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Ciné-Bulles Le cinéma d’auteur avant tout

Critiques le Polygraphe Ridicule Cosmos Microcosmos la Promesse Paul Beaucage, Maud Béland, Thierry Gendron et Charles-Stéphane Roy

Volume 15, numéro 4, hiver 1997

URI : https://id.erudit.org/iderudit/33680ac

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Éditeur(s) Association des cinémas parallèles du Québec

ISSN 0820-8921 (imprimé) 1923-3221 (numérique)

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Citer ce compte rendu Beaucage, P., Béland, M., Gendron, T. & Roy, C.-S. (1997). Compte rendu de [Critiques / le Polygraphe / Ridicule / Cosmos / Microcosmos / la Promesse]. Ciné-Bulles, 15(4), 54–60.

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Le Polygraphe LE POLYGRAPHE pas toujours heureux. On songe surtout aux scènes où François évolue dans son lieu de travail, un élé­ 35 mm /coul. / 97 min / de Robert Lepage 1996 /fict./ Québec- gant restaurant. Lepage choisit de les filmer en com­ -A llemagne binant surtout l'utilisation de deux figures de style: par Paul Beaucage l'accéléré et le contrepoint sonore. De cette façon, il Réal.: Robert Lepage cherche à souligner le rythme endiablé du travail de Scén. : Robert Lepage, Marie serveur. En soi, l'idée n'était pas mauvaise. Mais la Brassard, Michael Mackenzie el Patrick Goyette n peu plus d'un an après la réussite du Con­ répétition abusive de ces procédés finit par lasser. Image: Guy Dufaux fessionnal, Robert Lepage réalise le Poly­ D'autant plus qu'ils n'apportent strictement rien au Mus.: Robert Caux graphe, l'adaptation d'une pièce de théâtre déroulement du récit. Mont.: Emmanuelle Castro et U qu'il a écrite en 1989. Pour l'essentiel, l'action du Jean-François Bergeron Prod. : In Extremis Images, film se déroule à Québec, à la fin des années 80. Lepage cherche également à démystifier le proces­ Cinéa, Road Movies Dritte François (Patrick Goyette), un étudiant en histoire sus de la création cinématographique qui, au-delà Produktionen et serveur occasionnel, vit une période difficile: la de sa dimension artistique, repose sur des considé­ Dist.: C/FP Distribution police le soupçonne d'avoir assassiné Marie-Claire, rations humaines et commerciales. Si cet aspect de Int.: Patrick Goyette, Marie son ancienne maîtresse. Pour dissiper les doutes qui l'œuvre s'avère fort pertinent, on ne saurait en dire Brassard, Peter Stormare. Maria de Medeiros. James pèsent contre lui, il se soumet à l'examen du détec­ autant de certains parallèles qui sont tracés entre deux Hvndman. Josée Deschênes teur de mensonges. Toutefois, les résultats de cette mondes: celui de la fiction et celui de la réalité. Dans épreuve ne s'avèrent pas concluants. Les choses ne le film de Judith, le meurtrier est un policier que s'arrangent pas lorsque le jeune homme apprend que l'on ne soupçonnait pas, tandis que dans la «vraie son amie Judith (Josée Deschênes) s'apprête à tour­ vie» la meurtrière est quelqu'un qui semblait au- ner un drame policier portant sur la mort de Marie- dessus de tout soupçon. Par là, Lepage a cherché à Claire. De plus, Lucie (Marie Brassard), une autre souligner que, dans une enquête policière, «le cou­ amie de François, doit jouer le rôle de la victime. pable est toujours celui que l'on soupçonne le Sur quoi tout cela débouchera-t-il ? moins». Pour nous prouver la véracité de ce vieux cliché, il aurait cependant fallu que les deux intri­ Dans les entrevues qu'il a accordées, Lepage a men­ gues soient plus vraisemblables... tionné à quelques reprises qu'il avait attaché une grande importance à l'aspect formel de son film. Les Sur le plan psychologique, par contre, son film témoi­ intentions sont claires mais un tel parti pris ne s'avère gne d'une grande justesse de ton. Le cinéaste a éla- ~ i :^.im~\çfi / Il hJw: Jm- * f f\ mmgn ^^&*L f "r • It" »M»ta.

