Petite histoire de la restauration du château de Pierrefonds d’après le journal inédit de Lucjan Wyganowski

Laurent KOKANOSKY

« Le château de Pierrefonds est vier 1858 au 31 décembre 1885, Le démantèlement du châ- son œuvre (…) Tant que le châ- est crucial pour l’analyse ar- teau, puis le rattachement de la teau de Pierrefonds existera, le chitecturale de la restauration, prévôté au siège présidial de nom de Mr Viollet-le-Duc sera il fourmille également de men- Crépy-en-Valois en 1638 et la attaché à ses murs, comme le plus tions relatives à la vie quoti- création du bailliage de Villers- bel œuvre de sa vie laborieuse et dienne du chantier 3. C’est à Cotterêts en 1703, avaient con- pleine de gloire ». cette petite histoire de la res- duit Pierrefonds, chef-lieu d’une tauration du château ainsi qu’à des cinq châtellenies du Valois, Lucjan Wyganowski la personne de Lucjan Wyga- à un lent déclin au cours des Journal des Travaux nowski que va s’intéresser cet XVIIe et XVIIIe siècles. C’est à article. cette époque que la petite com- munauté des gens de justice disparaît, ainsi que celle des Les Archives Départemen- Un château demantelé petits seigneurs locaux, main- tales de l’ conservent trois tenant que les fiefs appartien- fonds provenant du château L’actuel château de Pierre- nent à des notables qui ne de Pierrefonds 1. Parmi les très fonds a été construit à partir résident pas en permanence à nombreux documents relatifs de 1396 par Louis, duc d’Or- Pierrefonds. Dans les premiè- à la reconstruction du château, léans et de Valois 4, sur l’em- res pages de son Histoire du décidée en 1857 par l’empe- placement ou à proximité de Duché de Valois, publiée en 1764, reur Napoléon III, figure le l’emplacement d’un premier Carlier témoigne de ce déclin : journal des travaux 2 tenu par château datant des puissants « la châtellenie de Pierrefonds Lucjan Wyganowski, qui en seigneurs de Pierrefonds (XIe diffère des autres, en ce que son supervisa la restauration quo- et XIIe siècles). Place stratégi- chef-lieu n’est plus, pour ainsi tidiennement, pendant 27 ans, que, notamment pendant les dire, qu’un désert ». Alexandre comme inspecteur des travaux, guerres de religion qui embra- Dumas ne dit pas autre chose, sous les ordres des architec- sèrent la région à la fin du lorsqu’il écrit en 1857 5: « Pier- tes Eugène Viollet-le-Duc (de XVIe siècle, le château fit l’ob- refonds (…), il y a trente ans, 1858 à 1879), Maurice Oura- jet d’un dernier siège par les était encore une solitude dans dou (de 1879 à 1884) et enfin armées du roi en 1616, alors le genre de celle des Pampas Juste Lisch (1884 et 1885). Si qu’il était tenu par le marquis ou des montagnes rocheuses ». ce journal, formé de quatre de Cœuvres, qui s’opposait au Un village « triste, pauvre, pres- tomes totalisant 606 pages et roi. Le château est démantelé que abandonné, avec des ma- couvrant la période du 15 jan- l’année suivante. sures en chaume », ajoute un

29 C’est justement à cette épo- que, entre 1810 et 1812, que Dumas découvrit Pierrefonds : on accédait au village en ve- nant de Villers-Cotterêts « par un chemin à peu près imprati- cable [et] il fallait monter aux ruines par un sentier à peu près impossible [car] à cette époque, il n’y avait pas d’esca- lier pratique au sommet des tours, pas de harpe éolienne vibrant au son des donjons ». Bref, conclut-il, « c’était quel- que chose de rude, comme le spectre du Moyen-Age ». Dans la première moitié du XIXe siècle, la route de Villers- Cotterêts fut pavée, et la route de Compiègne fut recouverte de macadam. Au final Pierre- fonds « est donc aujourd’hui une colonie d’artistes, de voya- Aquarelle de Pierrefonds vers 1840 (Anonyme) geurs, de touristes et de mala- des ». Des artistes de plus en guide touristique de la même trèrent à Pierrefonds. Pierre- plus nombreux viennent en ef- époque 6. Ce n’est effectivement fonds était un village, il devint fet à Pierrefonds pour peindre que dans la première moitié du un bourg. Ce village avait un les ruines : outre Louis-Joseph XIXe siècle qu’un changement étang, cet étang devint un lac ». Deflubé et Corot, Dumas men- s’opéra, auquel un attrait nou- tionne ses amis : Jacques Au- veau pour les ruines du châ- guste Régnier, Louis Godefroy teau n’est pas étranger. Cet at- L’époque des ruines Jadin, Alexandre Gabriel De- trait s’exerce notamment auprès et les débuts du tourisme camps et Camille Flers. Parmi d’artistes peintres : Jacques les autres peintres paysagistes Auguste Régnier, représentant Les ruines de Pierrefonds dont on connait des représen- d’un style troubadour, présen- avaient été vendues à la Ré- tations du château en ruine te au Salon de 1817 une repré- volution comme bien national figurent Jean-Jacques Cham- sentation des ruines, qui inspi- à un marchand de Crépy-en- pin, Jean-Baptiste Langlace, Eu- re également quelques années Valois, Longuet. Elles passè- gène Isabey, Auguste Xavier plus tard Camille Corot 7. En rent ensuite de main en main Leprince, Jean-Pierre Baraquin... 1825, la duchesse d’Angoulême pendant deux décennies, en fait placer des harpes éolien- particulier dans celles de l’hom- Au milieu du XIXe siècle, lors- nes au milieu des ruines. En me d’affaires parisien Maximi- que Pierrefonds prit son essor, 1832, Louis-Philippe utilise les lien Radix de Sainte Foix. Spé- le village n’était pas desservi ruines comme décor lors d’une culateur sur les biens natio- par le train : la gare, située sur réception consécutive au ma- naux, il possédait également la ligne entre Compiègne et riage de sa fille Louise avec dans la région les ruines de Villers-Cotterêts n’ouvrit qu’en Léopold Ier, roi des Belges. Béhéricourt, le domaine de l’ab- 1884. À partir de Compiègne, baye du Mont-Saint-Martin, ou accessible depuis Paris par les Ce renouveau fut accéléré par encore les ruines de l’abbaye chemins de fer du Nord, c’est la transformation du village en d’Ourscamp. À sa mort, son donc en voiture qu’il fallait se station thermale suite à la dé- notaire parisien, du nom de Gil- rendre à Pierrefonds. Les gui- couverte d’eaux sulfureuses let, parvint à racheter les rui- des touristiques de l’époque 10 et ferrugineuses par le peintre nes dans un souci de conser- mentionnent deux trajets aller- paysagiste Louis-Joseph Deflubé vation 8 et dans l’espoir de les retour par jour pendant la en 1845, puis par les travaux de revendre à l’État. La vente fut belle saison, au tarif de 2 F. la restauration du château, ce que conclue en février 1813, Napo- place, depuis « l’embarcadère Dumas résume ainsi : « Peu à léon Ier y était venu quelques du chemin de fer » (départ peu la lumière et la vie péné- années plus tôt 9. 11H30, retour à 15H00) et le

