Beihefte der Francia

Bd. 71

2010

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A` TRAVERS SES RE´ E´ CRITURES BEIHEFTE DER FRANCIA

Herausgegeben vom Deutschen Historischen Institut Paris

Band 71

L’HAGIOGRAPHIE ME´ ROVINGIENNE

A` TRAVERS SES RE´ E´ CRITURES

sous la direction de

Monique Goullet, Martin Heinzelmann, Christiane Veyrard-Cosme

Jan Thorbecke Verlag L’HAGIOGRAPHIE ME´ ROVINGIENNE A` TRAVERS SES RE´ E´ CRITURES

Monique Goullet, Martin Heinzelmann, Christiane Veyrard-Cosme

Jan Thorbecke Verlag BEIHEFTE DER FRANCIA Herausgeberin: Prof. Dr. Gudrun Gersmann Redaktion: Veronika Vollmer Deutsches Historisches Institut, Hoˆ tel Duret-de-Chevry, 8, rue du Parc-Royal, F–75003 Paris

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Pre´face par Monique Goullet, Martin Heinzelmann et Christiane Veyrard-Cosme ...... 7

Monique Goullet Introduction ...... 11

Martin Heinzelmann L’hagiographie me´rovingienne: panorama des documents potentiels . . . . . 27

Michel Banniard Les textes me´rovingiens hagiographiques et la lingua romana rustica . . . . . 83

Franc¸ois Dolbeau Transformations des prologues hagiographiques, dues aux re´e´critures . . . . 103

Ste´phane Gioanni La Vita Virgilii (BHL 8679): plagiat, re´e´criture ou remploi? ...... 125

Charles Me´riaux Une Vita me´rovingienne et ses lectures du IXe au XIe sie`cle: le dossier de saint Ge´ry de Cambrai...... 161

Christiane Veyrard-Cosme La Vita me´rovingienne de Maximin de Tre`ves a` travers sa re´e´criture par Loup de Ferrie`res: hypotexte ou pre´texte? ...... 193

Maximilian Diesenberger Der Cvp 420 – die Gemeinschaft der Heiligen und ihre Gestaltung im frühmittelalterlichen Bayern ...... 219

Francesco Stella Riscritture ritmiche di agiografie merovinge in eta` carolingia ...... 249

Julia M. H. Smith La re´e´criture chez Hucbald de Saint-Amand ...... 271 6

Birgit Auernheimer E´ tude de cas: proposition d’une me´thode de datation de la Vita Aviti fonde´e sur l’analyse syntaxique ...... 287

Index des manuscrits ...... 323

Index des saints et des hagiographes ...... 326

Les auteurs de ce livre ...... 331 Pre´face

Le pre´sent volume constitue le dernier volet d’un triptyque hagiographique, re´alise´a` l’initiative de Martin Heinzelmann dans le cadre institutionnel de l’Institut histo- rique allemand de Paris, qui, pour l’occasion, s’est associe´ le Laboratoire de me´die´- vistique occidentale de Paris (LAMOP). Le projet, conc¸u comme une se´rie d’ateliers internationaux, entendait aborder un domaine, jusque-la` fort peu repre´sente´ dans la recherche historique et litte´raire du haut Moyen Aˆ ge: celui de la re´e´criture hagiographique. La conception originelle du projet a e´volue´ de pair avec l’entreprise »Les sources hagiographiques narratives compose´es en Gaule avant l’an mil (SHG)«, dont il constitue un comple´ment logi- que1. En l’anne´e 2000, le premier atelier s’e´tait propose´ d’attirer l’attention sur l’inte´reˆt que repre´sentent, pour les historiens, la multiplicite´ des biographies d’un meˆme saint et les transformations formelles et ide´ologiques dont te´moignent ces re´e´critures; la perspective me´thodologique adopte´e avait de´bouche´ sur une premie`re mise au point d’un outil de travail, une grille typologique de lecture et d’interpre´tation2. Un deuxie`me colloque, co-organise´ par l’IHAP et le LAMOP a` l’Institut historique allemand, le 18 juin 2003, eut pour but de de´gager les caracte´ristiques fondamentales de la re´e´criture des re´cits de Miracles, afin de relever les spe´cificite´s de ce genre par opposition aux biographies de saints3. Enfin, ce troisie`me et dernier colloque, tenu, comme les pre´ce´dents, a` l’Institut historique allemand de Paris, les 1er et 2 fe´vrier 2007, a aborde´ le proble`me de la connaissance de l’hagiographie me´rovingienne, ge´ne´ralement de´pourvue d’une tra- dition manuscrite contemporaine, a` travers ses e´critures et re´e´critures carolingiennes. L’intitule´ retenu pour ce dernier atelier, »L’hagiographie me´rovingienne a` travers ses

1 Cf. Franc¸ois Dolbeau, Martin Heinzelmann, Joseph-Claude Poulin, Les sources hagiogra- phiques narratives compose´es en Gaule avant l’an mil (SHG). Inventaire, examen critique, data- tion, dans: Francia 15 (1987), p. 701–731; l’e´tat le plus actuel des publications dans le cadre de cette entreprise se trouve dans la pre´face commune de ces trois directeurs au livre de Joseph- Claude Poulin, L’hagiographie bretonne du haut Moyen Aˆ ge, Ostfildern 2009 (Beihefte der Francia, 69), p. 9–14. 2 Monique Goullet, Martin Heinzelmann (dir.), La re´e´criture hagiographique dans l’Occident me´die´val. Transformations formelles et ide´ologiques, Ostfildern 2003 (Beihefte der Francia, 58). 3 Monique Goullet, Martin Heinzelmann (dir.), Miracles, Vies et re´e´critures dans l’Occident me´die´val. Actes de l’atelier »La re´e´criture des Miracles« (IHAP, juin 2004), et SHG X–XII: dossiers des saints de Metz et Laon et de saint Saturnin de Toulouse, Ostfildern 2006 (Beihefte der Francia, 65). 8 Pre´face re´e´critures«, atteste les deux orientations attendues autour desquelles se sont orga- nise´es les communications propose´es: d’une part, une attention a` l’usage de la re´e´cri- ture carolingienne et aux hypertextes qu’elle a produits; d’autre part, une attention porte´e aux hypotextes me´rovingiens qu’elle dissimule, qu’ils soient identifie´s ou non. Le colloque e´tait organise´, comme le pre´ce´dent, par Monique Goullet et Martin Heinzelmann, aide´s cette fois par Christiane Veyrard-Cosme, alors maıˆtre de confe´- rences a` l’universite´ Paris III. Il nous reste a` exprimer nos remerciements a` l’Institut historique allemand de Paris et a` ses directeurs, Werner Paravicini et Gudrun Gersmann, qui ont subventionne´ notre entreprise, ainsi qu’au CNRS, qui l’a soutenue financie`rement par l’interme´- diaire du LAMOP; nos remerciements s’adressent e´galement a` Veronika Vollmer, re´dactrice des »Beihefte der Francia«, ainsi qu’a` Laurent Tournier pour la relecture et la mise en forme du manuscrit. En ce qui concerne la pre´sentation des notes, les sigles et abre´viations suivants, communs au volume entier, s’ajoutent aux abre´viations que les auteurs introduisent dans leurs contributions.

AASS Acta sanctorum (cite´ d’apre`s la premie`re e´dition) AASS OSB Acta sanctorum ordinis s. Benedicti (Jean Mabillon) AnalBoll Analecta Bollandiana BHL Bibliotheca hagiographica latina (2 vol. 1898–1899 et Novum Supplementum de 1986) BiblSS Bibliotheca sanctorum, t.I-XII + Indici, Vatikanstadt 1961–1970 Bischoff 1/2 Berhard Bischoff, Katalog der festländischen Handschriften des neunten Jahrhunderts (mit Ausnahme der wisigotischen), Wies- baden 1998, 2004 Cat.Brux. Catalogus codicum hagiographicorum bibliothecae regiae Bru- xellensis, 2 vol. 1986–1989 Cat.ge´n.mss Catalogue ge´ne´ral des manuscrits des bibliothe`ques publiques de De´pts France. De´partements [cite´: Cat.ge´n.mss De´pts I (1886), p. 10] Cat.Paris. Catalogus codicum hagiographicorum latinorum antiquiorum ... in Bibliotheca Nationali Parisiensi, 4 vol. 1889–1893 Cat.Rom. A. Poncelet, Catalogus codicum hagiographicorum latinorum bibliothecarum romanarum praeter quam Vaticanae, 1909 Cat.Vat. A. Poncelet, Catalogus ... bibliothecae Vaticanae, 1910 CC Corpus Christianorum, Series latina CCCM Corpus Christianorum, Continuatio mediaevalis CLA Elias Avery Lowe, Codices latini antiquiores: A Palaeographical Guide to Latin Manuscripts Prior to the Ninth Century, Oxford CPL Eligius Dekkers, Clavis patrum latinorum, Steenbrugge 31995 MGH, SRM Monumenta Germaniae historica, Scriptores rerum merovingi- carum Migne PL Patrologia latina (de Migne) Pre´face 9

Pour la bibliothe`que (ou le de´poˆ t d’archives) de conservation des manuscrits, la citation du nom de lieu suit re´gulie`rement le mode`le de Kristeller/Krämer (Latin Manuscript Books before 1600, by Paul Oskar Kristeller. Fourth revised and enlar- ged edition by Sigrid Krämer, München 1993 [MGH. Hilfsmittel, 13]). Les deux index, celui des saints et des hagiographes et celui des manuscrits, ont e´te´ e´tablis par les soins de Martin Heinzelmann.

Paris, mars 2010 Monique Goullet, Martin Heinzelmann, Christiane Veyrard-Cosme

MONIQUE GOULLET

Introduction

Sont publie´s ici les actes du troisie`me et dernier colloque d’une se´rie organise´e a` l’Institut historique allemand a` l’initiative de Martin Heinzelmann. Le premier avait pour objet de pallier la carence de travaux syste´matiques sur la re´e´criture hagiogra- phique, et d’attirer l’attention sur l’inte´reˆt historique des versions tardives souvent rejete´es pour leur caracte`re inauthentique; une grille typologique de lecture et d’in- terpre´tation y avait e´te´ propose´e1. Le second portait sur la spe´cificite´ des re´e´critures de Miracles par opposition a` celle des Vies des saints2. Enfin, celui-ci, qui s’est tenu les 1er et 2 fe´vrier 2007, a aborde´ la question difficile de la connaissance que nous pouvons avoir de l’hagiographie me´rovingienne a` travers ses re´e´critures carolingiennes: est-il possible d’approcher avec un minimum de fiabilite´ l’hagiographie me´rovingienne a` travers le filtre de ses remaniements, e´tant entendu que ceux-ci peuvent aller de la simple re´fection linguistique a` une re´e´criture si profonde que l’hypotexte est devenu quasiment insaisissable?

UNE DOUBLE PROBLE´ MATIQUE

De l’intitule´ »L’hagiographie me´rovingienne a` travers ses re´e´critures« ressortent net- tement deux orientations autour desquelles se sont organise´es les communications de notre colloque: d’une part, une attention a` l’usage de la re´e´criture carolingienne et aux hypertextes qu’elle a produits; d’autre part, une attention porte´e aux hypotextes me´rovingiens qu’elle dissimule, qu’ils soient identifie´s ou non. Le the`me de la re´e´criture e´tait ainsi au premier plan dans les communications de Franc¸ois Dolbeau (re´e´criture du paratexte), Birgit Auernheimer (apports de l’analyse syntaxique applique´e a` deux exemples pre´cis), Charles Me´riaux (le dossier de saint Ge´ry), Christiane Veyrard-Cosme (la Vie de saint Maximin de Tre`ves dans sa re´e´cri- ture par Loup de Ferrie`res), Julia Smith (Hucbald remanieur) et Francesco Stella (la

1 Les actes de l’atelier du 8 juin 2000 sont publie´s sous le titre: La re´e´criture hagiographique dans l’Occident me´die´val. Transformations formelles et ide´ologiques, sous la direction de Monique Goullet, Martin Heinzelmann, Ostfildern 2003 (Beihefte der Francia, 58). 2 Atelier du 18 juin 2004, publie´ dans: Monique Goullet, Martin Heinzelmann (dir.), Miracles, Vies et re´e´critures dans l’Occident me´die´val. Actes de l’atelier »La re´e´criture des Miracles« (IHAP, juin 2004) et SHG X–XII: dossiers des saints de Metz et Laon et de saint Saturnin de Toulouse, Ostfildern 2006 (Beihefte der Francia, 65), p. 9–147. 12 Monique Goullet re´e´criture en vers rythmiques); la proble´matique de la re´e´criture est plus masque´e dans le titre de Ste´phane Gioanni, »La Vie de Virgile d’Arles«, mais c’est aussi de cela qu’il s’agit. A` la seconde proble´matique, centre´e non plus sur les hypertextes mais sur les hypotextes me´rovingiens, se rattachent la communication de Martin Heinzelmann, qui a brosse´ un panorama de l’hagiographie me´rovingienne, celle de Max Diesen- berger, qui a traite´ des collections hagiographiques me´rovingiennes conserve´es dans les manuscrits carolingiens, spe´cialement le manuscrit Wien, ÖNB 420 (ca 800), la communication de Michel Banniard, qui a jete´ un e´clairage linguistique sur les textes hagiographiques me´rovingiens, et notre table ronde conclusive, ou` la discussion a porte´ sur la possibilite´ d’une expertise des textes hagiographiques me´rovingiens3. Mais, dans notre de´marche, il est important que ces deux faces d’une meˆme ques- tion se rejoignent toujours autour de l’ide´e que l’analyse des re´e´critures peut eˆtre un moyen de de´couvrir du nouveau sur les textes anciens. Un exemple frappant est apporte´ par Francesco Stella: les re´e´critures en vers rythmiques, aux yeux de certains, apparaissent comme purement ›de´coratives‹; or une comparaison avec leurs hypo- textes suppose´s conduit en re´alite´a` des surprises dans le domaine de l’histoire des textes. Que l’on soit, dans une large mesure, force´ de conside´rer les textes hagiographiques me´rovingiens a` travers leurs re´e´critures est une ide´e qui n’e´tonnera aucun de ceux qui ont quelques notions d’histoire des textes. En effet, comme le montre Max Diesen- berger, la plupart des Vies me´rovingiennes nous sont parvenues, au mieux, dans des manuscrits de la seconde moitie´ du VIIIe ou du IXe sie`cle, et certaines ne sont pas atteste´es dans des te´moins ante´rieurs au XIe ou au XIIe sie`cle. La Vie de Wandrille est l’une des rares a` figurer dans un manuscrit tre`s proche de la date de re´daction du texte: Wandrille est mort en 663, et sa vita ae´te´ re´dige´e au plus tard en 700. Le manuscrit Paris, BNF lat. 18315, originaire de Corbie et e´crit en grandes onciales, est du VIIIe sie`cle (milieu du VIIIe, d’apre`s Lowe, Codices latini antiquiores, t. V); c’est un libellus de trente et un folios, qui ne contient que cette vita4. La Passion de Julien de Brioude (BHL 4540) est, quant a` elle, transmise par le manuscrit Munich, Staatsbi- bliothek Clm 3514, du milieu du VIIIe sie`cle5. Tout texte figurant dans un manuscrit tardif est e´videmment suspect de n’eˆtre plus conforme a` sa version originale.

3 Faute de pouvoir en re´percuter fide`lement les de´bats, nous avons renonce´a` publier cette table ronde sous sa forme originelle, mais on en trouvera des e´chos dans la pre´sente introduction. Elle a en outre de´bouche´ sur un projet collectif d’expertise de l’hagiographie me´rovingienne dans les plus anciens manuscrits conserve´s. 4 Voir Joseph-Claude Poulin, Les libelli dans l’e´dition hagiographique avant le XIIe sie`cle, dans: Martin Heinzelmann (dir.), Livrets, collections et textes. E´ tudes sur la tradition hagiographique latine, Ostfildern 2006 (Beihefte der Francia, 63), p. 15–193, spe´c. p. 158. 5 CLA IX, 1238; Bruno Krusch l’a date´ du VIIe sie`cle. Introduction 13

QU’EST-CE QU’UN TEXTE ME´ ROVINGIEN?

Pour les Franc¸ais, l’adjectif »me´rovingien« a une signification spatio-temporelle et politique assez consensuelle. On appelle traditionnellement ainsi la pe´riode qui s’e´tend de 482 – date ou` Clovis succe´da a` son pe`re Childe´ric, roi franc – a` 751 – date de la de´position du dernier roi me´rovingien Childe´ric III par Pe´pin le Bref. Durant cette pe´riode, la dynastie me´rovingienne a re´gne´ sur le territoire de l’ancienne Gaule et sur une grande partie occidentale de l’Allemagne, qui comprend la Thuringe, l’Ale´manie et la Bavie`re. L’hagiographie »me´rovingienne« peut donc se concevoir comme l’en- semble des textes e´crits durant cette pe´riode sur ce territoire, mais aussi comme l’ensemble des textes traitant des res merovingicae, au sens ou` les e´diteurs des Monu- menta Germaniae historica ont intitule´ leur se´rie Scriptores rerum merovingicarum. Or, comme le souligne Walter Berschin, les Monumentistes ont inclus dans cette se´rie des textes qui ne rele`vent pas du domaine me´rovingien, par exemple la Passion des martyrs d’Agaune, e´crite par Eucher de Lyon vers 4406, qui est hors pe´riode tant du point de vue de la vie des saints ce´le´bre´s que de celui du temps de la re´daction de la Passion. De meˆme, on peut se demander s’il convient vraiment de classer la Vie de Colomban (un Irlandais) e´crite par Jonas de Bobbio (un Italien) parmi les œuvres me´rovingiennes, sous pre´texte qu’une partie de la peregrinatio de Colomban se de´- roule en Gaule et en Germanie, et que Jonas, moine de Bobbio qui e´crit une trentaine d’anne´es apre`s la mort du saint en 615, est alle´ sur place pour se documenter7. Et que dire de la pre´sence, au volume V des Scriptores rerum merovingicarum (SRM), des Gesta du roi Wisigoth, Wamba, par Julien de Tole`de? Cela prouve, si besoin e´tait, que le fait litte´raire ne saurait se plier comple`tement a` des crite`res spatio-temporels ou politiques, surtout lorsque ces derniers peuvent faire l’objet de divergences. En revanche, la perception que nous avons des textes carolingiens est largement tributaire de la vision nationaliste des e´diteurs allemands du XIXe sie`cle, pour qui l’histoire de l’Allemagne commence avec les Carolingiens. Dans le second fascicule de leur »Deutschlands Geschichtsquellen im Mittelalter«, Wattenbach et Levison font commencer l’e´poque carolingienne au de´but du VIIIe sie`cle, et le titre du premier fascicule ne renvoie pas aux Me´rovingiens mais a` la ›pre´histoire‹ (Vorgeschichte) de l’Allemagne. En aval, ils prolongent l’e´poque carolingienne jusqu’en 919, date de l’ave`nement en Germanie du Saxon Henri Ier l’Oiseleur8. Outre d’importantes impli- cations ide´ologiques, pour en rester au sujet qui nous concerne, ce de´coupage infle´- chit totalement la place du VIIIe sie`cle, qui se trouve entie`rement en continuite´ avec le IXe, et non plus, comme dans la conception pre´ce´dente, scinde´ en deux. Comme l’e´crit Walter Berschin, cette vision est cohe´rente dans la mesure ou` elle rend compte d’un renversement de tendance qui se fait jour au de´but du VIIIe sie`cle: en meˆme

6 Walter Berschin, Biographie und Epochenstil im lateinischen Mittelalter, vol. 2: Merowingische Biographie. Italien, Spanien und die Insel im frühen Mittelalter, Stuttgart 1988, p. 5. 7 Ibid., p. 26–27. 8 Walter Berschin, Biographie und Epochenstil im lateinischen Mittelalter, vol. 3: Karolingische Biographie. 750–920 n. Chr., Stuttgart 1991, p. 5. 14 Monique Goullet temps que les Carolingiens prennent le pouvoir en Austrasie, l’expansion monastique et, partant, culturelle, favorise´e par l’arrive´e massive d’Anglo-Saxons sur le continent, se translate selon un axe ouest-est, et se de´place vers le Rhin, la Hesse, le Main, la Souabe orientale et la Bavie`re, re´gions qui se couvrent de monaste`res alors qu’il ne s’en cre´e pratiquement plus au sud de la Seine. Le genre de la vita se gagne alors de nouveaux territoires. Les fluctuations et l’impre´cision de la ligne de partage chronologique entre me´- rovingien et carolingien s’expliquent aussi par l’attitude volontariste de Charlemagne face a` l’e´vanescence de la connaissance du latin; l’Epistola de litteris colendis, qui est une cle´ de vouˆ te de la re´novation qu’il a voulu imposer, ne date que de 784/785, ce qui souligne, si besoin e´tait, le caracte`re artificiel de la limite de 751 en matie`re d’histoire litte´raire: ce n’est que trente-quatre ans plus tard – une bonne ge´ne´ration, voire deux – que les choses commenceront a` bouger en matie`re de re´novation culturelle; et la mesure elle-meˆme n’a e´videmment pas transforme´ en latinistes de haut vol ceux qui avaient mal appris le latin a` l’e´cole, et qui le pratiquaient comme du protoroman, donc comme une langue »vivante«, plutoˆ t que comme du latin classique – langue devenue, sinon de´ja` morte, au moins agonisante, ou plutoˆ t »fossilise´e«, car conserve´e dans les œuvres des auteurs classiques. Bref, du point de vue linguistique, le clivage introduit par la re´novation culturelle carolingienne est plus marquant pour nous que le chan- gement dynastique. Il ne faut pas oublier qu’un texte qualifie´ de »carolingien« peut avoir e´te´e´crit de´ja` dans la de´cennie 750/760, alors que nous avons parfois tendance a` projeter sur l’adjectif »carolingien« l’ide´e de correction linguistique, et a` l’associer plutoˆ t aux toutes dernie`res anne´es du VIIIe et au IXe sie`cle. Et pour faire la part entre la correctio carolingienne et la rusticitas me´rovingienne, il faut aussi prendre en compte les caracte`res historiques particuliers des diffe´rentes parties des mondes me´- rovingien et carolingien: a` une meˆme e´poque, les conditions culturelles n’e´taient pas les meˆmes en Bavie`re qu’a` Tours, et le contact du latin avec les langues vernaculaires, voire avec les parlers re´gionaux, fait du latin me´rovingien une langue multiforme. Michel Banniard, pour l’espace roman, et Marc Van Uytfanghe, pour l’espace mixte du »roman mosellan«, ont aborde´ de front cette question9.

L’APPORT DES MONUMENTISTES A` L’HAGIOGRAPHIE ME´ ROVINGIENNE

Meˆme si beaucoup d’entre elles sont perfectibles, les e´ditions de Bruno Krusch et Wilhelm Levison dans la se´rie des SRM ont permis d’asseoir les e´tudes me´rovin-

9 Marc Van Uytfanghe n’ayant malheureusement pas pu donner le texte de sa communication sur la re´e´criture carolingienne de la Vie ancienne de saint Goar, nous renvoyons a` son article: Marc Van Uytfanghe, Aux confins de la romanite´ et de la germanite´ du VIIIe sie`cle. Le statut lan- gagier et sociolinguistique de la Vie du preˆtre rhe´nan Goar, un saint »dissident«, dans: Michel Banniard (dir.), Langages et peuples d’Europe. Cristallisation des identite´s romanes et germa- niques (VIIe–XIe sie`cles), Toulouse 2002, p. 209–259. Introduction 15 giennes sur des bases solides. On peut certes regretter que Bruno Krusch, qui a passe´ une quarantaine d’anne´es a` cette taˆche10, ait litte´ralement cisaille´ les textes hagiogra- phiques, en en excisant tous les passages qu’il jugeait ininte´ressants pour la connais- sance de l’histoire allemande, en particulier quantite´ de re´cits de miracles, de motifs fabuleux ou de de´veloppements trop verbeux a` ses yeux. Cependant, pour hyper- critique qu’il passe aujourd’hui avec de bonnes raisons, il figure ne´anmoins, en com- pagnie de nombreux Bollandistes, au nombre des pe`res fondateurs de la critique hagiographique. A` propos de la Vie de Loup de Sens, dont il rele`ve le caracte`re fabuleux11, Krusch lance une pique contre ce qu’il appelle la schola legendaria: Sed satis iam de auctore actum mihi videtur esse, cuius nugae scholae legendae aptius disputandae relinquuntur iam laete florenti. Sous cette appellation, dont l’e´quivalent allemand est »Legendenschule«, sont re´unis ceux qui prennent les re´cits le´gendaires des textes hagiographiques pour des donne´es historiques. Ce sont surtout des catho- liques, comme Godefroid Kurth12, mais parmi les catholiques tous ne sont pas vise´s bien suˆ r. La jeune ge´ne´ration de l’e´cole bollandienne e´pousait en grande partie la cause de Krusch, quoique de fac¸on plus discre`te et moins militante, e´videmment. C’est ainsi qu’a` la parution du volume III des SRM, Krusch obtint une tre`s bonne recension dans les Analecta Bollandiana13. Dans un epilogus editoris publie´ dans le volume IV des SRM (p. 762–763), Krusch de´crit l’apport qu’il juge eˆtre le sien dans la datation et l’e´dition des textes traitant de la matie`re me´rovingienne, et il rend compte de fac¸on pittoresque des attaques qu’il a duˆ affronter de la part de la schola legendaria. En voici une traduction partielle.

Apre`s l’e´dition du volume III, la schola legendaria, comme on l’appelle, s’e´mut violemment contre moi et, conside´rant que j’avais porte´ un jugement trop se´ve`re – car elle supportait mal de voir de´sormais rejete´s au nombre des apocryphes de l’aˆge carolingien des monuments qu’elle avait jusqu’ici ve´ne´re´s religieusement comme antiques et dignes de confiance –, elle se rassembla en rangs serre´s pour me livrer un rude assaut. Or, avant moi, les Vies et les Passions des saints de l’aˆge me´rovingien, dont j’ai accueilli les plus anciennes, e´taient reste´es cache´es et ne´glige´es dans des e´ditions hors d’aˆge, et meˆme les plus e´rudits auraient e´te´ incapables de deviner ce qu’avait e´te´ leur forme primitive. Les e´diteurs anciens, en effet, avaient copie´ au hasard le texte du premier manuscrit rencontre´, au lieu d’en collationner plusieurs pour e´tablir le texte soigneusement; pis encore: en corrigeant selon les re`gles de la grammaire le texte authentique des manuscrits, ils s’e´taient prive´s, et ils avaient prive´ autrui, d’une aide capitale pour appre´cier la fiabilite´ de ce texte. Et comme, apre`s Mabillon, per- sonne n’avait lu toute la se´rie ni n’avait attache´ d’attention re´elle aux e´crits authentiques de ces e´poques, la plupart s’e´tant contente´s de faire quelques recherches au hasard des besoins, le re´sultat fut le suivant: on crut que ce genre de textes avaient e´te´ en grande partie compose´s par des auteurs du meˆme aˆge que les saints ou presque, ou bien par des auteurs a` peine plus re´cents.

10 MGH, SRM VII, 1920, p. X. 11 MGH, SRM IV, 1902, p. 177, l. 34–35. 12 Celui-ci se voit pourtant compter avec Bruno Krusch parmi les viri doctissimi par Wilhelm Levison, MGH, SRM VII, p. 304, l. 20. 13 Voir AnalBoll 16 (1897), p. 83–89. Cette recension est parue sans nom d’auteur. 16 Monique Goullet

De fac¸on bien te´me´raire j’ai abandonne´ les traces de mes pre´de´cesseurs pour suivre une autre voie, et j’ai mis au jour partout une telle falsification, de telles tromperies, que les avocats de la partie adverse furent tre`s loin de me fe´liciter: crible´ de leurs fle`ches empoison- ne´es, je compris, au contraire, tout le sens de l’attaque que me livrait cet essaim de gueˆpes. Puisse´-je n’avoir jamais fait ce que j’ai fait, puisse´-je n’avoir pas touche´ aux manuscrits, n’avoir pas recherche´ les arguments internes et externes pour mettre de l’ordre dans cette masse informe, puisse´-je n’avoir pas contredit des hommes ve´ne´rables, au lieu de tout accep- ter comme cela nous avait e´te´ pieusement transmis! Car si je m’e´tais honorablement soumis a` la tradition, quel accueil chaleureux mon e´dition aurait rec¸u de ce parti! Ce´le´bre´ avec les plus grands e´loges, j’aurais a` pre´sent pour ce´lestes patrons quos hodie mihi timere opus est et dona ferentes, ceux qu’aujourd’hui je dois redouter meˆme quand ils font des cadeaux!14 Il me semblait que, dans ce domaine litte´raire, il fallait distinguer deux sortes d’e´crits, et mettre, d’un coˆ te´, les auteurs dignes de foi et de grande autorite´ qui ont ve´cu durant l’aˆge me´rovingien ou avant, et, de l’autre, les auteurs de l’aˆge carolingien, lesquels, dans leur ignorance des actes des anciens, ont, en lieu et place d’histoire, livre´a` la me´moire de la poste´rite´ des fables controuve´es, guide´s qu’ils e´taient souvent par les inte´reˆts de l’e´glise ou du monaste`re auxquels ils e´taient attache´s; et parmi eux j’ai fait une cate´gorie spe´ciale des auteurs qui, pour confirmer ces fables, ont pre´tendu avoir assiste´ eux-meˆmes aux e´ve´ne- ments. La premie`re cate´gorie, celle des textes e´crits par des auteurs contemporains des faits, a` la correction et au commentaire desquels j’avais œuvre´, mes adversaires s’en sont de´sinte´resse´s au point de ne souffler mot de la source la plus importante de tout le volume, a` savoir la Vie de Ce´saire, et qu’ils se sont empresse´s de se tourner vers la seconde cate´gorie, en s’employant surtout a` de´montrer que telle ou telle de mes preuves de falsification ne tenait pas et que je m’e´tais trompe´, s’ils n’allaient pas jusqu’a` conclure que j’e´tais incompe´tent en ces matie`res: car, a` leurs yeux, dans mes raisonnements ils n’avaient trouve´ que des erreurs. J’ai prouve´ que le biographe d’Aridius e´tait a` placer a` l’e´poque carolingienne, puisqu’il avait remploye´ un auteur de cette meˆme e´poque, celui de la Vie d’E´ loi, et j’ai peine a` me persuader qu’on puisse battre en bre`che un argument de cette nature, qui repose sur la comparaison des textes (analogia). Mais bon, admettons: ces gens-la` sont de bien meilleurs connaisseurs que moi des textes hagiographiques et historiques me´rovingiens, dont je n’ai e´dite´ qu’une partie, pourtant non ne´gligeable, sans trouver leurs noms sur ma route. Je n’oserais certes mettre en doute que ceux qui ont tenu a` mon e´gard des propos aussi pre´tentieux et me´prisants aient a` leur actif des travaux hagiographiques suffisamment importants, et affirmer qu’ils ne se gargarisent que de vains mots; mais ce qui est suˆ r, c’est que je suis passe´a` coˆ te´ de ces travaux, dont la connais- sance m’aurait dispense´ d’entreprendre les miens.

Krusch se bat pour le triomphe de la ve´rite´, et cet esprit militant e´clate dans toutes ses notices introductives. On peut juger le contexte hors d’aˆge, mais un certain nombre de me´thodes de cet anticonformiste restent les noˆ tres: le refus de la cre´dulite´; le passage oblige´ par l’examen des manuscrits; la recherche des arguments internes de datation, en particulier ceux qui e´manent de la critique des sources (a` laquelle renvoie

14 Virgile, Aen., II, 49 (e´pisode du cheval de Troie): Timeo Danaos et dona ferentes. Introduction 17 le mot analogia); la mise en se´rie: un lecteur qui papillonne d’un texte a` l’autre est force´ment naı¨f; il tombe dans les pie`ges du paratexte, dans lequel l’emploi de la premie`re personne peut faire illusion, et passe a` coˆ te´ des topoı¨, en particulier celui du texte e´crit par un te´moin visuel ou par un proche du saint. Parmi les textes rejete´s comme non me´rovingiens, Krusch distingue une cate´gorie particulie`re, forme´e par ceux qui sont pre´tendument d’auteurs me´rovingiens, et qu’il conside`re donc comme des forgeries ou falsifications. Dans cette cate´gorie il place les Vies de Genevie`ve de Paris15, des saints burgondes16, les Vies de Le´onard de Noblat, de Cybard (Eparchius) d’Angouleˆme, d’Aredius (Yrieix) de Limoges, de Bethaire (ou Bohaire) de Chartres, de Didier de Vienne (BHL 2149), de Rusticule d’Arles, de Salaberge de Laon, de Vincentien (ou Viance), d’Amand. Trois autres forgeries ne le sont que par leur lettre de de´dicace: la Passio IIa de Le´ger, les Vies d’ et de Vulfran. Le mot »forgerie« pose proble`me dans ce cas, comme dans celui ou` la version que nous posse´dons ne coı¨ncide peut-eˆtre plus avec celle dont l’auteur se pre´tend contemporain des e´ve´nements17. Ce tamisage critique de Krusch laisse passer peu de textes reconnus comme me´ro- vingiens. Comme l’a fait remarquer Ian Wood il y a une vingtaine d’anne´es18, l’e´nor- mite´ du corpus de vitae e´dite´ par les Monumentistes est trompeuse: si l’on e´carte le corpus de Passions de saints antiques re´dige´es a` l’e´poque me´rovingienne, il reste a` peine une douzaine de vitae pour lesquelles une datation me´rovingienne emporte une certaine adhe´sion, exceptions faites, bien entendu, des œuvres de Gre´goire de Tours, Venance Fortunat et Jonas de Bobbio. Le corpus reconnu comme me´rovingien se compose selon lui des Vies des saints et saintes Radegonde, Bathilde, Gertrude, Ce´saire d’Arles, Nizier de Lyon, Fursy, Wandrille, Germain de Grandval, Ouen et Bonet, des Passions de saint Priest et de Le´ger dans sa premie`re recension, et de la Visio Baronti. Quant a` la Passio Desiderii de Sisebut, elle a pour he´ros un saint me´rovingien, mais pour auteur un contemporain du saint, originaire de l’Espagne wisigothique, qui ne peut donc pas eˆtre qualifie´ de me´rovingien. Si l’on s’en tient, a` titre d’exemple, au seul volume III de la se´rie des SRM, on constate au moins un sie`cle, voire deux, de de´calage entre les datations de l’e´diteur Krusch et celles de la »Clavis patrum latinorum«19 pour les textes suivants: Conversio et passio Afrae, Vita Bibiani vel Viviani, Vita Aniani, Vita Lupi Trecensis, Vitae patrum Iurensium, Vitae abbatum Acaunensium, Vita Genovefae, Vita Aviti Aure- lianensis. D’autres cas litigieux, dans ce meˆme volume des SRM, sont encore les Vita

15 Bruno Krusch, Die Fälschung der Vita Genovefae, dans: Neues Archiv 18 (1893), p. 9–50; voir Joseph-Claude Poulin, annexe I. Les Bella Genovefensia, fin XIXe–de´but XXe sie`cle, dans: Martin Heinzelmann, Jean-Claude Poulin (dir.), Les Vies anciennes de sainte Genevie`ve de Paris, Paris, Gene`ve 1986, p. 183–186. 16 Bruno Krusch, La falsification des Vies des saints burgondes, dans: Me´langes Julien Havet, Recueil de travaux d’e´rudition de´die´s a` la me´moire de Julien Havet, Paris 1895, p. 39–56. 17 Voir l’article de Franc¸ois Dolbeau dans le pre´sent volume. 18 Ian Wood, Forgery in Merovingian Hagiography, dans: Fälschungen im Mittelalter. Internatio- naler Kongress der Monumenta Germaniae historica, München, 16.–19. September 1986, vol. V, Hanovre 1988–1990, p. 369–384. 19 Clavis patrum latinorum (CPL),1re e´d. 1951 (Sacris erudiri III), 3e e´d. 1995 (Corpus Christia- norum). 18 Monique Goullet

Eptadii, Vita et Virtutes Eparchii, Vita Dalmatii, Vita Desiderii Viennensis altera20 et Vita Aredii Lemovicini. Ainsi, pour Vivien de Saintes (BHL 1324), la datation de Krusch est du IXe sie`cle, contre la premie`re moitie´ du VIe sie`cle dans la CPL. Pour les Pe`res du Jura, Romain, Lupicien et Oyend (BHL 7309, 5073, 2665), graˆce a` Franc¸ois Martine, une datation vers 520, soit dix ans environ apre`s la mort d’Oyend, paraıˆt aujourd’hui assure´e; Krusch avait date´ le texte du IXe sie`cle. Pour les abbe´s d’Agaune (BHL 142), la cri- tique he´site entre 523/526 et le VIIe sie`cle; pour Krusch, le texte est carolingien. Pour sainte Genevie`ve, BHL 3335 est place´ aujourd’hui vers 520, et cela fait quelques de´cennies qu’il y avait des partisans d’une datation haute, au VIe sie`cle. Pour Eptade d’Autun (ou de Cervon, BHL 2576), les datations he´sitent entre la deuxie`me moitie´ du VIe et la fin du VIIIe sie`cle, qui a la` encore la pre´fe´rence de Krusch21. Pour Didier de Vienne, la Passion BHL 2149 (c’est-a`-dire celle qui suit la Vie e´crite par le roi Sisebut) est date´e de 615 par Walter Berschin, mais du milieu du VIIIe sie`cle par Krusch. Pour Aredius (Yrieix) de Limoges (BHL 666) la datation oscille entre 613 et le de´but du VIIIe sie`cle, mais Krusch place le texte au IXe sie`cle parce qu’elle reprend la Vita Eligii, qui, sous sa forme conserve´e, n’est pas la version e´crite par saint Ouen mais une re´fection carolingienne; Krusch se heurte alors au proble`me du niveau linguistique du texte, qui plaide pour une datation ante´rieure; il suppose alors soit que l’hagio- graphe est d’un pie`tre talent, soit que la re´forme carolingienne n’e´tait pas encore parvenue a` Limoges (MGH, SRM III, p. 578–579). Il en voit une confirmation dans les nombreuses erreurs qui e´maillent encore la Vie de Didier de Cahors, qu’il place a` la fin du VIIIe sie`cle au plus toˆ t (t. IV, p. 556–557). Sur quels crite`res reposent les datations de Krusch?

LE CRITE` RE CODICOLOGIQUE ET PALE´ OGRAPHIQUE

Le premier crite`re retenu par les Monumentistes est e´videmment l’argument codi- cologique et pale´ographique, a` savoir l’aˆge du te´moin manuscrit le plus ancien, qui permet de de´terminer le terminus ante quem (ou post quem non) du texte. C’est un crite`re externe infaillible, mais peu efficace dans le cas qui nous inte´resse, en raison de la quasi-absence de manuscrits me´rovingiens conserve´s. Certes, Max Diesenberger a montre´ comment la de´couverte et l’exploitation d’un te´moin de la fin du VIIIe sie`cle permettaient de corriger des erreurs de datation, mais ces te´moins sont eux aussi tre`s rares, meˆme si l’espoir demeure de voir leur nombre s’accroıˆtre encore.

20 Voir Robert Godding, Preˆtres en Gaule me´rovingienne, Bruxelles 2001 (Subsidia hagiographica, 82), p. xxii–xxxix. 21 MGH, SRM III, avec re´visions de l’e´dition dans volume VII. Introduction 19

LA DATATION PAR LES SOURCES

Le second crite`re de Krusch est externe, infaillible lui aussi, mais a` manier avec pre´caution: c’est ce qu’il appelle l’analogia, c’est-a`-dire une comparaison des textes qui me`ne au repe´rage de citations ou autres traces textuelles d’un texte dans un autre: un texte A cite´ par un texte B lui est force´ment ante´rieur; c’est un fait logique; encore faut-il eˆtre suˆ r du sens de circulation de l’emprunt, avoir pu e´liminer l’hypothe`se d’une source commune, avoir fait la preuve que ces emprunts ne se trouvent pas dans des versions de´ja` remanie´es ou des parties interpole´es, et eˆtre assure´ aussi de la date de re´daction des textes remploye´s; s’agissant de textes me´rovingiens, certains cas rele`- vent du cercle vicieux, le proble`me de la datation de A renvoyant a` celle de B, etc. A` coˆ te´ de ces deux crite`res absolument fiables et objectifs, mais que peu de situa- tions donnent l’occasion d’utiliser, les deux autres crite`res principaux de Krusch rele`vent, d’une part, du domaine historique, d’autre part, du domaine linguistique; contrairement aux pre´ce´dents, ils laissent la place a` la subjectivite´ dans le diagnostic, et rappellent que l’horizon des Monumentistes est l’histoire allemande. Si le second crite`re appelle la discussion, le premier – l’authenticite´ historique ou la fiabilite´ du contenu – ne fait plus illusion aujourd’hui; mais les deux crite`res sont aussi profon- de´ment lie´s, en ce sens que les textes ne nous de´livrent que des mots, sous lesquels il nous appartient de de´crypter le »re´el« historique.

LE CRITE` RE HISTORIQUE

Il est tentant de s’appuyer sur un certain nombre de realia des Vies de saints pour nier qu’elles aient un auteur contemporain des faits, et les historiens ont souvent ce´de´a` cette tentation. Comme l’e´crivait Martin Heinzelmann en 1986, Krusch a re´gulie`re- ment fait appel a` la terminologie et a` ses significations sociales et religieuses pour dater les textes. Non seulement il ne disposait pas des moyens modernes (diction- naires, glossaires, concordances, e´ditions critiques) pour le faire, mais en outre il a utilise´ ces crite`res presque syste´matiquement contre la pre´tention de contempora- ne´ite´ d’un texte, et il s’est plusieurs fois trompe´. Martin Heinzelmann plaide pour l’argument de cohe´rence:

Sans vouloir refaire un bilan de´ja` dresse´, nous insistons surtout sur la cohe´rence de l’ex- pression de l’hagiographe, dans les limites d’une pe´riode historique bien de´finie. Cette cohe´- rence reconnaissable de´ja` de par les noms des personnes qui jouent un roˆ le dans la Vita Genovefae, ou encore par la forme ancienne des noms et des appellations de lieux, s’est re´ve´le´e hautement convaincante dans le domaine des ›choses‹: l’emploi d’une langue con- sacre´e et en concordance parfaite avec l’usage et les institutions de l’antiquite´ tardive a pu eˆtre de´montre´e dans le contexte des notions evectio- annona, occursus (adventus), autant que, dans le cadre de qualification des personnes, sanctus, etc.22

22 Voir Heinzelmann,Poulin, Les Vies anciennes de sainte Genevie`ve de Paris (voir n. 15), p. 108. 20 Monique Goullet

Il est clair que, comme l’a e´tabli Ian Wood, exemples a` l’appui, la chronologie du VIIe sie`cle, telle que l’ont transmise les historiographes du haut Moyen Aˆ ge (Gre´- goire de Tours, Fre´de´gaire, Continuateurs), n’est pas toujours assure´e, ni de´pourvue de contradictions internes ou externes. D’autre part, un texte hagiographique, le plus souvent, ne suit pas une logique historique au sens moderne du terme, d’autant que la conception du fait historique me´die´val est tre`s e´loigne´e de celle d’aujourd’hui; la pre´sence d’un motif le´gendaire ou pieux, d’un topos, ou d’un e´pisode fictif conc¸u, par exemple, selon le mode`le des E´ critures n’impose en rien de conclure que le texte est une forgerie tardive. Par conse´quent, la datation d’un texte ne peut pas se de´terminer d’apre`s un crite`re de fiabilite´ historique de son contenu (force´ment subjectif23), et, a` rebours, une datation me´rovingienne ne garantit nullement la valeur des informations ve´hicule´es; une interpolation peut, quant a` elle, de´livrer des informations histo- riquement exactes.

LE CRITE` RE LINGUISTIQUE

Dans l’esprit de Krusch, le crite`re linguistique repose sur une conception tre`s ne´ga- tive du latin me´rovingien: de`s qu’il y a mauvais latin, il y a suspicion de texte me´ro- vingien24. Or, comme le fait remarquer Ian Wood dans l’article cite´ plus haut, des copistes me´rovingiens peuvent avoir, en les recopiant, de´grade´ des textes plus an- ciens. On peut ajouter aussi que tout »mauvais« latin – c’est-a`-dire, en re´alite´, non conforme au latin classique – n’est pas force´ment me´rovingien, que l’e´valuation qua- litative d’une langue pre´sente des risques e´leve´s de subjectivite´, et que sous les rois

23 Ibid. Les auteurs retiennent de Godefroid Kurth la distinction ne´cessaire entre question d’au- torite´ et question d’authenticite´, une »faute« d’un hagiographe me´die´val sur les de´tails histo- riques de son re´cit n’e´tant pas un indice valable contre sa contemporane´ite´ des faits. 24 Exemples de cas pour lesquels le crite`re linguistique a pese´ tre`s lourd: 1) Vita s. Arnulfi: le manuscrit Paris, BNF lat. 5327 [Saint-Amand] est du IXe sie`cle; il comporte des particularite´s orthographiques qui sont autant de traces de lingua rustica, par exemple e ce´dille´ pour e, e pour ae, l pour ll, r pour rr, congnovi, monhachorum; o au lieu de u (presolem, sedolus) et u au lieu de o (cumperto); e au lieu de i (pontefecem); h initial (hacsi, hactibus); b au lieu de p (lebrosus, babtis- matis); o au lieu de au (clodorum), etc. Le scribe a pu reproduire en l’e´tat l’orthographe me´rovin- gienne; 2) Vita Geretrudis: le mot gignarus, mis pour gnarus (sous l’influence du grec gignoˆsko?) n’aurait plus e´te´ compris apre`s le milieu du VIIIe sie`cle: ce mot rarissime est donne´ par le TLL et les glossaires me´die´vaux comme un e´quivalent de delirus; or, ici, il est un e´quivalent de gnarus; des manuscrits ont d’ailleurs corrige´ en ignarus. Dans le meˆme texte, le mot anchora employe´ au sens de »signe« est une trace d’emploi classique et isidorien; 3) Vita Aniani: la langue »rustique« a e´te´ corrige´e dans tous les manuscrits sauf le plus ancien; 4) Vita Genovefae: la vita prima (version A) est repousse´e jusqu’a` la deuxie`me moitie´ du VIIIe sie`cle (posteriore parte) par Krusch, pour qui l’auteur est de langue romane mais avait appris le latin a` l’e´cole (ce n’est pas le seul argument, bien suˆ r); 5) la Vie de Rusticule d’Arles est repousse´ea` l’e´poque carolingienne a` cause de la correction de sa langue. On pourrait e´videmment multiplier les exemples. Notons que les Vies d’Arnoul, de Gertrude et d’Aignan sont elles aussi date´es de la pe´riode me´rovingienne par la critique actuelle; la vita prima de Genevie`ve a e´te´ date´e du VIe sie`cle par Martin Heinzelmann et Joseph-Claude Poulin; la Vie de Rusticule d’Arles a e´te´ re´habilite´e comme me´rovingienne par Pierre Riche´, Note d’hagiographie me´rovingienne. La Vita s. Rusticulae, dans: AnalBoll 72 (1954), p. 369–377. Introduction 21 me´rovingiens il a bien duˆ se trouver ici ou la` des lieux ou` l’on pratiquait encore un latin assez proche de celui du Ve sie`cle. A` l’inverse, la langue d’Alcuin lui-meˆme n’est pas irre´prochable25, le style de ses re´e´critures et leur grammaire e´manent d’un choix tre`s diffe´rent d’un texte a` l’autre, selon leur fonction. Si les textes d’Alcuin avaient circule´ de fac¸on anonyme, peut-eˆtre aurait-on pu en dater l’un ou l’autre de l’e´poque pre´-carolingienne26? Si l’observation linguistique est difficile a` utiliser pour dater un texte, elle l’est aussi pour le situer ge´ographiquement. Walter Berschin voit dans la Vita de Wandrille27, conserve´e dans un libellus me´rovingien, la preuve que le latin me´rovingien ne doit pas se concevoir entie`rement comme du proto-franc¸ais. La vita pullule de romanismes, auxquels il manque continuellement la composante »re´gionale« du Nord de la France. On attendrait d’un auteur de la France du Nord que, lorsqu’il veut donner l’e´quivalent de loqui, il emploie parabolare, qui a donne´ le franc¸ais »parler«; or l’au- teur emploie fabolare (de fabulari), qui donne l’espagnol hablar et le portugais fallar; de meˆme au lieu de tantus (»tant«), il emploie tam magnus (esp. taman˜o, port. taman- ho), au lieu de intra (»entre«), il emploie infra (it. fra, prov. enfra). Mais il serait hasardeux de conclure de ces seuls faits linguistiques que l’auteur de la vita serait originaire de la Romania du Sud. Le latin me´rovingien, comme le latin de tous les aˆges, fonctionne comme une koine` accueillante par nature, dans laquelle des formes apparemment nationales ou re´gionales peuvent se retrouver la` ou` on ne les attend pas. Du point de vue linguistique encore, on peut se demander si le processus de re´e´cri- ture n’induit pas des modes d’e´criture particuliers; autrement dit, les proce´dures d’abre´viation ou d’augmentation ne sont-elles pas autant de contraintes qui s’exercent sur le style en ge´ne´ral, sur le lexique, la syntaxe et le phrase´ en particulier? Le crite`re de complexite´ syntaxique, utilise´ par Birgit Auernheimer pour qualifier le niveau linguistique carolingien, a-t-il la meˆme valeur dans le cas d’une re´e´criture et dans le cas d’un texte e´crit ex nihilo? Quand un remanieur proce`de par abre´viation, la nature meˆme de l’ope´ration ne l’ame`ne-t-elle pas a`e´laguer les arborescences synta- xiques, et inversement pour un hagiographe qui amplifie le texte. En conse´quence, l’ope´ration de comparaison entre un hypotexte et un hypertexte peut fausser la donne dans un processus de datation. On voit qu’il manque une histoire des styles, envisage´e comme le repe´rage de techniques favorites selon les e´poques; il faudrait spe´cialement reprendre sur nou- veaux frais la question de la prose rime´e, souvent e´voque´e de fac¸on hasardeuse dans les questions de datation, en particulier chez les Monumentistes.

