Paul GRAVETT, Manga : Soixante Ans De Bande Dessinée Japonaise, Trad
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Questions de communication 9 | 2006 Rôles et identités dans les interactions conflictuelles Paul GRAVETT, Manga : soixante ans de bande dessinée japonaise, trad. de l’anglais par Fr. Brument Monaco, Éd. du Rocher, 2005, 176 p. Jonathan Haudot Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/7955 DOI : 10.4000/questionsdecommunication.7955 ISSN : 2259-8901 Éditeur Presses universitaires de Lorraine Édition imprimée Date de publication : 30 juin 2006 ISBN : 978-2-86480-869-5 ISSN : 1633-5961 Référence électronique Jonathan Haudot, « Paul GRAVETT, Manga : soixante ans de bande dessinée japonaise, trad. de l’anglais par Fr. Brument », Questions de communication [En ligne], 9 | 2006, mis en ligne le 30 juin 2006, consulté le 22 septembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/questionsdecommunication/ 7955 ; DOI : https://doi.org/10.4000/questionsdecommunication.7955 Tous droits réservés questions de communication, 2006, 9 Paul GRAVETT, Manga : soixante ans de bande dessinée japonaise, trad. de l’anglais par Fr. Brument. Monaco, Éd. du Rocher, 2005, 176 p. Avec son ouvrage, Manga : soixante ans de bande dessinée japonaise, Paul Gravett vient « gonfler » les maigres rangs des intéressés ayant entièrement consacré un livre au manga. En effet, en France, malgré sa solide implantation débutée aux alentours des années 90, avec les parutions d’Akira signé Katsuhiro Otomo et Dragon Ball d’Akira Toriyama, la bande dessinée japonaise ne s’est vue dédier que peu d’ouvrages dans le paysage éditorial français – toutes approches confondues –, si ce n’est pour traiter des techniques d’apprentissage graphique d’un mangaka, un auteur de manga. Mais là où l’ensemble de la production livresque a fait défaut, certains articles – à teneur scienti- fique ou non – et, principalement ceux du magazine Animeland, ont, pour leur part, permis de constituer un savoir sur la question. Cette connaissance est synthétisée 489 Notes de lecture et approfondie grâce à ce que l’auteur Natsume, considère comme des présente comme étant une introduction aux « prémangas » (p. 18) à savoir, les e-maki, mangas dont, incontestablement, les points ces rouleaux de peintures narrant habituel- forts résident en une bibliographie interna- lement des légendes, des batailles ou des tionale et une diversité d’exemples tranches de vie quotidienne. Il souligne aussi pertinents et/ou inédits pour la France. les liens picturaux et narratifs existant avec les pionniers de l’ère du Meiji que consti- La première approche de l’ouvrage s’attache tuent les ukiyo-e, les shunga, les Toba-e et les à cerner le manga en tant que produit de estampes de yokai pour en arriver à consommation. En effet, après l’avoir resitué l’influence de la BD étrangère dont les comme habitude de lecture, l’auteur insiste principaux acteurs furent Charles Wirgman sur le poids économique qu’il incarne dans le et George McManus dont les courtes monde de l’édition, grâce à sa logique de bandes composées de quelques cases, leurs prépublication dans des revues hebdoma- strip satiriques, conduisirent à l’éventualité daires, épaisses comme des annuaires et d’un abandon du style réaliste et affirmèrent accessibles pour un prix modique, avant la possibilité de caricaturer toutes les qu’un titre ne se voit recueilli en livre : couches sociales sans exception. Enfin, Paul « Cette philosophie “du plus gros et moins Gravett insiste sur l’impact du cinéma sur les cher” semble être payante. Certaines revues comics américains qui, à travers ces derniers, hebdomadaires de manga font partie des eurent un effet boule de neige dans les plus gros tirages de la presse japonaise. productions nippones : « […] c’est au cours Malgré la récession, une revue comme des années 30 qu’un réalisme accru, des Shonen Jump, qui pouvait jadis dépasser les 6 cadrages variés et un découpage rapide millions d’exemplaires, tire encore à 3 devinrent le langage commun des films et millions d’exemplaires pour une population des bandes dessinées américaines – de 126 millions de personnes […]. Les techniques qui restèrent largement ignorées revues de manga représentent environ un au Japon. Isolés et limités par les restrictions sixième du chiffre d’affaires global de la de guerre, les mangas de l’époque pouvaient presse, soit un marché de 250 milliards de seulement laisser pressentir les changements yens (près de 2 milliards d’euros). Vu leur à venir. Cependant, ces premières œuvres capacité à générer des profits massifs, les furent fondatrices et sources d’inspiration bandes dessinées sont le secteur le plus pour leurs jeunes lecteurs. Après la guerre, compétitif de l’édition. Trois éditeurs – un mangaka en particulier, Osamu Tezuka, Kodansha, Shueisha et Shogakukan – se allait ouvrir la boîte de Pandore et en jeter la partagent en gros les deux tiers du marché » clé » (p. 