RECHERCHES & DOCUMENTS SUR LES PAYS DE L' COLLECTION THÉMATIQUE - N°3

@ Société des Sciences Historiques et Naturelles de l'Yonne 1, rue Marie-Noël, 89000

ILLUSTRATION DE COUVERTURE : Plan et contour de la paroisse de Charbuy (1765) Archives Départementales de l'Yonne G 1688

Composition et maquette : Hervé Chevrier Dépôt légal : 1er trimestre 2000

ISBN : 2-9511836-5-8 Denise NOËL

CHARBUY, UNE COMMUNE RURALE DE BOURGOGNE AU FIL DU TEMPS

Préface de Jean-Paul D ESAIVE, Président de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de l'Yonne

SOCIÉTÉ DES SCIENCES HISTORIQUES ET NATURELLES DE L'YONNE i, rue Marie-Noël, 89000 Auxerre

ULt-20031022-43253 2003-250520

a tradition des monographies de communes, villes ou villages, est particulièrement vivace en , où elle a été illustrée par de nombreux L' travaux au XIX" siècle, dont beaucoup sous l'égide de sociétés savantes comme la Société des Sciences de l'Yonne. Si cette tradition persiste aujourd'hui, indifférente aux modes et aux changements de perspective qui ont profondément transformé l'historiographie, c'est sans doute qu'elle répond au désir qu'éprouvent les habitants de mieux connaître ou de découvrir le passé d'un lieu comme Charbuy, où certains (en minorité désormais) habitent depuis des générations, où d'autres (comme l'auteur lui- même) s'installent en nouveaux venus désireux comme on dit de « s'intégrer ».

Le travail qu'a réalisé Mme Noël s'inscrit dans cette perspective classique et ses lecteurs trouveront probablement, rassemblées dans ce livre, les principales informations qu'ils en attendent. Elles sont, en gros, de deux sortes. Pour les périodes anciennes, où il est impossible de démêler l'histoire particulière de Charbuy de l'histoire générale des pays de l'Yonne, l'auteur retrace à grands traits les caractéristiques géographiques du terroir, en insistant avec raison sur les différentes productions agricoles et notamment sur l'importance de la vigne jusqu'au phylloxéra ; de même, Mme Noël souligne le rôle économique tenu par l'élevage mais aussi par les nombreux étangs où la pisciculture était pratiquée depuis le Moyen Âge. Elle évoque succinctement l'immense Préhistoire avant d'aborder les principaux événements historiques qui ont eu un retentissement sur nos régions, qu'il s'agisse de la guerre des Gaules, des partages de l'empire carolingien, ou des luttes féodales.

L'histoire de Charbuy proprement dite ne peut commencer qu'avec les premiers textes qui concernent directement son territoire ou ses habitants : tels ceux qui évoquent, à partir du XIIe siècle, la mainmise progressive des évêques d'Auxerre sur une partie de cette paroisse rurale proche de leur ville épiscopale, l'autre étant sous la dépendance de seigneurs laïcs ; ou encore l'affranchissement des habitants soumis à la juridiction épiscopale, en 1382, imité bientôt dans la seigneurie de Ponceau (1388). L'auteur passe rapidement sur les désastres de la guerre de Cent Ans puis ceux des guerres de religion, note les conséquences démographiques du terrible hiver de 1709 et nous conduit ainsi jusqu'au cahier de doléances de la paroisse à la veille de la Révolution. L histoire de Charbuy pendant cette très longue période reste donc souvent obscure ou lacunaire. Il n'en va pas de même pour les deux derniers siècles et la véritable monographie du village et de ses hameaux ne commence qu'après la Révolution, au moment où se forme la commune et où celle-ci engendre désormais ses propres archives (délibérations du conseil municipal, recensements, impôts, cadastre, etc.). Ce sont ces documents, consultés attentivement par l'auteur, qui lui ont permis d'écrire l'histoire compliquée des écoles du village, celles du bourg et celle du hameau de Ponceau ; de retracer la carrière d'un instituteur de 1819 à 1834 ; d'évoquer la création d'une bibliothèque populaire (1876) et d'une bibliothèque scolaire ; de raconter l'abandon programmé de l'église puis sa restauration ; de suivre les étapes de la lente modernisation de la commune (poste, pompiers, chemin de fer, adduction d'eau, électrification).

Mme Noël sait, contrairement à beaucoup d'amateurs qui publient des monographies, qu'il importe de citer ses sources avec exactitude, y compris les précieuses informations recueillies oralement. Elle a eu recours essentiellement à des ouvrages imprimés, parfois vieillis, renonçant donc pour l'Ancien Régime à consulter les documents originaux qui existent en grand nombre mais qui sont d'une lecture parfois difficile. L'historien estimera pour sa part que les analyses d'actes notariés publiées par l'archiviste Forestier (1), lui auraient permis de combler au moins partiellement cette lacune, en lui fournissant beaucoup de mentions précises relatives à des lieux ou à des personnages qu'elle évoque. Ces réserves faites, il n'est pas douteux que les lecteurs de ce livre seront reconnaissants à son auteur d'avoir patiemment collecté tant d'informations jusque-là dispersées et peu accessibles, de les avoir présentées avec sobriété et une prudente réserve quand il s'agit de faits légendaires ou d'étymologies, de les avoir illustrées de nombreux documents inédits ou peu connus, bref d'avoir mis à leur disposition une utile synthèse de l'histoire de Charbuy. C'est la raison d'être de cette publication.

Jean-Paul DESAIVE, Président de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de l'Yonne

(1) Notamment : Henri Forestier, Répertoires et inventaires de fonds déposés par les Notaires de l'Yonne. Extraits analytiques des Minutes déposées aux Archives de l'Yonne par M'André Gui- mard, Auxerre, 1954, 544 p. Avant-propos

ourquoi un ouvrage sur Charbuy ? On peut s'interroger sur les motivations et sur l'intérêt d'une telle entreprise. C'est un village sans p doute comme tant d'autres, peut-être, mais c'est le mien et je m'y chez moi. Du fait des vicissitudes de l'Histoire, ma famille possède une maison dans le village depuis quatre décennies et mes parents reposent en terre de Charbuy. À la fin de ma vie professionnelle, j'ai fait le choix de venir complètement vivre ici - si Dieu le veut - « le reste de mon âge ». Ainsi donc, si je ne suis pas Charbuysienne par aléa de naissance, je le suis par choix et de cœur. Par ailleurs, plus de quarante années de recherche scientifique, même si c'était dans une discipline différente de celles mises en jeu dans cet ouvrage, m'ont accoutumée à la recherche documentaire, à l'élaboration de synthèses et m'ont ouvert l'esprit aux perspectives de l'Histoire. Cela étant, j'ai donc eu envie de mieux connaître le village, de rechercher ce qu'il fut et comment il traversa le temps, sinon l'Histoire. À travers l'histoire d'un village comme Charbuy, une commune rurale de Bourgogne parmi tant d'autres, on prend conscience - de façon plus concrète qu'avec de longs développements - de la formation de notre identité française et de ses avatars, au fur et à mesure des changements politiques et du développement technologique. À ce titre, la baisse, sinon l'effondrement de l'activité rurale, est un phénomène tout à fait frappant à Charbuy et peut être représentative de nombreuses autres aires de la campagne française.

