Lettre Ouverte De 900 Enseignant.E.S Des Écoles De Savoie Professeurs Des Écoles (Directeurs Et Directrices, Adjoints Et Adjointes...)
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Lettre ouverte de 900 enseignant.e.s des écoles de Savoie professeurs des écoles (directeurs et directrices, adjoints et adjointes...) décembre 2019 [email protected], pasdevague.blogspot.com M. le Ministre, Mme la Rectrice, M. le DASEN, Mmes et MM. les IEN, L'école est malade. L'école est malade, et ses enseignant.e.s – notamment ceux et celles chargé.e.s de la mission de direction, particulièrement exposé.e.s – sont en danger. Le 21 septembre dernier, une de nos collègues – ce n'est malheureusement pas la seule – s'est même donné la mort, dans son école. La lettre qu'elle a écrite ne laisse aucun doute quant au fait que son suicide est directement lié à ses conditions de travail. Nous nous retrouvons, toutes et tous, dans sa lettre. Dans chacun de ses mots. Pour que son acte, irréversible, qui nous a tous profondément touchés, ne reste pas vain et pour éviter d'autres drames, il est de notre devoir de relayer sa parole et de vous alerter sur ce malaise grandissant dans toutes les écoles de la République, sur le mal-être des professeurs des écoles et des directeur.rice.s. L'école est malade du manque criant de personnel. Manque de remplaçant.e.s : comment accepter que, de nombreuses fois dans l'année, des élèves d'un.e collègue non-remplacé.e doivent être répartis dans les autres classes, faisant parfois monter les effectifs au-delà de 35 ? Comment accepter que les directeur.rice.s des « petites » écoles ne bénéficient pas de leurs journées de décharge, pourtant statutaires et vitales ? Face aux tâches administratives, le travail de direction ne peut pas seulement être lié au nombre d'élèves : ces tâches restent semblables quel que soit le nombre de classes dans l'école. Manque d'enseignant.e.s : comment accepter que des classes de maternelle par exemple comptent plus de 30 élèves, par manque de postes ? Comment accepter que, dans les petites écoles en milieu rural, des classes à triple, quadruple niveau et plus, se retrouvent à plus de 27 élèves ? Manque d'aide administrative : les EVS, qui allégeaient un peu la charge des directeur.rice.s, ont été supprimés il y a deux ans. Qui pour répondre au téléphone, au visiophone, qui pour réceptionner une commande, qui pour informer les services techniques en cas de fuite d'eau ou de problème de chauffage, qui pour gérer la maintenance du parc informatique de l'école, qui pour surveiller les départs et retours des enfants pris en charge hors de l'école... quand le directeur est dans sa classe ? Qui pour nous aider dans ces milliers de tâches du quotidien, qui peuvent paraître minimes, mais qui mises bout à bout, prennent beaucoup de temps dans la journée d'un.e directeur.rice et le détournent de sa classe ? Ces tâches sont pourtant essentielles au bon fonctionnement de l'école, à la sécurité et au bien-être des élèves, pour parvenir à instaurer au final, des conditions optimales d'apprentissage. Bien trop loin de cet objectif pourtant premier, c'est même à l'opposé – dans des conditions de stress permanent, de surcharge cognitive et de gestion de l'urgence – que les directeurs travaillent le plus souvent. Comment dès lors être l'initiateur d'un climat scolaire apaisé? A titre de comparaison, les directeurs et directrices d'une école à 9 classes ont une charge de travail équivalente à celle d'un petit collège. Charge de travail à laquelle plusieurs personnes formées (chef d'établissement, CPE, gestionnaire, agent comptable, surveillants...) consacrent tout leur temps. Qu'en est-il pour nous ? Nous, nous avons une classe à préparer, à gérer, des élèves, des parents, des collègues et dans ce cas précis, une seule journée dédiée à cette mission. Nous vous posons donc la question : comment cela peut-il fonctionner ? L'école est malade de surcharge administrative. Trop de tâches ! La liste est impressionnante ! Peut-être, devons-nous la rédiger de façon exhaustive pour que notre hiérarchie comprenne enfin la réalité de terrain et l'enjeu de notre mobilisation ? A cela se rajoute le sentiment, à travers toujours plus de protocoles et de procédures, d'être responsables de tout et incapables d'y répondre. L'ampleur de la mission qui nous est confiée fait qu'elle devient mission impossible. Et pourtant... les élèves sont bien là, tous les jours, et il faut « faire tourner » l'école... Quand s'occupe-t-on de pédagogie ? de dialogue avec les familles ? de concertation entre enseignant.e.s ? Notre métier demande de la disponibilité, de l'écoute, de l'attention à l'autre... Comment cela peut-il être le cas, alors que nous sommes en surcharge ? Nous sommes souvent seuls face aux situations de crise que vivent nos élèves. Nous représentons pour leurs familles un des derniers services publics encore fonctionnels, dans les zones rurales