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Marie Brassard et Patrick vn Goyette dans le Polygraphe de Robert Lepage

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Charles Berling dans Ridicule de bore avec finesse le portrait de ses protagonistes, à son public une histoire probante. Si ses trouvailles lesquels s'opposent radicalement aux stéréotypes que formelles avaient été mieux canalisées, le film aurait l'on trouve dans le thriller traditionnel. Dans la pre­ pu s'avérer fascinant. Mais quelques bonnes idées mière partie du film, François donne l'impression et du savoir-faire ne suffisent pas toujours. Robert d'être un honnête homme qui traverse un véritable Lepage nous le prouve ici de manière irréfutable. • cauchemar parce que la police le soupçonne injus­ tement d'avoir commis un crime. Toutefois, à me­ sure que le récit évolue, on découvre en lui un RIDICULE personnage fort différent. En effet, il apparaît comme un être double, ambigu: constamment partagé entre de Patrice Leconte des sentiments contradictoires, entre le bien et le mal. À cet égard, la scène la plus révélatrice du film reste par Maud Béland sans doute celle où François avoue à Lucie qu'il ignore s'il a assassiné Marie-Claire. Confronté à une image insupportable de lui-même, celle d'un bour­ ans votre esprit, Versailles rime avec bals, Ridicule reau, il la détruit en brisant le miroir qui la réfléchit. oisiveté, plaisirs et libertinage? Bonnes gens, 35 mm /coul. /102 min / François s'impose comme un véritable représentant Dcessez immédiatement vos soupirs nostal­ 1996/fict. /France de la condition humaine: à la fois capable du meilleur giques et rangez soigneusement vos mouchoirs. Ri­ et du pire. dicule, le dernier film de Patrice Leconte, vous Réal.: Patrice Leconte Scén.: Rémi Waterhouse conduit chez la noblesse décadente de Versailles à avec la collaboration de En somme, le Polygraphe constitue une œuvre iné­ l'aube de la Révolution. Il trace avec élégance un Michel Fessier et Éric Vtcaut gale et démesurée qui ne parvient que trop rarement portrait chatoyant et mordant des derniers privilé­ Image: Thierry Arbogasl à s'élever au niveau du Confessionnal. Curieuse­ giés de la monarchie française... Mus.: Antoine Duhamel Mont. : Joëlle Hache ment, il semble que la liberté artistique dont a joui Prod.: Gilles Legrand. Lepage pour réaliser ce second film s'est révélée une Cette période de l'histoire de France (celle précé­ Frédéric Brillion et Philippe bien mauvaise conseillère. S'il ne fait pas de doute dant la Révolution) fut rarement visitée sous l'angle Carcassonne qu'il tente de s'écarter des sentiers battus de l'aca­ que privilégie le scénariste de Ridicule, Rémi Dist.: C/FP Distribution Int.: Fanny Ardant, Charles démisme, il manque singulièrement de rigueur. À Waterhouse. En effet, celui-ci nous dépeint une mi­ Berling. Bernard Giraudeau. trop vouloir révolutionner l'art cinématographique, crosociété repliée sur elle-même, totalement isolée Judith Godrèche, Jean l'auteur pluridisciplinaire en oublie l'essentiel: raconter de la réalité du peuple et hostile aux progrès de la Rochefort

