire le succès assuré parce qu'une faible lumière pointe à l'horizon. Il confond parfois espoir et réalité. Il précède l'événement. Il a confiance dans son intuition. Dans un portrait que l'on tracera de lui on écrira qu'il « part du principe que la réalité doit nécessairement « coller » avec ses conceptions propres ». Jugement sévère tiré d'une analyse « phré- nologique » sans grande base scientifique : même s'il lutte contre cette tendance — et l'on verra qu'il n'y a pas manqué — il s'agit peut-être du défaut majeur d'Edmond Sébeille. Il est un Méridional à sang chaud, contrairement à l'autre commissaire qui un temps assurera son relais, le commissaire Constant, blond, regard clair, placidité à toute épreuve, bien que né lui-même à Forcalquier. Cet amour incontestable de son métier, Edmond Sébeille le tient de son père Robert Sébeille, qui a été durant des années l'un des as de la police marseillaise. Et le fils a tellement admiré le père qu'à l'âge d'homme il n'a pas envisagé de faire un autre métier. Edmond Sébeille connaît cependant les risques courus. A quatorze ans, raconte-t-il dans ses souvenirs il a vu son père allongé dans une civière alors que celui-ci venait de recevoir trois balles de revolver dans le ventre. Il a voulu s'approcher pour l'embrasser mais les gens le repoussaient en lui criant que ce n'était pais un spectacle pour un enfant. — Mais c'est mon papa, pleurait l'enfant. En 1930, à vingt-trois ans, il entre dans la police. Il est affecté à Montpellier puis à Paris où il s'occupe des « tireurs » internationaux. Puis il est nommé commissaire de police à Aix et enfin détaché à la 9 brigade de Marseille. Mais la pensée de Sébeille tout en roulant vers Lurs le reporte beaucoup plus loin à une époque où il n'est encore qu'un adolescent. En 1928 à Valensole, c'est-à-dire à 20 km de Lurs, un affreux carnage a été commis : un couple de fermiers, les Richaud, les deux enfants, Clément et Henri, le domes- tique de la ferme, Amaudric. Quatre jours plus tard les assassins sont arrêtés : deux voyous, Alexandre Ughetto et Joseph Witkowski. Le premier sera guillotiné un an et demi plus tard et criera, avant que le couperet ne s'abatte : — A moi les becs de gaz, la terre m'abandonne... Or, le policier qui a amené les meurtriers à la justice n'est autre que Robert Sébeille dont ce sera le plus grand titre de gloire. Cela paraît de bon augure pour Edmond Sébeille. Une ren- contre du destin.

A Lurs pendant ce temps l'on attend avec impatience l'arrivée des policiers. Certes sont déjà réunis sur le terrain les person- nages exigés par le Code pour mener une enquête selon les règles : le procureur, M. Sabatier, le juge d'instruction, M. Roger Périés, les gendarmes sous la direction de leur capitaine, M. Albert, qui connaît le pays comme sa poche, ayant exploré depuis des années le moindre recoin de montagne ou de lande, tout aussi bien que l'âme et l'esprit de ses concitoyens. Mais la police judiciaire est l'instrument principal de la justice, le bras droit du juge d'instruction. La machine ne se mettra en marche qu'au moment où les spécialistes débarqueront pour mettre à la disposi- tion des magistrats leur expérience, fruit de la routine. En termes de pilotage on dirait que ce sont ceux-là qui possèdent la véritable « check-list » des opérations dont on ne doit oublier aucune pour qu'une enquête décolle bien. Ici trois heures au moins — les plus précieuses de toutes — ont été perdues. A mesure que les heures passent, Gaston Dominici semble s'enhardir. Alors que dans les premiers instants il se contentait 1. L'affaire Dominici, la vérité sur le crime de Lurs, Fayard, 1970. de regarder, muet et impénétrable. Son petit-fils, Roger Perrin, 19 ans, le fils de Germaine dont le mari exploite la ferme de La Serre, à ses côtés. C'est un adolescent bizarre, tête folle qui bientôt sera sous les feux des projecteurs. En attendant il s'amuse beaucoup, se passionnant pour le travail des gendarmes qui prennent consciencieusement toutes les mesures possibles et ima- ginables. — Au lieu de nous regarder comme des bêtes curieuses, lui dit l'un deux, tu ferais mieux de nous aider. Le garçon obéit, tenant le ruban d'acier aux endroits que lui indiquent les gendarmes. Mais quand il passe devant le grand-père, celui-ci se fâche : — Qu'est-ce que tu fais là ? grogne le vieillard. — Tu vois. — C'est pas ton métier, laisse, ordonne Gaston. Les gendarmes dévisagent le vieux fermier : pourquoi cette hargne subite ? Mais Gaston détourne le regard, confirmant d'un geste brusque l'ordre qu'il a donné. Par le verger souvent il regagne la Grand'Terre accueillant les visiteurs qui se succèdent et qui « sont venus voir ». Il y a bien entendu tous les membres de la famille, fils et filles, gendres et belles-filles, mais aussi amis et voisins. A tous Gaston fait le même récit : il n'a rien entendu, sinon quelques coups de feu qui ne lui ont pas paru plus dramatiques que d'autres nuits. Sur le sentier qui va de la route à la Durance et qui coupe ses terres passent souvent des sangliers. Les gens du pays le savent et il arrive que certains d'entre eux se postent à l'endroit où campaient les Anglais. A tous les visiteurs on sert soit le pastis, soit un petit verre de vin blanc sec et dur, celui de la vigne. Chaque fois Gaston essuie ses moustaches blanches puis de nouveau plante sa pipe entre ses lèvres. Ensuite il va s'asseoir un moment sur un billot placé au pied d'un arbre. Tout vif et tout cru, c'est au sens propre du mot le berger de L'Arlésienne, sage et placide. Pourtant Gaston Dominici n'est pas ce jour-là dans ses instants de sérénité. Ainsi le docteur