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Fondements scientifiques En vue de la création d’une zone de protection d’habitat naturel du Mont-Blanc - Site d’exception

● Rédaction Bernard Bal, Olivier Billant, Jean-Baptiste Bosson et Lisa Wirtz 28 avril 2020

● NOTE RÉALISÉE AVEC LE SOUTIEN FINANCIER DE

de la Haute-Savoie

Table des matières Remerciements 4 Préambule : Protéger le toit de l’Europe 4 1. Éléments de contexte 5 1.1. Un concentré de superlatifs 5 1.2. Un massif sous pression à l’Anthropocène 5 1.2.1. Un bouleversement climatique sans précédent dans l’Histoire 5 1.2.2. L’enjeu de la fréquentation 8 2. Analyse topographique de la zone de protection proposée 9 3. Patrimoine géologique et hydrologique 11 3.1. Géologie 11 3.2. Géomorphologie et hydrologie 12 3.2.1. Formes et processus glaciaires 13 3.2.2. Formes et processus périglaciaires et gravitaires 21 3.2.3. Formes et processus torrentiels et lacustres 25 3.3. Richesse, état et enjeux de conservation du patrimoine géologique et hydrologique 27 4. Patrimoine biologique 30 4.1. Habitats 30 4.1.1. Sources de données 30 4.1.2. Liste des habitats / commentaire 31 4.1.3. Cartographie / analyse 32 4.1.4. Etat de conservation /menaces / sensibilité 33 4.2. Flore 36 4.2.1. Sources de données 36 4.2.2. Liste des espèces / commentaires 36 4.2.3. Cartographie / Analyse 37 4.2.4. Etat de conservation / menaces / sensibilité 37 4.3. Faune 39 4.3.1. Sources de données 39 4.3.2. Liste des espèces groupe systématique / commentaires 39 4.3.2.1. Mammifères 39 4.3.2.2. Oiseaux 39 4.3.2.3. Reptiles/Amphibiens 40 4.3.2.4. Invertébrés 40 4.3.3. Cartographie / Analyse 40 4.3.4. Etat de conservation / menaces / sensibilité 41 5. Synthèse sur le patrimoine naturel et enjeux de conservation 43 6. Eléments de Synthèse des habitats naturels éligibles à un APHN du Mont-Blanc 47 Contribution à la réflexion sur le périmètre de la ZPHN 48 Bibliographie indicative 50

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Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 3 Remerciements

Asters-CEN74 remercie les services de l’Etat (et en particulier le Préfet de la Haute-Savoie et la DDT74) pour sa confiance dans cette sollicitation. L’équipe du CREA Mont-Blanc (en particulier Anne Delestrade), le Laboratoire Edytem de l’Université Savoie Mont-Blanc (en particulier Jacques Mourey et Pierre-Allain Duvillard) et le Pôle d’Information Flore-Habitats-Fonge (en particulier Lucile Vahe et Jean-Michel Genis) sont chaleureusement remerciés pour les données et les discussions partagées dans le court délai imparti à la rédaction de ce document.

Préambule : Protéger le toit de l’Europe Malgré l’importance du patrimoine naturel et culturel dans le Massif du Mont-Blanc, peu de mesures de protections existent actuellement dans sa partie française comme dans celles voisines de la Suisse et de l’Italie. Sur le versant français, la Réserve Naturelle Nationale des Contamines Montjoie, créée en 1979 pour protéger 55 km2 dans l’extrémité Sud du Massif et gérée par Asters-CEN74, est l’espace protégé le plus contraignant de l’ensemble du massif. À l’inverse, le classement de l’ensemble de sa partie française en 1951 aux Sites et Monuments Naturels et de ses abords comme Sites Pittoresques réglemente les travaux mais ne limite que très peu les activités humaines et les pressions sur les écosystèmes locaux. Dans un contexte où le massif est profondément impacté par le changement climatique contemporain, l’idée de limiter les autres pressions anthropiques sur les écosystèmes et notamment de gérer la fréquentation autour du sommet du Mont-Blanc est ancienne au sein de l’administration publique. Cette idée rejoint des initiatives locales visant à mieux reconnaître et protéger ce site naturel d’exception (création du collectif proMont-Blanc en 1991, projet d’inscription au Patrimoine Mondial de l’Humanité de l’UNESCO, etc.). Ainsi, l’État, en accord avec les communes concernées, a proposé début 2020 la création d’une Zone de Protection d’Habitat Naturel (ZPHN) autour du sommet du Mont-Blanc. Ce nouvel outil de protection est établi par la loi sur la création d’arrêtés préfectoraux de protection de la nature (loi n° 2010-788 et le décret n° 2018-1180). Une proposition de périmètre de protection a été partagée début mars 2020 (Fig.4) et, afin d’instruire le dossier de création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception, les services de l’État ont demandé à Asters-CEN74 de réaliser le présent document de diagnostic environnemental présentant des fondements scientifiques caractérisant les différents habitats et analysant leurs enjeux de conservation. Des fondements seront ensuite discutés en vue d’un examen par le Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel (CSRPN) et la CDNPS qui donneront leur avis sur le projet d’APHN. Le présent diagnostic environnemental a été réalisé par Jean-Baptiste Bosson (géomorphologue - glaciologue), Bernard Bal (biologiste – entomologiste), Olivier Billant, Lisa Wirtz (biologistes – botanistes) de la cellule expertise d’Asters. Il a nécessité la collection et la synthèse des données existantes à Asters et dans les bases de données en libre accès, la lecture de travaux scientifiques, des discussions avec les collègues du Centre de Recherches sur les Écosystèmes d’Altitude (CREA-Mont-Blanc) et de l’Université Savoie Mont-Blanc (notamment du Laboratoire CNRS Edytem). En plus d’un état des lieux (non exhaustif) de la connaissance sur le patrimoine géologique, hydrologique et biologique, une cartographie des habitats est proposée en lien avec les 156 habitats identifiés dans le territoire métropolitain par l’UMS PatriNat et le CNPN pouvant faire l’objet d’une ZPHN (fixé par l’arrêté du 18 décembre 2018). Après une analyse topographique de la zone de protection proposée, les principales caractéristiques géologiques, hydrologiques et biologiques seront présentées. Une synthèse met en perspective les pressions et les enjeux de conservation de ce patrimoine.

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 4 1. Éléments de contexte

1.1. Un concentré de superlatifs Le Massif du Mont-Blanc abrite un patrimoine naturel d’exception. Hébergeant le plus haut sommet d’Europe occidentale et de nombreux 4000, ce massif s’étend sur 400 km2 entre la , l’Italie et la Suisse. Il est, avec l’Oberland Bernois et les Hautes Alpes Valaisannes, le secteur le plus englacé des Alpes et contient les plus grands glaciers français. De nombreux habitats et espèces d’intérêt patrimonial y sont présents et notamment les rares et vulnérables espèces inféodées aux écosystèmes froids et les espèces pionnières qui colonisent les secteurs libérés par les glaces. Néanmoins, à l’inverse des connaissances importantes existantes sur la géodiversité dans le massif (des roches aux glaciers), la biodiversité est relativement peu connue, en comparaison notamment avec celle des autres massifs français de haute montagne (Écrins, Vanoise). Le massif du Mont-Blanc est également un site culturel d’importance mondiale, où le tourisme, l’alpinisme (qui vient d’être inscrit au Patrimoine Mondial Immatériel de l’Humanité), la géologie ou la glaciologie ont été en partie inventés et développés. En plus des 100'000 personnes qui habitent directement à sa proximité dans l’Espace Mont-Blanc, des centaines de milliers de touristes et d’alpinistes affluent aujourd’hui chaque année du monde entier vers le massif, générant une fréquentation considérable pour un espace de haute montagne et d’importantes retombées économiques.

1.2. Un massif sous pression à l’Anthropocène

1.2.1. Un bouleversement climatique sans précédent dans l’Histoire Depuis 2.6 millions d’années, les glaciations et les périodes interglaciaires se succèdent sur Terre en raison notamment des variations de l’orbite et de l’inclinaison de notre planète. Dans les Alpes, la dernière glaciation (Würm : -115'000 - -11'000 ans) a connu sa dernière apogée entre -45'000 et -25'000 ans. De grands glaciers formés par des calottes (le Mont-Blanc était probablement plus haut qu’aujourd’hui) s’écoulaient jusqu’aux pieds des Alpes et, par exemple, jusqu’à la région de Lyon. L’épaisseur de glace atteignait alors 1 200 à 1 400m au-dessus de et de rares sommets émergeaient de la calotte glaciaire. La température moyenne sur Terre s’est ensuite réchauffée en raison de processus naturels, induisant une période interglaciaire – l’Holocène – depuis 11'000 ans. En raison de ce réchauffement de plusieurs degrés, les surfaces glaciaires ont progressivement diminué et été confinées dans les plus hauts (et plus froids) secteurs alpins. La température moyenne sur Terre a légèrement oscillé (d’environ 2°C) au cours de l’Holocène selon les forçages naturels. Des périodes chaudes (avec des températures pouvant atteindre les valeurs actuelles) et froides se sont ainsi succédées. La pulse froide du Petit Âge Glaciaire (entre 1300 et 1900 dans les Alpes) est la dernière grande oscillation naturelle de l’Holocène. Excellents baromètres climatiques, les glaciers ont alors connu des crues qui leur ont permis d’atteindre certaines vallées alpines comme ce fut le cas pour le glacier des Bossons (voir la Fig.11 sur l’extension des glaciers locaux en 1850). Un réchauffement planétaire, essentiellement lié aux émissions anthropiques de gaz à effet de serre (GES) depuis la Révolution Industrielle, est en cours sur Terre depuis la fin du 19ème siècle (GIEC, 2018). La température moyenne s’est ainsi réchauffée de 1.1°C depuis la période préindustrielle d’avant 1900 (OMM, 2020). Ce processus s’intensifie depuis les années 1990 et les cinq dernières années sont les plus chaudes enregistrées depuis 1850 sur Terre (OMM, 2020). En raison de processus complexes (modification des caractéristiques de surface, présence de vapeur d’eau et d’aérosol, etc.), le réchauffement est plus intense dans les zones de montagne (MRI, 2015). Les Alpes françaises, où 2019 est la seconde année la plus chaude jamais mesurée, subissent un réchauffement deux fois plus important que la moyenne mondiale avec une élévation des températures de plus de 2°C depuis 1900 (Agate, 2020, Fig.1). Ce réchauffement considérable touche principalement le printemps et l’été dans la région du Mont-Blanc et la fréquence des journées caniculaires a augmenté (AdaPT Mont-Blanc, 2019). Le dérèglement climatique en cours affecte l’ensemble du système climatique et des sécheresses remarquables, des tempêtes avec des vents et/ou des précipitations extrêmes sont notamment survenues dans les Alpes au cours des dernières années. L’enneigement pâtit également du réchauffement global et une diminution générale de sa hauteur et de sa durée est observée au Nord des Alpes (-5 semaines de couverture neigeuse par an en moyenne montagne depuis les années 1970), même si aucune tendance n’est observée sur le cumul annuel des précipitations (AdaPT Mont-Blanc, 2019). Cette modification climatique a généré un important déclin glaciaire sur Terre entraînant par exemple une élévation moyenne de 23 cm du niveau marin global (Nasa, 2019). Dans le massif du Mont-Blanc, le retrait glaciaire, la diminution de l’enneigement, la dégradation du permafrost et l’augmentation des chutes de blocs associées, la remontée de la forêt, la colonisation végétale des marges proglaciaires, des modifications phénologiques, des itinéraires d’alpinismes (etc.) ont été notamment observées depuis 1850 (e.g. AdaPT Mont-Blanc, 2019).

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Fig.1. Variation des températures dans les Alpes françaises depuis 1900 (Agate, 2020).

Les activités humaines à l’âge industriel ont tellement déréglé le climat, la surface de la planète, les stocks et flux d’énergies et de matières que la communauté scientifique propose de clore la période géologique interglaciaire naturelle de l’Holocène au profit d’une nouvelle période, l’Anthropocène, où le principal agent modificateur du système Terre est l’Homo Sapiens. Cette hyper-influence d’une espèce sur la Terre et son fonctionnement est inédite dans l’histoire géologique de notre planète.

Fig.2. Projections climatiques des modèles français (ISPL, CNRM) pour le 21èmesiècle (MétéoFrance, 2019).