30 Café des Messageries, situé sur du château avant qu’elles ne ski est chargé de coordonner la place de l’hôtel de Ville (dé- soient vendues comme bien les travaux de l’ensemble des part 14H30, retour à 19H00). national à la Révolution. Il y corps de métiers (maçonnerie, La voiture quotidienne entre avait trois autres hôtels à charpente, serrurerie, menui- Compiègne et Villers-Cotterêts Pierrefonds ouverts avant les serie, couverture/plomberie, passe également par Pierre- débuts de travaux de restau- peinture/vitrerie, fumisterie, fonds tous les matins à 09H00. ration du château : l’hôtel des sculpture) et de rendre comp- Les voyageurs souhaitant y Bains, l’hôtel des Étrangers (si- te à Viollet-le-Duc, qui se dé- passer la nuit avaient le choix tué au Baudon) et le Grand place à Pierrefonds plusieurs entre de petites maisons meu- Hôtel de Pierrefonds 11. fois par mois, en fonction de blées et plusieurs hôtels. À l’avancement des travaux. Les commencer par l’hôtel des entrepreneurs intervenant sur Ruines, plus ancien établisse- La vie sur le chantier le chantier sont des entrepre- ment de Pierrefonds, et le seul neurs parisiens, excepté les tra- à exister avant la transforma- Lorsque le chantier de res- vaux de charpente, confiés au tion du village en station ther- tauration du château est dé- Pétrifontain Demazures. En male. Il était tenu dans la cidé par Napoléon III en 1857 revanche les ouvriers sont re- seconde moitié du XIXe siècle (il n’est alors question que de crutés en très grande majorité par Louise Terju et son mari restaurer la tour Nord-Est et la dans la population locale, com- Gabriel Connétable, qui était à tour Carrée), Viollet-le-Duc me le montrent deux listes d’ou- l’époque le « gardien des rui- embauche au poste d’inspec- vriers consignées dans les car- nes du château », tout comme teur des travaux Lucjan Wyga- nets de Wyganowski. l’avait été son beau-père Jean- nowski, qui avait auparavant Pierre Terju, dont le propre travaillé à Paris avec l’architec- Les ouvriers travaillent tous beau-père, le « maître de pen- te Jean-Baptiste Lassus jusqu’à les jours, sauf le dimanche et sion » Nicolas Athénas, n’était la mort de ce dernier, en juillet les jours de grande fête, c’est- autre que le locataire des ruines 1857. Sur le chantier, Wyganow- à-dire le jour de l’Ascension

Le château en reconstruction : on distingue des échaffaudages. Presqu’au centre, la maison avec une tourelle était celle de Wyganowski (Photo Dupré, Compiègne)

31 (qui est aussi la fête des ma- çons et des tailleurs de pierre), la Toussaint, Noël et le 1er jan- vier. Les deux fêtes patronales de Pierrefonds (le 17 janvier, jour de la Saint-Sulpice, et l’au- tre à une date variable de la mi-septembre) sont également chômées. Cette fête patronale chantier, car les ouvriers doi- étain…) trouvés sur le chantier. de la mi-septembre se prolon- vent se rendre aux funérailles Mais Wyganowski se rend vite ge d’ailleurs généralement plu- d’un des leurs, victime d’un compte que la cohabitation sieurs jours et les ouvriers ne accident. Le journal de Wyga- entre promeneurs et ouvriers reviennent qu’après deux, trois nowski consigne 17 accidents est problématique. Au prin- voire quatre jours ! Pendant le durant les 27 années de chan- temps 1859 il consigne que le règne de Napoléon III, le 15 tier, dont 5 sont mortels. Les 5 public, « envahit journellement août est chômé car c’est la fête victimes sont natives de Pier- le chantier », « gêne les ouvriers » de l’Empereur : un drapeau tri- refonds, ce qui tend à confir- et occasionne des dégâts de colore est alors hissé au som- mer l’hypothèse d’un recrute- manière répétée, notamment met de la tour ronde et un Te ment massif de dizaines d’ou- dans les plantations et les Deum est chanté à l’église, en vriers dans la population loca- pelouses du parc. Il s’agit des présence des ouvriers. le. Parfois le drame est évité « ouvriers des petites villes des de justesse : en décembre 1858 environs », qui « ont l’habitude La durée journalière de tra- le charpentier Briollet fait une de venir s’amuser à Pierre- vail est ordinairement de 10 chute de 17 mètres mais tom- fonds », et qui « une fois à moi- heures pendant l’été, de 6H30 be sur un tas de plâtre en pou- tié ivres » escaladent la clôture du matin à 17H30 le soir, avec dre et n’est que « seulement du parc. Ouvriers ou parfois une pause entre 11H et midi. étourdi » (sic). Son collègue notables d’ailleurs, puisque En hiver, la journée est réduite Ernest Harlaut (le futur gar- Wyganowski, qui, excédé, a à 8 heures de travail, entre dien du château) parvient de décidé de faire lui-même la 07H30 et 16H30. Exceptionnel- justesse à se raccrocher à une police surprend le substitut lement une trop forte pluie, le charpente : il est indemne. En du procureur de Soissons en vent ou la tempête empêche le juin 1865, Pierre Desange, bar- train de piétiner une pelouse, travail. Dans de très rares cas, deur de 16 ans, tombe du haut accompagné du sous-préfet de certains ouvriers travaillent le de la tour Alexandre, qui cul- Soissons ! dimanche, pour avancer le chan- mine quand même à 20 mètres tier. Si certains ouvriers ne se de haut. On se frotte à nou- Des instructions sont don- présentent pas sur le chantier veau les yeux lorsqu’on lit la nées au gardien pour veiller à c’est parce que tel ou tel entre- fin de l’histoire, sous la plume ce que les visiteurs ne fassent preneur a d’autres contrats à de Wyganowski : « il n’est pas pas de dégâts dans les cons- honorer, ou que certains tra- blessé ». tructions et dans le parc, « com- vaux agricoles urgents néces- me cela se pratiquait jusqu’à sitent une main d’œuvre tem- présent » et la porte située près poraire 12. Plus prosaïquement, Le château : lieu public du village est fermée. Il est il arrive que certains ouvriers ou résidence impériale ? ensuite décidé que seuls les « restent dans les cabarets », visiteurs accompagnés par le une fois touchée leur paie en Les habitants de Pierrefonds gardien des ruines pourraient début de mois. La présence de et des environs avaient pris rentrer sur le site. On peut ima- l’Empereur à Compiègne est l’habitude, depuis toujours, giner que cela ne fut pas du aussi une source de distraction d’avoir libre accès aux ruines goût des habitants : le maire se potentielle : ainsi ce jour de du château et en avaient fait déplace chez Wyganowski 1859 où « les couvreurs n’ont un lieu de promenade 13. Le pour prendre le parti des ha- pas travaillé parce qu’ils sont début des travaux ne change bitants de sa commune et des allés dans la forêt assister à la rien à cette situation : le gar- environs, qui réclament que le chasse de l’Empereur », ce que dien des ruines et du chantier, parc reste une promenade pu- Wyganowski trouve évidem- Connétable, laisse les visiteurs blique. Face au refus de Wyga- ment « très fâcheux » ! accéder au site, et notamment nowski, qui se retranche der- au petit musée dans lequel sont rière les ordres donnés par À plusieurs reprises il arrive entreposés les objets anciens Viollet-le-Duc, le maire mena- que le travail soit arrêté sur le (assiettes, monnaies, pots en ce de faire intervenir le minis-

