LES RATISBONNE, NOTABLES ET FINANCIERS STRASBOURGEOIS AU Xixe SIÈCLE
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Jean DALTROFF Strasbourg LES RATISBONNE, NOTABLES ET FINANCIERS STRASBOURGEOIS AU XIXe SIÈCLE RÉSUMÉ Dans une ville qui connut au XIXe siècle une reconstruction à la fois politi- que, religieuse et économique, la famille Ratisbonne, originaire de Fürth en Ba- vière, symbolise l'éclosion d'une bourgeoisie juive à Strasbourg et son intégration dans la vie de la cité. Plusieurs membres de cette famille, par leur dynamisme et leur sens des responsabilités accèdent à la notabilité; prenant une part active à la fois dans la vie politique et socio-économique de la ville et les structures consistoriales du département. Comme négociants et comme banquiers, ils partagè- rent les valeurs des patrons alsaciens faites d'ardeur au travail, d'engagement et de compétence. SUMMARY In a city that experienced a swift process of political, religious and economic growth during the nineteenth century, the Ratisbonne family from Fürth in Bavaria symbolized the new Jewish middle class and its integration into town life. Leaders of the Jewish community, the Ratisbonne devoted themselves heart and soul to their business like the alsatian industrialists, often innovating and distinguishing them- selves by their social conscience. «Pendant une bonne partie du XIXe siècle dans les villes, le changement socio-économique se fait au profit des négociants. Une catégorie large qui désigne d’abord ceux qui se livrent directement au commerce, mais aussi les gens qui s’occupent de banque ou animent les économies hybrides des régions proto-industrialisées» a pu écrire Yves Lequin1. Strasbourg en four- nit une remarquable illustration. Dans une ville, dont la population passa de 56 000 habitants en 1820 à 77 000 âmes en 1870, le vieux patriciat de l’an- 1. Y. LEQUIN, in G. DUBY (dir.), Histoire de la France urbaine: la ville de l’âge indus- triel, IV, Paris, 1983, p. 485. Revue des Études juives, 159 (3-4), juillet-décembre 2000, pp. 461-477 462 LES RATISBONNE, NOTABLES ET FINANCIERS STRASBOURGEOIS cienne ville libre et les notables issus de la Révolution et de l’Empire, avec la mise en place de l’équipement fluvial et ferroviaire s’efforcèrent de structurer un capitalisme strasbourgeois s’intéressant à la fois au négoce de l’argent et aux affaires. Cependant le développement de l’industrie et des travaux d’infrastructure sous la monarchie de Juillet et sous le Second Em- pire favorisa l’apparition d’une classe de notables dont la banque n’est plus comme le souligne Georges Foessel2, «le complément naturel du grand commerce, mais une profession en soi qui prend désormais devant la com- plexité et la taille croissante des affaires, toute l’activité de ceux qui s’y consacrent». Dans cette perspective, une famille juive originaire de Fürth en Bavière, les Ratisbonne, vint habiter Strasbourg avant la Révolution française. Plusieurs membres de cette famille allaient constituer les élé- ments fortunés de cette bourgeoisie juive en formation: négociants, manu- facturiers et banquiers, ils se hissèrent à la tête du judaïsme bas-rhinois en- tre 1830 et 1870. Avant d’apprécier l’importance des activités de ces notables et de ces fi- nanciers strasbourgeois, il nous paraît judicieux d’évoquer dans un premier temps le cadre urbain strasbourgeois du XIXe siècle avec ses hiérarchies so- ciales d’où ressortent les notables et le renouveau d’une vie juive. La deuxième partie nous permettra de cerner la teneur de l’engagement des Ratisbonne dans la vie publique, dans la vie socio-économique et dans la vie communautaire de Strasbourg et du Bas-Rhin. Par comparaison avec d’autres notables, nous tenterons de dire si autour des Ratisbonne s’est fa- çonné un comportement spécifique fondé sur quelques valeurs-clés qui dé- passent les clivages confessionnels ou culturels. Le cadre urbain Données générales sur Strasbourg au XIXe siècle On peut schématiquement distinguer deux parties dans l’histoire de Strasbourg de 1789 à 1870: la Révolution et l’Empire où Strasbourg est le chef-lieu du département du Bas-Rhin (1789-1815); Strasbourg et le règne des notables (1815-1870). Entre 1789 et 1815, le cadre de la ville n’a pas radicalement changé, contrairement aux grands centres urbains de l’inté- rieur du pays. Alors que des villes comme Marseille, Bordeaux ou Rennes brisent les unes après les autres leur ceinture de pierre, Strasbourg demeure 2. G. FOESSEL, in G. LIVET et F. RAPP (dir.), Histoire de Strasbourg des origines à nos jours, IV, Strasbourg, 1982, p. 63. LES RATISBONNE, NOTABLES ET FINANCIERS STRASBOURGEOIS 463 un champ clos dont la structure est inadaptée au contexte politique, aux né- cessités économiques et aux besoins sociaux. Cependant la ville participe à la vie de la nation et aux vicissitudes de la période révolutionnaire et impé- riale caractérisée par une mutation totale des cadres urbains. Des principes nouveaux se font jour, des individualités