Dragon est-il fort étonné de la manière dont il est reçu après qu'il a procédé à un premier examen des victimes. Il vient à la Grand'Terre pour se laver les mains souillées par le sang et la poussière. Ils se connaissent bien, Gaston et lui ayant sensiblement le même âge. Le médecin est venu parfois à la Grand'Terre pour soigner l'un des habitants. — Qu'est-ce que tu viens faire ? demande le fermier. Le ton surprend le médecin par sa hargne. — Je voudrais seulement que tu me donnes de l'eau, répond-il. Mais Gaston reste assis, le regard fixé sans amitié sur le docteur Dragon, presque hébété. A ses côtés sa femme, debout, immobile, semble pétrifiée comme lui. — De l'eau, de l'eau, répète-t-il sans bouger. Quelles pensées remue-t-il ainsi dans sa tête ? Il semble perdu, égaré. Le docteur Dragon s'impatiente. — Ce n'est pas difficile, ce que je te demande, dit-il. Donne- moi de l'eau et c'est tout. Alors Gaston se lève et dans un coin de la cour va pêcher une cuvette cabossée. — Si je te donne cette cuvette, dit-il c'est celle des chevaux et, s'ils sentent le sang, ils ne boiront plus. Le praticien ne peut se contenir : — Ecoute, dit-il, je ne te demande pas une cuvette mais de l'eau. Gaston lâche la cuvette et désigne la pompe de la ferme. — Viens, dit-il. Tandis que le médecin tend ses mains, il consent à pomper l'eau. Intrigué, le docteur Dragon scrute le visage rose de cet homme de 75 ans. Nulle trace d'émotion et même d'irritation. Pourquoi cet accès de colère subit ? Le docteur Dragon est loin de soupçonner Gaston ou même l'un des habitants de la Grand'Terre. C'est pourquoi il attribue la grogne de Gaston à l'envahissement qui se produit. Mais n'est-ce pas aussi qu'en participant aux recherches, en se faisant l'auxiliaire des gen- darmes le praticien se range dans le camp adverse, lui l'homme du pays, le contemporain, le médecin en qui l'on a eu confiance ? Gaston a d'ailleurs oublié l'incident. Il ne parle pas, il ne regarde pas le médecin, le laissant partir sans un mot. Le docteur Dragon quitte la Grand'Terre, intrigué.

L'homme le plus actif dans l'étroit triangle de gravier que l'on protège de plus en plus mal contre l'invasion des curieux est sans aucun doute le capitaine Albert. Sous peu il passera le flambeau au commissaire Sébeille. Du moins ne perd-t-il pas son temps. Une bicyclette posée contre le mûrier l'intrigue. — Elle était là ce matin ? demande-t-il à Louis Romanet. — Non, fait le maréchal des logis. Le capitaine consulte la plaque d'identité : Gustave Dominici. Il lui semble étrange que le jeune fermier ait utilisé son engin pour franchir les 150 m qui séparent la Grand'Terre de la plate-forme fatale. Puis il décide de lâcher le chien policier de la brigade, Wash, champion de la région. La bête fonce vers la Durance, passe par le petit pont puis longe la voie ferrée. Il s'arrête brusquement et à quelques mètres les gendarmes découvrent un étui à lunettes. L'animal revient ensuite en direction de la Grand'Terre, hésite, dessine quelques cercles, flaire l'air, tourne le dos à la ferme, repart vers le champ de luzerne. Impossible d'interpréter les mouvements qu'il accomplit. A coup sûr le parfum lourd de cette journée ne le laisse pas insensible. Il lui dicte un message confus qu'il ne peut communiquer à ses maîtres. Ceux-ci tentent patiemment de l'écouter. Mais Wash se décourage. Il hume le sol, son corps tremble ou se fige. A chaque instant les gendarmes espèrent qu'il îles lancera sur une piste concrète. C'est en vain. A 13 h 30 Edmond Sébeille arrive, guidé par un gendarme à moto que les policiers marseillais ont rencontré en route. Selon son propre témoignage, la réception est plutôt fraîche. Le juge Périés avec qui il va collaborer pendant de longs mois laisse tomber d'une voix glaciale : — Vous voilà enfin... Sébeille explique au jeune magistrat pourquoi il n'a pu arri- ver plus tôt. « Quelle foire ! » pense-t-il en contemplant l'attroupement et le désordre qui règne sur le terrain. Son premier soin est de faire le vide. La tâche n'est pas aisée. La foule est là comme au spectacle : elle entend bien jouir jusqu'au bout du spectacle, cinéma en plein air, film policier transmis en direct. Entré les policiers et la foule des heurts se produisent. Sébeille se fâche même en apercevant un photographe qui prend paisi- blement des clichés des cadavres. Quant aux curieux ils s'ima- ginent sans doute qu'ils vont mener l'enquête en se transformant en détectives amateurs. Les enquêteurs commencent leur tâche sous les regards d'une foule qui observe et commente le moindre de leurs gestes à la manière d'un chœur antique. Pourtant l'on n'est pas au théâtre. Les morts sont de vrais morts. Et le coupable un vrai coupable. Ayant retrouvé une liberté de mouvements relative, le com- missaire reprend pour son compte les constatations déjà faites par les gendarmes. Il fait tracer un plan des lieux puis se rend à la Grand'Terre, non qu'il soit guidé par un instinct quel- conque mais parce que la ferme abrite les témoins les plus proches. Il découvre un corps de bâtiments sans grâce, la façade sur la route ne comprenant aucune fenêtre. La Grand'Terre tourne résolument le dos aux passants. On y pénètre par une allée qui débouche sur une cour de terre battue. Une porte étroite et basse qui fait face à la Durance donne accès à la cuisine. Sébeille s'intéresse à l'emplacement des fenêtres. L'une d'elles s 'ouvre vers le Nord, c'est-à-dire du côté de Peyruis, face aux lieux du crime. Le policier demande qui occupait la chambre. — Gustave et sa femme, lui est-il répondu. Sébeille tient à vérifier si de cette pièce l'on peut apercevoir