32 tre d’État. Mais Viollet-le-Duc chicoulis ». Les parois de l’es- Les premières visites « offi- reste inflexible, et confirme calier à vis, de la base au som- cielles » du château de Pier- que les portes du château doi- met, sont couvertes de noms refonds en cours de restaura- vent toujours être fermées. de visiteurs et d’inscriptions, tion sont celles du musée des quelques-unes de fort mauvais armes, organisées à partir du En mars 1861 la situation a goût, d’autres naïvement comi- dimanche 2 juin 1867. Ces vi- changé, une restauration com- ques. sites, organisées chaque diman- plète est envisagée, et le châ- che et chaque jeudi entre midi teau a vocation à devenir, « par Le surveillant militaire Böhl et 16H00, de début juin à fin la nature même des travaux qui finira par être révoqué quelques septembre, attirent à chaque s’y exécutent, une résidence im- années plus tard, pendant la fois plusieurs centaines de périale », et non « un lieu livré guerre de 1870-1871. Ayant personnes, que le gardien mili- au public », selon les propres vite compris le profit qu’il taire Poncin, nommé quelques mots de Viollet-le-Duc. Un gar- pouvait tirer de sa position et jours auparavant, conduit à dien militaire, Böhl, est nom- de l’afflux de visiteurs, il avait l’intérieur du musée par grou- mé, s’installe au château et re- établi sans aucune autorisa- pes de 20. çoit des instructions très claires tion une boutique de photo- Si la visite inaugurale rem- de l’architecte : « considérez graphies. Accusé de « rançon- porte un certain succès, avec donc (…) le château et ses dé- ner les visiteurs » avec les 300 personnes, la capacité maxi- pendances comme un domai- ventes de photographies, en male de visiteurs, estimée ini- ne de la couronne et nullement plus d’être « ivrogne, querel- tialement à 500 personnes,est comme un lieu de promenade leur et faisant de dettes », son immédiatement dépassée : dès dont la jouissance est laissée éviction est mouvementée car le second dimanche ce sont au public ». il reste sourd aux demandes plus de 900 personnes qui Ces instructions furent loin répétées de fermeture de la se présentent ! Wyganowski d’être prises à la lettre par le boutique. Même révoqué il reproduit dans son journal le surveillant militaire : rapide- refuse d’obtempérer et main- règlement rédigé par Viollet-le- ment les plaintes s’accumu- tient sa boutique ouverte. Il Duc à cet effet, qui vise notam- lent et on lui reproche son laxis- faudra l’intervention du sous- ment à assurer une bonne me. Cela était sans doute jus- régisseur du Palais de Compiè- cohabitation entre les visiteurs tifié, car il semble que les visi- gne, pour qu’enfin il accepte et les ouvriers du chantier. Le teurs pouvaient se déplacer à de quitter le château sur le règlement est strict : les sabots leur guise sur le site, comme en champ, emportant avec lui les ne sont pas autorisés et il témoigne cet accident survenu clés de la tour Godefroy, qu’il est interdit de chanter pen- le 2 septembre 1862, relaté par occupait. dant la visite ! Wyganowski : « trois bourgeois visitant le château se sont in- troduits dans l’étage souter- rain de la tour Hector occupée par le gardien et là ils ont vou- lu descendre dans le caveau appelé vulgairement oubliet- te, mais l’échelle de perroquet n’étant assez forte pour porter 2 ou 3 hommes très forts qui se sont mis sur elle à la fois, l’échelle s’est cassée et ils étaient précipités au fond du caveau (…). Un de ces hom- mes a été blessé à la jambe, un autre au pied assez griève- ment ». Dans un guide touris- tique de 1864, il est effective- ment mentionné que « le gar- dien des travaux autorise les visiteurs à monter dans la tour du nord-est, et recommande avec raison de prendre garde Vue de l’avancement des travaux, les murs présentent aux interstices vides des mâ- encore de larges brèches (Photo Dupré, Compiègne)

