Dossier pédagogique

15 JUIN - 30 SEPTEMBRE 2012 Vera Molnar une rétrospective 1942/2012 Musée des Beaux-Arts Rouen Centre d’art contemporain

Saint-Pierre-de-Varengeville MNAM-CCI/ Pompidou, - © Centre Pompidou - diptyque, 2010, Centre Identiques mais différents RMN-GP - © Adagp Philippe Migeat/Dist. Sommaire

Biographie de Vera Molnar 3 Entretiens avec l'artiste 5 Inventaire, Vera Molnar (extraits) 9 Glossaire 12 Pistes pédagogiques 14 Compositions musicales 16 Films 19 Autour de Vera Molnar 20 Bibliographie 22 Renseignements pratiques 23

2 Biographie de Vera Molnar

Née en Hongrie en 1924, formée à l'école des assisté par ordinateur. Mais là encore, plutôt Beaux-Arts de Budapest dont elle devint elle- que de suivre ce nouveau chemin prometteur même professeur, Vera Molnar quitte son avec les tenants de l'art informatique, elle pays d'origine pour s'installer définitivement préfère en perturber les règles et soumettre en en 1947. Peu après son arrivée, elle la machine à des mécanismes de jeux et de se détourne nettement de la peinture figura- dialogues. tive au profit de l’abstraction géométrique. Les décennies suivantes voient alterner De simples morceaux de cartons badigeon- un usage très libre de tous les procédés nés de gouache, découpés en rectangles, constructifs et les œuvres de Vera Molnar, tirets, cercles et demi-cercles, épinglés et parfois monumentales, s’affirment comme un manipulés selon des mouvements giratoires dispositif piège pour le regard du spectateur. élémentaires ou des inclinaisons de degrés Devant ces formes sans cesse déconstruites divers, fondent son premier répertoire formel. et reconstruites, celui-ci est conduit à une Mais Vera Molnar ne fige pas ses trouvailles intense activité visuelle et mentale pour en alphabet plastique. Contrairement à de découvrir la « règle du jeu » mise en œuvre nombreux protagonistes de l’abstraction, dans chaque idée plastique. elle ne cesse d'en interroger les codes et les Organisée conjointement par le musée des pratiques pour les subvertir, démarche qui Beaux-Arts de Rouen et le Centre d’art contem- l'éloigne des catégories trop délimitées. porain de Saint-Pierre-de-Varengeville, cette À la recherche d'une méthodologie créative, exposition constitue la première rétrospective Vera Molnar met au point dans les années 60 de l’artiste de grande ampleur. À travers ces un ensemble de procédures logiques permet- soixante années de production artistique se tant de produire des images, en séparant les découvre un art aussi rigoureux que ludique, opérations de conception et de réalisation. une sorte de joyeux anarcho-constructivisme, Cette « machine imaginaire » devient réalité et des images que le spectateur est invité à avec l’évolution de la technologie : en 1968, réactiver, en les réchauffant d'une pensée qui Vera Molnar est la pionnière française de l'art leur donne toute leur existence.

1924 Naissance à Budapest. 1960 Concevant l'art comme recherche, Vera Molnar n'expose pas. Elle 1942 Rentre à l’école des Beaux-Arts de fait une exception, à la demande Budapest. de son ami Max Bill qui organise l'exposition emblématique 1946 Première peinture non figurative. Konkrete Kunst à Zurich. 1947 Obtention du diplôme de professeur Membre fondateur du centre de d’histoire de l’art et d’esthétique. recherche d’art visuel (CRAV). Boursière à Rome. Installation à 1967 Cofondatrice du groupe Art et Paris avec François Molnar. Travaux Informatique à l’Institut esthétique et à quatre mains. des sciences de l’art, Paris.

1959 Conçoit la machine imaginaire 1968 Pionnière française de l'art assisté qui anticipe l'outil informatique par ordinateur. en générant des images réalisées systématiquement selon des 1974/ Mise au point avec FrançoisMolnar programmes préétablis. 1976 du programme numérique MolnArt.

3 1976 Première exposition personnelle 2006 Reçoit le prix d’art numérique 2005 Transformations, Galerie Concours offert par le musée d’art numérique de l’École Polytechnique, Londres. berlinois Digital Art Museum accompagné d'une exposition : 1979 Exposition personnelle Vera Molnar Monotonie, symétrie, surprise, Paris-Caen, Atelier de recherche Kunsthalle, Brême, Allemagne. esthétique de Caen. 2009 Exposition personnelle Perspectives 1980 Membre du CREAV (Centre de et variations, FRAC Lorraine, Metz. recherche expérimentale et informatique des arts visuels), 2009/ Participe à de très nombreuses université de la Sorbonne. 2010 expositions collectives dont : Elles@centrepompidou, Musée 1985/ Chargée de cours à l’université de national d’art moderne, Centre 1990 la Sorbonne. Georges Pompidou, Paris ; 1999 Première grande exposition Chefs-d'œuvre ?, Centre Georges monographique Extrait de Pompidou, Metz ; En ligne - Le e 100 000 milliards de lignes au dessin au cours du XX siècle, MoMA, Centre de recherche, d’échange et New York. de diffusion pour l’art contemporain, 2012 Première grande exposition Ivry-sur-Seine. hongroise : Un pourcent de désordre, 2001 Première reconnaissance muséale Institut Kepes, Eger, Hongrie. importante à l'initiative de Serge Lemoine : Peintures, collages, dessins, musée de Grenoble.

2004 Exposition rétrospective Quand le carré était encore carré… une rétrospective pour ses 80 ans, Wilhelm-Hack-Museum, Ludwigshafen, Allemagne.

4 Entretiens avec l'artiste

que mes tout premiers dessins d’enfant se Extrait d’un entretien de Jean-Pierre caractérisaient déjà par un langage vraiment Arnaud avec Vera Molnar, 2002 « minimal », comme on dirait maintenant. Mais pourquoi à dix ans ai-je été séduite par Revenons, si tu le veux bien, à ton propre par- le peu ? On n’a pas de considérations phi- cours. Nous sommes dans les années 50… losophiques à cet âge : la proposition Less J’ai commencé à créer tout de suite. J’ai is more n’avait pas encore pu me toucher… toujours considéré mon travail comme un Alors pourquoi pendant toute ma vie ce goût art expérimental. C’était conçu pour moi de la géométrie, de la sobriété ? Je pourrais et les quatre ou cinq personnes auxquelles inventer des théories là-dessus, mais cela ne je m’adressais. Pendant quelques années, reposerait sur rien. Ce serait tellement pas- François [son mari] a travaillé avec moi sur sionnant de comprendre, ne serait-ce qu’un la même chose. On a épinglé des formes sur tout petit peu. Mais j’ai maintenant 78 ans, et une surface et chacun avait le droit de dépla- ce que j’ai compris, c’est que je n’y ­comprends cer les choses… J’ai toujours travaillé, avec rien et que là-dessus je ne sais rien. un grand sérieux mais sans me donner pour but de produire un art de musée ni aucun ob- jet à vendre… Hajdu m’avait donné un conseil Extrait des Variations constructivistes de quand je suis arrivée à Paris ; il m’avait dit : Vera Molnar, entretien de René Farroux « Si tu veux faire quelque chose dans la vie, avec Vera Molnar, 2012 il faut travailler tous les jours. Ne te couche jamais sans avoir tracé une ligne ou fait Chez lui [Jérôme Arcay*] vous avez côtoyé quelque chose. » Pour moi, c’est le plus beau Jean Arp ? Je pense à ses papiers déchirés. cadeau qu’il ait pu me faire. […] Êtes-vous marquée par une tradition da- daïste des lois du hasard ? Et toi-même où souhaites-tu qu’on te situe ? Moi j’exploite le hasard pour raccourcir le Art géométrique, quelle auberge espagnole ! temps, les délais d’essais. Je suis paresseuse Art construit ? Art conceptuel ? Ailleurs ? et le hasard m’aide à déblayer le terrain. Pre- Je me situe entre les trois « con » : les concep- nons les choses simplement. Un carré vous tuels, les constructivistes et les computers. le coupez en deux, cela vous donne deux J’insiste sur le côté plutôt rationnel, car l’intui- triangles que vous juxtaposez d’une façon à tion et le génie, c’est vraiment insaisissable. montrer encore le carré d’origine, mais cela Je suis consciente que certaines choses est quand même une autre figure. Il y a des m’échappent complètement. Même si petit à milliards de possibilités si vous faites inter- petit on comprend mieux certains aspects du venir le hasard, parmi des situations qui sont phénomène artistique, d’autres questions vien- intéressantes, vous en choisissez une et vous dront se poser ; je ne m’en inquiète pas outre commencez à systématiquement l’exploiter. mesure, car on ne peut pas tout ­comprendre. Le hasard, c’est un accélérateur qui vous a Moi j’aime bien la clarté, la transparence. En fait tomber sur une idée que vous n’auriez tout, en politique, en art, en médecine, en peut-être pas eue du tout, ou peut-être autre- science… On n’a rien de mieux que sa petite ment ?… Mais je n’ai pas du tout l’âme des tête et il vaut mieux s’en servir. […] dadaïstes, contrairement à François Morellet. Chez lui, il y a une bonne cuillerée de dada. N’est-il pas naturel d’avoir le désir de « transmettre » sinon un message, du moins * Atelier Arcay : atelier de sérigraphie l’esprit d’un travail, ce qu’on pourrait appe- ler une poétique ? On peut aussi trouver dans ce que vous faites Peut-être… En tout cas, j’en serais très un certain humour désabusé ? contente. Mais tout cela reste tellement obs- Il y a des gens qui le disent, mais moi je cur pour moi. Comment naît un style ? Je sais prends tout très au sérieux. Je pense que la

