<<

Document généré le 23 sept. 2021 19:49

24 images

Réconciliation et égarement Invictus de Bruno Dequen

Distribution Numéro 146, mars–avril 2010

URI : https://id.erudit.org/iderudit/62784ac

Aller au sommaire du numéro

Éditeur(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (imprimé) 1923-5097 (numérique)

Découvrir la revue

Citer ce compte rendu Dequen, B. (2010). Compte rendu de [Réconciliation et égarement / Invictus de Clint Eastwood]. 24 images, (146), 60–60.

Tous droits réservés © 24/30 I/S, 2010 Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/

Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/ Invictus de Clint Eastwood

Réconciliation et égarement par Bruno Dequen © Warner Bros. Pictures e prime abord, Invictus semblait famille rejeté par ses enfants, homme politi- bidonvilles se jettent dans les bras des une anomalie dans la filmographie que astucieux et calculateur, orateur brillant, policiers blancs et les sourires explosent D récente du réalisateur de Mystic interlocuteur attentif et homme d’une sagesse à l’unisson. River. En effet, si ce récit porteur d’espoir inaltérable, Mandela est d’autant plus pas- Vers la fin du film, une petite scène ano- et de vertu morale sur la victoire sportive sionnant qu’il semble réussir à concrétiser dine semble commenter ce troublant gâchis. et politique qu’a représentée la Coupe du ce qui a presque toujours été refusé aux per- À la veille de la finale de la Coupe du monde monde de rugby de 1995 pour l’Afrique du sonnages eastwoodiens : la possibilité de de rugby de 1995, demande Sud proposait un sujet parfaitement adapté changement. Un changement qu’il prépare à son assistante de lui fournir toutes les à un réalisateur de la trempe de Ron Howard, en utilisant à bon escient l’aura d’un passé informations et statistiques disponibles sur qu’allait donc faire le grand peintre de la douloureux qu’il a été capable de transcen- les All Blacks, l’équipe de Nouvelle-Zélande démystification fataliste américaine dans der. Dans son texte récent sur le cinéaste1, favorite du tournoi et adversaire des Sud- cette montagne de bons sentiments afri- notre collègue Pierre Barrette découvrait une Africains. Surprise, l’assistante lui fait remar- cains mettant en vedette ? rupture de ton dans les derniers films d’Eas- quer que son intérêt pour le rugby semble Les premiers plans rassurent et justifient twood dont le « regard apaisé sur le monde » désormais dépasser les raisons sociopoliti- rapidement l’entreprise. Une séquence de permettait « une réconciliation définitive de ques. Mandela, souriant, confirme qu’il s’est jogging matinal permet au cinéaste de met- l’homme et de son mythe », exemplifiée par la effectivement laissé prendre au jeu. C’est tre en avant sa prédilection pour les clairs- finale paradoxale et inhabituellement positive malheureusement aussi le cas d’Eastwood obscurs. Et la figure profondément solitaire de . De ce point de vue, quoi de qui, après une entrée en matière passion- de Nelson Mandela dont le quotidien est mar- plus logique pour le cinéaste que de proposer nante, tombe dans tous les clichés d’un film qué d’un lourd passé s’inscrit naturellement aujourd’hui un portrait de Mandela en per- de sport qui, contrairement à Million Dollar dans la continuité de tous les personnages sonnalité contemporaine représentant à elle Baby, ne dépasse plus son propre genre. eastwoodiens. Ensuite, l’arrivée du nouveau seule la possibilité même de réconciliation? 1. « Le héros et son mythe, le genre et la différence », président dans un bureau où règnent des C’est alors qu’un événement étrange dans 24 images, n° 145, p. 12-15. tensions raciales à peine contenues permet survient. Le film s’éloigne de plus en plus États-Unis, 2009. Ré. : Clint Eastwood. Scé. : Anthony Peckham, de dresser le fascinant portrait d’un peuple de Mandela pour suivre le parcours des d’après John Carlin. Ph. : Tom Stern. Mont. : Joel Cox et Gary Roach. Int. : , Matt Damon, Scott Eastwood, hanté par son passé. Cette violente tension Springboks, fameuse équipe sud-africaine Robert Kgoroge. 132 minutes. Dist. : Warner Bros. sous-jacente, qui est le moteur de la première de rugby symbole de l’apartheid et des ten- heure du film, est subtilement observée par sions raciales déchirant le pays. Et, de la Er r atum la caméra souple et discrète d’un cinéaste petite séquence d’entraînement sur fond manifestement dans son élément. Éternel de chanson insipide aux multiples ralentis Dans le précédent numéro (n° 145), une économe, Eastwood privilégie les regards ridicules peuplant le match final, le film erreur s’est glissée dans l’identification de l’auteur du texte sur L’armée du lourds de sous-entendus aux paroles. Mais dérape. Le style devient anonyme, le sen- crime, qui aurait dû être signé Fabien surtout, il scrute sans détour cette figure timentalisme simpliste remplace la com- Philippe. Toutes nos excuses. troublante que représente Mandela. Père de plexité lucide du regard. Les enfants des

6 0 2 4 i m a g e s 1 4 6

24i146_04.indd 60 10-01-25 10:05