distinctement le triangle de terre où s'est produite la tragédie. Il constate que la vue est en partie masquée à la fois par un verger s'étendant de la ferme jusqu'au sentier conduisant à la voie ferrée et par le toit avancé d'un hangar. Il faut monter au deuxième étage dans une chambre désaffectée, située au-dessus de celle des jeunes époux pour avoir une vue dégagée. Quant à Gaston Dominici il dort seul dans une chambre dont les fenêtres donnent vers le Sud-Est, c'est-à-dire la Durance. Première visite de Sébeille à la Grand'Terre ; pendant un an et demi il traversera souvent cette cour, salué par les aboiements de Mirza, la chienne attachée à une poulie courant sur un fil tendu d'un arbre au toit d'un hangar. Le commissaire revient sur les lieux du crime. Il inspecte l'Hillmann. — Rien n'a été touché ? demande-t-il. — Rien, assure le capitaine Albert. Est-ce exact ? On peut en douter. Bien plus tard lors de la contre-enquête du commissaire Chenevier, un journaliste connu, Roger Lachat, du « Dauphiné Libéré », écrira à un hebdomadaire parisien qui publie les opinions de quelques reporters venus de la capitale une lettre où il affirmera que seuls pouvaient parler raisonnablement de l'affaire « les envoyés spéciaux de province qui, arrivés sur les lieux très rapidement, avaient vu les cadavres, fouillé dans l'Hillmann et découvert avant la police, la gendarmerie et le Parquet, l'identité des Drummond ». Si les journalistes ont eu dès les premiers instants des telles faci- lités, ils n'ont sans doute pas été les seuls. Puis le commissaire connaît sa première satisfaction : le capitaine Albert lui remet les quatre douilles qui ont été décou- vertes. Deux ont été percutées, rappelons-le : elles portent l'ins- cription ALC. Les deux autres sont intactes et sur les balles Sébeille déchiffre la mention suivante : WCC 43 et 44. Le commis- saire en tire aussitôt la déduction suivante : il s'agit d'une carabine automatique dont le tireur connaît mal le fonctionnement. En effet il a tiré coup par coup, réarmant à chaque fois comme pour un fusil ordinaire alors qu'il n'en était nul besoin. En réarmant il éjectait une douille non percutée, ce qui explique la présence de deux d'entre elles sur le terrain. Pour Sébeille c'est un rayon de lumière : cette maladresse peut un jour devenir un trait distinctif de l'assassin. La voiture-laboratoire de l'Identité judiciaire s'emploie à relever les empreintes laissées sur la voiture. Un homme s'approche de Sébeille en se présentant : Gustave Dominici. — Vous trouverez peut-être mes doigts, dit-il, notamment sur la portière arrière. Un gendarme ne pouvait pas sortir car la serrure s'était coincée. Je l'ai aidé. Sébeille juge l'intervention « bizarre ». Par la suite les gen- darmes contestèrent vivement l'incident : aucun d'entre eux n'a eu besoin de l'assistance de Gustave pour sortir de l'Hillmann où ils s'étaient introduits pour dresser l'inventaire des objets. Des photographies sont prises par les inspecteurs spécialisés : les taches de sang, notamment l'une d'elles qui se trouve vers un puisard à quelques mètres de la voiture. Il n'en est pas de même pour les traces de pas sur le sentier. Le photographe les examine longuement puis fait la grimace. « Inutilisables », tel est son diagnostic. Le lambeau de chair collé sur le pare-chocs arrière retient un moment l'attention du commissaire Sébeille. Comme les gen- darmes il examine les papiers découverts, les traveller's cheques, l'autorisation de voyage du véhicule, les documents d'embarque- ment à Douvres, fait le compte de l'argent, le billet de 5 000 F dans le carnet de l'enfant, les menues pièces de monnaie. C'est bien peu pour un ménage de trois personnes accomplissant un voyage itinérant. Puis Sébeille procède à l'examen des cadavres. Sur celui de l'homme il note une plaie entre le pouce et l'index. La peau est arrachée : il fait le rapprochement avec le lambeau collé sur le pare-chocs. « La victime s'est enfuie devant l'assassin. Au passage elle a heurté de la main le métal et s'est blessée », pense le commis- saire. Il passe au corps de la femme et ses constatations sont les mêmes que celles des gendarmes. Puis avec l'inspecteur Ran- chin il descend vers le talus de quinze mètres où repose l'enfant. Les deux hommes ont sur-le-champ la même pensée : la malheu- reuse a été rattrapée par le tueur alors qu'elle tentait de fuir, affolée et elle a été massacrée sauvagement. « Elle est pieds nus, note Sébeille dans son rapport, la plante de ses pieds sans être sale, est marquée de légères traces d'empreintes de cailloux, à l'exclusion de toute égratignure. » Que l'on retienne bien cette précision car elle reviendra sans cesse sur le tapis au cours de l'enquête et du procès. Sur ce point le commissaire est en contradiction avec le docteur Dragon qui le premier a examiné le corps et n'a vu pour sa part ni poussière ni empreinte. Aux yeux du policier la conclusion est évidente : l'enfant a parcouru elle-même les 77 mètres qui la séparent maintenant de la voiture où elle dormait. Elle n'a pas été transportée, inanimée ou non, dans le ravin pour être achevée à l'abri des regards. Elle s'est écroulée à l'endroit où l'assassin l'a rejointe. A 16 heures seulement les trois corps sont enlevés, chargés sur une camionnette et transportés à l'hôpital de Forcalquier pour y être autopsiés par les médecins légistes, les docteurs Nalin et Girard. Sébeille reste encore un moment sur les lieux pour donner des instructions aux inspecteurs : — Cherchez donc du côté de la Durance, dit-il à Ranchin, au cas où le meurtrier aurait jeté son arme dans l'eau pour s'en débarrasser.

