TANIA MOURAUD UNE RETROSPECTIVE

SOMMAIRE

1. PRESENTATION GENERALE DE L’EXPOSITION

2. LA RETROSPECTIVE AU -

2.1. INTRODUCTION / L’AUTODAFÉ 2.2. « UN SUPPLÉMENT D’ESPACE POUR UN SUPPLÉMENT D’AME » 2.3 LES GENS M’APPELLENT TANIA MOURAUD 2.4. LA FONCTION DE L’ART 2.5. PERCEVOIRDISCERNERIDENTIFIERRECONNAITRE 2.6. LE SILENCE DES HÉROS 2.7. AD NAUSEAM

3. PARCOURS DANS LA VILLE

4. REPERES BIOGRAPHIQUES

5. ETUDE D’OEUVRES

1. PRESENTATION DE L’EXPOSITION

TANIA MOURAUD. UNE RÉTROSPECTIVE 04.03 > 05.10.15 GALERIE 2 DU CENTRE POMPIDOU-METZ

FIN JUIN > 05.10.15 AU CENTRE POMPIDOU-METZ ET DANS 8 SITES CULTURELS PARTENAIRES À METZ

En 2015, le Centre Pompidou-Metz présente, en partenariat avec 8 sites culturels de Metz, la première exposition monographique d’envergure dédiée à l'artiste française Tania Mouraud.

Amorcé à partir du 4 mars 2015 au Centre Pompidou-Metz, et pensé à l'échelle de la ville et de son agglomération, l'événement prendra toute son ampleur à partir de la fin juin 2015, proposant ainsi une rétrospective sans précédent dans sa forme et inédite dans son déploiement.

Artiste refusant tout rattachement à un courant ou à un dogme, Tania Mouraud n’a cessé de faire évoluer son œuvre depuis la fin des années 1960, explorant alternativement toutes sortes de disciplines – peinture, installation, photographie, performance, vidéo, son – autour d’un principe constant : interroger les rapports entre l’art et les liens sociaux. Elle propose ainsi de rajouter dans les habitations standardisées une chambre de méditation (1969). Elle affiche dans l’espace public sur les panneaux 4 x 3 m son désaccord avec une société glorifiant l’avoir au dépend de l’humain (1977). Elle réfléchit aux rapports esthétiques entre l’art et la guerre, et se penche avec l’aide de l’écriture sur les limites de la perception, en créant des « mots de forme » (1989). À partir de 1998, elle se sert de la photographie, de la vidéo et du son pour questionner différents aspects de l’histoire et du vivant.

Un catalogue accompagne l’exposition (parution prévisionnelle début avril 2015). Il constitue une monographie de référence sur l’artiste, faisant une large place à ses écrits et incluant des documents inédits.

Commissaires : Hélène Guenin, Responsable du pôle Programmation, Centre Pompidou-Metz Élodie Stroecken, Chargée de coordination du pôle Programmation, Centre Pompidou-Metz

2. LA RETROSPECTIVE AU CENTRE POMPIDOU- METZ

Déployée sur les 1100 m2 de la Galerie 2 du Centre Pompidou-Metz dès le mois de mars, la première partie de la rétrospective parcourt l’ensemble de la carrière de Tania Mouraud, depuis l’acte de l’autodafé de 1968, qui met fin à ses premières années de pratique picturale, pour laisser place à ses espaces d’initiation et de méditation des années 1970, jusqu’à ses œuvres les plus actuelles. Elle met ainsi en lumière un parcours sans concession, à la fois rythmé par ses rencontres avec des figures tutélaires de l’histoire de l’art contemporain, mais aussi par son histoire personnelle.

À travers les œuvres aux supports variés présentées en Galerie 2, dont certaines seront issues de la collection personnelle de l'artiste, la sélection dévoile un portrait engagé de Tania Mouraud. Nombre de pièces historiques disparues sont réactivées pour l’occasion.

Une attention particulière est donnée aux chambres de méditation ou aux travaux sur le langage initié dans les années 1970, œuvres emblématiques du travail de Tania Mouraud. L’exposition balaiera pour la toute première fois l’ensemble de ses espaces d’initiation de manière exhaustive. La première chambre de méditation, ONE MORE NIGHT (1970), réalisée initialement dans le cadre de l’exposition éponyme à la galerie Rive Droite de Jean Larcade, à Paris, fera l’objet d’une reconstitution exceptionnelle.

AD NAUSEAM, installation audiovisuelle monumentale présentée au MAC/VAL – Musée d’art contemporain du Val-de-Marne du 20 septembre 2014 au 25 janvier 2015, est également montrée dans une version adaptée au contexte de la rétrospective. Cette pièce majeure de Tania Mouraud a été coproduite par l’Ircam (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique) dans le cadre d’une résidence de l’artiste entre 2013 et 2014.

2.1. INTRODUCTION / L’AUTODAFÉ

Le parcours de l’exposition s’ouvre avec l’image forte de l’autodafé par lequel, en 1968, Tania Mouraud met fin de manière radicale à la pratique picturale qu’elle a menée jusqu’alors. À cet acte de destruction répondent deux œuvres fondatrices : Infini au carré, monochrome blanc, en formica, de grandes dimensions, et Totémisation, volume- sculpture pensé par l’artiste à partir de l’échelle de son propre corps. Ces œuvres incarnent le renouveau formel et spirituel que Tania Mouraud va insuffler à la suite de son parcours. Présentées pour la toute première fois au sein d’une institution muséale, elles sont spécialement réactivées pour l’occasion.

Tania Mouraud, Autodafé, 1968 Hôpital de Villejuif © ADAGP, Paris 2015 © Droits Réservés

2.2. « UN SUPPLÉMENT D’ESPACE POUR UN SUPPLÉMENT D’AME »1

Les œuvres précédemment citées introduisent une période brève mais extrêmement fertile du travail de Tania Mouraud, qui se focalise sur la recherche d’« un supplément d’espace pour un supplément d’âme »2. Ce sont les chambres de méditation et les espaces d’initiation, qu’elle se propose d’ajouter au cœur des appartements standardisés des années 1960-70. Cette aspiration à un art de l’espace et de l’environnement, alors relativement inédite sur la scène européenne, connaît parallèlement des développements aux États-Unis (Doug Wheeler, James Turell, , etc.). Chez Tania Mouraud, la création d’« une chambre à soi » manifeste une réflexion d’ordre philosophique sur l’identité et le rapport au monde. Un travail sur le son accompagne la réalisation de certaines des chambres et donne lieu à des créations ou collaborations avec des compositeurs comme Éliane Radigue, , ou Pandit Prân Nath.

2.3. LES GENS M’APPELLENT TANIA MOURAUD

En 1971, Tania Mouraud effectue son premier voyage en Inde. Au cours de ce séjour qui durera six mois, elle tente de trouver les réponses aux interrogations essentielles qu’elle se pose sur l’identité, la conscience de soi, la place de l’individu dans l’univers. Elle engage alors un nouveau cycle de travail avec les « photo-textes », qui mêlent images et mots, et qu’elle réalise sur film héliographique transparent collés ou sur panneaux accompagnés de textes réalisés en letraset. Certains prennent la forme de mandalas. Les interrogations qu’elle soulève se déplacent progressivement du sujet vers l’objet, du cosmologique vers le tangible pour aboutir à la question pure du langage et de la perception.

