École Des Hautes Études En Sciences Sociales École Doctorale 286
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École des Hautes Études en Sciences Sociales École doctorale 286 Thèse de doctorat Formation doctorale : Musique, histoire, société François Meïmoun La Construction du langage musical de Pierre Boulez La Première Sonate pour piano Thèse codirigée par : M. Michael Werner, Directeur d’études à l’EHESS M. Alain Poirier, Directeur de la recherche au Conservatoire national supérieur de musique de Lyon Date de soutenance : le lundi 6 mai Jury : Mme. Danielle Cohen-Levinas, Professeur à l’Université Paris-Sorbonne (Paris IV) M. Yves Balmer, Professeur au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris Mme Agnès Callu, Conservateur au Musée des Arts décoratifs, HDR, Rapporteur M. Frédéric Durieux, Professeur au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris M. Laurent Feneyrou, Chargé de recherche au CNRS M. François Noudelmann, Professeur à l’Université de Paris VIII, Rapporteur 1 à Géraldine à nos filles Clara et Anna 2 Remerciements Je remercie en premier lieu Michael Werner et Alain Poirier, pour leur écoute et leur patience au quotidien et tout au long de ces années de joies et de doutes partagés, Je remercie Michael Levinas, mon maître au Conservatoire de Paris, qui m’a tant appris et tant donné, Je remercie Philippe Schoeller de sa présence et de sa patience, face aux tournoiements de mes premières heures de réalisation. Je le remercie de cet exemple qu’il est et qu’il demeure, dans son art et dans son amitié, Je remercie Jean-François Dubos, premier soutien, regard bienveillant et généreux, Je remercie mes amis Michel Archimbaud, Laurent Kupferman et Xavier Bouchaud, Je remercie Bruno Moysan pour sa lecture attentive, Je remercie ma mère et pense à mon père, loin et près, dans les chemins de traverse, Je remercie ma belle-mère et son soutien constant et silencieux, je pense à mon beau-père et à sa voix forte et réconfortante, Je remercie nos filles, Clara et Anna, d’être au monde et d’être qui elles sont, Je te remercie, toi, Géraldine, pour toutes nos vies ensembles. 3 Sommaire Introduction Partie I - Devenir compositeur, de Vichy à la France libérée I - Paysage des modernités et avant-gardes musicales françaises dans l’entre-deux- guerres : Modernité... Modernité… A) Avant-garde et modernité : les termes confrontés B) Pierre Boulez au vu de l'historiographie : un musicien moderne ou d'avant-garde ? C) Enjeux des affinités esthétiques d'avant-guerre 1) Jeune France, entre modernité et avant-garde 2) Situations de Stravinsky 3) Situations de Schönberg 4) René Leibowitz : l'inversion du modèle II - Se former, de Vichy à la France libérée A) La vie musicale sous Vichy : rupture ou continuité ? Un débat historiographique ? B) Le concept de modernité dans la France occupée C) De Lyon à Paris, de la France occupée à la Libération : l’accès progressif de Pierre Boulez à la modernité 1) La formation lyonnaise 2) L’arrivée à Paris a) L’entrée au Conservatoire b) L’« admirable » Delvincourt ? D) Boulez, élève de Messiaen 1) Harmonie et composition, Conservatoire et leçons privées : un enseignement à deux faces ? 2) Le Quatuor pour ondes Martenot, une œuvre moderne a) Synthétiser Jeune France et l’école de Vienne b) Quarts de ton et espaces non tempérés : maniérisme moderne ou quête de l' « invisible » ? 3) L’avant-garde contre la modernité ? Les relations paradoxales de Boulez à ses aînés III - L’« illumination » sérielle A) La classe de Leibowitz, repère de l’avant-garde naissante 1) Contexte d’une classe émergeante 2) La classe de Leibowitz : un enseignement à la carte B) Nature et rayonnement de la pensée historique de Leibowitz 1) Définition 2) De Leibowitz à Boulez, la transmission d'une pensée téléologique 4 C) Crises et ruptures 1) Aux sources d’une rupture 2) Un sériel isolé 3) Qui compose ? La création en crise D) Littérature, théâtre et poésie : renouvellement des références 1) Dire et se mouvoir : le théâtre de Barrault 2) Découverte de René Char 3) « La musique de l'invisible » d'Antonin Artaud : le son et le cri 4) Sérialisme et surréalisme : une quête d’ordre et d’hystérie Partie II – Substituer le délire à l’incantation ou comment s’affranchir de la modernité I - Le dessin du geste A) La sonate pour piano dans le sillage sériel B) Clusters et agencements chromatiques : assimilation et dépassement des idiomes modernes immédiats C) La violence et la résonance : définition du pianisme boulézien II - Écrire et improviser A) Différence et répétition : dialectique du palimpseste boulézien B) Une nouvelle « inquiétude rythmique » ou la réorientation des écritures de l'improvisation C) Composer les matériaux III - Formaliser le délire A) La pensée harmonique de la Première Sonate B) La pensée thématique et formelle de la Première Sonate 1) Une sonate athématique ? 