Les projections climatiques délivrées par le GIEC augurent dans tous les cas d’une intensification du dérèglement climatique et notamment du réchauffement global à l’avenir (Fig.2). L’ampleur de ce dérèglement dépendra de la réaction de l’Humanité à court terme (Steffen et al., 2018, MétéoFrance, 2019). Deux trajectoires opposées – une Terre stabilisée (courbe verte dans la Fig.2) ou étuve (courbe rouge) - se dégagent des modélisations, avec une infinité de possibilités entre elles. D’un côté, avec une limitation mondiale, rapide et sans précédent des émissions de GES, notamment dans le prolongement de l’Accord de Paris de 2015, le réchauffement global entre 1900 et 2100 pourrait plafonner autour de 2.2°C et le climat comme les écosystèmes planétaires retrouveront peu à peu une nouvelle situation d’équilibre. Dans ce scénario, le réchauffement dans les Alpes du Nord, déjà deux fois plus intense que la moyenne mondiale, va se poursuivre, notamment en été et en altitude (AdaPT Mont-Blanc, 2019), entraînant par exemple une diminution du manteau neigeux et du volume glaciaire. Néanmoins, la stabilisation progressive des températures locales autour de 4 à 5°C au-dessus de la valeur préindustrielle devraient permettre de conserver des hivers enneigés et une partie du volume glaciaire (environ 40 % du volume actuel à l’échelle des Alpes en 2100, d’après Zekollari et al., 2019). Le

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 6 climat haut-savoyard devrait se rapprocher un peu plus des caractéristiques du climat méditerranéen avec des étés chauds et secs (avec des orages violents) et des hivers doux et humides. À l’inverse, si les émissions de GES continuent à croître, des seuils planétaires (mécanismes qui sur-réchauffent la Terre, comme la libération des GES stockés actuellement dans le permafrost arctique) seront irréversiblement franchis. Additionnés aux émissions anthropiques, ils mèneront à un réchauffement global d’environ 7°C en 2100 par rapport au niveau préindustriel, qui se poursuivra après 2100. Inédit par sa vitesse et son intensité dans l’Histoire récente de la Terre, il bloquera notre planète à long terme dans une situation d’étuve. L’ensemble des écosystèmes seront profondément déséquilibrés et la fonte généralisée des glaciers mènera à une élévation du niveau marin globale de plusieurs mètres. En Haute-Savoie, l’intensité de ce réchauffement (~+8°C en en moyenne par rapport à 1900) bouleversera profondément les écosystèmes, les saisons, les cycles hydrologiques (etc.) et de facto les activités humaines. De longues sécheresses comme de très violents orages sont anticipés (AdaPT Mont-Blanc, 2019). L’enneigement deviendra extrêmement limité et la disparition de 95 % du volume actuel des glaciers alpins est prévue pour 2100 (Zekollari et al., 2019). À l’échelle des Alpes, les environs du Toit de l’Europe deviendront les seuls potentiellement au-dessus de l’isotherme 0°C en été (Fig.3). Profitant du retrait glaciaire et de la diminution du gel (Pohl et al., 2019), la végétation et les espèces remonterons sur les versants (AdaPT Mont-Blanc, 2019).

Fig.3. Températures estivales moyennes aujourd’hui et en 2050 sous un scénario d’émission moyen (RCP4.5) (© WSL-CHELSA dans AdaptMont-Blanc, 2018).

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 7 1.2.2. L’enjeu de la fréquentation

À l’instar de toutes les hautes montagnes englacées, le massif du Mont-Blanc est un espace naturel difficile d’accès pour l’être humain. Les conditions climatiques extrêmes, la verticalité des parois rocheuses, la présence importante de glaciers et de neige, l’occurrence d’aléas naturels comme les chutes de blocs et les avalanches lui confèrent en effet un caractère extrêmement hostile. Néanmoins, fruit de plusieurs siècles de conquêtes par des chasseurs de chamois, cristalliers, contrebandiers, explorateurs, scientifiques, alpinistes, grimpeurs, skieurs, constructeurs (etc.), la quasi-intégralité des sommets et des pentes du massif a été parcourue par l’Homme et la fréquentation y dépasse régulièrement plusieurs milliers d’êtres humains par jour.

La fréquentation et les pressions anthropiques ont, en général, augmenté dans le massif du Mont-Blanc au cours des dernières décennies, en lien notamment avec le développement des sports de plein air (alpinisme, escalade, ski et ski de randonnée, trail, parapente, speed riding, wingsuit, etc.), des accès mécanisés vers la haute montagne (, , Grands Montets, Bellevue, Train du Montenvers et Tramway du Mont-Blanc au Nid d’Aigle, en France et liaison par le télécabine Panoramic Mont-Blanc avec l’Italie au-dessus de la Vallée Blanche) et des survols en tout genre. Si la pratique de l’alpinisme diminue globalement dans le massif comme le montre la baisse de 5 % des nuitées en refuge depuis les années 2000, la fréquentation de la voie normale du sommet du Mont-Blanc (entre le Nid d’Aigle à 2375 m et le sommet à 4808 m via le Goûter à 3863 m) est très importante du fait de sa renommée internationale et sa relative facilité technique et près de 20'000 personnes s’y pressent chaque année (Mourey, 2019).

En lien avec cette fréquentation importante, la divagation, de nombreuses incivilités (non-respect des consignes de sécurité ou des restrictions d’accès, abandon de déchets, etc.), des accidents nécessitant l’intervention des secours, des initiatives commerciales ou militantes et des activités sportives sans l’équipement requis pour la pratique sécurisée de la haute montagne se sont ainsi intensifiés sur le Toit de l’Europe. Entre sécurité publique, retombées économiques et libre-accès à la montagne, la fréquentation du massif est devenue un enjeu important et une source de polémiques à retentissement international.

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 8 2. Analyse topographique de la zone de protection proposée

Un périmètre potentiel pour la ZPHN, appelé par la suite « zone d’étude », a été fourni à Asters-CEN74 début mars et comprend une zone de 22,5 km2 formant grossièrement un triangle entre le Col du Mont-Lachat (2080 m), le sommet du Mont-Blanc (4808 m) et le Plan de l’Aiguille (2290 m, Fig.4). La surface s’étend sur les communes de Chamonix Mont-Blanc, des Houches et de Saint-Gervais-les-Bains. Elle est limitée au Sud par la frontière avec l’Italie, à l’Est par le bassin de la , au Nord par le pied des versants concernés par la proposition dans la vallée de Chamonix et à l’Ouest par le vallon de Bionnassay. La zone d’étude est essentiellement recouverte de grands glaciers (Bossons, Taconnaz, Bionnassay). Des parois rocheuses et des accumulations sédimentaires le composent aussi, tout comme de rares zones colonisées par la végétation vers l’aval dans les secteurs du Plan de l’Aiguille et du Mont-Lachat (extrémités Nord-Est et Nord-Ouest de la surface).

Fig.4. Zone d’étude transférée à Asters-CEN74 par les services de l’État début mars 2020.

Des cartes altimétriques, des pentes et des orientations dans la zone d’étude ont été générées en utilisant un MNT à 5 m de résolution (© IGN). Elle comprend l’espace le plus haut de France et intègre les quatre sommets les plus élevés du pays : Mont-Blanc (4808 m, sommet le plus haut d’Europe occidentale), le (4485 m), le Dôme du Goûter (4304 m) et le Mont-Blanc du Tacul (4248 m). Ces sommets forment grossièrement de grands dômes recouverts de calottes glaciaires. Près de deux tiers de cet espace est compris au-dessus de 3000 m (Fig.5) et le seul secteur en dessous de 2000 m correspondant à 2 % de la surface totale se situe à l’extrémité Ouest au Plan de l’Are.

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Fig.5. Altitudes et ombrage dans la zone d’étude obtenus avec un MNT à 5 m de résolution (© IGN). La surface relative de chaque classe dans la zone d’étude est donnée entre parenthèse.

La déclivité est marquée dans ce secteur de haute montagne où seulement 13 % des pentes sont inférieures à 15° (Fig.6). Ces replats se trouvent notamment au Plan de l’Are et sur les plateaux glaciaires du Col du Dôme, du Grand Plateau, de Plan Glacier, des Pèlerins et du Col du Midi. Deux tiers de la surface sont compris entre 15° et 45° de pente et les zones les plus raides (>45° sur 20 % de la surface) se retrouvent dans les faces Nord-Ouest de l’arrête des Rognes, de l’Aiguille du Goûter et du versant Mont-Blanc – Aiguille du Midi. De manière logique sur le versant Nord-Ouest du Massif du Mont-Blanc, la moitié de la zone d’étude est orientée vers le Nord et près de 40 % de l’autre moitié est orientée vers l’Ouest (Fig.7). De rares secteurs sont orientés à l’Est (8 %, notamment vers le Grand Plateau) et le Sud (5 %, notamment aux Rognes et à l’Aiguille du Midi).

Fig.6 & 7. Pentes et orientations dans la zone d’étude obtenus avec un MNT à 5 m de résolution (© IGN). La surface relative de chaque classe est donnée entre parenthèse.

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 10 3. Patrimoine géologique et hydrologique 3.1. Géologie

Le massif du Mont-Blanc fait partie des massifs cristallins externes des Alpes et se compose de roches plutoniques et métamorphiques. Il forme globalement une grande voûte anticlinale d’axe Sud-Ouest-Nord-Est née lors de l’orogenèse alpine. Enfouis à plusieurs kilomètres de profondeur au début de la formation du relief alpin, les roches cristallines du Mont-Blanc ne sont (ré)apparues à la surface que depuis une dizaine de millions d’années, profitant de la faible densité des granites du Mont-Blanc pour remonter et devenir le plus haut massif des Alpes. La structure géologique est relativement simple et homogène dans le périmètre de la zone d’étude (Fig.8 et 9). On y retrouve deux principales unités lithologiques : - le cœur granitique dans la partie Nord-Est du Massif du Mont-Blanc ; - les gneiss et micaschistes (roches métamorphiques) de la partie Sud-Ouest du Massif du Mont-Blanc. Les sommets arrondis à l’Ouest de la zone d’étude (les Rognes, le Goûter et très probablement le Mont-Blanc) sont ainsi formés dans les roches métamorphiques tandis que les sommets et aiguilles plus anguleux de l’Est sont composés de granite. Cette différence s’explique par la meilleure résistance des granites (pureté, peu de fracturation initiale) à l’érosion glaciaire et périglaciaire (la cryoclastie) en comparaison aux roches métamorphiques à la schistosité importante.

Fig.8. Carte géologique des environs du Mont-Blanc (© BRGM : Feuilles 1/50 000 680 Chamonix 1987 et 703 St-Gervais les Bains 1976, visualisées sur geoportail.gouv.fr). En rouge vif, les granites du Nord-Ouest du Massif du Mont-Blanc contrastent avec le rose des gneiss et micaschistes du Sud-Ouest du Massif. Le polygone blanc correspond à la zone d’étude.

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Fig.9. Interprétation des affleurements rocheux présents dans la partie centrale de la zone d’étude (tirée de http://www.geologie-montblanc.fr/structures.htm).

Immergé en profondeur pendant une grande partie de l’histoire alpine, le massif du Mont-Blanc abrite de nombreux fours à cristaux où des quartz fumés, de la fluorite rose (etc.) se sont lentement formés. Recherchés depuis des centaines d’années, les minéraux du Mont-Blanc constituent un patrimoine géologique exceptionnel toujours convoités puisque des cristaux sont encore prélevés et vendus aujourd’hui. Des cristaux d’intérêts ont été prélevés et observés dans l’ensemble des affleurements rocheux de la zone d’étude, qu’ils soient constitués de granite ou de gneiss. L’intensification de l’exploitation au cours des dernières décennies dans le site classé du Massif du Mont- Blanc, notamment à des fins commerciales, a poussé la Mairie de Chamonix à prendre un arrêté demandant aux cristalliers de réserver leurs trouvailles au musée de la commune. De nombreux cristaux prélevés dans le massif demeurent néanmoins en vente, notamment sur internet. Si les écroulements rocheux peuvent faire disparaître des fours à cristaux existants comme ce fut par exemple le cas récemment dans la face Ouest de l’Aiguille des Pèlerins (dans la zone d’étude), ils peuvent en faire apparaître de nombreux autres, au même titre que le retrait glaciaire, éveillant ainsi l’intérêt de nombreux cristalliers.