De son côté l'inspecteur Girolami s'est rendu à la Grand'Terre. Il y a trouvé Gaston et a échangé quelques phrases avec le vieillard. A l'entrée de la cour l'attention du policier est attirée par un pantalon qui sèche sur un fil de fer en face de la porte de la cuisine, très mouillé encore, donc fraîchement lavé. L'inspec- teur en est intrigué. — Qui fait la lessive à la ferme ? demande-t-il brusquement au vieux fermier. Gaston s'étonne : à quoi rime cette question ? Girolami se contente de la répéter. — Ma fille aînée, répond enfin le vieil homme. Elle vient chercher le linge toutes les semaines et le lave chez elle. — Drôle de travail ! fit Girolami, pensif. — Pourquoi ? — Elle rapporte le linge mouillé et le fait sécher chez vous. Gaston prend un visage amusé. Il considère avec un sourire le jeune policier et, selon son habitude, lorsqu'il se trouve avec des hommes d'une autre génération, le tutoie aussitôt. Mais l'on ne peut s'en offusquer : il ne semble y avoir chez le vieillard nulle provocation, nul défi, nul souci d'incorrection — pas même le désir de marquer la supériorité que donne l'âge. Il y apporte au contraire une sorte d'amitié paternelle qui fait que l'on ne songe pas à protester. Même si l'on est policier... — Tu es fou, dit-il, elle le rapporte séché et repassé. Girolami désigne le pantalon qui sèche : — Et ça ? demande-t-il. Gaston a un geste d'ignorance. — Demande à Gustave, dit-il. Girolami revient lentement sur les lieux du crime. Il y aperçoit Gustave qui, les mains dans les poches, attend. — A qui est le pantalon qui sèche dans la cour ? demande- t-il. Gustave paraît ne pas comprendre. L'inspecteur répète patiem- ment sa question. Puis il attend. Gustave réfléchit. Durant des heures, des semaines, des mois, il sera ainsi devant les policiers paraissant ne pas comprendre les questions, retardant ses réponses, opposant un silence opiniâtre aux interrogations les plus simples. — A mon père sans doute, finit-il par dire. — Vous en êtes certain ? — Je ne porte que des pantalons bleus et c'est mon père qui les porte en velours. Par conséquent il a vu le vêtement et est même capable d'en préciser l'étoffe. Girolami n'insiste pas et ne fait surtout pas remarquer à Gustave que son père l'a dirigé vers lui à propos de ce pantalon. Mais il revient vers le commissaire Sébeille qui se prépare à partir pour l'hôpital de Forcalquier. Il lui fait part de sa découverte. Elle ne paraît pas émouvoir Sébeille. — Laissez cela pour le moment, dit le commissaire. Occupez- vous d'autre chose. Girolami obéit, déçu. Mais après tout il n'est « qu'un inspec- teur-chauffeur ». La direction de l'enquête ne lui appartient pas. Il lui semble intéressant de savoir à qui appartient ce pantalon et pourquoi l'on a dérogé à la règle qui chez les Dominici confie à la fille aînée le soin de la lessive. Est-il urgent à ce point de faire disparaître taches et souillures ? Si oui, pourquoi ? La question reste sans réponse. « Il s'agit là d'un détail qui apparaît en flou dans ma mémoire », écrit le commissaire Sébeille dans ses souvenirs. Il est évident aujourd'hui que le commissaire Sébeille n'a pas prêté à cet instant une oreille attentive à son jeune inspecteur. Son excuse : il lui faut songer à cent choses à la fois, remettre de l'ordre dans une enquête qui démarre mal, sauver de la destruction les indices et les signes, caser dans sa mémoire les mille et un détails de ce triple assassinat. Routine sans doute, opérations fastidieuses qu'il faut mener à vitesse accélérée, mais rien ne peut les remplacer. Elles alimenteront plus tard toute l'enquête puisque c'est grâce aux éléments ainsi recueillis que peut-être l'on fera trébucher un suspect qui aura oublié un détail soigneusement enregistré. Au moment où Girolami s'en- tretient avec son chef, l'esprit de celui-ci est sans doute accaparé par ce travail de photographie mentale. Quand le soir il revient à la Grand'Terre, le pantalon a disparu. Personne n'y pense plus. D'ailleurs, avant que les policiers n'embarquent dans leur voiture pour se rendre à Forcalquier, un gendarme court vers le commissaire. Il lui tend un objet que d'abord Sébeille distingue mal. On l'a trouvé sous la tête de la petite fille, dit le gendarme. C'est un morceau de bois verni que les policiers identifient aussitôt : un éclat de crosse. Ainsi après avoir tué les parents à coup de feu le meurtrier a assommé l'enfant avec sa carabine, le chargeur ayant été vidé par l'alimentation maladroite qu'il a pratiquée. Il a frappé avec une telle vigueur que l'arme s'est brisée. Pour Sébeille c'est une pièce à conviction essentielle : elle lui permet d'espérer un succès plus facile qu'il ne le redoute depuis son arrivée à Lurs. A Forcalquier les deux médecins ont déjà fort avancé leur macabre besogne. Leurs conclusions provisoires sont les suivantes : « Sir Jack Drummond a été atteint de deux balles mor- telles entrées dans le dos. Il était debout lorsqu'il a été touché par le premier projectile. La seconde l'a frappé alors qu'il était légèrement incliné en avant. Sa vessie était vide. Sa femme a succombé à trois balles entrées dans la poitrine et l'épaule gauche. Elle devait être couchée ou le buste légèrement soulevé lorsqu'elle a été blessée. Son agresseur devait se trouver d'abord sur son côté droit puis en arrière. Il n'existe pas de trace de viol. Quant à l'enfant elle porte deux plaies très profondes de part et d'autre de la suture médiofrontale. Les coups ont été appliqués avec une extrême violence par un agresseur très robuste. Il y a lieu de croire que la victime était allongée sur le sol lorsqu'elle a été frappée. Pour elle non plus aucune trace de viol n'a été relevée. » Selon leurs constatations, la rigidité cadavérique des trois victimes a atteint le même point. On peut donc penser qu'elles ont été tuées en même temps et que leur décès a été à quelque chose près simultané, bien que pour l'enfant les médecins n'ex- cluent pas un certain temps de coma. Ils se trouvent alors sans le savoir en contradiction avec leur confrère, le docteur Dragon. Le matin il a en effet noté une large différence de rigidité entre les parents et la fillette. Mais il n'a pas encore déposé son rap- port et les docteurs Nalin et Girard ignorent par conséquent ses constatations. Mais pour l'instant le commissaire Sébeille sur le chemin du retour fait un compte : deux balles pour l'homme, trois pour la femme, plus une qui s'est écrasée sur le parapet et dont on a découvert la trace, cela fait six cartouches tirées. Or, l'on a retrouvé quatre douilles dont deux non percutées. Il manque pour le moins quatre douilles. Que sont-elles devenues ? Qui les a ramassées ?