25 Voir en ce sens Berschin, Biographie und Epochenstil, vol. 3: Karolingische Biographie (voir n. 8), p. 133–138. 26 Il y a une vingtaine d’anne´es, Martin Heinzelmann, Les Vies anciennes de sainte Genevie`ve de Paris (voir n. 15), p. 108, e´crivait: »une datation absolue, sur le seul fond de la langue, n’est pas encore dans les moyens de la recherche actuelle«. Cette affirmation est encore largement valable aujourd’hui. 27 Ibid., t. II, p. 101. 22 Monique Goullet

LE PARATEXTE COMME OUTIL DE DATATION DES TEXTES

Des erreurs de datation auraient pu eˆtre e´vite´es par une plus grande attention au paratexte, c’est-a`-dire aux de´clarations faites par les auteurs dans les pre´faces, pro- logues, lettres de de´dicace ou e´pilogues. Un apport tre`s important de la contribution de Franc¸ois Dolbeau dans le pre´sent volume est de de´montrer que les remanieurs ne cherchent pas syste´matiquement a` se mettre en avant, ni a` se faire passer pour ce qu’ils ne sont pas. Le scepticisme syste´matique des Monumentistes en ce domaine les a trop souvent conduits a` diagnostiquer une falsification. Celles-ci sont certes fre´quentes, mais lorsqu’un hagiographe conserve la premie`re personne dans la re´e´criture d’un prologue, il n’est pas toujours anime´ par la volonte´ de tromper: il ce`de parfois a` la facilite´ stylistique, au risque de l’incohe´rence. C’est ainsi que l’auteur du prologue de la deuxie`me Vie de saint Gengoul affirme qu’il travaille sans source, reprenant a` son compte l’affirmation de son pre´de´cesseur! Il faudrait re´examiner syste´matiquement pour nos textes hagiographiques ce que Roger Dragonetti appelle le »mirage des sources«28. Cela supposerait un re´examen syste´matique des de´clarations d’existence, d’inexistence ou de perte des hypotextes, qu’on a peut-eˆtre tendance a` ranger un peu vite au rang des topoı¨. La question est parfois tre`s complexifie´e par une fausse apparence de simplicite´. L’hagiographe de BHL 8762, une Vie de saint Vale´ry (Walaricus), que Krusch date du XIe sie`cle, affirme abre´ger une vita ante´rieure, qui serait de la main de Raginbert. Presse´ qu’il est de de´masquer le fraudeur, Krusch fait apparaıˆtre qu’au chapitre 30 le remanieur parle a` la premie`re personne en tant que te´moin visuel, ce qui, a` ses yeux, suffit a` le discre´diter imme´diatement, lui-meˆme et son texte. Suspecte e´galement l’expression ante aliquos annos pour situer l’abre´viation par rapport a` son hypotexte. A` quoi se fier alors de pre´fe´rence: au texte, au paratexte, a` aucun des deux? Peut-on d’ailleurs eˆtre suˆ r que la combinaison paratexte + texte soit la combinaison originelle? On sait que le paratexte peut varier en fonction des destinataires des œuvres et qu’il a tendance a` se perdre dans les campagnes de copie. Une incompatibilite´ visible entre le paratexte et le texte doit donc toujours conduire a` revoir les manuscrits et la question de la circulation des textes. Les cas de saint Vale´ry29 attirent l’attention sur la diffe´rence des regards porte´s par les historiens de la litte´rature ou les e´diteurs de textes sur les questions de re´e´criture et de datation des textes. Chez certains, comme Bruno Krusch, par exemple, le dia- gnostic porte sur la version que les manuscrits nous ont transmise, et les crite`res linguistiques sont alors e´videmment sollicite´s au premier chef. D’autres adoptent un point de vue quasi virtuel, en faisant passer au second plan la forme de la version parvenue jusqu’a` nous, et en voyant derrie`re elle un texte plus ancien, surtout si le contenu du texte ou du paratexte les y encourage. Ainsi Walter Berschin, a` propos de

28 Roger Dragonetti, Le mirage des sources. L’art du faux dans le roman me´die´val, Paris 1987. 29 Nous choisissons cet exemple parce qu’il est moins connu que celui de la Vie de saint E´ loi, pour la datation non contemporaine de laquelle Krusch a fait appel a` des crite`res tre`s voisins. Introduction 23 la Vie de Didier de Cahors30, fait remarquer que la critique ancienne la conside´rait comme contemporaine du saint, tandis que les modernes, arguant de la correction de la langue, la datent de l’e´poque carolingienne. Il suppose alors que la Vie ancienne a pu eˆtre amende´e, et que nous aurions devant les yeux une Vie des environs de 670 ame´liore´e stylistiquement: »eine Vita aus der Zeit um 670, die stilistisch verändert wurde«; plus loin, toujours en parlant de ce texte, il a l’expression »der Autor (oder Überarbeiter)«31. En forc¸ant beaucoup le trait dans le but de faire ressortir l’origi- nalite´ des deux tendances, on pourrait dire que, pour Bruno Krusch, il y a autant de textes que de versions, tandis que pour Walter Berschin un meˆme texte peut se cacher derrie`re deux ou plusieurs versions, dont il suppose qu’elles ne divergent que lin- guistiquement et stylistiquement. Il me semble que la synthe`se de ces deux points de vue a donne´ naissance a` l’ide´e, aujourd’hui tre`s re´pandue, de la mouvance, ou fluc- tuance, ou variance, des textes hagiographiques.

DATATION PAR FAISCEAUX DE CRITE` RES

Lorsqu’on n’a pas d’argument absolument de´terminant, est-ce qu’un faisceau de crite`res convergents peut s’ave´rer suffisant? Dans la Vie de Gertrude, le crite`re linguistique vient conforter les affirmations re´currentes de l’hagiographe, qui se pre´tend contemporain de la sainte et cite le nom de proches. Dans la continuation de la Vie de Radegonde par Baudonivie, le paratexte est fiable, car les personnes qu’elle cite sont identifie´es, et la langue pre´sente un caracte`re ›rustique‹. Dans les deux cas, l’ensemble est de bon aloi et ne permet gue`re le doute. Mais ce sont des cas rares, de Vies de personnages importants, tre`s bien docu- mente´s dans d’autres types de sources. Qu’en est-il des dossiers plus obscurs? Dans le cas de saint Memorius de Troyes, la convergence de plusieurs crite`res a conduit Krusch a` dater le texte de la premie`re moitie´ du VIIIe sie`cle32. Du point de vue codicologique, d’abord, le texte est exclusivement contenu dans le manuscrit Mont- pellier, BU Me´d. H55, du de´but du IXe sie`cle; c’est l’un des plus anciens le´gendiers connus, et il contient beaucoup de textes anciens, ce qui constitue a` la fois un terminus ante quem et une pre´somption d’anciennete´. Ensuite, l’incipit du texte e´tant: Pecu- liaris patroni nostri, qui urbem Tricassium civitates gloriosum sanguinem inlustra- vit33, Krusch en de´duit que le texte a e´te´e´crit dans un milieu troyen. Le crite`re d’intertextualite´ serait sans appel: la Vie de Loup de Troyes est pour Krusch mani- festement poste´rieure a` celle de Memorius en raison de la teneur du re´cit. En effet, quand Loup e´tait e´veˆque de Troyes, Attila envahit la Gaule, et la tradition veut que ce soit graˆce a` lui, instruit par un ange, que non seulement Attila s’abstint de de´vaster le

30 Berschin, Biographie und Epochenstil, vol. 2: Merowingische Biographie (voir n. 6), p. 56–58. 31 Ibid., p. 59. 32 MGH, SRM III, p. 102–104. 33 Le texte du manuscrit s’interrompt ici, mais peut eˆtre facilement restitue´ d’apre`s la Vie de saint Julien de Brioude (BHL 4540). 24 Monique Goullet pays, mais se convertit meˆme au christianisme; Loup envoya en effet douze jeunes gens, dont Memorius; ils furent massacre´s par Attila; sur le tombeau de Memorius s’accomplirent des miracles. La Vie de Memorius apparaıˆt, selon Krusch, comme le stade le plus ancien de la le´gende, car dans cette version du re´cit il n’est pas encore question de la conversion d’Attila; ou plutoˆ t, Attila feint seulement la conversion pour sauver son e´chanson et abuser Memorius (c. 4 et 5). Enfin, toujours selon Krusch, l’orthographe, et la morphologie surtout, s’accordent avec une datation me´- rovingienne; il voit du proto-roman dans l’expression qui pre´ce`de directement la doxologie: sanctus vero Memorius presbiter passus est quod mensis September facit dies septem34. Dans l’he´sitation ge´ne´rale entre la premie`re moitie´ du VIe sie`cle, voire la fin du Ve sie`cle, et le VIIIe sie`cle, Krusch prend donc la position extreˆme. Dans la plupart des cas, les crite`res objectifs sont rarement re´unis pour dater un texte hagiographique de l’e´poque me´rovingienne sans risque d’erreur. Par crite`res objectifs il faut entendre le te´moignage de sources exte´rieures au texte hagiogra- phique en question, l’aˆge du te´moin manuscrit le plus ancien (or les manuscrits me´rovingiens sont rares, nous l’avons dit) et l’attestation assure´e de cette version du texte par un autre texte assure´ment me´rovingien. Le paratexte peut donner des pistes et meˆme devenir un crite`re fiable, a` condition de mener l’enqueˆte dans les re`gles. Le crite`re linguistique (et stylistique) est le plus disponible et le plus visible, mais aussi le plus difficile a` interpre´ter. C’est en ce domaine que nous devons faire des progre`s. C’est pourquoi, a` la suite de ce colloque, une e´quipe internationale s’est forme´e pour pre´senter un projet d’e´tude des grands le´gendiers de la seconde moitie´ du VIIIe sie`cle, qui sont les plus anciens conserve´s.

EXPERTISE DES TEXTES HAGIOGRAPHIQUES ME´ ROVINGIENS

Sous l’intitule´ »Expertise des textes hagiographiques me´rovingiens dans leurs plus anciennes versions manuscrites«, ce projet, pre´sente´ pour un financement dans le cadre du re´seau international des MSH (bourse Villa Vigoni) pose la double question de la pre´histoire de ces premiers le´gendiers, peut-eˆtre »me´rovingienne«, et de l’in- terpre´tation sociolinguistique des transformations e´crites visibles, et orales sous- jacentes, des variations textuelles observe´es. La me´thode repose sur la confrontation de la philologie et de la linguistique, confrontation a` l’issue de laquelle se de´gageront des crite`res de datation des textes, applicables a` d’autres textes, non hagiographiques. Sur le plan philologique, un examen minutieux des manuscrits est programme´, y compris dans leur mate´rialite´ (distinction entre recueils et livrets [libelli], dans la prise en compte des annotations et re´visions marginales et supraline´aires, et dans l’atten- tion litte´raire aux parties paratextuelles que les historiens ont tendance a` ne´gliger (pre´faces, prologues, postfaces, de´dicaces, etc.); toutes les versions manuscrites les plus anciennes seront syste´matiquement retranscrites et soumises a` ce traitement. Sur

34 Krusch y voit une fac¸on traditionnelle de compter les jours chez les auteurs me´rovingiens (MGH, SRM III, p. 104, l. 19). Introduction 25 le plan linguistique, les textes transcrits seront soumis a` un traitement lexical fin, avec attention spe´cifique a` l’orthographe, aux graphies ›fautives‹ et aux corrections des ›re´viseurs‹, et surtout a` un traitement grammatical et stylistique; il devra en ressortir une liste des marqueurs de la latinite´ me´rovingienne. L’e´quipe constitue´e est internationale. Sur le plan institutionnel, le LAMOP est porteur du projet, avec comme partenaires l’Institut historique allemand de Paris et la Mission historique franc¸aise a` Göttingen. Monique Goullet et Martin Heinzelmann en sont les co-responsables scientifiques. Le noyau stable de l’e´quipe est forme´ de chercheurs appartenant aux trois pays partenaires du re´seau MSH (France, Alle- magne, Italie), mais aussi a` d’autres pays: pour la France, Michel Banniard, Bruno Dume´zil, Miche`le Gaillard, Ste´phane Gioanni, Ce´cile Lane´ry, Charles Me´riaux, Christiane Veyrard-Cosme; pour l’Allemagne, Martin Heinzelmann, Michele Fer- rari, Klaus Herbers, Gordon Blennemann, Corinna Bottiglieri; pour l’Italie, Ferruc- cio Bertini, Sandra Isetta, Sara Maria Margarino, Caterina Mordeglia, Maria Carmen Viggiani (doctorante a` l’universite´ de Geˆnes); pour les pays non partenaires: Guy Philippart, Marieke Van Acker (Belgique), Max Diesenberger, Helmut Reimitz (Au- triche), David Ganz (Grande-Bretagne). Enfin Paolo Chiesa, Franc¸ois Dolbeau, Robert Godding, Claudio Leonardi et Francesco Stella constituent le conseil scien- tifique. Les premiers re´sultats de la recherche devraient pouvoir eˆtre publie´s d’ici trois ans.

MARTIN HEINZELMANN

L’hagiographie me´rovingienne Panorama des documents potentiels

Panoramas et statistiques, p. 27; Saintete´ et e´criture hagiographique, p. 31; La litte´rature martyriale, p. 36; La Vita vel Passio des VIIe et VIIIe sie`cles, p. 49; La litte´rature martyriale des VIIe et VIIIe sie`cles, p. 52; Les biographies des confesseurs, p. 55; La biographie e´pis- copale des VIIe et VIIIe sie`cles, p. 66; Les VIIe et VIIIe sie`cles me´rovingiens et l’hagiographie asce´tique et monastique, p. 73; Les Vies de saintes femmes aux VIIe et VIIIe sie`cles, p. 78.

PANORAMAS ET STATISTIQUES

Le terme de »panorama« e´tant de´fini comme »e´tude successive et comple`te d’une se´rie, d’une cate´gorie de questions« dans »Le Robert«, il convient d’expliquer dans quelle mesure notre compte rendu sur les sources hagiographiques me´rovingiennes a vocation a`eˆtre ›complet‹. Dans cette perspective, il faut tout d’abord s’entendre sur le sens de »source hagiographique«, et adhe´rer a` la de´finition la plus pragmatique pos- sible qui entend la documentation hagiographique comme e´tant constitue´e de »l’en- semble des textes qui racontent l’histoire des saints, dans leurs activite´s terrestres ou ce´lestes«1; pre´cisons encore que nous allons nous en tenir aux textes narratifs. Tenter un panorama ou plutoˆ t un releve´ des e´crits hagiographiques en Gaule avant l’e´poque carolingienne n’est pas une entreprise particulie`rement originale, loin s’en faut. Depuis longtemps, un consensus re`gne sur l’importance extraordinaire de ce genre de sources, pre´cise´ment pour la pe´riode des premiers sie`cles me´die´vaux que Jean Mabillon a pu appeler aureum vere saeculum – expression de´signant en fait le VIIe sie`cle – justement pour ses re´cits de saintete´ 2. Mais dans la queˆte d’un classement des te´moignages hagiographiques, c’est presque toujours aux saints historiques aux- quels on se re´fe´rait en premier lieu, et non aux textes meˆmes, c’est-a`-dire aux auteurs, pour la plupart anonymes, des biographies, passions ou autres e´loges. Il est vrai que le grand nombre des saints attribuables a` la pe´riode pre´ce´dant l’ave`nement de la dyna-

1 Guy Philippart, L’hagiographie comme litte´rature. Concept re´cent et nouveaux programmes?, dans: Revue des sciences humaines 251 (1998), p. 11–39, ici p. 25; la de´finition e´vite la re´fe´rence au culte des saints qui se retrouve chez Hippolyte Delehaye, cit. ibid., n. 54. 2 Jean Mabillon, Praefationes actis Sanctorum OSB, Rouen 1732, p. 48. 28 Martin Heinzelmann stie royale carolingienne ne souffre de comparaison avec aucune autre e´poque3: ainsi, sur les 1162 saints morts en Gaule avant la fin du XVe sie`cle et disposant d’une entre´e au moins – correspondant a` un document e´crit – dans la »Bibliotheca hagiographica latina« (BHL) des Bollandistes, la pe´riode des de´buts chre´tiens jusqu’au milieu du VIIIe sie`cle compte a` elle seule 868 de ces saints, soit 75% du total4. Dans l’histoire des recherches hagiologiques s’est installe´e de bonne heure une ambiguı¨te´, voire une confusion, quand il fallait distinguer entre la personne d’un saint, classe´ selon l’e´poque de sa mort, et la chronologie du texte qui lui e´tait consacre´; cette confusion se manifeste curieusement de´ja` dans l’index que le futur grand e´diteur des Monumenta Germaniae historica (MGH), scrutateur scrupuleux de l’inventaire hagiographique me´rovingien, Bruno Krusch, a contribue´a` la cinquie`me e´dition du fameux manuel des sources historiques de Wattenbach en 1885, ou` il donne une liste de 387 saints, avec la date de leur mort, sous le titre »Index de(s) Vies de saint [Heiligenleben] me´rovingiennes«5. En 1891 et 1892, dom Beda Plaine a tente´ un autre catalogue, visant cette fois les hagiographes des VIe, VIIe et VIIIe sie`cles; l’entreprise, insuffisamment commente´e, te´moigne davantage de la bonne volonte´ de l’auteur que de sa re´ussite6. Une dizaine d’anne´es plus tard, Auguste Molinier fait mieux, par la qualite´ de ses jugements sur les textes autant que par leur quantite´: Gre´goire de Tours mis a` part, son re´pertoire compte 420 Vies de saints du Ve au VIIIe sie`cle7. Ce chiffre

3 Cf. L. Cristiani, Liste chronologique des saints de la France des origines a` l’ave`nement des Carolingiens (essai critique), dans: Revue d’histoire de l’E´ glise de France 31 (1945), p. 5–96, avec 1300 noms de saint (voir ibid. la conclusion, p. 86); une re´action a` cette liste vint de Gustave Bardy, Remarques critiques sur une liste des saints de France, dans le meˆme volume de la RHEF, p. 219–236. Pour une comparaison des saints du Ier au XXe sie`cle a` des fins statistiques (concer- nant l’origine sociale des saints de l’»upper, middle, lower class«), a` partir des manuels d’Alban Butler, de Frederick George Holweck, et du Book of Saints, voir Katherine et Charles H. George, Roman Catholic Sainthood and Social Status. A Statistical and Analytical Study, dans: The Journal of Religion 35 (1955), p. 85–98. 4 Nous reviendrons plus loin sur ces chiffres fonde´s sur la BHL. 5 Bruno Krusch, Verzeichnis merowingischer Heiligenleben, dans: Wilhelm Wattenbach (dir.), Deutschlands Geschichtsquellen im Mittelalter, vol. 1, Berlin 51885, p. 409–451; le nom de chaque saint est accompagne´ de la date de sa mort. Pour Krusch qui avait vingt-huit ans a` cette e´poque et dont les premie`re e´ditions dans le cadre des MGH parurent effectivement en 1885 (les œuvres hagiographiques attribuables a` tort ou a` raison a` Fortunat, dans les Auctores antiquis- simi, vol. IV/2, et celles de Gre´goire de Tours, dans MGH, SRM, vol. I/2), voir Felice Lifshitz, art. »Krusch, Bruno«, dans: Kelly Boyd (dir.), Historians and Historical Writing, vol. 1, London 1999, p. 666–667, et dernie`rement J.-M. Hannick, art. »Krusch (Bruno)«, dans: Dictionnaire d’histoire et de ge´ographie eccle´siastique, vol. XXIX, fasc. 171, 2006, col. 898–901. 6 Dom Beda Plaine, Series Chronologico-critica Hagiographorum sexti, septimi et octavi sae- culorum, dans: Studien und Mitteilungen aus dem Benedictiner- und dem Cistercienser-Orden 12 (1891), p. 582–593, et ibid., 13 (1892), p. 54–63; voir le compte rendu tre`s critique des Bollan- distes, dans: AnalBoll 13 (1894), p. 176–179. Pour le VIe sie`cle, on trouve vingt-cinq textes re´per- torie´s, sans ceux de Gre´goire de Tours et de Fortunat, y compris des cas (plus que) douteux – c’est-a`-dire des sources tardives – comme, par exemple, la Passio Emani et sociorum de Chartres, et les Vies des saints Solein (Sollemnis) de Chartres, Samson de Dol, Lifard de Meung, Maixence de Poitiers, Rigomer du Maine et Agile d’Orle´ans. 7 Auguste Molinier, Les sources de l’histoire de France, vol. I: E´ poque primitive, Me´rovingiens et Carolingiens, Paris 1901 (Manuels de bibliographie historique, 3); ibid., p. 46–55, Vies des saints du Ve sie`cle, no 138–195; p. 94–165, Vies des saints, classe´es selon les re´gions de la Gaule Paris, re´gions de l’Est, du Nord, Burgondie, Gaule centrale, Sud-Est de la Gaule, Armorique, L’hagiographie me´rovingienne 29 est toutefois de´passe´ par les 549 entre´es des »Vitae, passiones, miracula, translationes Sanctorum Galliae (500–1000)« d’un inventaire propose´ par Ferdinand Lot en 1939 et 1950, mais qui ne cite que l’e´dition du texte, sans commentaire ou autre justifica- tion8. Depuis, sont parus d’autres panoramas de l’hagiographie gauloise pre´carolingi- enne dont nous ne citerons que quelques exemples significatifs. D’abord la tre`s classique contribution de Wilhelm Levison († 1947) au manuel de Wattenbach de 1952, ou` l’on retrouve toutes les appre´ciations des e´diteurs des MGH, Krusch et Levison, concernant les textes e´dite´s par eux-meˆmes dans les se´ries des Scriptores rerum merovingicarum (vol. I–2 a` VII), Scriptores rerum germanicarum in usum scholarum (1905) et dans les Auctores antiquissimi (vol. IV/2, avec les œuvres en prose de Venance Fortunat, et du »Pseudo-Fortunat«)9. Ensuite, les recherches sur les sources hagiographiques e´tant en plein accroissement de`s les anne´es 197010, le manque d’instruments valables pour une datation fiable des textes se fit cruellement ressentir, malgre´ les re´pertoires propose´s par Walter Berschin11 et par la Clavis patrum latinorum12; c’est ainsi qu’on alla fabriquer des inventaires partiels des sour- ces hagiographiques, se´lectionne´es a` partir de crite`res subjectifs en fonction du dessein de chaque recherche. Citons comme exemples la pre´sentation des sources hagiographiques dans un livre sur le preˆtre me´rovingien, un autre sur la famille a`

no 244–404, suivies des deux chapitres: E´ veˆques et princes des VIIe et VIIIe sie`cles, no 405–468, et Saints abbe´s des VIIe et VIIIe sie`cles (par re´gion), no 469–606. 8 Ferdinand Lot, Index scriptorum operumque latino-gallicorum medii aevi, dans: Archivum latinitatis medii aevi 14 (1939), p. 113–230 (ibid., p. 181–225, les 422 nume´ros des sources hagio- graphiques), et Id., Additions et corrections aux Indices scriptorum operumque, dans: Archivum latinitatis medii aevi 14 (1950), p. 5–64 (avec 127 entre´es supple´mentaires). 9 Wilhelm Wattenbach, Wilhelm Levison, Deutschlands Geschichtsquellen im Mittelalter, Vor- zeit und Karolinger. I. Heft: Die Vorzeit bis zur Herrschaft der Karolinger, bearbeitet von Wilhelm Levison (†), Weimar 1952, p. 119–146, § 11 Fränkische Heiligenleben; y sont menti- onne´es, de manie`re plus ou moins succincte, cent quarante passiones, vitae, et une vision. En fin de compte, selon les e´ditions des MGH, on peut de´nombrer trente-sept textes attribuables a` l’hagiographie me´rovingienne (sans les quatre textes pre´me´rovingien, wisigothique et anglo- saxon), auxquels on pourra e´ventuellement ajouter, selon Levison, neuf Vies du VIIIe et du milieu du VIIIe sie`cle: Vitae Servatii, Aniani, Desiderii Viennensis altera, Dalmatii, Goaris, Amandi, Sollemnis, Richarii, Amantii. 10 Cf. Marc Van Uytfanghe, Les avatars contemporains de l’»hagiologie«. A` propos d’un ouvrage re´cent sur saint Se´verin du Norique, dans: Francia 5 (1977), p. 639–71, spe´cialement p. 640–641; le nouvel inte´reˆt pour la recherche hagiographique est lie´ aux travaux de Frantisˇek Graus, Fried- rich Prinz, Pierre Riche´, Jacques Fontaine et Friedrich Lotter. 11 Walter Berschin, Biographie und Epochenstil im lateinischen Mittelalter, vol. I: Von der Passio Perpetuae zu den Dialogi Gregors des Großen, Stuttgart 1986; vol. II: Merowingische Biogra- phie. Italien, Spanien und die Inseln im frühen Mittelalter, Stuttgart 1988 (Quellen und Unter- suchungen zur lateinischen Philologie des Mittelalters, 8 et 9); voir aussi vol. V: Kleine Topik und Hermeneutik der mittellateinischen Biographie. Register zum Gesamtwerk, Stuttgart 2004 (Quellen und Untersuchungen zur lateinischen Philologie des Mittelalters, 15); tandis que les pages de Berschin pre´tendent sans doute a` une certaine repre´sentativite´, son but n’e´tait pas un ve´ritable inventaire de sources. 12 Clavis patrum latinorum (dore´navant: CPL), troisie`me e´dition (la premie`re e´dition date de 1951), Steenbrugge 1995 (Corpus christianorum), avec une petite centaine de textes de notre e´poque cite´s. 30 Martin Heinzelmann l’e´poque me´rovingienne ou encore dans un travail sur la formation scolaire des saints, les Studia sanctorum13. Aujourd’hui, incontestablement, dans le domaine qui nous pre´occupe, tout re´per- toire qui se veut repre´sentatif a obligatoirement recours a` la BHL et a` son catalogue de sources hagiographiques latines14, catalogue dont l’ambition est d’eˆtre le plus com- plet possible. Les entre´es y sont classe´es selon les noms de saint qui, de la sorte, constituent dans la plupart des cas de ve´ritables »dossiers de saint« compose´s d’une suite plus ou moins importante de textes sur un seul et meˆme individu. Cette suite de textes, enrichie et partiellement corrige´e dans le supple´ment de la BHL en 198615,a mis en e´vidence un phe´nome`ne primordial de l’e´criture hagiographique qui est la re´e´criture d’un texte sur un meˆme saint a` des e´poques diffe´rentes, apportant chaque fois des transformations formelles et/ou ide´ologiques a` son mode`le ou hypotexte. C’est en partant de la BHL, mais en affinant le proble`me de l’identification et de la description des sources, qu’une autre entreprise, Sources hagiographiques narratives de la Gaule (SHG) a ouvert depuis les anne´es 1980 un autre chantier ou panorama dont l’issue, sauf en ce qui concerne certaines parties comme les »provinces hagiogra- phiques« de la Haute-Normandie (Jumie`ges et Saint-Wandrille), Toul, Metz et re´cemment la Bretagne et Tre`ves, demeure encore lointaine16.

13 Cf. Isabelle Re´al, Vies de saints, vie de famille. Repre´sentation et syste`me de la parente´ dans le royaume me´rovingien (481–751) d’apre`s les sources hagiographiques, Brepols 2001 (Hagiologia, 2), p. 46–55 (quatre-vingt-sept textes hagiographiques); Robert Godding, Preˆtres en Gaule me´- rovingienne, Bruxelles 2001 (Subsidia hagiographica, 82), p. xxii–xxxix (quatre-vingt-seize textes); Martin Heinzelmann, Studia sanctorum.E´ ducation, milieu d’instruction et valeurs e´ducatives dans l’hagiographie en Gaule jusqu’a` la fin de l’e´poque me´rovingienne, dans: Michel Sot (coord.), Haut Moyen Aˆ ge. Culture, e´ducation et socie´te´. E´ tudes offertes a` Pierre Riche´, La Garenne-Colombe 1990, p. 105–138, ici p. 112–116 (cinquante textes). 14 Bibliotheca hagiographica latina, 2 vol., 1898/1899 et 1900/1901 (Subsidia hagiographica, 6), et son Novum supplementum, 1986 (Subsidia hagiographica, 70). Voir aussi la Bibliotheca hagio- graphica latina manuscripta (BHLms), base de donne´es mise en œuvre par Guy Philippart et ses collaborateurs principaux Michel Trigalet et Franc¸ois De Vriendt, adapte´e par Xavier Lequeux et Robert Godding, concernant les manuscrits hagiographiques latins et constitue´e a` partir les catalogues publie´s par les Bollandistes (http://bhlms.fltr.ucl.ac.be); la dernie`re actualisation de cette base de donne´es date de 1998. Voir encore Guy Philippart, Michel Trigalet, Latin Hagiography before the Ninth Century. A Synoptic View, dans: Jennifer R. Davis, Michael McCormick (dir.), The Long Morning of Medieval Europe. New Directions in Early Medieval Studies, Ashgate 2008, p. 111–129. 15 Les apports de ce supple´ment concernent moins un apport en nouveaux saints que des versions nouvelles de textes hagiographiques retenus dans le catalogue, mais de manie`re trop sommaire. Ainsi, le nouveau supple´ment de 959 pages n’apporta que 240 nouvelles entre´es (= 8,4%), qui s’ajoutent aux 2614 entre´es (correspondant a` autant de saints diffe´rents) des deux volumes de 1898/1901, mais fournit une augmentation importante des e´le´ments textuels concernant un bon nombre de dossiers. 16 Pour un re´sume´ de l’histoire des SHG et un rappel commode de la litte´rature s’y re´fe´rant, voir Monique Goullet, Martin Heinzelmann, Avant-propos, dans: Monique Goullet, Martin Heinzelmann (dir.), La re´e´criture hagiographique dans l’Occident me´die´val. Transformations formelles et ide´ologiques, Ostfildern 2003 (Beihefte der Francia, 58), p. 7–14, et maintenant surtout Franc¸ois Dolbeau, Martin Heinzelmann, Joseph-Claude Poulin, Pre´face, dans: Joseph-Claude Poulin, L’hagiographie bretonne du haut Moyen Aˆ ge. Re´pertoire raisonne´, Ostfildern 2009 (Beihefte der Francia, 69). Jusqu’a` aujourd’hui, on compte cinquante-sept dos- siers traite´s dans le cadre des SHG (en dehors des cinq provinces cite´es, il existe encore une L’hagiographie me´rovingienne 31

Pour revenir a` la BHL, constatons qu’elle accumule, pour l’hagiographie latine jusqu’a` la fin du XVe sie`cle, un total de 2854 entre´es17, correspondant a` un nombre e´quivalent de noms de saint (ou groupes de saints) auxquels on associe chaque fois un ou plusieurs textes d’e´poques diffe´rentes18. Sur ce nombre, on peut recenser 1162 items concernant la Gaule, avec 868 occurrences repre´sentant un nombre e´gal de saints ou saintes morts avant 751, ce qui fait 75% de toutes les entre´es de l’hagio- graphie latine en Gaule avant 150019. La seule pe´riode de 501 a` 751, pe´riode me´rovin- gienne a` proprement parler, compte 509 saints me´rovingiens enregistre´s pourvus au moins d’un texte, mais dont l’origine n’est cependant pas ne´cessairement me´rovin- gienne. Au vu des chiffres cite´s, le sens de notre panorama se pre´cise: il conviendra en premier lieu d’esquisser les tendances de l’e´criture hagiographique et sa raison d’eˆtre, mais, en ce qui concerne la se´rie comple`te et de´finitive des documents, notre approche ne peut eˆtre que provisoire20.

SAINTETE´ ET E´ CRITURE HAGIOGRAPHIQUE

Historiquement, en un sens plus e´troit, l’histoire de la saintete´ chre´tienne connaıˆt un premier temps fort a` partir de l’e´poque the´odosienne quand quelques textes de loi se plaisent a` citer une »saintete´ catholique« apparemment attribuable a` tous les Romains orthodoxes, par opposition aux he´re´tiques (Code The´od. 16,5,11, anne´e 388), ou qui offrent des avantages fiscaux aux clercs et a` ceux qui me`nent une vita sanctior (Code

pre´sentation de l’hagiographie de l’abbaye Sainte-Marie-Saint-Jean de Laon, de saint Ge´raud d’Aurillac et de l’important dossier de saint Saturnin de Toulouse), auxquels s’ajoutent trente- quatre dossiers de saints bretons examine´s et pre´sente´s brie`vement par Joseph-Claude Poulin, dossiers qui ne disposent cependant pas de trace manuscrite avant l’an mil. 17 Nous comptons une entre´e exclusivement dans les cas de l’attribution d’un nume´ro BHL a` un texte. 18 Pour la Gaule, le dossier le plus important est celui de saint Martin de Tours, qui dispose dans la BHL des nume´ros 5610–5666, a` commencer par la biographie compose´e par Sulpice Se´ve`re, jusqu’a` un texte datant de 1349. Le supple´ment de 1986, aux pages 616–622, a encore ajoute´ une quarantaine de textes nouvellement identifie´s par le rattachement d’une lettre au chiffre (p.ex. 5610b; 5616d; 5616e; etc.). 19 Pour comple´ter la statistique de ce de´compte: la pe´riode de 751 a` l’an mil compte 109 entre´es, soit 9,4% du total gaulois, les saints morts entre 1001 et 1500 (dans un territoire approximativement ›gaulois‹) sont au nombre de 184, soit 16%. – Cf. aussi Philippart,Trigalet, Latin Hagio- graphy (voir n. 14). 20 Une pre´sentation plus comple`te est toujours pre´vue dans le cadre de l’entreprise Hagiographies, Histoire internationale de la litte´rature hagiographique latine et vernaculaire en Occident des origines a` 1550, sous la direction de Guy Philippart, vol. I, Turnhout 1994 (Corpus Christi- anorum); idem, vol. II, 1996; idem, vol. III, 2001; idem, vol. IV, 2006. Pour la premie`re partie de notre compte rendu qui inte´resse la pe´riode jusqu’au de´but du VIIe sie`cle, nous avons re´cemment aborde´ le sujet dans la perspective de l’œuvre hagiographique de Gre´goire de Tours a` l’occasion d’un colloque sur Gre´goire le Grand et l’hagiographie du IVe au VIe sie`cle: Gre´goire de Tours et l’hagiographie me´rovingienne, dans: Antonella Degl’Innocenti, Antonio De Prisco, Emore Paoli (dir.), Gregorio Magno e l’agiografia fra IV e VII secolo. Actes du colloque de Ve´rone et Trento, 2004, Florence 2007 (Archivum Gregorianum), p. 155–192. 32 Martin Heinzelmann

The´od. 16,2,36, anne´e 401)21. Dans le premier tiers du Ve sie`cle cette »socie´te´ des saints« trouvera une explication plus syste´matique, et un mode`le, dans la »Cite´ de Dieu« augustinienne, œuvre principalement d’histoire dont le principe historique e´tablit l’opposition fondamentale entre deux genres d’hommes, les saints dont Dieu connaıˆt le destin ulte´rieur et les mise´rables qui seront les perdants lors du Jugement dernier: dans le temps pre´ce´dant cette dernie`re e´che´ance, l’E´ glise ou la socie´te´ des saints sera »me´lange´e«, ou constitue´e de ces deux genres d’hommes. De`s le commen- cement du monde, mais plus ouvertement a` partir de l’Incarnation, l’E´ glise en tant que corps du Christ constitue une socie´te´e´ternelle a` laquelle toute socie´te´, tout empire et tout royaume terrestres pourront, et devront, dore´navant se confondre22. Toute personne participant a` cette E´ glise, dont la teˆte est le Christ, aspire en principe a` la ›saintete´‹, mais les diffe´rents mouvements asce´tiques œuvrent dans le sens de l’e´ta- blissement d’une forte hie´rarchisation de cette saintete´ de`s les IVe et Ve sie`cles23. Les valeurs relatives a` cette saintete´ et l’e´chelle de ses valeurs se constituent avant tout selon les degre´s de l’imitation du Christ, mais aussi selon les valeurs sociales en vigueur dans les diffe´rentes e´poques de l’e´criture hagiographique. De la sorte, cette dernie`re peut assez logiquement prendre la rele`ve de l’habitude romaine qui fait distinguer les meilleurs repre´sentants de la socie´te´ par un e´loge (laudatio) publique, avant ou apre`s leur mort, mettant l’accent sur l’exemplarite´ de leur action pour la communaute´ 24. Dans ce contexte ide´ologique qui, de`s l’origine, reconnaissait dans les martyrs les acteurs les plus parfaits de l’imitation du Christ, la Vie de l’asce`te et e´veˆque Martin de Tours par Sulpice Se´ve`re pre´sente un e´ve´nement majeur, car en interpre´tant les per- se´cutions subies par l’e´veˆque en tant que »martyre sans sang«25, elle ouvre la voie de la

21 Le Code The´odosien, livre XVI. Texte latin et traduction franc¸aise. Introduction, notes et index par E´ lisabeth Magnou-Nortier, Paris 2002, p. 156–157 et p. 212–213; cf. Martin Heinzel- mann, Die Rolle der Hagiographie in der frühmittelalterlichen Gesellschaft. Kirchenverständnis und literarische Produktion im spätantiken und merowingischen Gallien, dans: Berndt Hamm, Klaus Herbers, Heidrun Stein-Kecks (dir.), Sakralität zwischen Antike und Neuzeit, Stuttgart 2007 (Beiträge zur Hagiographie, 6), p. 123–136, ici p. 124–125. Voir maintenant aussi les contri- butions au volume: Jean-Noe¨l Guinot, Franc¸ois Richard (e´d.), Empire chre´tien et E´ glise aux IVe et Ve sie`cles. Inte´gration ou »concordat«? Le te´moignage du Code The´odosien, Paris 2008. 22 Cf. Martin Heinzelmann,›Adel‹und›Societassanctorum‹.SozialeOrdnungenundchristliches Weltbild von Augustinus bis zu Gregor von Tours, dans: Otto Gerhard Oexle, Werner Para- vicini (dir.), Nobilitas. Funktion und Repräsentation des Adels in Alteuropa, Göttingen 1997, p. 216–256, et Id., Saintete´, hagiographie et reliques en Gaule dans leurs contextes eccle´siologi- que et social (Antiquite´ tardive et haut Moyen Aˆ ge), dans: Lalies 24 (2004), p. 37–62. 23 Pour l’e´volution eccle´siologique de la saintete´, voir Gerhard Ludwig Müller, Gemeinschaft und Verehrung der Heiligen. Geschichtlich-systematische Grundlegung der Hagiologie, Fri- bourg 1986, et Charles Pietri, L’E´ glise: les saints et leur communion, dans: Id., Patristique et spiritualite´ contemporaine, Christiana res publica.E´ le´ments d’une enqueˆte sur le christianisme antique, vol. 2, Rome 1997 (Collection de l’E´ cole franc¸aise de Rome, 234), p. 1333–1390. 24 Martin Heinzelmann, Neue Aspekte der biographischen und hagiographischen Literatur in der lateinischen Welt (1.–6. Jahrhundert), dans: Francia 1 (1973), p. 27–44. 25 Vita Martini, epistula 2,12; cf. Martin Heinzelmann, Le mode`le martinien, dans: Anne Wagner (dir.), Les saints et l’histoire. Sources hagiographiques du haut Moyen Aˆ ge, Paris 2004, p. 33–42, ici p. 34. Quant a` la bibliographie de´mesure´e sur la Vita Martini, meˆme apre`s l’e´dition de la Vie et des trois lettres qui la supple´ent avec le commentaire magistral de Jacques Fontaine (1967–1969, L’hagiographie me´rovingienne 33 saintete´a` bon nombre d’autres confesseurs-asce`tes, apre`s la longue pe´riode de quasi- monopole occupe´ par les martyrs dont le nombre pouvait paraıˆtre limite´ aux yeux des chre´tiens gaulois. Dans aucune autre province romaine effectivement, le culte de saints confesseurs n’a pu atteindre un niveau comparable a` celui de la Gaule de`s le Ve sie`cle. Le fait est illustre´ par la pre´sence d’un grand nombre de loca sancta, tom- beaux de saints qui, de´ja`a` cette e´poque, se re´ve`lent eˆtre des points d’attraction de pe`lerinages re´gionaux et provinciaux en grand nombre26. Curieusement, la Vie de Martin, essentiellement Vie d’asce`te et en tant que telle oppose´e aux institutions publiques, a joue´ le roˆ le de mode`le pour d’autres biogra- phies spirituelles d’e´veˆques gallo-romains et me´rovingiens en leur montrant la voie graˆce a` laquelle ils ont pu afficher, en faisant l’e´loge du saint, leur revendication d’une supe´riorite´ charismatique. Cette supe´riorite´e´tait fonde´e sur une synthe`se parfaite »de la dignite´ de l’e´veˆque avec le mode de vie et la vertu du moine«, citation tire´e de la Vie de Martin (10,2) et re´pondant autant a` la re´alisation de l’ide´ologie asce´tique qu’au concept du parfait administrateur romain. Il y eut surtout des membres de la noblesse gallo-romaine qui surent profiter de cette possibilite´ en transformant leurs carrie`res – effectives ou virtuelles – de fonctionnaire politique en carrie`res eccle´siastiques27. En cas de re´ussite, ils e´taient en e´tat de concentrer entre leurs mains un pouvoir e´tendu au niveau de leur cite´e´piscopale, position privile´gie´e qui sera ge´ne´ralement inconteste´e jusqu’aux bouleversements sociaux et institutionnels provoque´s par le pouvoir cen- tral au VIIe sie`cle, accompagne´ d’une noblesse – eccle´siastique autant que laı¨que – en pleine expansion qui a pu se servir de l’arrive´e des Irlandais et Anglo-Saxons sur le continent. Mais auparavant, au Ve sie`cle, c’e´tait sans doute la re´ussite et l’influence sociales de ces e´veˆques et de leurs lignages qui ont contribue´ au choix politique de Clovis de fonder son royaume franc sur la base d’une sorte d’alliance avec les e´glises e´piscopales de ce royaume. Par la meˆme occasion y e´tait installe´ le fondement d’un cadre social de plus en plus astreignant selon des normes strictement chre´tiennes, normes dont la de´finition appartenait aux e´veˆques disposant d’un monopole dans la vie spirituelle et intellectuelle de leur cite´ respective.

Sources chre´tiennes 133–135, comple´te´s par un volume sur les »Dialogues« par le meˆme auteur, avec la collaboration de Nicole Dupre´, 2006, ibid., no 510), citons, malgre´ son utilisation inade´- quate du terme de Martinellus (voir n. 124), le livre re´cent de Meinolf Vielberg, Der Mönchs- bischof von Tours im ›Martinellus‹. Zur Form des hagiographischen Dossiers und seines spätan- tiken Leitbilds, Berlin, New York 2006 (Untersuchungen zur antiken Literatur und Geschichte, 79). 26 Voir Margarete Weidemann, Itinerare des westlichen Raumes, dans: Akten des XII. internatio- nalen Kongresses für christliche Archäologie, Münster 1995, p. 389–451 (Jahrbuch für Antike und Christentum. Ergänzungsband 20,1); il faut comparer ses tableaux des lieux de culte des saints aux Ve et VIe sie`cles avec le tableau 8 de Brigitte Beaujard, Le culte des saints en Gaule. Les premiers temps. D’Hilaire de Poitiers a` la fin du VIe sie`cle, Paris 2000, p. 524–530, qui n’a pas pris en compte le travail de Weidemann. 27 Martin Heinzelmann, Bischofsherrschaft in Gallien. Zur Kontinuität römischer Führungs- schichten vom 4. bis zum 7. Jahrhundert. Soziale, prosopographische und bildungsgeschichtliche Aspekte, Zurich, Munich 1976 (Beihefte der Francia, 5), et Id., Bischof und Herrschaft vom spätantiken Gallien bis zu den karolingischen Hausmeiern. Die institutionellen Grundlagen, dans: Friedrich Prinz (dir.), Herrschaft und Kirche, Stuttgart 1988 (Monographien zur Geschichte des Mittelalters, 33), p. 23–82. 34 Martin Heinzelmann

Ces e´le´ments sont a` premie`re vue les traits historiques de´terminants d’une premie`re phase de l’hagiographie me´rovingienne, qui s’e´tend de la fin du IVe sie`cle sans inter- ruption jusqu’au de´but du VIIe sie`cle, moment historique qui coı¨ncide a` peu pre`s avec la ge´ne´ration des arrie`re-petits-fils de Clovis ou avec l’e´poque de la mort de Gre´goire de Tours en 594, suivie de peu par la disparition de ses colle`gues contemporains Venance Fortunat, Aunaire d’Auxerre ou encore Gre´goire le Grand. Cette premie`re phase marque´e par la pre´e´minence inconteste´e des e´veˆques dans leur cite´ respective se de´roule ge´ne´ralement sur un arrie`re-plan eccle´siologique proche de celui de l’e´poque patristique pre´ce´dente, c’est-a`-dire visant une E´ glise de saints de´passant la seule Gaule ou une seule province, voire un lieu disposant d’un tombeau de saint. Cette phase, caracte´rise´e par son he´ritage et plus concre`tement ses re´fe´rences tardo-anti- ques et patristiques explicites, se distingue par la varie´te´ des formes litte´raires28: les auteurs, n’e´tant pas encore soumis au joug de la loi du ›genre hagiographique‹ astrei- gnante et se trouvant de ce fait toujours en queˆte d’un support litte´raire approprie´, pouvaient puiser dans un vaste fonds de formes litte´raires antiques pour clamer l’ap- partenance de´ja` acquise d’un de´funt charismatique, parfois meˆme d’un homme en- core vivant, menant une vie asce´tique exceptionnelle, a` la socie´te´ ce´leste des saints. L’e´ventail des formes litte´raires comprit ge´ne´ralement tous les genres biographiques, de la biographie spirituelle en prose et en vers, de la lettre et du sermon a` l’e´pitaphe et l’hymne, jusqu’aux Passions de martyrs dont la pre´sentation a pu prendre les formes les plus varie´es, du protocole de tribunal jusqu’au roman excentrique et divertis- sant29. De plus, il existait des collections de miracles30, qui se sont le plus souvent perdues sauf quand elles ont trouve´ refuge dans une biographie en tant que miracula post mortem, et l’on ne saurait oublier les collections des gestes ou merveilles des grands asce`tes, aux histoires souvent curieusement outrancie`res, traduites du grec et

28 La liste la plus comple`te des titres donne´s aux œuvres hagiographiques, laissant deviner cette varie´te´ litte´raire, e´tait propose´e par Berschin, Biographie und Epochenstil V (voir n. 11), p. 31 sq., voir, entre autres: epitaphium, acta/actus, breviarium, carmen, commemoratorium, conver- sio, De viris illustribus, liber, mores, narrationes/relatio, opusculum, ortus/de ortu, panegyri- cus/laudatio, res gestae, versus, visio, et beaucoup d’autres. Voir aussi Heinz Hofmann, Die Geschichtsschreibung, dans: Lodewijk J. Engels et Heinz Hofmann (dir.), Spätantike, mit einem Panorama der byzantinischen Literatur Wiesbaden 1992 (Neues Handbuch der Litera- turwissenschaft, 4), p. 403–467, ici p. 443–445. Pour l’insertion de l’e´criture hagiographique dans la litte´rature de l’Antiquite´, voir encore Marc Van Uytfanghe, Biographie II (spirituelle), dans: Reallexikon für Antike und Christentum, Supplement-Band I, Stuttgart 2001, p. 1088–1364. 29 Pour une typologie de´taille´e de la litte´rature martyriale, apre`s Victor Saxer, Johannes Quasten et Hippolyte Delehaye, voir Boudewijn Dehandschutter, Hagiographie et histoire: a` propos des actes et passions des martyrs, dans: Mathijs Lamberigts, Peter van Deun (dir.), Martyrium in Multidisciplinary Perspective. Memorial Louis Reekmans, Leuven 1995 (Bibliotheca epheme- ridum theologicarum Lovaniensium, 117), p. 295–301. 30 Pour la tradition romaine du miracle et pour son histoire litte´raire dans l’Antiquite´ tardive, voir Martin Heinzelmann, Die Funktion des Wunders in der spätantiken und frühmittelalterlichen Historiographie, dans: Id., Klaus Herbers, Dieter R. Bauer, Mirakel im Mittelalter. Konzep- tionen, Erscheinungsformen, Deutungen, Stuttgart 2002 (Beiträge zur Hagiographie, 3), p. 23–61. Un historique du genre dans Annegret Wenz-Haubfleisch, Miracula post mortem. Studien zum Quellenwert hochmittelalterlicher Mirakelsammlungen, vornehmlich des ostfrän- kisch-deutschen Reiches, Siegburg 1998 (Siegburger Studien, 26), p. 51–75. L’hagiographie me´rovingienne 35 importe´es en bonne partie de l’Orient31: parmi la tradition hagiographique la plus ancienne retenue dans les Codices latini antiquiores d’Elias Lowe, manuscrits e´crits jusqu’au de´but du IXe sie`cle au plus tard, se trouvent effectivement vingt-deux occur- rences d’e´ditions diffe´rentes de Vitae patrum32, ce qui en fait l’e´le´ment le plus repre´- sente´ dans ce groupe, juste avant les seize occurrences des »Dialogues« de Gre´goire le Grand! Cette dernie`re contribution orientale ou grecque aux e´crits hagiographiques cir- culant en traduction latine en Gaule doit ne´cessairement rappeler la part tre`s consi- de´rable que les œuvres de provenance non gauloise ont pu avoir dans cette province de l’Empire. L’importance de l’hagiographie d’origine e´trange`re pe`se spe´cialement lourd aux de´buts et pendant la premie`re phase de l’e´criture hagiographique en Gaule quand exista un contact e´troit entre les parties orientale et occidentale du monde romain. Mais cette influence se manifesta surtout, et de manie`re durable, a` travers la pre´sence des grands ›classiques‹ des Vies ou Actes d’apoˆ tres, des e´crits apocryphes de toute sorte33, des Passions de martyrs et de certaines Vies d’asce`tes comme celles des saints Paul, Hilarion et Malchus par Je´roˆ me qui sera encore cite´ comme mode`le, avec la Vie de saint Martin, dans certains prologues de Vies au VIIe sie`cle34. La Vie de saint Antoine par Athanase et traduite en latin par E´ vagre aux alentours de 370/375 e´tait de´ja` abondamment lue a` Tre`ves peu apre`s cette date35 – c’est elle qui devint le mode`le

31 Voir Hofmann, Die Geschichtsschreibung (voir n. 28), p. 452–454; les collections les plus importantes dans le monde latin e´taient les traductions de Rufin de l’Historia monachorum (BHL 6524) et de l’Historia Lausiaca (BHL 6532–6534), voir Eva Schulz-Flügel, Zur Ent- stehung der Corpora Vitae Patrum, dans: Elizabeth A. Livingstone (e´d.), Critica, Classica, Orientalia, Ascetica, Liturgica, Leuven 1989 (Studia Patristica, 20), p. 289–300, et Id. (e´d.), Tyrannius Rufinus. Historia monachorum sive de vita sanctorum patrum, Berlin, New York 1990 (Patristische Texte und Studien, 34); Adelheid Wellhausen (e´d.), Die lateinische Übersetzung der Historia Lausiaca des Palladius. Textausgabe mit Einleitung, Berlin, New York 2003 (Patri- stische Texte und Studien, 51). 32 C’est a` Guy Philippart que je dois un releve´ provisoire de cent trente et un manuscrits a` partir des CLA et comprenant de ce fait des te´moins jusqu’au de´but du IXe sie`cle; voir aussi Id. et Tri- galet, Latin Hagiography (voir n. 14), p. 127–128. 33 Voir, par exemple, la Passio sanctorum Macchabaeorum, une traduction libre du quatrie`me livre des Macchabe´es de la fin du IVe sie`cle, vraisemblablement de la valle´e du Rhoˆ ne (H. Dörrie [e´d.], Passio Ss. Machabaeorum, die antike lateinische Übersetzung des IV. Makkabäerbuches, Göt- tingen 1938, p. 66–104); cf. Marc Van Uytfanghe, L’hagiographie en Occident de la Vita Anto- nii aux Dialogues de Gre´goire le Grand. Gene`se et occupation du terrain, dans: Gregorio Magno (voir n. 20), p. 3–51, ici p. 7; voir encore Philippart, L’hagiographie comme litte´rature (voir n. 1), p. 31; Id. et Trigalet, Latin Hagiography (voir n. 14), p. 126–127. Ici il faut peut-eˆtre ajouter le De martyrio Machabaeorum (BHL 2112; CPL 1428) de la premie`re moitie´ du Ve sie`cle, attribue´ (apre`s Hilaire de Poitiers et Hilaire d’Arles) a` un Cyprianus Gallus; pour ce carmen qui se fonde sur II Macc. 7 et le livre IV, voir Dieter Kartschoke, Bibeldichtung. Studien zur Geschichte der epischen Bibelparaphrase von Juvencus bis Otfrid von Weißenburg, München 1975, p. 105–111. 34 Cf. Berschin, Biographie V (voir n. 11), p. 60–64, a` propos des Vies des saints Colomban et Priest (Praeiectus) ou` l’on retrouve cite´es les Vies des saints Hilarion et Paul par Je´roˆ me, avec la Vita Antonii d’Athanase (traduite par E´ vagre en 370); de´ja` dans la Vita Ambrosii (412/413) son auteur Paulin fait cas de ses mode`les: une Vie par Je´roˆ me et par Athanase, et la Vita Martini de Sulpice Se´ve`re. 35 Vita Antonii abbatis auct. Athanasio interprete Evagrio, BHL 609; dans les catalogues des Bol- landistes (BHLms), on rele`ve cent cinquante-neuf occurrences de cette Vie dont les plus an- 36 Martin Heinzelmann le plus important de la Vita Martini. Quant aux Passions de martyrs, il faut rappeler la place liturgique primordiale occupe´e par les saints martyrs dans la hie´rarchie ce´leste, roˆ le que refle`te parfaitement une tradition manuscrite privile´giant les passionnaires de`s le de´but, c’est-a`-dire le VIIIe sie`cle36; c’est en ce temps crucial pour la tradition manuscrite des sources hagiographiques dans son ensemble, a` la fin de l’e´poque me´rovingienne et au de´but de l’e`re carolingienne, que les e´glises de la Gaule entrepri- rent de manie`re plus syste´matique la collection des textes hagiographiques dont elles disposaient.