1 Pierre Restany in préface du catalogue de l’exposition One more night à la Galerie Rive Droite, Paris, 1970. 2 Ibid.

Tania Mouraud, Mandala n°3 (détail), 1974/2015 Film héliographique, cadre métallique © ADAGP, Paris 2015 © PHOTOGRAPHIE TANIA MOURAUD

2.4. LA FONTION DE L’ART

« Par mon travail, je montre que la philosophie et l’art devraient et pourraient fusionner pour nous faire progresser sur le chemin de la connaissance. »3 Tania Mouraud poursuit ses investigations sur la perception en concentrant ses recherches sur la linguistique et la phénoménologie de la perception – notamment sur les notions de perception immédiate et différée. Les mots deviennent l’outil et la forme matérialisant sa pensée. L’artiste déploie ces mots sur de la bâche en vynil – matériau pauvre, usuel, renvoyant à l’univers du BTP –, avant d’agrandir chaque lettre jusqu’à l’abstraction, explorant ainsi le potentiel plastique de l’écriture plus que son déchiffrage, de sorte à la rendre autonome. Elle inaugure ensuite avec les « Black Power » une série de tableaux-reliefs à l’esthétique artisanale, se revendiquant davantage de l’univers du peintre en bâtiment que de l’esthétique lisse en vigueur chez les artistes de l’art conceptuel.

3 Tania Mouraud in « Focale ou la fonction de l’art », catalogue de l’exposition Tania Mouraud à l’ARC 2, Musée d’art moderne de la Ville de Paris, 1973.

Tania Mouraud, Série Black Power, MÊME, 1989. Collection particulière.

Black Power

Je fais simplement appel à la lettre bâton, base de toute signalétique actuelle et en particulier au caractère Avant-garde, symbole de la puissance économique internationale (cf la carte VISA) en inversant le rapport de sens. La peinture noire représente le négatif de la lettre. Elle montre ce qui d’ordinaire est caché, ce qui est intermédiaire, à l’inverse de la photographie où seul le dispositif est exposé. Et, pour lire, il faut inverser le processus habituel de décodage et penser en négatif. Décrypter le mot suppose que l’on en dessine mentalement le début et la fin ; suivant les repères, comme en imprimerie, on trace un trait fugitif qui ne dure que le temps de la pensée : processus d’apparition et de disparition du dessin, ainsi que la limite du tableau qu’accompagne un son mental dès que le mot est lu. Le mot démultiplié dans l’espace induit une dispersion du regard. En posant le problème de l’espace dans sa pseudo-matérialité et, en utilisant l’appareil psychique comme matériau, ce travail tente de dévoiler la relativité des informations perceptuelles et soulève la question de l’expérience.

Tania Mouraud, 1988

2.5. PERCEVOIRDISCERNERIDENTIFIERCONNAITRE

City Performance n°1 marque un tournant significatif dans le travail de Tania Mouraud. À la fin de l’année 1977, 54 affiches faisant apparaître le mot « NI » sont placardées sur les panneaux publicitaires dans cinq arrondissements du nord et de l’est parisiens pendant quinze jours. Paradoxe subversif d’un langage sans message, le « NI » est une « prise de position anonyme. Négation ultime, vérité absolue, disjoncteur universel utilisé par les logiciens occidentaux et les sages orientaux. »4. Cette campagne aura un grand retentissement et inaugurera des axes majeurs dans le travail de l’artiste : le retour à une certaine monumentalité, la révélation de la plasticité du langage et l’exploration de l’espace public. Avec ce « NI » contestataire, l’artiste abandonne également son approche purement philosophique et linguistique pour un contenu désormais plus politique. Les phrases qu’elle emploie évitent cependant l’écueil de la littéralité ou de l’actualité et demeurent, par l’abstraction de leur représentation, des protestations « à bruit secret ».

Tania Mouraud, ART SPACE N°6, MEMORY OF A NON-EXISTENT SEEING, 1977 Acrylique sur murs. Vue d'installation, (détail), PS1, New York © ADAGP, Paris 2015 © Photographie Tania Mouraud

2.6. LE SILENCE DES HÉROS

Enfant de la guerre et de ses désastres, Tania Mouraud écrit en 1969, à propos de sa première chambre de méditation, « Je me construis un monde où je pourrai mourir en paix ». Plus tard, elle « ouvre les yeux sur l’épouvante du monde5 ». Au tournant des années 2000, l’usage de la vidéo et surtout la découverte du musicien David Krakauer ainsi que l’apprentissage de la clarinette et de la musique Klezmer permettent à Tania Mouraud de revenir sur ce passé et d’assumer le registre de l’émotion. Son travail investit dès lors l’Histoire et ses silences. Au-delà de la Shoah, évoquée de manière récurrente, c’est l’atrocité de tous les génocides et de La Guerre que l’artiste suggère. Elle n’ajoute pas de représentation du désastre au flot d’images terribles auxquelles nous sommes exposés. Elle privilégie au contraire la puissance

4 Arnauld Pierre in Tania Mouraud, Flammarion, Paris, 2004, p. 91. 5 Entretien avec l’artiste, novembre 2014 d’évocation de certaines scènes et la résonance du langage, leur capacité à s’insinuer dans notre mémoire, et à générer une proximité fulgurante avec le passé, une expérience de choc.

L’œuvre Le Silence des héros représente deux-cent cinquante huit drapeaux, enroulés autour de leur hampe, reposant contre le mur. Alignés, ils scandent l’espace avec leur alternance de couleur et de formats. Le Silence des héros se déploie en une parade muette, un mouvement de contestation étouffé qui laisse place aux projections du spectateur. Remisées, ces banderoles évoquent l’attente de la révolte ou l’après de la manifestation. Le titre fait référence à Voltaire, à la vox populi et « à cette idée que nous sommes tous des héros en puissance » - mais ces bannières au repos évoquent également le désenchantement mutique et la position de retrait de la société dans ces années. La pièce a été produite en 1995, par le Frac Lorraine dans le cadre de « Territoires occupés », une exposition réalisée avec des femmes artistes dans un ancien aéroport militaire de l’OTAN à Zweibrücken (Allemagne). Elle fut ensuite réactivée et augmentée par la Criée, Centre d’art de Quimper.

2.7. AD NAUSEAM

Depuis l’autodafé de 1968 et les chambres de méditation, l’artiste explore les paradoxes primordiaux à l’œuvre dans l’existence : l’ordre et le chaos, la plénitude et la fureur, la sérénité et la terreur, la création et la disparition. Au fil des années, et notamment grâce à l’utilisation de la vidéo, ces thématiques ont pris une place prépondérante dans ses réflexions. Le formalisme a peu à peu volé en éclat pour laisser place à une dimension plus émotionnelle et sensible de l’œuvre, exprimant plus directement la force de ces paradoxes. Ces aspects se déploient désormais pleinement dans les différents registres de son travail et trouvent une forme d’accomplissement dans l’installation audiovisuelle AD NAUSEAM.

Tania Mouraud, AD NAUSEAM, 2014, Installation vidéo Son Tania Mouraud assistée de l’Ircam Production Tania Mouraud, Ircam © ADAGP, Paris 2015 © VidéogrammeTania Mouraud 3. PARCOURS DANS LA VILLE

À partir de la fin juin 2015, la rétrospective se poursuit sous la forme d’un parcours dans huit lieux et institutions partenaires présentant divers aspects de l’œuvre de Tania Mouraud qui viendront compléter l’exposition du Centre Pompidou-Metz. Cet itinéraire à travers la ville de Metz mènera le visiteur à la galerie de l’Arsenal – EPPCC Metz en Scènes, la Chapelle des Templiers, l’Église Saint-Pierre-aux-Nonnains, Faux Mouvement – Centre d’art contemporain, au Frac Lorraine, au Musée de la Cour d’Or – Metz Métropole, aux galeries Toutouchic et Octave Cowbell, ainsi qu’à travers l’espace urbain, afin de dévoiler des œuvres emblématiques de l’artiste. Dans le cadre d’une collaboration d’une durée d’un an, des ateliers seront également proposés aux étudiants de l’École Supérieure d’Art de Lorraine en présence de l’artiste.

Depuis le milieu des années 1990, le parcours de Tania Mouraud est étroitement lié à la ville de Metz, grâce au soutien régulier du Frac Lorraine, qui achète en 1995 l’œuvre anthologique de la fin des années 1970 intitulée City Performance N°1, consistant en une campagne d’affichage faisant apparaître le mot « NI » sur 54 panneaux publicitaires de 4 x 3 m dans Paris, puis qui produit le projet monumental HCYS? en 2005, installé sur un mur aveugle du Musée de la Cour d’Or. À l’occasion de l’exposition Tania Mouraud : une rétrospective, la campagne d’affichage City Performance N°1 sera réactivée dans l’ensemble de l’agglomération messine.