3.2. Géomorphologie et hydrologie

Quatre grands types de surfaces peuvent être retrouvés dans le périmètre proposé pour la zone d’étude : des glaciers, des affleurements de roche en place (parois et dalles), des accumulations sédimentaires et des zones végétalisées (correspondant surtout à de la colonisation sur des substrats sédimentaires). Les zones couvertes de glaciers recouvrent près de deux tiers de la surface de la zone d’étude et s’écoulent depuis les plus hauts secteurs. Les affleurements de roche en place apparaissent surtout dans les parois subverticales sculptées par l’érosion glaciaire. Ces dernières sont rarement végétalisées, sauf entre le Nid d’Aigle et le Plan de l’Are où le couvert végétal met en évidence la faible dynamique géomorphologique à basse altitude. Dans les secteurs les moins pentus et les plus bas, des accumulations sédimentaires fraîches (moraines, éboulis, glaciers rocheux) contrastent avec d’anciens dépôts colonisés par la végétation (éboulis du col du Mont Lachat, alluvion du Pré de l’Are, moraines du Plan de l’Aiguille).

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 12 Quatre grandes familles de processus géomorphologiques ont modelé et modèlent encore le relief de la zone d’étude : glaciaires, périglaciaires, gravitaires et torrentiels (e.g. Fig.10). Ces processus sont typiques de ceux observés dans les hautes montagnes englacées où la glace, le gel et la gravité contrôlent fortement l’évolution du relief.

Fig.10. Exemple d’analyse géomorphologique du secteur de Pierre Ronde et des Rognes au-dessus du Nid d’Aigle (tiré de Bosson et al., 2015).

3.2.1. Formes et processus glaciaires

La prédominance des processus glaciaires, des dernières glaciations à aujourd’hui explique les grandes formes du relief actuel. Les vallons incisés verticalement dans le relief (Bionnassay, les Bossons, la Vallée Blanche), les cirques à fond plat et aux parois acérées (les Pèlerins, Tête Rousse, les Rognes, le Col du Mont Lachat) ont notamment été formés par les énormes glaciers locaux lors des dernières glaciations. L’érosion différentielle glaciaire a ainsi exploité et surcreusé les zones de faiblesses géologiques (gneiss du Sud-Ouest, failles, etc.) en épargnant les secteurs les plus résistants, comme les affleurements d’Aiguilles granitiques du Nord-Est. Onze glaciers (Fig.11 et Tab. 1) de calotte (qui recouvrent le relief), de vallée, de cirque et suspendus (qui recouvrent les parois rocheuses) occupent encore les hauts secteurs de la zone d’étude. L’érosion basale sous-glaciaire générée par leur mouvement continue à raboter le lit rocheux. Les parties amonts du glacier des Bossons (le troisième plus grand et plus haut de France), de Taconnaz, de la Mer de Glace (le plus grand et plus long de France) et la partie centrale de Bionnassay sont les principales masses de glace présentes dans la zone d’étude. Les glaciers occupent 66 % de la surface analysée (Fig.11 et Tab. 2) et l’épaisseur de glace dépasse encore bien souvent les 50 m (Fig.12).

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Fig.11. Extension glaciaire actuelle et passée dans la zone d’étude. Les contours de 1850, 1967 et 2009 sont issus de Gardent (2014) et la période 2015-2019 a été mise à jour par Asters-CEN74 sur la base des orthophotos disponibles. La surface glaciaire relative dans la zone d’étude est donnée entre parenthèse.

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 14 Griaz Aiguille Arrête Mer Bionna- Tête (Payot- Téléphé- Glaciers Taconnaz Bossons Rond du Midi Plan- Pèlerins de ssay Rousse Griaz- rique Ouest Midi Glace Rognes)

Type Vallée Cirque Cirque Calotte Calotte Suspendu Suspendu Calotte Cirque Cirque Vallée

Surface 4,28 0,16 0,15 4,74 10,73 0,11 0,07 0,27 0,17 0,93 30,41 2009 (km2)

Volume 0,1987 0,0005 0,0067 0,1731 0,6264 0,0003 0,0003 0,0038 0,0011 0,0221 1,0186 2017 (km3)

Volume 2100 96 93 0 32 70 RCP26 (% vol 2017)

Volume 2100 32 30 0 0 10 RCP85 (% vol 2017)

Tab.1. Surface des glaciers locaux en 2009 (Gardent, 2014) et volume actuel et futur modélisés (Zekollari et al., 2019). Pour les modélisations du volume en 2100, RCP2.6 et 8.5 correspondent aux scénarios d’émissions de GES bas et haut proposés par le GIEC pour le 21ème siècle.

surface (km2) % surface ZPHN

Zone d’étude 22,56 100 %

Glacier 2015-2019 14,81 66 %

Glacier 2009 14,97 66 %

Glacier 1967 15,59 69 %

Glacier 1850 16,28 72 %

Permafrost potentiel 19,24 85 %

Glaciers rocheux 0,30 1 %

Tab.2. Surface de la cryosphère dans la ZHPN. La surface glaciaire de 1850, 1967 et 2009 est issue de Gardent (2014) celle de la période 2015-2019 a été mise à jour par Asters-CEN74 sur la base des orthophotos disponibles. Celles du permafrost potentiel et des glaciers rocheux sont tirées respectivement de Marcer et al. et Bodin et al., 2018.

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Fig.12. Épaisseur de glace actuelle modélisée pour les principaux glaciers de la zone d’étude d’après Zekollari et al., 2019. Les extensions glaciaires utilisées pour cette modélisation sont issues de télédétection en 2003.

Depuis la fin du Petit Âge Glaciaire en 1850, le retrait glaciaire est relativement limité dans la zone d’étude (les glaciers ont perdu 9 % de leur surface initiale, Tab.2) comparé au reste des Alpes françaises où plus de la moitié de la surface a déjà disparu (Gardent, 2014). Cela s’explique par l’altitude très importante locale et le fait que les parties aval des grands glaciers étudiés ne figurent pas dans le périmètre proposé pour la zone d’étude. Dans cet espace, les principaux retraits glaciaires depuis 1850 sont observés à Pierre Ronde (au-dessus du Nid d’Aigle) et au glacier du Téléphérique (au pied Nord-Est de l’Aiguille du Midi, Fig.11). À l’instar de la situation alpine où un bilan de masse presque exclusivement négatif est mesuré (Fig.13 et 14) et en lien avec l’intensification du réchauffement climatique depuis la fin des années 1980, le retrait et l’amincissement des glaciers locaux s’accélèrent, comme en témoigne l’apparition récente de nombreux affleurements rocheux au milieu et autour des systèmes glaciaires (Fig.11). L’amincissement de la partie haute des glaciers de Bionnassay et des Bossons, et de l’ensemble du glacier des Pèlerins a notamment été observée depuis les années 2000 (Fig.13). Néanmoins, si contrairement aux parties aval les hauts secteurs glaciaires perdent relativement peu en volume en raison du froid et de l’enneigement toujours important, un réchauffement de la masse de glace jusqu’à plusieurs dizaines de mètres de profondeur et un ralentissement du flux glaciaire lié à une diminution de l’accumulation amont ont récemment été observés à 4150 m au col du Goûter (Vincent et al., 2020). Les hauts glaciers, essentiellement froids et collés au lit rocheux dans la zone d’étude, tendent ainsi à se réchauffer et une augmentation des chutes de séracs est observée, pouvant expliquer le gain de volume détectée sur le glacier des Bossons à l’aval du Grand Plateau (Fig.13).

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Fig.13. Changements de la surface en m/an observés par satellite entre août 2003 et 2012 (Berthier et al., 2014). La zone d’étude se situe juste en dessous à droite de la légende et les grands glaciers de Bionnassay, de Taconnaz et des Bossons sont facilement identifiables. La partie aval de la Mer de Glace s’illustre en rouge vif à droite.

Fig.14. Synthèse des bilans de masses (en cm/eau/an) réalisés sur les glaciers autour de la zone d’étude (Moreau et Bosson, 2020). Les distances données à côté du nom correspondent à celles avec le glacier de Tré- la-Tête. Au-delà du bilan de masse mesuré sur ce glacier par Luc Moreau et Asters-CEN74, les données proviennent notamment des dispositifs français et suisses de suivis (respectivement Glacioclim et Glamos).

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 17 Les petits glaciers de cirque, où l’alimentation devient extrêmement limitée et ne compense pas le volume aval fondu, ont notamment connu une perte marquée depuis le Petit Âge Glaciaire (Fig.11, 15 et 16). Des crêtes (notamment les grandes crêtes acérées du Petit Âge Glaciaire) et du plaquage morainique abandonnés par le glacier, des affleurements de roche en place polis et des petits lacs apparaissent ainsi dans les espaces récemment libérés de l’emprise glaciaire (e.g. Fig.15 et 24). Des lambeaux de glaciers enfouis sous les sédiments peuvent encore subsister et provoquer un lent fluage vers l’aval comme aux Rognes (Fig.10 et 16). À l’inverse, les dépôts morainiques anciens ou récents déposés sur de faibles pentes sont peu ou pas dynamiques comme à Pierre Ronde (Fig.10 et 16) ou aux Pèlerins (Fig.15).

Fig.15. Vue sur le glacier des Pèlerins et le nouveau lac temporaire (cercle blanc) à son front. Son développement potentiel futur après le retrait glaciaire est modélisé avec les polygones de couleurs (tiré de Magnin et al., 2020).

Fig.16 (ci-dessous). Évolution récente des deux anciens petits glaciers de cirque de Pierre Ronde et des Rognes au-dessus du Nid d’Aigle. Cet exemple illustre le lien entre la présence de glace dans les sédiments et la dynamique géomorphologique actuelle. Les deux panneaux supérieurs montrent les résultats des tomographies des résistivités électriques (ERT) menées en août 2012 pour détecter la glace enfouie sous les sédiments dans les secteurs des Rognes et de Pierre Ronde au-dessus du Nid d’Aigle. La glace étant extrêmement résistante au passage du courant électrique (à l’inverse des terrains rocheux qui en sont dépourvus), cette méthode est couramment utilisée pour la détecter en profondeur. Aux Rognes, le bleu foncé révèle la présence d’un petit glacier de cirque enfouis dans les dernières décennies en raison des chutes de blocs. Peu/pas de glace n’a été détectée dans la partie centrale et aval de Pierre Ronde à l’exception de glace interstitielle dans un petit glacier rocheux (le bleu ciel dans le profil ERT 3). En bas, les mouvements de surface mesurés entre 2011 et 2015 au GPS différentiel montrent le lien avec la glace enfouie : le glacier couvert des Rognes continue de fluer et de fondre, tout comme le petit glacier rocheux de Pierre Ronde. À l’inverse, les terrains dépourvus de glace ne bougent pas comme au bas de Pierre Ronde et au centre des Rognes (tiré de Bosson, 2016).

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Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 19 Bien que les glaciers fassent partie des composantes de la nature les plus réactives aux changements climatiques, le réchauffement global actuel est plus rapide que la fonte glaciaire. Une partie du volume présent va ainsi disparaître quoi qu’il arrive pour s’adapter aux conditions climatiques contemporaines (Fig.17, courbe noir dans le graphique supérieur). Dépourvu de zone d’accumulation - où la neige se transforme en glace - et donc non alimenté aujourd’hui en raison de sa trop faible altitude, le glacier enfoui des Rognes illustre cette situation et va poursuivre sa lente agonie dans les prochaines décennies (Fig.16). En plus de cette adaptation aux conditions climatiques actuelles, les glaciers vont également faire face au réchauffement futur, anticipé par les scénarios d’évolution climatique (Fig.2 et 17). Si à l’échelle alpine (Fig.17, haut), les prévisions sont moroses avec une fonte de 65 à 95 % du volume de glace actuel d’ici à 2100 (Zekollari et al., 2019), les glaciers locaux connaîtront probablement un avenir plus hétérogène. Comme tout effort de modélisation, les prévisions d’évolution glaciaire présentées dans la figure 17 sont à considérer avec précaution mais elles constituent à l’heure actuelle, les meilleures et plus fiables données disponibles et permettent de dégager les grandes tendances futures. Les glaciers situés trop bas en altitude (comme le glacier Rond ou le glacier des Pèlerins, Fig.17) vont ainsi rapidement perdre une grande partie de leur volume et certains vont disparaître dans les prochaines décennies. À l’inverse, l’amplitude du réchauffement global et donc des activités humaines au 21ème siècle décidera du sort des grands glaciers locaux. D’un côté, une limitation rapide des émissions de GES pourrait ralentir très fortement la fonte et ces glaciers pourraient retrouver une situation d’équilibre avec le climat dans la seconde moitié du 21ème siècle (Fig.17, courbes bleues pour les glaciers de Bionnassay et des Bossons). Ces prévisions optimistes sont extrêmement rares à l’échelle alpine et témoignent de la situation topographique locale unique et favorable (les plus hauts bassins d’alimentation glaciaires des Alpes, de surcroît orientés au Nord et dans une région bien alimentée en hiver par les flux humides d’Ouest). À l’inverse, plus de 60 % de la masse de ces grands glaciers pourraient disparaître d’ici à 2100 sans limitation des émissions de GES et leur disparition totale (comme celle des glaciers alpins) devrait survenir irrémédiablement au 22ème siècle (Fig.17, courbes rouges pour les glaciers de Bionnassay et des Bossons). Les grands glaciers locaux figureront dans tous les cas, en raison de leur situation topographique unique dans les Alpes, parmi les dernières grandes masses de la Chaîne à subsister à la fin du 21ème siècle, en situation d’équilibre ou en cours de disparition en fonction des émissions de GES (Vincent et al., 2019 ; Zekollari et al., 2019).