LA LITTE´ RATURE MARTYRIALE

En ce qui concerne la production gauloise dans le domaine de la litte´rature martyriale, l’histoire de´bute par l’importation de textes e´trangers pre´ce´dant de peu l’introduc- tion de reliques de martyrs provenant de l’exte´rieur de la Gaule. Mais l’e´ve´nement le plus ve´ne´rable pour l’E´ glise des Gaules se produit a` l’inte´rieur du pays: il s’agit du martyre de l’e´veˆque Pothin avec ses compagnons en 177 a` Lyon, repre´sente´ par le re´cit extrait de l’»Histoire eccle´siastique« d’Euse`be dans la traduction de Rufin37. La tradition hagiographique du Moyen Aˆ ge y attache souvent la liste des noms des quarante-huit martyrs, pourtant absente dans la narration d’Euse`be, qui renvoie pour cela a` la lettre comple`te des e´glises de Vienne et de Lyon dans son œuvre (perdue) Μαρτυ ρων συναγωγη 38;a` la fin du VIe sie`cle, existaient de´ja` au moins trois traditions diffe´rentes de cette liste, reprise respectivement par Gre´goire de Tours et par les versions gauloises du Martyrologe dit hie´ronymien, ou circulant de manie`re isole´e dans des collections hagiographiques39. Les cendres des martyrs ayant e´te´ disperse´es dans le Rhoˆ ne, le culte de ce groupe de martyrs ne paraıˆt point avoir eu de succe`s a` la mesure de sa haute antiquite´, mais quelques individus eurent davantage de re´ussite au plan cultuel: on citera sainte Blandine et les martyrs E´ pipode et Alexandre pourvus

ciennes se trouvent dans Chartres, BM 16 (fin VIIIe sie`cle), Wien, Cvp 420 (ca 800), Bruxelles 8216–8218 (a. 819). Selon saint Augustin, Confessiones 8,6,15, son ami Ponticianus aurait trouve´ un exemplaire de la Vie en un lieu monastique pre`s de Tre`ves, quand il e´tait en promenade avec trois fonctionnaires – dont deux se convertissaient a` une vie monastique apre`s une premie`re lecture du texte. 36 Voir la liste des plus anciens manuscrits hagiographiques dans Guy Philippart, Les le´gendiers latins et autres manuscrits hagiographiques, Turnhout 1977 (Typologie des sources du Moyen Aˆ ge occidental, 24–25), p. 28 et 31. 37 BHL 6839–6844, 6844d (sous le nom de Photinus ep. Lugdunensis et soc.; les extraits de l’Histoire eccle´siastique par Rufin sont du livre V,1–3); voir les diffe´rents articles du livre: Les martyrs de Lyon (177), Lyon 20–23 septembre 1977 (Colloques internationaux du CNRS, 575), Paris 1978. 38 Dom Henri Quentin, La liste des martyrs de Lyon de l’an 177, dans: AnalBoll 39 (1921), p. 112–138, ici p. 112. Dans l’Histoire eccle´siastique, Euse`be/Rufin ne cite que dix martyrs par leur nom, dont Pothin, Blandine, Vettius Epagathus, et Alexandre. 39 Gre´goire de Tours, Liber in gloria martyrum (dore´navant GM) 48, Martyrologium Hierony- mianum (recensio gallica saec. VI–VII), CPL 2031 (dore´navant: Mart.Hieron.) iiii Non. Iun., et liste dans les Passionnaires, cf. Quentin, La liste des martyrs (voir n. 38), p. 115 sq. 119 sq., 124 sq. La BHL n’a pas donne´ de nume´ro a` part a` cette liste. L’hagiographie me´rovingienne 37 d’une home´lie sans doute de la deuxie`me moitie´ du Ve sie`cle, les deux derniers nom- me´s jouissant d’une Passion le´ge`rement plus re´cente40. Vettius Epagathus e´tait encore un autre membre des martyrs de 177, et passait, selon Gre´goire de Tours, pour l’an- ceˆtre de la famille de sa grand-me`re (paternelle), Le´ocadie de Bourges, tandis qu’Ire´- ne´e de Lyon, successeur de l’e´veˆque Pothin, fut dote´ d’une Passion au VIe sie`cle, qui le pre´senta comme martyr en le rattachant au groupe de 17741. Apre`s la contribution des textes euse´biens42, mentionnons aussi l’importation de reliques de saints e´trangers en 396, illustre´e par une home´lie de l’e´veˆque Victrice de Rouen, ami de Martin de Tours et d’Ambroise de Milan, qui ce´le`bre ses nouvelles acquisitions de patrocinia de l’Italie du Nord43. Le discours dans son De laude sanc- torum a` l’adresse de ses concitoyens de Rouen comprend une analyse instructive de la the´ologie qui sous-tendait les acquisitions de reliques de saints entreprises a` l’e´poque par un bon nombre d’e´glises en Gaule: »voici qu’une tre`s grande partie de la milice ce´leste daigne visiter notre cite´ en sorte qu’il nous faut habiter de´sormais avec la foule des saints«; selon l’e´veˆque, d’autres grandes cite´s et provinces du monde avaient de´ja` pu se procurer ces puissances curatives, qui agissaient e´galement en tant qu’avocats et juges44. Un e´le´ment caracte´ristique du culte des martyrs en Gaule est sans doute, comme a` Rouen, l’e´troite association entre l’e´veˆque et ›son‹martyr, te´moin et figure du Christ auquel l’e´veˆque devait preˆter une certaine le´gitimite´ eccle´siale. En meˆme temps, il lui revenait de s’engager pour favoriser une perception approprie´e de l’image du martyr: a` deux, ils ont re´ussi a` mener une carrie`re commune de repre´sentants d’une e´glise

40 BHL 1368c (Blandina), BHL 2575d (Epipodius et Alexander, homilia); BHL 2574–2575, Passio (CPL 2097: Gregorio Turonensi antiquior). Pour la datation des home´lies a` l’e´poque de l’e´veˆque Patiens que contient la collection de l’Eusebius Gallicanus (date´e du VIe/ VIIe sie`cle par le dernier e´diteur), voir Beaujard, Le culte des saints (voir n. 26), p. 132 sq.; voir aussi Lisa Bailey, Buil- ding Urban Christian Communities. Sermons on Local Saints in the Eusebius Gallicanus Col- lection, dans: Early Medieval Europe 12 (2003), p. 1–24, ici p. 5 pour l’attribution des deux sermons lyonnais aux e´veˆques Eucher († 449) ou Patiens († ca 480), p. 6–9 pour E´ pipode et Alexandre, p. 9 pour Blandine (et les autres saints de la le´gion the`baine), p. 4–6 pour la datation de la collection elle-meˆme. 41 Pour Le´ocadie, voir Gre´goire de Tours, Historiarum libri decem (MGH, SRM I–12: dore´navant: Hist.), 1,31; pour la Passion d’Ire´ne´e, voir plus loin; pour la question de son martyre, cf. Joseph Van der Straeten, Saint Ire´ne´e fut-il martyr?, dans: Les martyrs de Lyon (voir n. 37), p. 145–152, et Jean-Claude Decourt, Constitution d’une le´gende hagiographique. Le »mar- tyre« d’Ire´ne´e de Lyon, dans: Cahiers d’histoire (Lyon) 44 (1999), p. 33–57. 42 L’historiographie d’Euse`be en tant que mode`le d’une conception hagiologique de l’histoire, qui est histoire sainte, e´merge clairement du de´but d’une Vita Silvestri re´pandue de`s les Ve et VIe sie`cles (BHL 7725, e´dition de Mombritius): Historiographus noster Eusebius Caesariae Pale- stinae urbis episcopus cum historiam ecclesiasticam scriberet ... uiginti libros idest duas decadas omnium pene prouinciarum passiones martyrum et episcoporum et confessorum et sacrarum uir- ginum ac mulierum continere fecit; voir aussi n. 82 pour ce roˆ le essentiel d’Euse`be. 43 Bonne pre´sentation de l’entreprise de Victrice par Beaujard, Le culte des saints (voir n. 26), p. 61–72. 44 Victrice de Rouen, De laude sanctorum, I, XI, XII, passim, dans: Rene´Herval, Origines chre´- tiennes. De la IIe Lyonnaise gallo-romaine a` la Normandie ducale (IVe–XIe sie`cle). Avec le texte complet et la traduction inte´grale du De laude sanctorum de saint Victrice (396), Rouen, Paris s.d. [1966], p. 108 (citation), p. 138–142. 38 Martin Heinzelmann autant que d’une cite´ – deux conceptions qui se confondaient finalement. Ainsi, une premie`re e´criture du dossier du premier e´veˆque de Toulouse, Saturnin (saint Sernin), martyrise´ dans l’anne´e du consulat de De`ce et Gratus en 250, re´unit un pane´gyrique, datant peut-eˆtre encore du IVe sie`cle, au re´cit de la translation du martyr en 406/407 par l’e´veˆque Exupe`re; le re´cit, e´tabli apre`s la mort de l’e´veˆque (ca 412), introduisit un e´loge de ce dernier qui le haussait pratiquement au niveau meˆme de saint Sernin45. Au milieu du Ve sie`cle, un auteur anonyme composa un ensemble plus important encore a` partir de ces e´le´ments; Gre´goire de Tours (573–594) enfin, dans ses »Histoires«, s’est servi de l’historia passionis pour un chapitre aux conse´quences conside´rables, dans lequel il fait de´buter l’histoire de l’E´ glise en Gaule pratiquement avec la mission de sept e´veˆques – y compris saint Sernin – envoye´s de Rome a` l’e´poque de De`ce46. Les autres exemples de Passions, encore rares au Ve sie`cle, proviennent pratique- ment tous de la valle´e du Rhoˆ ne ou d’une re´gion avoisinante. Saint Gene`s d’Arles, de´ja` brie`vement aborde´ aux environs de 400 dans le Peristephanon de Prudence (IV, 34–36), fut honore´ d’une e´glise aux portes d’Arles vraisemblablement par le grand e´veˆque de la cite´, Hilaire (429/430–449), tre`s probablement l’auteur d’un re´cit de miracle de ce saint et peut-eˆtre meˆme d’un sermon contenu dans la collection de l’Euse`be Gallican47. Un e´veˆque contemporain et allie´ d’Hilaire, Eucher de Lyon, auquel on a pu attribuer les sermons e´voque´s pre´ce´demment sur les martyrs Blandine et E´ pipode/Alexandre48, est suˆ rement l’auteur d’une Passion (ca 440) de la beata legio des The´bains sous leur primicerius Mauritius, qui fait suite a` une inventio des corps des Agaunenses par l’e´veˆque The´odore d’Octodurum a` la fin du IVe sie`cle; une

45 Voir maintenant l’excellente pre´sentation du dossier par Anne-Ve´ronique Gilles-Raynal, Le dossier hagiographique de saint Saturnin de Toulouse (SHG XII), dans: Monique Goullet, Martin Heinzelmann (dir.), Miracles, Vies et re´e´critures dans l’Occident me´die´val, Stuttgart 2006 (Beihefte der Francia, 65), p. 339–403; p. 344–345 sur la Passio antiqua avec ses trois parties: Historia Passionis (peut-eˆtre l’œuvre de l’e´veˆque Exupe`re,† 412), Translation (datant d’apre`s la mort d’Exupe`re), Opusculum de morte et translatione (œuvre d’un compilateur du milieu du Ve sie`cle). Le re´cit de la translation fait encore mention des deux pre´de´cesseurs d’Exupe`re, conte- nant »donc un embryon de catalogue e´piscopal« qui ne serait pas »du gouˆ t du Ve sie`cle«, selon Beaujard, Le culte des saints (voir n. 26), p. 211, qui veut ramener la Passion au VIe sie`cle. 46 Hist. 1,30 (chapitre pre´ce´de´ pourtant du chap. 29 sur les martyrs de Lyon). Les septem viri in Galleis ad praedicandum missi (titre du chap.) sont Gatien de Tours, Trophime d’Arles, Paul de Narbonne, Sernin, Denis de Paris, Stre´moine (ou Austremoine) d’Auvergne et Martial de Limoges. La datation de l’e´poque de De`ce (fonde´e sur la Passion de saint Sernin) e´tait ulte´rieu- rement un proble`me pour l’»apostolicite´ directe«, la contemporane´ite´ avec les apoˆ tres, reven- dique´e pour Trophime, Denis ou Martial. Pour les autres contributions de Gre´goire au dossier de saint Sernin, voir Gilles-Raynal, Le dossier hagiographique (voir n. 45), p. 367–378; il s’agit de: In gloria martyrum (GM) 47, 30, 65, Hist. 1,30, et d’une compilation d’extraits de ses œuvres (GM 47+ 88, 100, 103; Liber de virtutibus s. Iuliani 22). 47 Cf. Beaujard, Le culte des saints (voir n. 26), p. 79; Anke Krüger, Südfranzösische Lokalhei- lige zwischen Kirche, Dynastie und Stadt vom 5. bis zum 16. Jahrhundert, Stuttgart 2002 (Bei- träge zur Hagiographie, 2), p. 29–31, 335, passim; l’histoire du miracle, re´sume´e encore par Gre´goire de Tours, GM 67/68, correspond a` BHL 3307, le sermo, BHL 3306, traditionnellement adjuge´a` Fauste de Riez ou Patiens de Lyon, est attribue´a` Hilaire, apre`s he´sitation, par le dernier e´diteur du texte Samuel Cavallin, dans: Eranos, 1945, p. 172; voir aussi Bailey, Building Urban Christian Communities (voir n. 40), p. 5, avec n. 23. 48 Voir n. 40. L’hagiographie me´rovingienne 39 deuxie`me Passio sur ces martyrs pourrait eˆtre le´ge`rement plus ancienne selon son dernier e´diteur, mais est selon d’autres poste´rieure au texte de l’e´veˆque lyonnais, compose´ee´ventuellement dans un but de rectification du re´cit d’Eucher49: la tradition extreˆmement riche des deux versions de la Passion, e´maille´e chacune de multiples recensions et variantes, te´moigne de la vivacite´ du culte tout au long du Moyen Aˆ ge. La Passion de saint Symphorien, martyr d’Autun, est habituellement attribue´e a` l’e´veˆque Euphrone (ca 452–474) de la meˆme cite´ qui avait e´te´, avant meˆme son e´pis- copat, le fondateur de l’e´glise du martyr a` peu pre`s en 450 et un propagateur efficace de son culte50; mais une the`se re´cente accre´dite l’ide´e que les nombreux manuscrits mentionnant cette basilique originale et son constructeur ne font pas partie de la premie`re e´criture de la Passion qui reculerait ainsi dans le temps, et daterait peut-eˆtre de l’e´poque de l’e´veˆque Amaˆtre d’Auxerre († 418) qui fut a` l’origine d’une premie`re petite cellula sur la tombe du martyr51. Les autres passiones du Ve sie`cle sont d’abord repre´sente´es par un premier texte sur saint Ferre´ol de Vienne (BHL 2911) compose´ dans les anne´es avant 473, date d’une lettre de Sidoine Apollinaire a` son colle`gue Mamert de Vienne qui avait proce´de´a` une translation du corps de ce martyr accompagne´ de la teˆte de saint Julien de Briou- de52. Ce premier texte sur saint Ferre´ol ne parle pas encore de saint Julien en tant qu’associe´, ce qui est cependant le cas dans une deuxie`me version de la Passion de Ferre´ol (BHL 2912) compose´e apre`s 480; l’association des deux martyrs se retrouve aussi dans la premie`re e´dition des Actes du patron de l’Auvergne, Julien de Brioude (BHL 4540), qui ne date toutefois que du de´but du VIe sie`cle, en de´pit de l’inconte- stable renomme´e de Julien dont te´moignent des e´crits de Sidoine Apollinaire53 et

49 Cf. BHL 5737–5740 et CPL 490 pour la Passion d’Eucher; le texte de la deuxie`me passio (BHL 5741–5745) est e´dite´ par E´ ric Chevalley, La Passion anonyme de saint Maurice d’Agau- ne. E´ dition critique, dans: Vallesia 45 (1990), p. 36–120; ce dernier a utilise´ quarante-cinq manu- scrits du VIIIe au XVIe sie`cle. Pour la question des deux textes (dont les recensions sont innom- brables), voir maintenant: Otto Wermelinger, Philippe Bruggisser, Beat Näf et al. (dir.), Mauritius und die thebäische Legion. Akten des internationalen Kolloquiums Freibourg, Saint- Maurice, Martigny, 17.–20. September 2003, Fribourg 2005 (Paradosis, 49). Voir ibid., p. 423–438: E´ ric Chevalley, Justin Favrod, Laurent Ripart, Eucher et l’Anonyme. Les deux Passions de saint Maurice. D’apre`s ces auteurs, la Passion anonyme serait plus ancienne que celle d’Eucher, mais selon d’autres participants du colloque, elle serait plus re´cente, datant du Ve/VIe ou meˆme du VIIe sie`cle; pour Franc¸ois Dolbeau, ibid., p. 377, la Passion anonyme a pu eˆtre le re´sultat d’un essai de correction aux donne´es de la Passion d’Eucher. 50 Voir Gre´goire de Tours, Hist. 2,15. Pour Euphrone, sans doute un anceˆtre de Gre´goire de Langres et ainsi de Gre´goire de Tours lui-meˆme, voir Martin Heinzelmann, Gregor von Tours (538–594). »Zehn Bücher Geschichte«. Historiographie und Gesellschaftskonzept im 6. Jahr- hundert, Darmstadt 1994, p. 18–19 et passim. 51 Voir E´ ric Chevalley, La Passion de saint Symphorien d’Autun. Gene`se d’un genre litte´raire dans la Gaule de l’Antiquite´ tardive, the`se soutenue en 2006 a` la faculte´ des lettres de l’universite´ de Lausanne. Je remercie Franc¸ois Dolbeau, membre du jury de the`se, de m’avoir fait connaıˆtre le texte. Selon Chevalley (p. 173–175), qui s’appuie sur les diffe´rences entre les branches les plus anciennes des manuscrits, l’e´criture d’un premier texte se situerait donc avant Euphrone; une autre e´tape importante de l’e´volution de la Passion est »l’adaptation au cycle bourguignon« (de´but VIe sie`cle), re´alise´e par l’ajout d’un saint Be´nigne baptisant le jeune Symphorien. 52 Beaujard, Le culte des saints (voir n. 26), p. 135–137; la lettre de Sidoine Apollinaire VII, 1 de l’e´dition d’Andre´Loyen. 53 Pour les dossiers de Julien et de Ferre´ol voir maintenant Alain Dubreucq: Les textes de la 40 Martin Heinzelmann l’inhumation meˆme de l’empereur Avit († 456), mort comme e´veˆque de Plaisance, au mausole´e de Julien54.A` Marseille enfin, il y a le souvenir du soldat saint Victor mar- tyrise´ sous Diocle´tien et Maximien, dont une premie`re Passion, le »Re´cit symboli- que« (BHL 8569 bis), remonte, elle aussi, a` la deuxie`me moitie´ du Ve sie`cle55.

Le premier bilan de la production gauloise en documents concernant des martyrs paraıˆt bien modeste, d’abord par comparaison avec les œuvres contemporaines pro- duites en Italie et dans le reste du monde latin56, ensuite par comparaison avec la production de ces textes en Gaule durant les deux sie`cles suivants, e´poque qui est pourtant plus e´loigne´e du temps meˆme de la Gaule des martyrs. Les e´glises du nou- veau royaume franc, dans une premie`re pe´riode d’un processus de stabilisation et d’e´panouissement, ont visiblement pre´fe´re´ concevoir leur passe´ en le fondant sur les martyrs, tandis que les Vies des confesseurs – plus nombreuses toutefois que dans les autres provinces romaines – restaient en minorite´ dans un premier temps. N’oublions pas que meˆme la Vie de Martin, mode`le ancestral de l’hagiographie en Gaule, avait stylise´ son he´ros en martyr volontaire, volonte´ souvent exprime´e par les hagio- graphes des Ve et VIe sie`cles comme, par exemple, dans la Vie du confesseur saint Mit- re d’Aix57.

passion de saint Julien de Brioude – un e´tat des lieux, dans: Alain Dubreucq, Christian Lau- ranson-Rosaz, Bernard Sanial (dir.), Saint Julien et les origines de Brioude. Actes du colloque de Brioude, 22–25 septembre 2004, s.l., 2007, p. 195–212; voir aussi la pre´sentation d’Alain Dier- kens, Christianisation et culte des saints en Gaule: quelques re´flexions sur saint Julien, Brioude et l’Auvergne du IVe au VIIe sie`cle, ibid., p. 31–42. 54 Pour l’empereur auvergnat Eparchius Avitus (455–456), voir J. R. Martindale, The Prosopo- graphy of the Later Roman Empire, vol. II, Cambridge 1980, p. 196–198; selon Weidemann (voir n. 26), p. 392 n. 14, la notice, au 21 janvier, du Mart.Hieron. (fin VIe sie`cle) »Arvernius depositio Aviti episcopi« concernerait non Avit e´veˆque d’Auvergne († 592), mais l’empereur qui, apre`s sa de´faite le 17 octobre 456, fut consacre´e´veˆque de Plaisance avant de mourir; la date du 21 janvier (457) conviendrait a` ce sche´ma. Cf. aussi Franc¸oise Pre´vot, Franck Roberge, L’empe- reur Avitus et Brioude, dans: Saint Julien et les origines de Brioude (voir n. 53), p. 1–14. 55 Voir Jean-Claude Moulinier, Saint Victor de Marseille. Les re´cits de sa passion, Vatican 1995 (Studi di antichita` cristiana pubb. a cura del Pontificio Istituto di archeologia cristiana, 49bis), et Krüger, Südfranzösische Lokalheilige (voir n. 47), p. 159–160, 336 et passim. 56 Voir dernie`rement Van Uytfanghe, L’hagiographie en Occident (voir n. 33), p. 10–12, avec n. 44, qui parle de quelque soixante-dix Passions a` Rome et en Italie aux IVe/VIe sie`cles, tandis que, a` la meˆme e´poque, »les Vies y sont encore clairseme´es«. 57 BHL 5973, CPL 2128; cf. M. Carrias, Saint Mitre d’Aix. E´ tude hagiographique, Aix-en-Pro- vence 1969 (Publ. des Annales de la faculte´ des lettres, Travaux et Me´moires, 53) et Krüger, Südfranzösische Lokalheilige (voir n. 47), p. 115–120. Pour Martin et son »martyre sans sang« voir supra, avec n. 25. Curieusement, selon Beaujard, Le culte des saints (voir n. 26), p. 290, »les Gaulois n’e´tablirent pas une hie´rarchie entre martyrs et confesseurs auxquels ils reconnaissaient des me´rites e´quivalents«; entre autres, elle ne tient pas compte de la place a` part des martyrs dans la liturgie (dans les Missels me´rovingiens, les martyrs sont beaucoup plus repre´sente´s que les confesseurs) et en ce qui concerne le patrocinium des e´glises: en Gaule me´rovingienne, a` coˆ te´ de martyrs, apoˆ tres, sainte Marie, seul Martin, e´galant les martyrs, a pu devenir patron d’une cathe´- drale, a` Mayence (voir Eugen Ewig, Die Kathedralpatrozinien im römischen und im fränkischen Gallien, dans: Id., Spätantikes und fränkisches Gallien, vol. II, Munich 1979, p. 307–309); pour la liturgie, voir l’exemple du Missale Gothicum (CPL 1919; de 700 env.) avec ses soixante-dix-neuf formules pour autant de messes: vingt-trois concernent des martyrs (ou apoˆ tres-martyrs) nom- me´s, contre un seul confesseur (Martin), sept messes s’adressent ge´ne´ralement a` des martyrs (missa martyrum), deux a` des confesseurs. L’hagiographie me´rovingienne 41

Une raison de cette pre´fe´rence pour les martyrs tient sans doute a` la place meˆme des martyrs qui, d’abord par leur sacrifice, sont plus proches du Christ, repre´sentant de ce fait ide´alement l’ide´ologie catholique face a` l’arianisme politique ambiant. La croyance en leur position privile´gie´e au ciel e´tait de loin plus assure´e pour eux que pour des confesseurs dont les me´rites, et conse´quemment le sort eschatologique, pouvaient paraıˆtre discutables aux yeux des incre´dules. Cette incertitude est d’ailleurs toujours actuelle a` la fin du VIe sie`cle: dans son Liber de vita patrum, seul livre – pour une œuvre qui en compte vingt – ou` Gre´goire de Tours a compose´ des Vies de confesseurs58, l’auteur entame sa pre´face en livrant imme´diatement des he´sitations concernant son propre projet. »[Initialement] j’avais re´solu de n’e´crire que ce qui s’est accompli divinement sur les tombeaux des bienheureux martyrs et confes- seurs...«59, avanc¸ait-t-il en signalant ses pre´fe´rences pour les manifestations e´videntes de la saintete´ aupre`s des tombes, et ses scrupules quant a` l’e´loge de saints personnages de son temps. En revanche, pour un bon nombre d’e´glises en Gaule, la grande disponibilite´ des donne´es d’un passe´ lointain dut paraıˆtre alle´chante quand il e´tait question de cons- truire l’histoire de leurs propres origines dans une perspective chre´tienne. Sans doute encore au premier quart du VIe sie`cle, la Passion de saint Ire´ne´e de Lyon et de ses compagnons associa son he´ros promu martyr d’abord a` son maıˆtre Polycarpe »e´veˆque d’E´ phe`se« qui l’aurait envoye´ en Gaule et qui fut lui-meˆme le disciple direct de l’apoˆ tre saint Jean, apostoli Iohannis et evangeliste˛ 60;a` cette origine apostolique non pe´trine l’auteur ajouta une re´ve´rence soutenue a` l’e´gard de l’e´veˆque Pothin de Lyon et de ses compagnons martyrs de 17761. Dans un texte composite, que les recherches de Wilhelm Meyer et Joseph Van der Straeten ont identifie´ comme un ensemble original, repre´sente´ par un manuscrit de Farfa du IXe sie`cle, se trouvent encore les Passions comple`tes des martyrs Andoche, Thyrse et Fe´lix de Saulieu et de Be´nigne de Dijon, mandate´s et envoye´s e´galement par Polycarpe62. De plus, nous

58 Pre´cisons tout de meˆme que les dix livres des »Histoires« de l’e´veˆque sont remplis d’histoires de confesseurs, oppose´s syste´matiquement aux ennemis de l’E´ glise; en Hist. 10,29, il y a meˆme une Vie comple`te de l’abbe´ saint Yrieix, sous le titre De conversione ac mirabilibus vel obito beati Aridi abbatis Lemovicini; en revanche, le Liber in gloria confessorum (GC) ne concerne pas les Vies des confesseurs, mais leurs miracles posthumes en tant que signes vivants de l’E´ glise, ce qui est le cas aussi des quatre livres portant les miracles de saint Martin apre`s sa mort. 59 Gre´goire de Tours, De vita patrum (VP), pre´face, MGH, SRM I–2, p. 212, Statueram quidem illa tantum scribere, quae ad sepulchra beatissimorum martyrum confessorumque divinitus gesta sunt. Pour le roˆ le du miracle dans la the´ologie de Gre´goire, voir Heinzelmann, Die Funktion des Wunders (voir n. 30), passim, et Id., Structures typologiques de l’histoire d’apre`s les »Histoires« de Gre´goire de Tours: prophe´ties – accomplissement – renouvellement, dans: Recherche de science religieuse 92 (2004), p. 569–596, ici p. 588–593. 60 Passio SS. Irenaei, Andochi, Benigni, Thyrsi et Felicis, BHL 4457b–f, e´d. Joseph Van der Strae- ten, Les Actes des martyrs d’Aure´lien en Bourgogne. Le texte de Farfa, dans: AnalBoll 79 (1961), p. 455–468, ici p. 455; Polycarpe e´tait e´veˆque de Smyrne, mais le texte porte Ephesi. Pour Ire´ne´e martyr, voir les contributions de Van der Straeten et de Decourt (voir n. 42). 61 Passio Irenaei et soc. (voir n. 60) 3, p. 456 (prol.), 10–11, p. 457–458 (allocution de l’ange). 62 BHL 4457d+e = BHL 424 (Passio Andochii et soc.), BHL 4457f = BHL 1153, des. A (Passio Benigni). Pour l’importance du texte, voir Wilhelm Meyer, Die Legende des h. Albanus des Protomartyr Angliae in Texten vor Beda, Berlin 1904 (Abhandl. der königl. Gesellschaft der Wiss. zu Göttingen. Phil.-hist. Kl., NF 8), et Van der Straeten, Les Actes des martyrs (voir 42 Martin Heinzelmann trouvons des emprunts importants faits aux Passions des Trijumeaux de Langres dont le texte avait e´te´ adapte´a` partir de l’original cappadocien grec63, mais surtout de la Passion de saint Symphorien d’Autun qui avance le nom de l’empereur perse´cuteur, Aure´lien – donnant son nom au »cycle aure´lien« –, et encore d’autres personnages comme Symphorien lui-meˆme et son noble pe`re. L’ensemble fut forge´ par un clerc de Saint-Be´nigne, et l’on peut difficilement imaginer que l’e´veˆque-fondateur Gre´goire de Langres (506/507–539/540) n’en avait pas eu connaissance: au contraire, on peut y voir un parfait reflet des liens e´troits du grand-oncle de ce Gre´goire langrois ou dijonnais, Euphrone d’Autun, a` la fois avec la basilique et la Passion de saint Sym- phorien64. La mission e´vange´lique et le martyre dans une cite´ gallo-romaine, en l’occurrence burgonde, e´voluant a` partir de l’e´veˆque saint Ire´ne´e de Lyon65, composent de´ja` le sujet des Passions des saints Fe´lix, Fortunat et Achille´e de Valence, et de Ferre´ol et Ferjeux a` Besanc¸on, sous l’empereur Aure´lien (270/275); les auteurs des deux Pas- sions ont sans doute connu la Passion de Symphorien du Ve sie`cle, mais pas encore l’»ensemble de Farfa«66, vraisemblablement poste´rieur de peu. Enfin, les Passions des saints Patrocle de Troyes et Colombe de Sens ne font plus mention de saint Ire´ne´e, mais s’attachent au nom d’un perse´cuteur Aure´lien67; la Passion de saint Marcel,

n. 60), p. 115–144, et ibid., p. 455–468 pour l’e´dition. Le texte du ms. de Farfa (Rome, BN, cod. Farf. 29) pourrait eˆtre une copie d’un envoi vraisemblablement adresse´ par l’e´veˆque Aetherius de Lyon apre`s juin 601 a` Gre´goire le Grand, qui, auparavant, avait signale´ au pre´lat lyonnais son incapacite´a` trouver des gesta vel scripta beati Herenaei, Ep. XI 40, MGH, Epp. II, p. 314. 63 BHG3 1646, dont BHL 7828 (Passio Speusippi, Eleusippi, Meleusippi tergemini) n’est pas une transposition directe; la notice dans le Mart.Hieron. a e´te´ faite a` partir de la Passion interpole´e, cf. Van der Straeten, Les Actes des martyrs (voir n. 60), p. 132 n. 4. Contre ce dernier, Beaujard, Le culte des saints (voir n. 26), p. 225, pre´fe`re distinguer l’auteur du cycle de Be´nigne de l’auteur de l’adaptation de la Passion des Trijumeaux, le dernier ne servant pas »la grandeur de Dijon«, mais Dijon fait partie de l’E´ glise de Langres, dont Gre´goire (voir note suivante) fut l’e´veˆque, meˆme s’il a choisi son mausole´e de´die´a` saint Jean l’E´ vange´liste, maıˆtre de Polycarpe (!), a` Dijon. 64 Heinzelmann, Gregor von Tours (voir n. 50), p. 17–18 (Gregorius Attalus), 18–19 (Eufronius, e´veˆque d’Autun); on notera que la petite-fille de Gre´goire de Langres, Armentaria (me`re de Gre´goire de Tours), avait une ve´ne´ration spe´ciale pour saint Polycarpe. Voir aussi supra, avec n. 51, pour la Passion de Symphorien »adapte´e au cycle bourguignon«. L’histoire de la de´cou- verte de la Passion de sainte Be´nigne (GM 50) raconte´e par Gre´goire de Tours, arrie`re-petit-fils de Gre´goire de Langres par sa me`re, paraıˆt e´trange quand on sait qu’il a duˆ connaıˆtre la version composite des Actes d’Ire´ne´e, voir Meyer, Die Legende (voir n. 62), p. 66–67. 65 Ire´ne´e e´tant de´ja` martyr dans les deux Passions des martyrs de Valence et de Besanc¸on, on peut imaginer une Passio s. Irenaei pre´ce´dant la Passion composite, datant donc de la fin du Ve sie`cle, mais perdue par la suite. 66 BHL 2896 et BHL 2903b: le dernier texte est e´dite´ maintenant par Bernard de Vregille, La plus ancienne version de la Passion des saints Ferre´ol et Ferjeux, dans: Autour de Lactance. Hom- mages a` Pierre Monat, Besanc¸on 2003, p. 181–196, ibid., p. 187–191 e´dition du texte; p. 192–196 traduction; voir aussi l’Inventio de Ferre´ol et Ferjeux (BHL 2909b), qui serait contemporaine selon De Vregille, p. 186 n. 16 (la date de la notice des deux martyrs dans le Mart.Hieron., le 5 septembre, est effectivement celle de l’Inventio), mais dont le meilleur texte, dans un manuscrit de Rouen, n’a pas encore e´te´ publie´. 67 Passio Patrocli mart., BHL 6520 (CPL 2130a), du milieu du VIe sie`cle, selon Joseph Van der Straeten, La Passion de saint Patrocle de Troyes – ses sources, dans: AnalBoll 78 (1960), p. 145–153, ici p. 153. Passio Columbae mart., BHL 1892–1896 (CPL 2092a), estime´e du VIe sie`cle (?); voir Joseph Van der Straeten, dans AnalBoll 80 (1962), p. 116–117, e´voquant un L’hagiographie me´rovingienne 43 patron de Chalon, capitale du royaume burgonde de Gontran, fit de son he´ros un rescape´ des glorieux te´moins du Christ de 177 a` Lyon – qui ne sont pourtant pas cite´s nomme´ment –, avant de lui faire subir le martyre dans sa ville de Chalon68. Pour quelques martyrs disposant de`s le Ve sie`cle d’un sermon, on a pu cre´er une Passion a` partir de ces textes originaux; de telles ›re´e´critures‹ a` la gloire du patron de la ville existent pour Gene`s d’Arles et Victor de Marseille, dont le martyre trouve significativement son apoge´e dans une exclamation venant d’une voix ce´leste: O beata civitas Massilia quae meruisti suscipere defensores martyres Dei cum sancto Victore69. Une deuxie`me Passion de Ferre´ol de Vienne, dans laquelle le martyr est associe´a` Julien de Brioude, pre´ce`de la deuxie`me Passion de ce dernier re´dige´e dans les anne´es 532 a` 580, suivie d’une sorte de re´e´criture encore au meˆme sie`cle, chez Gre´- goire de Tours, Auvergnat d’origine70. La vague importante de nouveaux »anciens martyrs« au VIe sie`cle est parfaitement documente´e par la liste des inventions a` cette e´poque en Gaule dont nous avons connaissance, surtout a` travers l’œuvre de Gre´goire de Tours qui, a` lui seul, en men- tionne treize71. Le martyr saint Vincent d’Agen n’en fait pas partie, quoiqu’il n’y ait pas de signe de son culte avant le VIe sie`cle. Sa Passion, qui e´tait lue a` l’e´poque de Gre´goire par les habitants72, raconte qu’il dut mourir a` une e´poque non pre´cise´e, sur l’ordre du preses d’Agen, parce qu’il avait de´range´ une ce´re´monie paı¨enne; mais le texte met tout spe´cialement en avant le sort d’un potentissimus preˆtre (wisi-)goth arien qui, s’attaquant a` la se´pulture et la basilique du martyr, fut puni par la perte de sa famille, par un exil de plusieurs anne´es en Espagne et en Italie, avant de mourir lamentablement noye´.

emprunt important (l’»e´pisode de l’amphithe´aˆtre«) de la Passion de Chrysanthe et Daria (BHL 1787, AASS Oct. X, p. 859, chap. 22–25). 68 BHL 5245; la datation est incertaine, Gre´goire de Tours paraıˆt ne pas connaıˆtre la Passion quand il raconte une histoire de miracle de saint Marcel, GM 52 (BHL 5247). 69 BHL 8570, le »Pane´gyrique ancien«, voir Moulinier, Saint Victor (voir n. 55), p. 222–225 et passim, citation de l’e´dition p. 455, chap. 15; pour Gene`s, BHL 3304, voir supra n. 44. 70 Pour saint Julien, voir BHL 4540 et 4542, et BHL 4541, Liber de passione et virtutibus s. Iuliani, de Gre´goire de Tours, qui est le deuxie`me livre de la se´rie ›hagiographique‹ de ses œuvres: le premier chapitre contient une sorte de re´sume´e de la passio et quarante-neuf chapitres racontant les miracles du martyr, sujet principal de Gre´goire. Pour la datation des deux passiones, pre´ce´dant le liber de Gre´goire des anne´es 580, cf. maintenant Dubreucq, Les textes de la Passion de saint Julien (voir n. 53) ; Dubreucq, p. 203–206 (e´dition p. 210–212), parle aussi d’une autre version, poste´rieure a` Gre´goire (BHL 4542d), contenue dans un ms. de Saint-Claude et dans Saint-Gall 566, re´dige´e entre la fin du VIe sie`cle et 806 (date de la re´ception par l’Anonyme de Lyon). 71 Les quatorze inventions (dont treize indique´es par Gre´goire) cite´es par Beaujard, Le culte des saints (voir n. 26), p. 243 et tableau 8, p. 524–530, concernent dix martyrs; cette liste est encore a` comparer et a` comple´ter par Weidemann, Itinerare (voir n. 26), tableaux 11 et 12, avec preuves, utilisant en plus les notices du Mart.Hieron. de la fin du VIe sie`cle. Pour l’Inventio, BHL 2909b, des martyrs Ferre´ol et Ferjeux, voir n. 66. 72 Gre´goire de Tours, GM 104, cuius passionis historia ab incolis retenetur; Gre´goire parle ensuite de la levitica stola du martyr, ce qui pourrait indiquer qu’il l’a bien confondu avec saint Vincent de Saragosse. Pour la Passio, BHL 8621t, voir Baudoin de Gaiffier, La Passion de saint Vincent d’Agen, dans: AnalBoll 70 (1952), p. 160–181, e´dition p. 174–181. Le texte de la Passion ne parle pas des travaux a` la basilique par les e´veˆques de Bordeaux, Le´once Ier et Le´once II, ce dernier e´tant contemporain de Venance Fortunat, auteur des deux poe`mes Fort., Carm. I, 8 et 9; cf. le bon commentaire de Marc Reydellet dans son e´dition Venance Fortunat. Poe`mes, vol. I, Paris 1994, p. 170–172. 44 Martin Heinzelmann

Plus difficile paraıˆt la datation des Passions de Baudille de Nıˆmes, martyr repre´sen- te´ dans le Martyrologe Hie´ronymien, Antoine de Pamiers, Vaise du Saintonge et des fre`res Rogatien et Donatien de Nantes, meˆme si l’origine me´rovingienne de leurs Passions semble acquise73; la Passion de Pons de Cimiez, surprenante pour l’exacti- tude de ses nombreuses indications temporelles, donnant en synchronie empereurs et papes de la premie`re moitie´ du IIIe sie`cle, est ge´ne´ralement attribue´e au Ve ou VIe sie`cle74. A` coˆ te´ de ces exceptions aquitaines et provenc¸ale, circulait a` Paris la Passion de l’e´veˆque saint Denis qui a tre`s probablement existe´ de`s le de´but du VIe sie`cle75, et qui est, de ce fait, a` peu pre`s contemporaine de l’e´criture de la Passion de saint Ire´ne´e. Contrairement a` cette dernie`re, elle parle d’une mission qui serait partie de Rome, de l’e´veˆque saint Cle´ment, mais rappelle aussi – sans construire un lien direct – le mar- tyre de l’e´veˆque Sernin de Toulouse, et la mission de Paul de Narbonne. De la meˆme manie`re que saint Ire´ne´e dans le cas de sa Passion, saint Denis devint le chef d’un groupe de martyrs portant la mission dans le nord de la Gaule76, et le point de de´part d’une se´rie de Passions77; le plus souvent, les textes situent l’action a` l’e´poque de

73 Passio Baudelii, BHL 1043/1044, avec une riche tradition commenc¸ant a` la fin du VIIIe sie`cle, dans le Clm 4554 (Munich); Passio Antonii, BHL 572; Passio Vasii, BHL 8500, avec une se´rie de renseignements inte´ressants et tre`s probablement authentiques du re`gne du Visigot Alaric (487/507), cf. Martin Heinzelmann, Gallische Prosopographie 260–527, dans: Francia 10 (1982), p. 710 s.v. Vassius; Passio Donatiani et Rogatiani, BHL 2275 (= CPL 2093). 74 Passio Pontii Cimellensis, BHL 6896 (= CPL 2221, classe´ parmi les saints d’Italie!); cf. Jean-Pierre Weiss, Une œuvre de la renaissance carolingienne. La Passion de Pons de Cimiez, dans: Jean Granarolo, Miche`le Biraud, Hommage a` Rene´ Braun. Autour de Tertullien, vol. 2, Paris 1991, p. 203–222 (Publications de la faculte´ des lettres et sciences humaines de Nice, 56), qui date le texte du dernier quart du VIIIe sie`cle, ce qui paraıˆt optimiste quant aux re´percussions juge´es imme´diates de la »renaissance carolingienne«. Les trois home´lies de Valerien de Cimiez (Ve sie`cle) sur De bono martyrii (Migne PL 52, col. 738–745, XV–XVII), se re´fe`rent a` un martyr local, sans doute saint Pons, ce qui ne permet pourtant pas, pour cette e´poque, de ve´rifier l’exi- stence de la Passion dont la tradition manuscrite ne commence qu’au Xe sie`cle. 75 BHL 2171 (CPL 1051); pour une connaissance vraisemblable de la Passion de saint Denis par l’auteur de la Vie de sainte Genevie`ve, e´crite en 520, voir Joseph-Claude Poulin, dans Martin Heinzelmann, Joseph-Claude Poulin, Les Vies anciennes de sainte Genevie`ve de Paris, Paris 1986, p. 134–137. 76 Voir, par exemple, la Passion des saints Fuscien, Victoric et Gentien, BHL 3226, qui cite les douze missionaires (le mode`le apostolique), una cum venerabili Dionysio praesule: Piat, Rufin, Cre´pin et Cre´pinien, Vale`re, Lucien, Marcel, Quentin et Rieul, ab urbe Roma progredientes. Pour la Passion, et l’Invention BHL 3229 (date´e apre`s la mort de Childebert III en 711), voir maintenant Miche`le Gaillard, Remarques sur les plus anciennes versions de la Passio et de l’Inventio des saints Fuscien, Victoric et Gentien (manuscrits Paris BNF, lat. 12598 et Wien, ÖNB, 371), dans: Parva pro magnis munera. E´ tudes de litte´rature tardo-antique et me´die´vale offertes a` Franc¸ois Dolbeau par ses e´le`ves, re´unies par Monique Goullet (Instrumenta patristica et mediaevalia, 51), Turnhout, 2009, p. 397–409. 77 Voir de´ja` Louis Duchesne, Fastes e´piscopaux dans l’ancienne Gaule, vol. 3, Paris 1915, p. 141–152; il s’agit principalement de: Passio (et inventio prior) Quintini mart. Viromandensis, BHL 6999–7000; Crispini et Crispiniani mart. Suessione, BHL 1990; Rufini et Valerii in agro Suessionensi, BHL 7373; Fusciani, Victorici et Gentiani mart. Ambianis, BHL 3226 (voir note pre´ce´dante); Iustus puer Autisiodorensis mart. Bellovaci, BHL 4590; Lucianus ep. et soc. mart. Bellovaci, BHL 5008; au moins pour les Passions de Cre´pin et Cre´pinien et Quentin de Vermand la tradition manuscrite commence au VIIIe sie`cle, pour Just d’Auxerre meˆme dans sa premie`re L’hagiographie me´rovingienne 45 l’empereur Maximien (IIIe sie`cle), et font cas d’un antihe´ros perse´cuteur ce´le`bre, le pre´fet ou »tyran« Rictiovare (»cycle de Rictiovare«). Meˆme si Gre´goire de Tours parle de ces martyrs, en l’occurrence des saints Quentin et Cre´pin et Cre´pinien qui sont e´galement repre´sente´s dans une notice des additions auxerroises au Martyrologe Hie´ronymien, aucun des textes, sauf peut-eˆtre la Passion et la premie`re Inventio de saint Quentin, ne paraıˆt ante´rieur au VIIe sie`cle78; en revanche, leur fonction au be´- ne´fice de certaines basiliques rurales des VIIe et VIIIe sie`cles devient e´vidente, par une justification explicite de l’emplacement du tombeau des martyrs respectifs79. Il existe un autre perse´cuteur, ayant davantage de consistance historique: le roi – ale´manique ou vandale – Chrocus (de´but du IVe sie`cle), perse´cuteur entre autres des saints e´veˆques Privat de Javols/Mende et Didier de Langres80. La Passion de ce dernier fut e´crite au tout de´but du VIIe sie`cle par un certain Warnaharius, identifiable vrai- semblablement avec le maire du palais burgonde de l’e´poque81, un laı¨c dont nous

moitie´, avec un ms. d’origine anglo-saxonne, voir Klaus Zechiel-Eckes, Unbekannte Bruch- stücke der merowingischen Passio sancti Iusti pueri (BHL 4590c), dans: Francia 30/1 (2003), p. 1–8 (avec e´dition du fragment de l’incunable Düsseldorf, Universitätsbibl. M.Th.u.Sch.29a [Ink.], vol. 4, face inte´rieure du couvercle: un autre fragment du meˆme texte dans Düsseldorf, UBL Fragment K 2: C 118, fol. 1, a e´te´ pre´sente´ dans les AnalBoll 74 [1956], p. 86–114). Mme Floriane Guignet avait entame´, sous la direction de Reinhold Kaiser (Zurich), une e´tude historique sur ce groupe qu’elle a duˆ abandonner: je la remercie de m’avoir passe´ le mate´riel qu’elle avait de´ja` rassemble´. J’ai pu consulter un excellent manuscrit de Brigitte Meijns et Charles Me´riaux, Le cycle de Rictiovar et la topographie chre´tienne des campagnes septentrionales a` l’e´poque me´rovingienne, maintenant dans: Dominique Paris-Poulain et al. (dir.), Les premiers temps chre´tiens dans le territoire de la France actuelle, Rennes 2009, p. 19–33. 78 Gre´goire de Tours, GM 72, BHL 7013, concernant saint Quentin: les de´tails mentionne´s laissent croire que le Tourangeau a pu connaıˆtre une passio qui serait perdue selon Jean-Luc Villette, Passiones et Inventiones S. Quintini. L’e´laboration d’un corpus hagiographique du haut Moyen Aˆ ge, dans: Me´langes de science religieuse 56 (1999), p. 49–76; voir ibid., p. 61–62 n. 25 a` propos d’une bre`ve Inventio (BHL 7015), suppose´e ante´rieure a` la Vie de saint E´ loi, qui parle d’une inventio dans les cas des martyrs Cre´pin et Cre´pinien, Lucien, Piat et Quentin, par l’e´veˆque de Noyon et de Tournai. Quant aux saints Cre´pin et Cre´pinien, Gre´goire en fait mention seulement en tant que patrons d’une basilique a` Soissons, Hist. 5,34 et 9,9. 79 Meijns,Me´riaux, Le cycle de Rictiovar (voir n. 77), conclusion. Les auteurs ont porte´ leur recherche sur les sanctuaires de Bazoches (Rufin et Vale`re), Fismes (Macre), Sains (Fuscien et Victoric), Saint-Just (Just), Saint-Quentin (Quentin), et Seclin (Piat). Pour une bonne partie, les martyrs du cycle de Rictiovare sont des ce´phalophores – the`me qui de´veloppe la de´capitation de Denis selon sa Passion – portant leur teˆte a` un endroit choisi. 80 Cf. E´ milienne Demougeot, Les martyrs impute´s a` Chrocus et les invasions alamanniques en Gaule me´ridionale, dans: Annales du Midi 84 (1962), p. 5–28. Gre´goire de Tours parle de la destruction d’un temple chez les Arvernes par un roi des Alamans, Chrocus, en Hist. 1,32, et du martyre de saint Privat de Mende suivi de la punition de Chrocus a` Arles, en Hist. 1,34, mais il ne connaıˆt pas les Passions des autres victimes de Chrocus que sont Didier ou Vale`re de Langres (BHL 2145, 8496), d’Antide de Besanc¸on (BHL 566), d’Ausone d’Angouleˆme (BHL 827–828); mais il a duˆ connaıˆtre une Passion de Privat de Mende (aujourd’hui perdue), qui ne peut pas eˆtre BHL 6932–6933, cette dernie`re e´tant compose´ea` partir des e´le´ments des deux chapitres cite´s des »Histoires«; puisque la Passion est repre´sente´e dans deux manuscrits de la fin du VIIIe sie`cle (Montpellier, BU Me´d. H55; München, Clm 4554), le texte doit donc appartenir au VIIe ou VIIIe sie`cle. 81 Voir Martindale, Prosopography (voir n. 54), vol. IIIB, Cambridge 1992, p. 1401–1402 (W.2), et Horst Ebling, Prosopographie der Amtsträger des Merowingerreiches von Chlothar II. (613) bis Karl Martell (741), München 1974 (Beihefte der Francia, 2), p. 235–238: les deux identifient le 46 Martin Heinzelmann posse´dons une lettre accompagnant l’envoi de deux passiones – des Trijumeaux et de l’e´veˆque Didier – a` l’e´veˆque Ceraunus de Paris qui e´tait apparemment connu pour eˆtre un grand collectionneur de Passions82. Son texte situe le martyre de l’e´veˆque de Langres du temps de Wandalorum barbara et gentilis ferocitas sous leur roi ou prin- ceps Crosco et se distingue surtout par l’insertion de longs passages a` la gloire de Langres: O urbs Lingona ... inde es et permanes in perpetuum prae ceteris urbibus gloriosa, relevant la protection de la cite´ par l’e´veˆque–martyr Didier intrinsecus, et par les Trijumeaux extrinsecus83. C’est dans la cite´ voisine d’Auxerre que l’e´criture hagiographique a connu une floraison de longue dure´e: si la ce´le`bre biographie de l’e´veˆque Germain, de la fin du Ve sie`cle, e´tait encore l’œuvre d’un auteur lyonnais, une activite´ hagiographique im- portante re´gnait sur place aux VIe et VIIe sie`cles, dont la re´daction de trois Passions ne constitua qu’une partie. En ce qui concerne les martyrs, les recherches de Wilhelm Meyer ont identifie´ de`s 1904 la cite´ comme lieu d’origine de la Passion de saint Alban de Verulamium, le protomartyr anglais sur la tombe duquel saint Germain e´tait encore alle´ prier au sie`cle pre´ce´dant; une version abre´ge´e de la Passion, attribue´e a` la fin du VIe sie`cle par Meyer, e´tait re´cemment re´cule´e a` l’e´poque meˆme de saint Ger- main par des chercheurs anglais84. Le texte est proche de l’»ensemble de Farfa« (la

fonctionnaire, en charge de 613 a` 626, fortement implique´ dans la vie de l’E´ glise de son temps, a` l’hagiographe. 82 MGH, Epistolae III, p. 722 (CPL 1308): divinarum scripturarum dogmata peragrasti; nunc sanc- torum martyrum gesta ad laudis tuae cumulum pro amore religionis congregare in urbe Parisiaca devotus intendis. Unde sancto Eusebio Caesariensi in aemulationis studio coaequandus es et pari gloriae dono perpetualiter memorandus. Warnecarius (Warnaharius) paraıˆt eˆtre laı¨c et, selon cette lettre, l’auteur d’une Passio de l’e´veˆque de Langres Didier et de celle des Trijumeaux (BHL 7829) qui n’e´tait donc qu’une re´e´criture (ou copie) de la Passion du VIe sie`cle. L’e´veˆque Ceraunus e´tait pre´sent en 614 au concile de Paris; la comparaison avec Euse`be en raison de sa collection de Passions pourrait se rapporter aux deux lettres fictives attribue´es aux e´veˆques Chromace et E´ liodore s’adressant a` saint Je´roˆ me, avec la re´ponse du dernier, pre´ce´dant le Mart.Hieron., AASS Nov. II, 2, p. [lxxxii]: in universo orbe Romano sollicita perscrutatione monimenta publica dis- cutiendo perquirerent, et quis martyrum, a quo iudice, in qua provincia vel civitate, quo die quave passione perseverantiae suae obtinuerit palmam, de ipsis arcivis sublata ipsi Eusebio regio iussu diregerent (etc.). Voir encore la lettre VIII 28 de Gre´goire le Grand de 598 (e´d. Dag Norberg, CCSL 140A, 1982, p. 549) re´pondant au patriarche Euloge d’Alexandrie, ou` il lui fait part de trois documentations hagiographiques disponibles dans les fonds romains: des livres d’Euse`be de gestis sanctorum martyrum (Histoire eccle´siastique ou l’Histoire des martyrs de la Pale´stine), un codex avec quelques Passions (Passionnaire), et un autre codex avec des notices sur des martyrs (Martyrologe, e´ventuellement le Mart.Hieron., cf. n. 87); cf. Van Uytfanghe, L’hagiographie en Occident (voir n. 33), p. 5, et Philippart, Gre´goire le Grand et les Gesta martyrum, dans: Gregorio Magno (voir n. 20), p. 238 sq., qui ne parlent pourtant pas des deux lettres accompa- gnant le Mart.Hieron. 83 Passio s. Desiderii ep., BHL 2145 (CPL 1310), e´d. AASS Maii V, p. 246–248; les deux passages sont a` la fin des deux parties de la Passion, la dernie`re s’adressant directement aux sacerdotes illustres, primates et omnis plebs Lingonici populi. 84 Passio Albani et sociorum, BHL 210d. 211. 211 (CPL 2079), cf. Meyer, Die Legende (voir n. 62); voir maintenant aussi Wolfert S. Van Egmond, Conversing with the Saints. Communication in Pre-Carolingian Hagiography from Auxerre, Brepols 2006 (Utrecht Studies in Medieval Litera- cy, 15), p. 90–96, avec des doutes concernant l’origine auxerroise de la Passion. – Pour la pro- position d’une datation de la version bre`ve ou abre´ge´e au Ve sie`cle voir maintenant Ian Wood, Germanus, Alban and Auxerre, dans: Bulletin du Centre d’e´tudes me´die´vales – Auxerre 13 L’hagiographie me´rovingienne 47