49 NORD 6 EST – FRAC LORRAINE e Installé dans le cœur historique de Metz, édifice du XII siècle, le Fonds régional d’art contemporain de Lorraine initie en ce lieu exceptionnel tous les publics à de nombreuses expériences artistiques : expositions thématiques croisant conférenciers et autres passeurs d’idées avec des musiciens, danseurs... Dans cette logique pluridisciplinaire, le Frac tisse une relation privilégiée avec l’écriture et organise régulièrement des temps de résidence (critiques d’art, historiens de l’art, philosophes, écrivains, etc) : une initiative qui permet de stimuler et d’encourager le développement d’une pensée connectée aux enjeux de notre époque. L’ensemble des réflexions et actions menées par le Frac se reflète sur l’ensemble de son territoire et dans sa collection. Déclinée le plus souvent sous forme immatérielle et au féminin, elle est ouverte à la performance, à la danse... Véritable miroir d’une société en mutation, elle invite le public à rêver dans lequel il vit, via un mode collectif et participatif.

ARSENAL – GALERIE D’EXPOSITION, SAINT-PIERRE AUX NONNAINS ET LA CHAPELLE DES TEMPLIERS Lieu de concerts dédié aux musiques symphoniques et baroques, l’Arsenal est également ouvert aux autres genres musicaux et à la danse. Il s’illustre aussi largement dans les arts plastiques grâce à sa galerie d’exposition nouvellement reconfigurée. La richesse du paysage régional et frontalier de l’art moderne et contemporain a conduit l’Arsenal à préciser sa ligne de conduite dans le domaine des arts visuels. Ainsi, depuis 2009, la Galerie d’Exposition de l’Arsenal est entièrement dédiée à la photographie. Elle est devenue un lieu de référence avec un rythme de 5 ou 6 expositions par saison, en lien étroit avec l’offre des différents partenaires présents sur le territoire. La programmation est guidée par la volonté de rendre compte des multiples facettes de cette discipline artistique, de la photographie plasticienne au photojournalisme, qu’il

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s’agisse de photographes français ou internationaux, de jeunes photographes ou d’artistes confirmés. L’EPCC – Metz en Scènes, qui regroupe l’Arsenal, Les Trinitaires et la BAM, a été créé en 2009, à l’initiative de la Ville de Metz et de la Région Lorraine.

MUSÉE DE LA COUR D’OR – METZ MÉTROPOLE Installé dans le cœur historique de Metz depuis 1839, le Musée de La Cour d’Or – Metz Métropole retrace l’histoire de la ville et de ses environs de l’Antiquité gallo-romaine à nos jours, à travers des collections pluridisciplinaires : archéologie, histoire, architecture et beaux arts. Les thermes antiques découverts in situ en 1932 servent de cadre à la présentation de la vie quotidienne en Gaule romaine ; ils côtoient également de remarquables stèles funéraires et œuvres sculptées. Plusieurs ensembles exceptionnels témoignent du rayonnement de Metz à l’époque médiévale : tombes mérovingiennes, sarcophage de Louis Le Pieux, chancel de l’église Saint-Pierre-aux-Nonnains et rares plafonds en bois peint. La statuaire religieuse du Moyen Âge est présentée dans l’imposant grenier de e Chèvremont, ancienne réserve à grains de la ville construite au XV siècle et classée au titre des Monuments historiques. Les collections de peintures offrent un panorama des e écoles européennes de la Renaissance au XIX siècle. Elles privilégient les grands artistes originaires de Metz (François de Nomé, Poerson, Le Prince), les peintres de e l’« École de Metz » (XIX siècle) et un ensemble consacré à l’abstraction de la seconde École de Paris (1940-1980).

FAUX MOUVEMENT Faux Mouvement est un centre d’art contemporain installé à Metz depuis 1983. Le centre dispose d’un espace d’exposition de 350 m², 4 rue du Change, dans le prolongement de la Place Saint-Louis. La programmation compte en moyenne six expositions par an, conçues spécifiquement pour ce lieu, et portant pour l'essentiel sur des projets monographiques. L'équipe du centre d'art développe son travail hors les murs, sous la forme d’actions urbaines (récemment avec Bertrand Lavier et Gérard Collin-Thiébaut), d’expositions délocalisées, de résidences d’artistes, d’actions de formation et d’information en partenariat avec l’organisme de formation FAPAC (Formation des artistes et des professionnels de la culture) et d’une participation active au programme « Nouveaux Commanditaires » piloté par la Fondation de France. Faux Mouvement a également été associé depuis peu aux recherches de laboratoires universitaires (Labex Arts H2H- Université Paris 8). Mandaté par la ville de Metz, il s’illustre enfin dans des projets sociétaux avec des établissements scolaires, des maisons de retraite et des hôpitaux.

OCTAVE COWBELL Octave Cowbell est un lieu d'exposition associatif ayant pour objectif premier de montrer la jeune création contemporaine sous ses formes les plus diverses, en Lorraine et ailleurs. Situé au 5, rue des Parmentiers, Octave Cowbell est un appartement ouvert aux visiteurs. On y entre par la fenêtre au moyen d'un petit escalier placé dans la rue. A l'intérieur, 25 m2 blancs, éclairés au néon avec cheminée. L'association est soutenue par la DRAC Lorraine, le Conseil Régional de la Lorraine, le Conseil Général de la Moselle, la Ville de Metz et La Plume culturelle.

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TOUTOUCHIC C’est à partir de septembre 2010, à l’occasion de la Nuit blanche 3, que Vanessa Steiner et Cédric Shili réinvestissent les locaux d’un ancien toiletteur pour chien afin de créer la galerie Toutouchic, un lieu de diffusion et de valorisation de la création contemporaine axé sur les champs de l’installation et du graphisme au sens large (typographie, édition, affiche…). La démarche de la galerie est de présenter des travaux aux accents ludiques autour de problématiques contemporaines. Les médiums utilisés, la notion de détournement de l’objet, le décalage, les rapports d’échelle sont autant de possibilités qui permettent aux spectateurs d’entrer simplement dans la démarche des artistes et d’aborder dans une deuxième lecture des problématiques plus « complexes ».

ÉSAL L’ÉSAL site de Metz est un établissement public qui constitue, avec l’école d’Épinal et le CEFEDEM, le seul pôle d’enseignement supérieur artistique arts plastiques — musique — danse en Lorraine. Il entretient un riche réseau de proximité, avec les institutions artistiques et culturelles locales : Centre Pompidou-Metz, Musée de l’Image d’Épinal, 49 Nord 6 Est - Frac Lorraine, Centre d’art la Synagogue de Delme, galerie Octave Cowbell… Avec plus de 160 étudiants et une équipe pédagogique constituée d’artistes, théoriciens et praticiens, il offre avec son programme Erasmus une ouverture transfrontalière, sur l’Allemagne, la Belgique et le Luxembourg.

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4. REPERES BIOGRAPHIQUES

1942 Naissance à Paris. Fille de Marcel Mouraud, avocat, collectionneur d’art et résistant, et de Martine Sersiron (de son nom d’auteur, Martine Chevrier), résistante, journaliste, publiciste, femme d’affaires et écrivain. Sa jeunesse est marquée par le deuil de son père, tué dans le Vercors en 1945.