D'où viennent les renseignements que l'on trouvera dans cet ouvrage ? Les sources qui se sont révélées abondantes peuvent être hiérarchisées. Le premier groupe de sources a fourni des données directes : ce sont les Archives départementales, collection impressionnante de textes manuscrits (pour les plus anciens) qui relatent les actions, les espoirs, les soucis et les préoccupations des gens d 'anta-n. Mais en plus des faits eux-mêmes, l'état brut de ces relations traduit l atmosphère de leur époque, la mentalité, parfois aussi la naïveté des narrateurs. À ce titre, leur consultation et leur prise en compte sont indispensables. Notons, au passage, que l ensemble de ces documents constituerait une masse hétérogène et difficilement exploitable sans le labeur immense et remarquable des archivistes qui les ont si judicieusement classés et auxquels il convient de rendre hommage. Entrent dans ce groupe les registres de catholicité ou registres paroissiaux qui pour Charbuy existent depuis 1550, les registres d'état civil qui ont enregistré, au fil du temps, les battements de la vie des habitants, en donnant parfois de précieuses précisions sur les acteurs des événements. Entrent également dans ce groupe les registres des procès-verbaux des assemblées municipales qui ont conservé des traces de la vie communale depuis la création de la commune en 1790. Ils fourmillent de renseignements sur les hommes, les décisions, les difficultés, les projets et les réalisations qui ont fait le village d'aujourd'hui. Chaque fois que cela a été possible, j'ai retranscrit ces documents ne varietur, avec leur orthographe, leur syntaxe, éventuellement leur absence de ponctuation qui les rendent plus vivants et parfois même émouvants. Le second groupe de sources se trouve dans les ouvrages historiques et dans les ouvrages de synthèse ou dans des articles consacrés à un thème particulier (coutumes, cultures, impôts, vie rurale, vie religieuse, etc.). Ce sont en quelque sorte des renseignements « au second degré » parce qu'ils découlent de faits et documents au préalable choisis et interprétés par un auteur. Ces ouvrages ont été d'une consultation précieuse, surtout dans la partie historique, parce qu'ils récapitulent et ordonnent, à une grande échelle, de très nombreuses données, pas toujours directement accessibles à un non spécialiste.

Dans cette moisson de données, il m'a fallu à mon tour faire un choix, le choix d'une mise en ordre suivant un plan qui découpe l'ouvrage en plusieurs centres d'intérêt. Le fil conducteur était de montrer divers aspects de la vie du village au cours du temps. La tranche de temps est fort grande puisqu'elle s'étend de la préhistoire à l'époque récente, mais les différents chapitres ne se situent pas tous dans la même tranche de temps. Ceci par goût personnel et par choix, dont je vais dire quelques mots. Certains sujets traités dans la première partie, consacrée à la géographie humaine, peuvent aller jusqu'à l'époque actuelle, parce qu'ils permettent de mettre en lumière les nombreux changements qui ont affecté le village dans son contexte géographique et sa ruralité originelle. La deuxième partie, essentiellement historique, ne va pas au-delà de la Révolution et s'arrête à la formation de la commune de Charbuy. Non pas parce qu'il n'y a plus rien d'intéressant à relater après cet événement mais parce que la Révolution et ses séquelles ont entraîné de profonds changements dans la société, dans ses structures et ses mentalités, qui jusque-là étaient restées, somme toute, relativement stables et homogènes. Les différents régimes qui se succéderont ensuite, continueront de façonner ce qui est notre société actuelle, mais c'est une tout autre histoire que je laisse à d'autres le soin d'écrire. La lecture de cette partie historique peut donner l'impression d'une suite ininterrompue de malheurs, guerres, disettes, bref un tableau assez noir de ces temps. Mais il ne faut pas perdre de vue les points suivants. D'une part, en milieu rural, seuls les malheurs, les guerres, les disettes ont été sources d'archives et de documents abondants. Notons qu'il en est bien de même aujourd'hui : chacun peut remarquer que « la une » des journaux est, la plupart du temps, faite d'événements dramatiques. Les temps de paix, les jours « sans histoire », la tranquillité, la douceur de vivre ne fournissent malheureusement pas autant d'éléments remarquables propres à jalonner le temps et, par là, à entrer dans l'Histoire. Comme dit si bien la sagesse populaire : « Les gens heureux n'ont pas d'histoire ». D'autre part, dans la tranche de temps considérée ici, qui couvre plusieurs siècles et est esquissée en quelques pages, il est inévitable que les événements dramatiques qui se succèdent comme autant de jalons pour scander le temps, donnent l'impression d'un enchaînement ininterrompu de catastrophes. Leffet de raccourci et de perspective aggrave incontestablement cette impression. Enfin, il ne faut pas oublier que nous apprécions les faits historiques à l'aune de notre propre sensibilité et avec les repères de notre temps. Même si l'on essaie pour jauger les faits de les replacer dans leur contexte, celui-ci est encore le fruit de nos lectures, de notre culture, de nos idéologies, voire même des modes. En quelque sorte, il est quasiment impossible, en toute bonne foi, d'être parfaitement objectif.

Dans la troisième partie, les chapitres consacrés à l'église vont de ses origines à l'époque actuelle. Ce n'est pas seulement la description de l'édifice tel que nous pouvons le voir aujourd'hui et ses heurs et malheurs au cours du temps, ce sont aussi des données sur l'Église en tant qu'institution. Que la France soit une terre de vieille chrétienté est un fait historique et culturel que l'on ne peut nier. L'Église a contribué à façonner la trame de notre civilisation et même, à plus petite échelle, nos structures administratives. Ainsi, les limites de la commune de Charbuy, créée en 1790, furent totalement calquées sur celles de la paroisse antérieure. Pour l'instruction primaire, les écoles, le fonctionnement scolaire, deux tranches de temps ont été privilégiées : d'une part, les tentatives et les réalisations ante- révolutionnaires dont on ne mesure pas toujours l'importance et les efforts qu'elles nécessitaient et, d'autre part, la mise en place progressive de l'école obligatoire, gratuite et son fonctionnement. Les péripéties liées à la construction d'un bâtiment abritant la maison d'école et la mairie, puis son agrandissement ont également été relatées : cette mairie-école fonctionne toujours dans le village. Le chapitre consacré au fonctionnement scolaire ne va pas au-delà des premières années du XX' siècle, malgré les changements fondamentaux intervenus depuis dans l'instruction primaire. Sans les étapes intermédiaires de ces changements, peut-être mesurera- t-il plus aisément le chemin parcouru jusqu'à aujourd'hui, dans cette entreprise.