Passion composite de saint Ire´ne´e), et sa composition en 514/550 est ante´rieure a` la Passion de l’e´veˆque Pe´re´grin d’Auxerre (2e moitie´ du VIe/de´but du VIIe sie`cle), suivie de peu de la Revelatio Corcodemi seu conversio sancti Mamertini et de la Passio s. Prisci, Cotti et sociorum eius dont la premie`re partie du texte paraıˆt avoir de´ja` existe´e a` la fin du VIe sie`cle, pour avoir e´te´ comple´te´e par une deuxie`me partie dans une re´daction de la deuxie`me moitie´ du VIIe sie`cle85. Plus important encore apparaıˆt la recension auxerroise du Martyrologe Hie´ronymien, œuvre sans doute mise en route par l’e´veˆque Aunaire (561–605)86, dans laquelle l’Auxerrois fit ajouter aux se´ries bien connues des martyrs et autres saints de l’E´ glise universelle celles des confesseurs et martyrs de plusieurs e´glises en Gaule: sous la forme d’un calendrier qui retient les noms et la qualite´ des saints, le lieu et la date du jour de leur heureux tre´pas, on s’est employe´a` composer pour ainsi dire la socie´te´ universelle des saints conc¸ue par les Pe`res de l’E´ glise, dans l’espace et dans le temps87. Ce concept eccle´siologique fon- damental, pre´me´rovingien, est e´galement sous-jacent dans deux lettres fictives asso- cie´es au Martyrologe qu’elles introduisent: il s’agit d’une lettre adresse´e par deux e´veˆques Chromace et He´liodore a` saint Je´roˆ me, lui demandant famosissimum feriale de arcivis sancti Eusebii Caesariae Palestinae sacerdotis, suivie de la re´ponse de Je´- roˆ me, qui fait effectivement e´tat d’une premie`re grande collection de tous les Actes de martyrs par Euse`be, conforme´ment a` une requeˆte officielle de l’empereur88. Le souci primordial qui se manifeste dans des entreprises de ce genre89 est celui d’une perspective hagiographique de l’histoire en tant que telle, avec une finalite´ qui n’est pas exclusivement le culte d’un saint ou d’un autre, mais le de´codage et l’exe´ge`se

(2009), p. 123–129, avec le texte de cette version p. 128–129, malheureusement sans indication du manuscrit utilise´ (sont cite´s les fol. 191v puis 191r [sic]); le chercheur anglais suit son compatriote Richard Sharpe, The late antique passion of St Alban, dans: M. Henigand,P.Lindley (dir.), Alban and St Albans, Leeds 2001, p. 30–37. 85 Passio Peregrini, BHL 6623 (CPL 2131), cf. Van Egmond, Conversing with the Saints (voir n. 84), p. 81–85; on remarquera le peu d’empressement de styliser Pe´re´grin, envoye´ par le pape Sixte, en premier e´veˆque de sa cite´. Revelatio Corcodemi, BHL 5200/5201, Van Egmond, p. 97–107; Passio s. Prisci et soc., BHL 6930, ibid., p. 85–89. 86 CPL 2031; Hartmut Atsma, Klöster und Mönchtum im Bistum Auxerre bis zum Ende des 6. Jahrhunderts, dans: Francia 11 (1983), p. 1–96, 10 sq. et passim; Beaujard, Le culte des saints (voir n. 26), p. 459–461; Van Egmond, Conversing with the Saints (voir n. 84), p. 71–74, avec n. 34. 87 Voir la lettre de Gre´goire le Grand de 598 (voir n. 82) ou` l’e´veˆque parle de son martyrologe qui a bien pu eˆtre une e´dition romaine du Mart.Hieron.: Nos autem paene omnium martyrum distinctis per dies singulos passionibus collecta in uno codice nomina habemus atque cotidianis diebus in eorum veneratione missarum sollemnia agimus. Non tamen in eodem volumine quis qualiter sit passus indicatur, sed tantummodo nomen, locus et dies passionis ponitur. Unde fit ut multi ex diversis terris atque provinciis per dies, ut praedixi, singulos cognoscantur martyrio coronati. 88 Les deux lettres pre´ce´dant le Mart.Hieron., voir AASS Nov. II, 2, p. [lxxxii]; pour la re´ponse de Je´roˆ me, voir notre citation en note 82. Le renvoi a` cette mission publique pourrait avoir son origine dans une mission comparable de l’e´veˆque Aunaire mandate´e par le roi Gontran. Voir encore notre citation de la Vita Silvestri, n. 42. 89 Pour d’autres collections circulant de`s le VIe sie`cle, voir Heinzelmann, L’hagiographie de Gre´- goire de Tours (voir n. 20), p. 172–176; pour les diffe´rents Vitas patrum (collections de »Vies« d’asce`tes) de cette e´poque, voir Berschin, Biographie und Epochenstil I (voir n. 11), p. 188–191, Schulz-Flügel, Zur Entstehung der Corpora Vitae Patrum (voir n. 31), p. 289–300, et Van Uytfanghe, L’hagiographie en Occident (voir n. 33), p. 6–7. 48 Martin Heinzelmann des e´le´ments cle´s d’une histoire conc¸ue en tant que sainte, la seule histoire admissible apre`s la victoire de la religion chre´tienne au IVe sie`cle90. Le dessein de l’œuvre en vingt livres de Gre´goire, e´veˆque de Tours de 573 a` 59491, correspond pleinement a` cette ide´ologie de base. Elle y est particulie`rement illustre´e au premier livre des »Histoi- res«, chapitre par chapitre, a` l’exemple des martyrs s’opposant syste´matiquement a` un empereur perse´cuteur en emportant chaque fois »une victoire paradoxale sur les forces du mal«92, et cette ide´ologie aboutit finalement aux miracles qui se produisent a` l’e´poque meˆme de Gre´goire aux tombeaux de ces meˆmes martyrs: dans le premier de ses livres proprement ›hagiographiques‹, le livre In gloria martyrum, l’auteur repre´- sente la hie´rarchie de l’E´ glise universelle a` l’image de la se´rie des cent six chapitres sur le Christ, ses apoˆ tres et ses martyrs. Ce premier livre pour lequel manque une ve´ri- table source mode`le est suivi d’un deuxie`me avec le recueil des miracles de Julien, martyr de Brioude, qui s’inse`re, comme les miracles de saint Martin en quatre livres, dans une tradition de´ja`e´tablie repre´sente´e par exemple par les miracles africains de saint E´ tienne ou d’autres collections de ce type dont il n’y a plus de trace sauf quand elles ont e´te´ ajoute´es a` une biographie93. La perspective eccle´siologique de l’auteur, qui caracte´rise si ostensiblement le De gloria martyrum, est double´e d’un argument plus litte´raire et pe´dagogique, tendant a` remplacer la litte´rature profane traditionnelle, divertissante, par l’exclusivite´ d’une litte´rature ›e´difiante‹, c’est-a`-dire approprie´e a` une socie´te´ en marche vers le salut e´ternel. De´ja`, l’e´veˆque Aunaire d’Auxerre s’e´tait pre´occupe´ de satisfaire les gouˆ ts diffe´rents d’un public e´tendu des e´crits hagiographiques, comprenant des nobles autant que des gens modestes94. Son colle`gue et ami Gre´goire de Tours, dans le pro- logue du In gloria martyrum, le premier prologue du cycle de ses livres »hagiogra- phiques« proprement dit, pole´mique contre les motifs paı¨ens ou profanes d’une litte´rature »baˆtie sur le sable et destine´ea` une ruine prochaine« pour la remplacer par

90 Cf. Guy Philippart, L’hagiographie, histoire sainte des »amis de Dieu«, dans: Hagiographies (voir n. 20), vol. IV, p. 13–40. 91 Cf. Martin Heinzelmann, La re´e´criture hagiographique dans l’œuvre de Gre´goire de Tours, dans: La re´e´criture hagiographique (voir n. 16), p. 15–70; Id., Funktion des Wunders (voir n. 30), p. 46–57; Id., Saintete´, hagiographie et reliques (voir n. 22); Id., Gre´goire de Tours et l’hagio- graphie me´rovingienne (voir n. 20), p. 179–192; Id., Structures typologiques (voir n. 59). Pour l’œuvre de Gre´goire, voir plus loin. 92 Cf. Philippart, L’hagiographie (voir n. 90), p. 23 a` propos des Passions, »genre majeure de l’hagiographie«; pour les »Histoires«, voir Martin Heinzelmann, Heresy in Books I and II of Gregory of Tours’ Historiae, dans: A. C. Murray (dir.), After Rome’s Fall. Essays Presented to Walter Goffart, Toronto et al. 1998, p. 67–82. 93 Voir Jean Meyers (dir.), Les miracles de saint E´ tienne. Recherches sur le recueil pseudo-augu- stinien (BHL 7860–7861) avec e´dition critique, traduction et commentaire, Turnhout 2006 (Hagiologia, 5); pour des collections de miracles en ge´ne´ral, et en particulier pour ceux de Martin: Martin Heinzelmann, Une source de base de la litte´rature hagiographique latine. Le recueil de miracles, dans: Hagiographie, cultures et socie´te´s IVe–XIIe sie`cle. Actes du colloque organise´a` Nanterre et a` Paris (2–5 mai 1979) par le Centre de recherches sur l’Antiquite´ tardive et le haut Moyen Aˆ ge, universite´ Paris X-Nanterre, Paris 1981 (E´ tudes augustiniennes), p. 235–259. 94 Cf. sa lettre a` l’auteur E´ tienne l’Africain, MGH, Epistolae III (Epist. Aevi merow. 7), p. 446–447; voir pour cette lettre et l’activite´ hagiographique d’Aunaire en ge´ne´ral Heinzelmann, Gre´goire de Tours et l’hagiographie (voir n. 20), p. 178–179; cf. maintenant aussi Van Egmond, Conver- sing with the Saints (voir n. 84), passim. L’hagiographie me´rovingienne 49 les re´cits de »miracles divins et e´vange´liques«95. Ce dessein de l’e´dification qui dirige l’esprit des fide`les vers des sujets chre´tiens est a` l’origine des deux œuvres supple´- mentaires compose´es par Gre´goire dans le domaine martyrial. Il s’agit de textes qui ne sont pas compris dans l’ensemble de son œuvre en vingt livres: les miracles de l’Apoˆ tre saint Andre´ dont il proposa une re´e´criture d’une version ancienne juge´e trop verbeuse, et le re´cit des Sept dormants d’E´ phe`se, œuvre grecque ou syriaque a` l’origine, traduite par un Iohannes Syrus en collaboration avec Gre´goire qui a de´fi- nitivement compose´ le texte; l’ide´e de fond de ce re´cit extreˆmement re´pandu en Orient au sujet de sept adolescents endormis dans une caverne a` l’e´poque des per- se´cutions de l’empereur De`ce et re´veille´s sous The´odose, un sie`cle et demi plus tard, est une illustration e´difiante de la re´surrection physique des corps lors du Jugement dernier, ve´rite´ nie´e par certains mouvements he´re´tiques96.

LA VITA VEL PASSIO DES VIIe ET VIIIe SIE` CLES

Dans ses »Histoires«, l’e´veˆque de Tours avait a` sa disposition suffisamment de ma- tie`re pour pre´senter une ve´ritable Passion d’un contemporain97. Mais il n’a pas fait ce pas important dans l’e´volution du genre des Passions en composant une Vita vel Passio, biographie d’un martyr contemporain dont la se´rie d’exemples du VIIe/VIIIe sie`cle deviendra pourtant un e´le´ment des plus caracte´ristiques de l’hagio- graphie me´rovingienne. Un premier pas vers ce nouveau ›(sous-)genre‹ e´tait la mort violente de l’e´veˆque Didier de Vienne en 606/607 qui fut me´diatise´e tre`s vite politi- quement, peut-eˆtre en 610, par le Wisigoth Sisebut qui, deux ans plus tard, deviendra roi (en 612); il composa effectivement une Vita vel Passio pour l’e´veˆque de Vienne en signalant opportune´ment le roˆ le ne´faste de sa propre parente, la reine franque Bru- ne´haut et de son fils, le roi Thierry98. Une e´dition gauloise de la Passion de l’e´veˆque fut entreprise par un clerc viennois, peut-eˆtre encore avant le milieu du VIIe sie`cle99; on y

95 GM prol., p. 38, Sed ista omnia [scil. les re´cits de Virgile!] tamquam super harenam locata et cito ruitura conspiciens, ad divina et euangelica potius miracula revertamur, cf., avec commentaire, Martin Heinzelmann, L’hagiographie de Gre´goire de Tours. Le fondement the´ologique de l’hagiographie me´die´vale, dans: Les saints et l’histoire (voir n. 25), p. 43–48. 96 Pour les deux textes, voir Heinzelmann, La re´e´criture hagiographique (voir n. 91), p. 59–68 (Passio sanctorum septem dormientium apud Ephesum; voir aussi l’auto-re´e´criture de ce texte GM 94), et p. 69–70, avec n. 198 (Miracles de saint Andre´). Pour d’autres Passions qui e´taient a` la disposition de Gre´goire ou dont il avait connaissance, voir Heinzelmann, L’hagiographie de Gre´goire de Tours (voir n. 20), passim. 97 Voir les exemples de l’abbe´ Lupentius de Javols, Hist. 6,37 (= BHL 5068; cf. encore les deux Passions, BHL 5069 et 5070), ou encore la fin de l’e´veˆque Pre´textat de Rouen, spectaculairement assassine´ par les soins de la reine Fre´de´gonde, Hist. 8,31. 98 BHL 2148 (CPL 1298); les trois manuscrits tardifs (XVIe et XVIIIe sie`cles) de´pendent d’un seul codex Ovetensis de 1098, cf. MGH, SRM III, p. 623–624. Pour la porte´e politique du texte, voir Jacques Fontaine, King Sisebut’s Vita Desiderii and the Political Function of Visigothic Hagio- graphy, dans: Edward James (dir.), Visigothic Spain. New Approaches, Oxford 1980, p. 93–129. 99 BHL 2149 (manque en CPL), juge´ par Bruno Krusch dans l’e´dition MGH, SRM III, p. 627 du milieu du VIIIe sie`cle, datation qui a influence´ la plupart des commentateurs; pour Berschin, 50 Martin Heinzelmann rele`vera l’accent que l’auteur a mis sur la re´surgence des re´cits sur la victoire des martyrs100, et sur l’apparition re´cente, nostris temporibus, du novus martyr. Mais le ve´ritable temps fort des martyrs vivant et mourant a` l’e´poque me´rovin- gienne ne commence que bien plus tard, a` la deuxie`me moitie´ du VIIe sie`cle, avec le meurtre plutoˆ t sordide de l’Irlandais Feuillien et de ses trois compagnons, au de´but des anne´es cinquante, raconte´ dans l’Additamentum Nivialense de obitu et sepultura sancti Foillani qui est un ajout a` la biographie de son fre`re saint Fursy, mort vers 648/650 comme abbe´ de Lagny; tandis que Fursy a e´te´ le saint mode`le du maire du palais neustrien Erchinoald, fondateur du monaste`re de Lagny, ses fre`res Feuillien, Ultan suivis d’autres Irlandais s’adresse`rent aux Pippinides, apre`s une rupture avec le Neustrien, trouvant refuge aux monaste`res de Fosses et de Nivelles101. Un seul manu- scrit du Xe sie`cle nous transmet la bre`ve Passion du premier abbe´ de Grandval, saint Germain († ca 667), par Bobulenus qui est, lui aussi, comme son he´ros, originaire du monaste`re de Luxeuil; il a re´dige´ sa version de la mort du saint tue´ par les hommes d’un duc alsacien peu de temps apre`s les faits102. La mort violente de l’e´veˆque Annemundus ou Aunemundus (ou encore Dalphinus) de Lyon, en 660/664 a` la suite d’un proce`s politique, a duˆ trouver un e´cho me´rovin- gien dans une tradition perdue, mais inge´nieusement reconstitue´e par Paul Fouracre et Richard A. Gerberding103. Plus important par le nombre des te´moins manuscrits des nouveaux martyrs sont les Passions d’autres e´veˆques tue´s entre 660/664 et 705 que leur porte´e politique situe au meˆme niveau que celui de l’e´veˆque de Lyon: saint Prix de Clermont (Praeiectus, † 676) avec une Passion, e´crite vraisemblablement par une parente du saint, Gundilana, abbesse de Chamalie`res, dont l’œuvre apparaıˆt finalement comme un traite´ de re´conciliation entre deux familles puissantes de la cite´ auvergnate104; suivent deux Passions de saint Le´ger d’Autun († 677/679) re´dige´es, la

Biographie und Epochenstil II (voir n. 11), p. 8, 66–67, la deuxie`me Passion aurait suivi la pre- mie`re de peu (610 et 615). Pour la datation, il faut tenir compte de l’e´loge tre`s de´veloppe´ du roi Clotaire II († 629), chap. 14 et 15, p. 643–645, mais aussi de la forte stylisation de Brune´haut en tant que secunda Iezabel (chap. 2 et 8, p. 638, 640) qui pourrait se re´fe´rer a` une formulation de la Vita Columbani de Jonas (639/643), chap. 18; quant a` l’auteur lui-meˆme, il pre´tend connaıˆtre des boni homines qui auraient vu de leurs yeux des faits du temps de Didier, chap. 4, p. 639. Pour Ian Wood, la Passion du clerc viennois pre´ce`de la Vita Columbani, voir Id., The Vita Columbani and Merovingian Hagiography, dans: Peritia 1 (1982), p. 63–80, ici p. 70–71. 100 Passio sancti Desiderii ep. et mart. (II), chap. 1, e´d. SRM III, p. 638: inter diversa confessorum miracula hac victorias martyrum ... refertus..., etc. 101 Additamentum Nivialense de obitu et sepultura s. Foillani, BHL 3211, CPL 2102. Voir Paul Fouracre, Richard A. Gerberding, Late Merovingian France. History and Hagiography 640–720, Manchester, New York 1996, p. 301–319 et p. 327–329 avec une traduction du texte. L’auteur du texte paraıˆt avoir e´te´ un moine irlandais comme il en existait a` Nivelles, monaste`re de femmes principalement. Comme sainte Gertrude de Nivelles († 653) fit chercher les corps de Feuillien et de ses compagnons, la mort de l’Irlandais a duˆ tomber auparavant. 102 BHL 3467 (CPL 2106). Voir Berschin, Biographie II (voir n. 11), p. 76–77. Le manuscrit est Sankt-Gallen, Stiftsbibl. 551, saec. X (non saec. IX comme le dit Berschin). 103 Fouracre,Gerberding, Late Merovingian France (voir n. 101), p. 166–179 et traduction des Acta Aunemundi, p. 179–192 (BHL 506, tradition datant sans doute du Xe sie`cle, mais a` partir d’un fond me´rovingien). 104 BHL 6915/6916; commentaires: Berschin, Biographie II (voir n. 11), p. 73–75, qui range le texte parmi les re´cits d’histoire: le prologue cite en effet en tant que premier mode`le a` suivre l’Histoire L’hagiographie me´rovingienne 51 premie`re, a` Autun en »instrument d’expiation« du successeur de l’e´veˆque, bientoˆt apre`s la mort du »bourreau« ce´le`bre qu’e´tait le maire du palais E´ broin (680), la seconde, par Ursin (de Liguge´), en pays poitevin entre 684 et 696105; et enfin une Passion de Lambert (Landebertus) de Tongres-Maastricht († 705), texte compose´ entre 727 et 743 en l’honneur d’un e´veˆque qui fut la victime d’une vendetta lors de laquelle il avait renonce´a` utiliser son e´pe´e pour se de´fendre106. De la meˆme e´poque peut encore dater l’e´criture de la Passio sancti Sigismundi regis, roi burgonde mort assassine´ en 523 et ve´ne´re´ comme saint de`s le VIe sie`cle107. Apre`s saint Le´ger, une autre victime du puissant maire du palais neustro-burgonde, E´ broin, fut le noble Rambert (Ragnebertus) dans le Bugey († ca 675). Il n’y a que deux manuscrits tardifs (XIIe et XIIIe sie`cles) qui racontent, sur le mode`le de la Passio Leodegarii d’Ursin, une histoire que l’e´diteur des MGH, Bruno Krusch, a juge´e peu cre´dible et donc non contemporaine, malgre´ les nombreux de´tails assure´ment›me´ro- vingiens‹ qui pourraient faire du saint le seul laı¨c honore´ d’une biographie me´rovin- gienne108.

eccle´siastique d’Euse`be-Rufin; voir surtout Fouracre,Gerberding, Late Merovingian France (voir n. 101), p. 254–270, avec traduction p. 271–300; p. 258 sq., les deux auteurs proposent comme auteur l’abbesse Gundilana de Chamalie`res – qui porte le nom du pe`re de Praeiectus, Gundilanus –, car elle apparaıˆt de manie`re significative dans le texte de la Passion; d’autres candidats – moins plausibles selon nous – sont un moine anonyme du monaste`re de Volvic ou de Saint-Amarin dans les Vosges respectivement. 105 BHL 4850 et 4849b (passio prima, reconstitue´e inge´nieusement par Bruno Krusch dans MGH SRM V), BHL 4851 (passio poitevine, d’Ursin de Liguge´), et 4855 (passio tertia, compilation des deux textes pre´ce´dants, difficilement datable, mais peut-eˆtre meˆme encore me´rovingien). Cf. Berschin, Biographie II (voir n. 11), p. 66–73 et surtout Joseph-Claude Poulin, Saint Le´ger d’Autun et ses premiers biographes (fin VIIe–milieu IXe sie`cle), dans: Bulletin de la Socie´te´ des antiquaires de l’Ouest, 4e se´rie, 16 (1977), p. 167–200. Voir un bon re´sume´ chez Charles Me´riaux, Gallia irradiata. Saints et sanctuaires dans le nord de la Gaule du haut Moyen Aˆ ge, Stuttgart 2006 (Beiträge zur Hagiographie, 4), annexe II, Les principaux dossiers hagiographiques, p. 359–360: premier texte avant 692 d’un moine de Saint-Symphorien d’Autun a` la demande du successeur de saint Le´ger, Hermenaire; deuxie`me texte avec les traditions poitevines (Saint-Maixent); troisie`me texte rassemblant les traditions ante´rieures. Voir aussi Fouracre,Gerberding, Late Merovin- gian France (voir n. 101), p. 193–215, avec traduction p. 215–253, qui, p. 206–207, font pourtant re´culer la Passion d’Ursin au milieu du VIIIe sie`cle, sur la foi de crite`res insuffisants, dont le plus important est une de´pendance suppose´e des Continuations du Fre´de´gaire chap. 2, releve´e par Bruno Krusch, MGH, SRM V, p. 258 (teste Continuatore Fredegarii c. 2, quo Ursinum usum esse probabile est); mais voir Poulin, p. 180. Pour l’»instrument d’expiation« d’Hermenaire d’Autun (adversaire de Le´ger auparavant en tant qu’abbe´ de Saint-Symphorien, parce que Le´ger lui avait enleve´ le corps du martyr), voir Marieke Van Acker, Vt qviqve rustici et inlitterati hec avdierint intellegant. Hagiographie et communication verticale au temps des me´rovingiens (VIIe–VIIIe sie`cles), Turnhout 2007 (Corpus Christianorum. Lingua Patrum, IV), p. 146–165, ici p. 148. 106 BHL 4677 (CPL 2121) Vie (sic) attribue´e a` un chanoine de Lie`ge Godescalc; voir Jean-Louis Kupper, Saint Lambert, de l’histoire a` la le´gende, dans: Revue d’histoire eccle´siastique 79 (1984), p. 5–49, ici p. 6 pour la datation; Berschin, Biographie II (voir n. 11), p. 80–82. 107 BHL 7717 (CPL 2140); voir de´ja` Gre´goire de Tours, GM 74. 108 BHL 7057/7058, e´d. Bruno Krusch, MGH SRM V, p. 209–211. Berschin, Biographie II (voir n. 11), p. 78 sq. Le premier des deux livres de la Vie de saint E´ loi s’adresse e´galement au »saint laı¨c« Eligius, voir n. 186. 52 Martin Heinzelmann

LA LITTE´ RATURE MARTYRIALE DES VIIe ET VIIIe SIE` CLES

Tandis que les Vitae et Passiones ont tre`s largement influence´ l’image des Me´rovin- giens et de leur e´poque109, le reste de la litte´rature martyriale des VIIe et VIIIe sie`cles, beaucoup plus importante par le nombre et la repre´sentation manuscrite des œuvres, n’a pas encore trouve´ de ve´ritable place dans l’hagiographie me´rovingienne. Ge´ne´- ralement, le grand inte´reˆt de l’e´poque pour les martyrs de l’Antiquite´ se traduit dans les abondantes notices des e´ditions gauloises du Martyrologe Hieronymien de 592/593 (et plus tard), et dans la collection – correspondant peut-eˆtre a` un passion- naire – e´tablie par Ceraunus de Paris; dans le meˆme contexte, on citera les livres se´riels d’un Gre´goire de Tours sur la »gloire des martyrs« et sur Julien de Brioude, sa re´e´criture des Actes de l’apoˆ tre Andre´ et sa traduction de la Passion des Sept Dor- mants d’E´ phe`se110, la recherche des Actes de saint Ire´ne´e de Lyon par Gre´goire le Grand111, et la composition d’actes des martyrs du »cycle de Rictiovare«112 ou de ceux de Clermont compose´s par le diacre d’Issoire, Praeiectus (Prix), plus tard e´veˆque de l’Auvergne et martyr lui-meˆme113. Ce dernier re´digea encore des Gesta sancti Astre- monii martyris, saint Austremoine premier e´veˆque de l’Auvergne114, qui e´tait un des sept e´vange´lisateurs de la Gaule releve´s par Gre´goire de Tours moins d’un sie`cle auparavant. A` la diffe´rence de la Passio Austremonii compose´e par saint Prix, l’hi- storien tourangeau – mais lui aussi d’origine auvergnate – avait encore parle´ d’une mort paisible de l’e´veˆque Austremoine115. Avant cet exemple auvergnat, d’autres

109 De´ja` pour les Annales Mettenses priores carolingiens (de´but du IXe sie`cle), l’histoire de saint Le´ger donna l’exemple de la tyrannie de l’e´poque a` laquelle seul Pe´pin mit fin en 687 a` Tertry, voir Fouracre,Gerberding, Late Merovingian France (voir n. 101), p. 193. 110 Voir plus en avant avec les n. 86–88 (Mart.Hieron.), spe´cialement pour les lettres de la pre´face d’un Pseudo-Je´roˆ me et ses correspondants; n. 82 pour Ceraunus; pour In gloria martyrum voir Heinzelmann, La re´e´criture hagiographique (voir n. 91), passim. 111 Pour la lettre de Gre´goire a` l’e´veˆque Aetherius de Lyon, voir n. 62. 112 Voir n. 77. 113 Passio Praeiecti episcopi Arverni, 9, e´d. Bruno Krusch, MGH, SRM V, p. 230 sq.: cum diaconati offitii ageret, seniorum videlicet coepit anteire causas, ut sanctorum martyrum celitus per omne datum optimum ipse, id est Cassii, Victorini et Antuliani vel ceterorum suorum sodalium, libellum edidit, qualiter dimicati contra idolorum cultura fuissent; le libellus en question est perdu aujourd’hui. 114 Ibid., p. 231: Nec non et sancti Astremonii martyris gesta, cuius sepulchrum constat fore Ociodren- se ecclesie, cui ipse preerat, eo tempore digno sermone aptavit. BHL 844, voir Pierre-Franc¸ois Fournier, Recherches sur l’histoire de l’Auvergne. Saint Austremoine, premier e´veˆque de Cler- mont. Son e´piscopat, ses reliques, ses le´gendes, dans: Bull. historique et scientifique de l’Au- vergne 89 (1979), p. 417–471, ici p. 424 et 426–430, qui de´montre qu’il faut identifier les chapitres Ia` XI des AASS avec cette Passion originale dont il existe deux manuscrits de Clermont, du Xe/XIe et du XIIIe sie`cle; cf. aussi Alain Dierkens, Une abbaye me´die´vale face a` son passe´. Saint-Pierre de Mozac, du IXe au XIIe sie`cle, dans: E´ crire son histoire. Les communaute´s re´gu- lie`res face a` leur passe´. Actes du 5e colloque international du CERCOR. Saint-E´ tienne, 6–8 no- vembre 2002, Saint-E´ tienne 2005, p. 71–105, ici p. 74–75. 115 Hist. 1,30, voir n. 46; voir la dernie`re phrase: Et sic tam isti per martyrium [scil. Denis et Saturnin] quam hii per confessionem [Gatien, Trophime, Austremoine, Paul et Martial] relinquentes terras, in caelestibus pariter sunt coniuncti. L’hagiographie me´rovingienne 53 e´veˆques avaient de´ja` connu une pre´sentation tardive en tant que martyr: il s’agit des Passions de´ja`e´voque´es des saints Denis de Paris, Ire´ne´e de Lyon et Pe´re´grin d’Au- xerre au VIe sie`cle et, a` partir du VIIe, des victimes de Chrocus que sont Didier de Langres et Privat de Mende. A` Troyes, il y avait de`s le VIe sie`cle une Vie du saint e´veˆque Loup qui attribua le sauvetage de la cite´ lors de l’invasion d’Attila et de ses Huns aux prie`res de cet e´veˆque; deux sie`cles plus tard on y pre´fe´ra attribuer la pro- tection de Troyes a` des martyrs: selon une bre`ve Passion, de´pendant de la Passio Iuliani de Brioude, mais qui, sans doute, ne fut pas re´dige´e avant le de´but du VIIIe sie`cle, le preˆtre Memorius, trois clercs et douze enfants de sa cite´, subissaient le martyre lors d’une mission de paix ordonne´e par saint Loup, apre`s avoir affronte´ le roi des Huns Attila en personne qui aurait meˆme consenti a` se faire convertir a` la foi chre´tienne par Memorius116. Cette dernie`re Passion ne se trouve que dans le seul codex H55 de la bibliothe`que de la Faculte´ de me´decine de Montpellier, apre`s avoir appartenu a` Saint-E´ tienne d’Autun, manuscrit de la fin du VIIIe/de´but du IXe sie`cle, qui paraıˆt eˆtre assez repre´- sentatif de la cre´ation hagiographique et de l’e´tat de la tradition des textes hagiogra- phiques narratifs de la fin de l’e´poque me´rovingienne117. La collection retient dans ses deux cent vingt-deux folios un ensemble de soixante et un e´le´ments distingue´s par un choix significatif des ›genres‹ : avec une dizaine de Passions d’apoˆ tres et trois pie`ces concernant sainte Marie, on y trouve trente-huit Passions de martyrs et seulement dix Vies de confesseurs. Cette dizaine de biographies comprend, a` coˆ te´ des deux textes d’origine non gauloise concernant le pape Silvestre et sainte Paule, plusieurs autres monuments inte´ressant de manie`re spe´ciale l’e´glise de Troyes: la Vie d’une vierge Sabine originaire d’une ville mythique Samon (en Syrie), mais morte a` Troyes, dont le fre`re Sabinien fera au IXe sie`cle une carrie`re posthume spectaculaire de saint principal de Troyes a` partir de l’invention de son corps, et un document sur un e´veˆque du nom de Melaine pre´sente´ comme pre´lat de la cite´ troyenne sans que l’on puisse lui trouver une ve´ritable identite´ historique ou biographique118. Quant aux Passions du manuscrit de Montpellier, groupe beaucoup plus important que les quelques textes des confesseurs, la relation des documents provenant de la

116 Passio Memorii presb. et mart., BHL 5915, e´d. Bruno Krusch, MGH SRM III; cf. Van Acker, Vt qviqve rustici (voir n. 105), p. 166–183. 117 Voir Henricus Moretus, Catalogus codicum hagiographicorum latinorum bibliothecae scholae medicinae in universitate Montepessulanensi, dans: AnalBoll 34/35 (1915/1916), p. 251–254, et la rectification, pour la fin du manuscrit, de Joseph Van der Straeten, La Passion de sainte Jule, martyre troyenne, dans: AnalBoll 80 (1962), p. 362 sq. n. 5; E´ mile De Strycker, Une ancienne version latine du prote´vangile de Jacques, dans: AnalBoll 83 (1965), p. 365–410, ici p. 368–373; Bernhard Bischoff, Katalog der festländischen Handschriften des neunten Jahrhunderts (mit Ausnahme der wisigotischen), vol. II, e´d. Birgit Ebersperger, Wiesbaden 2004, p. 198; Ge´rard Cames, Un tre´sor manuscrit carolingien a` la bibliothe`que de la Faculte´ de me´decine de Mont- pellier, dans: E´ tudes he´raultaises 35 (2004/2005), p. 17 et passim. 118 Vita sanctae Sabinae, BHL 7408, et Vita Melanii episcopi Trecensis et sanctae virginis, BHL 5895m (e´d. Henricus Moretus, dans: AnalBoll 34/35 [1915/1916], p. 290–292, le manu- scrit Montpellier, BU Me´d. H55, encore une fois, e´tant le seul te´moin de ce texte qui ne parle que de l’asce`se sexuelle de ce Melaine avant son e´lection e´piscopale: voir plus loin n. 202). Pour les saints de Troyes, voir aussi Isabelle Cre´te´-Protin,E´ glise et vie chre´tienne dans le dioce`se de Troyes du IVe au IXe sie`cle, Villeneuve d’Ascq 2002, p. 69–109, p. 96–97 pour Savinien et Savine. 54 Martin Heinzelmann

Gaule vis-a`-vis des e´trangers (d’origine italienne, grecque, orientale) est a` l’oppose´ de ce qu’on vient de dire pour les confesseurs: les martyrs gaulois sont en minorite´ avec seize repre´sentants face a` vingt-deux Passions de martyrs e´trangers qui, le plus sou- vent, se retrouvent e´galement dans beaucoup d’autres le´gendiers et passionnaires de l’e´poque. Au nombre des textes gaulois, on ajoutera aussi la Conversio et Passio Afrae, un re´cit romanesque de´veloppe´a` partir de la simple Passio du VIIe sie`cle de la pe´cheresse convertie Afra d’Augsbourg en Rhe´tie, texte compose´encore›a` l’an- cienne‹, c’est-a`-dire en forme de proce`s-verbal119; c’est pourtant la Conversio Afrae du VIIIe sie`cle qui a trouve´ une large entre´e dans la plupart des le´gendiers du haut Moyen Aˆ ge. Une autre Passion de martyre y est beaucoup moins repre´sente´e, mais illustre singulie`rement l’hagiographie de l’e´glise de Troyes au VIIIe sie`cle par son application d’un sche´ma historique particulier. Il s’agit de la Passion de sainte Jule (Iulia) et de ses compagnons qui, comme dans la Passion de Memorius, fait entrer en jeu une invasion barbare de la re´gion troyenne, un roi barbare (qui est imperator barbarorum dans la Passion de Jule) converti par la sainte, et tout un groupe de martyrs supple´mentaires120, en n’ajoutant qu’un empereur romain inique, respon- sable de l’exe´cution des martyrs. Les pe`res bollandistes, Coens et Van der Straeten, ont pu montrer depuis longtemps que le texte de cette Passion n’est qu’un plagiat de la Passion italienne d’une sainte Lucie (Luceia), ou` seuls les noms – et e´videmment le lieu du supplice de la sainte – e´taient plus ou moins de´marque´s121. Ce qui rappelle encore de manie`re ge´ne´rale la question de l’influence des textes d’origine e´trange`re, mais copie´s et adapte´s pour les recueils gaulois ou` ils e´taient pre´sents de fac¸on e´tonnante: plus haut, nous avons de´ja` e´voque´ la question d’un emprunt de la Passion de Chrysanthe et Daria, de la trans- formation de Trijumeaux orientaux en martyrs langrois, ou de l’emploi important

119 Passio Afrae, BHL 107b (e´dition dans MGH SRM VII); Conversio et passio, BHL 108/109 (e´di- tion MGH, SRM III); voir Berschin, Biographie und Epochenstil II (voir n. 11), p. 82–87, qui date la premie`re Passio autour de 640; pour la datation, voir encore Id., Am Grab der heiligen Afra, dans: Jahrbuch des Vereins für Augsburger Bistumsgeschichte 16 (1982), p. 108–121, ici 117–118. Parmi la centaine de manuscrits des deux textes, c’est la Conversio et passio qui compte a` elle seule presque quatre-vingt-dix manuscrits. 120 Montpellier, BU Me´d. H55, texte no 26, fol. 101–102v: Passio sanctae ac beatissimae Iuliae apud urbem Agusto, BHL 4518; voir Cre´te´-Protin,E´ glise et vie chre´tienne (voir n. 118), p. 104–107. 121 Cf. Maurice Coens, dans: AnalBoll 55 (1937), p. 136; Van der Straeten, La Passion de sainte Jule (voir n. 117), p. 361–381; le mode`le, la Passion de sainte Luceia, BHL 4980, se retrouve e´galement dans le manuscrit Montpellier, BU Me´d. H55, en tant que texte no 53: Passio SS. Luceiae et Evaide regis, qui passi sunt urbis Romae; mais selon Van der Straeten, c’est le texte d’un autre manuscrit qui a duˆ servir de moule pour la Passion de Jule. Dans la Passion de sainte Jule, citoyenne de Troyes, Jule est supplicie´ea` Troyes en compagnie de l’imperator barbarorum Clau- dius (qui correspond au rex Evaidis de la Passio Luceiae) et d’autres compagnons, par l’empereur Aure´lien, ce qui indique le lien avec les autres Passions du cycle »aure´lien« burgonde qui se trouvent d’ailleurs en bonne partie dans le manuscrit Montpellier, BU Me´d. H55; pour les Passions »aure´liennes«, voir supra p. 41–43 avec les notes 60–67. Voir encore la Passio Reginae (sainte Reine d’Alesia), BHL 7092 du VIIIe sie`cle sans doute, repre´sente´e dans le manuscrit de Montpellier (no 61), qui paraıˆt copier le mode`le de la Passio Marinae (seu Margaretae), BHL 5303, e´galement pre´sente dans ce manuscrit, en tant que no 30 (voir Vies des Saints et des Bienheureux, t. IX, Paris 1950, p. 150). L’hagiographie me´rovingienne 55 que Gre´goire de Tours a pu faire de textes venus de loin122, textes dont l’apport pour la tradition hagiographique des VIIe et VIIIe sie`cles en Gaule est pourtant loin d’eˆtre reconnu.

LES BIOGRAPHIES DES CONFESSEURS

La Vita Martini, comple´te´e opportune´ment dix ans apre`s sa re´daction par trois lettres et des »Dialogues«, correspond en quelque sorte a` la naissance de la biographie spirituelle ou hagiographique en Gaule123. C’est par sa notorie´te´, son rang litte´raire et l’importance de son e´nonce´ pour le mouvement asce´tique qu’elle constitue une œuvre de re´fe´rence dans laquelle on puisera abondamment durant tous les sie`cles suivants, lui empruntant des passages exemplaires et trouvant en elle un mode`le pour des re´e´critures dont la plus ancienne e´tait une version me´trique en six livres compose´e dans les anne´es 470 par Paulin de Pe´rigueux; il est fort probable que, a` la meˆme e´poque, entre 470 a` 489 environ, sous l’e´veˆque Perpetuus de Tours, fut constitue´ un premier dossier martinien, poste´rieurement appele´ Martinellus, re´unissant la Vita, les lettres et les Dialogi de Sulpice Se´ve`re, a` un recueil d’e´pigrammes programmatiques provenant d’inscriptions de Marmoutier et de la basilique de Martin124. Les premiers ve´ritables centres d’une production hagiographique se situent pour- tant nettement dans une partie plus me´ridionale de la Gaule et comprennent spe´cia- lement, on l’a vu a` l’exemple de la production des actes de martyrs, la valle´e du Rhoˆ ne, d’Arles a` Lyon et Auxerre, l’Aquitaine n’e´tant repre´sente´e que ponctuellement. C’est dans le contexte du mouvement asce´tique le´rinien que les premiers documents dans ce domaine ont vu le jour, et le sermon sur la Vie d’Honorat († 429/430), illustre fondateur et abbe´ de Le´rins, puis e´veˆque d’Arles, œuvre de son parent et successeur Hilaire, peut sans doute valoir comme e´quivalent de la Vita Martini125 – moins par le poids de sa diffusion que par sa valeur litte´raire. Il est vrai que le sermo, adoptant un

122 Voir supra p. 49, et passim pour Gre´goire. 123 Voir supra p. 32 sq. 124 Pour la Vie me´trique de Paulin, BHL 5617, CPL 1474, voir Sylvie Labarre, Le manteau partage´. Deux me´tamorphoses poe´tiques de la Vie de saint Martin chez Paulin de Pe´rigueux (Ve sie`cle) et Venance Fortunat (VIe sie`cle), Paris 1998 (Coll. des E´ tudes augustiniennes. Se´rie Antiquite´, 158); le sixie`me livre correspond au re´cit des miracles de Martin selon les re´cits de Sulpice Se´ve`re: cette partie fut remise en prose par Gre´goire de Tours, Virtutes s. Martini I, 2, voir Heinzelmann, La re´e´criture hagiographique (voir n. 91), p. 27–32. Pour les de´buts du Martinellus, voir Francis John Gilardi, The Sylloge epigraphica Turonensis de S. Martino, Washington 1983; et Luce Pietri, La ville de Tours du IVe au VIe sie`cle. Naissance d’une cite´ chre´tienne, Rome 1983 (Collection de l’E´ cole franc¸aise de Rome, 69), p. 800–802 (bibliographie), p. 801–802 (e´ditions), p. 802–815 (texte de la Sylloge); sans une re´ponse satisfaisante reste pour le moment la question – que nous tenterons de re´soudre prochainement – d’une e´dition me´rovingienne du Martinellus: les textes provenant de Gre´goire de Tours (BHL 5618–5623, et 1452) e´taient ajoute´s au VIIe sie`cle au plus toˆ t, mais plus probablement lors du VIIIe sie`cle tardo-me´rovingien et carolin- gien. 125 BHL 3975, CPL 501; cf. Van Uytfanghe, Biographie II (voir n. 28), col. 1287–1291 avec biblio- graphie. Pour d’autres œuvres hagiographiques d’Hilaire, cf. n. 47. 56 Martin Heinzelmann sche´ma biographique classique, e´tait fortement tributaire des traditions de l’e´loge fune`bre des magistrats romains, e´le´ment caracte´ristique auquel s’ajouta une re´serve certaine – peu repre´sentative en ce qui concerne l’e´criture hagiographique en Gaule – vis-a`-vis des manifestations miraculeuses126; les sermones a` l’honneur de ce meˆme Honorat, par les Le´riniens Fauste de Riez et Ce´saire d’Arles, font partie d’un genre tout a` fait diffe´rent, accentuant l’e´loge e´difiant des vertus chre´tiennes aux de´pens des de´tails biographiques127. Hilaire d’Arles lui-meˆme be´ne´ficia d’une Vie vraisemblablement e´crite par l’e´veˆque Honorat de Marseille quelque trente ou quarante ans apre`s sa mort († 449), biogra- phie qui, comme son e´pitaphe ajoute´e au dossier hagiographique, insistait sur l’asce`se de l’e´veˆque en des traits apologe´tiques dicte´s par la carrie`re politico-eccle´siastique extreˆmement ambitieuse mene´e par ce pre´lat virulent128. De meˆme, apre`s au moins un sermon du Ve sie`cle sur l’e´veˆque Trophime d’Arles, c’est la Vie du meˆme saint au sie`cle suivant qui te´moigne des grandes ambitions de l’E´ glise arle´sienne en pre´sentant ce personnage premier e´veˆque d’Arles, contemporain des apoˆ tres et vicarius apostoli Petri, pre´pose´a` tous les e´veˆques en Gaule129. Or, le vicaire effectif de l’e´veˆque de Rome pour la Gaule e´tait pourtant Ce´saire d’Arles (503–542), ancien moine de Le´- rins, pour qui un groupe de trois e´veˆques et de deux clercs composa une biographie en deux livres peu de temps apre`s la mort du saint; ce texte est important pour sa bipartition et pour sa structure relativement lache qui n’a plus rien en commun avec la composition strictement biographique du Sermo sur Honorat par Hilaire130. Enfin, le cinquie`me e´veˆque d’Arles ayant be´ne´ficie´ d’une Vie est Virgile (591–618), dont le texte se re´ve`le un remploi de la Vie de saint Maxime, ancien abbe´ de Le´rins puis e´veˆque de Riez, par le patrice Dynamius, remploi compose´ entre le de´but du VIIe et le

126 Cf. Sermo de vita Honorati c. 37, e´d. Samuel Cavallin, p. 76: Et tamen quod esse maius virtutis signum potest quam signa fugere et occultare virtutes? Cette attitude ne paraıˆt pourtant pas s’opposer a` ce qu’Hilaire soit l’auteur de miracles du martyr Gene`s d’Arles, voir supra, avec n. 47. Pour la parente´ de l’e´loge fune`bre romain, voir Heinzelmann, Neue Aspekte (voir n. 23). 127 Laudatio auct. Caesario Arelatensi, BHL 3975d (Sermo 214 de Ce´saire d’Arles); l’home´lie attri- bue´e a` Fauste, BHL 3979d, pourrait eˆtre aussi l’œuvre de l’Eusebius Gallicanus (voir, pour la collection, supra n. 40). Pour les diffe´rents genres de sermons, voir Van Uytfanghe, L’hagio- graphie en Occident (voir n. 33), p. 27. 128 BHL 3882, CPL 506, et l’e´dition-traduction de Paul-Andre´Jacob, dans les Sources chre´tiennes, no 404, 1995; Krüger, Südfranzösische Lokalheilige (voir n. 47), p. 32–33. Pour l’action poli- tique d’Hilaire, voir M. Heinzelmann, The ›Affair‹ of Hilary of Arles (445) and Gallo-Roman Identity in the Fifth Century, dans: John Drinkwater, Hugh Elton (dir.), Fifth Century Gaul. A Crisis of Identity?, Cambridge 1992, p. 239–251; cf. aussi Heinzelmann, Bischofsherrschaft (voir n. 27), p. 84–93, pour l’e´pitaphe d’Hilaire. C’est dans le manuscrit Paris, BNF lat. 9295 du XIe sie`cle, contenant toutes les Vies des saints e´veˆques d’Arles, que l’e´pitaphe est ajoute´e au texte de la Vie. 129 BHL 8318f, e´dite´e d’apre`s BNF lat. 5295 (XIe sie`cle) dans Krüger, Südfranzösische Lokalhei- lige (voir n. 47), p. 353–355, cf. p. 354 ligne 28/29: Exin decretum est ut omnibus magistris eccle- siarum Gallie Arelatensis preponeretur antistes; Mme Krüger pre´sente deux sermons sur Tro- phime, BHL 8318d et BHL 8318b, qu’elle juge respectivement du Ve et du Ve/VIe (ou IXe) sie`cle; voir ibid., p. 33–36, p. 42–53, les deux sermons e´tant e´dite´s p. 349–353. 130 BHL 1508/1509, CPL 1018; voir Van Uytfanghe, Biographie II (voir n. 28), col. 1313–1317, avec une bonne bibliographie. L’hagiographie me´rovingienne 57

VIIIe sie`cle (avant 735) dans l’intention e´vidente de faire valoir la continuite´ de la spiritualite´ le´rinienne131. Il y eut un autre Arle´sien, contemporain de Ce´saire d’Arles, Ennode, e´veˆque de Pavie (513–521), qui est entre autres l’auteur d’une Vie importante sur son pre´de´ces- seur E´ piphane re´dige´e entre 501 et 504, et d’une autre Vie, e´crite au sujet du moine de Le´rins, Antoine, a` l’e´poque de son propre e´piscopat; ce texte se distingue par une pre´ciosite´ stylistique extraordinaire, destine´ par la` meˆme a` une e´lite cultive´e sans vouloir promouvoir ne´cessairement le culte du saint132. La Provence e´tait e´galement le lieu d’origine du sermon de l’e´veˆque Fauste de Riez (†apre`s 485) sur son pre´de´cesseur Maxime († 460), re´e´crit et augmente´ par des miracles de la plume du patrice de la Provence me´rovingienne, Dynamius, aux environs de 585 – auteur laı¨c auquel il faut encore attribuer la Vie de l’abbe´ Marius d’un monaste`re du dioce`se de Sisteron133 –; puis d’une Vie d’un autre e´veˆque asce´tique, Eutrope d’Orange († 475), re´dige´e par son successeur direct Verus; enfin d’une Vie de Marcel, e´veˆque de Die († 510), dont seule la re´e´criture carolingienne par un successeur lointain Vulfinus nous est parve- nue134. La Vie du premier e´veˆque d’Embrun, Marcellin, qui situe son activite´e´pis- copale au IVe sie`cle, bien atteste´e par une bonne tradition manuscrite de 800 environ, pourrait e´galement remonter au Ve ou VIe sie`cle; elle connaıˆt de´ja` une pre´sentation en deux parties, Vita et Miracula (post mortem), couronne´e par un hymnus qui se re´fe`re a` la vie et aux miracles du saint135. Enfin, l’e´veˆque Apollinaire de Valence († ca 520/523),

131 BHL 8679; voir dans ce volume les pages de Ste´phane Gioanni: La Vita Virgilii (BHL 8679). Plagiat, re´e´criture ou remploi? Pour le Sermo de vita Maximi (de Riez) et sa re´e´criture, voir plus loin. 132 Vita Epiphanii, BHL 2570, voir Van Uytfanghe, Biographie II (voir n. 28), col. 1301–1304; Vita Antonii monachi Lirinensis, BHL 584, voir Ste´phane Gioanni, Une figure suspecte de la saintete´ le´rinienne. Saint Antoine d’apre`s la Vita Antoni d’E´ nnode de Pavie, dans: Recherches augusti- niennes et patristiques 35 (2007), p. 133–187. La meilleure introduction concernant la spiritualite´ complexe d’un E´ nnode, voir dans: E´ nnode de Pavie, Lettres, t. I (Livres I et II). Texte e´tabli, traduit et commente´ par Ste´phane Gioanni, Paris 2006, p. vii–clxxxi. 133 Laudatio Maximi ep. Reiensis, BHL 5852 (= sermon 34 de la collection du Ps.-Euse`be); Vita Maximi auctore Dynamio patricio, BHL 5853. Vita Marini (corr. Marius dans le Supplementum de BHL) ab. Bodanensis (Val-Benoıˆt, Sisteron), BHL 5540; pour la Vita Marii, cf. la notice du Martyrologe d’Adon de Vienne (e´galement dans celui d’Usuard), le 27 janvier, Migne PL 123, col. 223: Item beati Marii abbatis monasterii Badonensis cuius vitam plenam virtutibus vir illus- tris ac patricius Dynamius scribit; pour l’œuvre litte´raire de Dynamius, voir CPL 1058 ou` on lui retire, sans doute a` tort, la Vita Marii dont le texte, a` la fin, au chapitre 3, a e´te´ le´ge`rement interpole´ au XIe sie`cle pour une pre´sentation liturgique; voir aussi dans ce sens Richard Collins, Observations on the Form, Language and Public of the Prose Biographies of Venantius Fortu- natus in the Hagiography of Merovingian Gaul, dans: Howard B. Clarke, Mary Brennan (dir.), and Merovingian Monasticism, Oxford 1981 (BAR International Series, 113), p. 107. Pour le Dynamius historique cf. Martindale, Prosopography (voir n. 54), vol. IIIA, 1992, p. 429–30. 134 Vita Eutropii, BHL 2782, CPL 2099; pour la Vita Marcelli, BHL 5247b, il faut voir maintenant l’e´dition avec commentaire de Franc¸ois Dolbeau, La Vie en prose de saint Marcel, e´veˆque de Die. Histoire du texte et e´dition critique, dans: Francia 11 (1983), p. 97–130; voir aussi Henri Desaye, Une relecture de la Vie en vers de saint Marcel, e´veˆque de Die (463–510), dans: Revue Droˆ moise no 460 (1991), p. 375–380, et Heinzelmann, Gallische Prosopographie (voir n. 73), p. 645–646 (s.v. Marcellus 6). 135 BHL 5227/5228, CPL 2122; les manuscrits les plus importants sont Sankt-Gallen, Stiftsbibl. 549 (un livret de 800 environ) et 577, et Saint Petersburg Lat. F.v.I.12 (premier quart du IXe sie`cle). 58 Martin Heinzelmann fre`re du grand Avit de Vienne, est dote´ d’une Vie dont la revendication de contem- porane´ite´ par son auteur e´tait fortement conteste´e par l’e´diteur Bruno Krusch pour des raisons qui sont loin d’eˆtre de´finitives aujourd’hui136. Une se´rie d’e´veˆques provenc¸aux du VIe sie`cle be´ne´ficient de biographies re´dige´es au sie`cle suivant ou plus tard encore, mais une appre´ciation plus approfondie de ces textes s’ave`re difficile en raison d’une tradition manuscrite trop restreinte: il s’agit d’une home´lie sur Siffrein de Venasque-Carpentras († de´but VIe sie`cle) par un abbe´ peut-eˆtre de Le´rins, d’un pane´gyrique de Quinide de Vaison († ca 578), et des Vies d’Hilaire de Javols († apre`s 535), Ferre´ol d’Uze`s († 581) et d’Arey (ou Arige) de Gap († 604)137. En dehors des martyrs et des e´veˆques, les simples confesseurs sont peu nombreux a` be´ne´ficier d’un texte hagiographique, si l’on fait exception de quelques confesseurs du cycle De vita patrum de Gre´goire de Tours dont nous parlerons plus tard. Men- tionnons la Vie de saint Mitre, esclave a` Aix, du milieu du VIe sie`cle et, a` peine une ge´ne´ration plus tard, plusieurs vitae du ce´le`bre thaumaturge Hospice de Nice († 581) relate´es par Gre´goire de Tours, mais dont on ne trouve plus de trace aujourd’hui; une Vie de l’abbe´ saint Yrieix de Limoges (Aredius, † 591), par ce meˆme Gre´goire, fut e´dite´e telle quelle dans le dernier livre de ses »Histoires«138. Les Vies d’un pe`re fon- dateur de Le´rins, l’abbe´ Caprais († ca 434), du preˆtre et ermite Hostianus de Viviers (de´but VIe sie`cle), et des saintes vierges Galla de Valence et de Consortia (VIe sie`cle), ne datent pas avant le VIIe, voire le VIIIe sie`cle139; on peut eˆtre davantage certain de