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Fanny Ardant à la cour de Ver­ sailles dans Ridicule de Patrice Leconte science, des lettres et de la philosophie. L'origina­ faiblesse du verbe ou un manque inopiné de répar­ lité de sa démarche fait en sorte que le voyage ini­ tie, la chute est quasi assurée. Et le sceau du ridi­ tiatique de Ponceludon de Malavoy (Charles Berling) cule, trop souvent fatal... devient aussi le nôtre. Ridicule se présente comme le tableau d'une no­ Ce noble de province, à peine mieux nanti que ses blesse tourmentée et désœuvrée, empêtrée dans un paysans, n'accepte pas leur condition misérable et système moribond, maintenu par un roi faible et in­ les maladies qui les déciment. Il se rend à Versailles capable. Bien qu'ils doivent se hisser au sommet en afin de soumettre au roi un plan d'assèchement des marchant sur la tête (ou le cadavre) des autres, marais de la Dombes. Mais il y a loin de la coupe l'acharnement désespéré de certains personnages à aux lèvres. Pour se faire entendre de Louis XVI (Ur­ persévérer dans ce système pyramidal les rend tous bain Cancelier), Ponceludon devra lutter contre les extrêmement fragiles, humains, même les plus vils, pièges et les coups bas de l'entourage du roi. Parmi les plus vicieux, tels Mme de Blayac et l'abbé de eux, le Marquis de Bellegarde (), Vilecourt (Fanny Ardant et Bernard Giraudeau). charmé par la droiture et le bel esprit du jeune Comment ne pas deviner, sous le fard et les perru­ homme, l'introduit à la cour et devient ainsi un pré­ ques, toute la souffrance d'une noblesse qui n'a plus cieux allié. Néanmoins, le bienveillant marquis ne sa raison d'être? peut lui épargner les dangers de sa périlleuse ascen­ sion vers le sommet. Pour se faire entendre du roi, «Un arbre pourri ne donne pas de beaux fruits» af­ Ponceludon doit obligatoirement se plier aux règles firme Mathilde (Judith Godrèche), la fille du mar­ du jeu dont le but consiste à faire culbuter les autres quis de Bellegarde. Les expériences scientifiques de solliciteurs. Les arts de la dissimulation, de la cons­ Mathilde et de son père ainsi que les travaux d'in­ piration, de la corruption, mais avant toute chose le génierie de Ponceludon symbolisent l'émergence génie de la phrase assassine peuvent mener à la mort d'un monde nouveau, ne demandant qu'à éclore. De d'un rêve, à la ruine d'une réputation, à la perte d'une même, la fraîcheur et le naturel de Mathilde, les scè­ vie. Plus particulièrement pour celui qui connaît une nes extérieures (la forêt, la rivière, le puits, etc.) où

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elle discute avec Ponceludon sont autant de contras­ COSMOS tes s'opposant fortement au raffinement poudré de de Manon Briand, André Turpin, Mme de Blayac et à la somptuosité artificielle de Denis Villeneuve, Jennifer Alleyn, Versailles. La noblesse française dégénère parce Marie-Julie Dallaire et Arto Paragamian qu'elle se veut ancrée dans l'irréel, dans le factice. par Thierry Gendron Plus qu'une simple comédie où l'on aligne les mots d'esprit, Ridicule présente un jugement sévère, mais jamais appuyé, sur le règne de Louis XVI. En effet, un pouvoir anémique, peu respecté, mal outillé ad- ous l'impulsion du producteur Roger Frappier, ministrativement, ainsi que des finances déficitai­ six jeunes réalisateurs ont chacun eu la chance res ne peuvent contenir longtemps le vorace appétit Sde réaliser un court métrage. Banal? Ça l'est des titrés et les aspirations légitimes d'une bourgeoi­ moins lorsque l'on sait que ces petites histoires for­ sie montante. Louis XVI ne sait imposer des réfor­ ment un long métrage qui a eu droit à une sortie mes sans se buter à la résistance, à la révolte de la commerciale en règle dans le circuit des «grands». noblesse, et plutôt que de privilégier le mieux-être Avec Cosmos, six jeunes nous offrent autant de vi­ de la nation, il préfère épouser la cause des privilé­ sions de la société d'aujourd'hui et du cinéma. giés. Mal lui en pris. L'insubordination et l'égoïsme de ceux-ci allié à l'incompétence et à la sottise du Malgré la diversité des récits, les thèmes abordés roi exacerbent les tensions sociales et ouvrent toute dans Cosmos se retrouvent tous sur un terrain clai­ grande la porte à un soulèvement qui les mènera tous rement délimité: Montréal et ceux qui y vivent. Tous sur l'échafaud. • les personnages évoluent dans un environnement où