Avec la quatrième partie de l'ouvrage portant sur la modernisation de la commune, ce sont les facilités et aménagements modernes, poste, pompiers, chemin de fer, adduction d'eau, électrification qui sont considérés. Ils se rapportent à notre XX" siècle ; pour certains mêmes aux décennies de la seconde moitié de ce siècle. Il est incontestable qu'ils ont profondément joué dans la structure et l'évolution du village.

Ainsi donc ce n'est pas une tranche de temps identique pour les différentes parties de l'ouvrage qui a été prise en compte, mais le souci de retenir chaque fois ce qui m'a semblé important, significatif et parlant pour l'histoire et l'évolution du village. Mais l'ouvrage n'a nullement la prétention d'avoir épuisé le sujet.

Comme je le disais au début de cet avant-propos, j'ai donc eu envie de mieux connaître le village dans lequel je vis, de rechercher ce qu'il fut et comment il traversa le temps, sinon l'Histoire. Et puis de faire connaître tout cela à autrui. Il est à la mode de parler de patrimoine et de sa conservation. La première étape, me semble t-il, est d'identifier ce patrimoine et de prendre conscience de sa valeur, historique autant que sentimentale. C'est ce que j'ai cherché à faire et à transmettre. Bien plus qu'une commune, simple unité administrative, un village est une structure ancienne, à l'origine un regroupement de maisons, avec bien sûr son église, sa mairie et son école mais surtout avec son histoire que l'on peut déchiffrer plus ou moins loin dans le temps. Le village de Charbuy plonge ses racines dans au moins treize siècles d'histoire qui ont façonné ses particularités aussi bien que ses paysages. Dans les différentes parties de l'ouvrage, par souci de rigueur, je me suis efforcée de présenter les faits sans y adjoindre les réflexions personnelles qu'ils pouvaient susciter en moi. Quelques-unes de ces réflexions font l'objet d'une postface, à la fin du livre.

Je souhaite aux lecteurs de cet ouvrage un plaisir aussi grand que celui que j'ai eu à l'écrire. REMERCIEMENTS

Nombreux sont ceux qui, à divers titres, m'ont aidée. Dans la recherche des données, il me faut tout d'abord remercier dans son ensemble le personnel des Archives départementales, pour les multiples liasses d'archives qu'il a mises à ma disposition mais aussi pour son aide, quelquefois, dans la consultation des inventaires et des catalogues. À la mairie de Charbuy, le personnel du secrétariat : Béatrice Boursin et Élizabeth Faget, ainsi que le garde-champêtre, Jean-Michel Dominczak, ont toujours, avec beaucoup de gentillesse et avec le sourire, satisfait mes demandes de consultations d'archives. M. l'abbé Maurice Gruau, curé de Charbuy, ainsi que sœur Jeanine, ont mis à ma disposition des archives, ainsi que des photographies anciennes de la paroisse. J'ai beaucoup exploité les grandes richesses de la bibliothèque de la Société des Sciences historiques et naturelles de l'Yonne. J'y ai pleinement apprécié la compétence, l'amabilité et la disponibilité de son archiviste Hervé Chevrier qui m'a parfois fait connaître des travaux sur Charbuy avant même que je ne les recherche, me faisant ainsi gagner un temps précieux. J'y ai eu aussi des conversations fort intéressantes avec Jean-Pierre Rocher, pendant et après son mandat de président de la Société. Je le remercie en outre pour les documents qu'il a bien voulu me communiquer sur le château du Rosaire.

Pour l'illustration de l'ouvrage, je suis grandement redevable au colonel Jean Frappé, qui a fort aimablement mis à ma disposition sa collection de cartes postales anciennes sur le village. Mme Paulette Amar, M. et Mme R. Bachelet de , M. Breton de Ponceau, Mme A. Chapalain, M. J.-L. Salomé ont bien voulu mettre à ma disposition des documents de leurs archives familiales, que l'on retrouvera dans l'illustration. Les dessins ont été faits par Agate Cambreleng dont j'ai amplement utilisé et apprécié les talents de dessinatrice au cours de ma carrière scientifique et qui, encore après mon départ du laboratoire, a accepté, avec sa gentillesse habituelle, de mettre au propre mes schémas et dessins. Les photographies de Charbuy d'aujourd'hui sont dues essentiellement à Mireille Brion ; quelques-unes à Anne-Marie Mangin, venue me rendre visite et que j 'ai mise à contribution ; enfin, à la courtoisie de Mme Anne-Bénédicte Clert, conservateur délégué des Antiquités et objets d'art, qui a bien voulu m'autoriser à utiliser des photos de sa collection. Merci aussi à Monique Damy et à Marie-France Ragon de l'équipe des bénévoles de la bibliothèque qui se sont intéressées à mon travail et m'ont encouragée. Avec Robert Carré, un ancien de Charbuy, j'ai eu des conversations toujours intéressantes du fait de sa mémoire et de son érudition. J'ai aussi beaucoup apprécié son aide dans la consultation des anciens cadastres qu'il connaît fort bien. C'est lui également qui a permis de retrouver des photographies peu connues, telles le marché de Charbuy et la chapelle Sainte-Anne de Ponceau. Je dois des remerciements particuliers au colonel Georges Bonnerue, maire de Charbuy pendant plus de vingt ans et maire honoraire de la commune. C'est en partie la lecture de ses articles sur l'histoire locale, parus pendant des années dans « Liens », le bulletin municipal qu'il a créé, qui a éveillé mon intérêt sur l'histoire du village. Je le remercie aussi d'avoir bien voulu relire mon manuscrit. Ma reconnaissance va également à François Bonjour, à de multiples titres : pour son intérêt et son encouragement amical qui ne se sont jamais démentis, pour son aide précieuse dans le prêt d'ouvrages anciens de sa bibliothèque, et aussi d'ouvrages récents qui lui paraissaient pouvoir m'être utiles, pour les discussions que nous avons pu avoir sur Charbuy qu'il connaît si bien, pour sa participation à l'illustration, enfin pour le soin qu'il a mis à relire mon manuscrit et à y apporter des corrections pertinentes. La liste est longue et pourtant incomplète et c'est très sincèrement que je le remercie.

Il me faut enfin remercier Georges Busson. Dès le début de mon projet, il m'a vivement encouragée à le réaliser. De très nombreuses années de recherches en commun, nous avons gardé l'habitude de relire nos textes respectifs : cette fois encore, il n'a pas manqué de relire mon manuscrit, d'en discuter la teneur et la présentation, y apportant ainsi des retouches tant sur le fond que sur la forme.

À tous, je dis un grand merci.

Charbuy, le 12 juillet 1999. cette pierre est légèrement concave à sa partie supérieure. Son origine a fait l'objet d'hypothèses diverses. Du fait de sa surface supérieure concave, on a déduit qu'elle avait été taillée pour les sacrifices humains ! Une légende raconte aussi que le cheval de saint Martin y aurait posé son sabot, et ainsi laissé son empreinte. Plus prosaïquement, P. Larue (1910) y voit simplement un gros bloc de grès, trop dur, trop lourd et trop loin des centres pour être débité ou emporté. Sa situation au milieu des bois a pu par la suite lui donner de l'importance comme borne et lieu de rendez-vous. Au sud-ouest, Charbuy est limitrophe de la commune de Saint-Georges-sur- Baulche ; au sud de celle de ; à l'est de celles de Poilly-sur-Tholon et de Fleury-La-Vallée.

