Né à Lyon le 9 décembre 1918, Jean Laborde est entré dans le journalisme après des études de droit. En 1945 il devient chroniqueur judiciaire de « France- Soir ». A ce titre, il assiste aux grands procès de l'après-guerre, dont celui intenté par l'un des premiers transfuges soviéti- ques, Victor Kratchvenko, à un journal français. Puis c'est l'affaire Dominici où Jean Laborde, après avoir assuré le compte rendu des audiences, se livre à une contre- enquête. Il assiste encore aux tumultueux débats de l'affaire Marie Besnard puis du procès de Pierre Jaccoud, l'avocat genevois accusé de meurtre. En 1964, il passe à « L'Aurore » où, tout en assurant encore la rubrique judiciaire lors du procès des ravisseurs de Ben Barka notamment, il fait du reportage poli- tique et économique. Il a écrit de nombreux romans dont certains sont inspirés par son expérience de la justice. Plusieurs ont été portés à l'écran : « Les Bonnes Causes », tourné par Chris- tian-Jaque avec Bourvil, Pierre Brasseur, Marina Vlady, « La Seconde Vérité » (Chris- tian-Jaque metteur en scène, avec Michèle Mercier et Robert Hossein), « Le Pacha », mis en scène par Georges Lautner avec Jean Gabin, « Les Assassins de l'Ordre », un film de Marcel Carné avec Jacques Brel. Marié, deux enfants, Jean Laborde partage sa vie entre Paris, la vallée du Rhône, où il a une propriété, et la Côte basque. Document de couverture : Photo A.F.P. Maquette Jean Denis. COLLECTION "CE JOUR-LA" DU MÊME AUTEUR L'HÉRITAGE DE VIOLENCE (Flammarion). LE MOINDRE MAL (Flammarion). AMOURS, QUE DE CRIMES (Gallimard). LES LOUPS DERRIÈRE LE TRAÎNEAU (Plon). LES ASSASSINS DE L'ORDRE (Plon). LES BONNES CAUSES (Plon). UN HOMME A PART ENTIÈRE (Plon). LES GRANDES CHALEURS (Hachette). LE VOYAGE EN SIBÉRIE (Plon). JEAN LABORDE UN MATIN D'ÉTÉ A LURS 5 août 1952 ÉDITIONS ROBERT LAFFONT 6, place Saint-Sulpice, Paris-6e COÉDITION ROBERT LAFFONT — OPERA MUNDI Si vous désirez être tenu au courant des publications de l'éditeur de cet ouvrage, il vous suffit d'adresser votre carte de visite aux Editions Robert Laffont, Service « Bulletin », 6, place Saint-Sulpice, Paris-VI Vous recevrez régulièrement, et sans aucun engagement de votre part, leur bulletin illustré, où, chaque mois, se trouvent présentées toutes les nouveautés — romans français et étrangers, documents et récits d'histoire, récits de voyage, biographies, essais — que vous trouverez chez votre libraire. © Opera Mundi, 1972. PREMIÈRE PARTIE LE DRAME C'est pour moi un devoir agréable de signaler que ce livre a été écrit grâce à l'aide apportée par mon confrère et ami, Raymond CALAME. J. L. SOMMAIRE PREMIÈRE PARTIE LE DRAME I. Une fillette gisait sur un talus 11 II. L'étrange famille de la Grand'Terre 43 III. La première chance des policiers 77 IV. Gustave tombe pour la première fois ............ 109 V. La condamnation de Gustave 135 DEUXIÈME PARTIE LES AVEUX VI. Reprise de l'offensive 167 VII. Les accusations de Gustave 213 VIII. Les étranges aveux 251 TROISIÈME PARTIE LE PROCÈS IX. Solitaire est le juge 301 X. Un passionnant procès 323 XI. La famille déchirée .. .............. 353 QUATRIÈME PARTIE LA CONTRE-ENQUÊTE XII. Les accusations du condamné .................. 381 XIII. La dernière chance 407 Conclusion Retour à la Grand'Terre ...................... 441 CHAPITRE PREMIER UNE FILLETTE GISAIT SUR UN TALUS Mains sur les hanches, Faustin Roure, brigadier-chef à la gare de Lurs, contemple le talus éboulé au point kilométri- que 319,280 de la voie ferrée Marseille-Digne. Il est rassuré : la situation est sérieuse mais non catastrophique. La micheline de huit heures passera sans encombre et c'est l'essentiel. La terre a coulé en abondance. A vue d'œil Faustin en évalue le volume : une douzaine de mètres cubes environ. Gustave Dominici, le fils du fermier voisin, de la Grand'Terre, a dégagé les rails. La boue ne les recouvre plus que sur une distance de quatre mètres environ. Gustave est responsable du glissement de terrain : les jours pré- cédents il a trop généreusement arrosé son champ situé au-dessus de la voie ferrée. Selon le règlement, quiconque occasionne par sa faute un retard est redevable d'une amende basée sur les minutes perdues par le convoi. La veille au soir Gustave s'est d'ailleurs inquiété. Il est venu voir Roure à Peyruis pour lui signa- ler l'incident. Faustin a promis de passer le matin. 