1957-59 Education en Angleterre

1959-1964 Réside à Düsseldorf, sous l’impulsion de sa mère, afin de parfaire son éducation et apprendre l’allemand. Elle évolue dans un milieu multiculturel composé entre autres d’étudiants en médecine, de groupes militants et des cercles artistiques de la ville. Elle vit de petits boulots, notamment ouvriers et commence à peindre à partir de 1963

1965 Retourne vivre en France et découvre les peintres abstraits américains, l’abstraction lyrique de Georges Mathieu, le Nouveau Réalisme, le GRAV (Groupe de Recherches d’Art Visuel). Découvre la musique concrète, se passionne pour Varèse et Xenakis. Se passionne pour la théorie de la couleur et les techniques traditionnelles de la peinture.

1968 Après avoir visité la documenta IV de Cassel, elle brûle ses toiles, mettant fin à ses premières années de peinture. Elle réalise Peinture interactive, Infini au carré, Totémisation. Rencontre Jean Larcade, directeur de la Galerie Rive Droite, qui la représentera et soutiendra son travail.

1969 Réalise les premiers plans de ses espaces de méditation. Premier séjour à New York où elle rencontre Virginia Dwan, Dennis Oppenheim. Se passionne pour le Land Art, découvre la musique minimale de Terry Riley, Steve Reich, La Monte Young mais aussi Ravi Shankar, les musiques shinto, tibétaine.

1970 Réalise son premier environnement audio-perceptif à la Galerie Rive Droite, ONE MORE NIGHT, en collaboration avec la compositrice Eliane Radigue. Rencontre Ben ainsi que La Monte Young, Marian Zazeela, Jon Gibson, Terry Riley à la Fondation Maeght de Saint- Paul-de-Vence.

1971 Premier séjour en Inde, pendant 6 mois. Découvre la musique carnatique. Poursuit une réflexion philosophique sur la viabilité de l’œuvre d’art.

1972 Oriente son travail artistique vers l’art conceptuel, influencée par des artistes comme Victor Burgin, Joseph Kosuth, Bernar Venet, Art & Language, ou encore Terry Atkinson.

1973-1974 Réalise ses mandalas Rencontre déterminante, par l’entremise de Bernar Venet, Ben et les artistes du groupe Support/Surface, avec la collectionneuse Vicky Rémy, qui sera d’un indéfectible soutien. Suite à une discussion avec André Valensi, elle radicalise son propos en éliminant la 13

photographie de ses œuvres et en se concentrant uniquement sur le texte, son support et l’espace dans lequel il s’inscrit. Lit de nombreux livres sur la typographie et son histoire. Est fascinée par les recherches des avant-gardes russes et la publicité.

1976 Produit ses premiers « ART SPACES », espaces d’exposition dont les murs sont recouverts de bâches plastiques présentant des phrases. Enseigne à l’École régionale supérieure d’expression plastique de Tourcoing (jusqu’en 2005).

1976 Fonde le groupe Trans avec Thierry Kuntzel.

1977 Réalise sa première intervention dans l’espace public avec City Performance n°1, à Paris avec le soutien de Dauphin et de Philippe Calleux. Expose L’ART SPACE N° 6, MEMORY OF A NON-EXISTENT SEING à PS1 et rencontre Dara Birnbaum, Dan Graham.

1979-1983 Produit plusieurs séries photographiques dont « Made in Palace », « Images Fabriquées » et « Vitrines ».

1988 -1993 Réalise plusieurs séries d’écritures dont « WORDS », « BLACK POWER », « BLACK CONTINENT » ainsi que les peintures murales.

1994 Réalise ses premières « DECORATIONS » à l’occasion de son exposition personnelle au Gemeentemuseum d’Arnhem, Pays-Bas.

1995 Produit l’œuvre Le Silence des héros dans le cadre de l’exposition « Territoires occupés » organisée par le Frac Lorraine dans l’ancienne base militaire de l’OTAN à Zweibrucken.

1996 Première version des « Millefeuille(s) » lors de son exposition personnelle au CAC Le Quartier, Quimper.

2000 Réalise sa première vidéo, intitulée Travelogue

2002 Fonde le groupe de musique expérimentale « Unité de Production » avec Cyprien Dedeurwaerder, Ruben Garcia, Pierre Petit, Marie-Odile Sambourg, Sylvain Souque et Baptiste Vanweydeveldt. Elle réalise la vidéo Sightseeing sur la montée vers le camp de concentration alsacien Natzweiler Struthof en collaboration avec la musicienne Claudine Movsessian

2004 Ecoute en boucle pendant un an « Un survivant de Varsovie » d’Arnold Schönberg qui inspirera l’œuvre HCYS? (HOWCANYOUSLEEP ?) produite par le Frac Lorraine en 2005

2007 Suit des cours de production musicale et de sound design au Berklee College of music online. Commence la série photographique des « Borderland ». 14

Se rend à Iasi, en Roumanie, sur les traces des origines de sa famille. Elle réalisera au cours de ce voyage une série de photographies ainsi que la vidéo No Name.

2009 Réalise sa première performance vidéo et improvisation sonore live en solo, au Musée de la Chasse, Paris. Elle associe une vidéo sur écran à des nappes sonores mixées en direct.

2014 Réalise l’installation sonore et visuelle AD NAUSEAM avec l’Ircam pour son exposition personnelle du même titre au Mac/Val, Musée d’art contemporain du Val de Marne à Vitry.

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5. ETUDE D’OEUVRES

Dans cette section, seront étudiées des œuvres de Tania Mouraud aux supports divers : vidéo, interventions dans l’espace urbain, installations, photographies.

"Avec mon mode de fonctionnement, dès que j’ai fini quelque chose, je passe à autre chose. Je coupe, j’élague, je brûle. [Il faut] toujours être comme une débutante. À chaque fois, je change de médium, je ne maîtrise rien du tout. Et c’est dans cette non- maîtrise du médium que passe l’émotion."

Tania Mouraud, entretien avec Frank Lamy, catalogue de l’exposition « AD NAUSEAM » au MAC/VAL, 2014

« (…)Pour chaque intervention, j’utilise le medium qui me semble le plus efficace et ce, en me servant de sa spécificité. J’aime utiliser les moyens minimaux pour une efficacité maximale. »

Tania Mouraud, interview de Jérôme Sans, in CAC Pablo Neruda Corbeil-Essones, 1989

L’artiste nie toute hiérarchie entre les médiums, la culture populaire, la culture savante et multiplie ainsi les supports de son expression esthétique à l'instar d’autres artistes tels que Hans Richter, Marcel Duchamp, Pablo Picasso, etc.

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PRESENTATION DE L’OEUVRE

ONE MORE NIGHT, 1970 Collection Musée d’art moderne de la Ville de Paris

ONE MORE NIGHT est la re-création de la toute première chambre de méditation réalisée par Tania Mouraud à la Galerie Rive Droite en 1970. Gradin recouvert d’un blanc immaculé, la pièce accueille en son cœur une fosse aux dimensions du corps de l’artiste qui déclare : « Je me construis un monde où je pourrais mourir en paix ». Propice, par son épure, à l’introspection, la chambre est conçue comme un environnement « psychosensoriel », et diffuse une fréquence sonore planante. Le travail de composition et de spatialisation sonore avait initialement été confié à Eliane Radigue.

J’ai conçu cet espace comme un lieu de repos physique et psychologique. La fréquence continue de 200 hz qui varie en fonction des mouvements et de la respiration aide l’utilisateur du lieu à se laisser aller dans cet espace inspiré des traditions mystiques (ziggurat) et figure le passage à un autre plan de conscience.