Depuis le 27 février 1991, la commune fait partie du canton d'Auxerre-Nord. Sa superficie est de 2 340 hectares dont un millier d'hectares de bois. Une ving- taine d'hectares appartiennent à la commune.

Charbuy se compose de dix-sept hameaux : Beaurepaire, Les Bois de Charbuy, Le Bourg, Brécy, La Bretagne, Chaumois, Les Courlis, Le Cul du Four, La Gruère, Les Gueudins, Le Placeau, Ponceau, Les Ragons, Riot, la Valette, Les Varennes, Vieux-Champs (voir fig. 11-1 ). Ces hameaux étaient jadis - et encore jusqu'à une époque récente -, relativement distants les uns des autres, ce qui explique les 64 kilomètres de voies que compte la commune. Cette répartition de l'habitat n'était pas due au hasard. Elle reflétait la nature du sol de Charbuy qui, comme nous le verrons ci-après dans l'esquisse géologique, repose sur des sables d'âge albien, im- bibés d'eau douce exploitable. Sur ces sables albiens, où chaque maison pouvait posséder son puits, les habitations étaient espacées. Ainsi, en 1910 (1), sur une population qui comptait 1 125 habitants, 69 habitants, soit 6 % seulement, cons- tituaient une population « agglomérée » ; les 1 056 autres habitants formaient un habitat « épars », disséminé dans une quarantaine d'écarts. Cette dissémination des habitations ne donnait pas à la commune l'aspect de bourg que l'on trouvait, à la même époque, sur les calcaires des affleurements jurassiques, où les maisons étaient entassées irrégulièrement autour de la source ou autour du puits qui ali- mentaient le village.

Tout en conservant, fort heureusement (mais pour combien de temps encore ?) un certain caractère rural, le village a beaucoup changé au cours des dernières décennies. Lessor de l'urbanisation qui estompe de plus en plus les grandes lignes et la logique de la répartition originelle de l'habitat, a notablement modifié la structure de la commune. Au fil des ans, la commune s'est dotée d'équipements

(1) Larue (Pierre), « La vallée de Beaulche », Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de l'Yonne, 1910, p. 166. Fig. L-l- PLAN ET CONTOUR DE LA PAROISSE EN 1765. (in G. Petit, BSSY1913).

Les maisons figurées à Ponceau, La Chaineaux, Vieux-Champs et l église portent des girouettes, moyen conventionnel d'indiquer les seigneuries puisque seuls les seigneurs avaient le droit d'en placer sur leurs demeures. Onze des hameaux de Charbuy sont situés : Ponceaux, Vieux-Champs, Brécy, Chaumois, Beaurepaire, Le Placeau, Charbuy (pour le Bourg), Les Ragons, Riot, Les Bois et Le Cul du Four. modernes : bureau de poste (1902), chemin de fer d'intérêt local (1915) - qui n'a perduré qu'une trentaine d'années -, distribution de l'électricité (1927), et de l'eau dans toutes les maisons (1967), etc.. Les anciens du village se souviennent certainement de la vie d'antan et de la mise en place de ces équipements. Tout cela est de mémoire d'homme. Mais le village a aussi une histoire qui remonte très loin dans le passé. Et, à notre époque où tout change et se transforme si rapidement, le but des pages qui suivent a été de recenser et de synthétiser des données se rapportant à Charbuy dans différents domaines et qui en retracent l'évolution. Les documents utilisés sont d'origine très diverse. Leur prise en compte s'accompagne toujours de leurs références, ce qui relève de la plus élémentaire correction à l'égard du lecteur mais ce qui est aussi une façon de rendre hommage à tous ceux qui - à des titres divers - ont contribué à nous laisser des traces de notre histoire.

LOUVRAGE COMPORTE QUATRE PARTIES.

1 - La première donne un aperçu géographique de la région de Charbuy, avec des chapitres successivement consacrés à la toponymie, à une esquisse géologique, et à divers renseignements de géographie humaine (population, habitat, cultures, élevage, étangs, etc.). II - La seconde partie est un aperçu historique de la Préhistoire à la Révolu- tion. Les renseignements que nous avons pu recueillir sur Charbuy ont été scindés en quatre chapitres : de la Préhistoire au Moyen Age ; le Moyen Age et la Renais- sance ; la Monarchie Absolue ; la mise en place des unités administratives locales. III - La troisième partie concerne la communauté religieuse et la communauté laïque avec leurs patrimoines et leurs rôles : l'église, les presbytères, les cimetières mais aussi les monuments disparus comme le château de Beaurepaire, la chapelle Sainte-Anne et la chapelle Saint-Médard. Cinq chapitres de cette partie sont con- sacrés à l'école, en tant qu'institution et à travers ses différents bâtiments. Le der- nier chapitre est dévolu au château du Rosaire, entré en 1987 dans le patrimoine de la commune. IV - La dernière partie retrace la modernisation du village : les pompiers ; la poste ; le chemin de fer d'intérêt local ; l'électrification ; l'adduction d'eau ; les chemins du village et la dénomination des rues. L ouvrage se termine par différentes annexes rappelant les différents régimes politiques successifs, avec leurs maires ; les noms de quelques maîtres d'école jus- qu'au début du XIXe siècle ; ceux des notaires ; de quelques curés ; enfin des noms de paroissiens inhumés dans l'église avant la Révolution.

Les mots marqués d'un astérisque (*) renvoient à un glossaire sommaire. PREMIÈRE PARTIE

TOPONYMIE

es noms de lieux, dont l'orthographe a varié au fil du temps avant d'être fixée telle que nous la connaissons, ont une origine qu'il n'est souvent L fpas aisé d'établir en toute certitude. En règle générale, l'eau, la nature et le relief, les animaux, les végétaux, le mode d'habitation, les noms de personnes, la religion ont servi à former les noms qui désignent les lieux. Parfois même peut-on trouver dans la littérature différentes hypothèses pour expliquer l'origine d'un même nom.

Que nous savons-nous de Charbuy et du nom de ses différents hameaux ?

Charbuy est mentionné pour la première fois, semble-t-il, au VIle siècle, sous le nom de Carbaugiacus, dans un texte sur la vie de saint Tétrice (2) (voir ci- dessous la partie historique).

VARIANTES ORTHOGRAPHIQUES

Deux raisons permettent vraisemblablement d'expliquer les variantes ortho- graphiques du nom de Charbuy que l'on rencontre dans divers documents : d'une part, l'observation de la syntaxe latine (forme déclinée des mots) pour ce qui est des textes écrits en latin ; d'autre part, pour les textes postérieurs en français, les aléas de la transcription phonétique du nom par des scribes plus ou moins culti- vés.