5 seule chose importante, ici sur terre, c’est toujours intéressée : prenez une ou deux cou- l’art. […] leurs que vous croyez détester et travaillez avec elles pendant une semaine ou un mois On dit que vous êtes une constructiviste peu et vous allez voir que vous allez les adorer. orthodoxe. Qu’en pensez-vous ? […] J’ai fait cette expérience avec le vert parce J’ai toujours été peu orthodoxe en toutes que j’avais appris dans le credo de Mondrian choses. Quand j’étais jeune, j’étais scout, que la couleur verte était l’horreur. J’ai réa- on m’a vidée, je ne sais pas pourquoi. Après, lisé un jour un grand collage de 20 planches j’étais membre du parti communiste, je me de 50 centimètres de largeur où il y a plus de suis auto-vidée, parce que je n’aime pas tel- quarante tonalités de vert qui passe du jau- lement obéir. En France, en arrivant de Buda- nasse vers le bleuté. C’était une passion, un pest, j’ai fait la connaissance d’artistes ortho- plaisir de faire ça. […] doxes et de leurs recherches horizontales, verticales, bleu outre-mer, rouge vermillon… * Joseph Albers (1888-1976) enseigne de 1923 à 1933 à Cela me gênait aussi un peu aux entournures. l’école du Bauhaus, puis au Black Mountain College, Finalement, je supporte assez mal les dictats États-Unis. d’un parti ou d’une obédience. Constructi- viste ? Oui, toujours, mais avec des écarts car Ce travail sur le vert, vous l’avez aussi fait j’utilise aussi des obliques ! Ce qui me fait sur une autre couleur. Pouvez-vous parler courir, c’est la curiosité, le désir d’essayer, de votre expérience sur les 100 jaunes ? d’expérimenter plusieurs formules pour voir Je ne me souviens pas quelle mouche m’avait ce qui me plaît le plus. […] piquée pour commencer mon travail avec le jaune. C’était une vieille histoire… Toute jeune Pour en revenir à votre processus créatif, (c’est pardonnable), j’ai peint des espèces de qu’est-ce qu’une belle forme ? semi-abstractions entre Delaunay et Picasso : Je ne sais pas ce qu’est une belle forme… une figure humaine sur un triangle jaune sur C’est un mot très dangereux. Celles que un fond blanc. Je l’ai montrée à Sonia Delau- j’aime sont le carré et le rond parce qu’elles nay qui a dit : « Cette petite ira loin si elle tra- sont très simples. vaille. » C’est resté dans ma tête. Beaucoup plus tard, le jaune est revenu. Il y a sûrement Vous avez rendu hommage à Mondrian avec d’autres raisons mais pour ma peinture qui les Molndrian. Avez-vous dans votre œuvre se veut de recherche, c’est le noir qui est la une approche mystique comme il l’a avec la chose la plus basique. Le noir avec le blanc, théosophie ? c’est le pain quotidien. C’est très intéressant. Mais je ne suis pas du genre croyant. J’ai beaucoup travaillé sur Vous dîtes et je vous cite : « Chez moi il n’y Mondrian et j’y reviens encore très souvent a pas d’ingrédients de nature symbolique, pour ces tirets horizontaux et verticaux qui métaphysique, mystique, il n’y a pas de m’inspirent par leurs variations infinies. C’est message, ni de raton laveur… » très simple, très minimal. […] Les mystiques ce n’est pas mon truc. Quand on arrive à un certain stade de la peinture on Que retenez-vous de vos autres rencontres n’a que deux chemins : se tourner un peu avec les grands maîtres de l’abstraction ? vers la spiritualité, théosophie, machin… Qui avez-vous connu ? comme mon amie Aurélie Nemours […]. Ou […] J’ai connu un tas d’immenses artistes : loucher vers la science, ce qui est mon cas. Sonia Delaunay, Brancusi, Fernand Léger… […] Je suis une chercheuse scientifique avide Marcelle Cahn… J’en ai raté aussi : Kupka, de curiosités, de connaissances, de trou- Gontcharova… C’est Étienne Hajdu qui m’a vailles sur le visuel. J’essaye de ne pas faire emmenée à tout ce monde-là. Je viens d’ex- n’importe comment, de trouver une règle poser au couvent Sainte-Marie de la Tourette ou une structure ou une loi tout en sachant que j’avais visité en chantier, il y a plus de cin- qu’il n’y a pas de recettes sûres. Je le sais quante ans avec André Wogensky, l’assistant aujourd’hui. À l’époque, je croyais que le chef- de Le Corbusier et Iannis Xenakis qui faisait d’œuvre obéissait à des règles, immuables et les vitraux. éternelles. Cela, je ne le crois plus. […]

Que vous inspire cette citation d’Albers* : Pouvez-vous revenir sur ce que vous avez « La couleur en action perd son identité » ? appelé « la machine imaginaire » ? Je connais une autre idée d’Albers qui m’a L’ordinateur n’existait pratiquement pas, j’ai donc inventé des programmes très simples et

6 je les ai exécutés à la main comme si j’avais dans une grande ville comme Budapest mais eu un ordinateur et une table traçante pour à la campagne, j'avais fait une demande pour mes processus de confection. J’ai laissé tom- être nommée à Cegléd, demande acceptée. ber dès que j’ai pu remplacer la machine C'est terrible à dire, mais ce qui m'a sauvée imaginaire par une machine réelle. […] ce sont les procès politiques qui m'ont ouvert les yeux et je suis restée en France. […] Que voulez-vous dire quand vous dites « Tout ressemble à la montagne Sainte- Durant cette période où vous avez travaillé Victoire » ? C’est quoi pour vous la leçon de ensemble, doit-on, peut-on distinguer les Cézanne ? œuvres de l'un, de l'autre, de vous deux ? Mon affirmation est une boutade. Sa démarche Et pourquoi avez-vous décidé de mettre un est différente de la mienne. Je l’ai copié au terme à votre collaboration en 1960 ? Jeu de Paume en 1947. J’aimais son côté : On réfléchissait ensemble mais c'est moi qui on pose une touche de peinture et on réflé- réalisais. Comme l'a dit notre ami ­François chit… Lui voulait intellectualiser, rationaliser Morellet, nous étions « un peintre à deux la pratique de la peinture. Il a presque fait du têtes », avec deux optiques, avec chacun ses cubisme ! Sa montagne Sainte-Victoire,­ pour idées de variations, ce n'était pas une lutte moi, c’est une courbe de Gauss… […] Quand pénible, cela fonctionnait très bien. Quant à la j’avais 15 ans à Budapest, j’ai acheté un livre disparition de notre double signature, ça n'a sur Hokusai où il y avait ses vues du Mont Fuji pas été une décision, François a obtenu un qui m’ont beaucoup plues et c’est là que j’ai poste au CNRS et a consacré de plus en plus décidé que quand je serais grande je voudrais de temps à la recherche, s'insérant dans le peindre comme ce monsieur. monde universitaire et scientifique tandis que je continuais à tracer des lignes. Aujourd'hui, Vous êtes une pionnière dans l’utilisation de à mon âge, je dirais que finalement on décide l’ordinateur ? peu de chose froidement, le temps et le ha- Quand on fait de la peinture non figurative, du sard agissent aussi beaucoup. minimal… de tendance constructiviste il y a deux voies. J’exagère à peine… La première, Si ce n'est pas une décision tranchée, un on en a déjà parlé, c’est l’attitude mystique et événement n'a-t-il pas néanmoins concou- l’autre, c’est l’informatique. Pour moi il n'y a ru à éloigner François des pratiques artis- pas d’autres solutions. Grâce à l’ordinateur je tiques ? Pour le dire vite, les échecs du peux systématiser mes recherches, mettre CRAV et du GRAV à réaliser une forme d'art dix sur dix carrés sur une surface et glisser de communautaire ? la fantaisie dans leur emplacement comme Paradoxalement, c'est moi qui voulais quit- s’il y avait eu un petit courant d’air. Après je ter le GRAV et ça l'a poussé lui à s'engager mets plus et encore plus d’agitation… Grâce ailleurs, dans une autre voie. Ce que je ne à l’ordinateur j’arrive à suivre mes idées, à supportais pas dans le GRAV, c'était le double combiner des variations infinies. Je peux al- langage, on parlait d'indépendance, de ne ler non pas jusqu’au bout du développement, pas entrer dans le système du commerce de mais dix fois plus ou cent fois plus loin. Je l'art et, au fond, on mourait tous d'envie de n’oserais pas dire cent fois mieux, mais c’est vendre. Il y avait un malentendu. Nous, ce qui ce que je pense au plus profond de moi. nous plaisait, c'était de faire de l'expérimen- tation dans l'art, de la recherche, c'était autre chose.