David La Haye... décomposé dans Cosmos

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règne le culte de l'apparence, la solitude, la violence, Voilà un véritable travail de mise en scène: travel­ le viol, le sida, etc. Autant de sujets et d'anecdotes ling et discussion aboutiront juste au moment où parmi d'autres qui s'entrecroisent autour de la fi­ Jules et Fanny atteindront la porte de leur chambre. gure paternelle d'un chauffeur de taxi sympathique. Malgré ses inégalités prévisibles, Cosmos recèle de La structure du film, en voulant unifier à tout prix nombreuses qualités: l'intelligence et la crédibilité ces six histoires, entremêle personnages et récits, des dialogues (Cosmos et Agriculture, Jules et opérant quelques retours en arrière et situant Fanny), la mise en place d'ambiances délicates ou l'ensemble au cours d'une même journée. Toutefois, délirantes (Aurore et Crépuscule, le Technetium) cette ambition utopique à rendre le tout cohérent nuit et le jeu efficace des interprètes (soulignons la per­ autant au déroulement des petites histoires qu'à l'im­ formance d'Alexis Martin et de Marie-France Lambert pact général du film en son entier. Cosmos démarre dans Jules et Fanny). Décidément, Roger Frappier très lentement puisque nous allons constamment a vu juste en misant, envers et contre tous, sur la d'une introduction à une autre. De plus, les liens entre créativité des jeunes. • chacun des récits deviennent plus difficiles à éta­ blir. À trop vouloir imbriquer chaque histoire au tout, une certaine cohésion interne est sacrifiée et affai­ MICROCOSMOS blit l'ensemble. de Claude Nuridsany et Marie Perennou Visuellement, Cosmos se montre à la fois intelli­ gent et prétentieux. La recherche constante de points par Maud Béland de vue originaux, en soi louable, donne parfois des résultats déconcertants. L'omniprésence des plon­ gées n'est pas toujours justifiée, tout comme l'utili­ vol d'oiseau vous survolez nuages, vastes sation de certains mouvements de caméra. Cosmos étendues d'eau et puis, une plaine. Para­ tente de poser un nouveau regard, ce qui est intéres­ A chuté au milieu de brins d'herbe gigantes­ sant, mais pas toujours justifiable; le mérite de cer­ ques, une jungle étrange et verdoyante où perce une taines prises de vue s'arrête souvent aux prouesses douce lumière, vous vous sentez subitement en ter­ du caméraman à les concrétiser. Elles ne s'intègrent rain inconnu. D'étranges et majestueuses créatures Cosmos pas à l'ensemble d'une manière cohérente, n'étant déambulent, rampent et sautillent devant vos yeux. 35 mm / n. et b. /100 min / ni le prolongement du récit, ni l'évocation des pen­ Ce qui vous semblait hier encore mare d'eau et 1996/fict./Québec sées des personnages. Par moments, le film adopte caillou passent maintenant pour mer et montagne. une esthétique «publicitaire», justifiant la présence Le sort en est jeté: pour les 77 prochaines minutes, Réal.: Manon Briand, André de certaines images par leur seule beauté, sorties tout vous êtes un lilliputien au royaume des insectes! Turpin, Denis Villeneuve, Jennifer Alleyn, Marie-Julie droit d'un film de Carax et autres Besson. En consé­ Dallaire el Arto Paragamian quence, la démonstration d'un savoir-faire techni­ Bien qu'il lève le voile sur le splendide et vaste Image: André Turpin que évident prend le pas sur la narration. monde de minuscules populations d'une prairie Scén.: Manon Briand, André d'Aveyron, qu'on ne s'y trompe point. Microcosmos Turpin, Denis Villeneuve, Jennifer A lleyn, Marie-Josée Lorsqu'il y a une véritable adéquation entre récit et ne s'apparente guère à un «simple» documentaire. Dallaire, Sébastien Joannette, mise en scène, Cosmos démontre tout sa pertinence. Ainsi, à part l'introduction, aucun commentaire ne Arto Paragamian avec la Dans l'Individu de Marie-Julie Dallaire, le travel­ vient fournir d'explications ou situer le spectateur collaboration d'Yvon Rivard ling arrière ne cadrant que les personnages que la sur cet environnement insolite. On l'invite simple­ Son: Dominique Chartrand ment à explorer. Tant de beauté naturelle et insolite, Mus.: Michel A. Smith cinéaste désire isoler réussit à faire naître le suspense Mont.: Richard Comeau d'une manière remarquable. Dans le Technetium provenant d'un univers que l'on méprise habituelle­ Prod.: Roger Frappier - de Denis Villeneuve, le montage très rapide, l'utili­ ment, étonne, attendri, trouble! Cet exploit s'expli­ Max Films sation de la caméra-épaule et les nombreux gros que, en grande partie, par la qualité rarissime Dist.: Malofitm Distribution plans d'écrans qui dédoublent l'action sont pleine­ d'images filmées par une technologie unique. En Int. : David La Haye, Audrey Benoît, Marie-Hélène ment justifiés: ils révèlent l'ampleur du choc visuel effet, l'appareil de prises de vues utilisé par l'équipe Montpetit, Pascal Contamine, dont le personnage de David La Haye est victime. de cadreurs se veut spécialement conçu pour que la Marie-France Lambert, Quant au film d'André Turpin, Jules et Fanny, le caméra 35 mm puisse capter le quotidien du plus Alexis Martin, Sébastien plan séquence doublé d'un périlleux travelling ap­ petit insecte. Joannette. Élise Guilbault, puie admirablement l'emballement de la discussion Sarah-Jeanne Salvy, Gabriel Gascon, Igor Ovadis, Marc des deux personnages, discussion qui tourne en rond, Le prodige réside là: placer le spectateur au même Jeantv tout comme eux dans les corridors froids de l'hôtel. niveau que les protagonistes du film, créant ainsi