Voici les différentes orthographes relevées :

- Charbuie, dans une charte (3) (entre 1172 et 1187) concernant un échange de (taillis) entre Dreux de Mello et l'abbé de Saint Germain (Guillelmus

(2) Gestapontificum Autissiodorensi«um, (ouvrage qui relate la vie des évêques successifs d'Auxerre) in Abbé Lebeuf (Jean), Mémoires concernant l'histoire civile et ecclésiatique d'Auxerre et de son ancien diocèse avec additions et annotations par Challes et Quantin, t. 1, 1848, p. 166-167. (3) Quantin (Maximilien), Cartulaire général de l'Yonne, Société des Sciences Historiques et Naturelles de l'Yonne, t. 2, 1860, p.263. de Charbuie est cité comme témoin ; c'était l'évêque d'Auxerre, Guillaume de ) ; - Charbuiacum au XIIe siècle (4) ; - Charbuia, dans une charte (5) de Guillaume I, comte de , pour l'ab- baye Saint-Julien d'Auxerre, en 1180 (Willelmus de Charbuia est cité comme témoin, c'est ici encore l'évêque d'alors) ; - Charbuiam, dans une charte (6) du baron Itier de Toucy pour l'évêque d'Auxerre, en l'an 1200 ; - Charbuiaco, en avril 1223, dans la relation (7) d'un différend, (au sujet du droit d'usage dans les bois de Montboulon), entre l'Abbaye de Saint-Marien et les habitants de Charbuy ; - Charbui, en 1281, dans la confirmation par le roi d'un échange (8) de serfs entre Humbert de Beaujeu, connétable de France et sa femme Isabelle, comtesse de Joigny, d'une part et le Chapitre d'Auxerre d'autre part ; - à nouveau Charbuiacum, cité vers 1290 dans « l'état du revenu de l'évêché d'Auxerre » (9). La charte d'affranchissement des habitants de Charbuy (10) par Guillaume d'Estouteville, en 1382, mentionne Cherbui.

On trouvera encore Charbuyacum, au XVe siècle, Cherbuy (11) en 1595, Charbuys et aussi Charbuis, en 1784, dans un procès-verbal de bornage* entre les « dixméries » (c'est-à-dire les territoires assujettis au paiement de la dîme) de Charbuy (pour Ponceau) et de Fleury (12) ; Charbuy dans le « Cahier des doléan- ces des manants de Charbuy » envoyé aux États généraux de 1789 (13).

HYPOTHÈSES SUR L'ORIGINE DU NOM DE CHARBUY

Diverses interprétations ont été avancées. Nous les citons sans prendre parti, ce qui n'est pas de notre compétence.

(4) Quantin (Maximilien), Dictionnaire topographique du département de l'Yonne, 1867, p. 29. (5) Quantin (Maximilien), Cartulaire général de l'Yonne, 1860, t.2, p. 307. (6) Ibid, t.2, p. 511-512. (7) Quantin (Maximilien), Recueil de pièces pour faire sutte au cartulaire général de l'Yonne, t. 3, 1873, p. 129 (8) Ibid, t.3, p. 361-363 (9) Lebeuf (Abbé), Mémoires concernant l'histoire civile et ecclésiastique d'Auxerre et de son ancien diocèse, t. 4, p. 138 (pièce n°238). (10) Ibid, t.4, p. 208 (11) Quantin (Maximilien), Dictionnaire topographique, p. 29. (12) A.D.Y. G 1687. (13) Demay (Charles), « Cahiers des paroisses du bailliage d'Auxerre pour les États Généraux de 1789 », Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de l'Yonne, 1884, p. 175- 180. D'après Max. Quantin (14), Charbuy, qui, comme nous l'avons vu, se nom- mait Carbaugiacus à l'époque carolingienne, tirerait son nom d'un nom d'homme germanique, Chariabaudes, auquel aurait été adjoint le suffixe -iacum.

Dans l'ouvrage « LYonne » (15), on lit que les noms terminés en y (iacum dans les formes latinisées), seraient d'origine gallo-romaine. La toponymie tradition- nelle a voulu voir dans ces noms répandus un peu partout le souvenir de proprié- taires gallo-romains. Cette théorie a été remise en question au XIX' siècle par Arbois de Jubainville (in G. Taverdet) (16), qui pensait que « la solution anthroponymique est souvent une solution de paresse : quand on n'arrive pas à trouver une étymologie satisfaisante, on invente un nom d'homme... »

On trouve également d'autres hypothèses, que nous rapportons ici bien qu'el- les nous paraissent très particulières et peu crédibles. Ainsi, Robineau-Desvoidy, auteur d'une « Etymologie celtique de lYonne », « ouvrage d'un sceptique justifié vers 1850 », (17) croit voir dans Carbaugiacus la combinaison de quatre mots celtiques : car, char, chair, viande ; bau, bo, vache ; gi, ruisseau ; ac, pays : « ce qui ferait : pays de la rivière qui nourrit les vaches, ou pays de la rivière à la viande de boucherie ».

Prot (18), dans ses « Recherches sur les étymologies des noms de lieu dans l'Yonne », vers 1890, manuscrit de la fin du XIXe siècle, très complet mais arrêté à la lettre U) propose pour étymologie les mots cail, cal, chaille (celtique), bois, forêt et bangium, mot de basse latinité qui dérive aussi du celtique baud ou bod et signifie huttes. Carbaugiacus signifierait donc huttes, cabanes, demeures près de la forêt ou dans la forêt ?

INDICATIONS TOPONYMIQUES SUR LES HAMEAUX DE CHARBUY

Lancienneté des différents hameaux de la commune est très variable, du moins si l'on se réfère aux documents d'archives disponibles. Comme nous le verrons ci- dessous, des dates précises ont été retrouvées pour Riot (820), Brécy (1140), Pon- ceau (1213), Vieux-Champs (1561), Les Varennes (1668). Un plan de la paroisse

(14) Quantin (Max.), Dictionnaire topographique du Département de l'Yonne, 1862, p. XIX. (15) Bataille (Alain), Dubie (Pascal) et al., L'Yonne, éd. Bonneton 1992, p. 195. (16) Taverdet (Gérard), Noms de lieux en Bourgogne, 1994. (17) Moiset (Charles), « Origine du nom des communes du département de l'Yonne, Arrondis- sement d'Auxerre », Annuaire de l'Yonne, 1892, p. 14. (18) ibid, p. 14. de 1765 (fig. 1-1) mentionne, en outre, les noms de Beaurepaire, Les Bois, Chaumois, Le Cul du Four, Le Placeau, Les Ragons où des habitations sont figu- rées. En 1791 lors de la division de la commune en sept sections (voir ci-dessous), on trouve mention de La Grande Bretagne et du Bourg.

Comme cela a été dit plus haut sur un plan plus général, d'après Larue, (19) les noms de lieux tirent donc généralement leur origine de noms de végétaux, d'animaux, de type d'habitation, de noms de personnes, de la nature du sol ara- ble, etc. Nous retrouvons dans notre commune des origines de ces différents ty- pes.