Extrait d’un entretien de Amely Deiss Et votre rapport à la science dans votre pra- et Vincent Baby avec Vera Molnar, 2012 tique aujourd'hui ? Comment dire ? L'art visuel non-figuratif c'est On revient en 1947 ? disposer des formes sur une surface (toile Je vivais avec François depuis 1946, nous nous ou papier), les manipuler, les faire exister sommes mariés en 1948 à Paris, et durant ces ensemble […]. J'ai le sentiment qu'en faisant années, j'ai eu un choix crucial à faire parce longtemps et beaucoup, arrive un moment de que j'avais deux désirs complètement contra- surprise : on constate que quelque chose s'est dictoires et inconciliables : je voulais vivre en passé, on a trouvé un assemblage, un événe- France et y faire de la peinture mais en même ment satisfaisant. Dès lors, […] on peut réagir, temps j'étais une communiste convaincue et selon moi, de deux façons : soit en disant « je je voulais enseigner l'art moderne non pas suis génial, moins je raisonne mieux c'est et

7 je laisse libre cours à mon intuition géniale », m'a demandé de participer à un hommage au soit interroger la situation plastique qui dif- poète Ady. J'ai alors manipulé les lettres de férencie un agencement peu satisfaisant de son nom (A, D, Y) et puis plus récemment j'ai celui qui procure un certain plaisir […]. C'est réalisé un livre hommage à Joyce pour un col- cela que je recherche toujours aujourd'hui lectionneur suisse en jouant avec les lettres par essais-erreurs, en faisant énormément de B-L-O-O-M. de variations, en contrôlant par des mesures, un chiffrage des données, un programme qui Vos hommages, revendiqués, à d'autres modélise, etc. Je m'approche un peu du do- artistes, comportent aussi très souvent un maine des sciences avec la procédure expé- petit dommage, une perturbation de leurs rimentale et j'ai toujours dans l'idée, même systèmes, une part quasi omniprésente incertaine, de parvenir à un résultat. d'humour, d'ironie, de distanciation, de dé- sordre, les M comme Malevitch sont aussi En ayant une vision rétrospective de votre des M comme Malicieux parce qu'ils ne travail, est-ce que le fait d'avoir conservé, correspondent pas à la doxa suprématiste, archivé, consigné dans vos Journaux intimes agissant comme référence-irrévérence ? une somme considérable de recherches, C'est les deux. Tu es fasciné par ce qu'il a fait dès lors enregistrées, a modifié votre façon et puis tu te dis aussi, bon eh bien il s'est ar- de procéder en pouvant les réinterroger à rêté, il est mort mais il aurait pu essayer ceci loisir, en faisant remonter cette mémoire ou cela, par exemple avec Mondrian on peut des formes pour la réactiver ? essayer de dévier de la pureté du couple hori- Le Journal intime est une grande idée qui zontal-vertical, le rejouer avec une symétrie est venue de François, il me permet de faire frontale, utiliser la couleur verte… Le premier perpétuellement des voyages à l'intérieur de hommage fut peut-être à Mondrian parce que ma tête et de partir à la rencontre des choses son côté très sérieux, très religieux m'agaçait qui manquent, de reprendre aujourd'hui avec un peu… Les autres sont venus au hasard des plus de temps, plus de moyens (l'aide d'un rencontres formelles. En ce qui concerne le assistant), des projets abandonnés. C'est for- désordre, c'est complexe, par exemple déci- midable de pouvoir reprendre, repriser, retri- der d'inoculer 1 % ou 5 % de désordre dans coter, observer à nouveau ce qu'on faisait il y un système, c'est peut-être aussi souligner, a plusieurs dizaines d'années et se dire : « Je renforcer l'ordre finalement, il y a quelque me suis trop vite arrêtée, ça a été trop vite fait chose qui se déplace, qui fait que tout en à l'époque, comment ai-je pu être si sûre de se donnant autrement, quelque chose de la moi ! », et je reprends, je retricote. […] constance, de la force de l'œuvre interrogée est mis en valeur. C'est l'une des multiples De ces années de production à la machine contradictions qui me fait avancer. imaginaire, il nous reste essentiellement des tableaux à partir de lettres, est-ce Quand d'anciennes œuvres sont abîmées, en qu'utiliser des lettres n'était pas une ma- mauvais état, vous n'hésitez pas aujourd'hui nière de neutraliser le choix des formes, à les détruire et à les refaire plutôt que de sortir du répertoire de l'abstraction géomé- les faire restaurer ? trique (carrés, ronds, etc.) pour utiliser des Quand une vieille chose est en très mauvais signes désaffectés de signification dans le état, mal collée, jaunie, déchirée, pour moi champ de l'histoire de l'art, de l'esthétique ? c'est normal de la refaire et je déchire la pre- Je n'ai pas décidé fermement, la transition mière version mais pas toujours… Ce sont vers ces formes s'est faite lentement, par surtout les collages qui se défont et, parfois, dérive, mais je me souviens de ma rencontre je refais l'œuvre à une échelle plus grande avec la lettre M. Ce M ne venait pas vraiment grâce à l'aide d'un assistant, avec d'autres de Malevitch, de Molnar, de Morellet ou de matériaux, et je répare la première parce que Michel-Ange mais il était un presque carré, et je considère que les deux versions sont dif- correspondait à mon désir de sortir des car- férentes et intéressantes : l’idée de base est cans, des partis, des écoles, des obédiences, conservée mais, avec le temps, une variation et son indécidabilité formelle me convenait peut naître et l'enrichir. Et quelle que soit ma parfaitement, il était ni ni. Puis sont venus les manière de procéder, j'indique toujours la N, H et I au moment où paraissait Histoire d'O, dernière date de réalisation, d'où un certain d'où les Histoires d'I… Parallèlement, ce fut le nombre d'œuvres mentionnant deux dates. moment d'une légère ouverture de la Hongrie […] à l'art moderne, une entorse à Jdanov, et on

8 Inventaire, Vera Molnar (extraits)

Ça y est, encore une fois, je me mets à me Il y a raconter. Et je ne peux même pas dire que des droites, en particulier des obliques, qui cela va être pour la dernière fois. Décoder, ne sont pas droites, qui se forment en réalité, comprendre, relater ma démarche à l’aide de à partir de petits escaliers à gradins hori- mots ou faire de la peinture, c’est pour moi la zontaux et verticaux, lorsque dessinées sur même chose. Bavardes et intarissables à mon d’antiques tables traçantes. (Dieu, que cela sujet, ces feuilles de route constituent, cette pouvait m’énerver !) fois-ci, un inventaire : j’essaie d’énumérer, de tenir à jour les composants de mes tableaux, Il y a de mes dessins. Cela va sans dire, tous les des droites qui ne sont pas droites : ce sont éléments que j’utilise ne sont pas inventés, encore des obliques qui sortent du rang ; seulement empruntés et manipulés. cette fois-ci, elles se font à partir de petits rectangles, lorsqu’éditées sur machine Dans mon travail imprimante. Il y a des lignes. Des droites belles, impeccables, Il y a immuables, tirées à l’aide de tire-ligne et de des lignes qui sont comme des fentes, des règles. fêlures, des déchirures, celles que Léonard de Vinci aimait à observer sur de vieux murs. Il y a Elles sont faites à la main, ou simulées à l’or- des droites exécutées sur table traçante, dinateur ou encore obtenues par de véritables elles aussi, techniquement parfaites, pures, déchirures. dures. Ces deux sortes de lignes sont faites au crayon dur ou à l’encre de Chine. Il y a des fêlures qui sont photographiées sur des Il y a bandes de sable, des champs de neige. Ces des droites produites par fil tendu autour de lignes sont empruntées à la nature qui est deux ou plusieurs clous. La qualité de la ligne une hérésie pour un constructiviste, même si change au gré de la matière, hard ou soft, du c’est à usage momentané. fil employé. Dans mon travail Il y a Il y a des lignes bien propres et nettes, coulées sur des réseaux de segments parallèles, verticaux la toile, dans la rigole, la saignée, entre deux ou horizontaux, traversant toute la hauteur ou bandes adhésives. toute la largeur de la feuille, comme des ponts jetés d’un côté l’autre. Ces lignes sont souvent Il y a rigoureusement parallèles et équidistantes. des droites, pas tout à fait droites, tracées au Mais il arrive aussi qu’une ou plusieurs lignes crayon tendre, à la craie, au fusain : la nature sortent du rang, attirent l’attention sur elles, friable de ces matériaux rend la netteté créent du désordre. impossible. Il y a Il y a des segments de lignes plus courtes, eux des droites qui ne sont plus des droites. Un aussi peuvent être droits et réguliers, ou tressaillement, un frémissement, à peine alors courbes, tordus, convulsifs, « à la perceptible, les traverse. Elles sont dessinées mescaline ». Ces segments sont répartis en à main levée, gauche ou droite, faites avec lignes, colonnes ou distribués en désordre, application, ou alors jetées à la va-vite, de au hasard. Ce sont des segments de même plus en plus rapidement. longueur ou non, de la même inclinaison ou à obliquité différente.