La Durance est un cours d'eau dont le passé poétique n'est pas négligeable. Les félibres l'ont chantée. Les amoureux de la Provence l'ont célébrée. Pour l'instant l'inspecteur Ranchin n'a pas envie de réciter du Mistral. Il se meurtrit les pieds sur les galets, pataugeant dans une eau grise qui traîne tous les déchets abandonnés au fil du courant. En slip, comme son collègue l'inspecteur Culioli, il explore les bords de la rivière, fouillant les trous d'eau et les « recules », c'est-à-dire les bras morts, où peut avoir disparu l'arme. C'est tout d'abord une charogne de mouton qu'il aperçoit flottant non loin de la berge et retenue par d'autres détritus. Elle cache en partie un morceau de bois qui à première vue n'est pas une simple branche tombée. Ranchin écarte la carcasse non sans dégoût. Geste payant : c'est bien une crosse brisée. Il la brandit triomphalement à l'adresse de Culioli : l'autre partie de la carabine n'est certainement pas loin. Ils remontent lentement le lit de la rivière en luttant contre le courant qui à cette époque de l'année n'est pas aussi vigou- reux qu'à l'ordinaire. A une trentaine de mètres dans le milieu du bras de la Durance, immergé dans la vase à soixante-quinze centimètres de profondeur ils mettent la main sur le canon de l'arme. Ils se trouvent alors à la hauteur exacte de l'endroit où a été découverte la fillette. Aussitôt après avoir assommé l'enfant l'assassin s'est donc débarrassé de la carabine qui lui brûlait les doigts. — Le patron va être heureux, conclut Ranchin. Ils sortent de l'eau. Le capitaine Albert les voit arriver, rayonnants. Ranchin s'emploie à raccorder les deux morceaux. Ils s'ajustent exactement. Une partie du fût est encore accrochée à la partie métallique. Le chargeur est encore en place, vide. Aucune cartouche engagée dans le canon. Il s'agit d'une carabine américaine à répétition de marque Rock-Ola portant les inscrip- tions suivantes : sur la partie métallique, US Carabine, cal. 30 KI, ROCK-OLA N° 1.702.864 ; sur la crosse, deux bouches à feu entrecroisées dans un cercle, surmontées d'un rectangle dans lequel sont marquées les lettres majuscules RMC. Ces lettres sont reproduites dans l'évidement du passage de la courroie. L'arme est en fort mauvais état et les inspecteurs pensent que cette circonstance les favorisera ; il ne sera pas difficile d'identifier le propriétaire d'une carabine aussi caractéristique. En effet elle est rafistolée à l'aide d'un collier en aluminium semblable à ceux qui servent à fixer une plaque d'identité sur les bicyclettes. Une vis et un écrou concourent à maintenir le canon sur le fût. En outre un fil de fer — comme celui d'un frein de vélo — est passé dans la grenadière dont il ne reste qu'une partie et la relie à un trou de la bague. Sans aucun doute il s'agit d'un vestige des combats de la libération. Des troupes américaines ont chassé les Allemands dans cette partie des Basses-Alpes. Dans les jours qui suivent le drame un certain nombre d'armes semblables prises sur les soldats morts ou tout simplement négociées contre de l'argent ou de la nourriture remontent à la surface. On va même parler d'un camion entier de carabines acheté pour quelques bouchées de pain par des paysans appartenant à un maquis. Si le fait ne fut pas établi, il n'en reste pas moins que chaque ferme recèle un petit arsenal de fusils et de mitraillettes. Il faut maintenant établir par quelle filière la carabine brisée est venue de la manufacture Rock-Ola de Chicago — phonographes en temps de paix, carabines depuis le début de la guerre — jusqu'à ce petit pays provençal pour y accomplir un massacre. A 19 heures, le commissaire Sébeille de retour de Forcalquier est accueilli par Ranchin qui l'attend avec impatience. L'inspecteur lui désigne une encoche sur la crosse. Puis il tend l'éclat décou- vert sous la tête de la fillette. La démonstration est faite : l'éclisse s'applique exactement à l'endroit où il manque un morceau de la crosse au-dessous de la culasse. Il s'agit donc sans aucun doute de l'arme du crime. Peut-on relever des empreintes sur une arme qui a séjourné au moins douze heures dans l'eau de la rivière ? Sébeille assura plus tard qu'il a aussitôt remis la carabine aux spécialistes de l'Identité judiciaire mais que ceux-ci n'ont trouvé aucune trace utilisable. Il sera beaucoup reproché au commissaire de n'avoir pas procédé à cette vérification. Elle n'est pas mentionnée en tout cas dans le procès-verbal de constatations du 5 août. Autour des policiers la foule est toujours assez dense : des curieux, mais aussi des journalistes et les habitants de la Grand'Terre. Sébeille présente l'arme à ces derniers : — Vous avez déjà vu cette arme ? demande-t-il. Mais il ne reçoit en guise de réponse que des regards maus- sades. Il répète sa question. — Non jamais, répondent les Dominici. Mais la confiance retrouvée du commissaire n'en est pas entamée. — La carabine parlera, dira-t-il un peu plus tard. Formule qu'il répète à plusieurs reprises car elle exprime sa plus profonde conviction. Un jour ou l'autre l'arme sera « logée », pour reprendre une expression du jargon de police. Elle mènera les enquêteurs à son propriétaire et alors l'affaire sera résolue ou en voie de l'être. Sébeille se souvient d 'un crime qu'il a éclairci jadis : il lui a suffi d'une rondelle de carton de cartouche, pièce à conviction beaucoup moins probante qu'une carabine. Mais sur le carton figurait un chiffre : le numéro du calibre du plomb. Un homme reconnut avoir tracé cette mention : sans le savoir il venait de dénoncer son fils, un gamin de 16 ans qui pour voler avait tué un vannier ambulant. La Rock-Ola et les douilles sont donc placées sous scellés à destination du directeur du laboratoire de police technique de Marseille, le professeur Olivier. Les journalistes s'avancent et Sébeille, un peu plus détendu, leur fait une première décla- ration : — A mon avis, dit-il, si je me fie aux constatations que nous avons faites, les victimes ont été réveillées par un ou plusieurs individus rôdant autour de la voiture. La fillette qui dort à l'intérieur crie et ses parents qui sont sur des lits de camp à l'extérieur viennent à son aide. Le porteur de l'arme menace alors Sir Jack Drummond qui essaie de fuir mais est frappé dans le dos. Il s'affaisse devant le pare-chocs arrière auquel il s'agrippe. Puis il trouve la force de traverser la route où il tombe. Aussitôt après, l'agresseur tire sur la femme qui est foudroyée sur place. C'est alors qu'il s'élance à la poursuite de la petite fille qui s'est enfuie au hasard. Il la rejoint sur le talus près de la Durance et, comme il n'a plus de cartouches, abat la malheureuse à coups de crosse sur la tête. — Le vol a-t-il été le mobile du crime ? demandent les journalistes. — Probablement, réplique Sébeille. En fait l'information est ouverte contre X... pour assassinat et vol. Une commission rogatoire est aussitôt délivrée par le juge Périés au commissaire Sébeille et à son équipe. La journée s'achève pour Edmond Sébeille mieux qu'elle n'a commencé. Déjà il aperçoit le tour qu'il peut donner à ses recherches. Selon toute vraisemblance l'assassin ne demeure pas très loin des lieux du crime : on ne transporte pas sur des kilomètres une arme en aussi mauvais état. Un chasseur, un braconnier, un automobiliste venant d'un village voisin et attiré par la vue du campement peut être le meurtrier. Mais dans ces conditions pourquoi l'enfant a-t-elle fui vers la Durance au lieu de se précipiter vers la ferme voisine où elle pouvait espérer trouver du secours ? Dès les premières heures de l'enquête le commissaire se pose la question. Le capitaine Albert s'approche alors que Sébeille est en train de rêver. — On a découvert dans un fourré un uniforme abandonné de la Légion étrangère, dit-il. Le commissaire écoute les précisions que donne l'officier de gendarmerie. Elles viennent à l'encontre de ses réflexions mais l'on ne doit négliger aucune piste. Après tout un déserteur peut fort bien s'être introduit dans une ferme, dérober une cara- bine, s'en servir pour une agression puis s'enfuir après l'avoir jetée dans la Durance. Les Basses-Alpes sont le chemin naturel pour qui fuit les recherches et n'a plus d'espoir que dans la frontière italienne, route traditionnelle des bagnards évadés du bagne de Toulon. Si l'uniforme appartient à l'assassin des Drum- mond, il sera sous peu entre les mains des policiers : le quadrillage de la région est pour les gendarmes une besogne familière et il est pratiquement impossible d'échapper à leur filet, du moins pour une proie désignée. Il suffit d'un coup de fil au bureau de la Légion pour savoir s'il y a eu récemment une désertion. Ensuite la machine se mettra en mouvement, se refermant sur l'homme traqué sans lui laisser beaucoup de chances. — Faites le nécessaire, dit Sébeille au capitaine Albert.

A pas lents Edmond Sébeille traverse le pont du chemin de fer. Le soir tombe allongeant les ombres et apportant enfin un semblant de fraîcheur. Les magistrats sont partis et le capi- taine Albert rassemble ses hommes pour leur distribuer le travail. Seuls demeurent sur place les inspecteurs entourés de quelques journalistes, la plupart de ces derniers étant à la recherche d'un téléphone pour dicter leur premier papier sur l'affaire. Edmond Sébeille a besoin de s'isoler pour réfléchir un instant encore sur ces lieux où s'est accompli un crime sauvage, s'impré- gner de l'atmosphère, graver un peu plus dans sa mémoire les images où s'inscrit le film de l'enquête. Il s'immobilise un instant au-dessus de la pente face à la Durance. A quelques mètres de là une fillette est tombée sous les coups assenés de toutes ses forces par un assassin rendu furieux par un regard d'enfant capable de le reconnaître. Pour Sébeille c'est l'évidence : quel que soit le mobile du crime, la mort de la petite fille et peut-être de sa mère n'a eu pour but que de faire disparaître des témoins gênants. Il est sur le point de rejoindre ses collaborateurs lorsqu'il voit venir vers lui un homme âgé que suivent une quinzaine de chèvres. Il marche en s'appuyant sur une canne, sans doute plus par habitude que par nécessité. Car le berger donne une impression de robustesse qui se confirme à mesure qu'il approche. La chemise de toile s'ouvre sur une poitrine musclée et ronde et la première chose qu'aperçoit Edmond Sébeille ce sont des tatouages qui se dessinent sur la peau brunie par le soleil : une femme nue sur le torse, d'autres sur les avant-bras. Sébeille le salue : — Vous êtes d'ici, grand-père ? dit-il. Le vieillard lève son bâton pour désigner la ferme. — Je suis le propriétaire de la Grand'Terre, dit-il. L'accent de sa voix ne peut tromper : il éprouve une fierté certaine à pouvoir s'affirmer ainsi le maître de cette terre. Très droit face à Sébeille, l'œil tranquille et bonhomme, rassurant avec sa moustache drue et argentée, légèrement roussie par l'emploi quotidien d'une pipe courte qu'il garde presque en perma- nence à la bouche, la chevelure de neige qui déborde du