NOMS DÉRIVÉS DE VÉGÉTAUX.

La Gruère serait ainsi la déformation du mot bruyère (qui s'est écrit bruère) (20), le terme ne désignant pas la plante elle-même mais les sols recouverts par celle-ci. Le nom de Chaumois viendrait des graminées qui se développent dans les friches. On retrouve la même interprétation dans Dauzat et al (2 1) : le nom de Chaumois ou Chaumoi proviendrait sans doute de l'ancien français chaumart, c'est-à-dire terre inculte, jachère, mot dérivé de chaumes (du latin calamus).

NOMS DÉRIVÉS D'ANIMAUX.

Les Courlis aurait pour origine le nom d'un oiseau qui niche dans les bruyères et les marais.

NOMS DÉRIVÉS DE LHABITATION.

Dans le désert des bruyères de Charbuy, la moindre chaumière pouvait cons- tituer un Beau-Repaire. La maison de culture et les champs étaient fréquemment entourés de haies et de clôtures, d'où, par analogie avec La Cour, ancien centre de Perrigny, on retien- dra cette hypothèse pour Le Placeau.

(19) Larue (Pierre), « La vallée de Beaulche », Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de l'Yonne, 1910, p.179. (20) A.D.Y.G 1687, extrait du terrier en 1614. (21) Dauzat (A.), Dubois (J.) et Mitterand (H.), Dictionnaire étymologique, édition Larousse, 1993. NOMS DÉRIVÉS DE NOMS DE PERSONNES.

Au XVIe siècle, une sorte de cadastre fut établie et alors fut donné aux ha- meaux les noms des familles qui les occupaient : Les Ragons sont peut-être dans ce cas. C'est en effet le nom d'une très ancienne famille du village : la charte d'af- franchissement de 1382 mentionne le nom de Jehennin Ragon parmi les affran- chis. Pour Dauzat et al. (op. cit.), Les Gueudins pourraient tirer leur origine des Goths, la plupart des localités de ce nom désignant des colonies de barbares de l'empire romain. Mais on peut aussi y voir le nom d'une famille très ancienne dans la commune, au moins depuis la fin du XVe siècle (22).

On trouve une autre explication dans Quantin (23) qui remarque le grand nombre de hameaux dispersés dans les campagnes boisées ou bocagères. Il pense que la plupart de ces lieux tirent leur origine des concessions de portions de leurs domaines faites par les seigneurs féodaux à des particuliers moyennant des rentes foncières et à cens*, et à charge d'y bâtir une ou plusieurs maisons. La Révolution de 1789, en déclarant remboursées toutes les rentes entachées de cens, a rendu tous ces possesseurs propriétaires des terres qu'ils cultivaient, de père en fils depuis deux ou trois siècles. Les hameaux porteraient ainsi le nom de leurs premiers possesseurs, dont le nom s'écrit au pluriel. À Charbuy, Les Ragons sont peut-être de ceux-là.

Brécy s'est nommé Brici en 1140 (abbaye Saint-Marien d'Auxerre), Briacum (24) en 1200. La forme Brecciacus ou Bricciacus signifie le domaine de Breccius ou Briccius, nom celtique très répandu. Pour Louis et Porée (25), il est probable qu'à l'époque des invasions le propriétaire Breccius dut partager ses terres avec le Ger- main Chariabaudès qui fonda Charbuy.

NOMS DÉRIVÉS DE LA NATURE DU SOL.

Il en est ainsi pour Les Varennes, (on trouve mention de ce hameau, en 1668, dans les registres paroissiaux), dont le nom pourrait avoir pour origine celui de « varennes » que l'on donne parfois aux terres constituées par des sables grossiers plus ou moins colorés (26). Nous verrons en effet, dans l'esquisse géologique, que la région de Charbuy se trouve sur des sables d'âge albien.

(22) A.D.Y. 5 MI 238, registres paroissiaux. (23) Quantin (Max.), Dictionnaire topographique du Département de l'Yonne, 1867, p. XIX. (24) Quantin (Max), Cartulaire général de l'Yonne, t.2, 1860, p.54. (25) Louis (Louis) et Porée (Charles), Le domaine de Regennes et . Histoire d'une seigneu- rie des évêques d'Auxerre du V siècle à la Révolution, 1939, p. 59, note infra n04 (26) Larue (Pierre), op. cit., p. 116. NOMS AYANT LEAU POUR ORIGINE.

Ce serait le cas de Riot - qui s'est successivement écrit Rivus en 820 (27) ; Ruot en 1113, Reau en 1645 (Chapitre d'Auxerre). Son nom serait lié à la présence du ru (rivus) du Ravillon.

On peut avancer une autre hypothèse suggérée par la lecture d'un ouvrage sur un village de l'Étampois, Ormoy-La-Rivière (28). Les auteurs écrivent que « lors- que la vigne est plantée en rangées, les espaces entre les rangs sont alternativement plus ou moins larges. Ils sont dénommés tables et riots (ou riaux ou réaux). On ne marche que dans les riots ». À Charbuy, de la vigne a bien existé dans ce secteur puisque le cadastre actuel de la commune comporte les « vignes de Riot ».

AUTRES RENSEIGNEMENTS TOPONYMIQUES.

Dans Larue (op. cit, p. 180), le nom de l'étang des archis serait lié au défriche- ment qui s'opère d'abord en arrachant les broussailles, les arrachis.

L'étang des murs ou des meurs, cette alternative, indiquée dans un arpentage de 1560 (aux Archives départementales de l'Yonne), conforte l'étymologie à partir de murs (voir le château de Beaurepaire).

(27) Quantin (Max.), Cartulaire général de l'Yonne, t.l, 1854, p.32. Lempereur Louis le Débon- naire confirme la donation de faite par l'évêque d'Auxerre Angelhelme à ses cha- noines sauf Lindry, Lupin, Rivus que l'évêque se réserva. (28) De Wever (Patrick et Marie-José) et Duclos (Jean-Louis), Ormoy-La-Rivière, un village de l'Étampois, 1990. ESQUISSE GÉOLOGIQUE

1 - LE CADRE GÉNÉRAL

Le département de l'Yonne se situe dans le sud-est du Bassin de Paris qui fut une vaste cuvette où s'accumulèrent, sur un socle hercynien fait de roches cristal- lines de l'ère primaire, des couches successives de sédiments, déposés pendant l'ère secondaire et l'ère tertiaire, soit pendant près de 200 millions d'années. Du fait de l'érosion, les différentes couches de sédiments affleurent mainte- nant en auréoles concentriques. Les couches les plus anciennes reposent sur le socle hercynien et affleurent à la périphérie du bassin parisien. Ces roches primai- res se trouvent, pour ce qui concerne le département de l'Yonne, dans le Morvan. Les sédiments plus récents, secondaires et tertiaires, occupent le centre du bassin et affleurent dans notre micro-région. C'est précisément la variété des terrains qui entraîne la diversité des reliefs et des paysages, de la végétation naturelle et des cultures.