surgissent, des réactions originales se dessinent face aux problèmes du moment: rôle de l’État et de la Nation, problèmes économiques et financiers avec le recul des barrières douanières, vente des biens nationaux, inflation et discrédit des assignats3. Après la Révolution de 1789 qui entraîna l’établissement d’un régime municipal français et le renoncement à son ancienne constitution, la ville de Strasbourg supporta mal le régime de la Terreur et accueillit chaleureuse- ment l’Empire. Cette période s’inscrivit pour la ville sous le triple signe de la reconstruction, de la prospérité et de la guerre. Reconstruction politique d’abord qui permit à Strasbourg de rester chef-lieu du département et d’être le siège de la nouvelle administration préfectorale4. Reconstruction reli- gieuse ensuite pour la pacification des esprits. On comptait ainsi en 1807 à Strasbourg, 27 213 catholiques, 24 741 luthériens, 887 réformés, 1 476 juifs et 137 anabaptistes. Par le décret du 28 décembre 1799, les catholiques ob- tinrent la liberté de culte. Le 15 août 1801, le Concordat fut signé. En 1802, les «Articles organiques» fixèrent le statut des églises protestantes, luthé- riennes ou réformées. Pour le culte juif, Napoléon Ier convoqua à Paris pour le 15 juillet 1806, une Assemblée de notables et de rabbins chargée de définir les relations entre l’Empire et ses juifs et de démontrer l'absence d'obstacles de nature religieuse à l'exercice du rôle de citoyen. L’Assem- blée comprenait 111 délégués dont 27 Alsaciens parmi lesquels 8 Stras- bourgeois dont David Sintzheim, rabbin de Strasbourg et Auguste Ratis- bonne, marchand de draps. En mars 1808, une Assemblée, le Grand Sanhé- drin entérina les décisions prises pour réglementer les activités profession- nelles des juifs. Avec la création des consistoires, Strasbourg devint le siège d’un consistoire avec à sa tête un grand rabbin et trois membres laïcs qui avaient autorité sur les juifs du département5. La reconstruction de l’Empire fut accélérée par un retour à l’ordre et à la prospérité. L’accroissement de la population strasbourgeoise avait repris: 49 000 habitants en 1789, 54 870 en 1813. Un effort considérable fut ac- compli dans le domaine des voies de communication. La ville vit transiter les vins, le tabac, les grains, la garance, les tissus, le sucre et les soieries. 3. G. LIVET, «Histoire de Strasbourg», Encyclopédie d’Alsace, Strasbourg, 1986, p. 7129. 4. R. OBERLE, «Strasbourg, le Consulat et l’Empire, de l’histoire à la légende», in G. LI- VET et F. RAPP, op. cit., III, 1981, pp. 599-600. 5. Z.-E. HARSANY, La vie à Strasbourg sous le Consulat et l’Empire, Strasbourg, 1976, p. 143-144. 464 LES RATISBONNE, NOTABLES ET FINANCIERS STRASBOURGEOIS Pour les subsistances militaires, le ravitaillement des armées, le passage des troupes, Strasbourg continua à remplir son rôle de ville d’étapes. Mais après Waterloo (18 juin 1815), le nouveau pouvoir, celui de Louis XVIII s’installa à Strasbourg. Entre 1815 et 1870, l’histoire de la ville fut marquée par un double ca- ractère: la discontinuité de la vie politique d’une part, la poursuite des transformations socio-économiques et culturelles d’autre part, entraînant une lente intégration de la ville dans la communauté française. La disconti- nuité des régimes politiques d’abord. 1815-1830, seconde restauration avec les règnes de Louis XVIII et Charles X et le retour des Bourbon; une révo- lution en juillet 1830 et l’avènement de Louis Philippe et de la monarchie de Juillet; en 1848, seconde révolution en février et avènement de la Seconde République dont la vie agitée s’acheva par le coup d’état du 2 décembre 1851 et la prise du pouvoir par le prince président qui deviendra l’empereur Napoléon III. Le Second Empire apporta la prospérité mais se termina dans le sang. Strasbourg tomba entre les mains des Allemands le 30 septembre 1870. Chacun de ces régimes eut ses partisans, son opposition, ses manifestations. La vie politique marquée par les élections législatives fut réduite à une sphère étroite, celle du «pays légal» et des notables qui en un ou deux collèges départementaux élisaient les députés. Plus proches de la population apparaissaient les maires et leur administration. C’était l’épo- que où l’on pensait que la compétence l’emportait sur l’élection et où la tra- dition familiale et l’expérience garantissaient l’efficacité. Sous la Seconde Restauration, le Conseil municipal de Strasbourg était composé de quatre banquiers dont Charles de Turckheim, cinq négociants, trois professeurs de médecine ou de pharmacie, deux propriétaires, un imprimeur et un avoué. Sous la monarchie de Juillet, les maires étaient nommés par le roi, choisis au sein du Conseil municipal, élus au régime censitaire. Georges Frédéric Schutzenberger comme maire de 1837 à 1848, mit en chantier la transfor- mation de Strasbourg en introduisant l’éclairage au gaz, en permettant l’en- trée du chemin de fer et en lançant un plan d’urbanisme qui se réalisa après 1870.