L'électricité Et Les Pouvoirs Locaux En France (1880-1980): Une Autre Histoire Du Service Public
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PREMIÈRE PARTIE DE LA COMMUNE À EDF : LES POUVOIRS LOCAUX de la commune à edf : les pouvoirs locaux et le ET LE PROCESSUS DE CENTRALISATION processus de centralisation (des années 1880 aux (DES ANNÉES 1880 AUX ANNÉES 1950) années 1950) Été 1951. Le secteur électrique a été nationalisé depuis cinq ans déjà. Mais il a fallu attendre cette date pour que l’un des derniers dossiers en suspens soit réglé : la question d’une gestion décentralisée du service public, via la création d’Établissements publics de distribution (EPD). Il faudrait plutôt parler d’un échec en la matière, la mise en œuvre de ces organismes pourtant prévus par le législateur ayant été ajournée après maints débats, controverses et conflits. Ce faisant, les derniers espoirs de décentralisation que pouvaient nourrir les représentants des pouvoirs locaux sont enterrés. EDF sera bel et bien « une et indivisible ». Cette issue, que les décennies suivantes ne remettront pas en cause, marque la fin d’un cycle entamé dans les années 1930 : un processus de centralisation du secteur électrique, dont la nationalisation a constitué une étape décisive. Cet épisode final, marqué du sceau d’une rivalité entre jacobins et girondins, ne saurait cependant occulter le fait que, dans sa quête de contrôle, l’État1 a largement bénéficié du soutien des pouvoirs locaux, 1 Il faut préciser dès ce stade que, pour nous, l’« État » ne doit pas être considéré comme un tout monolithique et cohérent mais comme un système d’acteurs politiques et administratifs plus ou moins autonomes, qui sont en concurrence pour définir et mettre en œuvre des politiques publiques (Crozier Michel, Friedberg Erhard, L’acteur et le système, Paris, Seuil, 1977 ; Dupuy François, Thœnig Jean- Claude, Sociologie de l’administration française, Paris, Armand Colin, 1983 ; Dupuy François, Thœnig Jean- Claude, L’AdministrationFrançois-Mathieu en miettes, Paris, Poupeau Fayard, - 9782807605725 1985). Downloaded from PubFactory at 09/26/2021 04:35:56AM via free access 28 L’électricité et les pouvoirs locaux en France (1880-1980) notamment ruraux. En effet, bien loin de le considérer comme un adversaire, un Léviathan dangereux pour les libertés locales, ces derniers l’envisagent très tôt comme un allié de poids, à même de les aider à mieux maîtriser un service public placé sous leur responsabilité, mais qu’ils sentent leur échapper. Le régime de la concession communale, qui prévaut depuis la loi de 1906 (chapitre 1), ne réduit pas les inégalités spatiales, à l’heure où la question de l’exode rural devient un sujet sensible. Certains maires s’estiment lésés par une dynamique d’électrification qui leur semble surtout profiter aux compagnies privées et aux grands centres urbains. De plus, la concurrence qui existait encore entre les premières sociétés concessionnaires tend à s’estomper, au fur et à mesure que les réseaux d’électricité s’interconnectent, que des grands groupes se forment et se partagent le territoire national (chapitre 2). S’opère ainsi un décalage entre les espaces politique (communal) et fonctionnel (national) de la régulation du service public, qui joue en faveur d’un appel à l’État, érigé en arbitre des conflits locaux. Cette sollicitation est, certes, nourrie par bien d’autres acteurs (politiques, syndicaux, etc.) que les élus locaux. Mais il convient de restituer la place que ceux- ci ont prise dans cette dynamique, et notamment le rôle décisif joué par la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR), créée en 1933 (chapitre 3). Avant- guerre, elle sait en effet œuvrer avec efficacité pour nouer des liens étroits avec les administrations qui portent l’intervention de l’État. Elle se fait force de proposition pour réformer un secteur jugé déficient, plaidant pour une nationalisation fixant un nouveau partage des compétences entre communes et État (chapitre 4). Cette influence peut se lire dans la rédaction de la loi du 8 avril 1946, qui prévoit une décentralisation de la distribution publique d’électricité, à travers les EPD. Mais cette disposition reste lettre morte, la FNCCR n’arrivant jamais à la mettre en application. Profitant d’un contexte favorable (il faut reconstruire puis moderniser le pays), EDF et l’État font obstacle et rognent un peu plus encore les prérogatives locales. L’échec des EPD sonne le glas des derniers espoirs de décentralisation (chapitre 5). Au début des années 1950, c’est bien un modèle de service public étatisé qui l’emporte, parachevant le processus de centralisation entamé au lendemain de la Première Guerre mondiale. François-Mathieu Poupeau - 9782807605725 Downloaded from PubFactory at 09/26/2021 04:35:56AM via free access CHAPITRE 1 Aux origines du service public de l’électricité : l’action communale Aux origines du service public de l’électricité : En France, comme à l’étranger1, le développement des premiers réseaux l’action communale de distribution publique d’électricité se fait à une échelle très circonscrite, Aux origines du service public de l’électricité : que l’on pourrait qualifier de « locale ». Loin d’obéir à un vaste plan l’action communale d’ensemble, cohérent et organisé par l’État, le paysage énergétique ressemble plus à un « jardin à l’anglaise », fait d’initiatives ponctuelles, menées au gré des opportunités2. L’heure est aux petits entrepreneurs, industriels, artisans ou ingénieurs à l’esprit aventurier, qui se lancent dans la quête de la « Fée électricité ». Dans le contexte d’une Troisième République naissante, qui a foi dans les vertus du progrès économique et social, ceux-ci arpentent le territoire pour équiper une grande ville ou un simple centre-bourg. Les débuts sont pour le moins ardus. Les installations de production et les réseaux sont souvent précaires, les pannes fréquentes, du fait d’une technologie mal maîtrisée. La population et les édiles sont parfois difficiles à convaincre. Malgré ces obstacles, l’énergie électrique ne cesse pourtant de progresser, finissant par conquérir à la Belle Époque une place importante dans la société. Ces origines locales marquent durablement la trajectoire institutionnelle prise par le service public de l’électricité en France. Après deux décennies d’atermoiements, le législateur le place sous la responsabilité des communes. S’inscrivant dans le mouvement de 1 Pour un aperçu des cas de l’Espagne, de l’Italie, du Japon, de la Norvège et de la Suisse, cf. la deuxième partie (« Histoire de l’électrification ») du livre dirigé par Monique Trédé (Électricité et électrification dans le monde (1880-1980), Paris, AHEF- PUF, 1992, pp. 127-303). Voir aussi Thomas Hughes (op. cit.) pour l’Allemagne, l’Angleterre et les États- Unis. 2 Caron François, « Les solutions techniques », in : Caron François, Cardot Fabienne (dir.), Histoire de l’électricité en France. Tome premier : 1881-1918, Paris, Fayard, 1991, pp. 394-399 ; Beltran Alain, « Les freins institutionnels », in : Caron François, Cardot Fabienne (dir.), Histoire de l’électricité en France. Tome premier : 1881-1918, Paris, Fayard, 1991, pp. 399-403 ; Beltran Alain, « Les débuts de l’électrification parisienne », in : Caron François, Cardot Fabienne (dir.), Histoire de l’électricité en France. Tome premier : 1881-1918François-Mathieu, Paris, Fayard, 1991, Poupeau pp. 403-410. - 9782807605725 Downloaded from PubFactory at 09/26/2021 04:35:56AM via free access 30 L’électricité et les pouvoirs locaux en France (1880-1980) décentralisation consécutif à la grande charte municipale de 1884, la loi du 15 juin 1906 fait de celles-ci les autorités concédantes de la distribution publique d’énergie. Pour autant, il ne faudrait pas se méprendre sur le sens du vote de ce texte. S’il généralise le régime de la concession, c’est aussi pour canaliser l’intervention des communes et permettre aux industriels de l’électricité de jouir d’un cadre réglementaire stable, leur permettant de gérer au mieux une activité hautement capitalistique. Le ministère des Travaux publics, qui assure la tutelle du secteur, reste certes en retrait, contrairement à d’autres domaines dans lesquels son implication est plus forte. Mais, soutenu par le Conseil d’État, il entend bien, à travers l’action des services des Ponts et chaussées et des préfets, limiter le rôle des municipalités, afin, d’une part, de garantir l’exercice d’une libre concurrence, d’autre part, de protéger les compagnies privées contre tout risque de trop forte intrusion des élus locaux. Le développement des premiers réseaux électriques Consommée à l’origine sous forme d’autoproduction, l’énergie électrique fait son entrée dans le domaine des infrastructures collectives après l’invention du « modèle Edison ». Favorisés par la reprise économique, ses usages se répandent progressivement sur le territoire national, notamment dans les villes, qui connaissent un développement considérable à la fin du XIXe siècle. Malgré ces opportunités, les premiers industriels ont cependant encore peine à trouver leur place. Ils ne bénéficient d’aucun cadre juridique clair, à même de sécuriser des investissements qui requièrent des capitaux importants. Surtout, ils doivent composer avec des compagnies gazières jouissant d’un ancrage fort dans les communes, ce qui ne manque pas de ralentir leur expansion. De l’installation privée au réseau collectif : la révolution du « modèle Edison » Déjà admirée depuis le milieu du XIXe siècle pour ses applications domestiques et industrielles3, l’énergie électrique connaît une véritable révolution dans les années 1880, avec l’apparition des premiers systèmes 3 Que célèbrent les expositions internationales, notamment celle qui se tient à Paris en 1881 (Cardot Fabienne, « Le milieu des électriciens », in : Caron François, Cardot Fabienne (dir.), Histoire de l’électricité en France. Tome premier : 1881-1918, Paris, Fayard, 1991, pp. 18-29). François-Mathieu Poupeau - 9782807605725 Downloaded from PubFactory at 09/26/2021 04:35:56AM via free access Aux origines du service public de l’électricité : l’action communale 31 techniques intégrant production et distribution. Jusque- là, les installations existantes échappaient à une logique de réseau, dans la mesure où elles couplaient un générateur à un ou plusieurs appareils utilisateurs situés à proximité immédiate.