136 BHL 634, e´dite´ dans: MGH, SRM III, p. 197–203; les crite`res de Krusch sont des pre´tendues fautes historiques de l’hagiographe et une latinite´ juge´e carolingienne. Cf. Heinzelmann, Gal- lische Prosopographie (voir n. 73), p. 556–557 (s.v. Apollinaris 6). Il existe aussi une Vie d’Avit de Vienne, BHL 885, utilisant abondamment la Vie d’Apollinaire, fre`re d’Avit, mais qui n’est gue`re plus ancienne que le IXe sie`cle. 137 Vita Siffredi, BHL 7704 qui pre´ce`de la Vie, BHL 7703, voir Henry G. J. Beck, The Pastoral Care of Souls in South-East France, Rome 1950, p. xlvi; Vita Quinidii, BHL 6996, un pane´gyrique peut-eˆtre du VIIIe sie`cle a` partir d’un seul manuscrit du XIIe/XIIIe sie`cle, cf. Beck, The Pastoral Care, p. xliv; Vita Hilarii ep. Gaualitani seu Mimatensis, BHL 3910/3911, peut-eˆtre compose´e a` partir d’un recueil de miracles anciens, cf. Godding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxxi; Vita Ferreoli ep. Ucecensis, BHL 2901, un manuscrit (Paris, BNF lat. 5315 du XIIe sie`cle), voir maintenant Vale´rie Gauge´, selon laquelle le texte pre´ce`de l’e´poque carolingienne, voir Id., L’exil de Ferreolus d’Uze`s au VIe sie`cle, dans: Philippe Blaudeau (dir.), Exil et rele´gation. Les tribulations du sage et du saint durant l’Antiquite´ romaine et chre´tienne (Ier–VIe sie`cle apr. J.-C.), Paris 2008, p. 324–337 (texte et traduction en appendice); Vita Aredii vel Arigii ep. Vapincensis, BHL 669, CPL 2086, voir Godding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxiv. 138 Pour la Vita Mitriadis, BHL 5973, voir n. 57; pour l’ermite Hospice, voir Gre´goire de Tours, Hist. 6,6, BHL 3987: audivi vitam ipsius (scil. Hospitii) a multis fuisse conscriptam, et GC 70 (BHL 3988), avec un re´cit de miracle. La Vita Aredii ab. Lemovicensis, BHL 664 (= Hist. 10,29) est intitule´e dans les capitula du livre X de »De conversione ac mirabilibus vel obito beati Aridi abbatis Lemovicini« et dispose e´galement d’un ve´ritable incipit releve´ par une e´criture en onciales: Incipiunt de virtutibus vel de transitu Aredii abbate. 139 Vita Caprasii abb. Lirinensis, BHL 1559, CPL 2092, voir Godding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxvi pour la datation; Vita Hostiani Vivariensis, BHL 3989, deux manuscrits, datation: Beck, The Pastoral Care (voir n. 137), p. xliii; Vita Gallae virginis, dioce`se de Valence, BHL 3235, un manu- scrit (Vat. Ottobon. 120); Vita Consortiae virginis (d’origine provenc¸ale, ve´ne´re´e a` Cluny), BHL 1925, voir Heinzelmann, Gallische Prosopographie (voir n. 73), p. 586: Consortia, fille d’un se´nateur Eucher et d’une Galla, a souvent e´te´ identifie´e – a` tort – a` une fille d’Eucher de L’hagiographie me´rovingienne 59 l’origine de la Vie de l’abbesse Rusticule d’Arles (Rusticula seu Marcia, † 632) pour qui un contemporain, le preˆtre Florentius de Trois-Chaˆteaux, a conc¸u une biographie de valeur en prenant pour mode`les les Vies des grands pre´lats arle´siens Hilaire et Ce´saire140. Apre`s la Provence, c’est la Burgondie qui se distinguait, il en a e´te´ question, tout spe´cialement par une riche litte´rature martyriale. Le document le plus ancien pour un confesseur paraıˆt eˆtre une bre`ve Vie de l’e´veˆque Juste de Lyon († ca 390) qui avait se´journe´ en E´ gypte comme ermite; sa Vie, influence´e par la spiritualite´ le´rinienne, a duˆeˆtre re´dige´e dans le premier tiers du Ve sie`cle141. La Vie d’un autre e´veˆque, Germain d’Auxerre († 448), compose´e dans les anne´es 480 par le preˆtre Constance de Lyon a` la demande de l’e´veˆque de Lyon142, fut beaucoup plus influente. La biographie dont il existe plus de soixante-dix manuscrits143 pre´pare, plus encore que ses mode`les qui sont les Vies des saints e´veˆques Ambroise de Milan et Martin de Tours, l’image typique du pre´lat me´rovingien, puissant et asce´tique a` la fois – la puissance e´tant le corollaire de l’asce`se –, de´fendant en tant que patronus la population de sa cite´, intervenant de son vivant ou e´tant saint enterre´ aupre`s de Dieu, pour lutter contre les impoˆ ts du roi ou les injustices de ses puissants, les maladies ou les incursions des de´mons. Saint Germain est reste´ un sujet d’actualite´a` Auxerre, car a` la fin du VIe sie`cle, l’e´veˆque de la cite´, saint Aunaire, demanda a` un autre preˆtre et rhe´teur, E´ tienne l’Africain, de versifier la Vie de Germain et de re´diger une Vie en prose du pre´de´cesseur de Germain, saint Amaˆtre († 418)144; encore cent ans plus tard a` peu pre`s, on fabriqua a` Auxerre une Vie interpole´e de Germain en deux livres dont nous reparlerons. D’autres Vies e´piscopales concernent, au de´but du VIe sie`cle, saint Loup de Troyes († 478), un compagnon de Germain d’Auxerre lors de son voyage en Bretagne, le preˆtre E´ ptade d’Autun (de´but du VIe sie`cle), e´veˆque de´signe´a` qui Clovis offrit en vain l’e´piscopat d’Auxerre, et enfin, dans la deuxie`me moitie´ du sie`cle, saint Nizier de Lyon († 573), grand-oncle de Gre´goire de Tours qui lui de´dia, peu apre`s la premie`re Vie d’un anonyme, une deuxie`me biographie145.

Lyon (Ve sie`cle), malgre´ ses relations avec le roi Clotaire Ier, pe`re de Sigebert, et l’administrateur de la Provence, Hecca, voir dernie`rement Franc¸oise Pre´vot, Recherches prosopographiques autour d’Eucher de Lyon, dans: Mauritius und die thebäische Legion (voir n. 49), p. 120. 140 Vita Rusticulae abbatissae, BHL 7405; voir Godding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxxvii avec biblio- graphie. 141 Vita Iusti, BHL 4599 (une version longue plus tardive BHL 4600), CPL 2120, voir Beaujard, Le culte des saints (voir n. 26), p. 105–106, qui croit a` l’influence des Confe´rences de Cassien (œuvre publie´e ca 426) sur l’auteur de la Vita en raison de la parente´ des propos sur le moine e´gyptien Pafnucius: l’auteur de la Vita affirme pourtant disposer de renseignements directs venant d’un compagnon de Juste dans le de´sert. 142 Vita Germani, BHL 3453, CPL 2105, voir Van Uytfanghe, Biographie II (voir n. 28), col. 1298–1301, avec bibliographie. 143 Selon les catalogues des Bollandistes, le chiffre comprend aussi une petite vingtaine de manuscrits pour la Vita interpolata (BHL 3454) dont nous parlerons encore; voir aussi Van Egmond, Con- versing with the Saints (voir n. 84), p. 127, avec n. 215–216. 144 La Vie me´trique, si elle a effectivement vu le jour, ne nous a pas e´te´ transmise; Vita Amatoris, BHL 356, CPL 2083. Pour l’activite´ et l’organisation de l’hagiographie auxerroise d’Aunaire, et sa lettre a`E´ tienne, voir Heinzelmann, Gre´goire de Tours et l’hagiographie (voir n. 20), p. 176–179; voir aussi plus en avant, n. 94. 145 Vita Lupi, BHL 5087, CPL 989, pour les datations cf. Godding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxx 60 Martin Heinzelmann

Mais l’on trouve aussi d’importantes biographies d’asce`tes e´voluant dans un contexte monastique, notables par la nette tendance – prolonge´e aux VIIe et VIIIe sie`cles – a` pre´senter des se´ries de he´ros, s’orientant sans doute vers les se´ries de´ja` existantes des Vitas Patrum orientaux traduites dont il faut relever surtout l’Historia monachorum d’un Rufin, connue dans l’Occident latin de`s le de´but du Ve sie`cle146. Il est vrai que les se´ries gauloises, plus que leurs mode`les orientaux, donnent une pre´fe´rence aux chefs hie´rarchiques, c’est pourquoi les Vies des Pe`res du Jura, compose´es sous le titre de Vita vel regula sanctorum patrum Romani Lupicini et Eugendi monasteriorum Iurensium abbatum entre 512 et 515 peut-eˆtre par Viven- ciole, un futur e´veˆque de Lyon, font e´tat des premiers abbe´s Romain, Lupicin et Eugendus147. La Vita abbatum Acaunensium rassemble plusieurs documents he´te´ro- clites: dans neuf chapitres est pre´sente´e la Vie des trois premiers abbe´s de Saint- Maurice, suivie d’une e´pitaphe en vers du quatrie`me abbe´ et des e´pitaphes me´triques du premier et deuxie`me abbe´, puis d’un opusculum de vita sancti Probi, moine de Saint-Maurice et un proche des premiers abbe´s, compose´s par le preˆtre Pragmatius en soixante-quatre vers; l’ensemble a peut-eˆtre trouve´ une premie`re e´dition peu apre`s 526, mort du quatrie`me abbe´, mais le catalogue des abbe´s d’Agaune qui, dans le seul manuscrit complet, suit les e´pitaphes, continue encore jusqu’au de´but du VIIe sie`cle148. Plus insignifiante est une petite Vie du preˆtre et abbe´ Lautein (Laute- nus), fondateur de deux monaste`res dans le Jura au premier quart du VIe sie`cle149. En Aquitaine, la Vie de confesseur la plus ancienne, apre`s la Vita Martini, est celle du monachus et preˆtre Romain de Blaye († fin IVe sie`cle), bourg de Bordeaux, a` qui saint Martin, venu de Tours, a confe´re´ la preˆtrise; ce texte vraisemblablement du

(l’absence de re´fe´rences a` la Vie de Germain d’Auxerre pourrait meˆme laisser envisager une datation de la fin du Ve sie`cle); Vita Eptadii presb. Cervidunensis, BHL 2576, cf. Godding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxviii, et Martin Heinzelmann, Clovis dans le discours hagiographique du VIe au IXe sie`cle, dans: Bibliothe`que de l’E´ cole des chartes 154 (1996), ici p. 94–95; Vita Nicetii I, BHL 6088, CPL 2129, Godding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxxv, et Vita II auctore Gregorio, BHL 6089, il s’agit de la huitie`me Vie de l’œuvre De vita patrum (VP), re´dige´e en 590/594, car elle parle de miracles attribuables a` l’anne´e 590 et mentionne´s par Gre´goire en GC 60. 146 Voir la bonne pre´sentation de Schulz-Flügel, Tyrannius Rufinus Historia Monachorum, et Id., Zur Entstehung (voir n. 31), ainsi que de Wellhausen, Historia Lausiaca (voir ibid.). Pour la tendance a` pre´senter des se´ries de saints (ou martyrs), voir Heinzelmann, Gre´goire de Tours (voir n. 20), p. 172–175: des se´ries de saints qui se retrouvent dans les le´gendiers et passionnaires les plus anciens, groupant ensemble, par exemple, de saintes femmes, des e´veˆques, des grands asce`tes, etc. 147 Vita patrum Iurensium, BHL 7309, 5073, 2665 (= CPL 2119), voir Van Uytfanghe, Biographie II (voir n. 28), col. 1324 et surtout l’annexe du pe`re Bernard De Vregille de 2004 a` l’e´dition- traduction de Franc¸ois Martine de la Vie des Pe`res du Jura (Paris 1968, Sources chre´tiennes 142), avec des pre´cisions pour la date et l’auteur. La Vie des abbe´s d’Agaune par Gre´goire de Tours (= VP I) ne parle que des fre`res Romain et Lupicin, faisant abstraction d’Eugendus, BHL 5074. 148 Vita abbatum Acaunensium, BHL 142, CPL 2076, e´dition de Bruno Krusch dans MGH, SRM III avec les e´pitaphes, et dans MGH SRM VII, la nouvelle e´dition, sans e´pitaphes; voir aussi Godding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxii. Dans le catalogue des abbe´s, selon les calculs de Krusch, le dernier abbe´ serait mort en 616. Les Versus de vita s. Probi monachi auctore Benedicto Pragmatio (benedictus pourrait n’eˆtre qu’un adjectif), BHL 6944, sont date´s »apre`s 526« dans Godding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxii. 149 Vita Lauteni ab. Siesiensis, BHL 4800, voir Godding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxxii. L’hagiographie me´rovingienne 61

Ve sie`cle a apparemment e´te´ re´e´crit au sie`cle suivant150. Ensuite, quelques Vies d’e´veˆ- que du Ve sie`cle furent compose´es au de´but ou dans la premie`re moitie´ du VIe sie`cle: celle de l’e´veˆque libe´rateur d’Orle´ans, Aignan (Anianus, † ca 453), de Vivien (Vivianus ou Bibianus) de´fenseur de sa ville de Saintes contre les interventions du roi wisigoth (premie`re moitie´ du Ve sie`cle), et de saint Orens (Orientius, † ca 450) d’Auch qui, a` l’occasion d’une mission de paix importante, soutenait efficacement en 439 son roi wisigoth (Theodericus) et la ville de Toulouse contre l’arme´e impe´riale commande´e par un he´ros du monde romain, Ae´tius151. De la meˆme e´poque pourrait e´ventuellement dater la Vie d’un des sept e´vange´lisateurs de la Gaule, saint Paul de Narbonne152. Plus tard dans ce VIe sie`cle, voire au de´but du sie`cle suivant, eut lieu la re´daction de deux Vies d’e´veˆques de Rodez, e´ventuellement dues au meˆme auteur, les saints Amans, vivant au Ve sie`cle, et Dalmace († 580)153. Plusieurs confesseurs aquitains ont e´galement be´ne´ficie´ d’une Vie a` cette e´poque: l’abbe´ Maixent du Poitou († ca 515) dont la Vie, disparue aujourd’hui, e´tait connue de Gre´goire de Tours, le confesseur Avit d’Orle´ans († ca 525), et le reclus Cybard d’Angouleˆme († 581)154, tandis que toute une se´rie d’autres textes concernant des confesseurs aquitains de l’e´poque ne nous est parvenue que par une tradition manuscrite tardive et restreinte et, pour cette raison,

150 Vita Romani, BHL 7305g, CPL 2135, et la deuxie`me version, BHL 7306, CPL 2136, voir Van Uytfanghe, Biographie II (voir n. 28), col. 1323. Gre´goire de Tours, GC 45 (BHL 7307) parle de´ja` des scripta de vita eius. 151 Vita Aniani ep. Aurelianensis, BHL 473, CPL 2084, voir Godding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxiii–xxiv; pour la version du VIIIe sie`cle du manuscrit de Vienne Cvp 420, voir n. 199; Vita Viviani (seu Bibiani) ep. Sanctonensis, BHL 1324, CPL 2124, Godding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxxix (poste´rieure a` la domination des Wisigoths 507/508). Pour la Vita Orientii, BHL 6344/6345, voir Heinzelmann, Gallische Prosopographie (voir n. 73), p. 659–660. La Vie souligne les me´rites d’Orens surtout en ce qui concerne son intervention pour la patrie (wisi- gothique), chap. 4: Patriae liberatione necessarius, et pourrait ainsi avoir e´te´ compose´e plutoˆt avant 507; la Vie serait une re´e´criture selon Bruno Dume´zil (Id., Les racines chre´tiennes de l’Europe, Paris 2005, p. 728), qui se re´fe`re toutefois a` BHL 6346 (?). 152 BHL 6589, cf. Krüger, Südfranzösische Lokalheilige (voir n. 47), p. 235–241 (pour les manu- scrits, voir ibid., p. 237 n. 26), qui pense a` une origine ante´rieure a` la Passio Dionysii, donc le tout de´but du VIe sie`cle au plus tard; contre: Beaujard, Le culte des saints (voir n. 26), p. 216–217, optant pour la deuxie`me moitie´ du VIIIe sie`cle qui est cependant de´ja` l’e´poque de la tradition manuscrite la plus ancienne (München Clm 4554 de Benediktbeuron, et, du IXe sie`cle, Wien, Cvp 371). Pour la mission des sept e´vange´lisateurs, voir supra n. 46. 153 Vita Amantii ep. Rutenus, BHL 351; Vita Dalmatii, BHL 2084: cf. dernie`rement Franc¸oise Pre´vot, L’utilisation de la me´moire du passe´a` travers quelques Vies de saints aquitains, dans: L’usage du passe´ entre Antiquite´ tardive et haut Moyen Aˆ ge. Hommage a` Brigitte Beaujard, Rennes 2008, p. 105–131, pour la datation p. 106–107. Dans les deux cas, les informations de l’auteur sur les miracles (post mortem) s’ave`rent plus pre´cises que les de´tails sur la Vie des e´veˆques. 154 Vita Maxentii, BHL 5804 (Vie bre`ve), cf. Van Uytfanghe, Biographie II (voir n. 28), col. 1324 et Heinzelmann, Clovis (voir n. 145), p. 97, Gre´goire de Tours, Hist. 2,37; le texte des deux ver- sions disponibles dont la plus bre`ve serait ante´rieure, se situe autour de 1080 selon Soline Kumaoka,A` propos des Vies de saint Maixent (BHL 5804 et 5805), dans: Parva pro magnis munera (voir n. 76), p. 513–531. – Vita Aviti conf. Aurelianensis seu Miciacensis, BHL 879, God- ding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxv; et surtout la contribution de Birgit Auernheimer dans le pre´sent volume; Vita Eparchii reclusi Engolismensis, BHL 2559, Godding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxviii, voir aussi les deux re´cits, contradictoires, de Gre´goire de Tours, Hist. 8,8 et GC 101. 62 Martin Heinzelmann peu fiable en ce qui concerne leur e´dition originale – me´rovingienne – du texte qui doit ainsi rester hypothe´tique155. Avant de passer aux maıˆtres incontestables de l’hagiographie du VIe sie`cle, Venance Fortunat et Gre´goire de Tours, il ne reste que de rares documents re´dige´s a` l’e´poque, dans la re´gion du Centre. Dans ce lot, le plus surprenant s’ave`re eˆtre la Vie de sainte Genevie`ve († 502), premie`re femme d’origine franque honore´e d’une biographie et premie`re sainte a` avoir e´te´ choisie par un roi franc, fondateur d’une dynastie de surcroıˆt, comme protectrice et accompagnatrice dans l’au-dela` – la proximite´ de leurs tombeaux dans l’e´glise-mausole´e du roi, en l’occurrence les Saints-Apoˆ tres de Paris, a duˆeˆtre un symbole puissant pour les contemporains156. La biographie a e´te´ compose´e en 520 environ sur la demande de la reine Clotilde, veuve de Clovis, et s’appuie fortement sur une stylisation litte´raire fonde´e sur la Vie de l’e´veˆque Martin de Tours, confe´rant de la sorte des qualite´s e´piscopales a` son he´roı¨ne. La biographie d’un autre grand personnage des de´buts du royaume franc et de la vie de Clovis, Remi de Reims († ca 533), re´dige´e peut-eˆtre encore avant 543, s’est perdue: apre`s un re´sume´ que Venance Fortunat paraıˆt avoir produit vers 570 de ce premier texte trop long et trop lourd, texte re´sume´ qui s’est e´galement perdu, seul un autre abre´ge´, fonde´ sans doute sur le re´sume´ pre´ce´dant, compose´a` Reims en 740/760 a` des fins liturgiques, est parvenu jusqu’a` nous, sous le nom de Fortunat157. Une attribution expresse a` un »preˆtre Fortunat« figure dans le manuscrit le plus ancien de la Vie de l’e´veˆque Me´dard de Noyon († avant 561), le fameux codex Velseri munichois du milieu du VIIIe sie`cle qui, de plus, fait suivre le texte – a` la manie`re d’un opus geminum – par les cent soixante-six vers du carmen De sancto Medardo dont l’appartenance a` l’œuvre du poe`te ne peut pas eˆtre mise en question158; la biographie

155 Voir, entre autres, Vita Iuniani erem. Commodoliacensis, BHL 4560; Vita Aviti erem. in dioec. Sarlatensi, BHL 884; Vita Naamatii diac. Ruthenensis, BHL 6027; Vita Amandi erem. Genuliaci in Petragoricis, BHL 330; Vita Amantii erem. in Silva Buxea in dioec. Engolismensi, BHL 350; etc. 156 Vita Genovefae (version A), BHL 3335, CPL 2104, Heinzelmann,Poulin, Les Vies anciennes (voir n. 75). Pour un supple´ment de bibliographie, voir Joseph-Claude Poulin, art. »Genovefa«, dans: Claudio Leonardi (dir.), Diccionario de los santos, vol. I, Madrid 2002, p. 927–930. 157 Vita Remigii (vel Remedii) ep. Remensis, BHL 7150, publie´e dans MGH, Auct. Ant. IV/2 parmi les textes du »Pseudo-Fortunat« (faussement attribue´s a` Venance Fortunat); l’e´diteur, Bru- no Krusch, voit l’origine du texte au VIe sie`cle, mais voir Joseph-Claude Poulin, Genevie`ve, Clovis et Remi. Entre politique et religion, dans: Michel Rouche (dir.), Clovis, histoire et me´moire, Paris 1997, vol. I, p. 331–348, spe´c. l’annexe: Les sources liturgiques et hagiogra- phiques de la Vita Remigii d’Hincmar de Reims, p. 342–348, et la the`se de Marie-Ce´line Isai¨a a` l’universite´ Paris X-Nanterre, soutenue en 2004: Re´mi de Reims. Vie, culte, dossier hagiogra- phique (Ve–XIe sie`cle), passim (cf. p. 1007: document 27, les textes relatifs a` saint Re´mi ante´rieurs a` 882 – une mise en relation). 158 Vita (perperam adscripta Fortunato) Medardi ep. Noviomensis, BHL 5864, CPL 1049; Carmen auctore Fortunato, BHL 5863 (pour le Carm.II, 16, voir maintenant l’e´dition de Reydellet [voir n. 72], p. 72–80). La Vie est e´dite´e par Bruno Krusch dans MGH, Auct. Ant. 4/2 (1885), voir son introduction, ibid., p. xxv–xxviii; la Vie finit par la phrase: Fortunatus praesbiter conposuit haec vita vel actus sancti Medardi. Pour le manuscrit Munich Clm 3514, que Krusch datait encore du milieu du VIIe sie`cle, voir Bischoff, Katalog II (voir n. 117), no 2940a. Pour l’opus geminum, la pre´sentation de deux œuvres sur un meˆme sujet, en prose et sous forme me´trique, voir Ernst Walter, Opus geminum. Untersuchungen zu einem Formtyp in der mittellateinischen Litera- L’hagiographie me´rovingienne 63 en prose, fonde´e sur un recueil de miracles, s’adresse au roi Theudebert (II), 596–612, et pourrait bien eˆtre l’œuvre du poe`te malgre´ le jugement contraire de Bruno Krusch159. Chronologiquement, ce texte pourrait ainsi clore la longue se´rie de bio- graphies e´piscopales et d’une moniale royale de la plume d’un Italien d’origine, Venance Fortunat, œuvres produites a` la manie`re d’un e´crivain professionnel (»Auf- tragsvita«), en bonne partie sans lien particulier avec le saint respectif160. Ce lien existait encore avec l’ancienne reine Radegonde († 587), protectrice et inspiratrice du poe`te, a` la meˆme enseigne que Gre´goire de Tours qui avait demande´ la re´e´criture me´trique de la Vie de saint Martin en quatre livres161; mais il est moins e´vident en ce qui concerne les Vies en prose des e´veˆques Aubin d’Angers († 560) – une premie`re biographie re´dige´e peu apre`s 565, date des de´buts de Fortunat en Gaule –, puis Marcel de Paris (IVe/Ve sie`cle), Hilaire de Poitiers († 368), Paterne d’Avranches († 565), Seu- rin ou Se´verin de Tre`ves, puis de Bordeaux (Ve sie`cle), et Germain de Paris († 576)162. Pour l’e´volution de l’e´criture hagiographique, on retiendra encore la re´par- tition d’une Vie en deux livres dans la Vita Hilarii, se´parant la Vita des Miracula; la tradition manuscrite de cette biographie a, de plus, tre`s souvent enrichi la Vie d’une lettre, fictive, adresse´e par saint Hilaire a` sa propre fille Abra et faisant l’e´loge de l’abstinence sexuelle163. Mais il convient surtout de souligner la nouvelle fac¸on de pre´senter une Vie de saint par l’enchaıˆnement d’une longue suite d’e´pisodes de mi-

tur, the`se de doctorat, universite´ d’Erlangen, 1973; pour le me´lange de formes me´triques et en prose dans une seule œuvre, Bernhard Pabst, Prosimetrum. Tradition und Wandel einer Lite- raturform zwischen Spätantike und Spätmittelalter, Cologne et al. 1994 (Ordo, 4). 159 Pour le recueil des miracles pre´sume´, voir Gre´goire de Tours, GC 93, scriptum de mirabilibus eius librum. Pour l’attribution a` Fortunat, cf. Wattenbach-Levison, Geschichtsquellen (voir n. 9), p. 97 n. 212, et Collins, Observations (voir n. 133), p. 106 et passim. Antonella Degl’Inno- centi, L’opera agiografica di Venanzio Fortunato, dans: Gregorio Magno (voir n. 20), p. 137–153, ne parle malheureusement pas du proble`me de la Vita Medardi. 160 Pour Fortunat, voir Berschin, Biographie und Epochenstil I (voir n. 11), p. 277–287; Collins, Observations (voir n. 133), passim; Van Uytfanghe, Biographie II (voir n. 28), col. 1317–1322, avec bibliographie. Cf. encore Luce Pietri, Venance Fortunat et ses commanditaires: un poe`te italien dans la socie´te´ gallo-franque, dans: Committenti e produzione artistico-letteraria nell’ alto medioevo occidentale, Spole`te 1992, t. 2, p. 729–754 (Settimane di studio del Centro italiano si studi sull’ alto medioevo, 39). 161 Vita Radegundis, BHL 7048, CPL 1042, voir Van Uytfanghe, Biographie II (voir n. 28), col. 1318–1322; pour la re´e´criture de la Vita Martini, BHL 5624, voir l’e´dition: Venance Fortunat, Œuvres, t. IV: Vie de saint Martin. Texte e´tabli et traduit par Solange Quesnel, Paris 1996; cf. encore Labarre, Le manteau partage´ (voir n. 124). 162 Vita Albini ep. Andegavensis, BHL 234, CPL 1040; Vita Marcelli ep. Parisiensis, BHL 5248, CPL 1043; Vita et miracula Hilarii ep. Pictavensis, BHL 3885–3887, CPL 1038; Vita Paterni ep. Abrincensis, BHL 6477, CPL 1041; Vita Severini ep. Burdigalensis, BHL 7652 (supple´ment), CPL 1044 (il faut distinguer ce Seurin de Tre`ves/Bordeaux de l’e´veˆque homonyme de Cologne connu par sa vision de saint Martin, dans Gre´goire de Tours, Virtutes s. Martini episcopi, I 4); Vita Germani ep. Parisiensis, BHL 3468, CPL 1039. Pour le reste de son hagiographie en vers dont le long poe`me sur saint Me´dard a de´ja`e´te´ mentionne´, voir Heinzelmann, Gre´goire de Tours (voir n. 20), p. 162. 163 BHL 3887a, cf. Alfred Leonhard Feder, Studien zu Hilarius von Poitiers, III, Wien 1912 (Sit- zungsberichte der kaiserl. Akad. der Wiss. Wien. Phil.-hist. Klasse 169, 5. Abhandl.), p. 41–53, qui donne aux pages 42–49 une liste d’environ cinquante manuscrits portant cette lettre; Hilaire y recommande a` sa fille de refuser la main d’un jeune pre´tendant en faveur de l’e´poux ce´leste. 64 Martin Heinzelmann racles sans lien apparent, pre´sentation qui, applique´e exemplairement a` la Vie de Germain de Paris, dissout en fin de compte les structures biographiques de la vita traditionnelle; le proce´de´ aura des suites importantes dans l’hagiographie me´die´vale. Un degre´ est franchi au VIIe sie`cle avec une deuxie`me Vie de Rade´gonde, e´crite par la moniale Baudonivie du monaste`re de Sainte-Croix de Poitiers, acheve´e avant 614, d’un point de vue profonde´ment monastique qui souligne le roˆ le du mysticisme et des visions dans la vie de la sainte164. Gre´goire, e´veˆque de Tours de 573 a` 594, e´tait en relations continuelles avec For- tunat, mais son e´criture hagiographique avait d’autres desseins qui ne sont pleine- ment intelligibles qu’en fonction de la totalite´ de son œuvre. Ce qui explique en partie l’inte´reˆt tre`s limite´ du public me´rovingien pour ses livres hagiographiques, tandis que l’e´criture de Fortunat paraıˆt avoir eu un impact litte´raire certain165, – c’est seulement a` partir du VIIIe sie`cle qu’on a exploite´ les e´crits hagiographiques du Tourangeau de fac¸on plus substantielle166. Le fondement de l’e´criture de Gre´goire est la the´ologie patristique qui conc¸oit l’E´ glise en tant que communaute´ de tous les hommes avec le Christ, une E´ glise virtuelle immacule´e, d’un coˆ te´, comme elle existera apre`s le Juge- ment, et une E´ glise mixte, de l’autre coˆ te´, c’est-a`-dire la socie´te´ chre´tienne actuelle correspondant a` la coexistence temporelle des saints et des mise´rables (miseri) qui seront les condamne´s lors de la dernie`re venue du Christ. En s’appuyant sur ce concept eccle´sial tout en faisant la part de ses deux aspects, eschatologique et histo- rique, l’e´veˆque propose une nouvelle e´criture de l’histoire sainte, peut-eˆtre selon le mode`le des duae decadae de l’e´criture historico-hagiographique d’Euse`be167, com- prenant dix livres d’»Histoires«, Historiae, et dix autres d’une ampleur sensiblement identique, livres ›hagiographiques‹ qui ne concernent que les e´le´ments de l’E´ glise immacule´e: le Christ, ses saints et surtout ses miracles qui confirment la de´ite´ du Christ et l’omnipre´sence de son E´ glise. Conforme´ment a` ce mode`le the´ologique, les »Histoires« – raconte´es en une suite d’e´pisodes de la meˆme manie`re que, par exemple, la Vita Germani de Fortunat – sont de´ja` fortement caracte´rise´es par le concours important de saints qui s’opposent sans cesse aux ennemis de Dieu; certains e´pisodes de l’œuvre historiographique ont d’ail- leurs servi a` la constitution de dossiers de saints a` partir de l’e´poque carolin- gienne168. Quant aux dix livres du cycle ›hagiographique‹, on remarquera leur carac-

164 Vita Radegundis auctore Baudonivia, BHL 7049, CPL 1053, e´crite avant la mort de Brunehaut en 614; voir Van Uytfanghe, Biographie II (voir n. 28), col. 1322. Pour d’autres visions, voir notre chapitre sur l’hagiographie monastique, p. 77–78. 165 De´ja` en 642 environ, Jonas de Bobbio, dans sa Vita Columbani, cite la Vita Hilarii de Fortunat en tant qu’un mode`le de l’e´criture hagiographique, voir Berschin, Biographie und Epochenstil V (voir n. 11), p. 60. 166 Pour l’hagiographie de Gre´goire, voir Berschin, Biographie und Epochenstil I (voir n. 11), p. 288–303; Heinzelmann, Die Funktion des Wunders (voir n. 30), p. 46–57, et nos autres tra- vaux cite´s note 91. Pour la tradition manuscrite de l’œuvre, diffe´rente pour ses deux parties, voir Pascale Bourgain, Martin Heinzelmann, L’œuvre de Gre´goire de Tours. La diffusion des manuscrits, dans: Nancy Gauthier, Henri Galinie´ (dir.), Gre´goire de Tours et l’espace gaulois. Actes du congre`s international, Tours, 3–5 novembre 1994, Tours 1997, p. 273–317. 167 Voir la citation de la Vita Silvestri en n. 42. 168 Voir Bourgain,Heinzelmann, Diffusion des manuscrits (voir n. 166), p. 300–310. L’hagiographie me´rovingienne 65 te`re peu homoge`ne, mais une particularite´ commune qui est la pre´sentation en se´rie, le plus souvent se´rie de miracles. Cet e´le´ment qui renvoie a` l’universalite´ de l’E´ glise s’exprime au mieux – il y e´tait de´ja` question plus en avant – dans le premier livre In gloria martyrum. Dans le In gloria confessorum, dernier livre des septem libri mira- culorum, Gre´goire e´nume`re des miracles ›modernes‹ aux tombeaux de confesseurs gaulois en cent dix chapitres – par leur concept eccle´siologique, ces deux livres sont difficilement a` classer dans une tradition litte´raire existante; entre les deux, prennent place deux recueils plus traditionnels, un sur les miracles du martyr Julien de Brioude et un autre, mais en quatre livres, de virtutibus sancti Martini: chaque fois est e´voque´e l’actualite´ des miracles, miracles dont le Christ est la ve´ritable source, mais qui con- firment en meˆme temps la qualite´ originelle du saint respectif et surtout une force vivante de l’E´ glise qui est a` l’œuvre durant des sie`cles. Pour les deux derniers livres du cycle hagiographique selon son »testament lit- te´raire« (Hist. 10,31), le traite´ sur le Psautier pre´sente principalement une liste de cent cinquante diapsalmae, c’est-a`-dire des propositions ou arguments brefs re´sumant chaque fois le psaume en question et proposant chaque fois une exe´ge`se au sujet de la teˆte de l’E´ glise, le Christ, tandis que le livre De cursibus ecclesiasticis (ou De cursu stellarum ratio) se re´ve`le eˆtre en fait une dissertation sur les grands miracles du Dieu Cre´ateur, le Christ, qui est la fin et le principe de l’e´criture meˆme de Gre´goire169. Le caracte`re se´riel est e´galement pre´e´minent dans le livre sur la vie des Pe`res, De vita patrum intitule´ aussi De vita sanctorum dans le prologue de l’œuvre qui contient une explication du singulier »vita (et non vitae ou vitas) patrum«: il s’agissait pour Gre´goire de composer les vingt biographies pour illustrer la finalite´ d’une existence exclusive dans le Christ et son E´ glise, meˆme si chaque fois le dessein (propositum) d’un saint ou d’une biographie peut se pre´senter de manie`re diffe´rente170. De la sorte, les vingt biographies d’individus morts en Gaule aux Ve et VIe sie`cles constituent un e´chantillon de saints sciemment choisis en fonction d’une origine ge´ographique diverse – la Gaule et le monde (Thuringe, Afrique, Syrie) – et d’un statut social allant de l’e´tat de serf au se´nateur, du plus pauvre au plus riche, de l’anachore`te ou de la veuve a` l’e´veˆque: ostensiblement, la se´rie en tant que telle est conside´re´e par Gre´goire comme un miroir repre´sentatif de la socie´te´ eccle´siastique de l’e´poque, loin de repre´- senter une e´lite intouchable de saints promis a` la ve´ne´ration cultuelle. L’e´veˆque de Tours, dont le concept d’un gouvernement e´piscopal de la socie´te´ est profonde´ment ancre´ dans la tradition patristique, s’inte´resse a` la saintete´ accessible a` tout chre´tien, et

169 Cf. Heinzelmann, Gre´goire de Tours (voir n. 20), p. 187–188; Id., Le Psautier de Gre´goire de Tours, dans: Retour aux sources. Textes, e´tudes et documents d’histoire me´die´vale offerts a` Michel Parisse, Paris 2004, p. 771–786, et Id., Die Psalmen bei Gregor von Tours, dans: Patrizia Carmassi (dir.), Präsenz und Verwendung der Heiligen Schrift im christlichen Frühmittelalter. Exegetische Literatur und liturgische Texte, Wiesbaden 2008 (Wolfenbütteler Mittelalter-Stu- dien, 20), p. 33–57 ; pour le Christ fondement et finalite´ de l’e´criture gre´gorienne, voir Hein- zelmann, Structures typologiques (voir n. 59), p. 574–578. 170 VP (voir n. 59), pre´face: »D’ou` il est manifeste qu’il vaut mieux dire la Vie des Pe`res que les Vies des Pe`res, car s’il y a diversite´ de me´rites et de vertus, il y a cependant une seule vie du corps [qui est l’E´ glise] qui soutient tous au monde«. Voir aussi la seule via iustitiae, par laquelle tous les saints, depuis Abel, E´ noc et Noe´, jusqu’aux apoˆ tres et martyrs, arrivent a` la gloire, d’apre`s la pre´face des miracles de saint Julien de Brioude par Gre´goire, MGH, SRM I–22, p. 113. 66 Martin Heinzelmann non, comme ce sera le cas apre`s lui, a` la saintete´ particulie`re d’une mouvance mona- stique ou d’un patron saint d’une communaute´ eccle´siale. Apre`s Gre´goire, le but moral de l’e´dification de toute une socie´te´ gouverne´e par l’e´veˆque n’e´tait plus le souci pre´dominant des hagiographes; ils e´taient dore´navant guide´s plutoˆ t par les inte´reˆts particuliers d’une e´glise, e´piscopale ou monastique, de la campagne ou urbaine, voire de certaines grandes familles franques171.

LA BIOGRAPHIE E´ PISCOPALE DES VIIe ET VIIIe SIE` CLES

Il faut chercher les raisons du changement survenu dans l’hagiographie du VIIe sie`cle dans l’histoire politique – la Neustrie ou mieux encore la Neustro-Burgondie deve- nant pour longtemps le royaume dominant, concurrence´e par l’Austrasie de`s la deuxie`me moitie´ du sie`cle –, et plus encore dans l’e´volution sociale lie´e a` cette his- toire172. Cette e´volution se traduit d’abord par une royaute´ forte sous Clotaire II et Dagobert († 639), e´le´ment qui a trouve´ un e´cho dans une hagiographie plutoˆ t bien- veillante vis-a`-vis des rois qui re´ussissent souvent en tant que partenaires des saints; les autres caracte´ristiques de l’e´volution nouvelle sont les repre´sentants de la royaute´, les maires du palais garants de la collaboration plus ou moins heureuse avec les factions d’une noblesse puissante, forte de ses appuis dans l’administration royale ou a` la teˆte d’une e´glise, e´piscopale ou monastique; certains e´veˆques augmente`rent consi- de´rablement leur pouvoir temporel jusqu’a` l’installation d’une ve´ritable Bischofs- herrschaft re´gionale. Mais l’e´le´ment cle´ dans la nouvelle e´volution s’ave`re eˆtre l’in- stitution monastique: la royaute´ autant que la noblesse – les e´veˆques inclus – participe`rent a` la fondation de monaste`res souvent pourvus de vastes patrimoines, de privile`ges et d’un personnel qui, au niveau des re´gions, contribue`rent a` bousculer successivement le pouvoir traditionnel de l’e´veˆque sur son dioce`se, d’un point de vue spirituel autant qu’e´conomique. La recherche parle ainsi de 320 nouvelles fondations monastiques au VIIe sie`cle dont 230 dans la partie nord de la Gaule, contre 90 seu- lement au sud de la Loire173. Ne´anmoins, la Vie e´piscopale restera encore au VIIe sie`cle un ›genre‹ a` grand succe`s. L’e´criture hagiographique au be´ne´fice des pre´lats jouissait a` la fin du VIe sie`cle d’un apoge´e indiscutable a` l’image des œuvres d’un Venance Fortunat ou d’un Gre´goire de

171 Pour la the`se de Friedrich Prinz (Id., Frühes Mönchtum im Frankenreich, 1965 [21988], spe´cia- lement p. 489 sqq.) d’une »auto-sanctification« (Selbstheiligung) de la noblesse franque, voir par contre, les nuances apporte´es par Martin Heinzelmann, Wandlungen des Heiligentypus in der Merowingerzeit? Eine Stellungnahme, dans: Dieter Hägermann, Wolfgang Haubrichs, Jörg Jarnut (dir.), Akkulturation. Probleme einer germanisch-romanischen Kultursynthese in Spät- antike und frühem Mittelalter, Berlin 2004 (Ergänzungsbände zum Reallexikon der Germani- schen Altertumskunde, 41), p. 335–339. 172 Pour une excellente introduction dans l’histoire du VIIe sie`cle, voir Fouracre,Gerberding, Late Merovingian France (voir n. 101); voir aussi Patrick J. Geary, Before France and Germany. The Creation and Transformation of the Merovingian World, New York, Oxford 1988. 173 Cf. Fouracre,Gerberding, Late Merovingian France (voir n. 101), p. 8. L’hagiographie me´rovingienne 67

Tours – six des vingt biographies de son recueil De vita patrum concernent effecti- vement les chefs des e´glises174. D’autres exemples du genre datant approximativement de la meˆme e´poque venaient s’y ajouter: les Vies de´ja`e´voque´es des pre´lats de Rodez, Amans et Dalmace, la Passion du martyr Pe´re´grin d’Auxerre et la Vie de son succes- seur saint Amaˆtre, au Ve sie`cle, par E´ tienne l’Africain, enfin la biographie de l’e´veˆque Lubin de Chartres († 552/567), e´lu apre`s une longue carrie`re monastique et cle´- ricale175. Cette se´rie trouva une continuation au sie`cle suivant: plus haut, il a de´ja`e´te´ question, d’un coˆ te´, de passiones re´dige´es pour un e´veˆque martyr aux origines d’une chaıˆne e´piscopale (Didier de Langres, Austremoine de Clermont) et, de l’autre coˆ te´, d’une Vita vel Passio d’un e´veˆque du VIIe sie`cle devenu victime de son propre roˆ le sur l’e´chiquier politique du royaume (Didier de Vienne, Prix de Clermont, Annemond de Lyon, Le´ger d’Autun). Enfin, d’autres e´glises e´piscopales s’engage`rent encore sur la voie de l’e´criture hagiographique parce qu’elles e´taient a` la queˆte d’un saint e´veˆque fondateur, ou parce qu’elles de´siraient comple´ter ou actualiser un dossier hagiogra- phique de´ja` disponible. On re´digeait alors la Vie d’un pre´lat de´ce´de´ depuis longtemps en 619/620 a` Angers, quand l’e´veˆque de la ville Mainbœuf (Magnobodus) utilisa les notices (tituli) d’un certain preˆtre, Juste, pour composer une biographie de son pre´de´cesseur Maurille (Maurilio plutoˆ t que Maurilius) mort en 453176; puis a` Arras, avec la Vita de l’e´veˆque contemporain de Clovis saint Vaast (Vedastis, ou Vedastus), e´crite vraisemblablement vers 639/642 par Jonas de Bobbio177, et a` Chaˆlons-sur-Marne ou` la de´couverte du cadavre intacte de l’e´veˆque Memmie (Ier ou IVe sie`cle?) en juillet 677 donna lieu a` un re´cit d’inventio combine´e avec une se´rie de miracles qui eurent lieu dans les six mois suivants; dans la tradition manuscrite ulte´rieure, le re´cit est accompagne´ d’une Vie ›apostolique‹ dont la date d’origine, plus re´cente sans doute, est incertaine178. Au

174 Il s’agit des e´veˆques de Clermont Illidius (BHL 4264), Quintianus (BHL 6997) et Gallus (BHL 3259), de Gre´goire de Langres (BHL 3665), Nizier de Tre`ves (BHL 6090) et Nizier de Lyon (BHL 6089). 175 Vita Leobini ep. Carnotenus, BHL 4847; malgre´ le renvoi de la Vie dans le cycle des saints de Micy et donc au milieu du IXe sie`cle par Albert Poncelet (voir AnalBoll 24 [1905], p. 25–26), Berschin, Biographie und Epochenstil I (voir n. 11), p. 304 date la Vie du VIe sie`cle, sans doute a` raison: aucun carolingien n’aurait pu inventer un tel nombre de de´tails de toute e´vidence contem- porains du VIe sie`cle. 176 Vita Maurilii auct. Magnobodo, BHL 5730, CPL 2123. La the`se de l’E´ cole nationale des chartes de 1998 de Damien Heurtebise, Les sources de l’hagiographie e´piscopale ange´vine avant l’an mil, apre`s un examen extensif des manuscrits (sept pour la version la plus ancienne de la Vita, le plus ancien manuscrit datant du Xe sie`cle), a pu mettre en e´vidence l’importance de Paris, BNF 13758 du XIe sie`cle (origine: Vendoˆ me) qui n’a pas e´te´ utilise´ pour les e´ditions existantes, mais qui est le seul manuscrit reproduisant un e´tat me´rovingien de la Vie; c’est a` tort qu’Heurtebise a cru y reconnaıˆtre les tituli Iusti presbyteri utilise´s par Magnobode (Mainbœuf). Par me´prise la Vie se trouve parmi les textes du Ve sie`cle dans Van Uytfanghe, Biographie II (voir n. 28), col. 1323. 177 Vita Vedastis, BHL 8501, CPL 2144; il existe une traduction re´cente due a` Christiane Veyrard- Cosme, L’œuvre hagiographique en prose d’Alcuin. Vitae Willibrordi, Vedasti, Richarii.E´ dition, traduction, e´tudes narratologiques, Florence 2003, p. 2–13; voir Me´riaux, Gallia irradiata (voir n. 105), p. 368–369, qui rele`ve correctement l’attribution a` Jonas due seulement a` une remarque de ce dernier dans le prologue de la Vita Columbani, selon laquelle l’e´crivain avait passe´ trois ans dans le monaste`re d’Elnone, vraisemblablement entre 639 et 642. 178 Inventio Memmii ep. Catalaunensis, BHL 5911, CPL 2127; voir aussi Gre´goire de Tours, GC 65, 68 Martin Heinzelmann

VIIe sie`cle, mais a` une e´poque difficile a` pre´ciser, appartiennent encore les biographies des saints e´veˆques E` vre de Toul († de´but du VIe sie`cle) et Virgile d’Arles († 618), tandis que les Acta de l’e´veˆque Victor du Mans et de son fils et successeur Victorius († 490?), qui rattachent ces e´veˆques a` la personne de saint Martin de Tours, paraissent dater de la fin du VIIe sie`cle179. Avec de bonnes raisons, et contre l’avis devenu clas- sique de Wilhelm Levison, la ce´le`bre Vie interpole´e de Germain d’Auxerre a re´cem- ment e´te´ restitue´e a` la deuxie`me moitie´ du VIIe sie`cle; cette nouvelle e´dition de l’an- cienne Vie du plus grand saint auxerrois a e´te´ conside´rablement enrichie par la comple`te Revelatio Corcodemi et par des extraits des Vies de´ja` cite´es des saints Amaˆtre, Alban de Verulamium, Genevie`ve de Paris et Loup de Troyes, augmente´e d’autres morceaux comprenant un chapitre des miracles de Julien de Brioude par Gre´goire de Tours et les quatre vers d’une e´pitaphe de Germain180. Ce sont pourtant les Vies de saints morts au VIIe sie`cle et dote´s d’une biographie plus ou moins contemporaine qui repre´sentent la ve´ritable gloire de l’hagiographie me´rovingienne; de ce groupe font e´galement partie les exemples de´ja` mentionne´s du genre de Vita vel Passio pour les ›nouveaux martyrs‹. Suivant la chronologie, la se´rie de ces textes pourrait commencer par une Vie d’Aunaire d’Auxerre († 605) de la premie`re moitie´ du sie`cle181, et par la Vie de saint Ge´ry (Gaugericus) au parcours atypique, d’origine modeste, mais ne´anmoins e´veˆque de Cambrai pendant trente- neuf ans († 623/629); ce document fut compose´ selon Charles Me´riaux par un clerc cambre´sien dans les dix ans suivant la mort de Dagobert (639), a` une e´poque d’in- certitude quant a` la situation politique de Cambrai entre l’Austrasie et la Neu- strie182. Un peu plus tard, suivent les deux Vies de Sulpice le Pieux de Bourges († 646/647), une e´dition bre`ve et, re´dige´e peu apre`s, une autre plus longue, mais le