33 sur le site archéologique de Champlieu, dont les fouilles lui avaient été confiées un an plus tôt. Après la découverte en mars 1850 de sculptures de l’époque romaine et provenant d’un temple, le site avait fait l’objet de premières fouilles, no- tamment à l’initiative d’Ed- mond Caillette de l’Hervilliers. Elles permirent de commen- cer à mettre à découvert un théâtre vis-à-vis du temple, dont la datation (mérovingien- ne ou romaine) fut l’objet d’une polémique. Le site, classé mo- nument historique est visité par Napoléon III en octobre 1857 14 et la poursuite des fouilles est confiée à Viollet-le-Duc. Wyga- nowski est chargé de diriger les opérations de déblayage à Champlieu : il note à la date du 6 mai 1859 que 6 terrassiers affectés au chantier de Pier- refonds ont été employés à Champlieu. Ce furent à cer- taines périodes une trentaine d’ouvriers qui travaillèrent sur le chantier de Champlieu. Les travaux se terminent le 9 dé- cembre 1859, juste après que Wyganowski eut remis à Na- poléon III des médailles pro- venant des fouilles. Déjà à partir du 23 octobre 1859 il avait fallu préparer la visite de l’Empereur, qui a pris ouvriers est réduit à 25, et ils pour habitude de passer le Les chantiers « parallèles » seront finalement également mois de novembre au château de Champlieu et de renvoyés quinze jours plus tard, de Compiègne. Sa visite est Saint-Pierre-en-Chastres suite à un courrier de Viollet- une occasion pour Viollet-le- le-Duc à Wyganowski l’infor- Duc de le convaincre de la né- Avant d’être à partir de mant que le budget de l’année cessité de poursuivre le chan- 1862 un projet de « résidence 1859 a déjà été presque entiè- tier et d’obtenir les budgets impériale », le projet initial de rement consommé. Les travaux nécessaires. Napoléon III et restauration du château de sont donc interrompus et quel- Viollet-le-Duc s’entretiennent Pierrefonds en 1858 prévoyait ques ouvriers restent, afin de longuement sur le chantier et de rénover deux tours et le démonter les échafaudages. Wyganowski consigne leur donjon. Mais après un an de Une liste des travaux urgents, « longue conférence ». Le pari chantier surviennent les pre- nonobstant l’arrêt du chantier, semble gagnant puisque Wyga- miers problèmes budgétaires. est dressée par le contrôleur nowski rentre à Paris à la mi- Le 14 avril 1859, la quasi-tota- en chef des bâtiments de la décembre pour préparer un lité des ouvriers terrassiers Couronne et Viollet-le-Duc. « projet complet de restaura- est renvoyée car les travaux tion du grand logis, de la faça- sont trop avancés en regard L’arrêt du chantier à Pierre- de principale sur le parc et du crédit alloué pour l’année fonds est l’occasion pour Viollet- de la façade sur la route de 1859. Le nombre des autres le-Duc de lancer des travaux Compiègne », destiné à être

34 présenté au Ministre d’État et pendant la « guerre des Gau- L’empereur Napoléon III de la Maison de l’Empereur. les ». En octobre 1861, Viollet- à Pierrefonds Mais les choses traînent et le 2 le-Duc conduit Wyganowski à mars 1860 Viollet-le-Duc infor- Saint-Pierre-en-Chastres. Des La première des nombreu- me Wyganowski que les tra- travaux débutent immédiate- ses visites de l’Empereur et de vaux de Pierrefonds sont défi- ment et se poursuivront en l’Impératrice au chantier de nitivement suspendus. Ce der- 1862. restauration de Pierrefonds a nier rentre à Paris quelques lieu le 4 novembre 1858, le mois jours plus tard mais Viollet-le- Globalement Viollet-le-Duc de novembre étant traditionnel- Duc lui demande de repartir à considère Wyganowski comme lement le mois où ils séjour- Pierrefonds, car le château est son assistant pour toutes les naient à Compiègne. Ils sont en cours de classement com- tâches qui lui sont confiées dans alors accompagnés d’une cin- me monument historique et la région : lorsque l’Empereur quantaine de leurs invités et les travaux vont être poursui- le charge de lever les plans restent une heure. Les visites vis ! Une trentaine d’ouvriers des Monts Saint-Pierre, Saint- impériales sont nombreuses sont ré-embauchés car « l’Em- Mard et Ganelon il en parle puisque l’empereur revient pereur désire que la restaura- immédiatement à Wyganow- quelques jours après, et que tion du château de Pierre- ski, « pour qu’il puisse com- l’Impératrice vient seule avec fonds soit poussée activement mencer ce travail le plus tôt sa suite deux fois pendant le cette année (...) ». On peut ima- possible ». Vers la même épo- même mois de novembre. Le giner que d’année en année que il semblerait qu’ils se soient trajet en char à bancs n’étant les visites de Napoléon III lors intéressés tous deux au châ- pas des plus confortables, ces de ses séjours à Compiègne teau de Vez, distant de Pier- dames faisaient une pause au permirent à Viollet-le-Duc d’ob- refonds d’une quinzaine de pavillon Eugénie au bord des tenir les budgets nécessaires kilomètres, et dont Viollet-le- étangs de Saint-Pierre depuis à la continuation des travaux Duc pensait qu’il avait été Compiègne Les visites se font comme le montre cette entrée : pensé par le même architecte toujours sous la conduite de l’empereur est très satisfait que celui de Pierrefonds 15. Viollet-le-Duc, en résidence à des travaux, le budget pour Au « Salon de 1866 » Wyga- Compiègne avec la Cour. l’année suivante est assuré. nowski présente ses « 16 des- Exceptionnellement, en l’ab- sins du projet de restauration sence de Viollet-le-Duc, c’est du château de Vez » 16. Le châ- Wyganowski qui se charge de teau de Vez fut finalement res- donner aux visiteurs des expli- tauré dans les années 1890 par cations quant à l’avancement son propriétaire Léon Dru, des travaux. dans un style qui n’est pas On n’énumérera pas ici l’im- sans rappeler celui de Viollet- pressionnant défilé de têtes le-Duc : s’était-il basé sur le couronnées, princes et prin- projet présenté par Wyganow- cesses divers, militaires de ski en 1866 ? haut rang qui participent à ces visites, dont les noms des plus Le dernier chantier « paral- illustres sont systématiquement lèle » à celui de Pierrefonds est consignés à chaque visite par celui de l’abbaye de Saint- Wyganowski. Ce dernier consa- Jean-aux-Bois. Les travaux cre tout de même quelques entrepris sous la direction de lignes à la visite de six chefs l’architecte Max Mimey, dé- arabes, parmi lesquels « le gou- Eugène Viollet‐le‐Duc butés dans les années 1860, verneur de la Medjana », c’est- Portrait par Marville, 1860 sont confiés en 1879 à Maurice à-dire Hadj Mohamed el Mo- Ouradou, qui nomme Wyga- krani : « tous les six sont nowski comme inspecteur des magnifiques de distinction et L’autre chantier, mené cette travaux. Le projet de recons- de gravité. Le plus âgé, dont fois-ci en parallèle avec Pier- truction du pignon et de la la barbe est toute grise a un refonds, est celui de Saint- rose, et de réfection de la char- regard voilé qui donne à sa Pierre-en-Chastres, auquel Na- pente, connu par des croquis physionomie un air de timidi- poléon III s’intéressait depuis datés de 1878, est mené entre té qui contraste avec la mâle 1859, ce lieu étant supposé- 1879 et 1883 sans que le jour- expression de ses compagnons. ment un « camp de César », nal des travaux de Pierrefonds Les autres sont beaucoup plus témoin du passage de César y fasse référence. jeunes ».