9 Il y a ­régulières, il y a des irrégulières, des folles, des segments, horizontaux ou verticaux, qui out of square. passent les uns sur les autres et forment ainsi des croix. Certaines sont asymétriques Il y a et ont des branches de longueurs différentes. des formes en contour, cernées, encerclées Ces croix sont les éléments constituant de la par une ligne. série de simulations « Molndrian ». Il y a Il y a des formes pleines, remplies de couleur. des segments à inclinaison de 45° et de 135° qui forment des croix de Saint-André. Quand Il y a plusieurs segments se croisent, cela donne des formes sagement juxtaposées, d’autres des étoiles de configuration différente. s’entrechoquent,­ qui se recouvrent partiellement.

Il y a Il y a Des parcours qui ressemblent à des laby- des formes inscrites les unes dans les rinthes. Mais, en dépit de ce qu’écrit Abraham autres ; elles sont concentriques ou décalées Moles, ce ne sont pas de véritables laby- par rapport au centre. rinthes. Je vais un jour, en faire de véritables, pour donner raison à l’ami. Il y a des interstices de toutes sortes qui se Il y a produisent. Fond et forme se font des des parcours qui joignent les chiffres de pieds-de-nez. Dans ces situations « entre- certains carrés magiques, soit en ordre, soit les-deux », il y a en partie le répertoire du de façon aléatoire, avec permutations. Dans géomètre — saltimbanque que je suis. ce deuxième cas, il ne s’agit évidemment plus de carrés magiques. Il arrive aussi que des Il y a lignes, de plus en plus nombreuses, dispa- des couleurs qui n’émergent qu’à peine d’un raissent de ces parcours. fond, on les devine seulement. La différence des deux valeurs est à la limite de la capacité Il y a de discrimination. Ou alors, c’est la seule et des lignes qui forment les lettres : M comme même couleur qui joue, mais le fond est mat Malevitch, F comme Fannie, I comme Histoire et la forme satinée ou brillante. d’I, A et D comme Albrecht Dürer. Et d’autres que j’oublie. Elles sont distribuées sur la Il y a surface en bon ordre soldatesque, ou en des couleurs très contrastées, prises dans les adoptant des rythmes divers, ou au hasard. tranches opposées du spectre : forme rouge, fond vert, par exemple. Que cela est vulgaire, Il y a pourrait-on dire. Est-ce bien vrai ? des transitions d’une lettre en une autre (de A à M ou de D en V). Se produisent alors Il y a des phases intermédiaires, des lettres souvent un fond blanc. Les couleurs se inexistantes. détachent de cet environnement de neige, se trouvent illuminées par le blanc qui semble Il y a transparaître. des lignes qui sont comme des écritures. Elles montent, descendent en zigzag en faisant des Il y a sauts et des entrelacs tout en cheminant de des couleurs qui sont un ensemble de dégra- gauche à droite sur la feuille de papier. dés allant souvent du délavé, du presque blanc jusqu’au presque noir, entourant la teinte la Dans mon travail plus pure, la plus saturée, toute radieuse. Il il y a arrive aussi qu’à côté de la couleur satinée des formes. Ce sont des lignes qui se renfer- paraissent seulement deux-trois dégradés. ment sur elles-mêmes, qui se mordent la queue. Cela donne des carrés (beaucoup Il y a de carrés, car j’aime vraiment les carrés), des couleurs obtenues par un réseau de des rectangles et d’autres quadrilatères. lignes fines, parallèles. Faites avec de l’encre Il y a aussi des cercles, des triangles, des de Chine noire, à laquelle s’ajoutent quelques pentagones. À côté des formes normalisées, gouttes d’eau pour éclaircir la teinte.

10 Sont utilisées aussi des encres colorées Il y a ­mélangées entre elles, ou alors pures, des gris dénaturés, détournés de leur destin ready-made. de gris. Un esprit malin y a ajouté une goutte de jaune, de rouge, de bleu. Cela donne des Il y a gris non-gris, des gris à peine gris, des gris des couleurs obtenues par utilisation de plus-gris-du-tout, des semble-gris. matériaux traditionnels : huile, gouache, acrylique, crayon noir pour les gris, ou alors Il y a crayons de couleur, craies, fusain, feutrines des rouges de toute espèce : orangé, vermil- markers. lon, fauve, cadmium, pourpre, bordeaux, violacé, avançant du délavé vers le foncé avec Il y a un cortège allant du rose-bonbon au brun des couleurs faites avec du sang (dérobé dans chocolat. un hôpital), du jus de betteraves, des fruits rouges, du vin rouge. Le réservoir d’encre Il y a d’une table traçante rempli par ces jus inha- des bleus ; bituels n’a pas encore produit de résultat techniquement passable ! Il y a des jaunes. Il y a des couleurs obtenues par collage. Sont Il y a collés sur un fond quelconque : du papier des verts, peu de verts en réalité, car je coloré, gouaché, sérigraphié, des tissus, n’aime pas vraiment la couleur verte. Ou des vieux journaux — toute une maison de alors détournée de sa verdure vers le jaune ou campagne tapissée de feuilles de Hara-Kiri — le bleu, afin qu’elle évoque le moins possible des bandes adhésives. les paysages d’été radieux du Calvados.

Il y a Dans mon travail du blanc. (Dieu, que c’est beau le blanc !) ; des il n’y a pas fonds de toile blancs, à la peinture à l’huile, à d’ingrédients de nature l’acrylique. symbolique métaphysique Il y a mystique. des milliers de papiers blancs, de blancheur toujours différente. Il n’y a pas de message Il y a aucun message de la peinture blanche sur fond de papier ni de raton laveur. blanc.

Il y a des gris, allant du clair, presque blanc, au foncé, presque noir. Le Hôme-sur-Mer, été 1994

11 Glossaire

Abstraction géométrique : désigne une forme principaux fondateurs : Vassily Kandinsky d'expression artistique dans laquelle se sont (1866-1944), Kasimir Malevitch (1879-1935) et illustrés plusieurs courants historiques et qui Piet Mondrian (1872-1944). a recours à l'utilisation de formes géomé- triques, aux couleurs disposées en aplats dans un espace bidimensionnel, à l’organi- Art cinétique : réunit, à partir des années sation de surfaces, de volumes, de lignes et 1950, une nouvelle génération d'artistes qui de courbes, libérées de toute évocation et de cherchaient, en reprenant les données de toute anecdote. l'abstraction géométrique, à introduire les notions de mouvements et de temps (Vasarely, Tomasello, Soto, Agam, Morellet, Cruz-Diez…). Abstraction lyrique : à l’opposé de l’abstrac- tion géométrique se développe également un art informel, tachiste selon les critiques, qui Art conceptuel : apparu dans les années rejette la structure de l’œuvre sans écarter la 1960, l'art conceptuel ne se soucie en appa- composition et recourt à la spontanéité ainsi rence plus du savoir-faire de l'artiste ni même qu’à l'expression directe de l'émotion indivi- de l'idée qu'une œuvre doit être « finie » duelle. Aux États-Unis l’abstraction lyrique car l'idée prime sur la réalisation : certains est liée à l'expressionnisme abstrait, avec des artistes ne proposent par exemple que des artistes comme Pollock, Rothko, ou Barnett esquisses de ce que pourrait être l'œuvre ou Newman. encore des modes d'emploi permettant à tout un chacun de réaliser l'œuvre, c'est l'idée qui a de la « valeur », non sa réalisation. Ce Art abstrait : dans les années 1910, plusieurs mouvement concerne plutôt des artistes qui artistes commencent à expérimenter l’abs- ont pour première exigence d'analyser ce qui traction. Ils s’inspirent de sources diverses permet à l’art d’être art. mais partagent tous le désir de remettre en question la représentation comme unique raison d’être de l’art. Certains artistes Art concret : c’est au cours de la collabora- s’attaquent au traitement traditionnel de la tion entre Theo van Doesburg, Kandinsky et forme, d’autres décident de creuser les possi- Klee que naît la remise en question du terme bilités offertes par la couleur et la lumière. Au d’art abstrait. Theo van Doesburg, membre fil des années, l’art abstrait s’impose comme de De Stijl, à la fois peintre, sculpteur, archi- une expression à part entière qui ne se défi- tecte, typographe, poète, romancier, critique, nit pas uniquement par l’absence de quelque conférencier prônant un « Manifeste de l’art chose, notamment « d’éléments figuratifs » concret » explique son refus de la termino- mais par la présence de composants pictu- logie abstraite : « Peinture concrète et non raux, tels que matière, espace, texture, geste, abstraite, parce que rien n’est plus concret, lumière, rythme… plus réel qu’une ligne, qu’une couleur, qu’une De nombreux mouvements ou groupes des surface. Est-ce que sur une toile, une femme, avant-gardes liés à l’abstraction cherchent un arbre ou une vache sont des éléments à s’affranchir de tout ce qui est « matériel- concrets ? Non. Une femme, un arbre ou une lement étranger à l’œuvre ». Dans le même vache sont concrets à l’état naturel, mais à temps, ils cherchent à lui offrir le moyen l’état de peinture, ils sont plus abstraits, plus d’être un espace de recherche pour les autres illusoires, plus vagues, plus spéculatifs qu’un secteurs tels que l’architecture, le design plan ou qu’une ligne… ». industriel ou la typographie. C’est le cas de De En 1930, l’artiste Max Bill crée à Zurich le Stijl, du Bauhaus, du constructivisme russe… « Konkret Kunst ». L’art concret fédère à Sur le plan pictural, on peut considérer que partir de là des artistes d’horizons et de l’art abstrait s’est développé autour de trois générations diverses.

