Entre le et le rock, Ferrer choisit le rhythm’n’

De retour en , Nino renoue ses contacts avec ses copains musiciens et Bennett viendra le rechercher lorsqu’on lui proposera d’accompagner sur scène une chanteuse américaine nommée Nancy Holloway, qui commençait à avoir un peu de succès à . Ils vont comme ça accompagner Nancy pendant quelques mois, notamment à l’Olympia. C’est grâce à elle que Nino commencera à chanter ; car lorsqu’elle partait en coulisse changer de tenue, elle l’autorisait à proposer au public ses chansons. A cette époque, en 1963, Nino se voit plus volontiers en chanteur Rive Gauche, et il fera d’ailleurs quelques tentatives dans des cabarets, notamment à La Bouquinerie, célèbre dîner spectacle de la rue de Poissy dans le 5ème arrondissement. Il se choisit des pseudonymes comme Laurent Tosca, simplement parce que dans sa famille, notamment dans la branche italienne, il n’est pas envisageable de voir le nom de Ferrari spolié dans des activités de saltimbanque. On a parlé là du début des années 60, mais pour mieux saisir toute la problématique face à laquelle se trouvèrent la génération des musiciens comme Nino ou Richard Bennett, il faut remonter encore un instant au point de passage entre le jazz et le rock. Car à partir du moment où débarquent ce qui deviendront les yé-yé, notamment Johnny Hallyday, le jazz va devenir une musique du passé. Nino Ferrer ou Bennett auront eu le tort de naître trop tard pour connaître l’époque du vrai Saint-Germain- des-Prés et trop tôt pour vivre à plein celle du Golf Drouot. Il faut juste dire, pour mieux comprendre les choses, que Nino et Johnny ont dix ans de différence, soit une génération. Cette génération qui est celle de Nino, c’est un peu la génération perdue qui subit de plein fouet la guerre d’Algérie, même si Nino n’est pas concerné par la conscription puisqu’il est italien. C’est également une génération qui pense que le jazz est une musique éternelle, qui n’envisage pas qu’autre chose puisse venir lui disputer sa couronne. Même lorsqu’ils entendent les premiers disques de Rhythm’n’blues, notamment ceux de , pour eux il ne s’agit que d’une forme renouvelée de jazz. Mais c’est lorsqu’ils verront Johnny se produire pour la première fois en 1961, et quelques mois plus tard Vince Taylor à Juan-les-Pins, qu’ils mesureront l’aspect inéluctable du bouleversement qui est en train de se produire. Pendant que Nino s’essaie à la chanson sérieuse, comme on l’a vu, Bennett a quant à lui amorcé son virage forcé vers le rock en fondant de nouveaux orchestres plus offensifs, en ajoutant des guitares et en adoptant à contrecœur le rythme binaire à la place du ternaire. L’expérience aux côtés de Nancy Holloway aura un effet diamétralement opposé sur Bennett et Ferrari puisque après ça le batteur décidera de raccrocher définitivement les baguettes au clou tandis que Nino aura acquis au contraire une certaine confiance en lui ou, en tout cas, la certitude qu’il n’est pas trop vieux pour faire du rock. Heureusement pour Nino, il y a un artiste qu’il peut se choisir pour modèle, un artiste noir évidemment, quelqu’un qui a su faire évoluer en douceur le jazz vers la musique que l’on écoute maintenant en masse des deux côtés de l’Atlantique. Cet artiste, c’est Ray Charles.

© Christophe Conte pour le hall de la Chanson, 2005 1