35 La guerre de 1870 refuse. Mais Viollet-le-Duc pas- septembre, l’armée prussienne à Pierrefonds se outre et parle directement de est en route vers Paris et passe ce projet au Ministre chargé à Cuise, Berneuil-sur-Aisne, À la date du 15 juillet 1870, de la maison de l’Empereur. Chelles, , Taille- Wyganowski consigne la décla- On se prépare donc à accueil- fontaine et Bonneuil-en-Valois. ration de la guerre contre la lir des blessés : Wyganowski Quatre éclaireurs passent à Prusse puis, quelques pages transfère ses papiers dans la Pierrefonds et le lendemain plus loin, les premières défaites maison d’habitation de l’agen- ce sont près de 2000 hommes de l’armée française : le 4 août ce pour laisser les salles libres qui traversent le bourg. Vient à Wissembourg et le 6 août à et les habitants de Pierrefonds le temps des réquisitions : les Worthe et Forbach. À partir de donnent des lits. Peine perdue : prussiens invitent les habitants ce moment, les choses s’accélè- Napoléon III offre sa reddi- à leur remettre leurs armes (40 rent : le 9 août tous les ouvriers tion le 2 septembre suivant. et fusils et 17 sabres seront ainsi sont congédiés, sauf quelques- deux jours après c’est la pro- récupérés), vivres (notamment uns qui doivent terminer des clamation de la République. le jour où 60 sacs de farine, travaux urgents. Le 10 août, on 100 sacs d’avoine, 100 kilos de décide de préparer des caisses Les travaux, qui pendant lard et 40 jambons sont emè- pour transporter la collection toute l’année 1870 avaient été portés à Compiègne) et che- d’armes à Paris, afin qu’elle ne uniquement financés avec des vaux (qui servent notamment tombe pas aux mains des Prus- fonds provenant de la cassette à transporter le 22 novembre siens : elle quittera Pierre- de l’Empereur sont alors tota- 1870 « le butin fait au château fonds la semaine suivante. lement arrêtés : « tous les tra- de la Chenoye à Grandfres- Le front se rapproche et le 21 vaux ont cessé sur le chantier noy»). Dès cette période des août Wyganowski propose à du château, en conséquence unités prussiennes passent par- Viollet-le-Duc d’établir dans les tous les ouvriers maçons ont fois la nuit chez les habitants salles du château une ambu- été renvoyés ». Wyganowski de Pierrefonds et dans les vil- lance pour les blessés. Si ce poursuit cependant son jour- lages alentours (Trosly, Rethon- dernier est d’accord, curieuse- nal et consigne l’avancée prus- des, Cuise-La-motte, Saint- ment le maire de Pierrefonds sienne dans la région. Le 13 Étienne, Martimont et Chelles)

Visite du prince héritier de Saxe (1870?)