Fig.17 (ci-après). Modélisation de l’évolution du volume de glace dans les Alpes au 21ème siècle (adaptée de Zekollari et al., 2019). En haut, le graphique présente la situation pour l’ensemble des glaciers alpins et les quatre graphiques en bas sont les situations extraites pour des glaciers dans la zone d’étude. En haut, la courbe noir (committed) correspond à l’évolution du volume sans tenir compte des émissions de GES futures et montre qu’une partie actuelle du volume glaciaire n’a pas encore eu le temps de fondre en réponse au réchauffement passé. Les courbes bleues (RCP2.6), vertes (4.5) et rouges (8.5) correspondent aux scénarios d’émissions de GES bas, moyen et haut proposés par le GIEC pour le 21ème siècle.

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3.2.2. Formes et processus périglaciaires et gravitaires

En raison des altitudes importantes, le froid et le gel influencent largement le périmètre d’étude. 85 % de la surface sont ainsi favorables aux conditions de permafrost (température négative toute l’année en subsurface, Tab.2 et Fig.18) et seuls les extrémités Ouest (Nid d’Aigle – Mont-Lachat) et Nord-Est (Plan de l’Aiguille), plus basses, n’y sont probablement pas soumises. Le cycle gel-dégel et la cryoclastie sont cependant actifs dans toute la zone d’étude. Les parois rocheuses s’érodent ainsi progressivement sous leur action comme en témoignent les très nombreuses chutes de blocs observées dans l’ensemble des parois rocheuses locales (Ravanel et al., 2018, et par exemple dans le couloir du Goûter sur la voie normale du Mont-Blanc, Mourey, 2019), la présence de sédiments anguleux et grossiers à la surface de nombreux glaciers dominés par les parois rocheuses (Bionnassay, Rognes, Tête Rousse, Bossons, Téléphérique, Pèlerins, e.g. Fig.15 et 16) et la présence de grands éboulis actifs dans les pieds de parois non englacées comme à Pierre Ronde, au Col du Mont Lachat ou au Dérochoir (Fig.21).

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 21 Fig.18. Cartographie des glaciers rocheux potentiels en fonction de leur activité (polygones, d’après Bodin et al., 2018) et des conditions topoclimatiques favorables à la présence de permafrost (fond coloré, d’après Marcer et al., 2018).

En plus du gel-dégel journalier et saisonnier, la lente dégradation du permafrost en lien avec le réchauffement global déclenchent de nombreuses instabilités dans les parois rocheuses locales (Ravanel et al., 2018). Des éboulements et écroulements d’origine plus profonde et mobilisant de plus gros volumes ont ainsi été récemment observés (e.g. face Nord de l’Aiguille du Midi en septembre 2017, face Sud-Est de l'arête des Cosmiques en août 2018, Fig.19). Témoignant des conditions de permafrost dans le rocher, de la glace est souvent observée dans les cicatrices d’érosion (Ravanel et al., 2018). Les conditions de permafrost permettent la formation et le maintien de glace dans les fissures qui cimente ainsi les parois rocheuses de haute altitude. Néanmoins, le réchauffement global affecte le rocher en profondeur et l’augmentation des températures mesurées (Fig.20) génère la fonte de ce ciment et ainsi, la désolidarisation des parois rocheuses. Les événements gravitaires liés à la dégradation du permafrost sont

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 22 particulièrement nombreux dans les périodes de fortes canicules (Ravanel et al., 2017). Un réchauffement considérable des parois rocheuses est anticipé en lien avec les projections climatiques pour le 21ème siècle (Magnin et al., 2017) et l’augmentation des écroulements et de la déstabilisation des glaciers suspendus (collés au substrat rocheux comme dans la face Nord de l’Aiguille du Midi) est anticipée (Ravanel et al., 2018). De plus, l’intensification de la fonte glaciaire libère de nombreux affleurements rocheux instables, générant un rééquilibrage gravitaire post- glaciaire sur de nombreux versants (écroulements, tassements rocheux).

Fig.19. Écroulement survenu sur l’arête des Cosmiques en août 2018 (© La Chamoniarde, 2018).

Fig.20. Évolution des températures mesurées à 10 m de profondeur dans la roche avec les forages Est et Nord de l’Aiguille du Midi à 3740 m (tiré de Ravanel et al., 2018).

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 23 Les conditions de permafrost permettent aussi la formation de glace interstitielle dans les accumulations sédimentaires (Fig.21). Ces mixtures de glace et de sédiments peuvent se déformer et s’écouler dans les pentes, formant des glaciers rocheux. Ces formes sont néanmoins peu nombreuses localement car l’humidité du climat favorise le développement de grands glaciers (Bosson et al., 2015). Elles subissent également le réchauffement global. La dégradation du permafrost mène ainsi parfois à une fonte de la glace interstitielle et à une fossilisation du glacier rocheux. À l’inverse, elle peut mener à une accélération du fluage (réchauffement de la glace modifiant sa viscosité, présence accrue d’eau dans les sédiments) comme cela a été observé depuis les années 1980 pour le glacier rocheux du Dérochoir (Fig.21).

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 24 Fig.21. Glace interstitielle et mouvements détectés dans le glacier rocheux du Dérochoir au Nord des Rognes. Le panneau supérieur montre les résultats des tomographies des résistivités électriques (ERT) menées en août 2012 pour détecter la glace présente dans les sédiments (tiré de Bosson, 2016). Le bleu clair et le vert illustrent la présence d’une mixture de glace et de sédiment, plus ou moins riche en glace. Cette mixture se déforme et flue dans le sens de la pente vers le Nord comme le montrent les mouvements de surface mesurés entre 2011 et 2012 au GPS différentiel en bas (travaux de JM. Krysiecki et al., Université de Grenoble, non publié). L’écoulement de ce glacier rocheux a contraint à modifier le sentier d’accès à la voie normale du Mont-Blanc plusieurs fois dans ce secteur et, afin de limiter les chutes de blocs à l’aval et leur influence sur les laves torrentielles dans les Arrandéllys, le RTM y a effectué des travaux de stabilisation au début du 20ème siècle.

3.2.3. Formes et processus torrentiels et lacustres

En raison de l’altitude importante et du froid associé, l’eau est essentiellement présente sous forme de glace dans la zone d’étude. D’après la carte topographique IGN, seuls deux cours d’eau permanents sont présents dans la zone d’étude, au Plan de l’Are et au pied de l’éboulis du col du Mont Lachat à son extrémité Ouest. Néanmoins, de nombreux cours d’eau temporaires apparaissent localement lors des fortes pluies ou lors de la saison de fonte. Ces écoulements contribuent au ravinement des parois rocheuses et des accumulations sédimentaires (en particulier les dépôts morainiques récents non végétalisés), au transfert sédimentaire et au développement de dépôts fluviatiles (e.g. Fig.22). Le secteur le plus à l’aval de la zone d’étude – le Plan de l’Are à côté du glacier de Bionnassay – constitue une grande zone alluvionnaire aujourd’hui végétalisée où des cônes de déjections coalescents ont accumulé les sédiments fluviatiles au cours de l’Holocène.

Fig.22. Dépôts récents de laves torrentielles à Pierre Ronde, au débouché du couloir du Bossonet provenant de Tête Rousse. La zone domine le Nid d’Aigle et a été parcourue par la débâcle de la poche d’eau de Tête Rousse en 1892 (© RTM, 2011).

L’activité torrentielle peut être extrêmement intense lors d’apport d’eau majeur, comme c’est le cas chaque année lors d’orage estivaux (e.g. Fig.22) ou de manière beaucoup plus exceptionnelle et catastrophique lors de vidange de lac glaciaire (e.g. Fig.23). Situé sur la voie normale du Mont-Blanc et au-dessus du Nid d’Aigle, le petit glacier de Tête Rousse a généré la pire catastrophe de l’histoire récente des Alpes : une poche d’eau intraglaciaire s’est vidangée depuis ce glacier en 1892, dévastant les 14 km situés à l’aval. Pour prévenir toute nouvelle catastrophe le site fait

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 25 l'objet d'une surveillance permanente et des opérations de vidanges sont entreprises lorsque des cavités remplies d'eau et susceptibles de rompre sont identifiées (Vincent et al., 2015).

Fig.23. Exutoire glaciaire et dépôts associés à la catastrophe de Tête Rousse en 1892. La vidange instantanée d’un lac intraglaciaire à Tête Rousse a généré une lave torrentielle de 800'000 m3 qui s’est écoulée à Pierre Ronde, au Nid d’Aigle et au Plan de l’Are dans la zone d’étude avant de gagner le Bon Nant et l’ 14 km plus bas. La photographie à gauche, témoigne de la rupture du bouchon de glace à Tête Rousse. À droite, un bloc charrié jusqu’aux thermes ravagés de Saint-Gervais, illustre la puissance de cette lave torrentielle qui a coûté la vie à 175 personnes et demeure la pire catastrophe naturelle récente survenue dans les Alpes (photographies tirées de : http://glaciers-climat.fr/Catastrophes/Catastrophes.html).

En plus des rares lacs intra et sous-glaciaires, des lacs peuvent se former dans les secteurs plats récemment libérés des glaces comme c’est le cas pour les lacs temporaires des Pèlerins (Fig.15) et des Rognes. Des surcreusements glaciaires pouvant permettre la formation de lac après le retrait glaciaire sont notamment modélisés pour les glaciers de Bionnassay et des Bossons (Fig.24 ; Magnin et al., 2020). Encore très peu connus et étudiés (Asters-CEN74 développe d’ailleurs un programme de recherche inédit sur ces lacs en partenariat avec l’INRAE, l’Université Savoie- Mont-Blanc, l’ETHZ et le Réseau Lacs Sentinelles), ces nouveaux écosystèmes aquatiques vont jouer un rôle important dans la gestion de l’eau dans les prochaines décennies. Ils constitueront aussi des zones de refuge et de futurs hotspots pour la biodiversité aquatique continentale, très impactée à l’aval de ces hauts secteurs alpins par l’artificialisation des cours d’eau, la pollution, l’introduction d’espèces non autochtones, etc. En ce sens, ces nouveaux et futurs lacs glaciaires constituent un écosystème important pour la conservation de la nature au niveau régional.

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 26

Fig.24. Dans le secteur d’étude, futurs lacs potentiels modélisés (cercles) –en bleu les lacs déjà apparus depuis la modélisation ; la couleur de remplissage des autres cercles correspond à la probabilité future de formation des lacs (plus la couleur est foncée, plus la probabilité est forte)- ou anticipés d’après les zones de surcreusement observées (étoiles) –la couleur de remplissage des étoiles correspond à la probabilité de formation (plus la couleur est foncée, plus la probabilité est forte)- (tiré de Magnin et al., 2020).