feutre usagé, il a belle allure. — Dites donc, fait Sébeille, vous devez en savoir, des choses ! Gaston Dominici a une moue : — Pas grand-chose, répond-il. — Les coups de feu, quand même. — Vaguement, vers 1 heure du matin. J'ai pensé que c'étaient des braconniers qui tiraient des lapins. Je me suis rendormi. Vers 4 heures je me suis levé et j'ai emmené les biques. — Vous n'avez rien vu ? Le fermier secoue la tête. — Eh non, dit-il, je suis parti en direction de Ganagobie, c'est-à-dire dans la direction opposée. C'est en revenant vers 8 heures que Gustave, mon fils, m'a appris ce qui s'était passé. Les deux hommes remontent en direction de la route. — C'est bien sec, fit Sébeille, en désignant le verger où se trouvent aussi quelques rangs de légumes. — M'en parle pas, soupire Gaston. Ils dialoguent moitié en français, moitié en provençal, mêlant les réflexions sur le crime et la sécheresse qui devient inquiétante. Ils arrivent près de l'endroit où ont campé les Anglais : — Ah ! fait Gaston, ils ont le sang noir, ceux qui ont fait ça. Si je les tenais... Du bout de sa canne il désigne le sol sous le mûrier : — Té, dit-il, la femme est tombée là, elle n'a pas souffert ! Dans les yeux du commissaire il lit l'étonnement. Mais s'il en est troublé, il ne le montre pas. Sans laisser le policier l'interrompre il poursuit de la voix la plus naturelle du monde : — Je dis ça, enfin je suppose. Avec ce qu'elle a reçu ! En sait-il davantage et faut-il sauter sur l'occasion, l'obliger à s'expliquer, en le pressant de questions ? Dans un roman ou un film c'est ainsi sans doute qu'un policier agirait. La solution d'une énigme peut-elle déboucher d'un lapsus, d'une parole étour- diment prononcée, imperceptible fil sur lequel il suffit de tirer pour que tout l'écheveau se dévide ? De toute manière un roman policier doit s'achever en deux cents pages et un film au bout d'une heure et demie, dans la réalité l'enquête n'est pas soumise à un tel horaire. Pour faire parler un témoin réticent il faut plus qu'une imprudence de langage. On peut certes profiter d'une phrase échappée des lèvres pour le mettre en difficulté. Mais l'offensive tourne court si l'enquêteur n'a pas dans son sac de quoi achever la déroute, arguments, témoignages, constatations dont l'autre n'a pas aperçu la portée ou qu'il ne connaît pas. Or Edmond Sébeille le 5 août 1952 à 19 h 30, a son bagage vide. Avec quelles armes pourrait-il attaquer un vrai berger de pas- torale que soulève une indignation sincère. D'ailleurs Gaston Dominici enchaîne : — On t'a remis l'éclat de bois ? — Oui. — C'est moi qui l'ai trouvé sous la tête de la gosse, dit-il avec satisfaction. Ce n'est pas le geste d'un homme qui craint la vérité. Gaston Dominici regarde droit en face le commissaire, offrant à celui-ci l'image même du citoyen attaché à ses devoirs, res- pectueux de la loi et de ses serviteurs, toujours prêt à leur apporter leur concours. Sa main se porte au chapeau pour saluer puis il se détourne pour prendre le chemin de la ferme à travers le verger, suivi de ses chèvres. — Quel curieux bonhomme ! dit Sébeille à Ranchin quand celui-ci vient le rejoindre pour prendre la voiture et gagner Peyruis où les policiers comptent s'installer. Il vient de me parler comme s'il avait vu le crime. Ils quittent la Grand'Terre alors que la nuit tombe. Le petit village est déjà en révolution, envahi par les journalistes, les photographes, les voitures de presse. Ils ont de grandes difficultés pour trouver un logement. A l'époque les frais de déplacements accordés aux fonction- naires sont plutôt maigres : 1 500 F par jour pour la chambre d'hôtel, le petit déjeuner, les deux repas. Sébeille et son équipe se rabattent donc sur une modeste pension de famille. Avant de se coucher Sébeille griffonne une carte pour sa femme : « Tu auras de mes nouvelles par les journaux... » C'est une bonne prophétie. CHAPITRE II

L'ÉTRANGE FAMILLE DE LA GRAND'TERRE

Michèle Gamelin, 14 ans, petite-fille du général, se noie près de Dieppe... Clark Gable et Errol Flynn arrivent à Deauville... Riche industrielle du pétrole, Mme M... se fait voler 15 mil- lions de bijoux sur une plage à Saint-Jean-Cap-Ferrat... A Capri l'ex-roi Farouk rêve de sauteries... Christian d'Oriola et les deux canoéistes Turlier et Laudet rentrent d'Helsinki avec leurs médailles d'or... Syngman Rhee réélu en Corée du Sud... LES VACANCES, CONQUETE SOCIALE DEFINITIVE — titre sur huit colonnes. La France se repose, le monde aussi, les informations font de même en ce 5 août. Sont reléguées dans un coin des journaux les nouvelles en provenance d'Indochine. On s'y bat toujours avec acharnement. De même, les pourparlers de Panmunjon traînant en longueur, les Américains menacent de bombarder 71 villes en Corée du Nord. La tragédie de Lurs et ses trois victimes feront donc la une des journaux français et anglais. L'opinon générale est que l'assassin tombera sous peu entre les mains des policiers : l'arme le trahira. Sur la Grand'Terre et le verger proche la lune laisse tomber une lumière plus pâle que la nuit précédente, sa clarté laiteuse se réfléchissant sur la Durance qui dans le silence glisse entre ses deux rives un flot argenté. Pas un bruit, pas un signe de vie dans la Grand'Terre. Chacun a regagné sa chambre, Gustave, Yvette et le petit Alain face à l'étroit espace de terre où la nuit dernière s'est accompli le massacre, Gaston sur la façade qui regarde la rivière. On se couche tôt à la ferme. A 10 heures au plus tard tout le monde est au lit. Quand