par exemple. Nous ne pouvons plus pallier les défaillances et les manques de services sociaux, médicaux, de protection de l'enfance. Les tâches administratives qui se multiplient ne nous permettent plus, nous directeur.rice.s, d'accomplir notre mission première de coordonner et animer l'équipe pédagogique de nos écoles, ce qui a un impact direct sur le climat au sein de nos établissements. La gestion de l'imprévu, de l'urgence, est notre quotidien, venant bousculer l'ordre des tâches à accomplir, et suscitant souvent incompréhensions et agressivité. L'école est malade des injonctions de notre hiérarchie et des réformes à marche forcée. Sous couvert de « bienveillance », des injonctions de plus en plus déconnectées de la réalité nous parviennent de notre hiérarchie. Le contrôle de plus en plus étroit de notre travail remet en cause notre professionnalisme. Nous ne sommes pas de simples exécutants de directives hors-sol et dénuées de tout bon sens. Nous sommes les mieux placés pour construire nos pratiques. Nous sommes bien des professionnels de terrain, ancrés dans une réalité du quotidien et investis dans une mission que nous avons choisie avec une éthique et des valeurs, valeurs qui semblent s'éloigner de plus en plus de celles qui sont censées faire notre République : où est passée la Liberté quand on nous impose des plans de formation, des pratiques, des projets d'école moulés sur des thèmes ministériels ? Où est l’Égalité quand les moyens sont seulement concentrés dans des zones ou des écoles prédéfinies par le ministère car répondant aux bons critères ? Où est la Fraternité quand chaque jour devient un bras de fer avec les familles mécontentes, les municipalités sourdes ou notre hiérarchie fermée? Il reste donc cette fameuse « bienveillance » que nous devons chaque jour donner aux autres, élèves, collègues, parents... L'école est malade de l'inclusion forcée et avec trop peu de moyens. Comme le veut la loi, nous accueillons dans les écoles de plus en plus d'élèves présentant des handicaps. Dans le cas idéal, sans doute imaginé par le législateur, l'enfant bénéficie d'aides, le dialogue avec la famille est constructif, nous sommes formé.e.s, nous avons le temps. Cela ne concerne malheureusement qu'une minorité d'élèves. Et que dire de tous les élèves, de plus en plus nombreux, présentant des troubles de l'attention, des dyslexies, dysgraphies, dysphasies qui nécessitent autant d'aménagements différents qu'il y a d'élèves ? De tous ceux dont le comportement n'est pas adapté à l'école mais que nous devons « gérer » tant bien que mal avec ce sentiment d'impuissance si présent ? Des équipes de réseau qui, quand elles existent, sont débordées. Des médecins scolaires qui ne seront pas remplacés.... Comment allons-nous faire ? Ces intégrations (souhaitables) à marche forcée déstabilisent les autres personnes présentes dans la classe : professeur, élèves, ATSEM... Et encore, nous ne vous parlons pas de l'absence de formation adaptée aux réalités du terrain, du manque de médecine du travail et de service de RH au sein de l'Éducation Nationale. Nous aimons notre travail ! Mais ne parvenons plus à faire fonctionner les écoles avec les moyens qui nous sont alloués. Comme Christine Renon, nous sommes épuisé.e.s. En novembre dernier, un rapport de l'ancien inspecteur général de l’Éducation Nationale, Georges Fotinos, montrait que 38 % des directeur.rice.s d'école étaient en situation d'épuisement professionnel et 23 % en risque de burn-out. En 2016, deux chercheurs de la DEPP ont mené une étude sur la question des risques psycho-sociaux (RPS) chez les professeurs. Les RPS, faut-il le rappeler, sont définis comme « les risques pour la santé mentale, physique et sociale, engendrés par les conditions d’emploi et les facteurs organisationnels et relationnels susceptibles d’interagir avec le fonctionnement mental ». Parce qu’elle comparait, avec des données et des outils d’analyse identiques, différentes populations au travail (enseignants, cadres de la fonction publique et cadres du privé en contact ou non avec le public), cette étude permettait de mettre en exergue les caractéristiques de la population enseignante face aux RPS. L’étude concluait que « les enseignants ont une exposition moyenne aux RPS significativement plus élevée que les autres populations, surtout dans le premier degré ». Et, ajoute l'étude, « parmi les enseignants, le premier degré ressent plus de tensions psychosociales dans son métier, notamment au niveau de l’intensité, de la complexité du travail et du manque de soutien hiérarchique. » Quelques mois plus tôt, le médiateur de l’EN qui consacrait son rapport au même sujet constatait que « le métier d’enseignant, tel qu’il est actuellement, isole trop souvent », et renvoyait à un rapport sénatorial notant que « la souffrance ordinaire des enseignants reste largement invisible de l’institution scolaire et de la hiérarchie administrative ».