36 puis occupent de façon per- manente le village entre la mi- février et la mi-avril 1871. Wyga- nowski regarde avec étonne- ment la réaction des habitants à tous ces événement et livre à cette occasion l’une de ses seules réflexions personnelles des 320 pages de journal : « les habitants des villes et des vil- lages sont d’une indifférence effrayante… ils regardent tous ces désastres avec un hébé- tement apathique ; il est vrai qu’ils étaient désarmés avant la guerre… Du reste jusqu’à présent la n’a pas trou- vé un seul homme, ni poli- tique ni militaire… ». Pendant tout ce temps les Prussiens cantonnés dans la région, notamment les offi- ciers, visitent le château et tous employés sur le chantier alloués au chantier pour 1885. l’admirent. Le 18 mars 1871, depuis son début en 1858, Les premiers ouvriers sont ce ne sont pas moins de 500 allaient réaliser une maquette renvoyés en janvier et le 7 Prussiens qui viennent visiter impressionnante : d’un poids février le sculpteur George le château. Le 18 mars c’est de 6 tonnes, elle comportait 85 part. Ne restent sur le chantier aussi le début des événements pièces et il fallut deux voitures que trois maçons pour chan- de la Commune, à Paris. Wyga- de déménagement pour son ger des pierres gélives et refai- nowski note : « « Révolution à transport. Cette réalisation, vi- re des joints. Wyganoski dis- Paris (la commune avec le sible aujourd’hui au château paraît l’année suivante... drapeau rouge) » . de Pierrefonds, est l’œuvre Le 11 avril Viollet-le-Duc d’Amédée Selle, Lecot père et * * * * * vient à Pierrefonds (il y reste- Paul Devillers. ra deux mois) et, même s’il re- Lucjan Wyganowski lance à partir d’octobre les tra- La mort de Viollet-le-Duc fut vaux urgents, le chantier ne une lourde perte pour Wyga- Le parcours de Lucjan Wyga- retrouvera jamais son rythme noski et Pierrefonds (qui lui nowski mérite qu’on s’y attar- et ses effectifs. Quelques meu- rendit hommage en 1881 en de, d’autant plus qu’il est mal bles commandés avant la guer- donnant son nom à la rue Pier- connu 17: après avoir débuté re sont livrés en 1872, l’impo- rot). Son vieux compagnon se sa carrière à Amiens comme sante statue équestre de Louis rendit à Lausanne pour ses collaborateur de l’architecte du d’Orléans, de Fremiet, arrive obsèques le 22 octobre 1879. département de la Somme 18, en janvier 1875 suivie par 18 Oradou, le nouvel architecte, il travailla à Paris avec Jean- caisses de vitraux. Les travaux tenta de rapatrier, avec l’ap- Baptiste Lassus 19. Engagé concernent essentiellement les pui de la municipalité, les col- par Viollet-le-Duc à la mort de murs d’enceinte, le nivellement lections d’armes évacuées en Lassus comme inspecteur des des accès, la pose du dallage 1870 mais sans succès : elles travaux sur le chantier de Pier- ou des huisseries, le chauffa- restèrent au Musée de l’artille- refonds, Wyganowski en a ge. Seul le sculpteur d’orne- rie à l’Hôtel des Invalides. suivi la restauration de bout ments Ernest George, résident Manifestement la IIIe Républi- en bout. Son parcours, éclairé à Pierrefonds, fournit un tra- que manifestait un intérêt très par la découverte de plusieurs vail régulier. limité pour le projet monu- dossiers et documents d’ar- Le château allait cependant mental du régime précédent et chives le concernant, est éga- retrouver un certain lustre à le château ne sera donc jamais lement celui de l’un de cette l’occasion de l’Exposition uni- complètement aménagé et dé- dizaine de milliers de militai- verselle. De janvier 1877 à mars coré. Le coup de grâce fut por- res polonais réfugiés en Fran- 1878, trois ouvriers tailleurs de té par la Chambre des députés ce suite à la répression de l’in- pierre de l’entreprise Mozet, avec l’annulation des crédits surrection de Varsovie, en 1831.

37 Né le 1er septembre 1814 à d’Amiens, comme 34 autres de carrière est à ce jour assez mal Grodno (actuelle Biélorussie), ses compatriotes. Comme tous connue. Seul un dépouillement comme l’indiquent son décret les autres réfugiés, Wyganow- complet du fonds Wyganow- d’admission à domicile et son ski reçoit une solde mensuelle ski des archives départemen- acte de décès, ou à Byalistok de la part de l’État français. tales de l’Oise, qui contient de (Pologne), selon un laisser- nombreux documents relatifs passer de 1836, Wyganowski Il ne reste que très tempo- à son activité avant son arri- commence une carrière mili- rairement à Amiens puisque vée à Pierrefonds, permettrait taire au sein du 11e régiment dès le mois de novembre de la de connaître les modalités de lanciers de l’armée polo- même année, il demande l’au- exactes de sa collaboration avec naise, au sein duquel il est torisation de résider à Cler- Lassus et Viollet-le-Duc entre sous-officier. Il participe à l’in- mont 21, puis à , pour des 1836 et 1858, et les chantiers surrection polonaise de novem- raisons qui restent inconnues. sur lesquels il a travaillé. bre 1830, et la répression russe Mais dès le mois d’avril 1836, qui suivit la reprise de Var- il a l’opportunité de retourner Le 15 janvier 1858, il est nom- sovie par le tsar en septembre à Amiens pour apprendre le mé inspecteur des travaux de 1831 l’oblige à quitter la Polo- métier de relieur. À cette épo- la rénovation du château de gne, comme plusieurs milliers que Wyganowski fut membre, Pierrefonds par Viollet-le-Duc. de ses compatriotes. Son arri- comme beaucoup d’émigrés La première année est une vée en France est rocamboles- polonais, de la Société Démo- sorte de période d’essai, car le que. Le navire prussien Wrow cratique Polonaise, fondée en 6 avril 1859 il est nommé par Elisabeth, à bord duquel il 1832 22 et plus importante orga- décision du ministre d’État et était parti vers les États-Unis, nisation politique de la Gran- de la Maison de l’Empereur, est victime d’une avarie et est de Émigration. C’est là qu’il inspecteur des travaux jusqu'à contraint de faire escale au vivra jusqu’en 1852 et qu’il se la fin des travaux, avec une Havre en janvier 1834. Les 158 tournera vers l’architecture, indemnité de 2500 francs par militaires polonais qui se trou- travaillant dans les bureaux de an, rétroactive au 1er janvier. vent à bord, d’abord mis en l’architecte du département, C’est à cette époque qu’il solli- quarantaine, sont débarqués par en mettant à profit ses talents cite son « admission à domici- des jeunes Havrais au nez et à de dessinateur. Pendant cette le » en France (l’équivalent d’un la barbe des autorités. Après période on sait qu’il travailla permis de séjour permanent), une période d’atermoiement les sur le chantier de la cathédra- à la demande de l’administra- militaires se voient affecter une le d’Amiens, et sur le chantier tion des monuments histori- destination, début mai 1834 20. de l’église de Saint-Riquier. ques, qui souhaite qu’il régu- Ils rejoignent les « dépôts », larise sa situation 23. Dans sa soumis à un régime militaire, En 1852, Wyganowski com- requête il souligne le fait que déjà constitués pour accueillir mence à travailler à Paris pour sa « position de famille et de les réfugiés polonais. Pour Jean-Baptiste Lassus, et ce jus- fortune est nulle » et sa « posi- Wyganowski, ce sera le dépôt qu’en 1857. Cette partie de sa tion exceptionnelle d’émigré politique ». Interrogé par le ministère de l’Intérieur, com- me il est de coutume, le préfet, après enquête, répond que Wyganowski ne « s’est jamais occupé de politique » et que sa « conduite morale a toujours été bonne ». En outre, « déjà in- vesti de fonctions publiques », il « paraît digne de la mesure qu’il sollicite ». L’admission à domicile de Wyganowski est donc définitivement prononcée le 22 septembre 1862. Le 20 sep- tembre 1871, il est nommé ins- Wyganowski a certainement joué un rôle encore plus important après la pecteur conservateur du châ- disparition de Viollet‐le‐Duc. On trouve sa signature sur de nombreux plans des teau de Pierrefonds, sur pro- années 1880 concernant les derniers aménagements, il pourrait en être l’auteur position de Viollet-le-Duc. Son traitement est alors de 1800 F. Détail d’un plan daté de juillet 1882, ADO, 4 Tp 58 par an.