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Microcosmos de Claude Nuridsany et Marie Perennou une véritable identification avec quelques-uns des occasion des cadres austères de la recherche univer­ personnages. Effectivement, comment, dans un con­ sitaire), les deux collègues se lancent dans l'édition, texte semblable, ne pas s'amuser du scarabée sacré la réalisation d'expositionsn et de documentaires. poussant, avec effort, sur un terrain en pente puis Démontrant une forte inclination pour les toutes rocailleux, cette énorme boule de crottin de mou­ petites créatures, leur dessein premier veut exposer ton, ou ressentir de l'angoisse devant la brutalité d'un au grand public des univers insoupçonnés de la flore monde où la mort ne tient qu'à la rencontre fortuite et de la faune. Pour ce faire, ils doivent inventer leurs d'une araignée, d'un faisan ou d'une plante carni­ propres techniques de prises de vues. Cependant vore? Comment ne pas s'émerveiller devant la nais­ leurs efforts de diffusion et de vulgarisation vont au- sance d'une Vénus aquatique, pardon, devant la delà de cet aspect technique: les deux chercheurs métamorphose d'un moustique flamboyant! tentent d'associer information scientifique, esthé- tisme et poésie. Travailleurs acharnés, Microcosmos La trame sonore finement tissée soutient avec émo­ représente pour eux 15 ans de recherches, deux ans tion l'étrangeté, l'humour ou la grâce de certaines de mises au point technique, trois ans de tournage et Microcosmos scènes. Le mariage de la musique et des sons re­ quelque six mois de montage! 35 mm / coul. / 77 min /l 996 cueillis dans la nature ou captés en chambre sourde / doc. / France-Suisse-ltalie édifie ce monde étrange tout comme il éveille notre Microcosmos apparaît comme un film tranquille et imagination. L'union de ces images et de ces sons gentil, provoquant étonnement, amusement et sym­ Réal. et scén. : Claude souligne délicieusement les différences de percep­ Nuridsany et Marie Perennou pathie. Pourtant, on lui impose le défi extrêmement Image: Claude Nuridsany. tion que possèdent les peuples de l'herbe et ceux de ardu de garder constamment l'attention du public Marie Perennou. Hugues la brique, du béton et des grandes allées asphaltées. en misant essentiellement sur une imagerie parfois Ryffel et Thierry Machado La prise de conscience de l'existence de deux mon­ anecdotique. Cette journée passée au cœur de cette Son: Philippe Barbeau et des parallèles si totalement étrangers, alors que cha­ petite société soulève plus d'une question et l'inter­ Bernard Leroux Mus.: Bruno Coulais cun d'eux tire profit de la même mère-nourricière, vention occasionnelle d'un commentaire humoris­ Mont.: Marie-Josèphe la planète Terre, provoque une agréable surprise. tique ou poétique aurait pu répondre à celles-ci tout Yoyotte et Florence Ricard en évitant le piège du didactisme tant redouté par Prod. : Galatée Films, France Les réalisateurs Claude Nuridsany et Marie les coréalisateurs. Malgré cette réserve, ce grand film 2 Cinéma, BAC Films. Delta sur F infiniment petit élargit notre perception du Filins, les Productions JMH, Perennou, biologistes de formation, travaillent con­ Télévision Suisse Romande. jointement depuis 1969 à l'étude des phénomènes monde dans lequel nous vivons. Ce qui n'est pas un Urania Films vivants. Sortant des sentiers battus (et par la même mince exploit! • Dist.: C/FP Distribution

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sa femme Assida, lui faisant croire que son mari l'at­ tend en Allemagne alors qu'il souhaite la vendre comme prostituée. Igoyor s'enfuit avec Assida et lui révélera la vérité au sujet de son mari.