BHL 5914. La Vie, BHL 5910, qui met Memmie en rapport direct avec saint Pierre et le Ier sie`cle, a sans doute e´te´ stimule´e par la remarque de l’inventio, »patrem se apostolicumque eo tempore declararet«, MGH, SRM V, p. 366 ligne 4. 179 Vita Apri ep. Tullensis, BHL 617 (vita brevior qui pre´ce`de la longior, BHL 616), CPL 2085a; voir Monique Goullet, Les saints du dioce`se de Toul (Sources hagiographiques de la Gaule, VI), dans: M. Heinzelmann (dir.), L’hagiographie du haut Moyen Aˆ ge en Gaule du Nord, Stuttgart 2001, p. 11–89, ici 27–42, qui n’exclut pas une origine du texte plus haute vers la fin du VIe sie`cle, voir ibid., p. 30–35. Pour la Vita Virgilii, voir supra, avec n. 131. Pour la Vita Victurii, ou mieux les Acta Victori et Victorii, BHL 8600, texte pre´ce´dant les Vies de ces e´veˆques dans les Actus pontificum Cenomanensium (BHL 8598/8599), voir Walter Goffart, The Le Mans Forgeries, Cambridge Mass. 1966, p. 50–51, avec les n. 68, 69, 87 pour la tradition manuscrite de ce texte. 180 Vita Germani interpolata, BHL 3454; voir Van Egmond, Conversing with the Saints (voir n. 84), p. 107–127 qui sugge`re, p. 124–127, que Be`de ait utilise´ en 735 environ cette e´dition, et non le contraire comme l’avait pense´ Levison. A` noter les emprunts pris de Gre´goire, De virtutibus s. Juliani 29, constituant a` notre connaissance une premie`re utilisation de l’œuvre hagiographique de cet auteur (si la date du VIIe sie`cle est confirme´e pour la Vie interpole´e de Germain), et ceux de la Vie de Genevie`ve qui paraissent provenir d’une version encore inconnue de cette biographie, plus proches de la version C (premie`re moitie´ du VIIIe sie`cle) que de l’ancienne version A, de 520. Les rapports avec la Vie de saint Cassien d’Autun, BHL 1630–1632, demandent encore une recherche supple´mentaire, cf. ibid., p. 117–118. 181 BHL 805, cf. Van Egmond, Conversing with the Saints (voir n. 84), p. 128–131. 182 BHL 3286, CPL 2103, traduction de Michel Rouche dans: Revue du Nord 68 (1986), p. 281–288. Voir surtout la pre´sentation comple`te du dossier par Charles Me´riaux dans le pre´- sent volume, et, pour un examen linguistique, Van Acker, Vt qviqve rustici (voir n. 105), passim. L’hagiographie me´rovingienne 69 plus souvent inde´pendante de la bre`ve, les deux e´tant compose´es relativement toˆt apre`s la mort du saint e´veˆque183. Sulpice fut forme´a` la cour royale (Clotaire II) comme Aunaire d’Auxerre ou encore son propre pre´de´cesseur, Outrille (Austregi- silus, † ca 624), dont la biographie est a` dater de la deuxie`me moitie´ du VIIe sie`cle184. De cette e´poque a` peu pre`s, paraıˆt encore dater la Vie de saint Arnoul, l’anceˆtre emble´matique des Carolingiens, devenu e´veˆque de Metz en 614 apre`s une carrie`re administrative, avant de vivre finalement comme ermite de 629 jusqu’a` sa mort en 640 dans une retraite pre`s du monaste`re de Remiremont185. Apre`s les recherches re´centes sur l’immense Vita Eligii, l’œuvre la plus volumi- neuse de l’hagiographie me´rovingienne, on se rend compte de sa qualite´ de ve´ritable pie`ce maıˆtresse de l’e´criture de cette e´poque, puisqu’elle est transmise par cent quinze manuscrits sous une forme ou une autre. Le texte de la Vie de l’e´veˆque E´ loi de Noyon et Tournai († 660) compose´ par son ami, l’e´veˆque de Rouen saint Ouen (Audoenus- Dado, † 684), un des hommes les plus illustres et les plus influents du sie`cle, a tre`s longtemps e´te´ conside´re´ comme une re´e´criture du VIIIe sie`cle seulement, en tant qu’hypertexte de la Vie originale par saint Ouen, malgre´ l’absence totale d’une tra- dition manuscrite de cette e´dition originale soi-disant perdue. Tout re´cemment, le dernier commentateur, Clemens M.M. Bayer, vient d’identifier quatre phases de l’e´dition: 1) le premier livre en quarante chapitres traitant du saint laı¨c; 2) le livre II en quatre-vingts chapitres sur l’e´veˆque E´ loi et ses miracles, avec la pre´face de l’œuvre, entre 673 et 684; 3) le travail d’un interpolateur pour quelques brefs passages entre 684 et 691/697; 4) une e´dition a` part, dite »de Limoges«, entre 691 et 697186. Dans le corps des deux livres – un premier pour le saint encore laı¨c, le deuxie`me concernant le saint e´veˆque187 – on peut identifier plusieurs e´le´ments attache´s de`s l’origine a` la bio- graphie, dont un chapitre abondant avec une anthologie de sermons du saint (Vita 2,16), une collection de miracles posthumes (Vita 2,39–66) provenant sans doute de

183 Vita prima Sulpicii Pii, BHL 7927–7928, CPL 2142, Vita secunda, BHL 7930; cf. Maurice de Laugardie`re, L’E´ glise de Bourges avant Charlemagne, Paris, Bourges 1951, p. 148–174; les deux Vies ne concordent que pour le re´cit des fune´railles du saint et de l’agrandissement de la basilique. Le prologue de la Vie longue paraıˆt carolingien, compose´a` l’occasion de l’assemblage de la Vie et des miracles. 184 Vita Austregisili, BHL 839–840, cf. de Laugardie`re, L’E´ glise de Bourges (voir n. 183), p. 135–137. 185 Vita Arnulfi, BHL 689–692, CPL 2087; cf. Monique Goullet, Arnulfus (Les saints du dioce`se de Metz [SHG X]), dans: Miracles, Vies et re´e´critures dans l’Occident me´die´val (voir n. 45), p. 212–234, qui pense a` un fre`re des Saints-Apoˆ tres (le futur saint Arnoul), e´crivant peu apre`s 650. 186 Vita Eligii, BHL 2474, CPL 2094, voir aussi la traduction: Vie de saint E´ loi: Pre´sentation et traduction par Isabelle Westeel, vol. I, Noyon 2002, 158 p.; Clemens M.M. Bayer, (art.) Vita Eligii, dans: Reallexikon der Germanischen Altertumskunde 35, 2007, p. 461–524, avec biblio- graphie abondante. Pour l’e´dition »de Limoges«, voir aussi I. Westeel, Courte note d’hagio- graphie: un nouvel e´pisode du ›pendu-de´pendu‹ dans la Vie latine de saint E´ loi, dans: Famille, violence et christianisation au Moyen Aˆ ge. Me´langes offerts a` Michel Rouche. E´ tudes re´unies par Martin Aurell et Thomas Deswarte, Paris 2005, p. 209–217, ici 210–212. 187 Vita Eligii, lib. II, praefatio, MGH, SRM IV, p. 694: sufficiat priori libro ea tantum exposuisse, quae sub habitu saeculari gesserit, nunc vero de his quae in episcopatu egerit haec prima conve- niant. Cette bipartition est e´galement propose´e par un titre en onciales a` la fin du chapitre 13 (de 39) de la Vita Praeiecti, re´dige´e a` la meˆme e´poque, voir MGH, SRM V, p. 233: Actenus, prius- quam curam pastoralem susciperet; nunc ordo gestorum. 70 Martin Heinzelmann

Saint-Loup (le futur Saint-E´ loi), et deux lettres ajoute´es a` la fin du deuxie`me livre, la premie`re adresse´e par l’e´veˆque de Rouen a` son colle`gue Chrodobert (de Tours), suivie du rescriptum de ce dernier. De plus, dans les meilleurs manuscrits, nous trouvons l’ajout d’une Vie me´trique, rethorice atque commatice expolita, qui se pre´- sente expresse´ment en tant que livre III188; comme le caracte`re carolingien de ces vers n’est pas pleinement acquis, il faut e´ventuellement envisager une e´dition de la Vie en trois livres, de´ja` au cours du VIIIe sie`cle. A` la cour de Dagobert, E´ loi e´tait associe´a` un groupe important de hauts fonction- naires comprenant entre autres Sulpice (plus tard e´veˆque de Bourges), Ouen (de Rouen) et son fre`re Adon, qui sont des fondateurs de plusieurs monaste`res comme c’est le cas d’E´ loi lui-meˆme, ou encore de Didier, plus tard e´veˆque de Cahors († 655). La biographie de ce dernier, utilisant d’ailleurs largement le mode`le et le texte de la Vita Eligii, correspond a` un montage impressionnant, assez rare en hagiographie, de sources contemporaines originales – lettres, pre´ceptes, testament, inscriptions. La critique historique, pre´sumant apparemment une continuite´ extraordinaire des archives de l’e´poque, renvoie ge´ne´ralement la re´daction de ce texte tre`s faiblement documente´ par les manuscrits a` l’e´poque carolingienne, mais la pratique du VIIe sie`cle de composer une Vie substantielle en assemblant des textes divers a` l’ex- emple des Vies d’E´ loi et de Germain d’Auxerre (Vie interpole´e), voire d’autres textes encore, pourrait sugge´rer une origine plus haute (environ 700?)189. Quant a` saint Ouen lui-meˆme, mort en 684 et honore´ d’une translation solennelle quatre ans plus tard par son successeur Ansbert, il a be´ne´ficie´ peu apre`s d’une biographie d’un auteur vraisemblablement monastique et d’un poe`me en vingt-trois vers par l’e´veˆque Ans- bert190. Saint Amand, abbe´ d’Elnone et e´veˆque de Maastricht († apre`s 674/684), partagea avec saint E´ loi l’origine aquitaine, la ve´ne´ration pour saint Martin, des amis communs de la cour de Dagobert (Sulpice de Bourges), et surtout un inte´reˆt pre´dominant pour la mission dans les pays du Nord-Est; la de´couverte de fragments d’une Vie en e´criture rhe´tique de la fin du VIIIe sie`cle confirme la re´daction d’une premie`re Vie autour de 700, pre´ce´dant la Vita prima (sic) datant de 750 environ, e´crite par un

188 Vita metrica Eligii, BHL 2478, e´dite´e dans les MGH, Poet. lat. 4, 1923, p. 787–806; la citation est du titre dans les manuscrits, cf. MGH, SRM IV, p. 742. Les manuscrits principaux sont Bruxelles, BR 5374–5375, IXe/Xe sie`cle; Paris, BNF lat. 5327, de´but Xe sie`cle; et Tours, BM 1028, Xe sie`cle. 189 Vita Desiderii ep. Cadurcensis, BHL 2143, CPL 1304; le seul manuscrit me´die´val est Paris, BNF lat. 17002 du Xe sie`cle. Voir Godding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxvii; Re´al, Vies des saints (voir n. 13), p. 51. Pour une datation haute (fin du VIIe sie`cle), voir Berschin, Biographie II (voir n. 11), p. 56–58, qui pense a` un polissage linguistique carolingien d’une Vie de 670 environ, re´dige´e par un moine de Saint-Ge´ry de Cahors, et Michel Banniard, Une vita me´rovingienne? Langue et style de la Vie de saint Ambroise, e´veˆque de Cahors, dans: Annales du Midi 206 (1994), p. 235. 190 Vita Audoini ep. Rotomagensis, BHL 750, CPL 2088, cf. l’excellent commentaire de Fouracre, Gerberding, Late Merovingian France (voir n. 101), p. 133–152, et passim; une traduction anglaise de la Vie, ibid., p. 152–165. La tradition manuscrite de la Vie contemporaine (six manu- scrits, dont surtout Montpellier, BU Me´d. H55 (de´but seulement); Paris, BNF lat. 528; Vienne 420, tous de 800 a` peu pre`s) a souffert du succe`s de la deuxie`me Vie du de´but du IXe sie`cle comptant vingt-quatre manuscrits au moins. Le poe`me d’Ansbert est publie´ dans MGH, SRM V, p. 542. L’hagiographie me´rovingienne 71

Aquitain (de Bourges?) peu documente´ sur les re´gions septentrionales ou` Amand avait œuvre´ 191. D’autres Vies ›biographiques‹ d’e´veˆque de cette premie`re moitie´ du VIIIe sie`cle comprennent en premier lieu celle de Bonnet de Clermont (Bonitus, † 705/709), ancien administrateur de la Provence, Vie e´crite a` la demande de l’abbe´ de Manlieu (Auvergne) qui avait transfe´re´ en 711 le corps du saint de Lyon, ou` ce dernier e´tait mort apre`s une de´mission volontaire de sa fonction e´piscopale, a` l’e´glise Saint- Maurice de Clermont192; une ge´ne´ration plus tard, suivront les biographies de saint Hubert de Lie`ge († 727), parent de Pe´pin II et successeur de l’e´veˆque et martyr Lam- bert de Tongres-Maastricht († ca 705), biographie re´dige´e peu apre`s 743 avec l’aide des Vies d’Arnoul de Metz et de Lambert, et celle d’Eucher d’Orle´ans, mort en exil a` Saint-Trond († 738), compose´e vers 750 environ193. De plus, nous savons de plusieurs e´veˆques de l’e´poque qu’ils ont pu be´ne´ficier d’une biographie contemporaine, mais toˆ t disparue et appele´e a`eˆtre remplace´e par une re´e´criture carolingienne: Ursmer abbe´-e´veˆque de Lobbes († 713) dont une premie`re Vie me´trique a e´te´ apparemment compose´e par l’abbe´ de Lobbes Ermin (713–737)194, et les anciens moines de Fonte- nelle (plus tard Saint-Wandrille), Ansbert e´veˆque de Rouen († 693/699) et Vulfran de Sens († 695/696)195; pour les deux derniers existe chaque fois une hymne alphabe´tique en mode biographique (vita rythmica), dont une e´crite par un auteur d’origine cel- tique peut-eˆtre peu apre`s 700196.

191 Vita Amandi prima, BHL 332, CPL 2080; voir le bon re´sume´ du dossier dans Me´riaux, Gallia irradiata (voir n. 105), p. 347–348, et encore ibid., p. 63–64 et passim. 192 Vita Boniti ep. Arvernensis, BHL 1418, CPL 2091, voir Godding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxvi; Bonnet avait succe´de´a` son fre`re Avit comme e´veˆque sur simple de´signation de ce dernier: pris de remords, il de´missionna et resta des anne´es durant au monaste`re de Manlieu; apre`s un pe`lerinage a` Rome, il mourut a` Lyon, d’ou` l’e´veˆque de l’Auvergne Nordbert fit transfe´rer son corps par trois abbe´s dont Adelfe de Manlieu, cite´ dans le prologue de la Vie. On soulignera la bipartition de sa Vie en Vita et Transitus (sancti), les deux parties e´tant releve´es par des titres en onciales (explicit et incipit). 193 Vita Hucberti ep. Leodiensis, BHL 3993, CPL 2112, voir Godding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxxi. Pour la Vita Eucherii ep. Aurelianensis, BHL 2660, voir Jacques Le Maho, Autour de la renais- sance monastique du Xe sie`cle en Normandie. Les Vies des saints Aycadre et Hugues de Jumie`ges, dans: Martin Heinzelmann (dir.), Livrets, collections et textes. E´ tudes sur la tradition hagiogra- phique latine, Ostfildern 2006 (Beihefte der Francia, 63), p. 285–322, ici p. 311–314, qui propose comme auteur, Annon, abbe´ de Jumie`ges et de Micy (942/943–970); la datation de´taille´e du manuscrit principal de la Vie, ‘s-Gravenhage, Kon.Bibl., Museum Meermanno-Westreenianum 10 B 2 par Bischoff, Katalog (voir n. 117), vol. I, 1998, no 1441 dans le deuxie`me quart du IXe sie`cle, contredit cette datation tardive. 194 La re´e´criture: Vita Ursmari auctore Ansone ab. Lobiensi, BHL 8416; on a cru retrouver la Vie ancienne (me´trique) dans le Carmen, BHL 8425b, mais Wilhelm Levison l’a attribue´e a` He´riger de Lobbes, voir Alain Dierkens, La production hagiographique a` Lobbes au Xe sie`cle, dans: Revue be´ne´dictine 93 (1983), p. 246–247. 195 Vita Ansberti, BHL 520, cf. John Howe, The Hagiography of Saint-Wandrille (Fontenelle) (SHG VIII: Province of Haute-Normandie), dans: Heinzelmann (dir.), L’hagiographie du haut Moyen Aˆ ge (voir n. 179), p. 132–140, pour la Vita deperdita, ibid., p. 129–132; Vita Vulframni, BHL 8738, voir Howe, p. 154–159, pour la deperdita, ibid., p. 154; voir aussi Ste´phane Lebecq, Vulfran, Willibrord et la mission de Frise. Pour une relecture de la Vita Vulframni, dans: Michel Polfer (e´d.), L’e´vange´lisation des re´gions entre Meuse et Moselle et la fondation de l’abbaye d’Echternach (Ve–IXe sie`cle), Luxembourg 2000 (Publications du CLUDEM, 16), p. 428–451. 196 Pour l’hymne alphabe´tique de Vulfran, voir l’e´dition (d’apre`s le manuscrit de Saint-Omer, BM 765, de´but du XIe sie`cle), avec traduction et commentaire, de Franc¸ois Dolbeau, Une hymne 72 Martin Heinzelmann

On trouve un nombre assez important de textes compose´s, ou re´e´crits, au VIIIe sie`cle me´rovingien pour des e´veˆques morts depuis longtemps. Les raisons his- toriques du recours aux pontifes d’un passe´ lointain sont multiples et on rele`vera surtout, en ce qui concerne le choix de ces saints pre´lats du passe´, la plus grande disponibilite´ de leurs donne´es biographiques pour la pre´sentation de l’image me´diatique souhaite´e; qui plus est, il faut compter avec une raison ›technique‹, c’est- a`-dire la nouvelle habitude de toutes les institutions monastiques et eccle´siales de constituer re´gulie`rement de grands le´gendiers a` la place des livrets habituels plus modestes197 – un re´sultat de l’entre´e des textes me´rovingiens dans l’e´dition carolin- gienne e´tait fre´quemment la re´e´criture plus ou moins divergente de l’hypotexte me´ro- vingien198. C’est le cas de la Vita Remigii, que nous avons de´ja`e´voque´e, ou de la Vie de Germain d’Auxerre selon le manuscrit de Paris 12598, fortement abre´ge´e de la meˆme manie`re qu’une re´e´criture de la Vie de Germain de Paris par Fortunat dont une e´dition bre`ve est pre´sente´e aux alentours de 800 par le fameux codex Vindobonensis 420199. Ce manuscrit fut compose´, selon Maximilian Diesenberger, en grande partie comme un exemplier repre´sentatif de Vies d’e´veˆques de la »vieille Gaule« pour les besoins du nouveau me´tropolitain Arn de Salzbourg; y sont reproduits plusieurs textes que la recherche avait l’habitude d’attribuer au IXe sie`cle seulement et qu’il faut rajeunir de plusieurs ge´ne´rations: la deuxie`me Vie de saint Euverte d’Orle´ans, pre´- de´cesseur de saint Aignan au Ve sie`cle200, la Vie de Loup de Sens († 623) et l’e´trange ›Vie‹ de Simplice d’Autun († de´but du Ve sie`cle)201. Un autre le´gendier de l’e´poque, le manuscrit H55 de la bibliothe`que de la Faculte´ de me´decine de Montpellier, nous

ine´dite en l’honneur de saint Vulfran, dans: Livrets, collections et textes (voir n. 192), p. 225–284; l’e´diteur favorise vaguement une datation haute, de´but VIIIe sie`cle, contre les datations traditi- onnelles aux IXe et Xe sie`cles (p. 279–280) et renvoie (ibid., p. 232–233) au mode`le qu’e´tait le Hymnus de sancto Ansberto (BHL 523, e´dite´ par Wilhelm Levison, MGH, SRM V, p. 641–643). Voir aussi les Versus de Bobuleno abbate, un autre poe`me alphabe´tique, pour le successeur de Columban a` Bobbio, e´d. MGH, SRM IV, p. 153–156, qui se trouvent apre`s la Vita Columbani dans deux manuscrits du Xe sie`cle (Torino, BN F IV 26 et F IV 12) et que l’e´diteur Bruno Krusch renvoie »par conviction«, mais sans autres de´tails, a` l’e´poque carolingienne. 197 Voir Joseph-Claude Poulin, Les libelli dans l’e´dition hagiographique avant le XIIe sie`cle, dans: Livrets, collections et textes (voir n. 192), p. 15–193; pour les le´gendiers, cf. toujours Philippart, Les le´gendiers latins (voir n. 36). 198 Pour les questions de la re´e´criture, cf. supra p. 30. 199 Vita Germani Parisiensis, BHL3469, e´d. par Bruno Krusch dans MGH, SRM VII, p. 419–422. Pour le manuscrit Wien, Cvp 420, et l’exemple de la Vie de Germain d’Auxerre dans le BNF lat. 12598, texte non e´dite´, voir dans le pre´sent volume la contribution de Maximilian Diesen- berger. 200 Pour la Vita Evurtii, BHL 2799, voir Diesenberger, dans son article du pre´sent volume; dans le Wien, Cvp 420 se trouve aussi une Vita Aniani (BHL 473a) qui se distingue de BHL 473 par un emprunt a` Gre´goire de Tours (Hist. 2,7), ibid., avec n. 79. De la sorte, l’emploi, massif et excep- tionnel pour l’e´poque avant 800, de l’œuvre de Gre´goire paraıˆt eˆtre un signe particulier du manuscrit viennois (origine: Saint-Amand): la Vita Simplicii Agustidunensis, BHL 7787, est une reprise de GC 75, et la Vita Venantii abbatis, BHL 8526, correspond a` VP 16. 201 Vita Lupi, BHL 5083; pour la Vita Simplicii, BHL 7787, voir la note pre´ce´dente: le pre´sentateur du manuscrit de Vienne, Godefridus Vielhaber, De codice hagiographico C.R. Bibliothecae palatinae Vindobonensis lat. 420, dans: AnalBoll 26 (1907), p. 37, pense encore que Gre´goire a utilise´ la Vie de Simplice qui ne raconte, en fait, qu’un e´pisode illustrant – comme c’est le cas dans le recueil de Gre´goire – la chastete´ de l’e´veˆque. L’hagiographie me´rovingienne 73 offre un document sur un e´veˆque Melaine de Troyes sans ve´ritable consistance histo- rique; le re´cit paraıˆt plutoˆ t comme un paˆle reflet de cette Vie de Simplice d’Autun, en re´duisant le ›portrait‹ de l’e´veˆque au seul e´loge d’une parfaite chastete´, a` l’exemple d’un Melaine encore laı¨c converti par une sainte vierge dans la nuit de ses noces202. Au VIIIe sie`cle, probablement encore dans la premie`re moitie´, appartiennent la Vita primigenia de Samson de Dol e´crite par le Gallois He´noc sur le sol continental dont nous ne posse´dons que la re´e´criture du IXe sie`cle, mais aussi les Vies des saints Servais de Tongres (Servatius, † 384), Solein de Chartres (Sollemnis, † avant 511), Cassien d’Autun (IVe sie`cle) et, en Aquitaine, celles d’Ambroise de Cahors (550–570?) et de Front de Pe´rigueux (Ier sie`cle); mais la liste est sans doute tre`s incomple`te et demande un se´rieux re´examen203.

LES VIIe ET VIIIe SIE` CLES ME´ ROVINGIENS ET L’HAGIOGRAPHIE ASCE´ TIQUE ET MONASTIQUE

Parmi les e´veˆques du VIIe sie`cle, de´ja` un nombre tre`s important de pre´lats e´tait en rapport e´troit avec les mouvements monastiques de cette pe´riode. A` l’origine de ces mouvements, porte´s par la rencontre d’asce`tes irlandais et anglais et de la noblesse franque, autant que par les inte´reˆts de la royaute´ 204, l’on trouve effectivement des pre´lats comme Ouen de Rouen et ses amis, Amand de Maastricht ou encore la reine Bathilde. Quant aux autres asce`tes be´ne´ficiaires d’une e´criture hagiographique, il s’agit presque sans exception, a` coˆ te´ des saintes femmes issues de la noblesse, d’abbe´s et fondateurs de monaste`re, ce qui souligne la forte tendance de l’hagiographie me´- rovingienne a` favoriser la hie´rarchie eccle´siale, spe´cialement a` partir du VIIe sie`cle.

202 Pour Melaine de Troyes, voir supra, avec n. 118. La liste e´piscopale de Troyes connaıˆt effective- ment un Melanus comme cinquie`me e´veˆque, troisie`me pre´de´cesseur de saint Loup (426/427–478/479), cf. Louis Duchesne, Fastes e´piscopaux de l’ancienne Gaule, Paris 21910, p. 452–453; comme cette liste a existe´ au IXe sie`cle, elle a de´ja` pu eˆtre la source de la Vita Melanii au VIIIe sie`cle. 203 Pour la Vita Samsonis ep. Dolensis, voir surtout Joseph-Claude Poulin, La »Vie ancienne« de saint Samson de Dol comme re´e´criture (BHL 7478–7479), dans: AnalBoll 119 (2001), p. 261–312; Vita Servatii ep. Tungrensis, BHL 7613, avec un texte conc¸u – comme pour Simplice d’Autun et Aignan d’Orle´ans (cf. n. 200) – a` partir de l’œuvre de Gre´goire de Tours (le manuscrit le plus ancien est Paris, BNF lat. 12598 de la fin du VIIIe sie`cle); Vita Sollemnis ep. Carnutensis, BHL 7816, l’e´diteur Wilhelm Levison la date de la deuxie`me moitie´ du VIIIe sie`cle, ob sermonem nimis barbarum, MGH, SRM VII, p. 303; pour la Vita Cassiani, BHL 1630–1632, utilise´e e´ven- tuellement dans la Vie interpole´e de Germain d’Auxerre, il faut voir Van Egmond, Conversing with the Saints (voir n. 84), p. 117–118; pour sa langue, la Vita Ambrosii ep. Cadurcensis, BHL 369, est place´e »autour de 700« par Michel Banniard et Pierre Bonnassie, cf. Re´al, Vies des saints (voir n. 13), p. 49; pour la Vita Frontonis ep. Petragoricensis, BHL 3181t, c’est encore au meˆme crite`re que se re´fe`re son e´diteur Maurice Coens (La Vie ancienne de saint Front de Pe´rigueux, dans: AnalBoll 48 [1930], p. 324–360, ici p. 334): »sa langue la fait remonter un peut plus haut que le IXe sie`cle«. 204 Pour la part importante revenant a` la royaute´ me´rovingienne du VIIe sie`cle au sujet des fonda- tions de monaste`re avec les privile`ges respectifs, constat qui n’a rien en commun avec le sie`cle pre´ce´dant, voir Wood, The Vita Columbani (voir n. 99), p. 76–80. 74 Martin Heinzelmann

Pour les biographies d’e´veˆque, l’Italien Venance Fortunat avait joue´ un roˆ le de premier ordre – pour l’hagiographie monastique, mentionnons un autre Italien d’ori- gine, Jonas de Suse, dont l’œuvre principale peut revendiquer une place au moins comparable. Jonas entra en 616/617 au monaste`re de Bobbio, la fondation italienne de Colomban, passa avant 629 a` Luxeuil et re´digea de 638 a` 641 la Vita Columbani, plus tard les Vies de saint Vaast d’Arras et de l’abbe´-fondateur, Jean de Re´ome´; apre`s avoir passe´ un certain temps dans les services de la royaute´ me´rovingienne comme e´missaire de Bathilde et de Clotaire III, il devint finalement l’abbe´ d’un monaste`re, avant de mourir dans les anne´es 660205. Colomban († 615) e´tait le premier repre´sentant de la vague des Irlandais qui submergea le continent au VIIe sie`cle: vers 590/591, il passa avec douze compatriotes en Gaule ou` il e´rigea un monaste`re a` Annegray puis a` Luxeuil, pour partir en 612 en Italie, ou` il fonda Bobbio, a` la suite de conflits avec la reine Brunehaut et ses fils. La Vita s. Columbani discipulorumque eius Attalae, Eusta- sii, Burgundofarae et Bertulfi206 est compose´e de deux livres, avec une lettre de de´di- cace adresse´e aux deux abbe´s de Luxeuil et de Bobbio, suivie des capitula des vingt- neuf chapitres du premier livre, d’une pre´face au premier livre, de deux hymnes a` chanter par les moines le jour anniversaire du saint, des capitula et des vingt-cinq chapitres du deuxie`me livre. La structure et la forme des capitula rappellent les capitula des »Histoires« d’un Gre´goire de Tours ou des Dialogi du Gre´goire romain207, et leur se´rie dans le livre II, avec la suite de saints et de miracles, rapproche cette partie de la Vie de Colomban d’une historiographie sacre´e de toute une ge´ne´- ration d’asce`tes: les chapitres 1 a` 6 correspondent a` une Vie d’Attala, abbe´ de Bobbio († 625/626); les chapitres 7 a` 10 a` la contrepartie pour l’abbe´ de Luxeuil Eustase († 629); les chapitres 11 a` 22 racontent les miracles au monaste`re de Faremoutiers (dite aussi »Vie de Burgundofara«) avec la re´fe´rence a` toute une se´rie de saintes moniales y vivantes; le chapitre 23 pre´sente encore une autre Vie d’un l’abbe´ de Bobbio, Bertulfe († 638/639); et aux chapitres 24 et 25 suivent finalement deux mi- racles de punition contre des ennemis du monaste`re de Bobbio208.

205 Pour Jonas, voir Christian Rohr, Hagiographie als historische Quelle. Ereignisgeschichte und Wunderberichte in der Vita Columbani des Ionas von Bobbio, dans: Mitteilungen des Instituts für österreichische Geschichte 103 (1995), p. 229–264, ici p. 230–235. 206 Vita Columbani auct. Iona, BHL 1898, CPL 1115; dans son e´dition parue dans les MGH, Scrip- tores rerum germanicarum in usum scholarum, 1905, Krusch donne une liste de cent dix-huit manuscrits pour la Vie ou` manque le manuscrit Grand Se´minaire de Metz de la deuxie`me moitie´ du IXe sie`cle. Pour le contenu de la Vie, voir Wood, The Vita Columbani (voir n. 99); Rohr, Hagiographie (voir n. 204), et Berschin, Biographie und Epochenstil II (voir n. 11), p. 26–43. 207 La premie`re Vie hagiographique qui pre´sente une capitulatio paraıˆt eˆtre la Vita Severini (Se´verin de Norique) du de´but du VIe sie`cle par un autre Italien, Eugippe, mais on pensera plutoˆ t au mode`le des quatre livres de »Dialogues« de Gre´goire le Grand qui e´taient connus de Jonas, cf. Renate Vogeler, Jonas und die Dialogi Gregors des Großen, dans: Berschin, Biographie II (voir n. 11), p. 43–48. Voir, pour une typologie, Joseph-Claude Poulin, Un e´le´ment ne´glige´ de critique hagiographique. Les titres de chapitres, dans: E´ tienne Renard et al. (dir.), »Scribere sanctorum gesta«. Recueil d’e´tudes d’hagiographie me´die´vale offert a` Guy Philippart, Brepols 2005 (Hagiologia, 3), p. 309–342. 208 Vita Attalae, BHL 742; Vita Eustasii, BHL 2773; Vita Burgundofarae 1487–1489 (dans les titres des chapitres 11 a` 22, on rele`ve neuf noms de moniales cite´s); Vita Bertulfi, BHL 1311. L’hagiographie me´rovingienne 75

Davantage encore que les Vies des abbe´s du Jura ou des pe`res de Saint-Maurice d’Agaune, la Vita Columbani constitue un exemple d’une ve´ritable historiographie sainte prenant son e´lan a` partir d’un saint fondateur et re´pandant les vertus de la re`gle de vie d’un groupe d’e´lus, sans trop se soucier du culte de saint proprement dit209. Dans sa pre´face au premier livre, Jonas cite les traditions de ce groupe et re´fe`re aux columnae ecclesiarum Hilaire de Poitiers, Ambroise et Augustin, mais ensuite plus spe´cialement aux exemples du moine Antoine donne´s par Athanase, des ermites Paul et Hilarion par saint Je´roˆ me, de Martin de Tours par Sulpice Se´ve`re et Gall210. Les meˆmes Vies, auxquels il faut encore ajouter les Dialogi, repre´sentant la tradition de l’E´ glise d’une part et les ›spe´cialistes asce´tiques‹ de l’autre, se retrouvent en effet dans beaucoup de manuscrits anciens, comme dans le fameux codex Jurensis de Saint- Claude (VIIIe sie`cle?) dont nous ne posse´dons plus que la description de Baluze211. Si la lecture des grands ›classiques‹ de la litte´rature asce´tique a duˆeˆtre habituelle dans les monaste`res de la Gaule du VIIe sie`cle, selon le te´moignage d’une tradition abondante dans les le´gendiers212, il est surprenant de voir le nombre extreˆmement limite´ de manuscrits de la production hagiographique s’adressant aux saints du monde gallo-franc. A` partir de ce constat, on peut facilement conclure a` un taux tre`s important de textes perdus. De la sorte, une dernie`re œuvre de Jonas, la Vie de l’abbe´ de Re´ome´ Jean († ca 544) re´dige´e en 659, ne compte que deux manuscrits assez tardifs, c’est-a`-dire un de plus que la Vita et Passio de Germain, abbe´ de Grandval († 667), par Bobulenus dont il a de´ja`e´te´ question213. La premie`re e´dition de la Vita s. Galli vetus- tissima par un e´le`ve de Colomban, date´e de 680 environ selon Walter Berschin, n’est e´galement reproduite que sur un seul manuscrit, de surcroıˆt fragmentaire214; deux manuscrits existent pour la Vie la plus ancienne de l’ermite Riquier († ca 640) de la fin du VIIe sie`cle et, sous la forme d’un superbe libellus hagiographique me´rovingien il est vrai, un seul pour la biographie contemporaine du fondateur du monaste`re de Fontenelle, Wandrille (Wandregisilus, † 668), un noble franc, ami de l’e´veˆque Ouen de Rouen215. La Vie d’un autre noble, le Berrichon Siran (Sigiramnus, † VIIe sie`cle),

209 L’importance de la re´fe´rence a` la re`gle dans la Vita Columbani e´tait bien vue par Wood, The Vita Columbani (voir n. 99), p. 66–68, qui rele`ve encore justement l’absence de miracles posthumes. 210 Vita Columbani, I 1, Praefatio libri primi, e´dition des MGH, SS rer. Germ. in usum scholarum, p. 151–152. 211 Voir l’annexe du pe`re Bernard De Vregille de 2004 a` l’e´dition-traduction de Martine (voir n. 147), p. 534–535; pour la description du Jurensis, voir Paris, BNF Baluze 144, fol. 212v ou` l’on trouve toutes les Vies de saints que nous venons de citer. Pour l’absence des »Dialogues« dans la pre´face de Jonas, voir Vogeler, Jonas (voir n. 206). 212 Voir ce que nous avons dit plus en avant pour les textes des CLA, avec n. 32; voir encore deux exemples: la Vie de saint Antoine par Athanase (traduite par E´ vagre), BHL 609, compte 178 te´moins dans les catalogues des Bollandistes, a` partir du VIIIe sie`cle; la Vie de l’ermite Paul, BHL 6596, de Je´roˆ me va jusqu’a` 201 te´moins dont les plus anciens se trouvent dans Wien, Cvp 420 et Chartres, BM 16. 213 Vita Iohannis Reomaensis auct. Iona, BHL 4424, CPL 2113, avec les manuscrits de Paris, BNF lat. 5306 et 11748 (XIVe et Xe sie`cle); pour Germain de Grandval, voir p. 50, avec n. 102. 214 Vita Galli abb. in Alamannia, BHL 3245, Berschin, Biographie und Epochenstil II (voir n. 11), p. 94–99, qui pense a` un texte qui s’est forme´ en trois e´tapes: en 680, la Vie la plus ancienne (qui n’existe que fragmentairement), continue´e en 715/725 et e´largie apre`s 771 pour une e´dition s’adressant aux pe`lerins; le manuscrit est Zürich, Staatsarchiv C VI 9, II 8a du IXe sie`cle. 215 Vita Richarii abb. Centulensis, BHL 7245, CPL 2134, d’apre`s les manuscrits Avranches, BM 167 76 Martin Heinzelmann fondateur des monaste`res de Me´obecq et de Longoritus (Lonrey) pre`s de Bourges, n’est conserve´e que dans une version racionabiliter revue par un auteur carolingi- en216. Un seul manuscrit du Xe sie`cle porte encore la Vie de l’abbe´ Pardoux de Gue´ret (Pardulfus, † ca 737) dans le Limousin, e´crite avant 745 par un moine de son mona- ste`re, et deux manuscrits de Saint-Gall, du de´but du IXe et du IXe/Xe sie`cle, te´moi- gnent de la Vie d’un Alamannicus du nom de Lonoghylius (VIIe sie`cle), un preˆtre qui s’installa dans un monaste`re a` Buxiago (Saint-Longis, Sarthe) a` l’e´poque de Clo- taire II, et qui, dans sa biographie, est associe´a` la vierge Agnofle`de217. Enfin, nous ne manquerons pas de rappeler la re´apparition e´tonnante et isole´e d’une biographie d’un abbe´ du VIe sie`cle – a` la vie exemplaire il est vrai – dans le manuscrit commande´ par Arn de Salzbourg, a` la fin du VIIIe sie`cle, Vie de l’abbe´ Venant de Tours qui, a` l’origine, avait fait partie du cycle De vita patrum de Gre´goire de Tours218. D’autres textes de moines-asce`tes disposent d’une tradition manuscrite plus im- portante. La Vie de l’Irlandais Fursy (Furseus, † 648/650), abbe´ du monaste`re de Lagny dont il e´tait le fondateur en commun avec le maire du palais Erchinoald qui, a` sa mort, lui pre´para des fune´railles a` Pe´ronne (Peronna Scottorum)219, en est un

(XIIIe sie`cle) et Wien, Cvp 420 (VIIIe/IXe sie`cle), voir Michel Banniard, Les deux Vies de saint Riquier. Du latin me´diatique au latin hie´ratique, dans: Me´die´vales 25 (1993), p. 45–52, et Me´riaux, Gallia irradiata (voir n. 105), p. 365; Vita Wandregisili abb. Fontanellensis, BHL 8804, CPL 2146, Paris, BNF lat. 18315 (premie`re moitie´ du VIIIe sie`cle), voir Howe, The Hagiography of Saint-Wandrille (voir n. 193), p. 161–166; Thomas Bauer, Wandregisel, dans: Biographisch- bibliographisches Kirchenlexikon 13, 1998, p. 321–328 (http://www.bautz.de/bbkl/w/wandre- gisel.shtm); pour le livret voir Poulin, Les libelli (voir n. 195), p. 158–159. 216 Vita Sigiranni abb. Longoretensis, BHL 7715, voir de Laugardie`re,E´ glise de Bourges (voir n. 183), p. 179–187; le manuscrit est Bruxelles, BR 8550–51, 1re moitie´ du XIe sie`cle. Le saint a duˆ mourir a` l’e´poque du roi Clovis II (639–657) ou Clovis III (691–695), voir: Vies de saints et des bienheureux, vol. XII, Paris 1956, p. 136–142. Pour les principes de sa re´e´criture, l’auteur s’ex- plique dans sa pre´face, MGH, SRM IV, p. 606: vita beati huius Sigiranni iam dudum eius in monasterio descripta habere videretur, et haec tam vicio scriptoris quam primi etiam inhercia tractatoris nimis esset absurda valdeque depravata ... emendandam suscepi, et surtout: Sed, ut beatus ait Hieronimus, nil profuit emendare vel corrigere, nisi in conscribendo aut recitando, quod racionabiliter insitum est, omnimodis conservetur. 217 Vita Pardulphi abb. Waractensis, BHL 6459, CPL 2130; voir Van Acker, Vt qviqve rustici (voir n. 105), p. 183–204. Le manuscrit est Paris, BNF lat. 5240. Vita Lonochilii presb. Buxiacensis et Agnofledae virginis, BHL 4966; les deux manuscrits: Saint-Gall, cod. 567 (la Vie se trouve sur un libellus plie´e´crit dans une e´criture caroline qui n’est pas de Saint-Gall) et cod. 577, du IXe/Xe sie`cle, voir: Beat Matthias von Scarpatetti, Die Handschriften der Stiftsbibliothek St. Gallen, vol. 1, Wiesbaden 2003, p. 65–69 et p. 90–96; pour Saint-Gall 567, voir spe´cialement Joseph-Claude Poulin, La Conversio s. Lucii de Saint-Gall. Un libellus hagiographique dans son contexte europe´en, dans: Heidi Eisenhut et al. (dir.), Schrift, Schriftgebrauch und Textsorten im frühmittelalterlichen Churrätien, Basel 2008, p. 41–64. 218 Pour la Vita Venantii (= VP 16) du manuscrit Wien, Cvp 420, voir supra n. 200; la carrie`re exemplaire du saint qui e´tait Venant, renonc¸ant a` un mariage, correspond sans doute a` un mode`le eccle´sial d’Arn, comme Max Diesenberger le montre dans sa communication. Les deux Vies des e´veˆques Allyre (Illidius, † 384) et Gall († 551), correspondant aux vitae compose´e par Gre´goire de Tours dans VP 2 et 6, sont cite´es, sans le nom de leur auteur, dans le prologue de la Vita Boniti compose´e peu apre`s 711, cf. MGH, SRM VI, p. 119. 219 Vita Fursei abb. Latiniacensis, BHL 3209/3210, CPL 2101, l’e´dition de Maria Pia Ciccarese, dans: Romanobarbarica 8 (1984–1985), p. 279–303; BHL 3209/3210 compte plus de cent manu- scrits, dont le plus ancien semble London, Harley 5041, VIIIe/IXe sie`cle. Voir Fouracre,Ger- L’hagiographie me´rovingienne 77 exemple; rappelons aussi le cas du fre`re de Fursy, Foillanus, dont le meurtre fut raconte´ dans l’Additamentum Nivialense de obitu et sepultura sancti Foillani. La part la plus substantielle de la biographie de Fursy, re´dige´e bientoˆ t apre`s sa mort, est le re´cit des visions du monde de l’au-dela` dont lui-meˆme avait fait l’expe´rience, ce qui a pu valoir a` la Vie une tradition manuscrite qui associait la biographie a` d’autres Visions du haut Moyen Aˆ ge. Au nombre de ces dernie`res, il faut compter la Visio ou Revelatio Baronti, vision d’un moine du monaste`re Saint-Pierre de Longoritus – fonde´ par saint Siran – et fixe´e aussitoˆ t apre`s par e´crit en 678/679220; le document, s’adressant aux moines, paraıˆt avoir un but primordialement didactique par ses forts accents mis sur les moyens de la pe´nitence et de la charite´ pour s’e´chapper des griffes du de´mon. Contrairement a` une opinion trop re´pandue, ces Visions ne constituent point une ve´ritable nouveaute´ de´butant au VIIe sie`cle, meˆme si c’est a` cette pe´riode qu’on peut constater un regain certain du ›genre‹ qui est e´troitement associe´ au contexte mona- stique de l’e´poque, spe´cialement aux monaste`res de femmes. A` l’origine de ce regain, il y eut le roˆ le essentiel joue´ par les »Dialogues« de Gre´goire le Grand, mais aussi la Vita Columbani avec les visions des moniales de Faremoutiers (livre II, 11–22), qui pre´sentaient des mode`les en actualisant des arche´types anciens de cette litte´ra- ture221. Aux sie`cles pre´ce´dents, il existait effectivement des Visions de l’Antiquite´ tardive, traduites du grec, qui avaient re´ussi une entre´e dans le monde latin, ce qui est le cas de la Visio ou Ascensio Isaiae ou de la Visio Pauli – de celle-ci, on connaıˆt meˆme au moins une version a` laquelle on peut attribuer une origine me´rovingienne222. Au VIe sie`cle, se retrouvent plusieurs re´cits de vision dans l’œuvre de Gre´goire de Tours dont les plus ce´le`bres sont ceux de l’e´veˆque saint Sauve d’Albi; mais, en tant qu’œuvre autonome, il faut surtout citer la Revelatio Corcodemi seu conversio Mamertini, compose´e avant 592/593 pour un public monastique d’Auxerre auquel la saintete´ hie´rarchique de l’e´glise e´piscopale auxerroise fut exemplairement re´ve´le´e par une vision concernant les saints e´veˆques fondateurs de l’e´glise223. Au VIIe sie`cle, on ne

berding, Late Merovingian France (voir n. 101), p. 100–104, 315–316 et Berschin, Biographie II (voir n. 11), p. 104–109. 220 Visio Baronti, BHL 997, CPL 1313; voir Berschin, Biographie II (voir n. 11), p. 107; Yitzhak Hen, The Structure and Aims of the Visio Baronti, dans: Journal of Theological Studies NS 47 (1996), p. 477–497; Lawrence Nees, The Illustrated Manuscript of the Visio Baronti [Revelatio Baronti] in St. Petersburg (Russian National Library, cod.lat. oct.v.I.5), dans: Catherine Cubitt (dir.), Court Culture in the Early Middle Ages, Brepols 2003 (Studies in the Early Middle Ages, 3), p. 91–128. 221 Pour les visions, voir Berschin, Biographie II (voir n. 11), p. 108–109, et Van Egmond, Con- versing with the Saints (voir n. 84), p. 102–104, qui cite entre autres les publications les plus importantes a` ce sujet comme les livres de Peter Dinzelbacher (1981), Claude Carozzi (1994) et d’Isabel Moreira (2000); voir encore Hen, The Structure (voir 220), p. 477 n. 2, pour d’autres titres encore. 222 Cf. Heinzelmann, Gre´goire de Tours (voir n. 20), p. 171 n. 70, pour la version R VI de la Visio Pauli. 223 Les visions de Salvius d’Albi, Hist. 5,50 et surtout 7,1, disposent d’une tradition manuscrite inde´pendante des »Histoires«, a` part, voir Bourgain,Heinzelmann, Diffusion des manuscrits (voir n. 166), p. 310 n. 134; pour la Revelatio, voir supra, avec n. 85, et Van Egmond, Conversing with the Saints (voir n. 84), p. 97–107. 78 Martin Heinzelmann compte plus les visions raconte´es dans n’importe quel document hagiographique, mais on rele`vera un Liber visionum, recueil de visions de sainte Aldegonde, compose´ par l’abbe´ de Nivelles Subnius du vivant de la sainte dans les anne´es 680224. Pour revenir aux Vies des asce`tes du VIIe sie`cle, il faut encore enregistrer les trois Vies romarimontaines qui n’ont constitue´ que tre`s tardivement l’ensemble des Vitae abbatum Habendensium. Il s’agit des Vies des trois premiers abbe´s de Remiremont, monaste`re fonde´ par Ame´ († ca 620), ancien moine de Luxeuil et premier abbe´, fondateur en commun avec le noble converti Romaric († 653?), deuxie`me abbe´ et ami de saint Arnoul de Metz qui, quant a` lui, vivait de`s 629 dans une retraite pre`s de Remiremont. Le troisie`me abbe´ fut Adelphe († ca 670) dont la Vie ne correspond qu’a` un re´cit des derniers moments du saint225. Les trois textes semblent avoir e´te´ com- pose´s apre`s 673, e´ventuellement par un meˆme auteur a` ne pas confondre avec l’auteur de la Vie d’Arnoul de Metz dont le texte servait pourtant de mode`le pour les vitae des trois abbe´s romarimontains. Le fondateur de monaste`res hors pair que fut l’Aquitain Philibert (ou Filibert, † 685), compagnon de saint Ouen a` la cour de Dagobert, a` l’origine des e´tablissements monastiques de Jumie`ges, Noirmoutier, Pavilly et Mon- tivilliers, be´ne´ficia d’une Vie; les deux prologues de sa Vie pre´sentent l’abbe´ Coschi- nus de Jumie`ges (687–724) comme commanditaire, mais la recherche semble unanime dans le jugement que le texte dont nous disposons ne peut pas eˆtre ante´rieur a` 750, et constitue de ce fait tre`s probablement une premie`re re´e´criture226.