Tania Mouraud, note manuscrite, 1969, révisée en 2014

Tania Mouraud, ONE MORE NIGHT, 1970/2015 Bois stratifié, son 950 x 425 cm Galerie Rive Droite, Paris, 1970. Collection Musée d’art moderne de la Ville de Paris © ADAGP, Paris 2014 © Photographie André Morain

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EN SAVOIR PLUS

Les environnements créés entre 1968 et 1971 sont de trois types : 1.Les chambres d’initiation 2.Les passages 3.Les espaces d’initiation

1.Les chambres d’initiation Elles reposent sur le principe que « je suis le centre de l’univers » (des parallèles à l’infini). Elles sont conçues de manière à donner le sentiment d’un espace enveloppant (protecteur), y compris pour l’espace en dessous, dont la profondeur est créée par les réflexions de la lumière. Bien que complètement fermées, ces chambres paraissent dénuées de toute spatialité du fait des réflexions infinies de la lumière sur les murs, le plafond et le sol. Elles sont prévues pour une personne, censée s’asseoir au milieu de la pièce. On peut éprouver un sentiment de claustrophobie si l’on y reste longtemps avec une conscience limitée du corps. La seule façon d’accepter cet espace est de s’immerger dedans, de devenir l’espace lui-même, d’étendre les limites de son corps et de parvenir ainsi à un nouvel état de conscience. Précisons que ce type d’espace fait appel à un minimum de technologie (à l’exception de la partie sonore). C’est une pièce entièrement peinte en laque blanche ; elle peut présenter différentes structures primaires selon le lieu où elle est construite.

2.Les passages Ils reposent principalement sur des altérations de la perception. Leur principe consiste à créer un doute chez l’utilisateur ; ces espaces doivent en effet susciter une certaine perplexité chez la personne, qui oublie ainsi ses schémas de pensée conventionnels et cherche dans son esprit la clef de la perception. La plupart des passages, constitués de carreaux blancs, créent un sentiment d’oppression. Conçus entre 1968 et 1971, ils ont été présentés en France et en Italie en 1971.

3.Les espaces d’initiation Ce sont des lieux en plein air. Le principe a été de choisir différents types de paysages et de proposer un prototype de ce que l’on pourrait y installer. Le point de départ est que le ciel est un dôme, et bien que l’on pense être « dehors », on est « dans » un dôme. Mon intervention est donc minimale. Elle consiste à construire un espace où l’on puisse s’asseoir. L’intention est la même que dans les chambres d’initiation : elle est de favoriser la fusion avec la nature.

Tania Mouraud

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Tania Mouraud, INITIATION SPACE n°5, 2013. Maquette, collection de l’artiste.

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Références ONE MORE NIGHT évoque les ziggurats de Mésopotamie. Ces édifices religieux à degrés, constitués de plusieurs terrasses supportant probablement un temple construit à son sommet. Le terme signifie « élever », « construire en hauteur ».

ONE MORE NIGHT fait référence également aux prayer room que les musulmans, les catholiques, les hindous disposent dans leur maison en Inde. De même que dans les maisons russes, existe un espace libre pour placer les icônes, appelé le « beau coin ».

« A côté d’une architecture liée à la consommation, il était nécessaire de réserver un coin lié à la vie spirituelle. »

Entretien avec Tania Mouraud, « Confidences », ARTS Sacrés N°1

La Monte Young En 1963, La Monte Young crée un espace intitulé Dream House qui plonge le visiteur dans une ambiance sonore et lumineuse favorisant l’accès à la spiritualité. En 1970 Tania Mouraud rencontre La Monte Young, Marian Zazeela, Jon Gibson, Terry Riley à la fondation Maeght, de Saint-Paul-de-Vence. Elle est invitée à séjourner avec eux durant l’été au château d’Èze, chez Virginia Dwan, collectionneuse et galeriste américaine, proche des artistes de la mouvance minimale, conceptuelle et du land art. Invitée en 1971 à la Galleria LP 220, à Turin, du 4 mars au 15 avril, Tania Mouraud présente INITATION ROOM n°2 et convie les musiciens Terry Riley et Pandit Pran Nath, ainsi que la Monte Young, qui réalise, Dream House, présenté du 15 au 21 mars.

Light & Space / création d’environnement Le mouvement Light & Space s’est développé sur la côte ouest des États-Unis, avec notamment Robert Irwin, James Turrell, Larry Bell et Doug Wheeler. A l’époque des chambres de méditation, Tania Mouraud est l’une des rares artistes en Europe à travailler sur la question de l’environnement. A la même période sans qu’elle n’ait 19

connaissance de leurs recherches, ces artistes partagent un intérêt prononcé pour l’exploration sensitive de l’espace utilisant la lumière, électrique ou naturelle. Leur source d’inspiration initiale est la lumière extraordinaire des paysages californiens et du désert de l’Arizona.

L’œuvre de Robert Irwin Sans titre, 1967-1968, exposée au Centre Pompidou-Metz dans le cadre de l’exposition Phares, fait partie des « Discs », œuvres qui brouillent la perception humaine dans certaines situations lumineuses.

« Les faisceaux de quatre lampes se croisent sur un disque de Plexiglas translucide et en effacent la convexité pour l’associer à la composition plane et immatérielle d’une rosace lumineuse. Au centre, une bande horizontale peinte en gris dégradé accompagne de ses luisantes transformations le spectateur engagé à travers ses déplacements dans l’investigation perceptuelle du phénomène dont il est partie prenante. La dilatation du phénomène lumineux au-delà de son support matériel prélude à l’étape ultime de l’art d’Irwin : l’abandon définitif de la peinture et l’intervention dans la totalité de l’espace, subdivisé par des écrans translucides de tulle ou de lin à travers lesquels joue la lumière. Aussi différentes soient-elles, ces œuvres n’ont jamais poursuivi qu’un seul objectif : la construction de la présence phénoménale du spectateur face à l’œuvre »

Arnaud Pierre, Extrait du catalogue Collection art contemporain - La collection du Centre Pompidou, Musée national d'art moderne, sous la direction de Sophie Duplaix, Paris, Centre Pompidou, 2007

Land Art Les artistes du mouvement ouest américain Land Art, apparu vers 1970, pourraient illustrer la notion d’œuvre intégrée à la nature, à l’instar des espaces d’initiation de Tania Mouraud. La nature est devenu le terrain de jeu artistique de ces créateurs, refusant l’institution muséale et ses contraintes.

Lee Ufan Nous pourrions citer l’exemple de l’artiste coréen Lee Ufan. Son travail s’oriente vers un art qu’il qualifie de zen. Il utilise des objets naturels non manufacturés ni altérés et les fait dialoguer entre eux. Le but est de réduire au minimum la démarche personnelle de l’artiste en mettant l’accent sur les relations entre les matériaux, l’espace et le spectateur. Une plaque de fer placée entre des pierres crée un espace délimité. Par sa neutralité, elle ouvre le passage vers la Nature. L’oeuvre devient un lieu de médiation entre l’intérieur et l’extérieur.

Techniques d’introspections Il est possible d’étudier ici toutes les techniques d’introspection, la psychanalyse, l’hypnose, la retraite monacale, le yoga, etc, à l’heure du tout connecté et de la mise en réseau.

A VOIR EGALEMENT

- Diaporama Ce diaporama réunit l’ensemble des chambres et espaces d’initiation qui ont pu être réalisés au fil des années. Conçu à partir de photographies prises lors des vernissages ou dans les espaces de méditation, il intègre, lorsque l’environnement était audioperceptif, des extraits des sons crées par Tania Mouraud afin d’y être diffusés. En 1971, à l’occasion de son exposition personnelle à la Galerie LP 220 de Turin, l’artiste avait projeté des diapositives de ses premières chambres réalisées.

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- INITIATION SPACE N°5 Au centre d’une plateforme carrée, une assise épurée évoquant un long galet poli invite le spectateur à s’asseoir face au paysage. Idéalement, il pourra s’installer les jambes croisées dans la posture du lotus typique du Bouddha, sur cette transposition en dur du siège traditionnel de la méditation zen : un épais coussin rond (le zafu) posé sur un coussin carré plat (le zabuton). Pensé plus de quarante ans après les espaces d’initiation, environnements extérieurs toujours restés à l’état de plan, ce projet, entre sculpture à contempler et invitation à la méditation, ramène l’espace d’initiation à sa condition essentielle : l’introspection. Il a été pensé par l’artiste pour des espaces naturels.

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PRESENTATION DE L’ŒUVRE

City Performance N°1, 1977-1978 / 2015 Collection FRAC Lorraine.