23). Alors, c’est naturellement que (p. 14). Ensuite, l’auteur s’attache à décrire la Paul Gravett propose un chapitre complet profession de mangaka. S’appuyant le plus sur ce « père fondateur » surnommé « le souvent sur des anecdotes, il présente le Dieu du manga » (pp. 24-37). Ainsi ce parcours, les logiques de travail et le chapitre permet-il au lecteur de cerner le quotidien d’un mangaka, sans oublier rôle majeur aussi bien dans les logiques de l’entourage de ce dernier, composé des assis- productions, de diffusion que de création tants – rarement mentionnés dans les dans le monde de l’animation et du manga œuvres – et l’éditeur, personne rattachée à de cet auteur qui, dès 1947, réussit à faire l’artiste afin d’évaluer son activité et de éditer plus de 400 000 exemplaires d’un de s’assurer que celui-ci respecte les délais ces premiers titres et ce, malgré la régle- imposés. mentation concernant le papier, conséquence de la défaite japonaise face aux Paul Gravett traite également des évolutions États-Unis. techniques et thématiques qui marquent le passage du manga traditionnel au manga En outre, le lecteur sera sensible à la justesse moderne fondé par Osamu Tezuka. Pour ce des choix de reproductions de planches de faire, il dresse un panorama chronologique certaines œuvres d’Osamu Tezuka qui illus- démarrant au XIIe siècle avec ce que le trent des avancées séquentielles et sujets critique de bande dessinée, Fusanosuke novateurs. En témoigne l’analyse de l’articu- 490 questions de communication, 2006, 9 lation des pages de la biographie de Kajiwara avaient réalisé un manga pour Bouddha, décrivant le sacrifice d’un lapin se garçon qui vous faisait sentir chaque coup de jetant volontairement dans le feu pour poing échangé lors des combats brutaux de nourrir un saint homme. De surcroît, le Joe. Ces longues descriptions minutieuses et lecteur s’arrêtera sur l’extrait de L’Histoire non édulcorées alimentèrent le débat sur la des 3 Adolf présentant le traumatisme du violence et la brutalité introduites dans les nazi, Adolf Kaufmann, hanté par la musique hebdomadaires pour enfants par les histoires d’un violoniste juif qu’il a froidement plus noires et très populaires du gekiga.À assassiné. Après cette clarification sur la partir de 1967, une Unité de protection de question des origines, Paul Gravett se focalise la jeunesse gouvernementale inscrivit tous sur les différents genres et sous-genres de la les mangas suspects sur une “Liste des publi- BD japonaise, et ce, par le biais d’une cations nuisibles”. Chiba a relaté dans un succession de chapitres analysant chacun un manga autobiographique la visite gênante à genre, tant au niveau historique que son studio que lui rendirent des agents venus technique – toujours exemplifié par des enquêter sur Ashita no Joe. La série fut jugée œuvres phares et leur(s) auteur(s) – tout en “indécente” et des plaintes envoyées à réfléchissant à l’impact sur un public préala- l’éditeur : en 1973, elle s’arrêta […] » blement visé par les maisons d’éditions. Par (pp. 52-54). Enfin, sont également abordées exemple, l’auteur présente les gekiga, ces des parutions consacrées à des aspects mangas aux intrigues sombres qui propres de la société japonaise. Certes, elles s’adressent aux adultes et aux adolescents : rencontreraient des difficultés à s’implanter « Le terme gekiga fut lancé par l’un des au-delà des frontières de l’archipel nippon, maître du genre,Yoshihiro Tatsumi,en 1957. Il mais au cœur de celui-ci les ventes sont tenait ainsi à distinguer son travail des croissantes. Citons, entre autres exemples, les mangas plus édulcorés qui paraissaient dans séries aux intrigues axées autour des parties les revues pour la jeunesse de l’époque. […] de jeux comme le pachinko ou le mah-jong C’est en grande partie grâce [au gekiga] que ou encore, celles relatant l’ascension profes- lecteurs et auteurs continuèrent à grandir sionnelle de salarymen. avec les mangas, au lieu de s’en détourner en vieillissant » (p. 38). Paul Gravett signe ici un ouvrage passionnant et enrichissant qui s’adresse aussi bien au Évidement, les deux genres les plus répandus lecteur occasionnel qu’au lecteur « régulier » que sont le shojo et le shonen ne sont pas en et au chercheur, l’un n’empêchant pas l’autre. reste. Concernant le premier, le lecteur De plus, par le biais d’un corpus varié, il fait apprendra, non sans surprise, que ce genre découvrir des œuvres, jamais parues en initialement destiné à un public féminin était, France, telles les histoires de samouraïs mises à ses débuts, totalement pris en charge par en scène par Sanpei Shirato, Nejishiki, imaginé des hommes et qu’il acquit ses lettres de par Yoshiharu Tsuge, et même, des planches noblesse grâce aux « Magnifiques de 24 », supprimées de la version finale de Shin cinq femmes mangaka au sein desquelles on Takarajima – La nouvelle île au trésor en trouvait notamment Riyoko Ikeda, scénariste français –, dessinée par Osamu Tezuka.