LES VIES DE SAINTES FEMMES AUX VIIe ET VIIIe SIE` CLES

L’accroissement du nombre des biographies de femmes au VIIe sie`cle – paralle`lement a` la re´surgence massive de Passions de femmes martyres de l’Antiquite´ dans les passionnaires-le´gendiers les plus anciens227 – est une donne´e caracte´ristique de l’-

224 Le Liber visionum est mentionne´ dans la Vita Aldegundae, BHL 244 (e´dition abre´ge´e dans les MGH, SRM VI, p. 79–90, comple`te dans les AASS OSB II, p. 807–815); voir Anne-Marie Hel- ve´tius, Sainte Aldegonde et les origines du monaste`re de Maubeuge, dans: Revue du Nord 74 (1992), p. 221–237, qui date le texte avec de bonnes raisons du de´but du VIIIe sie`cle. 225 Vita Amati, BHL 358; Vita Romarici, BHL 7322; Vita Adelphii, BHL 73, voir Goullet, Les saints du dioce`se de Toul (voir n. 179), p. 51–56, 56–61, 62–66, et p. 42–51 pour l’histoire de la recherche des trois textes; la tradition manuscrite, presque exclusivement lotharingienne et ne commenc¸ant qu’au XIe sie`cle, est assez tardive: cinq manuscrits ont les trois textes en commun, huit autres pour la Vita Amati seule, un autre pour la Vita Romarici sans les autres Vies. 226 Vita Filiberti, BHL 6805/6806, e´d. Wilhelm Levison, MGH, SRM V, p. 568–583 (introduction), p. 583–606 (e´dition); voir Berschin, Biographie II (voir n. 11), p. 102–103, John Howe, The Hagiography of Jumie`ges (Province of Haute-Normandie) [SHG VII], dans: L’hagiographie du haut Moyen Aˆ ge en Gaule du Nord (voir n. 179), p. 116–117; cf. aussi Delphine Planavergne, De Jumie`ges a` Tournus. Me´moire et culte de saint Philibert, dans: Claude Carozzi, Huguette Taviani-Carozzi (dir.), Faire me´moire. Souvenir et comme´moration au Moyen Aˆ ge, Aix-en- Provence 1999, p. 277–298. La Vita Agili abbatis, BHL 148, abbe´ de Rebais († ca 650), fondation de saint Ouen, serait du VIIe sie`cle selon Re´al, Vies des saints (voir n. 13), p. 48; mais voir plutoˆt Godding, Preˆtres (voir n. 13), p. xxii, qui renvoie aux emprunts pris de la Vita Filiberti et de la troisie`me Vie de saint Ouen (BHL 753). 227 Voir, entre autres, trois exemples types (nos exemples ne comprennent pas toutes les femmes L’hagiographie me´rovingienne 79 hagiographie me´rovingienne. Apre`s l’e´dition exceptionnelle de la Vie de Genevie`ve, au de´but du VIe sie`cle, puis des deux livres sur la Vie de la moniale-reine Radegonde, par Venance Fortunat, et la moniale Baudonivie, a` la fin du VIe et au de´but du VIIe sie`cle, on retrouve un certain prolongement de l’hagiographie fe´minine dans le livre II de la Vita Columbani, dont les chapitres 11 a` 22 sont pre´sente´s sous le titre Liber de virtutibus in Eboriacensi monasterio factis ou encore Vita Burgundofarae (seu Farae)228. Inspire´ par Colomban lui-meˆme, la noble Burgundofara († ca 657), dont la famille, bien implante´e dans le dioce`se de Meaux, e´tait lie´e a` celle de saint Ouen, avait fonde´ le monaste`re d’Evoriacum (Faremoutiers); les douze chapitres de la Vita Columbani racontent, peut-eˆtre a` l’exemple d’histoires des moniales de Sainte Croix a` Poitiers narre´es par Gre´goire de Tours229, les e´ve´nements merveilleux qui se manifeste`rent autour des moniales de Faremoutiers en pre´sence de leur sainte me`re abbesse, morte longtemps apre`s la re´daction de la Vie de Colomban. La forme bio- graphique est davantage respecte´e dans la Vita Rusticulae, dont il a de´ja`e´te´ question plus haut, et qui raconte au milieu du VIIe sie`cle la Vie d’une abbesse a` Arles230. C’est dans le dernier tiers du VIIe sie`cle que les monuments les plus importants du ›genre‹ furent conc¸us, avec les Vies de trois femmes de la premie`re noblesse, toutes les trois significativement abbesses ou »me`re« d’un monaste`re fonde´ par leur propre famille: la premie`re, austrasienne, la vierge Gertrude, abbesse a` Nivelles comme Sala- berge a` Laon, enfin la mater d’un monaste`re dans l’Albigeois, Se´gole`ne. Parmi ces trois documents, le premier, re´dige´ par un Irlandais du monaste`re de Nivelles a` peu pre`s vers 670, pre´sente une biographie qui va au-dela` de la seule vie de Gertrude († 659)231, fille du maire du palais, Pe´pin l’Ancien, premie`re abbesse de Nivelles, car toute une famille s’y retrouve ›sanctifie´e‹232: le phe´nome`ne concerne la me`re Itta

martyres des trois manuscrits): München, Clm 4554, fin VIIIe sie`cle, enchaıˆnant a` la fin le groupe des Passions des saintes: Lucia, Caecilia, Juliana, Agatha, Agnes, Cirycus et Julitta; Turino, cod. D. V. 3, fin VIIIe sie`cle, avec Agatha, Lucia, Luceia, Agnes, Eufraxia, Eulalia, Christina, Cyricus et Iulitta, Theodosia, Iuliana, Eufemia, etc.; Montpellier, BU Me´d. H55, VIIIe/IXe sie`cle, avec Agatha, Lucia, Eufemia, Eufraxia, Caecilia, Afra, Eugenia, Luceia, etc. 228 Voir supra p. 74, avec n. 208. Pour le VIe sie`cle, il y a encore la Vita Monegundis (BHL 5995), recluse a` Tours apre`s avoir e´te´ me`re de famille, contemporaine de l’e´veˆque Gre´goire; le texte constitue la dix-neuvie`me Vie du cycle De vita patrum (VP) de cet auteur. 229 Voir, tout spe´cialement, Hist. 6, 29 (De puellis monasterii Pictavensis), avec l’histoire de la moniale Disciola et la vision d’une de ses consœurs, en pre´sence de sainte Radegonde; le chapitre des »Histoires« existait en tant que re´cit autonome au plus tard au Xe sie`cle, voir les manuscrits de Reims, BM 296 et Paris, BNF lat. 5275. Pour ce re´cit, voir Christiane Veyrard-Cosme, Le rire du saint. E´ tude de la mort de sainte Disciole, dans: Philippe Heuze´, Christiane Veyrard-Cosme (dir.), La beaute´ du rire. Actes du colloque international organise´a` l’universite´ Paris III en 2007 (sous presse). 230 Cf. n. 140. 231 Vita prima Geretrudis, BHL 3490, CPL 2109; Virtutes, BHL 3495; la Vie de Gertrude et l’Ad- ditamentum Nivialense de obitu et sepultura s. Foillani, BHL 3211, CPL 2102, en traduction: Fouracre,Gerberding, Late Merovingian France (voir n. 101), p. 319–329, commentaire, ibid., p. 301–319. Voir encore Eveline Petraschka, Fränkischer Adel und irische Peregrini im 7. Jahrhundert. Die Vita der hl. Geretrude von Nivelles. Ein Zeugnis des hagiographischen Kreises um den Iren Foillan, Francfort/M. et al. 1999. 232 Voir la phrase du prologue de la Vie, en guise de devise: quisnam in Euruppa habitans huius progenie altitudinem nomina ignorat et loca?, MGH, SRM II, p. 454. 80 Martin Heinzelmann

(Iduberga) beatae memoriae, veuve de Pe´pin et fondatrice du monaste`re de Nivelles avec l’aide de saint Amand; ensuite sa fille et premie`re abbesse Gertrude; et troisie`- mement la propre nie`ce de Gertrude, deuxie`me abbesse, la sacrata puella Vulfetrudis– les difficulte´s de cette dernie`re pour de´fendre Nivelles contre les envies de rois, reines et e´veˆques donnent la mesure de l’enjeu politique pour la famille de Gertrude secoue´e par le ce´le`bre coup d’E´ tat manque´ de son fre`re Grimoald en 657, pe`re de Vulfe- trude233. Par un autre auteur furent ajoute´es en 695/700 les Virtutes quae facta sunt post discessum beate Geretrudis abbatisse, succe´dant dans la tradition manuscrite chaque fois a` la Vie. Avec Begga, sœur de Gertrude et fondatrice du monaste`re d’Andenne, est encore une fois pre´sente´ un membre supple´mentaire de la famille carolingienne, dans la re´gion de ses origines. D’une famille a` peine moins importante, possessionne´e dans la re´gion des environs de Luxeuil, Salaberge († 671/678) fut marie´e une premie`re fois contre son gre´, une deuxie`me fois sur ordre du roi Dagobert – sur un ordre identique du meˆme roi, Gertrude s’e´tait encore re´volte´e expresse´ment – et eut cinq enfants; apre`s seulement, elle construisit le monaste`re Sainte-Marie-Saint-Jean de Laon. Sa Vie, qui s’inspire tre`s largement de la Vita Columbani, fut compose´e en 680 environ par un membre de son abbaye qui, selon Walter Berschin, a pu eˆtre le preˆtre et pre´pose´ Italus mentionne´ deux fois dans le texte234. La commanditaire de la Vie e´tait ainsi tre`s vraisemblable- ment la propre fille de Salaberge qui lui succe´da dans le gouvernement du monaste`re, l’abbesse Anstrude († 710?) dont nous ne posse´dons qu’une re´e´criture du IXe sie`cle de la Vie, compose´e sans doute sous le principat de Charles Martel235. Quant a` la sainte et noble Se´gole`ne de Troclar († VIIe med.?)236, elle fut diaconesse apre`s la mort de son mari et vivait dans la fondation monastique que son pe`re avait e´tablie sur le domaine familial, Troclar, en tant que »pre´pose´e« d’une communaute´ de moniales237; la re´daction de sa biographie est caracte´rise´e par de multiples emprunts

233 Vita Geretrudis, 6, MGH, SRM II, p. 460: contigit autem ex odio paterno, ut reges, reginae, etiam sacerdotes per invidiam diabuli illam [scil. Vulfetrudem] de suo loco [scil. Nivelles] ... vellent per vim trahere; pour un commentaire cf. Fouracre,Gerberding, Late Merovingian France (voir n. 101), p. 310. Les dates de la chute du maire du palais Grimoald († 657?, 661/662?) et de son fils sont matie`re a` controverses, voir Geary, Before France and Germany (voir n. 172), p. 190–192. 234 Vita Sadalbergae abb. Laudunensis, BHL 7463; voir surtout Michelle Gaillard, Les saints de l’abbaye Sainte-Marie-Saint-Jean de Laon (SHG XI), dans: Miracles, Vies et re´e´critures (voir n. 45), p. 319–337, ici p. 321–328; cf. aussi Hans Hummer, Die merowingische Herkunft der Vita Sadalbergae, dans: Deutsches Archiv 59 (2003), p. 459–493. Berschin, Biographie II (voir n. 11), p. 24–25, souligne a` raison les deux citations du presbiter et prepositus Italus, vir Dei: au chapitre 21, comme te´moin d’un miracle, et au chapitre 29, ou` la sainte demande au preˆtre l’of- ficium funeris pour elle-meˆme. 235 Vita Anstrudis (seu Austrudis), BHL 556; voir Gaillard (voir n. 234), p. 328–335. 236 Vita Segolenae, BHL 7570; voir Re´al, Vies des saints (voir n. 13) et Id., Vie et Vita de sainte Se´gole`ne, abbesse de Troclar au VIIe sie`cle, dans: Le Moyen Aˆ ge 101 (1995), p. 385–406. On remarquera que la Vie de Se´gole`ne n’e´tait pas reprise dans les MGH, SRM, malgre´ le travail remarquable fourni par Wilhelm Levison pour identifier ses sources (dans: Neues Archiv 35 [1909], p. 219–231); selon le manuel du Wattenbach-Levison, Deutschlands Geschichtsquel- len (voir n. 9), p. 120, avec n. 276, l’ampleur des emprunts dans la Vie porterait pre´judice a` la fiabilite´ de la source, ce qui a pu eˆtre une raison de sa mise a` l’e´cart dans les MGH, malgre´ le constat de son anciennete´! 237 Se´gole`ne n’est jamais de´signe´e du titre d’abbesse, mais deux fois de mater (la deuxie`me fois: alma L’hagiographie me´rovingienne 81 combine´s a` la manie`re d’un centon et se situe entre 642 (emprunts de la Vita Colum- bani) et la fin du VIIe sie`cle (emprunts pris de sa Vie, par l’auteur de la Vita Wand- regisili). La` encore, c’est toute une famille dont la haute position sociale est expres- se´ment souligne´e, la gloire e´tant re´partie entre la sainte, son pe`re fondateur de monaste`re, et ses trois nobles fre`res qui sont respectivement abbe´, duc et e´veˆque. La Vita Domnae Balthildis, Vie de la reine Bathilde, fut re´dige´ea` peu pre`s au de´but des anne´es 680 dans la tradition d’une biographie de reine, comme l’e´tait la Vita Radegundis sur laquelle elle s’appuie fortement238. Elle dessine une femme d’origine peut-eˆtre royale, mais venue comme esclave d’Angleterre, marie´e au roi Clovis II (639–657), me`re de trois fils, reine et finalement re´gente (657–664/665) s’appuyant sur E´ broin, saint Ouen et d’autres, entreprenant une importante re´forme eccle´sias- tique, entre autres avec l’introduction de la re`gle de Luxeuil dans les grandes e´glises du royaume. Apre`s avoir fonde´ les monaste`res de Corbie et de Chelles, elle fut pousse´e a` une retraite force´e dans le monaste`re de femmes de Chelles ou` paraıˆt avoir e´crit l’auteur de sa biographie. De manie`re notable, la Vie ne connaıˆt aucun miracle in vita, et un seul apre`s sa mort en 680/681; elle ne parle pas non plus du maire du palais, E´ broin, qui e´tait sans doute responsable de son renversement. Pour la fondation de Chelles, Bathilde avait demande´ des moniales de Jouarre, le monaste`re de saint Ouen, et c’est la` qu’elle trouva e´galement l’abbesse Bertille qui devait diriger Chelles de 659 a` 705/713; sa Vie correspond a` une e´dition carolingienne de 800 environ d’une pre- mie`re biographie me´rovingienne239. La Vita Aldegundis ou mieux Aldegundae, premie`re abbesse et fondatrice de Mau- beuge († 684), e´crite au de´but du VIIIe sie`cle240, est en parfaite conformite´ avec la tradition de l’e´loge, implicite ou explicite, de la gloire d’une grande famille a` l’exem- ple des biographies de Gertrude, Se´gole`ne ou Salaberge, quand elle pre´sente fie`re- ment la position sociale des parents de la sainte et de deux oncles au de´but de la Vie241; plus haut, nous avons de´ja` cite´ le Liber visionum compose´ par l’abbe´ Subnius de Nivelles, visions de la sainte reprises par sa Vie, mais franchement e´carte´es par les e´diteurs de la se´rie des SRM. D’une famille de la noblesse se´natoriale (clarissimis parentibus ... nobilitate senatoria florentibus) se re´clame la »femme illustrissime« Eustadiole de Bourges († ca 690?) qui, apre`s avoir e´te´ marie´e et me`re d’un fils, fonda un monaste`re dans le Berry; sa Vie, compose´e environ en 725, est transmise par un

mater); le ve´ritable maıˆtre du monaste`re (peut-eˆtre un double monaste`re?) a pu eˆtre un de ses fre`res, l’abbe´ Gisloaldus ou l’e´veˆque Sigibaldus. 238 Vita Balthildis reginae, BHL 905, CPL 2090; voir Jacques Dubois, Sainte Bathilde, dans: Paris et Iˆle-de-France 32 (1981), p. 13–30; Berschin, Biographie II (voir n. 11), p. 21–23; Fouracre, Gerberding, Late Merovingian France (voir n. 101), p. 97–118, et une traduction anglaise ibid., p. 118–132. 239 Vita Bertilae abbatissae Kalensis, BHL 1287; cf. Berschin, Biographie II (voir n. 11), p. 23–24. 240 Vita Aldegundae prima, BHL 244 (l’e´dition de Wilhelm Levison dans les MGH, SRM VI e´tant incomple`te, il faut encore recourir aux AASS des Be´ne´dictins); voir Re´al, Vies des saints (voir n. 13), p. 46–47, et surtout Helve´tius, Sainte Aldegonde (voir n. 224). La fondation du mona- ste`re de Maubeuge peut eˆtre de´duite d’autres sources, mais elle n’est pas mentionne´e dans la Vie la plus ancienne de la sainte. 241 Voir Vita Aldegundae, 2, MGH, SRM VI, p. 86: quapropter propinquitatem ipsius strictim bre- viterque praenotavimus. 82 Martin Heinzelmann seul manuscrit, disparu entre-temps de surcroıˆt242. Enfin, la Vie de la premie`re abbesse de Pavilly (non loin de Jumie`ges), Austreberte († 704?), qui n’a toujours pas fait l’objet d’une e´dition comple`te, pourrait remonter au milieu du VIIIe sie`cle243. Pour finir, rappelons la Vie de´ja` mentionne´e du VIIIe sie`cle pour le preˆtre Lonoghylius, vivant au VIIe sie`cle dans le Maine, auquel une vierge du nom d’Agnofle`de fut asso- cie´e; cette double Vie pourrait pre´ce´der de peu une nouvelle version de la Vie de sainte Genevie`ve de Paris, datant de la premie`re moitie´ du VIIIe sie`cle, plus concise que son mode`le du de´but de l’e´poque me´rovingienne et transmise surtout par des manuscrits de pays germaniques des VIIIe et IXe sie`cles244.

Un panorama n’appelle pas ve´ritablement de conclusion. Il n’en donne pas moins, nous l’espe´rons, une ide´e de l’e´volution conside´rable dont te´moigne l’e´criture de la saintete´ et de la construction hagiologique et historiographique d’un passe´ eccle´sial a` l’e´poque me´rovingienne. Elle empruntait, d’une part, aux traditions litte´raires he´ri- te´es de l’Antiquite´, repre´sente´es e´galement par l’importante reprise de quelques œu- vres traditionnelles du monde latin (une se´rie de Passions de martyrs e´trangers, non- gaulois, et quelques Vies d’asce`tes), et, d’autre part, a` une nouvelle volonte´ cre´atrice des e´glises et de leurs auteurs, spe´cialement depuis la fin du VIe sie`cle. C’est a` partir du re`gne de Clotaire II que l’influence de la royaute´ chre´tienne, coope´rant avec une noblesse fondatrice de monaste`res et be´ne´ficiant pleinement des institutions eccle´- siales tre`s hie´rarchise´es, restera constamment apparente dans la documentation hagiographique des ge´ne´rations subse´quentes. Quant a` l’impact de ces sources, on doit souligner le nombre difficilement calculable de ces œuvres, surtout en ce qui concerne les VIIe et VIIIe sie`cles: le chiffre important des documents transmis par un seul ou par peu de manuscrits, la part e´crasante des copies tardives et des re´e´critures post-me´rovingiennes e´videntes laisse meˆme supposer qu’une partie conside´rable voi- re majoritaire de la production originale de textes hagiographiques me´rovingiens a pu disparaıˆtre depuis longtemps. Ce qui ne nous dispense point de formuler, et refor- muler, les crite`res qui permettent de reconnaıˆtre – et si possible reconstituer – la documentation hagiographique me´rovingienne, indispensable a` la connaissance de cette pe´riode, afin de proposer d’autres panoramas, plus complets et plus de´taille´s encore245.

242 Vita Eustadiolae abbatissae Bituricensis, BHL 2772; le manuscrit de la colle´giale de Monter- moyen a e´te´ publie´ par Philippe Labbe´ dont l’e´dition fut reprise par les AASS des Bollandistes. Voir Re´al, Vies des saints (voir n. 13), p. 47, et surtout de Laugardie`re,E´ glise de Bourges (voir n. 182), p. 175–179. 243 Vita Austrebertae abbatissae, BHL 831; voir Howe, Hagiography de Jumie`ges (voir n. 224), p. 108–112, p. 108 pour les Miracles, BHL 834/835. Pour les prologues de cette Vie (BHL 831: 2 prologues; BHL 832) avec e´dition, voir dans ce volume la contribution de Franc¸ois Dolbeau, annexe II. 244 Pour la Vita Lonochilii (et Agnofledae), voir n. 217. Pour la version C de la Vie de Genevie`ve, BHL 3336, Joseph-Claude Poulin, dans: Heinzelmann,Poulin, Les Vies anciennes (voir n. 75), p. 155–163; voir aussi supra n. 180, a` propos de la Vie interpole´e de Germain d’Auxerre qui paraıˆt utiliser une version interme´diaire de la Vie de Genevie`ve qui n’est pas re´pertorie´e, plus proche de la re´e´criture C que de A. 245 Mon manuscrit a e´te´ relu par Christiane Veyrard-Cosme et Laurent Tournier que je tiens a` remercier tre`s cordialement; les fautes e´ventuelles restent e´videmment les miennes. MICHEL BANNIARD

Les textes me´rovingiens hagiographiques et la lingua romana rustica

I. ME´ THODE D’ANALYSE ET E´ LE´ MENTS DE COMPARAISON

Le but de cette contribution est de conside´rer de plus pre`s un caracte`re bien connu globalement, mais rarement e´tudie´ de pre`s: la plasticite´ langagie`re du latin des textes hagiographiques me´rovingiens. Dans le cadre d’une communication ne´cessairement bre`ve pour un sujet si vaste, se limiter a` un minimum de conside´rations s’impose. On s’est de´ja` beaucoup interroge´ sur les corre´lations entre les de´clarations sur les niveaux de langue choisis (meˆme pre´tendument) par les re´dacteurs/auteurs et la re´alite´ de leur re´alisation dans les textes. Ces enqueˆtes ont donne´ d’importants re´sultats sans bien suˆre´puiser la question. Les corre´lations sont souvent re´elles, mais leur interpre´tation requiert des mises en contexte complexes1. De plus, la lecture en continu de ces documents permet d’y de´tecter des changements de niveau qui ne se laissent pas souvent re´duire a` une opposition binaire du type niveau e´leve´/niveau bas. Les fluc- tuations des niveaux de langue et, corre´lativement, de registre stylistique, sont plus amples que ce qu’une description re´ductrice de ces œuvres donnerait a` penser. En ce sens, le latin hagiographique me´rovingien appartient non seulement a` l’histoire cul- turelle, mais aussi a` l’histoire litte´raire. Ce serait d’ailleurs inte´ressant de s’attarder a` e´tudier les moments ou` certaines œuvres atteignent un assez joli niveau de style et de langue, a` commencer par Gre´goire de Tours, dont les qualite´s litte´raires sont loin d’avoir encore fait l’objet d’analyses qui leur rendent justice2. Pour illustrer ce principe de fluctuation par des mises en se´rie de se´quences re´elles, cette contribution s’attachera a` mettre en valeur les passages hagiographiques (longs ou segmente´s) dont le niveau de langue est spe´cialement inte´ressant en ce qu’il illustre une re´alisation effective de niveaux de langue adapte´s a` des objectifs de communica- tion diffe´rencie´s. Ils fluctuent en effet entre un niveau plutoˆte´leve´, un niveau moyen, et un niveau plus humble, ce dernier entretenant par la` meˆme un rapport non pas d’identite´, mais de mime´sis asymptotique avec l’oralite´ commune des pe´riodes ou` les

1 C’est un des sujets aborde´s par Michel Banniard, Viva voce. Communication e´crite et commu- nication orale du IVe au IXe sie`cle en Occident latin, Paris 1992. 2 L’orthographe de´libe´re´ment aberrante de ses Libri historiarum, l’he´ritage pesant des jugements sur le latin tardif, certains a priori anciens sur l’e´poque me´rovingienne ont de´tourne´ les cher- cheurs d’e´tudier vraiment l’ampleur de sa palette stylistique (en de´pit des apports d’Erich Auerbach). 84 Michel Banniard textes ont e´te´ compose´s. Ce sera l’occasion de montrer alors que ce latin me´rovingien a fini par avoir des caracte´ristiques si particulie`res qu’il a correspondu a` ce qui sera en fait nomme´ plus tard par les e´rudits carolingiens la lingua romana rustica. Mais avant de regarder de pre`s quelques e´chantillons, il est indispensable de pre´- ciser des e´le´ments de cadrage me´thodologique. D’abord, le crite`re fondamental de le´gitimite´ pour le sujet traite´ est que le corpus des le´gendes hagiographiques est le produit d’une interaction continue entre les buts eccle´siaux de controˆ le de la culture commune et la re´alite´ vivante de celle-ci3. On trouvera en annexe la terminologie et les abre´viations avec laquelle est conduite l’enqueˆte (annexe I)4. Il paraıˆt ne´cessaire cependant de rappeler trois autres e´le´ments: 1. Les de´nominations du niveau de langue le plus modeste (annexe II)5. 2. Le fait qu’une e´tude ainsi oriente´e doit s’appuyer sur un triple socle langagier: a) le latin dit »classique« et son champ variationnel; b) le latin dit tardif avec son champ variationnel; c) le roman archaı¨que et son champ variationnel6. En effet, si, au VIe sie`cle, la mutation du latin parle´ vers le protofranc¸ais s’acce´le`re, elle ne s’ache`ve qu’au VIIIe sie`cle. 3. Le principe de classement des formes selon leur vitalite´ en diachronie longue (annexe III)7. Ce crite`re est lie´ au pre´ce´dent, avec pour but de de´tecter, autant que possible, si les e´nonce´s qualifie´s comme indique´s dans le tableau ci-dessous sont tels, de manie`re »autonome« (purement a` l’inte´rieur d’une suppose´e monade latine) ou au contraire de manie`re interactive »externe« (en corre´lation avec la parole commune).

3 C’est la the`se qui conclut le grand livre de Frantisˇek Graus, Volk, Herrscher und Heiliger im Reich der Merowinger, Prague 1965, p. 448–450, »Die Funktionen des Heiligenkults und der Legende«. L’auteur soulignait aussi de son point de vue d’historien combien ce genre litte´raire e´tait vivant et e´volutif (p. 139). Les meˆmes observations sont valides en ce qui concerne son langage et sa langue, dans la mesure ou` un rapport de compromis entre la norme he´rite´e et la parole commune est constamment en jeu. 4 Ces indications synthe´tisent une assez longue se´rie de travaux et de publications qui ont modifie´ sensiblement la vulgate e´tablie en la matie`re. 5 Elles sont reprises de Banniard, Viva voce (voir n. 1), p. 276 sq. La disposition binaire (en doubles colonnes) reproduit l’opposition a` deux poˆ les qui est propose´e par les re´dacteurs me´ro- vingiens (voire carolingiens). Comme cette contribution l’indique, une analyse linguistique plus fine permet de de´tecter au moins une zone interme´diaire entre le niveau de prestige et le niveau terre-a`-terre. 6 On dispose depuis peu de deux instruments de travail exceptionnels offrant toute la bibliographie requise: Peter Stotz, Handbuch zur lateinischen Sprache des Mittelalters, 5 vol., Munich 1996–2004; et Günter Holtus, Michael Metzeltin, Christian Schmitt (dir.), Lexikon der romanischen Linguistik, 16 vol., Tübingen 1999–2006 (de´sormais LRL). 7 Pre´sentation de´taille´e dans Michel Banniard, La re´ception des carmina auliques. Niveaux de latinite´ et niveaux de re´ception a` la fin du VIIIe sie`cle, dans: Peter Godman, Jörg Jarnut, Peter Johanek (dir.), Am Vorabend der Kaiserkrönung. Das Epos »Karolus Magnus et Leo papa« und der Papstbesuch in Paderborn 799, Berlin 2002, p. 35–53, p. 36 sq. Les textes me´rovingiens hagiographiques et la lingua romana rustica 85

II. RE´ E´ CRITURE ET CHANGEMENTS DE NIVEAUX (VIe SIE` CLE)

La brillante analyse donne´e par Martin Heinzelmann8 de deux passages compose´s par Gre´goire de Tours en rapport e´troit contant l’histoire d’un couple de jeunes marie´s demeure´s chastes a de´gage´ dans le de´tail les caracte`res des deux re´cits au niveau ide´ologique. Elle a e´galement montre´ combien le re´cit des »Histoires«9 est nettement plus long, plus charge´ de lec¸ons et »e´crit dans une langue beaucoup plus complexe«. Cette observation juste pourrait eˆtre un peu de´veloppe´e en insistant sur les diffe´ren- ces de niveaux d’un point de vue tant rhe´torique que communicationnel. Le long dialogue des »Histoires« est e´crit en sermo altus, alors que le bref re´cit du livre sur la »Gloire des Confesseurs«10 est re´dige´ en sermo humilis, sinon rusticus. On s’en rendra compte sur pie`ces. 1. Duos fuisse apud Arvernum, virum scilicet et puellam, refert antiquitas, qui coniuncti coniugio, non coitu, sed in uno stratu quiescentes, non sunt ab alterutrum polluti in voluptate carnali. 2. Post multos vero annos, cum eis esset latenter vita castissima, ex consensu pari, vir tonsuratur ad clericatum, puella vero religiosum induit vestimentum. 3. Factum est autem, ut, impletis diebus, puella migraret a saeculo. 4. Denique vir eius, praeparatam sepulturam, exhibuit corpusculum ad sepelien- dum. La question de la phonie et du rapport graphie/phonie n’est pas pertinente, d’abord parce que la tradition manuscrite empeˆche de l’aborder correctement; ensuite, parce que la` n’est pas l’essentiel, un e´cart entre la norme suppose´e de l’oralite´ du LPC11 et celle du LPT n’e´tant pas un crite`re suffisant. On ne peut que supputer une certaine flexibilite´ articulatoire: a` re´cit en sermo humilis, lecture en diction familie`re. Ce sont les autres cate´gories d’analyse linguistique qui seront donc conside´re´es (morpholo- gie, syntaxe, lexique, idiomatismes, phrase´) en s’appliquant, au lieu de de´construire ces e´nonce´s (par des classements qui les de´boıˆtent), a` les suivre dans leur de´roule- ment. Soit la phrase 1. La structure syntaxique en est d’acce`s aise´. La phrase est un peu longue (effet de style, tout de meˆme), mais sa construction est claire. Le verbe principal refert pilote une subordonne´ea` l’infinitif baˆtie simplement: le positionnement anticipe´ du verbe a`

8 Martin Heinzelmann, La re´e´criture hagiographique dans l’œuvre de Gre´goire, dans: Monique Goullet, Martin Heinzelmann (dir.), La re´e´criture hagiographique dans l’Occident me´die´val. Transformations formelles et ide´ologiques, Ostfildern 2003 (Beihefte der Francia, 58), p. 15–70, spe´c. p. 53–59. 9 Hist. I, 47. Le niveau de langue plutoˆt e´leve´ et la qualite´ stylistique, tre`s soigne´e, de ce re´cit me´riteraient une analyse se´pare´e. Je soulignerai seulement que le discours de la marie´e, reproduit au style direct, prend la forme d’une pare´ne`se complexe et solidement argumente´e. Les parti- cularite´s morphologiques et syntaxique de ce latin tardif ne nuisent nullement a` son e´le´gance rhe´torique. 10 Liber in gloria confessorum, 31, e´d. Bruno Krusch, MGH, SRM I/2, 1885, p. 317. 11 Pour les abre´viations utilise´es dans la suite, voir notre annexe I. 86 Michel Banniard l’infinitif fuisse, qui lance directement l’attaque du re´cit, et la postposition des sujets sont banales a` une e´poque ou` la topologie e´nonciative reste souple. La subordonne´e relative suit un ordre descendant qui serait tout aussi possible en AFC (voire en FM). Le PPP coninuncti est ensuite directement appose´ au relatif et coordonne´ au PPRe´s quiescentes, lui aussi appose´a` travers une coordination simple. Quant au bloc ablatif interpose´ entre l’auxiliaire et le PPP, cet ordre est encore fre´quent en AFC. La morphologie des substantifs ne pourrait poser de proble`mes qu’aux cas obli- ques. En fait, il y a deux ablatifs non pre´positionnels qui pourraient faire figure d’archaı¨smes au VIe sie`cle, mais tout indique qu’a` cette e´poque la ge´ne´ralisation des pre´positions n’e´tait pas automatique, mais contextuelle ou e´nonciative12. Le fait qu’ils soient accole´s au PPP en position descendante contribue a` clarifier leur sens. L’effet allite´ratif renforce la cohe´sion morpho-syntaxique (sans compter l’intonation). Dans les deux autres SN, la pre´position assure le pilotage quel que soit le niveau de langue. On soulignera la se´quence polluti in voluptate carnali, en latin spe´cialement didac- tique. Au passage, on observera que ab alterutrum n’est un sole´cisme que pour l’œil, car la prononciation de la de´sinence e´tait directement [o]. La morphologie verbale est e´galement courante. Fuisse appartient probablement a` la classe des formes me´tastables; refert est transdiachronique comme sunt polluti. Certes, on aurait pre´fe´re´ un fuerunt polluti, mais on remarquera l’ordre [Vsum + PPP]. Le lexique est massivement passe´ en roman: il y a tout lieu de penser qu’il appartient donc a` la latinophonie ordinaire du sie`cle. Soient les autres phrases. Elles sont justiciables des meˆmes commentaires. Leur niveau de langue est suffi- samment modeste pour se borner a` relever les e´ventuels sauts qualitatifs qui pour- raient perturber leur proximite´a` l’oralite´ commune. Ce sont essentiellement ex eis, tonsuratur, ut, migraret, ad sepeliendum. Dans l’ordre d’e´loignement progressif a` cette oralite´, le passif appartenait vraisemblablement encore a` la latinophonie; la conjonction de subordination appartient a` la cate´gorie des formes me´tastables; on ne peut de´terminer si le subjonctif imparfait appartenait a` la cate´gorie me´tastable ou e´vanescente; le ge´rondif, lui, appartenait dans cet emploi a` la cate´gorie e´vanescente. Somme toute, la part archaı¨sante par rapport a` la latinophonie du VIe sie`cle est mi- neure. Le texte rele`ve donc pleinement du sermo rusticus. C’est du latin tardif e´crit dans un registre de langue apte a` la lecture a` haute voix pour assurer une diffusion orale large. De ce fait, la proble´matique de la datation des deux textes peut rester sujette a` discussion. Ils ont en effet e´te´ compose´s tous les deux dans une perspective communicationnelle distincte. Le premier vise une e´lite et donc un cercle de communication e´troit, le second le commun des fide`les et donc un cercle de communication large. A` ce compte, il est tre`s difficile de donner une primeur chronologique a` la re´daction de l’une ou de l’autre version13. Un de leurs inte´reˆts est

12 Gustav A. Beckmann, Die Nachfolgekonstruktionen des instrumentalen Ablativs im Spätlatein und im Französischen, Tübingen 1963. 13 Heinzelmann, La re´e´criture hagiographique (voir n. 8), p. 58, a raison de s’interroger sur la pertinence de la cate´gorisation en hypertexte et en hypotexte dans le cas de ce double re´cit d’un Les textes me´rovingiens hagiographiques et la lingua romana rustica 87 de montrer la capacite´ de Gre´goire a` respecter les re`gles du decorum, et c’est pour nous un des nombreux signaux des fluctuations du latin me´rovingien. La version longue du miracle des sept dormants d’E´ phe`se14 offre un inte´reˆt parti- culier du point de vue linguistique15. Le travail d’e´criture de Ge´goire s’est trouve´ contraint du fait qu’il a d’abord de´pendu de la langue parle´e par le traducteur. Il semble que celui-ci avait appris le latin comme langue seconde: sa parole e´tait donc sans doute plus proche de la latinophonie ordinaire du VIe sie`cle. Meˆme s’il a toilette´ le re´cit, comme le fera le pape Gre´goire Ier en composant ses Dialogues, Gre´goire s’est trouve´ un peu libe´re´ des habitudes e´nonciatives charrie´es par la tradition e´crite et orale du latin. La langue devrait appartenir directement au registre du sermo rusticus. C’est effectivement l’impression que donne la lecture du document, et cette impres- sion s’accroıˆt lorsque l’on conside`re les nombreux dialogues au style direct qui s’y trouvent (leur abondance a bien e´te´ repe´re´e et commente´e par ailleurs). Lorsque Malchus se rend a` la cite´ pour acheter de la nourriture, les habitants s’e´tonnent en ces termes: 1. Hic homo thesauros repperit antiquo; nam ecce argenteos de temporibus Decii profert! Le pre´fet l’interroge alors: 2. Hos argenteos unde habes? 3. De domo patris mei sumpsi eos. 4. Et ubi est pater tuus? 5. Enarra nobis unde habes hos argenteos16... Si l’on fait abstraction de l’orthographe, correcte et conservatrice, ce type d’e´nonce´ appartient a` la latinophonie tardive. Le niveau langagier en est tout a` fait e´le´mentaire, pre´cise´ment place´ au croisement de l’he´ritage latin et de l’e´volution vers le protoro- man. L’analyse linguistique de´taille´e de ces e´nonce´s confirme cette proposition. La phrase 1 est construite de manie`re paratactique: la deuxie`me proposition, introduite par un nam archaı¨que est, du point de vue se´mantique, une subordonne´e causale (qu’un style plus soutenu aurait engage´ sous la bannie`re d’un [cum + subj.]). La premie`re proposition ne pre´sente comme trait marque´ que la disjonction entre le substantif (thesauros) et l’adjectif attribut (antiquos). Mais ce type de dislocations est atteste´ tant en AFC litte´raire qu’en oralite´ expressive du franc¸ais parle´ le plus mo- derne17. L’ordre des mots (OV) est courant (cet ordre the´matique est ordinaire, meˆme

meˆme e´ve´nement (p. 58). Gre´goire s’adresse a` deux publics radicalement diffe´rents; le contraste non seulement ide´ologique et narratif mais aussi langagier entre les deux documents re´pond a` une re´partition non pas chronologique, mais dialogique. 14 Gregorii passio septem dormientium (editio nova), e´d. Bruno Krusch, MGH, SRM VII, 1920, p. 757–769. 15 Les deux versions ont e´galement fait l’objet d’une pre´cieuse analyse historique par Heinzel- mann, La re´e´criture hagiographique (voir n. 8), p. 59–68. 16 Passio septem dormientium (voir n. 14), Paragraphe 8, p. 766–767. 17 Sur le second point, je renvoie aux analyses de Claire Blanche-Benveniste, Approches de la langue parle´e en franc¸ais, Paris 2000. Je ne saurais trop insister sur le handicap que repre´sente pour le linguiste diachronicien le fait d’avoir une repre´sentation, consciente ou non, de son propre langage qui le conduise a` sous-estimer son extraordinaire flexibilite´. La capacite´ de l’ora- lite´ directe a` construire des e´nonce´s a` la fois complexes et disloque´s (de manie`re expressive et 88 Michel Banniard en AFC). La remarque vaut pour la proposition suivante. Et la pre´sence du second substantif en position anticipe´e l’est tout autant, l’AFC litte´raire abonde en se´quences de ce type. Le ge´nitif Decii n’est pas un archaı¨sme a` cette date. Quelle que soit sa prononciation, la permanence de cette construction en oralite´ commune est certaine. D’une part, les toponymes continuent d’eˆtre construits selon cette se´quence18; d’autre part, l’AFC litte´raire abonde en tournures de type CRIP – dans le cas de de´termi- nants humains appartenant a` l’e´lite. Mais il y a plus inte´ressant: le comple´ment de temporibus est un de´terminant d’argenteos19. Nous disposons donc d’une tournure moderne [de´termine´ + pre´position + de´terminant] conforme a` l’e´volution de la pa- role latine. Cet e´nonce´ permet ainsi de saisir les phe´nome`nes de polymorphisme dans leur re´alite´, constatation qui augmente le degre´ de fiabilite´ de notre document dans son adaptation de l’oralite´. Ces observations sont valides pour les e´nonce´s qui suivent. Leur brie`vete´ facilite certes leur adaptation a` l’oralite´ commune; mais le traducteur/re´dacteur a laisse´ en place les traits les plus spontane´s possibles de son temps. La possession est re´pe´titi- vement signifie´e par la tournure en habere (on aurait pu avoir e quo tibi sunt20); l’interrogative indirecte est a` l’indicatif (enarra unde habes); le datif nobis est post- pose´ (ordre qui sera re´gulier en roman). On est en fait assez proche de certaines se´quences en latin tre`s innovant des sermons d’Augustin21 ou de Ce´saire d’Arles. La part descriptive et narrative du re´cit (dernier trait significatif), contrairement a` d’autres textes, reste a` peu pre`s constamment a` ce niveau la`.

III. LATIN E´ CRIT ET ORALITE´ STYLISE´ E(VIIe SIE` CLE)

Un lissage continu n’est pas ordinaire en hagiographie me´rovingienne. Les niveaux de langue devraient, de ce fait, eˆtre e´tudie´s œuvre par œuvre puisque les fluctuations sont permanentes22. La premie`re re´daction (compose´e vers 680 a` Autun) de la Vie de

claire) est souvent sous-estime´e, avec pour re´sultat une sure´valuation des e´carts diachroniques entre les e´tats de langue en ce qui concerne le phrase´. 18 Cela est e´tabli par Martina Pitz, Nouvelles donne´es pour l’anthroponymie de la Galloromania. Les toponymes me´rovingiens du type Avricourt, dans: Revue de linguistique romane 66 (2002), p. 421–449; Ead., Zentralfranzösische Neuerungs- und nordöstliche Beharrungsräume. Reflexe der Begegnung von fränkischer und romanischer Sprache und Kultur?, dans: Dieter Häger- mann, Wolfgang Haubrichs, Jörg Jarnut (dir.), Akkulturation, Berlin, New York 2005, p. 135–178. Il n’est pas ne´cessaire de recourir a` des phe´nome`nes d’intercourse avec le francique, comme le fait brie`vement cette spe´cialiste: la structure est commune au LPT2 et au francique. 19 Le rattacher au SV pour sauver la grammaticalite´ du texte serait un artifice. 20 En AFC, la question est atteste´e fre´quemment sous la forme: dont as? 〈 de unde habes?. 21 Vnde hoc probamus quia caritas de spiritu sancto est et implet legem?... Vnde autem probamus quia de spiritu sancto caritas? Audi apostolum dicentem quia »gloriamus in tribulationibus«. Per tribulaciones Iudaei cogebantur..., dans: Franc¸ois Dolbeau, Augustin et la pre´dication en Afrique, Paris 2005, p. 201. 22 Outre les indications ge´ne´rales dans Banniard, Viva voce (voir n. 1), chap. V, on trouvera des de´veloppements plus de´taille´s dans Id., Latin et communication orale en Gaule. Le te´moignage de la Vita Elegii, dans: Jacques Fontaine, Jocelyn Nigel Hillgarth (dir.), L’Europe au VIIe sie`cle. Changement et continuite´, Londres 1992, p. 58–86. Les textes me´rovingiens hagiographiques et la lingua romana rustica 89 saint Le´ger offre un re´cit assez complexe historiquement, et la question du public auquel elle e´tait destine´e reste ouverte23. Toutefois, a` coˆ te´ de passages en style sinon complexe, du moins plus soutenu, apparaissent assez souvent des interventions qui s’efforcent d’imiter une oralite´ plus imme´diate24.A` l’inte´rieur d’un ensemble de bonne tenue litte´raire et stylistique, le re´dacteur s’autorise des fluctuations du niveau de langue graˆce auxquelles il met en sce`ne l’oralite´ directe de Le´ger. Lorsque, au moment du sie`ge d’Autun, l’e´veˆque engage ses fide`les a` prote´ger le tre´sor local, il prononce deux bre`ves allocutions25. La premie`re, sans eˆtre trop hie´ratique, semble s’adresser a` l’e´lite culturelle en raison de sa relative complexite´ syntaxique: 1. Haec omnia quae cernitis, fratres, quamdiu terrenorum hominum me voluit gratia Dei habere ad communem ornatum, prout potui, illic fideliter contuli. 2. Nunc vero forsitan ideo mihi irati sunt homines terreni, quia dominus nos vocare dignatur ad gratiam caeli. 3. Ut quid enim haec hinc auferam, quod mecum in caelo non tollo? 4. Ergo, si vobis placet, ego elego consilium haec potius dare in usus pauperum... (paragraphe 21). Sans proce´der a` une analyse de´taille´e, on rele`vera quelques e´le´ments: – La the´matique demeure e´le´mentaire et fait partie des topoı¨ de la pre´dication. – 90% du vocabulaire non grammatical est en relation e´troite avec l’oralite´ com- mune. Pour la plupart, c’est e´vident. Pour certains qui sont sortis de l’usage moderne, rappelons qu’ils sont atteste´s en franc¸ais me´die´val ou dans les dialectes, ou que leur forme les apparente a` des e´volutions en cours: cernitis,›dis-cerner‹/contuli, AFC »toldre« 〈 tollere/irati, AFC, »ire´«. – La morphologie verbale est passe´e directement en PF/AFC, sauf dignatur et auferam. – La morphologie nominale est e´galement passe´e en PF/AFC, tant pour les SN au Nominatif/CS que pour les cas re´gis par des pre´positions (ad communem orna- tum/ad gratiam caeli/in caelo/in usus). Les blocs archaı¨ques sont les ge´nitifs, mais leur ordre est descendant dans les phrases 2 et 4 [De´ + Dnt] (gratiam caeli/usus pauperum). – La syntaxe n’est complexe que dans la phrase 1, avec une longue se´paration entre le comple´ment (haec omnia) projete´ en position initiale et le verbe maintenu a` la fin (contuli). En outre, les deux subordonne´es qui se´parent ces deux e´le´ments sont, elles aussi, projete´es en position anticipe´e par rapport au SV recteur. Cet agencement

23 Cet aspect du proble`me a e´te´ aborde´ dans Michel Banniard, La longue Vie de saint Le´ger. E´ mergences culturelles et de´placements de pouvoir (VIIe–Xe sie`cle), dans: Id. (dir.), Langages et peuples d’Europe. Cristallisation des identite´s romanes et germaniques (VIIe–XIe sie`cle), Tou- louse 2002, p. 29–45. 24 La deuxie`me re´daction (compose´e vers 700 a` Poitiers) modifie nettement la premie`re sur les plans tant ide´ologique que narratif. Ces aspects ont e´te´e´tudie´s par Paul Fouracre, Merovingian History and Merovingian Hagiography, dans: Past and Present 127 (1990), p. 3–38; et par Paul Fouracre, Richard A. Gerberding, Late Merovingian France. History and Hagiography. 640–720, Manchester, New York 1996. 25 Passio II. auctore Ursino,e´d. Bruno Krusch, MGH, SRM V, 1910, p. 323–356. 90 Michel Banniard rele`ve effectivement d’effets rhe´toriques qui confe`rent a` cette phrase introductive son niveau solennel. – Le principal encheveˆtrement syntaxique provient de la projection en avant du bloc de´terminant au ge´nitif terrenorum hominum qu’il faut rattacher au terme d’un long report a` ornatum. L’AFC sera capable de ces effets de dislocation, mais e´videm- ment au niveau de langue le plus e´leve´ 26. – Le facteur essentiel, qui caracte´rise en fait cette phrase 1 comme de l’oralite´e´leve´e (et donc distancie´e de l’oralite´ commune), est repre´sente´ par l’outillage connexionnel: quamdiu et prout n’ont laisse´ aucune trace ni en AFC ni en dialectes, et distinguent donc fortement l’e´nonce´ de la parole commune. Cette remarque est justifie´e pour l’attaque de la phrase 3, mais non pour toute la suite. En fait, le niveau de langue descend imme´diatement d’au moins deux degre´s de`s la phrase 2. Les phrases se raccourcissent et deviennent binaires (principale + cau- sale). Les joncteurs syntaxiques e´chappent a` l’opposition archaı¨que/moderne, car quod et quia, prononce´s de manie`re neutralise´e [ke], aboutiront au connecteur syn- taxique universel de l’AFC que. On notera en outre que la phrase 4 est construite de fac¸on »moderne«, le substantif consilium re´gissant directement le verbe a` l’infinitif (la virgule de l’e´dition, inopportune, doit eˆtre efface´e) dare (en lieu et place d’une com- ple´tive en ut ou d’une comple´tive au ge´rondif). Cette construction est directement orale (elle est d’ailleurs atteste´e de`s le latin classique). On constate donc qu’apre`s une ouverture en sermo altus, l’oralite´ mime´e de Le´ger glisse vers le sermo humilis. La transition avec le retour a` la narration est assure´e dans la mesure ou` la mise en actes de cette pare´ne`se est de´crite ainsi: Statimque iussit custodi discos argenteos cum reliqua vasa quam plurima foras eiecere et argentarios cum malleos adesse, quae minutatim cuncta confringerint, quod per fidelium dispen- sationem iussit pauperibus erogare. Seuls trois morphe`mes archaı¨ques e´mergent de cette se´quence: custodi/quam plurima/pauperibus. Tout le reste et notamment les cas obliques sont directement du LPT2 (cum reliqua vasa/cum malleos). La seconde allocution semble, elle, s’adresser a` la communaute´ des fide`les: 1. Ego, fratres, decrevi iam de hoc saeculo nihil poenitus cogitare, sed magis spiri- talem nequitiam quam terrenum hostem metuere. 2. Terrenus homo si talem a Deo acceperit potestatem, persequatur, comprehendat, praedet, incendat, interficiat: haec nullatenus possumus declinantes effugire. 3. Et si hic tradimur de rebus transitoriis ad disciplinam, non disperemus, immo potius gaudeamus in futuro de venia... (paragraphe 22). Cette fois, les segments franchement archaı¨ques sont peu nombreux. – La topique reprend ce qui vient d’eˆtre dit, avec l’effet pre´visible de clarification langagie`re. – Le de´ponent persequatur est un archaı¨sme, mais tous les verbes suivants qui constituent une variatio compensent cet e´loignement de l’oralite´ commune (le re´dac- teur insiste).

26 Sur cette topologie, on trouve de nombreux e´le´ments de comparaison dans Jeanne Müller- Lance´, Absolute Konstruktionen vom Altlatein bis zum Neufranzösischen. Ein Epochenver- gleich unter Berücksichtigung von Mündlichkeit und Schriftlichkeit, Tübingen 1994. Les textes me´rovingiens hagiographiques et la lingua romana rustica 91

– Le statut de tradimur est frontalier, en ce sens que ce type de forme est lui-meˆme a` la frontie`re des formes e´vanescentes/me´tastables. – Il en est de meˆme pour la forme acceperit. – La syntaxe est a` la fois charpente´e et simple, en mode progressif. Dans la phrase 1, le SV recteur est en teˆte et pilote en ordre descendant deux infinitifs coordonne´s. L’ordre des mots OV dans la deuxie`me infinitive appartient aux fluctuations de l’oralite´ naturelle (ce qui n’exclut pas l’effet rhe´torique recherche´). La disjonction en phrase 2 entre l’inde´fini talem et le substantif potestatem (ils sont se´pare´s par le SV) est largement atteste´e en AFC (chansons de geste, notamment). Ainsi, ces passages offrent une fluctuation langagie`re oscillant entre un registre plus e´leve´ et un registre moins e´leve´. Une analyse stylistique plus pre´cise permettrait sans doute de corre´ler ces fluctuations avec les interfe´rences du phrase´ et de la prosodie communes. Cette latinite´ donne une image plutoˆ t dynamique de la latinophonie de l’e´lite, tout en laissant deviner des plages d’interfe´rence avec la parole commune. Cette conclusion serait sans doute conforte´e si e´tait propose´e une reconstitution de la prosodie de ces lignes, avec les pics accentuels forts de la parole commune, qui en- traıˆne une me´lodie particulie`re, avec des alternances d’oppositions fortes entre se´quences atones et se´quences accentue´es, selon des modalite´s qui se trouvent en poe´sie latine rythmique, en poe´sie germanique archaı¨que et dans les plus anciens vers e´piques d’oı¨l.

IV. LATIN ME´ ROVINGIEN ET LINGUA ROMANA RUSTICA (VIIIe SIE` CLE)

La toute premie`re Vita Richarii pre´sente des particularite´s langagie`res qui ont d’au- tant plus retenu l’attention des spe´cialistes qu’elle a fait l’objet d’une re´e´criture par Alcuin, accompagne´e d’une lettre de l’e´rudit qui de´signait avec une certaine re´serve la langue de ce re´cit qu’il qualifiait avec euphe´misme de minus polita locutio (»un niveau de latinite´ peu soigne´e«)27. Comme il nous apprend que les moines du monaste`re rechignaient a` lui montrer le manuscrit, on peut en conclure qu’elle appartenait au registre de´sormais interdit du latin me´rovingien28. Effectivement, l’œuvre est e´crite

27 Pour d’autres analyses, Banniard, Viva voce (voir n. 1), p. 254 sq.; Id., Les deux vies de saint Riquier. Du latin me´diatique au latin hie´ratique, dans: Me´die´vales 25 (1993), p. 45–52; Christiane Veyrard-Cosme, Alcuin et la re´e´criture hagiographique. D’un programme avoue´ d’emendatio a` son actualisation, dans: Goullet,Heinzelmann, La re´e´criture hagiographique (voir n. 8), p. 71–86; et Christiane Veyrard-Cosme, L’œuvre hagiographique d’Alcuin. Vitae Willibrordi, Vedasti, Richarii.E´ d., trad., e´tudes narratologiques, Florence 2003. Ces dernie`res e´tudes privi- le´gient les aspects narratologiques de la re´e´criture alcuinienne, contribuant ainsi a` mieux de´gager la spe´cificite´ litte´raire et ide´ologique des deux re´cits. 28 A` cette nuance pre`s que l’interdiction correspond d’abord a` une volonte´ de refus au sein d’un cercle e´troit de lettre´s. Dans la re´alite´ textuelle, comme nous allons le voir, la latinite´ carolingi- enne pre´sente des contrastes et des de´grade´s qui donnent une perspective tre`s diffe´rente. 92 Michel Banniard dans un latin encore plus e´volutif que celui que pre´sentait la passion des sept dor- mants et a fortiori que celui de la Vie de Le´ger. Comme il semble que sa re´daction remonte au de´but du VIIIe sie`cle, on n’en sera pas surpris, e´tant donne´ la chronologie propose´e du rythme de la mutation du LPT2 en PF. Le champ d’interfe´rence entre ce latin tre`s e´volue´ (on pourrait dire moderne) et l’oralite´ imme´diate est la` vaste29. On conside´rera les se´quences suivantes. 1. Nam et ipsi servi Dei providentia Deo exegerunt gracias, quod hominem eis talem providisset, qui de calumnias stultorum eos liberasset... (paragraphe 2). Pour simplifier, le lexique est quasiment panroman30. La syntaxe est line´aire et descendante. La morphologie verbale est transdiachronique, tout comme la mor- phologie nominale, a` l’exception de eis. Dei et Deo sont des de´terminants passe´s en PF/AFC sous forme de CRIP-; providentia, ablatif ou datif, peut se ranger sous cette cate´gorie; de calumnias est courant; stultorum appartient aux formes me´tastables. 2. Pauperes refocilabat, nudos operiebat, infirmos visitabat, mortuos sepeliebat, leprosos balnea fieri precipiebat. Le niveau de langue est identique: l’e´nume´ration binaire ordinaire se re´pe`te selon un ordre OV non marque´. Le datif leprosos appartient au registre courant: sa graphie indique une fois de plus que la phonie e´tait celle de la langue courante ou` l’opposition -is/-os e´tait neutralise´e. Cette construction se perpe´tuera an AFC avec le CRIP-. Le seul archaı¨sme est ici fieri; mais sa re´alisation orale devait le confondre avec la voix active sans que le sens soit invalide´. 3. Post eorum ablutione ipse subsequens in eorum lavacrum ingrediebat, apud eos sedebat, illos osculabat, ipsos reficiebat et cum ipsis panem vescebat... (paragraphe 3). Eorum a la valeur de »leur« (deux fois); apud a le sens de »avec«, source de cette pre´position en PF. On notera l’alternance apud/cum, signe du polymorphisme en LPT2 (l’ancienne forme n’est pas encore e´limine´e du diasyste`me oral). 4. Vade velociter ad navem in Frantia; illo et illo dimitte ingenuos, ut mercedem nostram restituat Deus, quia vicina morte ante oculos habent, ne in servitio finiant vitam (paragraphe 27). Le passage au style direct n’entraıˆne pas de changement de niveau. C’est un e´chan- tillon d’oralite´ imme´diate de´calque´e du LPT2/PF (il n’y a qu’un archaı¨sme, ut). 5. Adhuc illos incolomes et robustos, in corpore inlaesos missus ipse repperit, nullam dolorem habentes... (paragraphe 7).

29 La bibliographie strictement linguistique de ce domaine n’est pas infinie (Beszard, Falkowski, Pirson, Vieillard). Les e´tudes essentielles (et non pe´rime´es) sont celles de Mario A. Pei, The Language of the Eighth Century Texts in Northern France. A Study of the Original Documents in the Collection of Tardif and Other Sources, New York 193; et Louis Furman Sas, The Noun Declension System in Merovingian Period, Columbia 1937. Mais l’œuvre monumentale de Stotz, Handbuch zur lateinischen Sprache (voir n. 6) offre de´sormais tout l’outillage requis. 30 On n’en sera pas non plus surpris, surtout si l’on suit le mode`le chronologique solidement e´tabli par Arnulf Stefenelli, Das Schicksal des lateinischen Wortschatzes in den romanischen Spra- chen, Passau 1992. Les textes me´rovingiens hagiographiques et la lingua romana rustica 93

Seul adhuc hausse le registre par son caracte`re archaı¨que. On notera en particulier le soutien pre´positionnel de l’ablatif in corpore et la re´pe´tition de la tournure possessive en habere: sa fre´quence dans le texte donne un indice de plus de l’adoption d’un niveau de langue en contact e´troit avec la parole e´volue´e du temps et confirme les raisons de la re´action ulte´rieure de rejet puriste. On peut se faire une ide´e assez pre´cise de la manie`re dont e´tait lue a` haute voix cette Vita, tant le protoroman affleure dans sa structure. Ses qualite´s stylistiques et nar- ratives ne sont pas ne´gligeables (le succe`s durable de cette version s’explique aussi par la`). Mais a` s’en tenir strictement au crite`re du niveau de langue, celui de cette Vie diffe`re fortement de celui de la Vie de Le´ger. De ce fait, la distance entre la narration et les dialogues au style direct de´croıˆt. Il arrive que la stylisation de l’oralite´, tout en e´tant re´elle, se moule directement sur un phrase´ protofranc¸ais, comme dans le dia- logue final ou` un des disciples ayant vu en songe le saint de´funt demeurant dans une maison de lumie`re s’e´crie: 6. Frater Sigobarde, mala mansione habuimus de fumo; vel in ista modo domo, non nos nocet fumus. 7. Ecce! qui habuit pro Deo obscuritatem, praeparavit illi Deus claritatem et pro fumosa mansione clarissima retributione... (paragraphe 12). Plutoˆ t que de reprendre les attendus linguistiques qui conduisent a` l’identification de ce passage avec du protofranc¸ais latiniforme31, une reconstitution de sa re´alisation orale effective lors d’une lecture a` haute voix sera instructive. Cette reconstitution postule, selon une the´orie avance´e par la sociolinguistique diachronique, que la pro- nonciation se faisait avec l’accent naturel des contemporains32. La transcription garde un caracte`re e´videmment virtuel, mais cette ope´ration devrait achever de faire sortir nos documents de l’effet de neutralisation et de lissage avec tous leurs effets d’irre´el qu’entraıˆnent les habitudes philologiques33.