12 Art numérique : c’est vers 1965, avec les Constructivisme : né en Russie dans l'effer- œuvres de quelques pionniers, Fireder vescence qui suivit la Révolution de 1917. Nake, Georg Nees et Michael Noll, que l’on Dirigé contre tout esthétisme, il recherchait peut véritablement commencer à parler avant tout des objectifs sociaux, utilitaires de recherches esthétiques effectuées avec et matérialistes (Gabo, Pevsner, Archipenko, l’aide et le support de l’ordinateur. Tous Rodchenko, Larionov, Gontcharova, Tatlin…). insistent sur le côté expérimental de leurs travaux. Les premières machines à dessi- ner ou tables à dessin automatiques appa- Néo-plasticisme : fondé en 1917 à Amsterdam raissent autour de 1965. Constituées d’un par Piet Mondrian, Theo van Doesburg et Bart plateau horizontal sur lequel est fixée la van Leck. Il s'agissait de découvrir les "moyens feuille de papier, elles sont dotées d’un purs" par lesquels serait révélée l'harmonie chariot qui parcourt la surface. Vera Molnar universelle, soit une abstraction géométrique est la première en France à utiliser l’ordi- régie par un emploi très strict des seules lignes nateur pour la création plastique, non pas horizontales et verticales, des trois couleurs comme un simple automate, mais comme primaires pures, bleu, jaune et rouge, asso- une ressource centrale de l’atelier du peintre ciées avec le blanc et le noir. Mondrian attribue lui permettant une véritable expérimentation à ces couleurs des valeurs spirituelles, philo- plastique. sophiques et théosophiques. Entre 1960 et 1968, elle expérimente une nouvelle méthode : « la machine imagi- naire ». Les premiers instruments cyber- Op’Art : s’inscrit dans la tradition d’un art qui nétiques étant à l’époque trop onéreux, questionne le pouvoir de la vision. Les effets Vera Molnar, à l’instar de son ami musi- optiques, obtenus à partir, très souvent, de cien et compositeur Michel Philippot, lignes sinueuses, droites, ou de formes géomé- décide de travailler comme si elle le faisait triques deviennent un enjeu d’expression artis- à l’aide d’une machine. La procédure de tique. Son plus ancien représentant est Vasarely recherche introduite par l’utilisation de la qui en exploite les principes depuis 1930. C’est « machine imaginaire » consistait à écrire en 1965 avec l’exposition « l’œil réceptif » orga- des programmes simples et à élaborer des nisée par le MoMA où sont présentées des séries de transformation de formes selon œuvres de Bridget Riley, Yaacov Agam et Jesus des directives très précises en en limitant Soto que ce style, pont entre les expériences le champ et les possibilités par la fixation optiques et sensorielles, s’impose en tant que d’interdits. À la suite du programme venait tel. On parle aussi d’art cinétique. la réalisation, sur des rouleaux de papier, comme cela se passe d’ordinaire avec une table traçante reliée à un ordinateur. Cette Suprématisme : forme ultime de l’abstrac- méthode fut le premier auxiliaire de Vera tion proposée par l'artiste russe Kasimir Molnar pour élaborer un art systématique Malevitch en 1916, et considéré par beaucoup puisque toutes les réalisations permises par comme le paroxysme de l’art abstrait. Il s’agit le programme étaient effectuées. d’un art où se crée l’illusion d’un espace et Proche du minimalisme, abstraite et géomé- de mouvement à partir de superpositions trique, l’œuvre de Vera Molnar se prêtait de formes géométriques, de couleurs pures particulièrement au dessin par ordinateur. posées en aplat. On y trouve comme dans Des formes minimales (cercle, carré…) De Stijl l’utilisation du noir, du blanc et des sont organisées en série. Vera Molnar joue couleurs primaires. À partir de l’expérience ainsi sur l’infinité des variations que permet de l’exposition 0,10, Malevitch prévoit que la l’interférence de plusieurs paramètres très peinture va se tourner vers un espace imma- simples. Entrecroisements de lignes ou de tériel, un monde sans objet, libre de toute surfaces, variations de couleur, déplace- représentation. Il aboutit au Carré blanc sur ments progressifs d’une ligne à l’intérieur fond blanc de 1918, porte ouverte sur « l’au- d’un ensemble, etc. delà du carré », et plus largement, dans l’his- toire de l’art, sur le monochrome.

13 Pistes pédagogiques

Rappel des grandes lignes • Déstabiliser un « monument » de stabilité qui animent les réalisations ex : un monument bâti, une falaise, une de Vera Molnar et sur lesquelles pyramide. on peut travailler avec les élèves Langage : texte et image • Faire l’inventaire, à la manière de Prévert : • Se fixer des contraintes/des interdits. - du vocabulaire plastique : couleurs/formes/ • Se baser sur un système organisé (un espace entre les formes/lignes/supports ensemble de règles, de lois mathématiques). possibles… • Ne pas tenir compte du contenu sémantique - des actions plastiques : fragmenter, recou- • Se fier à l’arbitraire, à l’aléatoire pour multi- vrir, juxtaposer, accoler, entrechoquer, plier le champ des combinaisons. répéter, additionner, multiplier, superposer • Utiliser un minimum de moyens. (par le calque par ex), équilibrer, tourner… • Favoriser la simplicité, la clarté, la préci- (« Dans mon travail, il y a…/ Dans mon sion (d’où le choix des instruments). travail, il n’y a pas… »). • Associer plusieurs variables (forme et • Dresser un inventaire, à la manière de couleur, par exemple) de manière à produire G. Perec (« J’aime…/J’aime pas…). un effet dynamique (non monotone). • écrire un texte poétique à partir d’un • Intégrer à la démarche la perception du élément plastique (« Une ligne qui…, une spectateur : la composition produit un effet couleur pour…, une forme comme… »). visuel, une émotion, une interprétation • Jouer sur des anagrammes, comme Vera possible. Molnar. • Composer un texte en suivant la contrainte oulipienne du « beau présent », c’est-à-dire Approches par thèmes un « poème composé en l’honneur d’une personne d’un sexe ou un autre, chérie ou Rupture et continuité, ordre et désordre détestée. Chaque vers est écrit en n’uti- • Décider d’un rythme et le rompre. lisant que les lettres du nom du destina- • Changer une seule variable. taire. » (Abrégé de littérature potentielle). • Perturber l’ordre en introduisant un déca- • Composer un texte en suivant la contrainte lage à peine perceptible. oulipienne du monovocalisme (« lipogramme • Ranger/arranger selon un ordre régi par d’un genre particulier, d’où sont bannies une contrainte de forme/de couleur… toutes les voyelles, sauf une. » Abrégé de • injecter de l’ordre dans le désordre et vice littérature potentielle) (cf. What a man ! de versa. G. Perec, Oh ! l’ostrogoth ! de J. Jouet). • casser la figure fermée d’un carré, d’un • établir un langage plastique, graphique, ou cercle… créer une brèche. autre, composé d’éléments constructibles • créer une œuvre à partir d’une consigne : les uns à partir des autres. « c’est la guerre chez les carrés, sans • Coder un langage en utilisant les formes et armes ni blessés » ; « c’est la panique chez les couleurs (cf. Kandinsky). les carrés ». • Analyser un langage codé géométrique. • intervenir directement sur les machines • Combiner des signes à l’infini. pour les faire temporairement dysfonction- • Travailler sur les énoncés : en changer juste ner (faire bouger une feuille d’imprimante, une variante. une image sur un scanner). • Simuler l’écriture, donner à voir l’illusion de • traquer « l’accident » mécanique ou numé- l’écriture. rique pour en faire une collection et s’en • Imiter l’écriture de quelqu’un. servir de modèle (cf. R. Menkman). • Simuler une écriture « rigoureuse »/« ordon- • Imiter un bug : faire manuellement un écran née »/« folle »/« émotive »… Montrer de la d’une surface plane et peindre un bug. colère ou un autre sentiment dans l’écriture.