38 Wyganowski meurt à Pier- batailles d’Ostrolenka, d’Iganie simple chef de chantier exé- refonds le 14 mai 1886, à l’âge et de Grochow 24, était formée cutant les ordres des archi- de 71 ans, dans le logement par les jeunes soldats du ba- tectes s’étant succédés sur le qu’il occupait au château dans taillon scolaire. Cette solennité chantier de Pierrefonds, dont la tour Artus, moins de cinq restera dans le souvenir, com- Viollet-le-Duc. Il faut espérer mois après l’arrêt définitif des me la plus grande manifesta- que des recherches ultérieu- travaux de restauration. Le tion qui ait jamais confondu res sur les travaux de Wyga- Progrès de l’Oise lui consacre une dans le même sentiment de nowski à Amiens puis à Paris courte nécrologie, qui témoi- sympathie et de regret, toutes avec Jean-Baptiste Lassus puis- gne de sa personnalité extra- les classes de la population sent éclairer les nombreuses ordinaire et livre au passage et tous les partis politiques. zones d’ombres qui subsis- quelques détails biographi- Pendant le service religieux, tent aujourd’hui dans la bio- ques inédits relatifs à sa car- la société musicale joua plu- graphie de celui qui semble rière militaire : sieurs marches funèbres » 25. être un personnage singulier, «Pierrefonds. Vendredi der- et qui joua un rôle important nier, nous apprenions la mort L’inventaire après-décès des dans la restauration du châ- subite de M. Wiganowski, an- biens de Wyganowski, dressé en teau de Pierrefonds. cien officier de l’armée polonai- novembre 1886 par le notaire se, aide-de-camp des généraux François de Pierrefonds 26, pré- Chlopicki et Skrzynecki 23, cède de quelques semaines la l’un des héros légendaires du vente aux enchères car, céliba- Notes soulèvement de la Pologne en taire et sans enfants, il n’a d’au- 1830. Architecte-Inspecteur des tre héritiers que ses neveux et travaux du château de Pier- nièces, qui demeurent en Po- 1 AD Oise, Fonds du château de Pier‐ refonds, M. Wiganowski, pen- logne et en Russie. Assistent à refonds, 4 Tp 1*‐120* et 1507 W 1*‐12, dant le quart de siècle qu’il la vente aux enchères quel- fonds Eugène‐Emmanuel Viollet‐le‐ vécut au milieu d’un des plus ques notables intéressés par Duc 64 J 1‐39*, fonds Lucjan Wyga‐ beaux chefs-d’œuvre de l’art l’histoire locale ou par l’archi- nowski, 65 J 1‐16. Un inventaire de ces militaire du Moyen-Age, s’é- tecture : outre les effets per- trois fonds a été publié en 2004. Voir tait créé de nombreuses sym- sonnels de Wyganowski sont Bruno Ricard, « Le fonds d’archives du pathies à Pierrefonds. Il aimait dispersés sa bibliothèque, ses château de Pierrefonds conservé aux ardemment son œuvre, et il y collections de médailles, de pho- archives départementales de l’Oise », consacrait tout son temps avec tographies, de timbres, ainsi que communication du colloque Viollet‐le‐ la passion d’un homme de des gravures et dessins qu’il a Duc à Pierrefonds et dans l’Oise, juin goût et de savoir. Les obsè- lui-même réalisés. Hérelle, pro- 2007. ques de ce vaillant patriote et priétaire à Compiègne, achète de ce ferme démocrate et phi- un exemplaire du Dictionnai- 2 AD Oise, 4 Tp 1* ‐ 4*. Volume 1 : losophe, ont eu lieu dimanche re du Mobilier Français et un 1858‐1861, volume 2 : 1862‐1866, volu‐ dernier au milieu d’un im- nommé Méresse le Dictionnai- me 3 : 1867‐1874, volume 4 : 1875‐ mense concours de popula- re de l’Architecture Française. 1885. Ces documents ont été numéri‐ tion de Pierrefonds et des Bernard, architecte en chef sés et sont disponibles sur le site environs. Le Conseil munici- des monuments historiques à internet des AD Oise. Viollet‐le‐Duc pal, les membres du Bureau Compiègne, achète un lot de avait transmis à Wyganowski ses exi‐ de Bienfaisance et la Société photographies, ainsi qu’un lot gences pour la tenue d'un journal des de Secours Mutuels, se pres- de gravures, qu’il légua à la travaux : « Sur ce journal on mention‐ saient derrière le char funèbre Société Historique de 27. nera sommairement la nature du tra‐ couvert de fleurs et de cou- Enfin, c’est le gardien du châ- vail exécuté dans la journée, la partie ronnes. Les cordons du poële teau, Ernest Harlaut, qui achè- du chantier où le travail se fait ; les arri‐ était tenus par MM. Juste te son sabre de cavalerie, der- vages de matériaux, les lettres en‐ Lisch, inspecteur général des nier vestige de son passé de voyées ou reçues, les accidents qui monuments historiques, archi- militaire… peuvent survenir sur le chantier, les tecte du château de Pierre- visites des personnes qui ont à fonds ; E. Viollet-le-Duc, chef La lecture des 4 tomes du connaître les travaux en cours d'exé‐ de bureau des monuments « Journal des travaux » de cution ». historiques ; Corroyer, archi- Pierrefonds, et les premières Le journal débute le 15 janvier 1858, tecte diocésain ; Mozet, prési- recherches biographiques sur jour de la prise de fonction de Wyga‐ dent du syndicat des entre- Lucjan Wyganowski mon- nowski. À cette date Viollet‐le‐Duc, preneurs du bâtiment. L’es- trent que ce dernier a sans « architecte du gouvernement », char‐ corte d’honneur du héros des doute été bien plus qu’un gé de la reconstruction du château de