3.3. Richesse, état et enjeux de conservation du patrimoine géologique et hydrologique

Couvrant plus de 22km2 entre 2080 m et 4808 m, le secteur d’étude est la zone la plus haute des Alpes et d’Europe occidentale et comporte un patrimoine géologique et hydrologique riche, typique des environnements de haute montagne englacée sur Terre. Au vu des éléments présentés rapidement dans les sections 3.1 et 3.2, nous proposons dans le tableau ci-dessous une liste non exhaustive de ce qui nous paraît être les principales richesses de ce patrimoine minéral et tentons d’identifier les enjeux de conservation associés. Parmi ces richesses, nous avons mis en évidence (en bleu) les composantes qui nous paraissent les plus importantes en raison de leur caractère exceptionnel à l’échelle régionale voir continentale.

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 27 Éléments caractéristiques Enjeux de conservation

Toit de l’Europe occidentale, il est visible Le sommet et la couronne de 4000 évoluent de manière jusqu’à plusieurs centaines de km. Il est le fruit naturelle et dépendent de l’équilibre actuel entre la et le témoin de l’histoire géologique et surrection alpine, l’érosion et l’accumulation de neige tectonique alpine. Constitué de gneiss et de et de glace. Cependant, le changement climatique granite, ce secteur est recouvert de calottes impacte de plus en plus ces hauts secteurs (records de Le sommet du glaciaires et de leurs neiges éternelles. Le températures, remontée de la pluie) qui, en fonction de Mont-Blanc et sa Mont-Blanc a une place importante dans son amplitude, seront affectés par le retrait glaciaire, la couronne de l’histoire des sciences (géographie, géologie, dégradation du permafrost, etc. Néanmoins, les enjeux 4000 glaciologie, climatologie, etc.), de l’alpinisme et climatiques ne peuvent être traités qu’à une échelle des sports de montagne, dans l’art et la culture, spatiale beaucoup plus large (limitation globale des dans l’économie, etc. émissions de GES). La surfréquentation peut générer des problèmes de pollutions physiques (déchets, déjections, composés chimiques, etc.), paysagère ou sonore (survols).

Aiguilles anguleuses formées dans les sommets Les Aiguilles du massif du Mont-Blanc existent depuis granitiques au Nord-Est du secteur d’étude des millions d’années et ont encore une longue vie entre le Mont-Blanc et l’Aiguille du Midi. Elles devant elles. Néanmoins, avec l’intensification du témoignent de l’histoire géologique et réchauffement global d’origine anthropique, la tectonique et sont liées à l’érosion glaciaire et dégradation du permafrost et la fonte des glaciers à l’action du gel/dégel dans ces roches très adjacents les déstabilisent en profondeur, générant des homogènes. Même si la zone d’étude éboulements. Des pans entiers d’Aiguilles disparaissent Aiguilles potentielle ne comprend qu’une petite partie ainsi et le gris du jeune rocher affleurant succède au granitiques des Aiguilles du massif, ces formes sont rares rose des granites lentement oxydés. Néanmoins, les dans les Alpes et s’illustrent par leur enjeux climatiques ne peuvent être traités qu’à une exceptionnelle verticalité et beauté. échelle spatiale beaucoup plus large. Des infrastructures anthropiques, comme à l’Aiguille du Midi, peuvent aussi directement impacter les Aiguilles en les détruisant localement ou en les réchauffant. Il est possible que ces infrastructures soient remises en question à l’avenir avec la déstabilisation des Aiguilles.

Recouvrant le Mont-Blanc et sa couronne de Le changement climatique impacte de plus en plus ces 4000, les calottes glaciaires des Bossons et de glaciers (records de températures, remontée de la Taconnaz figurent parmi les plus grandes et pluie) et intensifie leur retrait et l’amincissement plus hautes des Alpes. Ces masses témoignent (émergence de rochers, diminution de l’écoulement de l’histoire climatique récente de la Terre et général vs. augmentation localisée des chutes de ont une influence importante à l’aval séracs, etc.). En fonction des scénarios climatiques, ces (notamment sur le débit, la température et la glaciers pourraient demeurer relativement imposants charge sédimentaire des cours d’eau). Des et en équilibre ou en cours de disparition à la fin du Calottes langues de glace s’écoulent de ces calottes vers 21ème siècle. Dans tous les cas, ces calottes seront parmi glaciaires des le Nord jusqu’à environ 1550 m. La hauteur de les derniers glaciers alpins à disparaître. La sauvegarde Bossons et de glace atteint localement environ 130 m et de de ces masses d’importance régionale face au Taconnaz gigantesques barres de séracs témoignent de réchauffement global ne peut être traitée qu’à une l’écoulement glaciaire chaotique dans ce relief échelle spatiale très large. La surfréquentation peut accidenté. Bénéficiant du plus haut bassin générer des problèmes de pollutions physiques d’accumulation des Alpes, orientées au Nord et (déchets, déjections, composés chimiques, etc.), recevant les flux d’Ouest en hiver, ces deux paysagère ou sonore (survols). calottes figureront parmi les derniers glaciers alpins à fondre.

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 28 Présence de glaciers de vallée (Bionnassay, Mer Le changement climatique impacte de plus en plus ces de Glace), de cirques (Rognes, Tête Rousse, glaciers (records de températures, remontée de la Téléphérique et Pèlerins) et suspendus (Face pluie) et intensifie leur retrait et l’amincissement Nord-Est Aiguille du Midi, glacier Rond) de taille (émergence de rochers, diminution de l’écoulement variable. Les glaciers recouvrent deux tiers de général vs. augmentation localisée des chutes de la zone d’étude. Ces masses témoignent de séracs, etc.). En fonction des scénarios climatiques, une Autres glaciers et l’histoire climatique récente de la Terre et ont partie de ces glaciers pourrait subsister ou la majorité couvertures une influence importante à l’aval (notamment de leur masse pourrait disparaître à la fin du 21ème glacio-nivales sur le débit, la température et la charge siècle. La sauvegarde de ces masses d’importance sédimentaire des cours d’eau). La zone d’étude régionale face au réchauffement global ne peut être contient une très petite portion de la Mer de traitée qu’à une échelle spatiale très large. La Glace, le plus grand glacier français. fréquentation anthropique peut générer des problèmes de pollutions physiques (déchets, déjections, composés chimiques, etc.), paysagère ou sonore (survols).

Secteurs récemment désenglacés à l’aval des Le changement climatique est à l’origine de ces secteurs systèmes glaciaires. Présence de moraines (retrait glaciaire) et peut aussi influencer leur évolution (plaquage ou cordon indiquant une position (vitesse de pédogenèse, de colonisation, arrivée historique du glacier), d’affleurements rocheux d’espèces non locales, etc.). La fréquentation Marges glaciaires souvent moutonnés ou de lacs. Ces secteurs anthropique peut générer des problèmes de pollutions témoignent de l’histoire climatique récente et physiques (déchets, déjections, composés chimiques, constituent des écosystèmes en cours de etc.), paysagères ou sonores, de la divagation et colonisation pouvant servir de refuges pour la l’écrasement des espèces pionnières. biodiversité.

Portion de la surface terrestre où les Face à l’intensification du réchauffement global, le températures sont tout le temps en-dessous de permafrost subit une dégradation généralisée 0°C, le permafrost couvre potentiellement 85 % (réchauffement, remontée en altitude) qui se traduit du secteur d’étude. Ces conditions permettent notamment par l’augmentation des éboulements. La à la glace de s’accumuler et de cimenter les sauvegarde de cette zone de froid face au parois rocheuses et les accumulations réchauffement global ne peut être traitée qu’à une Permafrost sédimentaires. La distribution actuelle du échelle spatiale très large. Cependant, des permafrost est notamment héritée de l’histoire constructions peuvent influencer et parfois réchauffer climatique récente. En raison de l’altitude le permafrost en profondeur, comme cela a été montré unique et de son orientation au nord, la zone aux Cosmiques ou à l’Aiguille du Midi. d’étude est et demeurera une des zones les plus froides d’Europe.

Des glaciers rocheux actifs (Dérochoir, Pierre Dépendant du permafrost, les glaciers rocheux sont Ronde et Rognes), inactifs et fossiles sont affectés par l’intensification du réchauffement global présents dans la partie Ouest de la zone qui peut mener à l’accélération de leur fluage comme d’étude. Ces mixtures visqueuses de glace et de au Dérochoir ou à leur inactivation/fossilisation. La Glaciers rocheux sédiments se déforment sous l’effet de la sauvegarde de ces formes face au réchauffement global gravité et témoignent des conditions de ne peut être traitée qu’à une échelle spatiale très large. permafrost et de l’histoire climatique récente. Des travaux de drainage comme au Dérochoir peuvent modifier le fonctionnement des glaciers rocheux.

Des rares formes fluviatiles (formes d’érosion Les formes fluviatiles et torrentielles locales sont et de dépôts) sont présentes dans la zone relativement en libre évolution et peu d’ouvrages de d’étude et témoignent de l’histoire protection et captages d’eau modifient les flux géomorphologique récente. Bien que peu de hydrologiques. Le changement climatique peut Formes traces soient visibles sur le terrain, le secteur modifier les dynamiques. La fonte glaciaire permet une fluviatiles et entre le glacier de Tête-Rousse et le Plan de remontée des cours d’eau et parfois une augmentation torrentielles l’Are a vu passé la lave torrentielle la plus des débits. À l’inverse, les périodes de sécheresse et destructrice de l’histoire récente des Alpes en l’évapotranspiration sont en augmentation. Des orages 1892. plus violents devraient éclater dans les périodes chaudes à l’avenir, générant possiblement des laves torrentielles.

Présence de cristaux dans les roches locales et Exploitation historique déjà importante des cristaux. notamment dans les fours à cristaux. Ces Enjeu de protection des cristaux présents dans le Cristaux cristaux sont prélevés et évacués du massif périmètre potentiel de la zone d’étude. De nouveaux depuis des centaines d’années et encore fours à cristaux peuvent apparaître avec le changement vendus sur internet. climatique (retrait glaciaire, événements gravitaires). Tab.3. Principales richesses géologiques et hydrologiques de la zone d’étude et enjeux de conservation.

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4. Patrimoine biologique 4.1. Habitats 4.1.1. Sources de données

Trois bases de données ont été consultées : la base de données Faune-Flore-Habitats d’Asters–CEN74, celle du CREA - Mont-Blanc et enfin celle du Pôle d’Inventaire Flore-Habitats-Fonge (PIFHF).

BDD CREA - Mont-Blanc

La base de données du CREA – Mont-Blanc compte quelques relevés de végétation, mais aucun au sein du périmètre.

BDD PIFHF

La base de données du PIFHF collecte et mutualise l’ensemble des observations faites par des acteurs volontaires, rassemblées et validées par les Conservatoires Botaniques Nationaux Alpin et du Massif central, pour la zone géographique Rhône-Alpes. Dans le secteur considéré, la BD du PIFH ne fournit aucune surface d’habitat. Seul un point de relevé apparaît, dans un secteur cartographié par Asters sur le terrain. L’information est conforme, mais redondante. Un second point est situé à l’extérieur du site.

BDD Faune-Flore-Habitats

La base de données d’Asters rassemble les observations faites par les salariés dans le cadre de leurs missions ou à l’occasion d’études particulières, les données de naturalistes volontaires appartenant au réseau du Conservatoire et des données issues de la bibliographie intégrées pour leur intérêt.

Dans le cadre de ce projet, il s’avère que peu de zones ont bénéficié de programmes d’études des habitats. Seuls les secteurs à proximité du Mont Lachat ont été cartographiés.

Un travail de digitalisation d’anciennes cartes issues des Cartes écologiques des Alpes (Richard L., 1975) a également été utilisé. Cette carte datant de 1975 et réalisée au 1:50000 ne permet pas d’avoir une bonne précision. Toutefois, le secteur d’étude a certainement peu évolué et nous a permis de confirmer la présence d’habitats à dire d’expert. Enfin, une petite partie des zones cartographiées est issue de la couverture CORINE-LandCover.

La partie principale, couverte par les glaciers et affleurements rocheux, est issue de la photo-interprétation réalisée par Asters-CEN 74.

Ces diverses sources sont représentées cartographiquement ci-après :

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 30

Fig.25. Nature des données intégrées dans l’analyse des habitats naturels présents sur le site.

Enfin, une dernière analyse a été réalisée « à dire d’expert », en particulier en prenant en compte des données issues de la bibliographie, d’études réalisées dans des secteurs proches présentant les mêmes caractéristiques. Les habitats qui en sont extraits abondent la liste des habitats potentiels.