2) Élaboration progressive d’une forme 3) La forme vue sous le prisme de l'incise initiale 4) De l’incantation au délire : l’enjeu de la Première Sonate Conclusion 5 Toutes les œuvres sont de tous les temps. Il n’y a pas de pièce spécifiquement ancienne ou moderne, ou c’est une œuvre ratée1. Antonin Artaud Introduction Pour qui se penche sur la création musicale dans la France de l’immédiat après-guerre, la composition d'une sonate pour piano ne semble pouvoir s'y être effectuée sans la conscience historique aiguë qu'impliquerait le choix d'une telle forme. Choisir une forme participerait, face à l'histoire, d'un positionnement volontaire. Ce, particulièrement au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, tragédie meurtrière dont l'impact est, dans la population française, aussi immédiat que refoulé2. Les atrocités de cette guerre ont eu lieu sous les yeux d'un monde « stupide et inconscient3 » dit Albert Camus qui, Paris juste libérée, dénonce « le sort que les démocraties victorieuses réservent aux témoins4 » de ce « temps d’algèbre damnée5 ». S'agit-il pour les jeunes musiciens d'alors, adolescents à la Libération, de réitérer un monde meurtri en usant de genres et de formes traditionnels, attachés au passé ? Ceux-ci peuvent-ils répondre aux injonctions du jour ? Une œuvre signée au lendemain de l’armistice peut-elle se soustraire au devoir de témoigner6 ? D’emblée, ce premier questionnement arrête. Celui-ci ne serait-il qu’un seul outil méthodologique visant à forcer le déchiffrage d'une époque à la lumière des œuvres d'art qu'elle a vues naître ? Charles Rosen prévient que l’équation entre œuvre et histoire est délicate et qu'elle relève de la seule « métaphore7 ». Il n'est guère aisé d'isoler les œuvres produites au lendemain de la guerre du contexte social, historique et politique qui les a vues éclore, d'autant qu'elles furent accompagnées de discours convaincus et véhéments de la part des artistes eux- 1 Artaud (Antonin), « Le Théâtre Alfred Jarry 1928-1930 », Œuvres, Gallimard, Quarto, Paris, 2004, p. 280-293, p. 284. 2 Tragédie perçue par Philippe Buton, comme « la grande mémoire absente » des premières années de la Libération. Buton (Philippe), La Joie douloureuse. La Libération de la France, Complexe, IHTP, Bruxelles, 2004, p. 211. Cf., aussi, Wieviorka (Annette), Déportation et génocide. Entre la mémoire et l'oubli, Hachette, coll. « Pluriel », Paris, 2003. 3 Camus (Albert), Actuelles. Écrits politiques, Gallimard, coll. « Idées », Paris, 1977, p. 84. 4 Loc. cit. 5 Char (René), Feuillet d’Hypnos, Gallimard, coll. « Pluriel », Paris, 2007, p. 14. 6 Cf., sur ce sujet, Martínez (Dolores), « L'œuvre d'art en tant que témoignage : les artistes confrontés à la guerre », Cahiers de civilisation espagnole contemporaine [En ligne], mars 2008, mis en ligne le 13 janvier 2009. 7 e Rosen (Charles), Aux Confins du sens - Propos sur la musique, Seuil, coll. « La librairie du XX siècle », Paris, 1998, p. 145. 6 mêmes. Au lendemain de l'armistice, tous veulent valider leurs choix esthétiques par des discours raisonnés et solidement argumentés. Plus encore, c’est la seule possibilité de pouvoir s'exprimer par l’art qui est ébranlée aux lendemains de la guerre : « Écrire un poème après Auschwitz est barbare, et ce fait affecte même la connaissance qui explique pourquoi il est devenu impossible d’écrire aujourd’hui des poèmes8 ». Theodor Adorno confronte directement l'artiste à la tragédie qui vient de dévaster le monde9. Sa position ne rassemble pas. D'autres voix s'élèvent10 et contredisent cette prophétie négative. Quoi qu’il en soit, la question d’écrire après les camps reste posée et l’art, qu’il soit ou non convoqué en réponse à l’horreur, ne peut se faire, d'Adorno à Paul Celan, sans la conscience des évènements. L’historiographie est-elle mieux à même de poser la question dans le domaine des lettres que dans celui de la musique, « par essence, impuissante à exprimer quoi que ce soit11 » ? Pour l’œuvre musicale dont il est ici question, la Première Sonate pour piano de Pierre Boulez, il est vain, sur ce point, d'attendre du compositeur des propos éclairants. Six décennies de productions musicales et littéraires, sur et de Boulez, se sont succédé depuis la composition de la Première Sonate. Un constat apparaît : Boulez évite invariablement les articulations entre langage et histoire. Il se limite à parler du passé, de son passé, pour éclairer ses préoccupations présentes et simule régulièrement l'amnésie des motivations premières. Celles-ci demeurent secrètes ; à peine dévoilées, elles retournent dans l’ombre. Le choix d'une forme, la définition d’une grammaire resteraient donc une affaire exclusivement musicale. Boulez eut-il, par le recours à la sonate, la volonté d'établir un dialogue avec la tradition et voulut-il y prouver sa « grandeur12 » ? Au contraire, la sonate put-elle, d'emblée, être vidée de tous ces présupposés, être soustraite de ses implications habituelles et de ses histoires mêlées ? Le contexte de l’après- guerre a-t-il aiguisé la conscience et la responsabilité des compositeurs et de leurs choix formels ? Pour la génération de compositeurs français nés au milieu de l’entre-deux-guerres de 8 Adorno (Theodor W.), Prismes.