Considérée à juste titre comme une œuvre anthropologique de l’art de la fin des années 1970, la série des « NI » reproduits en lettre géantes sur cinquante-quatre panneaux de l’Est parisien, aura frappé les esprits. Ces lettres étendues sur des affiches de 4 X 3 mètres, d’une extrême intensité visuelle, questionnent le passant et utilisent à contre- emploi les stratégies traditionnelles de la publicité. Négation ultime, ou message ouvert à la projection du passant, « NI » est la désapprobation d’une société où consommation rime avec illusion. Avec ce « NI », régulièrement réactivé depuis, l’artiste abandonne son approche purement philosophique et linguistique pour un contenu plus politique. A l’instar de ce projet, les phrases qu’elle emploie ensuite évitent l’écueil de la littéralité ou de l’actualité et demeurent, par abstraction de leur représentation des protestations « à bruit secret ».

Tania Mouraud, City performance n°1, 1977-1978. Intervention urbaine. Collection 49 NORD 6 EST – Frac Lorraine, Metz © ADAGP, Paris 2015 © Photographie Tania Mouraud

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Pop Art Ce questionnement sur la société de consommation liée à l’œuvre City Performance Numéro 1, se retrouve également dans la démarche des artistes du Pop Art et des Nouveaux Réalistes. Le Pop Art est un mouvement né dès les années 1950 en Grande Bretagne. Les artistes du Pop Art utilisent et détournent les objets issus de la société de consommation en récupérant les codes de la publicité et de la culture populaire. Par leur travail de création, ils en dénoncent certaines dérives. Andy Warhol reproduit des 22

photographies d’accidents, de chaises électriques, afin d'évoquer une tendance à la banalisation de ces images choquantes, dans la presse et à la télévision. Elles sont diffusées sur un même plan que les images publicitaires.

Arte Povera Prenons également l’exemple de l’Arte Povera (1966-1969), qui n’est pas revendiqué comme un courant mais plutôt comme une attitude. Les acteurs italiens de l’Arte Povera défient l’industrie culturelle et la société de consommation, attitude engagée sur le mode révolutionnaire. Le geste créateur prime sur l’objet fini, fait de matières organiques. La pratique artistique de l’Arte Povera repose sur le réemploi et le détournement de matériaux.

Art & Language Art & Language est un groupe d’artistes qui s’est fondé en Mai 1968 à Coventry en Angleterre sous le joug de Terry Atkinson, Michael Baldwin, David Bainbridge et Harold Hurell. Un an plus tard, le groupe présente le premier numéro de la revue « Art- Langage ». Le nom Art & Language « désigne la pratique collective d’une série de gens qui s’était attelée depuis plus d’un an à la réalisation de projets communs »6. Le groupe Art & Language est précurseur de l’art conceptuel. En effet, les artistes privilégient l’idée à l’objet d’art, et les mots en sont les matériaux privilégiés. Leurs œuvres prennent diverses formes (affiches, disques, vidéos, performances, peintures etc.), mais le discours et par extension le texte, restent au centre de leur propos. L’objet n’est plus une condition essentielle pour « faire œuvre ». Face aux œuvres, le spectateur n’est plus invité à faire seulement acte de contemplation. Les artistes lui propose de réfléchir, et de s’interroger sur ce qu’il voit ou ne voit pas. Art & Language interroge les valeurs établies et porte sur le monde, un regard critique, ironique et subversif. Art & Language est un groupement artistique qui interroge la notion même de transdisciplinarité, puisque leur pratique s’associe à d’autres disciplines telles que la littérature ou la sociologie.

Street Art Il est également possible d'évoquer le Street Art ou "art urbain" qui désigne des formes d'expression artistique dans l'espace public. Berlin est sans doute l'une des villes où cette expression artistique s'est le plus développée. Ancienne cité divisée de la Guerre Froide et de deux systèmes idéologiques antagonistes, elle attire après la chute du Mur des artistes dans ses espaces laissés à l'abandon. Commence alors une période de renouveau faisant fi des codes établis, des contrôles, de la monotonie et incitant à la critique, au questionnement. L’artiste JR s'inscrit dans ce type d'expression artistique. Dans Face 2 Face, il conçoit des portraits d'Israéliens et de Palestiniens dans huit villes israéliennes et palestiniennes. Il les affiche illégalement en grand format et reproduit ce placardage à Paris, qu'il inscrit dans un projet avant tout humaniste.

El Lissitzky et la typographie El Lissitzky, peintre des avant-gardes russes (1890-1940), figure majeure de la révolution soviétique du début du XXème siècle, ouvre des voies nouvelles à la typographie, discipline qui reste limitée à cette époque. S’inspirant du suprématisme de Malevitch, du constructivisme de Tatlin et du futurisme de Marinetti, il invente une composition typographique qui éveille les sens du lecteur par sa clarté visuelle : il se sert de moyens abstrait pour un impact concret, réalise des compositions structurées et simples. Il considère les lettres comme des éléments autonomes, joue sur la présence de divers caractères de polices, de tailles variables.

6 in Charles Harrison, « art & language, les dix premières années » in Art & Language, les peintures, Palais des Beaux- arts, Bruxelles, 1987 23

El Lissitzky va théoriser sa démarche dans deux ouvrages : Typographische Tatsachen, 1923, Unser Buch, 1927. Pour exemple, il réalise la couverture du catalogue du Bauhaus en 1923, la maquette typographique des revues Merz de Kurt Schwitters, De Stijl de Theo Van Doesburg. Les avant-gardes russes influencent Tania Mouraud sur la manière d’appréhender son travail dans l’espace : utilisation de toute la surface et des angles d’accrochage (Croix (noire), 1915, de Malevitch exposée à Saint-Pétersbourg, en décembre 1915 lors d’une exposition intitulée 0.10. La dernière exposition futuriste).

Le mouvement CoBrA Dans l’histoire de l’art, citons également le mouvement CoBrA pour l’illustration du caractère plastique des mots. Reprenant les premières lettres des capitales COpenhague, BRuxelles et Amsterdam, le groupe CoBrA s’inscrit dans les mouvements expressionniste et surréaliste (de 1948 à 1951). Ses bases reposent sur une spontanéité et une liberté dans le geste inspirées des arts primitifs, de l’art brut ou encore des dessins d’enfants. Ces formes d’art spontanées se développent loin des normes et conventions de création de l’époque. Les artistes et poètes de ce mouvement se sont emparés du mot à des fins artistiques : peintures-mots, dessins-mots, sculptures-mots, collages-mots. Le logogramme, forme de poésie peinte, sera la marque de fabrique du poète belge Christian Dotremont. Ce système correspond à un poème peint qui déforme l’écriture alphabétique.

Guy de Cointet Le travail de l’artiste Guy de Cointet repose sur des écritures entre 1971 et 1983, énigmes pour l’œil et l’esprit. Messages à décoder, écriture inversée, compositions abstraites, autant de formes d’écriture qui déroutent le regardeur.

Jenny Holzer Le support de l’écriture dans l’espace public est utilisé également par l’artiste américaine Jenny Holzer, dans les années 1980, 1990 pour faire passer « en fraude » des messages au public. Elle utilise des tableaux d’affichage électroniques pour évoquer des sujets sur le sexe, la mort et la guerre.

A VOIR EGALEMENT

Citons des œuvres de l’exposition en lien avec l’écriture.

MDQRPV? Les peintures murales, imaginées dès 1979 et réalisées à partir de 1989, prolongent les recherches de Tania Mouraud sur l’écriture, à l’échelle de l’architecture. Les lettres et les espacements, calculés sur la base du nombre d’or sont étirées jusqu’à la limite du lisible. Très vite, l’artiste utilise des phrases poétiques ou littéraires aux résonances multiples. MDQRPV? est tiré du livre de Svetlana Alexievitch, La Supplication. Tchernobyl, chroniques du monde après l’apocalypse (1997), qui recueille de nombreux témoignages de survivants de la catastrophe survenue en 1986. « Mais de quelle radiation parlez-vous alors que les papillons volent et les abeilles bourdonnent ? », interroge une vieille femme, résidente, sans autorisation, de la zone interdite. La vie semble en effet avoir repris, mais, malgré l’apparente luxuriance de la végétation qui a englouti le site, la faune et la flore sont contaminées. Le drame est désormais insidieux, silencieux et puissant comme les mots qui s’étalent sur le mur et se dévoilent au lecteur patient.