2 - LA SÉRIE GÉOLOGIQUE

Les données qui suivent sont tirées - sauf mention d'autre référence - de la carte géologique au 1/50 000, feuille Auxerre (1957). La notice explicative a été rédigée par Claude Mégnien. (fig. 11-1). Cette carte - comme toutes les cartes géologiques - indique l'extension des différentes formations géologiques mises en place au cours de l'histoire de la terre et, aujourd'hui, le plus souvent recouvertes par les sols et la terre arable. Fig. II - 1- CARTE GÉOLOGIQUE SIMPLIFIÉE DE CHARBUY , d'après la carte géologique au 1150 000, feuille Auxerre 1957.

Pour des nécessités de reproduction, les couleurs de la carte géologique ont été remplacées par des figurés. Il est aisé de constater que le sol de la plus grande partie de la commune repose sur des roches d'âge albien (Cla et Clb). Les confins ouest de la commune, limités par une faille N-NE / S-SE, reposent sur des couches plus calcaires et d'âge plus récent (C2a et C2b). Les dix-sept hameaux de la commune ont été situés. JURASSIQUE MOYEN-SUPÉRIEUR

Le substratum de Charbuy est fait de calcaires et calcaires argileux du Jurassi- que moyen-supérieur (dont l'âge remonte à 145 - 135 millions d'années), partout surmontés par des sédiments plus récents. Vers le sud-est, dans la région d'Auxerre, ces calcaires et calcaires argileux affleurent et forment des plateaux dont la surface est sèche. En effet, les eaux de pluies s'infiltrent facilement dans les fissures de ces roches relativement solubles, pouvant aller jusqu'à former des cavités et même des grottes (relief dit karstique*). Les sources, dans les vallées, sont alimentées par ces eaux souterraines. Dans l'Auxerrois et le Chablisien, les coteaux bien exposés portent de la vigne.

LE CRÉTACÉ

- APTIEN Au sud-est de la commune, le ru de Verre a creusé son lit dans les argiles noires de l'Aptien (n5), les mêmes qui sont exploitées à la tuilerie d'Escamps.

- ALBIEN La carte géologique (fig. 11-1) montre que l'essentiel de la superficie de la commune se rapporte à l'Albien (âge 108 à 96 millions d'années). Il est représenté par des sables, des argiles et des marnes qui forment un ensemble relativement imperméable, expliquant l'humidité caractéristique de la région. Les sables sont parfois indurés en grès ou mélangés d'argiles, peu perméables, ayant tendance à retenir l'eau en surface. C'est dans ces lentilles* argileuses, dis- continues, que sont implantés les puits du village, pour la plupart peu profonds.

LAlbien est représenté par ses deux niveaux successifs. Dans la partie orientale, ce sont des sables verts et des argiles noires (C 1 a sur la carte), niveau le plus ancien de l'Albien. On retrouve des langues de ces sables, plus à l'ouest (Petit Ponceau, les Varennes et la Garenne). Dans la partie occidentale de la commune, ce sont les « sables de la Puisaye » (Clb sur la carte), comportant des sables jaunes ou ferrugineux, avec des bancs de grès. D'après Larue (29), il y avait encore en 1910, au-dessus du Bois de Charbuy, des gisements de nodules gréseux ferrugineux, en écailles, exploités en bancs isolés de 0,20 à 0,30 m d'épaisseur. Ces rognons tendres, faits de limonite* à grains de

(29) Larue (Pierre), « La vallée de Beaulche », Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de l'Yonne, 1910, p. 16. quartz, étaient disséminés dans de beaux sables jaunes (qui peuvent encore se voir quelquefois lors des fondations des maisons nouvelles) et servaient, faute de mieux, pour la construction. Dans ce cas, en raison de leur faible résistance aux gelées, il fallait enduire ces grès lacuneux. En outre, ces grès ferrugineux constituaient éga- lement un excellent matériau d'empierrement pour les routes, « la dureté du quartz et la densité de la limonite* s'opposant à la production de poussière et de boue ».

On attribua à ces sédiments albiens qui retiennent l'humidité des vertus théra- peutiques. Deux épidémies de choléra (30) firent rage dans le département de l'Yonne, en 1832 et 1849. Le Docteur Sonnié-Moret constata qu'à Charbuy, sur une population de 1319 habitants, il n'y avait eu aucun décès. Au contraire, à Villefargeau, Saint-Georges et Perrigny, on en avait enregistrés. Au cours de l'épi- démie de 1832, Saint Georges avait même perdu le vingt-cinquième de sa popu- lation.

Le Docteur Sonnié-Moret (31) attribuait à la constante humidité des sols alumino-siliceux de Charbuy une « action répulsive sur le choléra », qui ne se faisait pas sentir avec les sols constamment arides des autres villages. Lexplication me semble tout autre. Plus que la nature géologique intrinsèque du sol, ce sont plutôt, compte tenu des conditions d'hygiène d'alors, les origines de l'eau qui sont à mettre en cause. Dans un type d'habitat dispersé comme à Charbuy, les habitants tiraient leur eau de puits individuels, implantés dans des lentilles aquifères de l'Albien, indépendantes les unes des autres : la contamina- tion et par là la contagion avaient été moins faciles. Au contraire, dans les villages établis sur des formations calcaires du Jurassique qui se laissent traverser par l'eau sans la filtrer, avec des habitations très rapprochées, se touchant parfois, les habi- tants tiraient leur eau d'un puits commun, c'est-à-dire de la même nappe : la contamination avait été plus facile, favorisant la propagation de l'épidémie.

CÉNOMANIEN

Les confins occidentaux de la commune (à l'ouest de Grand Ponceau) sont limités par une faille N. NE - S. SW qui met en contact les « sables de la Puisaye»,

(30) Sonié-Moret (Michel-Louis), « Recherches statistiques sur l'influence du sol, considéré principalement dans sa composition géologique, sur le choléra en 1832 et 1849 dans le Département de l'Yonne », Bulletin de la Société des Sciences Historiques et Naturelles de l'Yonne, 1851, p.71. (31) Le docteur Sonnié-Moret succomba lors de la troisième épidémie de choléra qui ravagea Auxerre en 1854. à l'est et la craie cénomanienne à l'ouest. Les niveaux du Cénomanien (96 à 91 mil- lions d'années) forment une butte-témoin qui s'étend du sud-ouest du Grand Ponceau jusqu'à Vieux-champs. On y trouve, à la base, une formation marneuse de l'Albien-Cénomanien (C2-1), surmontée par les marnes crayeuses et glauconieuses* du Cénomanien inférieur (C2a), elles-même coiffées par la craie du Cénomanien supérieur (C2b). Ces niveaux du Cénomanien supérieur forment « la Montagne » où se situe le point culminant de la commune (214 m). La craie, dure, compacte et cassante, riche en Céphalopodes (fig. II-2), se présente en bancs de 0,20 à 1 mètre d'épais- seur, alternant avec des marnes crayeuses. Cette craie est riche en argile ; elle est grise quand elle est fraîche et devient blanche à l'altération. Elle renferme des silex ternes et grisâtres, à patine crayeuse. Cette craie était jadis exploitée en carrière souterraine : on creusait des puits pour atteindre la craie à prélever. Ce mode d'exploitation eut pour résultat des effondrements sous l'effet de l'infiltration des eaux de pluie, qui se remarquent dans la topographie des champs (Renseigne- ments R. Carré).