14 « Mon écriture est illisible mais on comprend • Passer de la ligne (fermée) au plein bien quand même ce que je veux dire ». (surface), et vice versa. • Tracer les lettres de son prénom. Les • Par pliage (origami), faire muter des formes. décomposer en segments, arcs, figures • Faire évoluer un texte de manière à la simples. Les utiliser comme des signes fois systématique et ludique grâce à une graphiques dans une production. autre contrainte oulipienne qui propose de • Choisir parmi des termes mathématiques remplacer « dans un énoncé donné, […] (multiplication, soustraction, fraction, addi- chaque vocable signifiant par une de ses tion, angle…) trois d’entre eux et les rendre définitions dans un dictionnaire donné ; visibles dans sa production. on réitère l’opération sur l’énoncé obtenu, et ainsi de suite » (Abrégé de littérature potentielle). Perfection • Faire évoluer un texte de manière à la • Donner l’impression d’une unité. fois systématique et ludique grâce à la • Rendre une forme parfaite moins parfaite, contrainte oulipienne « S + 7 » (« Il s’agit de mais pas trop. remplacer chaque substantif (S) d’un texte • Fabriquer des « carrés approximatifs ». donné par le septième (S + 7) trouvé après • Travailler comme une machine (cf. lui dans un dictionnaire donné. » (Abrégé de A. Warhol) : faire croire qu’un dessin a été littérature potentielle). fait par l’ordinateur. • « Greffer », fondre deux textes de théâtre ou • Remplir un carré de carrés (carrés deux poèmes en intercalant une réplique ou « gigognes », mise en abyme). un vers sur deux. • Travailler sur la nuance/vocabulaire des • à la manière de R. Queneau dans Exercices couleurs, des émotions, des sentiments… de style, décrire un carré du point de vue • Altérer, désintégrer, effilocher, dégrader, d’un mathématicien, d’un médecin, d’un rendre instable la régularité de tracés, de anglais, d’un aveugle, de Sherlock Holmes, lettres, de mots, de lignes d’écriture. de Radio-Londres… • Contrôler l’espace en le quadrillant (cf. • Tout représenter avec uniquement des P. Mondrian). triangles, des ronds, des carrés… ou mixer • Faire une œuvre en prenant le moins de les possibilités. décisions possible : trouver un système pour • Reproduire en vrai une forme faite à l’ordi- remplacer les décisions (cf. F. Morellet). nateur avec d’autres moyens (fils, fils de fer • Faire une œuvre si simple qu’on puisse etc. ; travailler avec des vrais pixels (rubik’s la dicter et obtenir une image simi- cube), avec des sucres etc. laire au modèle (cf. Les Telefonbilder de • Rapport broderie tissage et peinture. Faire L. Moholy-Nagy). une production picturale, abstraite ou • écrire un poème à voir, type « boule de figurative, et la transposer dans une tech- neige », dont on a à l’avance déterminé la nique tramée (pastilles thermofondantes, silhouette (cf. Les Djinns de V. Hugo). canevas, gommettes colorées, tissage, mosaïque). Transposer une production picturale dans des grilles quadrillées : Hybridation, métamorphose, chaque cellule ne doit comporter qu’une séries en évolution seule couleur. Varier le quadrillage : taille, • Faire « muter » un carré et présenter ses régularité. mutations successives (couleur/taille/ support…). • Fabriquer un carré à partir d’autres formes Autres pistes de réflexion (tangram). Regarder le travail de Sophie Calle, d’Eugène • Fabriquer un carré « mou », rond, plat, Guillevic (Euclidiennes), de Robert Desnos plein, vide… (Le carré pointu), l’OuLiPo et les palindromes • Faire devenir irrégulière une ligne régulière au carré. et continue.

15 Compositions musicales

Jean-Claude Risset (né en 1938) 1 les rend disponibles aux utilisateurs, scienti- fiques ou artistes. Ses travaux sont à l’interface de l’Art et de la Science : praticien et théoricien incontesté de Il incarne, par l’originalité de ses activités et l’informatique musicale, il est aussi un musi- de sa créativité, un exemple remarquable de cien et compositeur reconnu par la commu- rencontre " transdisciplinaire", associant les nauté artistique internationale. nouvelles technologies, l’art et la science.

Ses premières recherches, commencées 1 Extrait du site cnrs.fr comme chercheur au CNRS à l’Institut d’élec- tronique fondamentale, puis auprès de Max Mathews aux Bell Telephone Laboratories, à l’écoute dans les salles poursuivies à l’IRCAM (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique), à la Mutations, 1969 Faculté des Sciences de Luminy, puis au sein Durée : 10’25 du Laboratoire de Mécanique et d’Acoustique du CNRS (département des Sciences Pour Dialogues, 1975 l’Ingénieur), portent sur la caractérisation Flûte : R. François – Clarinette : M. Arrignon – des sons musicaux et sur leur synthèse. Piano : C. Roque Alsina – Percussions : J.-P. Drouet Ses recherches se situent au carrefour de Direction : M. Decoust l’acoustique, de l’informatique, de la psycho- Durée : 10’37 physique et de la musique. Elles ont apporté des résultats nouveaux sur les particularités Inharmonique, 1977 de la perception : elles ont permis de réaliser Soprano : I. Jarsky des constructions sonores donnant lieu à des Durée : 14’40 effets musicaux qui se fondent sur la particu- larité de la perception plutôt que sur une épure abstraite et prédéterminée de paramètres physiques, mettant en évidence des caracté- 2 ristiques imprévues et parfois paradoxales. Au Michel Philippot (1925-1996) lieu des limitations imposées par la production mécanique du son, c’est la perception du son Compositeur, théoricien, pédagogue, musico- qui est devenue déterminante. logue et musicographe, Michel Philippot, né à Verzy, dans la Marne, le 2 février 1925, était En comprenant et en exploitant les spécifici- l'un de ces musiciens d'exception pour qui l'ex- tés de l’audition, il a pu, le premier, imiter les pression de leur art passe nécessairement par sons cuivrés, ainsi que d’autres sons natu- la pratique de plusieurs disciplines. La guerre rels, montrant l’importance, pour leur identi- éclate alors qu'il a entrepris des études de fication, de l’évolution temporelle des événe- mathématiques, qu'il doit donc interrompre. Il ments sonores. Il a pu, surtout, produire des participe à la Résistance et est arrêté à Lyon. effets nouveaux prouvant la complexité de la À la Libération, il se tourne vers la musique, perception des sons musicaux par la réalisa- qu'il étudie notamment avec Georges Dandelot tion d’illusions ou paradoxes acoustiques : (1895-1975) au de 1945 glissandi qui montent et descendent à la fois, à 1947 et avec l'apôtre du dodécaphonisme, rythmes qui accélèrent indéfiniment ou sons René Leibowitz (1913-1972) de 1945 à 1949. dont la hauteur paraît baisser lorsque l’on D'abord professeur d'enseignement musi- double leurs fréquences. Il a soigneusement cal dans les écoles du département de documenté "les recettes" des sons produits la Seine (1946-1949), il entre ensuite à la dans un "Catalogue de sons synthétiques" qui ­Radiodiffusion française, comme musicien

16 metteur en ondes (1949-1959). Entre 1959 et tout d’abord comme interprète, en soliste 1961, il est adjoint de (1910- ou au sein des Ensembles Chrysalide et 1995) au Groupe de Recherches Musicales Rhizome, puis depuis quelques années (GRM) de la RTF, puis (1900- comme compositeur. 1997) l'appelle à ses côtés à la direction de Son travail s’inscrit dans une démarche expé- la chaîne France Culture de 1961 à 1963. Il rimentale visant à réduire autant que possible se voit alors confier le service des créations la part subjective dans l’acte d’écriture. Dans musicales de l'ORTF (1963-1964) avant de un style souvent dépouillé voire minima- devenir sous-directeur de la radiodiffusion liste, ses œuvres se déploient d’après des à l'ORTF (1964-1967) et responsable des systèmes rigoureusement préétablis, fondés productions et émissions musicales (1964- sur des modèles mathématiques comme les 1972). Ami de Raymond Queneau (1903-1976), suites chaotiques et les fractales. il est invité d'honneur de l'OuLiPo en 1967. Il En 2010, il rencontre Vera Molnar, dont le est conseiller du directeur général de l'ORTF travail l’a fortement marqué, et écrit sur sa (1972-1975) et du président de l'Institut natio- proposition Musique pour V.M. qui accom- nal de l'audiovisuel (INA, 1975-1976). Parallè- pagne son animation informatique Du visible lement, il enseigne la musicologie et l'esthé- au lisible. Les œuvres Cortège, En Équilibre I tique aux universités de Paris-I et de Paris-IV (écrite pour François Morellet), II et III, font (1969-1976). Il est également professeur de aussi écho par les procédés qui les animent à composition au Conservatoire de Paris (1970- l’esprit du mouvement art concret, jouant sur 1990), où il est à l'origine de la création d'un la frontière vibrante entre ordre et chaos. département d'enseignement supérieur aux Il est par ailleurs professeur de piano titulaire métiers du son (1989). Les compositeurs au conservatoire de Rennes. ­Denis Cohen, et Nicolas « Le travail de composition consiste ainsi à Bacri comptent parmi ses élèves. définir numériquement les conditions initiales et les règles de développement (algorith- 2 Extrait de l’Encyclopædia Universalis miques) qui devront satisfaire, par leur mise en œuvre dans le champ des paramètres musicaux (durées, hauteurs, intensités), mon À l’écoute dans les salles propre jugement esthétique et mes attentes par rapport à une idée fondamentale. » Composition pour double orchestre S’il ne laisse que peu de place à la subjec- Orchestre National de la RTF tivité, le très fort degré de contrainte de Direction : Hermann Scherchen l’écriture veut mettre en évidence une oscil- Enregistré le 2 août 1960 lation, plus ou moins marquée et à diverses Durée : 11'15 échelles, entre phénomènes prévisibles ou a Écrite en 1959, cette œuvre fut créée en 1960 priori aléatoires. par l’Orchestre national de la RTF placé sous On pourra alors envisager ces « fresques » la direction de Hermann Scherchen à qui elle sonores comme des rubans se déroulant est dédiée. indéfiniment et de manière autonome dans le temps, sur lesquels l’écoute peut se fixer Carrés magiques (Hommage à Évariste au gré de l’envie, voire incidemment. Pour Gallois) reprendre l’expression d’Erik Satie, et cultiver Ensemble instrumental du Nouvel Orchestre une certaine part d’autodérision : « musique Philharmonique de Radio-France d’ameublement ! ». Ou bien, par les réfé- Direction : Boris de Vinogradov rences aux arts visuels souvent convoquées, Enregistré le 15 septembre 1983 et le côté artisanal revendiqué : « musique Durée : 14’16 d’atelier ».