BLACK POWER : ICI / LA En manipulant les négatifs des photographies des « NI » de City Performance N°1, Tania Mouraud prend conscience de la puissance et du potentiel d’invention plastique contenus 24

dans les jeux d’inversion du noir et blanc de l’écriture. Avec des formes peintes en noir, elle investit le mur qui devient ainsi le support de la lecture et la lettre par défaut, obligeant le spectateur à intervertir le processus habituel de déchiffrement. La série « BLACK POWER », dont le titre fait, entre autres, référence à la domination typographique du noir, s’inscrit dans la lignée de ce travail. Fixés au mur, des tableaux- reliefs, représentant la contre-forme de mots en lettres majuscules, engendrent le texte. Le choix des mots résonne avec leur positionnement dans l’espace. Cette série à l’esthétique artisanale, dite « Pizzeria », se revendique de l’univers du peintre en bâtiment plus que de l’esthétique lisse en vigueur dans l’art conceptuel.

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PRESENTATION DE L’ŒUVRE

Sightseeing, 2002

Ce film, tourné à l’arrière d’une voiture, derrière des vitres embuées, offre une lente traversée d’un paysage de campagne enneigé, au son d’une clarinette. Il s’achève sur un plan silencieux, avec l’image d’un portail et de fils de fer barbelé, révélant précisément ce que l’on ne voudrait pas voir. Nous sommes devant l’entrée du camp de concentration du Struthof, à Natzwiller (). La vidéo tout entière est comme une sombre rêverie à laquelle la musique – un solo déchirant de clarinette interprété par Claudine Movsession – confère une portée épique.

Tania Mouraud, Sightseeing, 2002. DVD vidéo, pal, couleur, sonore. Durée : 7’ Edition de 5 Collection Musée d’art moderne de la Ville de Paris © ADAGP, Paris 2014 © Vidéogramme Tania Mouraud

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L’artiste choisit ici de laisser délibérément place à l’émotion ressentie lors de la montée vers le Struthof. La caméra subjective et la mélodie de la clarinette, puis son arrêt soudain, incarnent cette dimension et la transmettent au spectateur.

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Romantisme et paysage avec Caspar David Friedrich (1774-1840) L’œuvre de Casper David Friedrich, par l’évocation du paysage, s’inscrit dans un courant pictural du 18ème, le Romantisme allemand. Il évoque bien souvent les forces de la nature, la petitesse de l’homme face au divin, en mettant en scène des figures dans un paysage. Son œuvre Le moine au bord de la mer, 1808-1810 représente un moine face à l’immensité des éléments, scrutant la mer, perdu dans sa solitude et sa méditation. De manière générale, le Romantisme est une réaction à l’Académisme et prône l’exaltation de la sensibilité, de l’émotion, de l’imagination contre la raison et la morale. Tania Mouraud cite Caspar David Friedrich ayant nourri l’approche de cette vidéo et sa manière de filmer la beauté de ce paysage.

La mémoire de l’Histoire Nous pourrions citer ici des artistes évoquant, par leur travail, la mémoire de l’Histoire : Alberto Giacometti (1901-1966) sculpte après la guerre des figures errantes, filiformes et allongées, décharnées, à la fois présentes et absentes, comme rongée par l’espace et le temps. Francis Bacon (1909-1992) dénonce par sa peinture un siècle meurtri par les massacres, les guerres, le génocide. Ses corps de chairs convulsionnés témoignent d’une souffrance ostentatoire. Enfin, Christian Boltanski, plasticien français né en 1944, présente des installations qui mêlent des objets contemporains à une référence historique, la Shoa, interrogeant ainsi le vrai et le faux. Il utilise des vêtements amoncelés comme élément de disparition des corps.

Western Deep de Steve McQueen Pour la physicalité et l’émotion renvoyée par une vidéo, prenons l’exemple de Western Deep de Steve McQueen, film de 24mn réalisé en 2002, caméra à l’épaule. Exploration de l'expérience sensorielle du Tau Tona d'or en Afrique du Sud, il montre les ouvriers qui travaillent dans des mines s’apparentant à des ténèbres, rythmés par le bruit assourdissant du forage. Ce film brouille la distinction entre documentaire et fiction. L’image de la descente dans ces puits sombres transmet des émotions liées à la claustrophobie, la peur, la pénibilité.

A VOIR EGALEMENT

AD NAUSEAM Dans une usine de recyclage, les monceaux de livres déversés dans un processus inexorable de destruction répondent aux fracas de bruits industriels assourdissants. La trame sonore fabriquée à partir de près de mille « samples » enregistrés principalement dans l’usine, l’échelle démesurée des images, leur fractionnement et les changements de plans imprévisibles entrainent le spectateur dans une spirale vertigineuse conduisant à l’extermination massive du savoir. Entre références historiques saisissantes et interrogation sur l’impact environnemental de nos modes de production, AD NAUSEAM est le reflet de la capacité d’autodestruction de l’Humanité. Pris dans le flot et la monumentalité des images, le regardeur ne peut embrasser la totalité de la scène et s’en distancier.

Ou encore : Autodafé au Centre Pompidou-Metz, HCYS ? (How can you sleep ?) au Frac Lorraine, Once Upon a Time au Musée de la Cour d’Or.

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PRESENTATION DE L’ŒUVRE

Backstage 0129, 2013 Collection de l’artiste

Les silhouettes fantomatiques des blocs de béton immergés au large d’Arromanches appartiennent à une période révolue de l’Histoire : celle de la bataille de Normandie, de juin à août 1944. A l’initiative de Winston Churchill, un port artificiel composé de soixante et onze caissons Phoenix fut créé pour débarquer soldats, matériel et véhicules. Le rôle majeur qu’il joua lors de la Libération en fait une ruine moderne d’une grande puissance mémorielle. Relique de guerre, cette architecture rend compte du rôle dramatique joué par l’homme dans les cycles de destruction. La précarité de l’existence humaine est soulignée dans une perspective où flotte l’indétermination du temps, accentuée par le choix du titre : Backstage – comme l’avant du massacre ou son arrière-plan muet.

Tania Mouraud, Backstage 0129, 2013 23,60 × 100 cm Impression digitale sur papier Hahnemühle Rag Edition 5 + 2EA Collection de l’artiste © ADAGP, Paris 2014 © Photographie Tania Mouraud

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Cette œuvre soulève un questionnement lié au désastre, une tension qui règne entre beauté et horreur. D’inspiration historique, elle convoque également son rapport à la nature, au paysage panoramique, la force des éléments soulignés par des masses imperceptibles.

Dans mes derniers travaux, il y a la nature, il y a les animaux, mais il y a aussi les usines, il y a la plus grande casse d’Europe. Ce qui m’intéresse, c’est de travailler sur les terreurs, les terreurs personnelles. Un peu dans le genre des contes de Grimm, quand on nous raconte des histoires qui nous font peur, mais qu’on aime bien quand même. Mes œuvres évoquent la peur fondamentale de l’être humain.

Tania Mouraud, entretien avec Catherine Grenier, At the core, catalogue d’exposition Extrait de CQFD dossier documentaire de l’équipe des publics du Mac/Val

Citons peut-être ici les séries photographiques « Désastres » et « Balafres » exposées à la Galerie de l’Arsenal à partir du 27 juin 2015 qui relatent de la destruction de l’envireonnement.