Le niveau de précision étant très différent entre chaque information cartographique, un travail d’homogénéisation, mais aussi de hiérarchisation de l'information a été nécessaire. Ainsi, les données les plus précises (avec une échelle de rendu faible et assez récente) ont été priorisées. En l’absence de données précises sur certains secteurs, des données moins détaillées ont été utilisées.

4.1.2. Liste des habitats / commentaire

Du fait de la disparité des sources et des typologies, il n’est pas forcément évident d’estimer le nombre réel d’habitats. Certains sont probablement redondants, d’autres partiellement inclus dans un type plus large. Pour d’autres, les informations disponibles ne permettent pas un rattachement clair (ex : forêt de conifères, végétation clairsemée...).

Si l’on s’en tient à ce qui est évaluable, le site accueillerait dix-neuf habitats, observés, présumés ou potentiels, dont treize éligibles selon la liste consolidée des habitats naturels pouvant faire l’objet d’un arrêté préfectoral de protection des habitats naturels en France métropolitaine.

Le tableau au paragraphe suivant synthétise ces habitats associés à la typologie CORINE Biotopes et Directive Habitats Faune Flore. Leur sensibilité à la fréquentation et leur fragilité intrinsèque sont données « à dire d’expert ».

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 31 4.1.3. Cartographie / analyse

Fig.26. Cartes des habitats naturels du site, avec zoom sur le secteur du Mont Lachat cartographié finement.

Fig.27. Analyse selon la liste des habitats pouvant faire l’objet d’un arrêté préfectoral de protection des habitats naturels en France métropolitaine.

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 32 On constate sur la carte ci-dessus que la majorité des habitats du site relève des habitats naturels pouvant faire l’objet d’un arrêté préfectoral de protection des habitats naturels en France métropolitaine. Font principalement exception les milieux rocheux totalement dépourvus de végétation vasculaire, parois sous l’Aiguille du Midi, rognons au sein des appareils glaciaires ou moraines trop récentes pour être colonisées, ainsi que quelques habitats végétalisés comme les aulnaies vertes ou les terrain artificialisés. Les habitats qualifiés de “à expertiser" sont des milieux caractérisés dans les typologies d’origine comme dépourvus de végétation, mais au sein desquels on observe sur les photos aériennes la présence de celle-ci, parfois abondante. Il peut s’agir de milieux récemment colonisés, ou de végétation trop clairsemée pour avoir été détectée sur des images satellites. Enfin, une partie des affleurements rocheux de basse altitude, en apparence nus, abritent un habitat d’intérêt, peu repérable sur les images, les pentes rocheuses avec végétation chasmophytique. L’habitat est révélé par la présence de quelques espèces caractéristiques : Primula hirsuta, Saxifraga bryoides... Plus haut, les rochers peuvent être colonisés par des lichens, mais, dépourvus de flore vasculaire, ils ne relèvent dans ce cas pas d'un habitat éligible. Ils sont toutefois susceptibles de le devenir dans une perspective de réchauffement global.

4.1.4. Etat de conservation /menaces / sensibilité

Les menaces sur les habitats relèvent de deux principales sources : d’une part la fréquentation importante du massif, d’autre part les changements climatiques globaux.

Le tableau ci-dessous estime, « à dire d’expert », les atteintes potentielles de la fréquentation sur les habitats, et qualifie leur sensibilité. Les habitats éligibles sont surlignés en bleu.

Sensibilité Habitats connus Corine N2000 Impacts fréquentation fragilité Zone ensemencée 8 - Piétinement Faible Piétinement, destruction directe, Lande à Rhododendron 31.42 4060 Modérée dérangement espèces Piétinement, destruction directe, Lande à Empetrum et Vaccinium 31.44 4060 Forte dérangement espèces Fourrés d'Aulnes verts alpiens 31.611 - Dérangement Faible Perturbation hydrique, Combes à neige avec végétation 36.11 6150 Forte piétinement, altération qualitative Gazon à Nard raide et groupement Piétinement, destruction directe, 36.31 6230 Modérée associés dérangement espèces Pelouse à Laîche incurvée et Piétinement, destruction directe, 36.34 6150 Modérée groupement apparentés dérangement espèces Pelouses nordiques à Laîche Piétinement, destruction directe, 36.412 6170 Modérée ferrugineuse dérangement espèces Versants à Seslérie et Laîches Piétinement, destruction directe, 36.431 6170 Modérée sempervirentes dérangement espèces Mégaphorbiaies des montagnes Perturbation hydrique, 37.81 6430 Modérée hercyniennes, du Jura et des Alpes dérangement Piétinement, destruction directe, Prairie à Calamagrostis arundinacea 37.82 6430 Modérée dérangement espèces Forêts de conifères 42 ? Dérangement espèces Faible Perturbation mécanique, Eboulis siliceux 61.11 8110 Modérée remobilisation, dérangement Jeunes moraines glaciaires sans Perturbation mécanique, - Faible végétation remobilisation, dérangement Moraines glaciaires faiblement Perturbation mécanique, ? Modérée végétalisées remobilisation, dérangement

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 33 Pollution visuelle, sonore, olfactive, Glaciers permanents 63.3 8340 Forte déchets, atteinte paysagère Habitats supposés présents ou Corine N2000 potentiels Perturbation hydrique, Fourrés à Salix ssp. subarctiques 31.6211 4080 Forte piétinement, altération qualitative Perturbation hydrique, Sources d'eau douce (pauvres en bases) 54.11 - Forte piétinement, altération qualitative Perturbation hydrique, Bas-marais alpins à Carex fusca 54.421 - Forte piétinement, altération qualitative Pentes rocheuses siliceuses avec 62.21 8220 Dérangement, cueillette Modérée végétation chasmophytique Falaises continentales siliceuses nues 62.42 - Nul Faible Tab. 4. Habitats présents, supposés ou potentiels sur le site avec rattachement aux typologies Corine Biotope et Natura 2000, et sensibilité aux impacts liés à la fréquentation.

La plupart des atteintes liées à la fréquentation sont circonscrites à l’endroit même où elle prend place : ainsi, la multiplication des sentes et itinéraires augmente en proportion les surfaces d’habitat naturel impactées, par piétinement, altération mécanique, dérangement des espèces.

Dans certains cas, l’impact peut être distant. C’est en particulier le cas de tous les habitats dépendant d’une alimentation en eau par les écoulements de surface. Pour ceux-ci, l’altération qualitative ou quantitative de l’alimentation peut se faire sentir à distance des lieux de fréquentation. La pollution est transportée par les cours d’eau, et les sentiers créés par l’usage, sans renvois d’eau, détournent les écoulements de surface et altèrent ainsi tous les habitats à l’aval privés de cette ressource.

Enfin, il est un impact difficile à caractériser et à estimer, qui touche à la quiétude, la sérénité et l’intégrité des lieux : tous les milieux de très haute altitude, en particulier les glaciers et neiges éternelles, sont ainsi altérés par le passage et la dispersion des alpinistes.

Face aux changements climatiques globaux, à l’instar de la flore (cf. infra), l’ensemble des habitats est affecté, avec des répercussions variables. Pour certains, les tendances conduiront inexorablement à la perte de surfaces : le cas des glaciers est largement évoqué dans les chapitres précédents. Pour d’autres, la situation pourrait, au moins temporairement, devenir plus favorable : les habitats liés aux eaux libres bénéficieront de la création des lacs proglaciaires, la végétation pionnière des éboulis colonisera les moraines récentes, et certains habitats contraints aux altitudes inférieures pourront gagner des surfaces vers l’amont.

Cependant, la plupart des habitats verront leur surface se réduire par le simple effet topographique : plus on prend de l’altitude, plus les surfaces se réduisent. L’image ci-après illustre cette situation. La remontée des températures estivales devraient s’accompagner de celles des habitats. Si cela fonctionne avec les habitats forestiers et les landes sur les versants, on voit que pour les habitats actuellement présents au Plan de l’Aiguille (pelouses alpines, combes à neige), la progression en altitude se heurte à une contrainte physique : les zones de pente modérée du Plan sont remplacées par des surfaces rocheuses verticales inhospitalières.

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Fig.28. Projection des remontées des isothermes selon divers scénarios de réchauffement climatique.

A cela s’ajoute un effet de pincement entre deux phénomènes dont les cinétiques sont encore mal appréciées : la colonisation par les habitats actuellement confinés aux altitudes inférieures et la pédogénèse. Tout laisse à penser que la dynamique de colonisation sera plus rapide que celle de création de sols aptes à accueillir les habitats d’altitude. Les végétations alpines, colonisées par le bas plus rapidement qu’elles ne coloniseront les zones nouvellement déglacées, verront sans doute leurs surfaces drastiquement réduites. Habitats aujourd'hui déjà rares, ils le seront plus encore à l'avenir, et le site sera l'un des derniers des Alpes susceptibles de les accueillir.

Fig.29. Evolution de la couverture forestière entre 1952 et 2050 sur le versant français massif au Plan de l'Aiguille.

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 35 L’image ci-dessus modélise ce que pourrait être la colonisation par la forêt des versants du Mont-Blanc. Si les arbres atteignent en effet le plan de l’Aiguille dès 2050, il est peu probable que des sols aptes à accueillir les landes, pelouses alpine et combes à neige auront eu le temps de se constituer sur les espaces fraîchement déglacés qui dominent le Plan jusqu’aux premiers contreforts rocheux.

4.2. Flore 4.2.1. Sources de données

Trois bases de données ont été consultées : la base de données Faune-Flore-Habitats d’Asters–CEN74, celle du CREA - Mont-Blanc et enfin celle du Pôle d’Information Flore-Habitats-Fonge (PIFHF).

Seules les espèces patrimoniales ont été extraites de ces trois bases de données. Nous considérons comme espèces patrimoniales, les espèces ayant soit un statut de protection, soit étant inscrites sur une liste rouge, soit étant rares. Certaines observations sont très anciennes. Nous n’avons pas souhaité enlever ces observations de notre analyse. La faible évolution de ces milieux depuis le début du 20ème siècle laisse penser que leur présence reste d’actualité.

L’extraction des données a été réalisée dans un premier temps à partir du périmètre strict du projet. Les espèces végétales ayant des facultés de dispersion et de colonisation, nous avons élargi le périmètre de manière arbitraire de 500 mètres. Cette démarche permet de prendre en compte des espèces potentiellement présentes sur le site d’étude. Une étude menée localement par le CREA - Mont-Blanc mesure un recouvrement de la végétation de 25 % seulement, au mieux, 20 à 30 ans après la disparition de la glace en front de glacier.

4.2.2. Liste des espèces / commentaires

Au sein du périmètre d’étude strict, huit espèces patrimoniales ont été observées, dont quatre bénéficient d’un statut de protection. Une observation de pâturin vert glauque (Poa glauca), observé en 1927, n’a pas été intégrée à notre analyse, car considérée comme douteuse (la dernière observation de l’espèce connue en Haute-Savoie date de 1920 et est localisée à Morzine).

Les espèces protégées sont l’Androsace des Alpes (Androsace alpina), l’Androsace de Suisse (Androsace helvetica), l’Androsace pubescente (Androsace pubescens). Ces trois espèces sont considérées comme non menacées (JORDAN D., 2015). La Fétuque jolie (Leucopoa pulchella), également protégée, et selon ce même auteur, évaluée comme faiblement menacée.

Les quatre autres espèces n’ayant pas de statut de protection, sont inscrites sur les listes rouges régionale ou départementale. Il s’agit de l’Achillée musquée (Achillea erba-rotta ssp. moschata), de la Drave de Fladniz (Draba fladnizensis), de l’Euphraise à calice glanduleux (Euphrasia minima f. drosocalyx) et de la Potentille des frimas (Potentilla frigida). Toutes ces espèces sont considérées comme non menacées.

Si l’on considère le périmètre élargi de 500 mètres, cinq nouvelles observations sont à noter. Le Lycopode des Alpes (Lycopodium alpinum), le Saule glauque soyeux (Salix glaucosericea) et le Saule de Suisse (Salix helvetica) bénéficient d’un statut de protection et sont tous les trois considérés comme faiblement menacés (JORDAN D., 2015). L’Euphraise des Alpes (Euphrasia alpina) est inscrite sur la liste rouge départementale. Enfin, la sous espèce nominale de l’Hélianthème jaune (Helianthemum nummularium ssp. nummularium) est considérée comme rare dans le département.

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 36 4.2.3. Cartographie / Analyse

Fig.30. Localisation des données de flore patrimoniale du site.