39 Pierrefonds, se rend à Pierrefonds chantier pour faire les moissons » (26 Il s’était vu confier des chantiers ma‐ pour préparer l’arrivée de Wyganow‐ juillet 1858). jeurs de restauration, comme les ski et pour donner ses instructions cathédrales de Chartres, du Mans, de concernant les premiers travaux de 13 Les habitants avaient également la Sainte Chapelle, de Notre‐Dame et déblaiement. Les travaux débutent pris l’habitude de se servir du château des églises Saint‐Séverin et Saint‐Ger‐ effectivement le 18 janvier et Wyga‐ comme d’une décharge ! Lorsque l’ou‐ main l’Auxerrois à Paris. Jean‐Baptiste nowski arrive à Pierrefonds le 19 jan‐ bliette du château doit être dégagée, Lassus et Viollet‐le‐Duc avaient tra‐ vier. Wyganowski mentionne qu’elle est vaillé ensemble, notamment sur le remplie d’immondices et de cadavres chantier de Notre‐Dame de Paris en 3 Le journal ne contient en revanche d’animaux : « ces immondices ont été 1843. que peu de mentions d’événements jetés dans ce souterrain par les habi‐ extérieurs qui auraient pu marquer tants de Pierrefonds depuis que le 20 À ce sujet, voir notamment « Sym‐ Wyganowski. Hormis un récit détaillé château est en ruines ». L’odeur oblige pathie du peuple pour les Polonais de la guerre de 1870‐1871, on note les ouvriers à utiliser plusieurs fois par débarqués au Havre et à Marseille », l’élection de Jules Grévy (30 janvier jour de l’eau de chlore comme désin‐ Paris, 1834 ; John Barzman, Éric Saunier, « 1879) et la mort de Victor Hugo (22 fectant, avant de pouvoir continuer Migrants dans une ville portuaire : le mars 1885). Wyganowski rapporte leur tâche. Il est également possible Havre (XVIe – XXe siècle) », Outre‐mers, également quelques événements mé‐ que des habitants aient utilisé le châ‐ tome 93, n°350‐351, 1er semestre 2006, téorologiques, comme l’ouragan du 10 teau comme habitation : au début du Rouen, page 96. décembre 1872, et surtout celui du 12 journal de Wyganowski il est question mars 1876, considéré comme la tem‐ d’un ouvrier maçon « qui a habité le 21 AD Oise, dossiers des réfugiés polo‐ pête du siècle, qui abat plusieurs mil‐ château pendant 10 ans ». nais, Mp1694/2. liers d’arbres en forêt, alors que l’Oise monte de plus de 5m à Venette. 14 Marie‐Laure Berdeaux‐le Brazidec. 22 Sa signature figure d’ailleurs parmi « Viollet le Duc, les fouilles de Champ‐ les 1135 signatures au bas du manifes‐ 4 Le devis des travaux à accomplir lieu et du camp de Saint Pierre, et le te de la Société, rédigé en 1836. date de 1396. Voir Jean Mesqui, « Le dessein archéologique de Napoléon III, château de Pierrefonds, une nouvelle in Actes du colloque Viollet‐le‐Duc à Pier‐ 23 AD Oise, dossier de naturalisation vision du monument », Bulletin Monu‐ refonds et dans l’Oise, octobre 2007. de Wyganowski, Mp3233. mental, n° 166‐3, 2008. 15 Sur Vez, voir Viollet‐le‐Duc, Diction‐ 24 Jozef Chlopicki (1768‐1854) et Jan 5 Alexandre Dumas, Le Monte Cristo, naire raisonné de l’architecture françai‐ Zygmunt Skrzynecki (1787‐1860). Ce 1ère année n°20, 1857, p 305‐307. se du XIe au XVIe siècle, Tome V, article dernier était le commandant en chef « Donjon ». de l’armée polonaise pendant l’insur‐ 6 Auguste Morel, De Paris à Cologne : rection de 1830. itinéraire descriptif et historique, Col‐ 16 Revue Artistique et Littéraire, tome lection des Guides‐Joanne, L. Hachet‐ 11, 1866. 24 Il s’agit de trois des principales ba‐ te et Cie., 1864. tailles ayant opposé l’armée russe à 17 Le portrait conservé aux Archives l’armée polonaise suite à l’insurrection 7 Camille Corot, « Les Ruines du châ‐ Départementales de l’Oise comme un polonaise de novembre 1830 : Grochow teau de Pierrefonds », Musée Dépar‐ portrait de Wyganowski serait en fait le 25 février 1831, Iganie le 10 avril 1831 temental de l’Oise. le portrait de Jean Herbault, architec‐ et Ostrolenka le 26 mai 1831. te du département de la Somme entre 8 L’Intermédiaire des Chercheurs et 1849 et 1853. Ce portrait est reproduit 25 Le Progrès de l’Oise, édition du 19 Curieux, n°589, p 120, 1892. dans les Notices biographiques et obsè‐ mai 1886, page 3. ques de M. Paul Herbaut, avocat à la 9 Edmond Caillette de L’Hervilliers, Cour d'appel d’Amiens (1848‐1876) et 26 AD Oise, minutier de M. François, Le dernier siège de Pierrefonds : étude de M. Jean Herbault, architecte (1807‐ notaire à Pierrefonds, 2E58/218. La d’histoire et d’art militaires, Compiè‐ 1880), Amiens, vers 1880, p. 95‐96. vente des biens de Wyganowski est gne, 1860, p 100. Il existerait un portrait par Dupré, conservée dans la même liasse, à la photographe compiégnois. date du 21 novembre 1886. 10 Laurent Jouanne, Les environs de Paris illustrés, Paris, 1856, p 509. 18 L’architecte du département était 27 Compte‐rendu et mémoires, Comité chargé de l'exécution des travaux de Archéologique de Senlis, Société d’His‐ 11 Constant Moisand, Pierrefonds‐les‐ construction, de réparation et d’en‐ toire et d’Archéologie de Senlis, tome Ruines et Pierrefonds‐les‐Bains, Germer tretien des bâtiments appartenant 3, 1929, page 57. Ces gravures concer‐ Baillère, Paris, 1856, p 9. soit à l’État, soit au département. naient Chaâlis, Chantilly, Rully, Saint‐ Vaast‐de‐Longmont, , Morien‐ 12 « Plusieurs terrassiers quittent le 19 Jean‐Baptiste Lassus (1807 – 1857). val et Vez.

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