Sans tomber dans le mélodrame ou le pastiche socio- réaliste, ce film emprunte les éléments du documen­ taire, éléments parfaitement maîtrisés par les cinéastes. La caméra de Benoît Dervane offre une perspective intimiste au récit: toujours à l'affût du moindre geste et de la plus pure émotion, témoin de la relation tendue entre un père influent et son fils porté à la maturité avant l'âge, et puis celle d'une veuve qui ne le sait pas encore, déchirée entre ses racines africaines et l'hostilité de l'Europe blanche. Les acteurs campent avec conviction des personna­ ges provenant de milieux modestes, réveillant ainsi les vieux démons d'une Belgique colonisatrice. Le père, dans sa tentative d'expulser Assida, est parti­ culièrement représentatif de ces mœurs passéistes: il paie quelqu'un pour simuler son viol, il marchande de faux passeports, il interdit à son fils toute visite à son appartement, etc.

Jérémie Rénier el Olivier LA PROMESSE De son côté, Igoyor parcourt avec difficulté le che­ Gourmet dans la Promesse de min de l'honnête. Trop jeune pour comprendre les Luc et Jean-Pierre Dardenne de Luc et Jean-Pierre Dardenne actions qu'il fait — voler les clients de la station- service où il travaillait, quitter un emploi stable pour par Charles-Stéphane Roy la combine malhonnête de son père ou soutirer abu­ sivement le paiement des logements insalubres des immigrants — le triste sort d'Assida lui servira d'ini­ ort de la chaleureuse réception qu'il reçut au tiation à l'entraide et à l'intégrité. La promesse qu'il La Promesse dernier Festival de Cannes, la Promesse lui a faite amorce un tournant alors qu'il se détache constitue une des plus intéressantes produc­ progressivement, puis de façon de plus en plus si­ 35 mm / coul. / 93 min / F 1996 /fict. / Belgique- tions de la cuvée automnale. Provenant du milieu gnificative, de l'autorité abusive du père. France-Luxembourg de la vidéo et travaillant surtout dans le documen­ taire, les frères Dardenne proposent ici une histoire Le film évite d'emprunter une morale trop caricatu­ Réal.: Luc et Jean-Pierre modeste dans sa présentation mais généreuse en rale sur les questions raciales et sociales, et sur ses Dardenne Scén.: Luc el Jean-Pierre émotions brutes. protagonistes. Le père et le fils ne sont ni méchants Dardenne. Léon MichaiLK ni bons, seulement désireux de quitter leur misère. et Alphonse Badolo Le film repose sur les menues mais solides épaules À travers eux, les frères Dardenne ont réussi à at­ Image: Alain Marcoen du jeune Jérémie Renier, qui campe le rôle d'Igoyor, teindre à une quasi parfaite illusion d'authenticité. Son: Jean-Pierre Duret. La Promesse plonge carrément le spectateur dans Michel Viomiet et Pascal un adolescent qui ne va plus à l'école pour mieux Matge assister son père (Olivier Gourmet), un chômeur qui les ruelles sales, sous les ponts, dans les minuscules Mus.: Jean-Marie Billy exploite des immigrants clandestins. Cependant, tout appartements délabrés; bref, dans la pauvreté même et Denis M'Pinigii s'écroule pour eux lorsque des agents du travail au — le tout sans tomber dans le désespoir ou le pessi­ Mont.: Marie-Hélène Dozo noir belge arrivent à l'improviste pour inspecter près misme d'un reportage télé sur ce type de sujet. À Prod. : Films du Fleuve une époque où le principe de l'égalité des peuples t Belgique). Touza Produc­ de l'immeuble illégal où les immigrants travaillent tions (France) pour payer leur loyer; un de ceux-ci, Amidou, se tue semble chose acquise, les frères Dardenne nous pré­ Dist.: Alliance Vivafilm en tombant d'un échafaud. Igoyor, témoin du drame, sentent un constat réaliste comme il s'en fait de Int.: Jérémie Rénier, Olivier promet à ce dernier de veiller sur sa femme et son moins en moins (bien) au cinéma. À la suite de Ken Gourmet, Assita Ouedraogo. jeune enfant. Il subira ensuite les foudres de son père, Loach et Mike Leigh en Grande-Bretagne, voilà Frédéric Bodson. Rasmané Ouedraogo. Hachemi décidé à étouffer l'affaire en se débarrassant du ca­ qu'émerge, avec les frères Dardenne, des cinéastes Haddad. Florian Detain davre d'Amidou (qu'il enterre dans du béton) et de de la même trempe en Belgique. •

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