La répartition des espèces patrimoniales est principalement dans deux secteurs, au Mont Lachat - Rognes - Nid d’Aigle et au Plan de l’Aiguille. Il est probable que l'accessibilité relativement facile de ces deux secteurs favorise une sur-observation d’espèces. Toutefois, au vu des habitats présents sur l’ensemble du périmètre, peu de secteurs, hormis ceux-là, sont favorables au développement d’une végétation.

4.2.4. Etat de conservation / menaces / sensibilité

Environ deux tiers du périmètre d’étude sont composés de glaciers, ce qui concentre les habitats favorables au développement de la flore sur des surfaces beaucoup plus restreintes. A cela s'ajoute que la majorité des observations ont été faite là où l’accessibilité est la plus facile.

Deux types de menaces sont observés et impactent différemment ces espèces, le changement climatique et la fréquentation hors sentier.

Le changement climatique a une influence sur l'ensemble de ces espèces, les contraignant à une adaptation de leur mode de vie, dont la migration vers des niveaux altitudinaux supérieurs. Les modèles de répartition de la flore confirment cette tendance au moins jusqu’à la fin du siècle.

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 37

Fig.31. Modèle de l’évolution de la répartition de l'épicéa (Picea abies) et de la Renoncule des glaciers (Ranunculus glacialis) sur le massif du Mont-Blanc entre 1951 - 2000 et 2071 -2100 (Source https://atlasmontblanc.org/fr/repartition-des-especes).

Toutefois, certaines espèces ont une capacité de migration faible. Il est probable que l’Androsace de Suisse (Androsace helvetica) et l’Androsace pubescente (Androsace pubescens), espèces en coussinet sur parois, ne puissent s’adapter assez vite par rapport à une évolution des températures plus rapide.

A l’inverse, d’autres espèces pourront tirer profit de la création de nouveaux habitats après le retrait des glaciers, telles la Drave de Fladniz (Draba fladnizensis), qui affectionne les pierriers à tendance humide, ou l’Androsace des Alpes (Androsace alpina), qui se développe sur des moraines glaciaires et éboulis fins.

Les sentes utilisées par les randonneurs pour accéder au Mont-Blanc sont également des lieux d’écoulement d’eau superficielle, et potentiellement des zones de développement de la flore. De plus, la multiplication de ces sentiers permet une plus grande divagation sur les pelouses adjacentes. Des espèces comme la Fétuque jolie (Leucopoa pulchella), l’Achillée musquée (Achillea erba-rotta ssp. moschata), l’Euphraise à calice glanduleux (Euphrasia minima f. drosocalyx), la Potentille des frimas (Potentilla frigida) ou encore l’Euphraise des Alpes (Euphrasia alpina), peuvent être potentiellement impactées (piétinement, cueillette,...).

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 38 En l’absence d’un état des lieux réalisé sur une période donnée et pour l'ensemble du site, il n’est pas possible d’évaluer l’état de conservation des populations présentes sur le site.

4.3. Faune

4.3.1. Sources de données

Deux bases de données ont été consultées : la base de données Faune-Flore-Habitats d’Asters–CEN74 et celle du CREA – Mont-Blanc.

La base de données d’Asters rassemble les observations faites par les salariés dans le cadre de leurs missions ou à l’occasion d’études particulières, les données de naturalistes volontaires appartenant à son réseau et des données issues de la bibliographie intégrées pour leur intérêt.

Celle du CREA - Mont-Blanc assemble des observations aléatoires, des données issues de pièges photographiques et quelques données protocolées (étude « Abeilles »).

Comme pour la flore, l’extraction des données a été réalisée en incluant un tampon de 500 m autour du site.

4.3.2. Liste des espèces groupe systématique / commentaires

4.3.2.1. Mammifères

Les données issues de la base d’Asters-CEN74 sont rares, et ne concernent que deux espèces patrimoniales : le Bouquetin des Alpes (Capra ibex), abondant dans le secteur Col du Mont Lachat - Le Dérochoir - Les Rognes, et le Lièvre variable (Lepus timidus) avec une unique observation sous le refuge de Tête Rousse. Les données CREA – Mont- Blanc complètent la distribution du Lièvre variable, avec deux données dont une hors site entre les glaciers des Bossons et des Pèlerins.

La Marmotte (Marmota marmota) et le sanglier (Sus scrofa) sont présents aux abords, et dans le site, au moins pour la première (Mont Lachat, Aiguillette de la Tour, Plan de l’Aiguille…).

Les données CREA – Mont-Blanc ajoutent quelques espèces, dans le site ou à proximité : Cerf (Cervus elaphus), Chamois (Rupicapra rupicapra), Fouine (Martes foina), Hermine (Mustela erminea), Renard (Vulpes vulpes) et une Musaraigne (Sorex sp.).

4.3.2.2. Oiseaux

Rares aussi sont les données patrimoniales concernant l’avifaune dans la base d’Asters, puisque seul le Lagopède (Lagopus mutus) a été observé, vers la cabane des Rognes et dans le désert de Pierre Ronde.

Les données du CREA – Mont-Blanc ajoutent la Bartavelle (Alectoris graeca) observée entre les glaciers des Bossons et des Pèlerins, l’Aigle royal (Aquila chrysaetos) vu au-dessus du glacier des Bossons, le Tétras lyre (Tetrao tetrix) contacté proche du site au Plan de l’Aiguille. Elles complètent la distribution du Lagopède, entre les glaciers des Bossons et des Pèlerins, et un peu hors du site au Plan de l’Aiguille.

Par ailleurs, ont été observés le Grand corbeau (Corvus corax), le Chocard à bec jaune (Pyrrhocorax graculus), le Coucou (Cuculus canorus), l’Accenteur alpin (Prunella collaris), l’Accenteur mouchet (Prunella modularis), le Sizerin cabaret (Acanthis flammea cabaret), le Pipit spioncelle (Anthus spinoletta), le Rougequeue noir (Phoenicurus ochruros) et le traquet motteux (Oenanthe oenanthe).

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 39 4.3.2.3. Reptiles/Amphibiens

Aux altitudes concernées, chez les reptiles, seul le lézard vivipare (Zootoca vivipara) semble pouvoir être présent. Il a été observé récemment de façon certaine à proximité de la gare du Mont-Lachat et pourrait être présent dans les secteurs les plus bas et les plus chauds du périmètre.

Dans des conditions similaires, et sous réserve de la présence d’eau libre stagnante, la grenouille rousse (Rana temporaria) serait la seule espèce d’amphibien potentielle. Nous ne disposons d’aucune observation certaine dans le périmètre considéré.

4.3.2.4. Invertébrés

Les données sur la faune invertébrée sont bien maigres dans le périmètre. Quelques groupes ont été étudiés dans le secteur du Mont Lachat : Lépidoptères, Orthoptères… et quelques données concernant d’autres groupes recueillies à diverses époques en divers points. La base du CREA – Mont-Blanc fait apparaître des données de bourdons (six espèces de Bombus) recueillies vers le Plan de l’Aiguille et le glacier des Bossons, hors site.

Chez les lépidoptères, la présence du Solitaire (Colias palaeno), papillon protégé inféodé aux landes à rhododendron et myrtilles a été relevée au Mont Lachat, à proximité du périmètre. L’espèce est susceptible de se rencontrer partout où son habitat est présent, et donc au sein du site.

Aucune autre espèce patrimoniale au sens des listes d’évaluation n’apparaît, mais les données pourtant clairsemées démontrent la présence d’espèces endémiques alpines : Glomeris transalpina chez les Myriapodes, Dicranopalpus gasteinensis ou Mitopus glacialis chez les Opilions, Drassodex simoni chez les Araignées… Ces espèces confinées aux altitudes supérieures sont des éléments faunistiques caractéristiques des marges glaciaires. Le constat que l’on peut faire sur ces rares groupes très partiellement étudiés est sans doute généralisable à une grande partie de la faune invertébrée, en particulier pour les groupes d’espèces à faibles capacités de déplacement.

4.3.3. Cartographie / Analyse

Fig.32. Localisation des données de faune patrimoniale du site.

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 40

Sans surprise, la carte ci-dessus souligne la concentration des observations faunistiques aux altitudes les plus modérées, qui correspondent à la fois aux zones les plus favorables, mais aussi les plus accessibles et les plus fréquentées.

4.3.4. Etat de conservation / menaces / sensibilité

Les données disponibles sont trop sporadiques pour renseigner de quelconque façon sur l'état de conservation des espèces.

Concernant les menaces, elles sont de deux grands types, selon que les espèces sont ou non sensibles au dérangement. En effet, l’impact des prélèvements, en particulier par la chasse, et celui de la concurrence des troupeaux domestiques ne semblent pas déterminants sur le territoire concerné.

Pour toutes les espèces, on doit s’attendre à une modification de leur espace vital, consécutif aux changements des milieux qui les accueillent, tels que décrits dans le chapitre habitats. A ceci s’ajoutera une dégradation des conditions de vie par l’arrivée de concurrents, ou de prédateurs, en provenance des zones situées à l’aval, et possiblement de parasites ou maladies dont ces nouveaux venus seront vecteurs.

Fig.33. Simulation de l’évolution de l’aire de répartition des habitats favorables au Lagopède alpin dans l’hypothèse de la poursuite du réchauffement climatique selon le scénario RCP 8.5.

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 41

Les cartes ci-dessus modélisent l’évolution de l’habitat du Lagopède alpin entre aujourd’hui et 2050, dans l’hypothèse d’une poursuite du réchauffement global. Le Lagopède, inféodé aux prairies alpines mêlées de pierrailles, et dépendant pour sa nourriture des landes basses et des combes à neiges, verra se contracter de façon importante les surfaces qui lui sont favorables.

Il en sera de même de la plupart des espèces faunistiques associées aux mêmes habitats, dont les invertébrés endémiques évoqués ci-dessus.

En revanche, si les Lagopèdes sont aptes à se déplacer rapidement pour aller chercher ailleurs des conditions moins défavorables ou coloniser de nouveaux secteurs, (à ce titre, il serait pertinent de suivre cette colonisation), ce n’est pas le cas des invertébrés dont les populations locales s’éteindront sur place, faute de capacités de déplacement suffisantes.

Toutefois, les invertébrés sont globalement peu sensibles au dérangement, d’autant qu’à ces altitudes, ils vivent en grande partie dans les interstices entre les roches et les refuges des sols rudimentaires. Hormis par le piétinement direct, qui ne concerne qu’une surface réduite, ils ne sont pas impactés par la fréquentation.

A l’inverse, la plupart des vertébrés patrimoniaux ont été historiquement chassés par l’Homme. Ils ont donc développé un comportement farouche et sont particulièrement sensibles au dérangement. Même si cette sensibilité varie énormément, entre les espèces, selon les saisons et en fonction du cycle biologique des espèces, elle demeure un facteur important de fragilisation des populations, d’autant que celles-ci seront de plus en plus résiduelles et déconnectées.

Outre la contraction drastique de l’aire, la seconde carte met en évidence le déplacement de certains noyaux d’habitats et la fragmentation de la surface favorable. Problématiques pour le Lagopède, déplacement d’aire et fragmentation peuvent être rédhibitoires pour d’autres espèces moins mobiles.

Espèces animales protégées dans le périmètre : Zootoca vivipara (Lichtenstein, 1823) (lézard vivipare) ; Anthus spinoletta (Linnaeus, 1758) (Pipit spioncelle) ; Aquila chrysaetos (Linnaeus, 1758) (Aigle royal) ; Cuculus canorus (Linnaeus, 1758) (Coucou gris) ; Phoenicurus ochruros (S. G. Gmelin, 1774) (Rougequeue noir) ; Prunella collaris (Scopoli, 1769) (Accenteur alpin) ; Pyrrhocorax graculus (Linnaeus, 1766) (Chocard à bec jaune) ; Capra ibex (Linnaeus, 1758) (Bouquetin des Alpes).