À l’écoute dans les salles

Melaine Dalibert (né en 1975) Musique pour V.M. Est une transcription sonore, une émanation Melaine Dalibert est un pianiste et composi- pourrait-on dire, de son support vidéo. teur né en 1979. Après des études effectuées La pièce prend la forme d’une lente progres- aux conservatoires de Rennes puis de Paris, il sion harmonique en six étapes, allant du s’intéresse particulièrement à la diffusion et chromatisme le plus dissonant à une résolu- à la création de la musique contemporaine : tion harmonieuse.

17 Chacune de ces étapes est animée par la stable. On pourra y voir un écho aux produc- superposition de deux lignes mélodico-ryth- tions combinatoires (spécialement celles des miques aux comportements différents : diver- années 80) de la dédicataire, Vera Molnar. gents lors des étapes impaires (1, 3 et 5), et convergents lors des étapes paires (2, 4 et 6). En équilibre La logique de cette imbrication, brouillée tant Est la pièce inaugurale d’un cycle en cours par la pédale du piano que par un éventail d’élaboration, qui propose de faire entendre, dynamique restreint ne devient perceptible à travers un jeu de répartition de notes autour qu’à partir d’un certain délai, comme pour de l’axe central du clavier noir et blanc, divers souligner l’ambiguïté du rapport entre figure degrés d’imprévisibilité. Dans cette pièce, et fond mise en évidence par le film. dédiée à François Morellet, les conditions initiales du processus de génération des Cortège hauteurs et des durées font régner une assez Est une pièce d’une durée indéterminée (son forte instabilité (équilibre à moyen terme). « écriture », fondée sur le principe fractal peut Les pièces suivantes (En Équilibre II à Vera s’auto-générer à l’infini). Elle prend la forme Molnar, En Équilibre III, à François Perrodin) d’une suite obsédante de notes qui laissent iront vers toujours plus de prévisibilité (équi- entendre, malgré d’incessantes mutations libre à court terme). au cours du temps, une matrice harmonique

18 Films

À voir dans les salles computers et les conceptuels c’est-à-dire entre trois c… » Renaud Faroux et Juan Lozano, La java des carrés (documentaire, 2012, 15’) Vera Molnar à l’ordinateur : Love stories Musique : Christophe Chassol (2011, 04’28) Production : Jérôme Arcay/Renaud Faroux. Auteur : Jack Mayer Le documentaire de Renaud Faroux (historien Son et animation : Dominik Stauch d'art) et Juan Lozano (réalisateur) montre le Les « Love stories » sont nées de l’imagi- processus de création d'une œuvre de Vera nation de Jacques Mayer à une époque où Molnar commandée par le Centre National les générateurs de mots informatisés n’en d'Art Plastique. Le film démarre dans l'ate- étaient qu’à leurs premiers balbutiements. lier de l'artiste et se poursuit dans l'atelier Les trouvailles oulipiennes de Jacques Mayer de l'imprimeur Jérôme Arcay. On assiste au – pendant du Livrimage éponyme de Vera va-et-vient entre l'artiste et l'artisan pour la Molnar – ne furent longtemps qu’un projet production des œuvres : choix du papier, de fantasmé dont les instructions tenaient sur la couleur, réalisation de l'œuvre avec le séri- une feuille précieusement conservée à toutes graphe… Tout au long du documentaire Vera fins utiles… Molnar commente son œuvre autour de diffé- C’est grâce à la rencontre de Dominik Stauch rents thèmes et références : le manteau de par l’entremise de Blanka Heinecke (März La Dame d'Auxerre du Louvre, le dédale, la galerie, Mannheim) que s’est enfin concré- recherche et l'ordinateur… tisée la réalisation d’une œuvre animant les mots de Jacques Mayer. Laszlo Horvath, Vera Molnar, Plaisir de Dominik Stauch a su non seulement rester géométrie (documentaire, 2011, 52’). au plus près des vœux de Vera Molnar et Production : Pyramide production, Vosges Jacques Mayer mais il a également composé Télévision images plus, Vera Molnar ; une sonorisation adaptée qui complète effica- avec le soutien de la région Limousin et la participation du Centre National de la cement le dispositif. Cinématographie Vera Molnar, née à Budapest en 1924, s'ins- Du lisible au visible (10/2010) talle à Paris avec son futur mari François Une série d’œuvres de Vera Molnar réalisée Molnar en 1947. Intellectuellement elle est en compagnonnage avec Axel Rohlfs, soute- très vite attirée par le construit, par l’abstrac- nue par une création musicale originale de tion géométrique réfléchie, par le construc- Melaine Dalibert, avec l’aide informatique de tivisme mais elle est en désaccord avec les Pascal Szorath. règles immuables du constructivisme, ne cesse de commettre des sacrilèges au risque Vera Molnar, Journaux intimes, 1976-2003 de se faire lyncher. Elle commence à travail- Publication réalisée par la promotion 2007- ler avec l’ordinateur en 1968, quand toutes 2008 du Master Professionnel « Créateur les idées fantaisistes pouvaient aboutir… de produits multimédia artistiques et cultu- Ce qu’elle aime le plus, son bonheur c’est rels », dans le cadre du projet annuel de la le presque ordre et le presque désordre, formation (workshop « Pratique publiques et les deux extrêmes. Elle cite Baudelaire : de médiations »), sous la direction de Vincent « monotonie, symétrie, surprise », et c’est Baby et Boris Volant. l’élément surprise qui serait le désordre qui Édition des dix premiers carnets de l’artiste perturbe l’ordonnancement mécanique un représentant un assemblage temporel et peu ennuyeux. iconographique de près de 2 000 pages d’an- « Si je devais me situer dans les tendances notations et de dessin préparatoire à ses artistiques, alors je serais entre les œuvres. constructivistes, les gens qui s’occupent des

19 Autour de Vera Molnar

Centre d’art contemporain de Saint-Pierre-de-Varengeville

L’exposition est ouverte du 15 juin Jeune public au 30 septembre 2012, du mercredi Ateliers au dimanche de 13 h à 19 h sauf le 14 juillet Mercredis 27 juin, 11 juillet, 22 août, et le 15 août 2012 - Entrée libre 19 septembre de 13 h 30 à 15 h pour les 5-7 ans et de 15 h 30 à 17 h pour les 8-10 ans Adultes Entrée libre - Inscriptions au 02 35 05 61 72 Visites commentées Dimanche 17 et 24 juin, 15 et 22 juillet, Rencontre enseignants 19 et 26 août, 16 et 23 septembre à 16 h Mercredi 20 juin à 14 h 30-15 h 30 Entrée libre au musée des Beaux-Arts puis 16 h-17 h au Centre d'art contemporain Visite contée Sur réservation obligatoire au 02 35 52 00 62 Dimanche 30 septembre à 14 h 30 Entrée libre Visites commentées et ateliers gratuits sur demande au 02 35 05 61 72.

Musée des Beaux-Arts - Galerie, salle d’expositions temporaires

Adultes Visite traduite en langue des signes ➔ Individuel par l’association Liesse Visites commentées (1 heure) Samedi 23 juin à 15 h Dimanches 17 et 24 juin, 1er, 8 et 22 juillet, Visite avec audiophone équipé de boucle 19 et 26 août, 2 et 9 septembre à 16 h à induction magnétique et mercredi 12 septembre à 16 h 30 30 personnes maximum par visite 30 personnes maximum par visite Tarif : 4 € + entrée gratuite pour Tarif : 4 € + entrée à tarif réduit ; les personnes handicapées gratuit pour les moins de 26 ans Midi-musées (45 minutes) Conférences Jeudis 20 et 27, vendredis 21 Jeudi 20 septembre à 18 h 30 et 28 septembre à 12 h 30 L'art concret, un art pur ? Par Lucile Encrevé, 30 personnes maximum par visite docteure en histoire de l'art, professeure Tarif : 4 € ; gratuit pour les moins de 26 ans à l'ESADHaR (Rouen) et à l'ENSAD (Paris), spécialiste de l'hétérogénéité et de l'impureté Cinéma-musées de la peinture abstraite Mercredi 12 septembre Entrée libre Visite commentée à 16 h 30 et cinéma-musées à 19 h Jeudi 27 septembre à 18 h 30 Vera Molnar, rétrospective par Vincent Baby, Renaud Faroux et Juan Lozano, co-commissaire de l’exposition La java des carrés (documentaire, 2012, 15’) Auditorium du musée des Beaux-Arts Laszlo Horvath, Vera Molnar, Plaisir de Entrée libre dans la limite des places géométrie (documentaire, 2011, 52’) disponibles (100 personnes) (Voir page 19) Durée : 70 minutes En présence de Renaud Faroux et Laszlo Horvath Auditorium du musée des Beaux-Arts (100 places maximum)