Fig. II -2 - AMMONITE DU CÉNOMANIEN SUPÉRIEUR, à côtes proéminentes, enchassée dans le pignon d'un bâtiment appartenant à Robert Carré, à Ponceau. (Photo M.Brion)

ALLUVIONS QUATERNAIRES

Elles ont été signalées (32) (Pr sur la carte) sous forme de lambeaux, notam- ment sur le petit plateau des Brosses, à 200 mètres d'altitude, près de la ferme des Courlis, dans le nord-est de la commune. Ces alluvions forment une sorte de terre d'arène, marneuse, qui semble dériver du Cénomanien. Ce sont des limons jau- nâtres avec de nombreux fragments de craie anguleux. Ces îlots calcaires étaient

(32) Raulin (Victor), Statistique géologique du département de l'Yonne, 1858, p.570. jadis exploités pour le marnage, dans des fosses de 2,50 à 3 mètres de profondeur. Le matériau était utilisé par les cultivateurs pour amender les terres argileuses développées sur l'Albien. Ces marnières jouissaient d'une très grande faveur. Larue rapporte que « tout propriétaire, tenait à posséder un bout de marnière », ce qui expliquait le très grand morcellement de ces lambeaux calcaires au cadastre de Charbuy (33).

Le marnage était autrefois une pratique couramment utilisée dans la région pour améliorer des sols trop acides et trop humides. Ainsi, les archives communales (34) nous apprennent que le maire de Charbuy, lors de la séance du conseil du 21 Pluviose An X (février 1802), encourageait vivement les cultivateurs à utiliser les marnières. Il n'y en avait alors plus qu'une seule utilisable dans la commune, l'autre étant épuisée. Mais il existait encore deux autres endroits que le maire proposait de faire ouvrir « en donnant une indemnité au propriétaire ».

Cette pratique du marnage a même donné lieu à la poétique légende que voici (35).

« La légende représente la Puisaye sous les traits d'une femme défaite et éplorée, agenouillée près du tombeau de saint Germain qui était gouverneur de tout le pays et qui l'avait souvent traversé au temps de son ardeur pour la chasse. La jeune femme, stérile, demande au saint évêque la fécondité. « Fouille, lui répond l'évêque le sol de ton champ, tu y trouveras une terre blanche ; répands-la sur ta tête et sur ton sein et tu deviendras féconde ».

(33) Larue (Pierre), op. cit., p. 18 et 102-103. (34) A.D.Y. 4E83D1. (35) Blanche (Ch), « La Puisaye agricole en 1866 », Annuaire de l'Yonne, 1867, p. 174. GÉOGRAPHIE HUMAINE

1 - ÉVOLUTION DE LA POPULATION

Nous pouvons citer quelques chiffres qui montrent les variations de la popula- tion, de la fin du XVe siècle à nos jours. Ces chiffres ne résultent pas tous de recensements rigoureux mais ils donnent cependant un bon aperçu de ces varia- tions au fil du temps.

Pour l'Ancien Régime, les chiffres viennent d'une étude de Max. Quantin (36) en 1889. Ont été utilisés : le rôle des tailles ou des feux (cf. chapitre VI : les im- pôts d'avant la Révolution) pour la période allant du XV' à la fin du XVIIe siècle ; pour les périodes antérieures, les chartes et le nombre de feux qu'elles mention- naient ; des visites pastorales. Pour la période post-révolutionnaire, nous dispo- sons de recensements dont la rigueur s'est affinée au fil du temps.

Ainsi Charbuy comptait 892 habitants (37) en 1673. Il semble qu'il y ait eu ensuite un dépeuplement significatif. On passa de 273 feux (38) en 1698 (les historiens estiment qu'un feu correspondait à quatre ou cinq personnes), à 217 feux en 1713 et seulement 170 feux en 1788.

De 1801 à 1856, le mouvement s'inversa. La population fut en augmentation à peu près constante : on passa de 947 à 1 343 habitants (39). Elle se stabilisa ensuite autour de 1350 habitants jusqu'en 1870 (1 352 habitants en 1861, 1 356 en 1870). C'est donc dès la seconde moitié du XIXe siècle que la population de Charbuy dépassa le millier d'habitants.

(36) Quantin (Max.), Annuaire de l'Yonne 1889, in Coll., L'Yonne, un département, C.D.D.P. Auxerre, 1984, p.203 et suivantes. (37) Ibid, p.216. (38) Ibid, p.216. (39) Annuaire de l'Yonne, 1855, p. 97. ACHEVÉ D'IMPRIMER SUR LES PRESSES NUMÉRIQUES DE DICOLOR À DIJON (FRANCE) FÉVRIER 2000 Comme tant d'autres, le village de Charbuy est en pleine mutation. L'auteur a voulu savoir ce qu'il fut jadis et comment il avait traversé le temps.

L'ouvrage qui en résulte, de lecture aisée, concerne donc au premier chef ce village qui plonge ses racines dans plus de treize siècles d'histoire et où sont situés tous les nombreux points d'ancrage, qu'ils se rapportent à l'his- toire, à la géographie physique et humaine, à l'église, à l'école, à la mise en place des facilités modernes (poste, pompiers, chemin de fer, élec- trification, adduction d'eau, etc.). Dans tous ces domaines, les données sur Charbuy au fil du temps et les illustrations, nombreuses et variées qui les accompagnent, constituent la mise en lumière de son passé et de son patrimoine.

Mais du fait de l'abondante documentation que l'on trouve dans l'ouvrage, celui ci dépasse le cadre strictement local. Bien des communes peuvent s'y reconnaître, dans ce qu'était une paroisse rurale avant la Révolution, dans la mise en place de l'école, laïque et gratuite, dans les transformations - déchristianisation, effondrement de l'activité rurale - qui ont affecté la communauté villageoise, dans les changements des structures et des paysages induits par les commodités modernes. Bref, dans tout ce qui a contribué à façonner les communes rurales d'aujourd'hui.

Après une longue carrière de géologue au Centre National de la Recherche Scientifi- que, l'auteur, Directeur de Recherche à la retraite, est venue vivre à Charbuy, dans une maison appartenant depuis longtemps à sa famille.

Dans la même collection :

N°1 Antoine Demeaux, L'abbé Deschamps (1868-1949), fondateur de l'A. J.A. N°2 - Sylvain Aumard, Essai bibliographique sur les campagnes médiévales de l'Auxerrois.

RECHERCHES & DOCUMENTS SUR LES PA YS DE L 'f ONNE t COLLECTION THÉMATIQUE DE LA T SOCIÉTÉ DES SCIENCES HISTORIQUES ET NATURELLES DE L'YONNE