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 42 5. Synthèse sur le patrimoine naturel et enjeux de conservation

La zone d’étude est le secteur le plus élevé de France et d’Europe occidentale. Avec la verticalité de son relief orienté principalement au Nord, l’emprise glaciaire importante (66 % de la surface), les conditions de permafrost largement répandues (85 %), elle englobe des écosystèmes de haute montagne aux conditions extrêmes. Parmi d’autres richesses, le patrimoine géologique et hydrologique se distingue par la présence du Mont-Blanc et de sa couronne de 4000, d’Aiguilles granitiques et des calottes glaciaires des Bossons et de Taconnaz. Leurs caractéristiques intrinsèques remarquables, leur importance paysagère et la rareté des mesures de protection sur ce type de géotopes en France et/ou dans les Alpes confèrent un grand intérêt à ce patrimoine hérité de l’histoire géologique et climatique de la Terre. Au-delà de l’importance de ce site pour son patrimoine naturel, il est important de souligner son rôle fonctionnel de zone de quiétude et de refuge pour la faune et la flore.

Particulièrement intense dans les Alpes, le changement climatique affecte profondément la zone d’étude, modifiant et déstabilisant les écosystèmes présents. Alors que la rétraction vers l’amont de la cryosphère (disparition du manteau neigeux, des glaciers et du permafrost) est largement observée et modélisée à l’échelle mondiale, l’importance relative de la zone d’étude – le plus haut secteur d’Europe occidentale – va encore grandir dans les prochaines décennies. Elle demeurera en effet très probablement un des – si ce n’est le - derniers grands secteurs froids et englacés des Alpes et ainsi, plus que jamais un refuge pour les composantes naturelles de la haute montagne. En effet, certaines espèces bénéficient dans ces lieux des rares conditions favorables à leur développement. D’ici quelques décennies ce site sera probablement - de par ses conditions écologiques - l’un des rares bastions en France d’espèces comme l’Achillée musqué (Achillea erba-rotta ssp. moschata), endémique des Alpes et présente uniquement dans les deux départements savoyards, ou la Potentille des régions froides (Potentilla frigida), espèce la plus alpine du département. Le Lagopède alpin (Lagopus mutus) y trouvera vraisemblablement encore des habitats et lieux de nourrissage.

Véritable observatoire des écosystèmes de haute montagne et de leur réponse au changement climatique contemporain, la zone d’étude a aussi une importance culturelle immense et une place à part dans l’histoire des sciences (géographie, géologie, glaciologie, climatologie, etc.), de l’alpinisme, dans l’art, dans l’économie.

Ce patrimoine naturel exceptionnel subit aujourd’hui une intensification des pressions et des mesures locales de protection pourraient permettre de limiter certaines atteintes :

(Sur)Fréquentation touristique/sportive et infrastructures associées : La zone d’étude est fortement fréquentée, notamment en lien avec les infrastructures touristiques du Tramway du Mont-Blanc au Nid d’Aigle et du téléphérique de l’Aiguille du Midi. La concentration d’alpinistes y est aussi une des plus importantes dans les hautes montagnes du monde (Fig.34). La présence du sommet du Mont-Blanc attire notamment chaque année plusieurs dizaines de milliers d’alpinistes (environ 20 000 par an tentent la voie normale). Cette fréquentation exceptionnelle génère une forte divagation anthropique dans une grande partie de la zone d’étude, pouvant induire du piétinement, du dérangement, de la pollution (physique, chimique, visuelle, sonore, etc.) dans les écosystèmes locaux extrêmement vulnérables. Plusieurs tonnes de déchets divers ont par exemple été évacuées de l’abri Vallot (à proximité du sommet du Mont-Blanc) et de la Mer de Glace au cours des dernières années. Les glaciers (immenses aquifères qui délivrent de l’eau à l’aval) et les marges proglaciaires colonisées lentement par les espèces pionnières apparaissent particulièrement sensibles face à ces impacts négatifs de la surfréquentation. Une canalisation des flux anthropiques sur les sentiers (voir une interdiction localisée de la divagation) et une limitation des autres sources de dérangement (e.g. survol, animaux domestiques, etc.) pourrait permettre de concentrer ces atteintes.

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Fig.34. Fréquentation de la zone d’étude lors d’activités sportives en plein air (randonnée, ski, alpinisme, etc.). Ces données correspondent aux traces GPS partagées par les pratiquants. La voie normale (à gauche), la voie historique pratiquée surtout via le ski de printemps (au centre) et la voie des trois monts (à droite) du Mont- Blanc sont particulièrement visibles. Au-delà de ces trois itinéraires, une grande partie de la zone d’étude est parcourue par les sportifs en dépit de la déclivité et de la couverture glaciaire importantes (source : www.strava.com, avril 2020).

Les constructions existantes ont un impact sur le patrimoine naturel (destruction/modification lors de la construction, prélèvement d’eau, pollutions/déchets, augmentation de la fréquentation, etc.) et il paraît important de limiter et encadrer au maximum leur développement dans cette zone exceptionnelle.

Le changement climatique modifie les activités humaines en haute montagne. D’un côté, le réchauffement global multiplie les belles journées en automne et au printemps et la fraîcheur des montagnes est de plus en plus recherchée en été. Un tourisme quatre saisons aux pratiques diversifiées est ainsi en train de se développer dans le massif (Adapt Mont-Blanc, 2019). À l’inverse, la déstabilisation de la cryosphère et notamment l’intensification du retrait glaciaire et des chutes de blocs rendent de plus en plus compliqué l’accès aux sommets (Mourey, 2019, Fig 35). Les itinéraires d’alpinisme, les pratiques et les infrastructures (comme le soubassement du refuge des Cosmiques par exemple, Ravanel et al., 2018) sont de plus en plus impactés.

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Fig.35. Enjeu des chutes de blocs et dispositif de suivi installé dans le couloir du Goûter sur la voie normale du Mont-Blanc (tiré de Ravanel et al., 2018).

Prélèvement/cueillette : Le prélèvement de matériaux et la cueillette sont probablement très limités dans la zone d’étude. Il est recommandé de les interdire si la zone d’étude devient une aire de protection, sauf à finalité scientifique. La zone d’étude sert en effet de laboratoire à ciel ouvert depuis des siècles et abrite toujours de nombreux dispositifs scientifiques. Il paraît fondamental qu’elle conserve ce rôle primordial d’importance internationale.

Changement climatique : Nous l’avons vu tout au long de ce rapport, la zone d’étude est en première ligne face au changement climatique et les écosystèmes locaux subissent de profondes mutations. Diminution de l’enneigement et de la couverture glaciaire, dégradation du permafrost, augmentation des instabilités de versants, remontées des espèces vers l’amont (etc.), les milieux naturels de la zone d’étude s’adaptent progressivement aux nouvelles conditions climatiques et vont faire face à l’intensification du forçage climatique au 21ème siècle (Fig.2). Dans ce contexte et notamment face au réchauffement global, les écosystèmes et les espèces spécialistes et dépendantes du froid tendent à disparaître au profit d’écosystèmes et d’espèces tempérés plus communs. Il paraît dans ce prolongement important de protéger ces écosystèmes de plus en plus rares et soumis à une pression touristique croissante.

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Hérités de l’histoire climatique et fournissant des services écosystémiques uniques sur Terre (régulation du climat et du niveau marin global, approvisionnement en eau sur des centaines de km à l’aval pendant les périodes de sécheresses, stabilisation des parois rocheuses, etc., e.g. Bosson et al., 2019 ; GIEC, 2019 ; Immerzeel et al., 2019), les glaciers et le permafrost - qui couvrent la majeure partie de la zone d’étude – voient leur surface se réduire. Des conséquences importantes sans précédents sur les écosystèmes et les activités humaines à l’aval sont à prévoir (GIEC, 2019). À l’instar des autres composantes de la nature en danger face au changement climatique, les glaciers et le permafrost ne pourront pas être protégés et sauvés avec des mesures locales de conservation de la nature et de limitation des activités humaines (Bosson et al., 2019). En ce sens, seule une limitation à grande échelle des émissions de GES, nécessitant des changements sociétaux profonds inédits et le respect des engagements nationaux de l’Accord de Paris pourront limiter l’anéantissement des écosystèmes inféodés au froid sur Terre (GIEC, 2019). Néanmoins, la limitation des autres pressions anthropiques au niveau local favorisera la réponse de ces écosystèmes au forçage climatique et notamment le rôle de refuge exercés par ces écosystèmes aux espèces extrêmophiles et/ou pionnières (en particulier dans les marges proglaciaires).

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 46 6. Eléments de Synthèse des habitats naturels éligibles à un APHN du Mont-Blanc

Carte des habitats naturels éligibles à un APHN du Mont-Blanc (indiqués par une *)

Carte des habitats naturels pouvant faire l’objet d’un arrêté préfectoral

Fondements scientifiques en vue de la création d’une ZPHN du Mont-Blanc – site d’exception – 28 avril 2020 47 Sur le site, on identifie 19 habitats naturels dont 13 éligibles (indiqués par une *) selon la liste consolidée des habitats naturels pouvant faire l’objet d’un Arrêté préfectoral de Protection des habitats Naturels (APHN) en France Métropolitaine. Le tableau ci-dessous synthétise ces habitats.

Habitats connus Corine N2000 Zone ensemencée 8 - Lande à Rhododendron 31.42 4060 Lande à Empetrum et Vaccinium 31.44 4060 Fourrés d'Aulnes verts alpiens 31.611 - Combes à neige avec végétation 36.11 6150 Gazon à Nard raide et groupement associés 36.31 6230 Pelouse à Laîche incurvée et groupement apparentés 36.34 6150 Pelouses nordiques à Laîche ferrugineuse 36.412 6170 Versants à Seslérie et Laîches sempervirentes 36.431 6170 Mégaphorbiaies des montagnes hercyniennes, du Jura et des Alpes 37.81 6430 Prairie à Calamagrostis arundinacea 37.82 6430 Forêts de conifères 42 ? Eboulis siliceux 61.11 8110 Jeunes moraines glaciaires sans végétation - Moraines glaciaires faiblement végétalisées ? Glaciers permanents 63.3 8340 Habitats présents ou potentiels (analyse complémentaire à mener) Corine N2000 Fourrés à Salix ssp. subarctiques 31.6211 4080 Sources d'eau douce (pauvres en bases) 54.11 - Bas-marais alpins à Carex fusca 54.421 - Pentes rocheuses siliceuses avec végétation chasmophytique 62.21 8220 Falaises continentales siliceuses nues 62.42 -

Liste des habitats naturels (en bleu) éligibles à un APHN du Mont-Blanc

Contribution à la réflexion sur le périmètre de la ZPHN

Nous terminons cette analyse par une courte réflexion sur le périmètre proposé pour cette ZPHN. Si le périmètre suit en général des limites géographiques nettes, la question de la pertinence des limites se pose notamment sur les systèmes glaciaires. Ces derniers sont en effet souvent coupés et des parties amont et/ou aval ne sont pas considérées (Fig.34). Il paraît pertinent d’intégrer ces systèmes glaciaires, dans leur ensemble, des parois amont qui limitent le bassin d’accumulation aux marges proglaciaires, définies par la position glaciaire de 1850. Protéger ces secteurs aval récemment désenglacés paraît d’ailleurs pertinent aux vus des éléments présentés ci-dessus et leur importance écologique comme zone de refuge et front de colonisation pour la biodiversité terrestre et aquatique.

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 Le périmètre pourrait ainsi s’agrandir en tenant compte des systèmes glaciaires présents dans leur intégralité et en suivant la limite inférieure de la distribution potentielle du permafrost dans le secteur entre les Rognes et Taconnaz (extension proposée grossièrement en rouge sur la Fig.34). À la Jonction, le Gîte à Balmaz, situé à quelques mètres du périmètre proposé et lieu important de l’histoire de l’alpinisme et de la conquête du Mont-Blanc pourrait être intégré.

 À l’inverse, pour ne pas créer une zone de protection trop grande, des pistes de réflexion pour réduire le périmètre ou pour créer une zone périphérique pourraient considérer d’exclure les systèmes glaciaires de Bionnassay et/ou des Pèlerins dans leur intégralité (mais les marges proglaciaires associées sont très importantes pour la biodiversité et des sites de recherches scientifiques) ou encore les secteurs bas très fréquentés du col du Mont Lachat, du secteur du Nid d’Aigle ou du plan de l’Aiguille.

Fig.34. Limites proposées pour la ZPHN (en rose) et possibilité d’extensions (en rouge) pour gagner en cohérence avec les limites des bassins glaciaires, des marges proglaciaires (définies par les espaces désenglacées depuis 1850) et de la ceinture périglaciaire. Les extensions glaciaires sont tirées de Gardent, 2014 et la carte indicative du permafrost (fond coloré) de Marcer et al., 2018.

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