20 Journées du patrimoine Avec Pierre-Louis Franco 15 et 16 septembre et les conférenciers du musée Musée des Beaux-Arts Atelier du musée sauf le mercredi 18 juillet à 10 h visite de l’exposition au Centre d’art Samedi 15 septembre contemporain Visite commentée (1 heure) à 15 h 30 12 enfants maximum/inscriptions auprès 30 personnes maximum - Sans réservation de la direction du Temps de l’Enfant, • Temps musical à 14 h et 16 h 30 : mairie de Rouen, 02 35 08 68 74 Melaine Dalibert (compositeur et pianiste) - Musique pour V.M. (commande de Tenir le rythme ! Vera Molnar pour son animation vidéo Ça, c'est facile, c'est une ligne, mais… Du visible au lisible) (10 minutes) en voilà une autre… déformée, et encore - Cortège (45 minutes) une autre, beaucoup plus déformée ! - En Équilibre II Mais… ce n'est pas le fruit du hasard ! Durée totale : 55 minutes À la suite de Vera Molnar, viens dessiner, peindre, découper et coller en suivant Dimanche 16 septembre ta propre logique ! • Visite commentée (1 heure) à 14 h 30 personnes maximum - Sans réservation Musées en famille (1 h 15) Dimanche 23 septembre à 16 h Clôture de l’exposition 30 personnes maximum par visite Dimanche 30 septembre à 16 h Tarif : 4 € + entrée à tarif réduit ; Lecture Dans mon travail, il y a gratuit pour les moins de 26 ans Des extraits de textes écrits par Vera Molnar dont Lettres à ma mère (1989-1990), ➔ En groupe Inventaire, (1994) seront lus devant Visites commentées, ateliers de pratique les œuvres de Vera Molnar par Catherine artistique, dossier pédagogique Dewitt, comédienne et metteur en scène. Visite libre Cette lecture sera ponctuée d’intermèdes Durée à préciser (30 élèves maximum) musicaux, extraits des pièces ou œuvres Entrée gratuite - Réservation obligatoire spécialement créées pour Vera Molnar par Melaine Dalibert, compositeur et pianiste : Visite commentée Musique pour V.M., Cortège et En Équilibre II. Durée : 1 h ou 1 h 30 (30 élèves maximum). Organisé en partenariat avec le Centre Tarif : 35 € ou 50 € - Entrée gratuite dramatique régional de Haute-Normandie/ Théâtre des Deux Rives et Melaine Dalibert Visites-ateliers Entrée comprise dans le billet d’entrée Durée 2 h : 1 h de visite et 1 h d’atelier (dans la limite des places disponibles) Tarif pour 15 enfants maximum : Durée : 1 h 15 80 € (matériel fourni) - Entrée gratuite Tarif pour une classe de 30 enfants ➔ Public en groupe maximum : 160 € (matériel fourni) - Visites libres ou commentées sur réservation Entrée gratuite obligatoire au 02 35 52 00 62 Ateliers Jeune public Durée : 1 h ➔ Individuel Tarif pour 15 enfants maximum : Stage 45 € (matériel fourni) 9, 10 et 11 juillet, de 14 h à 16 h Durée : 2 h 6-12 ans, 12 enfants maximum Tarif pour 15 enfants maximum : Tarif : 25 € 90 € (matériel fourni) Inscriptions à partir du 4 juin au 02 35 52 00 62 Réservations et renseignements Tes vacances au musée Pour le confort et la bonne organisation Du 16 au 20 juillet, de 9 h 30 à 12 h 30 de la venue des groupes, il est nécessaire En association avec la direction du Temps de réserver auprès du service des publics de l’Enfant de la Ville : stages pour les jeunes au 02 35 52 00 62 au moins trois semaines Rouennais (13-17 ans) durant les vacances à l’avance. scolaires

21 Bibliographie

Ouvrages sur Vera Molnar El Lissitzky, « A et Pangéométrie », Europa Almanach, dir. Gustav Kiepenheuer Verlag, Catalogue de l’exposition Vera Molnar Potsdam, 1925, trad. Martine Passelaigue, Retrospective, MBA, Rouen, in Art en théorie, 1900-1990, anthologie Bernard Chauveau éditeur Paris 2012 * de Charles Harrison et Paul Wood, édition Collectif, La Tourette : dialogues, française Hazan, Paris, 1997 Rencontre Le Corbusier, Vera Molnar, Stéphane Couturier, Ian Tyson, Couleurs Contemporaines, 2010 Ouvrages sur d’autres artistes Vincent Baby, Erik Verhagen, Vera Molnar et contemporains Julije Knifer - Lignes et méandres, Fondation Susanne Deicher, Mondrian, Taschen, 2005* Pour L'art Contemporain Salomon, 2004 Gilles Néret, Malevitch, Taschen, 2003* Florence de Mèredieu, Arts et nouvelles technologies, art vidéo, art numérique, Susanna Partsch, Klee, Taschen, 2007* Larousse, comprendre, reconnaître, 2003* (plusieurs pages sur Vera Molnar et l’art par ordinateur) Ouvrages en rapport avec les pistes pédagogiques

Ouvrages sur l’art concret Pratiques oulipiennes, anthologie proposée et commentée par D. Moncond’huy, Christophe Duvivier, Horizontales, verticales, La bibliothèque Gallimard, n° 147, seules, art concret, Somogy, 2006 * décembre 2004. Dada, Art concret, n° 101, 2004 * OuLiPo, Abrégé de Littérature Potentielle, Mille et une nuits, 2002 V. Hugo, Les Djinns, in Les Orientales, Paris, Écrits des avant-gardes Grands écrivains, 1992 géométriques R. Queneau, Exercices de styles, Gallimard, Theo van Doesburg, « La volonté De Stijl », 2006 in De Stijl n°2-n°3, 1922, in catalogue J. Prévert, Inventaire, in Paroles, Gallimard, De Stijl, dir. Frédéric Migayrou, 2011 éditions Centre Pompidou, 2010 Theo van Doesburg, « Art Concret », Art Concret n° 1, Paris, 1930, in Principes Webographie fondamentaux de l’art néo-plastique, Ensba, Paris, 2009 Site de Vera Molnar : www.veramolnar.com Piet Mondrian, « Le Néo-Plasticisme », in Mondrian, catalogue de l’exposition, dir. À consulter sur Wikipedia : Brigitte Leal, éditions Centre Pompidou, 2010 Le Manifeste de l’Art concret László Moholy-Nagy, Peinture, photographie, Site du centre Pompidou : film et autres écrits sur la photographie, www.centrepompidou.fr éditions J. Chambon, Nîmes, 1993 László Moholy-Nagy, Vision in motion, Chicago, éditions Paul Theobald and Company, 1947

22 Renseignements pratiques

Musée des Beaux-Arts Service des publics Esplanade Marcel Duchamp Esplanade Marcel Duchamp 76000 Rouen 76000 Rouen Tél. : 02 35 71 28 40 Tél. : 02 35 52 00 62 Fax : 02 35 15 43 23 Fax : 02 32 76 70 90 Le musée est ouvert de 10 h à 18 h tous les Mail : [email protected] jours sauf le mardi et certains jours fériés.

Horaires Service éducatif Exposition ouverture du 15 juin au 30 septembre 2012 de 10 h à 18 h, tous les jours N’hésitez pas à contacter Séverine ­Chaumeil, sauf le mardi, le 14 juillet et le 15 août 2012. professeur des écoles, Laura Bernard, ­professeur d’arts plastiques et Sabine Morel, Tarifs professeur de lettres pour tout projet Exposition : plein tarif : 6 € - tarif réduit : pédagogique au 02 35 52 00 62 (sur rendez- 4 € ; gratuit pour les moins de 26 ans vous le mercredi de 14 h 30 à 17 h 30). et les demandeurs d’emploi Billet couplé collections permanentes/ Esplanade Marcel Duchamp exposition temporaire : plein tarif : 7 € - tarif 76000 Rouen - Tél. : 02 35 52 00 62 réduit : 5 € ; gratuit pour les moins de 26 ans Mail : [email protected] ; et les demandeurs d’emploi [email protected] ; [email protected]

Centre d’art contemporain Actualité sur le site : www.ac-rouen.fr 425 rue du Château chapitre ressource pédagogique rubrique 76480 Saint-Pierre-de-Varengeville action culturelle Tél. : 02 35 05 61 73 Le Centre d’art contemporain est ouvert de 13 h à 19 h tous les jours sauf le lundi, Actualité sur les sites le mardi et les jours fériés. Des musées de Rouen : Horaires www.rouen-musees.com, rubrique activités/ Exposition ouverte du 15 juin groupes/ressources pédagogiques au 30 septembre 2012, du mercredi Du rectorat : au dimanche de 13 h à 19 h sauf le 14 juillet www.ac-rouen.fr, rubrique espaces et le 15 août 2012. pédagogiques/action culturelle

Tarifs Des musées de Haute-Normandie : Entrée libre www.musees-haute-normandie.fr, rubrique ressources éducatives A ccès De la Matmut : www.matmut.fr • en bus Ligne 26 (départ Mont-Riboudet, arrêt Salle des fêtes) • par l’A150 Vers Barentin, sortie La Vaupalière, direction Duclair

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