5 août 1952, aux environs de 7 heures. Il fait déjà chaud et le ciel a ce bleu pâle qui annonce les journées caniculaires. La lumière est vive, comme aux lendemains de pleine lune. La Durance traîne un courant amaigri par la sécheresse des derniers jours. Un léger brouillard flotte au-dessus de la montagne vers Ganagobie, un soupçon de brume plutôt, l'évaporation de l'humi- dité nocturne sous le soleil. Faustin Roure prend sa décision : dans l'après-midi il reviendra avec cinq ou six ouvriers. Quelques instants suffiront pour enlever la terre qui sur le ballast pourrait gêner les trains. Quant au fossé à demi comblé par l'éboulement, on verra plus tard. Un acacia et des troncs morts sont mêlés à la boue. La seule précaution à prendre est de couper les branches enchevêtrées dans les fils téléphoniques. Le brigadier-chef remonte en direction du chemin pierreux qui mène à la route nationale 96. Un pont y enjambe la voie ferrée. Faustin découvre que son adjoint, Clovis Dominici, s'y trouve. Il est l'aîné de Gustave. Debout, face à la Durance, il semble contem- pler un spectacle qui se trouve sur la pente conduisant à la rivière. — Tu as vu ? demande Clovis. — Oui, fait le brigadier-chef, ce n'est pas grave. Il pense que Clovis a dans la tête l'éboulement et ses consé- quences. Clovis n'habite plus la Grand'Terre. Travaillant à la SNCF, il s'est établi à Peyruis, le village voisin. Mais les Domi- nici — 9 enfants, 20 petits-enfants — sont une famille fort unie. Souvent Clovis vient aider son frère qui exploite la ferme, tandis que le père, le « patriarche », Gaston, 75 ans, se borne à emmener ses chèvres dans la montagne, retrouvant ainsi le premier métier de son enfance. Il est donc naturel que Clovis soit préoccupé par le glissement de terrain. Mais Clovis secoue la tête. — Regarde, dit-il. A mi-chemin de la Durance il désigne un point : dans l'herbe sèche repose le corps d'une enfant : — Elle est morte, ajoute-t-il. Derrière Clovis, Faustin Roure aperçoit Marcel Boyer, un autre cheminot, beau-frère des Dominici, qui a accompagné Clovis. Faustin a doublé les deux hommes sur la route car il était à cyclomoteur et eux à bicyclette. Ils descendaient vers la gare de Lurs pour prendre leur travail. Il ne savait pas que Clovis et Boyer s'étaient arrêtés à la Grand'Terre. Les trois hommes s'avancent en direction du corps. — Elle est morte, répète Clovis. Après un instant de silence ils font demi-tour et remontent en direction de la route nationale. Ils ne songent pas à échanger leurs impressions. Faustin Roure n'ose pas questionner Clovis : comment a-t-il découvert le cadavre ? Clovis marche un peu en avant, les épaules voûtées. Lorsqu'ils parviennent à quelques mètres de la route, Faustin s'immobilise à la vue du spectacle auquel il n'a prêté aucune attention lors de son arrivée un quart d'heure plus tôt. De l'autre côté de la route sur l'espace herbeux qui la sépare du fossé se trouve un lit de camp. Mais celui-ci recouvre un corps dont on ne distingue que l'extrémité des pieds. Faustin se demande même s'il rêve : c'est presque à cet endroit qu'il a coupé les gaz de son vélomoteur pour s'arrêter. Or il n'a rien constaté d'insolite. Il a traversé la route pour accoter son engin contre un arbre. Il a vu une voiture arrêtée près d'un mûrier et tout autour un grand désordre. Mais il n'a pas été intrigué pour autant : les campeurs étaient sans doute descendus vers la Durance pour se baigner ou faire leur toilette. Faustin Roure note alors des détails qui resteront gravés dans sa mémoire. Ainsi il remarque que les pieds qui dépassent du lit sont chaussés de pantoufles et de chaussettes grises. On aperçoit une quinzaine de centimètres de la partie inférieure des jambes « mais, précisera-t-il plus tard devant le commissaire Chenevier, sans que la chair soit apparente ». Etonnante fidélité des souvenirs. Mais les circonstances sont exceptionnelles. En outre chaque témoin de cette extraordinaire affaire sera appelé à répéter tant de fois son récit qu'il devient pour lui une leçon aussi familière et aussi machinale que la première fable de La Fontaine rabâchée à l'école. C'est alors qu'il remarque le troisième corps. Il se trouve entre la voiture et la Durance, à deux mètres environ, étendu parallèle- ment au véhicule et dissimulé par une couverture. — C'est un massacre, dit-il. Clovis approuve de la tête. Les quelques phrases qu'ils échan- gent alors, Faustin ne pourra jamais les répéter contrairement aux détails visuels. Il parlait sans penser, terrifié par le spectacle. Il saisit son cyclomoteur, tandis que Clovis et Boyer repren- nent leur bicyclette. Ils se dirigent vers la Grand'Terre mais au bout de quelques mètres Clovis enfourche son vélo et les devance. Boyer l'imite bientôt, et, lorsque Faustin Roure arrive dans la cour de la ferme, les deux hommes s'y trouvent déjà, formant un groupe avec Gustave, sa mère, Marie Dominici, sa femme Yvette, jolie brune de 20 ans, et un quatrième cheminot, Roger Drac, qu'un besoin naturel a retardé en chemin.
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