je ne dors pas, dit un jour le vieillard, je revois ma vie. La confidence n'était pas exempte d'un certain orgueil, jus- tifié, d'ailleurs. Que Gaston Dominici soit parti de rien, c'est peu de le dire. Il supportait à sa naissance un certain nombre de handicaps qui le destinaient plutôt à devenir un paria, l'un de ces vagabonds qui vont surgir dans le dossier, comme si l'affaire faisait remonter des profondeurs une multitude de va-nu- pieds misérables, clochards faméliques, chemineaux errant sur les routes de besogne en besogne. Or à 75 ans il est propriétaire d'une ferme avec quelques hectares bien plantés, pas un domaine au sens opulent de ce mot, mais une exploitation qui lui a permis d'élever sans les priver neuf enfants. Si l'on considère la première minute de son existence et le point où il est arrivé le 5 août 1952, l'on peut dire que Gaston Dominici a réussi sa vie. Il n'en doute pas d'ailleurs. Et ce sentiment lui a donné à la fois de la fierté et le goût de raisonner, faire la leçon et discourir pour montrer à autrui comment à force de courage, de travail et d'honnêteté l'on peut vaincre une adversité qui dès le premier souffle vous a préparé de sombres pièges. 23 janvier 1877 à Digne, rue Montée-des-Prisons, c'est l'adresse où vers 5 heures du matin Gaston Dominici a vu le jour. Le palais de Justice est à deux pas. Un pauvre meublé dont les fenêtres donnent sur les murs de la prison Saint-Charles, c'est là que Clémence Dominici a attendu toute la nuit la venue de son enfant. Le père ? Inconnu. Clémence a 20 ans. Elle est la fille d'un couple de Calabrais venus en même temps qu'une foule de compatriotes attirés par le tracé de la ligne de chemin de fer Marseille-Grenoble. Terrassiers, maçons, bûcherons, tous ne sont pas rentrés au pays, la besogne achevée. Beaucoup ont fait souche. Le résultat en est une race solide, travailleuse, frugale. Clémence veut d'abord confier son enfant à l'Assistance publique. Ni son père ni sa mère ne badinent avec la morale. Or elle a péché. Puis, sur les remontrances de l'accoucheuse, elle se ravise. Elle travaille comme femme de ménage. Elle aura encore deux autres enfants — toujours de père inconnu, un fils et une fille. Lorsque Gaston a dix ans, sa mère revient à sa première idée : l'Assistance publique. Finalement ses trois enfants deviendront les pensionnaires de l'Administration. Ce n'est qu'à 20 ans que Berthe, la fille, fera la connaissance de son frère grâce aux fonctionnaires de l'Assistance. — Il a toujours été très gentil pour moi, dira-t-elle. Il travaillait comme un forcené. Jusque-là Gaston a passé quelques années à l'école chrétienne. Ce jour-là, 5 août 1952 à Lurs, dans la vallée de la Durance, au cœur de la Provence de Giono, trois cadavres sont découverts au bord de la route. Il s'agit de Sir Jack Drummond, un savant anglais, de sa femme et de sa fille, qui campaient là par hasard. Ils ont été assassinés. L'émotion est considérable. L'enquête commence. Elle est confiée à un commissaire mar- seillais, passionné de son métier, Edmond Sébeille. Les témoins les plus proches sont une famille de paysans provençaux, les Dominici, qui habitent une ferme, la Grand'Terre, à 150 mètres des lieux du crime. Là, règne Gaston Dominici, soixante-quinze ans. Edmond Sébeille se convainc rapidement que le secret du mystère se trouve à la Grand'Terre. Pourtant, aucun des habi- tants de la ferme ne livre le moindre indice : ils n'ont rien vu, rien entendu. Il faudra quinze mois au policier pour découvrir un coupable, quinze mois de patientes investigations, de tâtonnements et de vérifications, quinze mois d'entretiens pittoresques, de discus- sions ironiques ou passionnées avec Gaston Dominici. Entre le policier et le vieil homme s'engage un combat incertain où chacun cache son jeu. Dans le même temps, Sébeille attaque secrètement sur tous les fronts, harcelant les témoins, cher- chant au sein même de la famille Dominici le point faible. Lorsque, en novembre 1953, il décide avec le juge Périès l'offen- sive finale, il croit avoir gagné. Il se trompe. Car le procès tourne au règlement de comptes dans la famille Dominici. L'opi- nion se prend à douter : la vérité de la police et de la justice est-elle la seule ? Le verdict ne fait pas l'unanimité. Une seconde enquête ordonnée par le Garde des Sceaux commence. A-t-elle résolu le « mystère Dominici » ? C'est un prodigieux roman policier vécu que Jean Laborde a reconstitué dans les moindres détails en s'aidant du dossier et des confidences qu'il a reçues. Il représente un véritable document judiciaire et sociologique, l'équivalent français du célèbre « De sang froid » de Truman Capote. C'est non seu- lement la justice tout entière vue à travers les mille épisodes d'une enquête hors série, c'est l'histoire d'une famille déchirée l'image d'une région illuminée par le soleil et pourtant remplie d'ombres. Un livre passionnant, plein de rebondissements inat- tendus, traversé par de surprenants personnages, et qui répond à la question : existe-t-il encore une énigme dans cette affaire qui bouleversa l'opinion non seulement en France mais dans toute l'Europe ? Participant d’une démarche de transmission de fictions ou de savoirs rendus difficiles d’accès par le temps, cette édition numérique redonne vie à une œuvre existant jusqu’alors uniquement sur un support imprimé, conformément à la loi n° 2012-287 du 1er mars 2012 relative à l’exploitation des Livres Indisponibles du XXe siècle.

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