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Balafres Le format panoramique de la série de photographies couleur datant de 2014 intitulée « Balafres » met en exergue les blessures infligées à l’environnement. L’exploitation intensive des ressources naturelles génère des stigmates irréversibles : de longues entailles strient le relief, modifiant en profondeur son visage et sa structure. Le bouleversement des strates géologiques révèle les couleurs des sédimentations diverses accumulées sur des millions d’années. Comme les couches picturales d’un tableau, celles-ci se superposent et se répondent. Ce millefeuille coloré témoigne de l’emprise de l’homme sur son environnement. Les cicatrices qui résultent de son intervention renvoient à la dimension anthropomorphique du paysage. Comme dans l’œuvre de Sophie Ristelhueber, ce dernier se transforme en une surface sensible qui enregistre les opérations qu’il subit. Les empreintes durables qui découlent des extractions réalisées dans les mines allemandes engagent un rapport dialectique entre beauté et violence. Ces balafres invitent à une expérience esthétique singulière mêlée de fascination et de répulsion.

Désastres Avec la série « Désastres », réalisée dans les environs de Saint-Etienne en 2014, Tania Mouraud aborde la question de la destruction de l’environnement, des catastrophes écologiques liées à l’exploitation intensive du territoire, bouleversant et transformant le paysage. Celui-ci recèle désormais de profondes béances. Des trouées apparaissent qui s’apparentent à des plaies à ciel ouvert, comme dans la série Balafres. Les arbres abattus au cœur des forêts de sapins sombres renvoient aux violences perpétrées par l’homme. Ces images silencieuses en noir et blanc témoignent de l’absence d’ordre et de la prédominance du chaos. Vidées de toute présence humaine, elles comportent une dimension tragique: la contemplation romantique de la Nature a fait place à celle d’un drame. La présence en négatif des arbres rendue visible à travers les lacunes du paysage se trouve renforcée par l’intensité des contrastes. Dotées de multiples résonances, ces photographies questionnent notre mode de relation à l’histoire. Elles en appellent à notre conscience de citoyen car elles font signe vers d’autres images mentales collectives. La présence de la mort rôde, signalant la vanité de toute destinée humaine. Avec ces jeux d’échos, l’artiste met à profit sa culture visuelle pour interroger notre condition humaine.

Tania Mouraud interroge le regardeur et sa responsabilité face aux questions sociétales.

Je ne crois pas que ce que je fais, puisse être qualifié d’art engagé. Si on veut parler d’un art qui est politique alors je dirais que je fais un art citoyen. Tout individu qui a quelque peu conscience du monde extérieur, qu’il soit artiste ou non, a un regard sur les évènements qui s’y déroulent. Quoi qu’il fasse, cela passe au travers de ses faits et gestes.

Tania Mouraud, propos recueillis par Philippe Piguet, L’œil 1998

Ad Infinitum, 2009 Cette œuvre est une vidéo de Tania Mouraud évoquant la migration des baleines dans les lagons de Baja au Mexique. Il est question ici de la puissance de la vie, de sa fragilité, de son mystère.

MDQRPV?, 2015 Cette peinture murale propose au visiteur de déchiffrer cette phrase : « Mais de quelle radiation parlez-vous alors que les papillons volent et les abeilles bourdonnent ? ». Ce témoignage d’une vieille femme résidant en zone interdite à Tchernobyl est extrait d’un livre de Svetlana Alexievitch, « La supplication. Tchernobyl, chronique du monde après

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l’apocalypse ». Il fait référence à l’après catastrophe où la nature semble reprendre ses droits. Mais le malaise est là, la mort se profile sur cette population, lucide et crédule à la fois, qui ne veut pas quitter son territoire malgré le danger.

Catastrophes environnementales La thématique de l’écologie et le danger insidieux qui pèse sur l’homme et la planète nous amène à relater quelques dates historiques marquantes : - Tchernobyl en avril 1986 en Ukraine est la plus grande catastrophe nucléaire civile. Un nuage radioactif s’est répandu en Europe à plus de 20000 km de l’explosion ; - La marée noire engendrée en 1999 par le naufrage du pétrolier Erika entraine la mort d’un millier d’oiseaux (20000 tonnes de fioul sur 400km de côte) ; - L’assèchement de la mer Aral avec le développement de l’agriculture industrielle, entre l’Ouzbekistan et le Kazakhstan, fait disparaître la quatrième réserve d’eau salée (68 000 km2)

Artistes et engagement environnemental Citons ici des artistes qui ont un engagement militant, écologiste et environnemental.

Agnes Denes, artiste américaine née en 1931, qui fait partie du mouvement des années 1970, le land art, fut l’une des premières à transmettre des messages sur les problèmes de l’environnement. Elle déclare : « mon travail s’étend de la création individuelle à la conscience sociale. Il pose le défi de la survie globale et il est souvent d’une ampleur monumentale. Je plante des forets sur des terrains maltraités, et fais pousser des champs de céréales au cœur de mégalopole. Ces œuvres ont pour but d’aider l’environnement et de profiter aux générations futures avec un héritage significatif. »

Peter Fend, artiste américain, né en 1950, utilise la cartographie et les images satellites pour dénoncer des problèmes environnementaux. Son œuvre aborde l’art conceptuel, le militantisme et l’esprit d’entreprise.

Amy Balkin, artiste américaine, travaille sur le rapport de l’homme à son environnement, et son interaction avec les paysages sociaux et matériels. Elle s’interroge sur l’appropriation des espaces naturels par l’homme.

A VOIR EGALEMENT

Ad Infinitum A Saint Pierre-aux-Nonnains

Des animaux qu’elle a filmés dans les années 2000, Tania Mouraud n’a pas voulu faire des documentaires naturalistes ni des portraits psychologiques. Les carpes koï grouillantes de Machines désirantes (2001) ou les chiens affamés de La Curée (2003) campent une bestialité primordiale, absorbée tout entière par sa seule survie. Les baleines grises d’Ad Infinitum (2007) ont été filmées en Basse-Californie, dans la lagune mexicaine d’Ojo de Liebre. Site de reproduction protégé, cette réserve naturelle a littéralement sauvé l’espèce de l’extinction. Signifiant « à l’infini » en latin, Ad Infinitum joue sur la répétition de huit minutes montrant en boucle la chorégraphie de baleines apprenant à leurs petits à nager contre le courant pour rejoindre l’Alaska. Cadré en plongée serrée, étalonné dans un noir et blanc scintillant et amplifié d’échos désynchronisés, le film saisit l’impressionnante proximité du « léviathan antédiluvien » que décrit Melville dans Moby Dick. Dans plusieurs mythes religieux, le cétacé millénaire symbolise la sauvegarde de l’humanité ; pour l’artiste, il renvoie l’être humain à sa fragilité et son insignifiance. 30

Once Upon a Time au Musée de la Cour d’Or

Antre d’êtres merveilleux, de sortilèges et de charmes, la forêt cristallise un imaginaire fantastique typique du romantisme allemand et des contes des frères Grimm. Envers du monde normal, elle sert aussi de refuge aux marginaux, hors-la-loi et aux résistants. Pourtant, elle n’échappera pas à l’exploitation vorace de l’ère industrielle. Dans son film de 2008 Roaming (« Errance »), l’artiste avait déjà saisi une forêt crépusculaire des Ardennes parsemée d’affûts de chasse aux allures d’inquiétants miradors. Filmé en France et au Canada dans des forêts boréales du Morvan et de l’Ontario, Once Upon a Time (« Il était une fois ») raconte la fable terrifiante de l’abattage mécanisé. Cueillis par « l’ogre » (l’abatteuse), les arbres subissent une chorégraphie répétitive et hypnotique : en moins d’une minute, leurs troncs sont couchés et « avalés » par les mandibules du bras mécanique, puis, immédiatement ébranchés, écorcés et débités. Procédure méthodique, rentabilité maximale. Excluant toute présence humaine, le cadrage resserré et la rapidité du montage accentuent la déshumanisation d’une déforestation expéditive.

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