31 Sur cet aspect, Michel Banniard, Changements dans le degre´ de cohe´rence graphie/langage. De la notation du phrase´a` la notation de la phonie (VIIIe–XIe sie`cle), dans: Medioevo Romanzo 27 (2003), p. 178–199. 32 Cette solution est de loin la plus acceptable pour de nombreuses raisons qui ne peuvent pas eˆtre e´nume´re´es ici. Les dossiers les plus complets et les plus convaincants ont e´te´e´tablis par Roger Wright, Late Latin and Early Romance in Spain and Carolingian France, Liverpool 1982, et par Helmut Lüdtke, Der Ursprung der romanischen Sprachen. Eine Geschichte der sprachlichen Kommunikation, Kiel 2005. 33 La transcription n’est pas faite dans l’alphabet technique re´serve´ aux dialectologues, d’abord pour ne pas la rendre abstruse aux non spe´cialistes; ensuite parce qu’il serait peu scientifique de la reveˆtir avec les habits d’une rigueur impossible. Toutefois, la part arbitraire est re´duite a` pro- portion de ce que la phone´tique et la phonologie historiques nous ont appris des stades de l’e´volution de la langue parle´e commune et de la chronologie qui leur est attribue´e (la biblio- graphie abondante de ce point est donne´e dans: LRL [voir n. 6]). Une datation basse de tous les phe´nome`nes a e´te´ adopte´e au moment de choisir les graphe`mes de transcription. 94 Michel Banniard

8. [fre´edhre34 { sigobarde35}, male maizoun(e)36 owwümo/es37 de füm(o)38. { vel/ou} 39 en este40 { modho41}duom(o)42 non nos nw¨itst43 füm(o). (e)tse: ki owwüt por44 die´(o)45 oskürte´eth46, preparaut47 li Dieüs clarte´eth et por fümouze maizoun(e) klare´sme48 { rertsioun(e)} 49]. Pour eˆtre tout a` fait re´aliste, cette reconstitution devrait e´galement offrir les e´vo- lutions connues de l’ancien picard qui, en particulier, cre´e des affrique´es non pas en sifflantes, mais en chuintantes. Ainsi [(e)tse] serait plutoˆ t re´alise´ en [(e)tche], [nw¨itst] en [nw¨itcht], et autres particularite´s50. Mais le but de cette pre´sentation est de donner a` comprendre que ce texte, du point de vue linguistique, n’est plus du latin tardif, mais du protoroman. Une repre´sentation strictement fide`le de la prononciation locale (d’ailleurs irre´aliste) n’est pas indispensable51. Il appert alors que ce rusticus sermo

34 Le soulignement de´signe la voyelle tonique. Le graphe`me [e´e] repre´sente le stade d’e´volution du [a] tonique, qui s’est diphtongue´ en syllabe ouverte. Le graphe`me [dh] repre´sente la pronon- ciation spirante de [d]. Il est aussi probable que le [e] final s’est de´ja` de´colore´ en [e] central (qu’on appelle aussi »e muet«). 35 La restitution de cet anthroponyme est laisse´e de coˆ te´ (une e´volution »re´gulie`re« aurait donne´ quelque chose comme [syobart]). 36 Le graphe`me [ai] repre´sente une diphtongue forme´e par cohalescence: la prononciation est dans ce cas litte´rale. Le graphe`me [ou] repre´sente la diphtongaison en syllabe ouverte de l’ancien [o] long tonique devenu ferme´; le graphe`me (e) indique que la voyelle atone finale e´tait en voie de de´sarticulation. 37 Le graphe`me [ww] repre´sente la semi-consonne; [ü] la prononciation palatalise´e du [u]; [o/e] une incertitude sur le stade d’e´volution du timbre de la voyelle en syllabe finale. 38 Le graphe`me [(o)] indique que la voyelle en syllabe atone finale est a` cette date instable. Son maintien ou sa de´sarticulation peut e´galement de´pendre d’un choix conservateur du lecteur/re´- citant (le maintien, faisant figure d’archaı¨sme, confe`re une touche de distinction). 39 Re´alisation phonique incertaine. Transposition? 40 Le morphe`me est probablement atone (adjectif de´monstratif proclitique). 41 Re´alisation phone´tique incertaine. Transposition? 42 Le graphe`me [uo] repre´sente le o bref tonique devenu ouvert et ensuite diphtongue´ en syllabe ouverte. 43 Le graphe`me [¨wi] repre´sente l’e´volution de l’ancien [o] bref tonique au contact d’un yod qui a subit une diphtongaison conditionne´e associe´ea` un processus de palatalisation. Le graphe`me [ts] repre´sente la consonne affrique´e issue de la palatalisation de [k] devant [e]. Il est probable qu’au VIIIe sie`cle le [e] atone en syllabe finale a e´te´ de´sarticule´ (sauf prononciation artificielle). 44 Re´alisation orale vraisemblable (por est issu en LPT du croisement de per et de pro). 45 Le graphe`me [ie´] repre´sente la voyelle bre`ve tonique devenue ouverte et diphtongue´e. 46 Le graphe`me [th] repre´sente le [t], sonorise´ en [d], puis spirantise´ en [dh] en position intervo- calique et re´assourdi apre`s la de´sarticulation de la voyelle atone en syllabe finale. La pre´tonique i a e´te´ syncope´e. 47 Le graphe`me [au] repre´sente la diphtongue forme´e par cohalescence apre`s la de´sarticulation du [i] final. La conservation du [p] intervocalique est un phe´nome`ne d’interfe´rence avec l’he´ritage savant (il aurait duˆ passer a` [v]). 48 Le i bref tonique est passe´a` [e´] (en syllabe entrave´e, il ne s’est pas diphtongue´); le i posttonique a e´te´ syncope´. 49 Reconstitution incertaine. Transposition? 50 Charles The´odore Gossen, Grammaire de l’ancien picard, Paris 1976. 51 Les premiers monuments e´crits volontairement non plus en orthographe a` peu pre`s latine, mais en scripta de´libe´re´ment romane ne donneront pas davantage une figuration stricte et localiste de la phone´tique de leur temps, comme le donne a` voir l’abondante bibliographie (le LRL [voir n. 6] la donne exhaustivement) qui concerne ce proble`me. Les textes me´rovingiens hagiographiques et la lingua romana rustica 95

(e´crit, lu a` haute voix, e´coute´) correspond en fait a` ce que les re´formateurs de 813 nommeront la lingua romana rustica. La reconstitution de la re´alisation orale de ce texte e´crit ne se borne pas a` cet aspect. Il resterait a`e´tudier trois phe´nome`nes corre´le´s: le type de diction choisie52, le pilotage prosodique qui lui est lie´ 53 et les effets de phone´tique syntaxique que cela entraıˆne54. En traiter plus en de´tail ici serait peut-eˆtre trop lourdement technique, mais, on se souviendra, c’est un ensemble de facteurs qui entrent dans l’e´valuation du niveau de la langue employe´e55. Ces fluctuations de niveaux ne sont pas spe´cifiques aux Vies me´rovingiennes tar- dives. On les observe aussi dans les œuvres historiques qui en sont contempo- raines56. De plus, elles sont largement atteste´es dans d’autres documents dont les manuscrits originaux nous sont parvenus. Leur e´dition procure´e depuis un quart de sie`cle57 dans des conditions d’exceptionnelle fiabilite´ donne un acce`s imme´diat a` la langue de ce temps et permet des comparaisons fructueuses avec les textes hagiogra- phiques. Les caracte`res linguistiques sont convergents et, phe´nome`ne plus signifi- catif, les fluctuations de niveau sont superposables d’un domaine a` l’autre (compte tenu des contextes). On le verra d’apre`s un bref e´chantillon cite´ pour comparaison. Un plaid de Thierry III rendu en 679 comporte des e´nonce´s dont le niveau de langue fluctue exactement de la meˆme fac¸on que celui de la Vita Richarii Ia. Un certain Amalgarius a e´te´ accuse´ par une aristocrate de s’eˆtre empare´ d’un de ses domaines. La re´ponse de l’accuse´ est la suivante58: Qui ipse Amalgarius taliter dedit in respunsis, eo quod ipsa terra in predicto loco Bactilionevalle, de annus triginta et uno, inter ipso Amalgario uel genetore suo Gaeltramno, quondam semper tenuerant et possiderant. Ce texte repre´sente une e´tape dans l’e´volution de l’interface oralite´/e´criture au sein de l’e´lite me´rovingienne. Sa formulation solennelle ne l’empeˆche pas de montrer l’e´volution rapide de la langue parle´e que les »fautes« d’orthographe aident a` discer- ner encore mieux59.

52 Du type recto tono (mais avec des inflexions affectives) ou de type apparente´a`lacantillatio (mais avec une limitation des inflexions)? 53 Cet aspect a toujours compte´ (l’oralite´ complexe le requiert, meˆme en discours d’apparat), mais il a duˆ jouer un roˆ le crucial dans l’interface communicationnelle entre l’e´crit latinisant et l’oral roman. 54 Pour ne prendre qu’un exemple, une diction livresque se´pare nettement mansionem et habuimus alors qu’une diction orale naturelle lie la fin du premier mot et le de´but du second [maizouno- wwümos]. 55 Meˆme si la re´alisation orale suit la phone´tique commune, la mise en sce`ne de celle-ci reste culturelle. 56 Le rapprochement avec la langue d’un auteur comme Fre´de´gaire a e´te´ fait a` plusieurs reprises, notamment par Olivier Devilliers, Jean Meyers, Fre´de´gaire. Chronique des temps me´rovin- giens (Livre IV et Continuations), Turnhout 2001, p. 37 sqq. 57 Hartmut Atsma, Jean Vezin, dans: Albert Bruckner, Robert Marichal (e´d.), Chartae Latinae Antiquiores, Facsimile-Edition of the Latin Charters Prior to the Ninth Century, t. XIII- France I, Zurich 1981; t. XIV-France II, Zurich 1982 [= ChLA]. 58 ChLA, t. XIV, document 567. 59 Analyse dans Michel Banniard, Niveaux de langue et communication latinophone, dans: Com- municare e significare nell’alto medioevo, Spole`te 2005 (Settimana, 52), p. 155–208, p. 185 sqq. 96 Michel Banniard

Du point de vue du latin archaı¨sant voulu par Alcuin, le registre de la Vie de saint Riquier repre´sente en effet le plus »bas« niveau de grammaticalite´(lingua romana rustica). Du point de vue sociolinguistique, il constitue la dernie`re forme de la com- munication verticale latinophone. Du point de vue purement linguistique, il signe non plus le de´ploiement d’un registre particulier au sein de la tradition latinophone, mais l’e´mergence d’un nouveau type de langue, romanophone. Le mode`le linguis- tique propose´ initialement rend tre`s bien compte de cette zone de transition dia- chronique qui s’e´tend de 650 a` 750.

V. LATIN CAROLINGIEN DU VIIIe SIE` CLE ET LINGUA ROMANA RUSTICA

La re´putation culturelle des carolingiens (qu’ils ont e´videmment eux-meˆmes pro- mue) a souvent induit les chercheurs modernes a` penser que la langue des diploˆ mes royaux avait fait e´galement, au moins dans un premier temps et dans les lieux les plus proches de l’autorite´ centrale, l’objet d’une re´forme langagie`re si profonde que la lingua romana rustica en aurait e´te´ exclue. Un examen attentif de ces monuments conduit a` modifier fortement ces conclusions. Certes, l’orthographe, comme cela a e´te´ depuis longtemps observe´, en a e´te´ plus ou moins re´gularise´e (tout en laissant une large part de fluctuations me´rovingiennes). Mais la langue des diploˆ mes oscille entre des se´quences fige´es – et bre`ves – de latin conservateur et des se´quences mobiles d’un latin qui est du meˆme niveau que celui des diploˆ mes me´rovingiens, et que certaines se´quences du latin hagiographique le plus e´volutif60. En 759, Pe´pin participe a` un plaid en faveur de Saint-Denis que le comte de Paris (affirment les plaignants) avait spolie´ des taxes sur le marche´ 61. De`s que le compte rendu reproduit en style quasi direct les interventions des participants, la langue de´croche du niveau conservateur pour s’infle´chir dans un sens qui rejoint a` peu pre`s le niveau que nous venons de rencontrer dans la Vie de saint Riquier: 1) Vnde praedictus Gerardus comes dedit in responsis, ›quod ipsum teloneum aliter non contendebat nisi quomodo antecessores illius qui comites fuerunt ante illum, ita ipsum ad suam partem retinebat‹62.

60 On trouvera le traitement de ce versant carolingien avec la bibliographie requise dans les e´tudes de Michel Banniard, Du latin des illettre´s au roman des lettre´s. La question des niveaux de langue en France (VIIIe–XIIe sie`cle), dans: Peter von Moos (dir.), Entre Babel et Pentecoˆ te: diffe´rences linguistiques et communication orale avant la modernite´ (IXe–XVIe sie`cle), (Collo- que de Kassel, novembre 2006), Münster 2008, p. 169–186; Id., Migrations et mutations en latin parle´. Faux dualisme et vraies discontinuite´s en Gaule (Ve–Xe sie`cle), dans: Piera Molinelli (dir.), Plurilinguismo e diglossia tra Tarda Antichita` e Medio Evo, Bergame, 24–26 mai 2007 (a` paraıˆtre). 61 ChLA, t. XV, document n° 600. 62 Les apostrophes indiquent le moment ou` le document reproduit en style indirect libre les inter- ventions orales. Les textes me´rovingiens hagiographiques et la lingua romana rustica 97

Re´plique des repre´sentants de saint Denis: 2) Ita contra eum intedebat et ostendebant preceptum Dagoberti regis, ›qualiter ipsum marcatum stabilisset in ipso pago et postea cum omnes teloneos ad partem sancti Dionisii delegasset ac firmasset‹. Le lexique, la morphologie, la syntaxe et le phrase´ protofranc¸ais (en acrolecte, e´videmment) se laissent directement saisir dans ces lignes63. En convertissant cer- taines se´quences dans leur prononcation vraisemblable, on dispose la` aussi d’un acce`s a` l’oralite´ effective d’une partie de l’e´lite carolingienne: 1’) ...[ke ‘e´ss(o) telony(o)64 autre ne contende´iet65 { nizi} com antsessours lüi66 ki contes fürent (av)ant67 (el)lo, { ita} e´ss(o) a sa part(e) reteneiet’]... 2’) ...[et ostende´ient pre´tse´tt(o) Dagobert rey(ye)68 ›{ qualiter} esso martchie´ 69 esta- blist70 en e´sso pay(yo) et püis con onnes telony(o)s ap part(e) saint Denis delgast af firmast71‹]. Il suffirait d’employer la scripta des serments de Strasbourg pour que ce texte passe sous la bannie`re des premiers monuments romans. Cette conclusion est moins para- doxale qu’il n’y paraıˆt72. Pour s’en convaincre, il suffit de conside´rer un monument bien connu sous le nom de »Parodie de la loi salique«73. La langue fluctue entre au moins trois niveaux, dont le dernier offre une image pre´cise du phrase´ protofranc¸ais en acrolecte (c’est une imitation d’un jugement solennel): Et ipsa cuppa frangant la tota. Ad illo bottiliario frangant lo cabo. Ad illo scansiono tollant lis potionis74. (»Et que 〈les participants au serment〉 brisent la coupe comple`-

63 Pour des e´le´ments d’analyse linguistique de ces documents, Michel Banniard, Niveaux de langue et efficacite´ pragmatique dans les serments carolingiens, dans: Marie-France Auze´py (dir.), Oralite´ et lien social au Moyen Aˆ ge (Occident, Byzance, Islam). Parole donne´e, foi jure´e, serment, Paris 2008, p. 43–61. 64 La forme romane atteste´e »tonlieu«/»tolneu« suppose une e´volution complexe dont la pre´senta- tion n’est pas indispensable ici, d’autant plus que ce mot clef institutionnel peut avoir fait l’objet d’une re´alisation orale semi-conservatrice (on est en acrolecte). 65 Le graphe`me [e`i] repre´sente la diphtongue issue du [e] long tonique devenu ferme´ et diphtongue´ en syllabe ouverte. Le b intervocalique s’e´tait efface´ depuis longtemps. 66 [lüi] est la forme tonique du pronom personnel issu de illius, refait en LPT (par croisement avec cui) pour produire un ge´nitif/datif infiffe´rencie´. 67 La langue parle´e avait renforce´ ante en abante; mais le contexte laisse la possibilite´ d’usage oral de la forme ancienne. 68 Le g intervocalique est passe´a` yod redouble´ en LPT1. Au VIIIe sie`cle, la prononciation indique´e est un peu conservatrice ([re´yye] e´volue en [re´i] apre`s la de´sarticulation de [e] final et la consti- tution d’une diphtongue par cohalescence). 69 Le graphe`me [tch] repre´sente la re´alisation de l’affrique´e issue de l’e´volution de [k] devant [a] par palatalisation en LPT2. Le graphe`me [ie´] repre´sente la diphtongaison de [a] accentue´ en syllabe ouverte au contact de l’affrique´e en LPT2. 70 La de´sinence du subjonctif plus-que-parfait est re´alise´e ainsi apre`s la de´sarticulation du e en syllabe finale. Meˆme e´volution pour les deux autres subjonctifs qui suivent. 71 Les reconstitutions incertaines sont e´galement laisse´es entre accolades { } . Les effets de phone´- tique syntactique sont rendus: ad partem [app]; ac firmauisset [aff]. 72 Cette piste avait e´te´ ouverte (ou plutoˆ t reparcourue apre`s les the`ses de Pei et de Sas) par d’Arco Silvio Avalle, Protostoria delle lingue romanze, Turin 1965, p. 391 sqq. 73 Avalle, Protostoria (voir n. 72), p. 363–414; Gustav A. Beckmann, Aus den letzten Jahrzehn- ten des Vulgärlateins im Frankenreich, dans: Zs. für romanische Philologie 79 (1963), p. 305–334. 74 Je cite d’apre`s Beckmann. 98 Michel Banniard tement. Qu’ils brisent la teˆte au bouteillier. Qu’ils retirent les boissons a` l’e´chan- son.«). Sic conuinit obseruare, apud staubo bibant et intus suppas faciant. Cum senior bibit duas uicis, sui uassalli la tercia, bonum est. (»Ainsi convient-il d’observer le rite: qu’ils boivent avec le crate`re et qu’ils y fassent des soupes. Lorsque le seigneur a bu deux fois, et ses vassaux la troisie`me, c’est correct.«). Le phrase´ de cette parodie se superpose a` celui des de´clarations du comte75. Et l’ensemble ne se distingue gue`re du phrase´ me´rovingien manifeste´ dans de nombreux monuments en sermo rusticus. Ainsi, le latin de l’hagiographie me´rovingienne pre´sente de nombreuses fluctuati- ons dont seuls quelques grands traits ont e´te´ ici esquisse´s. Le niveau de langue change nettement aussi bien d’œuvre en œuvre qu’a` l’inte´rieur d’une meˆme œuvre et surtout de sie`cle en sie`cle, la combinaison des trois facteurs, culturel, pragmatique et chro- nologique, aboutissant a` une situation ou` le sermo rusticus, feint ou re´el, se transforme en lingua romana rustica76. Quant on regarde en diachronie longue (VIe–VIIIe sie`cle) le niveau de langue employe´ dans le re´cit des jeunes marie´s, dans les dialogues du miracle des sept dormants, puis dans la Vie de saint Riquier, on constate que la langue e´crite e´volue. Cette e´volution ne se fait de fac¸on ni line´aire ni homoge`ne, force´ment. En particulier, le maintien d’un latin e´crit de niveau assez e´leve´ (sans eˆtre trop com- plexe) comme dans la Vie de Le´ger signe la capacite´ des auteurs/re´dacteurs me´rovin- giens a` maıˆtriser une palette langagie`re diffe´rencie´e77. Les se´quences de niveau un tant soit peu soutenu montrent cette re´sistance culturelle a` l’indiffe´renciation78. Toutefois,

75 Les e´tudes cite´es de Beckmann et Avalle ont porte´ surtout sur les the`mes classiques: phone´tique, morphologie, lexique. La syntaxe et le phrase´ ont e´te´ moins conside´re´s. Or, si l’e´mergence de l’article de´fini a e´te´ bien repe´re´e, la corre´lation entre le phrase´ de ces e´nonce´s et celui du tre`s ancien franc¸ais me´riterait d’eˆtre mieux souligne´e: par exemple, la se´quence ipsa cuppa frangant la tota se de´roule selon un ordre OV (CRD-SV), suivi d’une extension a` droite avec disjonction (l’adjectif attribut est se´pare´ du substantif par le verbe) qui est tre`s fre´quente en AFC, du moins en acrolecte litte´raire. 76 Le processus de cette me´tamorphose n’est pas diffe´rent de toutes les e´volutions de´crites par les mode`les mis en place par la sociolinguistique diachronique. Cf. Wulf Österreicher, Sprach- wandel, Varietätenwandel, Sprachgeschichte, dans: Ursula Schaefer, Edda Spielmann (dir.), Formen und Folgen von Schriftlichkeit und Mündlichkeit, Tübingen 2001, p. 217–248. 77 Des outils linguistiques modernes de comparaison directe entre ces diffe´rents registres (avant et apre`s la renouatio/emendatio alcuinienne) font encore de´faut parce que des e´tudes tre`s pointues comme Birgit Auernheimer, Die Sprachplanung der karolingischen Bildungsreform im Spiegel von Heiligenviten. Vergleichende syntaktische Untersuchungen von Heiligenviten in verschie- denen Fassungen, vor allem der »Vita Corbiniani«, auf der Basis eines valenzgrammatischen Modells, Munich 2003, se concentrent sur les Vies re´crites sans soumettre aux meˆmes me´thodes les versions initiales. En outre, l’analyse meˆme strictement linguistique des textes paˆtit un peu de la raideur de la me´thode applique´e. 78 Les conditions d’acce`s a` la culture e´crite d’une partie de l’e´lite des saints, tout comme le cadre pragmatique de la mise en œuvre communicative des Vitae rendent compte de cet e´chelonnage. Il est lie´ au degre´ de corre´lation entre e´ducation et aristocratie (cas des nutriti) comme l’a montre´ Martin Heinzelmann, Studia sanctorum.E´ ducation, milieux d’instruction et valeurs e´ducatives dans l’hagiographie en Gaule jusqu’a` la fin de l’e´poque me´rovingienne, dans: Michel Sot (coord.), Haut Moyen Aˆ ge. Culture, e´ducation et socie´te´. E´ tudes offertes a` Pierre Riche´, La Garenne-Colombe 1990, p. 105–138. Les textes me´rovingiens hagiographiques et la lingua romana rustica 99 si l’on compare ces documents en suivant la ligne de niveau la plus e´le´mentaire, on rele`ve une e´volution profonde qui aboutit au VIIIe sie`cle a` une diffe´rence non plus de niveau, mais de langue entre les registres plus e´leve´s (et donc conservateurs) et le registre le plus humble (et donc moderne). Cette impression est corrobore´e par la lecture de certains passages des diploˆ mes me´rovingien ou carolingien, ou` le niveau de langue fluctue suffisamment pour rejoindre celui de la premie`re Vie de saint Riquier. De ce fait, le niveau de la langue e´crite met a` ce moment-la` re´gulie`rement en sce`ne, sous forme d’acrolecte latiniforme, du protofranc¸ais, meˆme sous les premiers caro- lingiens. Des re´cits de niveau globalement plus e´leve´, comme la Vita Leudegarii Ia, foncti- onnent e´galement avec d’importantes fluctuations qui approchent de manie`re plus e´loigne´e le niveau de langue e´le´mentaire et entretiennent un rapport plus laˆche avec l’oralite´ imme´diate. Toutefois, de nombreux signaux inte`grent cette cate´gorie de Vies plus soigne´es a` une sorte de continuum langagier en diastratie. Certains passages dialogue´s portent en eux des se´quences de meˆme niveau que dans des œuvres au langage bien plus e´le´mentaire. C’est pre´cise´ment un des caracte`res de cette latinite´ me´rovingienne que de meˆler ces registres dans un ensemble plurise´culaire fait de compromis et de contradictions79. Leur analyse inte´grale demeure encore assez lar- gement a` faire. Le plus inte´ressant, semble-t-il, est que cette fluctuation de la langue e´crite me´rovingienne est fortement associe´ea` celles de la langue parle´e. L’ensemble de ces fluctuations, e´crites et orales, a e´te´ perc¸u, de´fini et nomme´ par les e´rudits carolin- giens de la fin du VIIIe sie`cle comme e´tant du sermo impolitus ou rusticus, en d’autre termes comme du ›latin d’illettre´‹. C’est ce niveau de latin qui a e´te´ d’abord classe´ comme e´tant de la lingua romana rustica, puis re´cuse´a` l’initiative d’Alcuin dans le champ de la pastorale chre´tienne avant d’y retrouver officiellement sa place et ses fonctions.

VI. TRAITS DU LATIN ME´ ROVINGIEN UNE TYPOLOGIE PROVISOIRE

1. Phrases coupe´es (ou emmeˆle´es): proble`mes de ponctuation. 2. Jointures syntaxiques flottantes. 3. Morphe`mes et syntagme`mes pre´romans en distribution ale´atoire. 4. Lexique e´volutif (se´mante`mes latins change´s; insertions de realia latins, pro- totypes romans; insertions germaniques). 5. Redondance lexicale (re´pe´titions des mots clefs en alternant formes anciennes et formes modernes).

79 L’ide´e qu’une description ade´quate de la situation langagie`re de ces sie`cles devrait abandonner une repre´sentation binaire (latin/vulgaire) pour adopter une mode´lisation e´chelonne´e a` l’inte´- rieur d’un continuum ae´te´ avance´e par Avalle (Protostoria [voir n. 72], p. 390 sqq.), pre´cise´- ment a` propos de la parodie de la loi salique. La sociolinguistique diachronique ente´rine cette conception tout en s’efforc¸ant de lui confe´rer un statut ope´ratoire. 100 Michel Banniard

6. Syntaxe bre`ve fre´quente. 7. Style direct fre´quent. 8. Anacoluthes narratives. 9. Anacoluthes syntaxiques. 10. Topologie contracte´e (placement resserre´ des groupes, nom-adjectif; de´ter- minant-de´termine´, etc.). 11. De´calages temporels dans les syntagmes verbaux. 12. Flottement des accords en morphologie dans les syntagmes nominaux. 13. Orthographe largement flottante. 14. Accroissement du champ de dispersion des niveaux de langue (axe vertical). 15. Augmentation des fluctuations de ce champ (axe horizontal). 16. Le pilotage se´mantique et prosodique l’emporte sur le pilotage morphologique et syntaxique.

Annexes I. ABRE´ VIATIONS, TERMINOLOGIE

LPC Latin parle´ d’e´poque classique [– 200/+ 200] LPT Latin parle´ tardif [IIIe–VIIe sie`cle] LPT1 LPT de phase 1 [IIIe–Ve sie`cle] (LPT»impe´rial«) LPT2 LPT de phase 2 [VIe–VIIe sie`cle] (LPT »me´rovingien« en Gaule; »wisi- gothique« en Espagne; »lombard« en Italie) PR Protoroman (VIIIe sie`cle) ZT1 Zone transitionnelle 1 [150–250] (du LPC au LPT1) ZT2 Zone transitionnelle 2 [450–550] (du LPT1 au LPT2) ZT3 Zone transitionnelle 3 [650–750] (du LPT2 au PR) PF Protofranc¸ais (VIIIe sie`cle) AFC Ancien franc¸ais classique (IXe–XIIIe sie`cle) De´tDta De´termine´ + de´terminant SN Syntagme nominal SV Syntagme verbal CRD Cas re´gime direct CRIP+ Cas re´gime indirect pre´positionnel CRIP- Cas re´gime indirect non pre´positionnel PPP Participe passe´ PPPre´s. Participe pre´sent Les textes me´rovingiens hagiographiques et la lingua romana rustica 101

II. NOMS DES REGISTRES DE LANGUE D’APRE` SLESHAGIOGRAPHESME´ ROVINGIENS

Auteur, date, Style savant Style populaire centre ge´ographique de la re´daction

Vita Richarii IIa cultius adnotare. simplex et minus polita locutio. Alcuin, vers 790, Abbeville

Vita Leudegarii IIa clausa ac incognita Ursinus, vers 690, uerba Poitiers

Vita Eligii lepos sermonis / gramma- sermo tenuis / simplex sermo / Dadon (saint Ouen), ticorum fumus / sermo incultus / vers 670, Rouen eloquenter oratio vilitas sermonis / depromi. rusticitas nimia.

Vita Boniti luculento stilo prolata simplex et incultus sermo Anonyme, vers 710, Clermont

Vita Wandregiseli humilis sermo / brevis Anonyme, vers 680, stylus / eleganter minus Fontenelle

Vita Balthildis Ordo scholasticorum Imperitia / uerba Anonyme, vers 660, uerborum / scholastica simplicia Neustrie aedificatio.

Vita Huberti rusticitatis uerba / incomposita Anonyme, avant 740, oratio / rusticitas / polluti re´gion de Lie`ge sermones / corrigenda, digna emendatione. 102 Michel Banniard

III. E´ VOLUTION MORPHOLOGIQUE PAR STRATES DIACHRONIQUES

A. Structures transdiachroniques: (vivantes en PF/AFC)

Latin PF

1 Passe´ synthe´tique + +

2 Indicatif imparfait + +

3 Subjonctif pre´sent + +

5 Subj. plus-que-parfait + +

6 Marques synthe´tiques de personnes + +

7 Ordre OV(S) + +

Datif/ge´nitif synthe´tique + + { humains}

B. Structures innovantes: (grammaticalisation acheve´e au VIIIe sie`cle) 1. Passif analytique a` l’imperfectum 2. Passe´ analytique (passe´ dit compose´) 3. Nouveau futur du pre´sent en -R- 4. Nouveau futur de l’imparfait en -R-EI (conditionnel)

C. Structures me´tastables: (effacement de l’oralite´ en LPT2/PF) 1. Imparfait du perfectum (plus-que-parfait). 2. Futur du perfectum (futur II), confondu avec le subjonctif du perfectum. 3. Ge´nitifs synthe´tiques en -oro-. 4. Formes en -ur (passif; de´ponents)

D. Structures e´vanescentes: (effacement de l’oralite´ en LPT1/LPT2) 1. Ge´nitifs singuliers en -i et en -is, pluriels en -um. 2. Ablatifs/datifs pluriels en -ibus. 3. Neutres pluriels en -a. FRANC¸OISDOLBEAU

Transformations des prologues hagiographiques, dues aux re´e´critures

La question a` laquelle je vais tenter de re´pondre est la suivante: qu’advient-il des prologues dans les diffe´rents types de re´e´criture hagiographique? Elle est justifie´e par le statut particulier des entre´es en matie`re, quel que soit le genre des œuvres qui suivent. Riches en lieux communs, les prologues sont a` la fois de´tachables et inter- changeables. Depuis l’e´poque helle´nistique, ou` fut e´dite´ un recueil d’exordes impute´s a` De´mosthe`ne1, il arrive meˆme qu’ils soient regroupe´s en se´ries, inde´pendamment des textes auxquels ils servaient d’ouvertures. Le phe´nome`ne, a` ma connaissance, n’existe pas en hagiographie, mais est atteste´ dans d’autres domaines comme l’homile´tique2 ou le pe´ritexte biblique3, et il connaıˆt actuellement une faveur renouvele´e, dont te´- moigne, par exemple, un recueil re´cent des Pre´faces de l’imprimeur Henri Estienne4. Au Moyen Aˆ ge, la production hagiographique e´tait conc¸ue, en ge´ne´ral, pour une lecture faite a` haute voix et de dure´e limite´e, le temps d’un repas ou des lec¸ons liturgiques de matines. D’autre part, les Vies anonymes y e´taient entoure´es d’une certaine suspicion; or, dans une pie`ce donne´e, le prologue e´tait souvent seul a` men- tionner l’auteur. Malgre´ cela, l’usage courant e´tait de commencer les lectures in medias res, en laissant de coˆ te´ le ou les prologues, ce qui explique, au moins en partie, le nombre e´leve´ de manuscrits qui en sont de´pourvus. Au milieu du XIIe sie`cle, un bibliothe´caire de Polirone soulignait la ne´cessite´ de lire les prologues, a` l’e´glise ou au re´fectoire, mais il semble bien qu’il ait preˆche´ dans le de´sert, comme le sugge`rent les commentaires inse´re´s dans le coutumier de sa propre abbaye5 et la transmission meˆme des œuvres hagiographiques.

1 De´mosthe`ne, Prologues, e´d. Robert Clavaud, Paris 1974. 2 Deux se´ries inde´pendantes d’exordes de sermons ont e´te´ conserve´es dans les recueils dits du Pseudo-Fulgence et d’Euse`be Gallican: Re´ginald Gre´goire, Home´liaires liturgiques me´die´- vaux, Spole`te 1980 (Biblioteca degli »Studi Medievali«, 12), p. 108–110; Eusebius Gallicanus, Collectio homiliarum,e´d. Franc¸ois Glorie, Turnhout 1971 (CCSL 101A), p. 749–769. 3 Les prologues dus a` Je´roˆ me sont parfois regroupe´s, inde´pendamment du texte biblique (par exemple dans Chaumont, BM 7, fol. 64v–73v, XIIe–XIIIe sie`cle), et il en existe des commentaires spe´ciaux, notamment par Moı¨se de Bergame (de´but XIIe sie`cle) et Guillaume Le Breton (XIIIe sie`cle). Un lettre´ ne´ en 1147, Giraud le Cambrien, a compose´ une anthologie de ses propres pre´faces: e´d. des seuls incipit chez John Sherren Brewer, Giraldi Cambrensis Opera, 1, Londres 1861 (Rolls Series, 21), p. 393–395. J’ai lu aussi jadis, en manuscrit, un florile`ge de prologues d’historiens, mais la cote de ce document e´chappe actuellement a` mes recherches. 4 Judith Kecskeme´ti, Be´ne´dicte Boudou, He´le`ne Cazes, La France des Humanistes. Henri II Estienne, e´diteur et e´crivain, Turnhout 2003 (Europa humanistica). A` l’e´poque moderne, le mode`le de ce type d’anthologie a e´te´ l’ouvrage fameux de Beriah Botfield, Prefaces to the First Editions of the Greek and Roman Classics and of the Sacred Scriptures, Londres 1861. 5 Padova, Biblioteca universitaria, 959: (fol. 177) Legitur prologus de uita ipsius, deinde incipitur a 104 Franc¸ois Dolbeau

La topique n’appartient a` personne. C’est parce qu’un prologue repose sur des lieux ›communs‹ qu’il est de´tachable et interchangeable. Et ces deux caracte´ristiques s’appliquent pleinement a` l’hagiographie pre´carolingienne, dont les prologues sont un champ privile´gie´ de l’intertextualite´. Certaines entre´es en matie`re y reprennent ou imitent des mode`les tardo-antiques, dus a` Je´roˆ me ou a` Sulpice Se´ve`re. D’autres pro- logues, comme ceux des Vies de saint Ouen ou de saint Colomban, lancent de nou- velles the´matiques qui furent reproduites ou adapte´es jusqu’au Moyen Aˆ ge central, au point de me´riter le qualificatif de ›passe-partout‹6. Au de´but du VIIIe sie`cle, le preˆtre E´ tienne, a` qui un e´veˆque et un abbe´ avaient demande´ une Vie de Wilfrid d’York (BHL 8889), reproduisit le prologue d’une Vie anonyme de Cuthbert (BHL 2019), en y interpolant uniquement les noms du saint et de ses commanditai- res7. Les e´diteurs modernes ont parfois occulte´ ces transferts, en e´liminant ce qu’ils conside´raient comme des plagiats. Ainsi, le meilleur manuscrit de la Vie de Se´verin de Bordeaux par Venance Fortunat (BHL 7652) de´bute par un prologue tire´ de la Vita Venantii de Gre´goire de Tours (BHL 8526), ou` seul le nom du saint a e´te´ modifie´ 8. Cela ne peut e´videmment pas eˆtre impute´a` l’auteur, dont le prologue authentique a duˆ disparaıˆtre a` un stade ancien de la diffusion, avant qu’un copiste inge´nieux ne re´agisse a` ce qui lui semblait une lacune. L’exemple illustre la fragilite´ et la commu- tabilite´ inhe´rentes aux prologues hagiographiques. En ce cas pre´cis, il est notable que l’un des plus anciens le´gendiers connus (Wien, ÖNB 420, IXe sie`cle) renferme a` la suite les Vies de Se´verin et de Venance, feˆte´s l’un et l’autre en octobre9. Dans ce rappel initial, ne´cessairement rapide, une dernie`re donne´e me´rite encore d’eˆtre e´voque´e. Sur le mode`le de la Vita Martini de Sulpice Se´ve`re (BHL 5610), il est fre´quent qu’en teˆte d’une œuvre hagiographique se succe`dent deux prologues: l’un vise un destinataire privile´gie´ (commanditaire ou de´dicataire), et l’auteur, selon le code d’une modestie affecte´e, y joue sur les registres de l’incompe´tence et de l’obe´is- sance; l’autre, sans adresse ou destine´ aux lecteurs en ge´ne´ral, replace un saint parti-

capite uita eius... Si prologus non legitur in ecclesia, legitur in refectorio... (fol. 181) Hoc autem notandum et ualde memorie comendandum quod omnes passiones sanctorum, que prologos habeant uel que non habeant, ita leguntur quemadmodum iam supradiximus de uitis sanctorum. Hec autem institutio processit a domno Iohanne armario sancti Benedicti, qui non ex auctoritate aliqua, sed ex suo arbitrio hec ex magna parte composuit. Ideoque si fuerit aliquis qui contra hanc institutionem fecerit, non puto eum reprehendendum esse. Ces extraits sont emprunte´s a` l’excel- lente the`se de Catherine Bonnin-Magne, Le sanctoral clunisien (Xe–XVe sie`cle), soutenue a` l’universite´ Paris I en de´cembre 2005. 6 Pour Ouen, voir mon recueil: Sanctorum societas. Re´cits latins de saintete´ (IIIe–XIIe sie`cle), Bruxelles 2005 (Subsidia hagiographica, 85), t. 2, p. 903–904, 911–912 (qui donne acce`s a` la bibliographie ante´rieure). Pour Colomban, cf. Franc¸ois Dolbeau, Un plagiat anonyme de la Vita s. Columbani, dans: Archivum Bobiense 3 (1981), p. 59–64; aux pre´ce´dents travaux cite´s, ajouter BHL 3246t, e´d. Joseph van der Straeten, Les manuscrits hagiographiques d’Arras et de Boulogne-sur-Mer, Bruxelles 1971 (Subsidia hagiographica, 50), p. 24. 7 Afin de ne pas multiplier les notes, les seules e´ditions a`eˆtre cite´es seront celles d’ou` seront tire´s des passages substantiels; pour les autres, les renvois faits a` la BHL permettront de les retrouver aise´ment. En cas d’e´ditions multiples, la priorite´ est donne´e a` celle des MGH. 8 Cf. Wilhelm Levison, dans: MGH, SRM VII, 1919/1920, p. 219 (in apparatu critico, d’apre`s Karlsruhe, Aug. CXXXVI, ante´rieur a` 846). Tous les autres te´moins sont de´pourvus de prologue. 9 Cf. AnalBoll 26 (1907), p. 39. Transformations des prologues hagiographiques 105 culier dans l’histoire du salut ou justifie la ve´ne´ration a` l’e´gard des saints, en insistant sur leur valeur exemplaire. Par convention, je qualifierai d’»auctorial« le texte le plus personnel et d’»hagiologique« celui qui l’est moins ou pas du tout. Ce de´doublement est repre´sente´, par exemple, dans la plus ancienne Vita Bauonis (BHL 1049). Le premier des deux prologues, en ge´ne´ral »auctorial«, est toujours isole´ du texte prin- cipal par des rubriques et exclu des e´ventuelles listes de capitula, ce qui lui confe`re une autonomie et une fragilite´ plus grandes; il prend meˆme parfois la forme d’une vraie lettre de de´dicace, avec adresse initiale et salut final. Le second prologue, en revanche, n’est pas ne´cessairement se´pare´ du corps du texte. Ainsi, dans la Vita Bauonis, celui-ci est-il reste´ pre´sent dans toutes les familles, tandis que la pre´face »auctoriale« y a disparu d’une partie de la tradition10. Une telle pre´sentation est, bien suˆ r, sche´ma- tique, et il existe des variantes possibles: d’abord, la frontie`re n’est pas toujours nette entre les deux types, car certains prologues, que j’appellerai »mixtes«, re´unissent les deux the´matiques; ensuite, l’un des textes liminaires – surtout le premier – peut eˆtre remplace´ par une postface de fonction e´quivalente, he´ritie`re des souscriptions tardo- antiques; mais je suis oblige´ de me limiter ici a` l’essentiel. Que deviennent ces divers prologues en cas de re´e´criture du texte primitif? La varie´te´ des pratiques observe´es refle`te, semble-t-il, la typologie des re´e´critures, non celle des textes liminaires. En effet, contrairement a` ce qu’on aurait pu attendre, on ne constate pas d’e´carts notables entre le traitement des trois types: »auctorial«, »hagio- logique« ou »mixte« (de´sormais abre´ge´s [a], [h] et [m]). Dans chaque se´rie, il est possible d’illustrer une gamme e´tendue de pratiques, depuis l’e´limination pure et simple jusqu’a` la reproduction en l’e´tat et a` la re´e´dition augmente´e. Je commenterai d’abord un certain nombre d’exemples du devenir des prologues, selon le pourcen- tage des donne´es reprises (de 0 a` 100%). Puis, a` la lumie`re de ces observations, j’analyserai plus en de´tail quelques cas spe´cialement difficiles, relatifs a` trois saints de Fontenelle, Ansbert, Vulfran et Wandrille, et a` l’abbesse Austreberte.

De`s qu’on commence a` comparer hypotextes et re´e´critures, le phe´nome`ne le plus frappant est le faible taux de pre´servation des prologues. Meˆme quand les hagio- graphes suivent d’assez pre`s la trame de leurs mode`les, il est fre´quent qu’ils aient e´carte´ totalement la ou les pie`ces liminaires. La Vita prima de Maximin de Tre`ves (BHL 5822) de´bute par un court prologue [m], avec adresse finale a` des carissimi fratres: pas un mot n’en a e´te´ repris dans la re´e´criture de Loup de Ferrie`res (BHL 5824), qui s’ouvre sur une lettre de l’auteur a` son commanditaire Waldo [a]; pourtant, dans le corps du texte, les passages imprime´s par Bruno Krusch en carac-

10 On a tente´ d’expliquer cette disparition en faisant remonter les copies comple`tes a` l’exemplaire offert a` l’abbe´ de Saint-Bavon, les copies sans pre´face a` des exemplaires envoye´s a` d’autres communaute´s: cf. Georges Declercq, La Vita prima Bavonis et le culte de saint Bavon a` l’e´poque carolingienne, dans: »Scribere sanctorum gesta«. Recueil d’e´tudes d’hagiographie me´die´vale offert a` Guy Philippart, Turnhout 2005 (Hagiologia, 3), p. 595–626. Sans eˆtre impos- sible, une telle explication fait courir le risque de surinterpre´ter un phe´nome`ne, somme toute, banal (un copiste ou un chef d’atelier peut choisir d’e´liminer une pre´face); elle gomme aussi la diffe´rence entre la de´dicace d’une œuvre et l’hommage d’un exemplaire (dont les topiques sont pourtant distinctes). 106 Franc¸ois Dolbeau te`res espace´s manifestent le lien e´troit avec le mode`le sous-jacent. Dans sa mise en vers de la Vita Wilfridi (BHL 8892), Frithegodus n’a rien retenu du texte [a], que son mode`le avait emprunte´a` la Vita Cuthberti. Dans le dossier de Solemnis de Chartres, deux prologues [h] se succe`dent, l’un dans BHL 7816, l’autre dans BHL 7818, sans aucun point de contact. Situation analogue dans les Vies de Carilephus (BHL 1568 et 1569), ou` les deux ouvertures successives sont de type [m], dans les Vies d’Adelphius de Remiremont (BHL 73 et 74), ou` l’on est passe´ de [h] a` [a], et dans celles de Praeiectus (BHL 6915–6916 et 6917), ou` le changement est inverse. De meˆme, les trois biographies de Didier de Vienne (BHL 2148 par Sisebut, BHL 2149, BHL 2150 par Adon) ou de Le´ger d’Autun (BHL 4849b, BHL 4851 par Ursinus, BHL 4855 par Frulandus) offrent des entre´es en matie`re de´pourvues de tout recoupement. Les exemples pourraient eˆtre aise´ment multiplie´s et montrent que les lettre´s me´die´vaux trac¸aient une frontie`re nette entre le corps des Vies et leur encadrement topique. Il convient pourtant d’eˆtre prudent en interpre´tant omissions et substitutions, car les suppressions de´libe´re´es sont difficiles a` distinguer des involontaires. De fait, dans les ale´as de la transmission, les mode`les des remanieurs pouvaient de´ja` avoir perdu leurs textes liminaires; or les e´liminations e´voque´es furent toutes faites de manie`re silencieuse. Je ne connais qu’une seule suppression explicite – et qui, a` ce titre, me´rite commentaire. La Vie d’Ursmer de Lobbes par Anson (BHL 8416) s’ouvrait sur une adresse [a] au commanditaire, l’e´veˆque The´odulphe († 776), en partie emprunte´e a` Sulpice Se´ve`re. En teˆte de sa re´e´criture (BHL 8417), Rathier de Ve´rone mit une lettre a` ses anciens confre`res de Lobbes, ou` il les priait de comparer son ouvrage a` celui d’Anson et d’utiliser la Vie qui leur semblerait la meilleure. Il y de´clarait, entre autres, ceci: »D’un certain Anson, un saint homme, a` ce qu’il semble, mais peu e´loquent, j’ai juge´ expe´dient d’omettre entie`rement la pre´face en forme de lettre, parce qu’il y re´gnait une telle confusion que meˆme l’intention de l’auteur y demeurait tout a` fait cache´e«11. Rathier, chasse´ du sie`ge e´piscopal de Ve´rone en 936, puis incarce´re´a` Pavie, devait alors se trouver ou en re´sidence surveille´e a` Coˆ me ou exile´ en Provence. Il cherchait, selon toute apparence, a` s’attirer la bienveillance de ses confre`res, afin de pre´parer un e´ventuel retour en Hainaut. Il e´tait donc en position de faiblesse, d’ou` une ne´cessaire modestie et les justifications apporte´es a` la transformation de son mode`le. A` Lobbes, son message fut entendu, et son texte substitue´a` celui d’Anson pour la lecture en assemble´e; mais ailleurs certains copistes e´carte`rent son prologue [a] ou le remplace`rent par un texte passe-partout [h], emprunte´a` la Vie de saint Gilles (BHL 8418 = BHL 93)12. Dans d’autres cas, la re´e´criture re´emploie certains e´le´ments des prologues: tel ou tel nom propre, quelques mots caracte´ristiques, une partie des the`mes ou du mate´riel biblique. L’essentiel a disparu, mais ces quelques traces suffisent a`e´tablir que l’hagio-

11 Epistolaris uero cuiusdam Ansonis, sancti, ut credi potest, quamquam non adeo diserti uiri, quam eidem suo operi praeposuit, praefatio omittenda ideo uisa est omnino, quia tanta ei inerat confusio, ut ipsa quoque auctoris in ea lateret omnimodis intentio (e´d. Fritz Weigle, MGH, Die Briefe der deutschen Kaiserzeit, vol. 1, Weimar 1949, p. 28). 12 Le de´tail des faits a e´te´ expose´ par moi sous le titre: La diffusion de la Vita s. Ursmari de Rathier de Ve´rone, dans: »Scribere sanctorum gesta« (voir n. 10), p. 181–207. Le prologue de BHL 93 fut repris aussi en BHL 4810. Transformations des prologues hagiographiques 107 graphe poste´rieur disposait bien d’un mode`le complet. La Vie ancienne de l’abbe´ Se´verin d’Agaune, ve´ne´re´a` Chaˆteau-Landon (BHL 7643–7645), mentionnait en pre´- face et en postface le nom d’un biographe du saint, Faustus presbyter, discipulus sancti Seuerini abbatis, garant pre´tendu des informations transmises; l’abre´ge´ BHL 7646 reprend ces nom et qualite´ en postface, comme si le re´dacteur voulait faire passer son œuvre pour la biographie primitive. La Vie de Corbinien par Arbeo (BHL 1947) de´bute par une lettre adresse´e a` Virgile de Salzbourg; son remaniement du IXe sie`cle (BHL 1948) s’est contente´ d’une seule phrase d’introduction, mais qui reproduit textuellement l’intentio auctoris d’Arbeo, exprime´e par les mots ad aedificationem audientium. Le versificateur en hexame`tres rythmiques de la Vie d’E´ loi (BHL 2478) conserve quelques mots de la tre`s longue ouverture de son mode`le en prose (BHL 2474)13. Du prologue [a] de la Vita Bauonis, Thierry de Saint-Trond, vers la fin du XIe sie`cle, n’a retenu qu’une allusion aux Scythes et le rejet des Aristotelica argu- menta (BHL 1051). La biographie de Maurille, e´veˆque d’Angers, a e´te´ relate´e par deux auteurs suc- cessifs: l’e´veˆque Magnobodus (BHL 5730) et le diacre Archanaldus (BHL 5731), dont les prologues personnalise´s citent un seul et meˆme verset biblique (Ps 125, 5). Or, le second renvoie au premier sous le nom de Fortunat et se cache lui-meˆme sous le nom de Gre´goire de Tours: il se comporte donc en faussaire. La Vie ancienne de saint Hubert (BHL 3993) de´butait par un texte [a], fait de lieux communs et de citations bibliques. La re´e´criture de Jonas d’Orle´ans (BHL 3994) adopta la formule d’un double prologue: le premier, une lettre de de´dicace, ne doit rien a` l’hypotexte; mais le second, aussi de type »auctorial«, emprunte au mode`le deux citations bibli- ques (Ps 80, 11, sous une forme vieille-latine, et Jn 15, 5), ainsi que la de´termination a` ne pas craindre, comme certains confre`res, l’accusation de rusticitas. Le dossier de saint Ouen, e´veˆque de Rouen († 686), fournit un exemple analogue. La Vie la plus ancienne (BHL 750) s’ouvrait sur un prologue [h] tre`s re´ussi, qui fut imite´ et parfois repris in extenso dans les dossiers d’autres saints14. La deuxie`me Vie (BHL 751), introduite par un texte de meˆme type, en a retenu quelques de´tails: l’odeur des saints compare´s a` des lis, l’allusion a` l’aˆnesse de Balaam et le verbe enarrare. En revanche, la troisie`me (BHL 752) de´bute par un long prologue [a], ou` l’auteur ne me´nage pas les critiques a` l’e´gard de son mode`le (il dispose en fait des deux Vies pre´ce´dentes): la re´e´criture se limite ici a` la narrationis series, et la topique initiale des autres bio- graphies est e´vacue´e. Deux Vies du martyr Gangulfus ont e´te´e´tudie´es par Levison (BHL 3328 et 3328a), dont aucune, a` vrai dire, n’est d’e´poque me´rovingienne. L’une et l’autre sont pre´ce´- de´es d’un prologue bavard [m], ou` les auteurs pre´tendent ne pas avoir de mode`le e´crit, mais seulement quelques te´moignages oraux. Il est amusant d’observer que ce sont presque les seuls e´le´ments que BHL 3328a (fin Xe sie`cle) a repris de BHL 3328 (fin

13 Notamment la phrase: (cum...) eorumque uana tantum discurrat gloria, quae ueterum nectunt mendacia, devenue nectentes / ingeniis ficta mendacia... / eorumque si uana tantum discurrat gloria (e´d. Karl Strecker, dans: MGH, Poetae Latini aevi Carolini, IV/2, Berlin 1914, p. 787, qui indique la source en apparat). 14 Voir n. 6. 108 Franc¸ois Dolbeau

IXe sie`cle), comme le prouvent les rapprochements suivants, de´ja` note´s par Levi- son15.

BHL 3328 BHL 3328a Veluti quasdam conuersationis eius lineas Antiquo siquidem mandatam haud dubitamus ducimus, quia, quod non sine magno cordis stilo, sed dolemus inertiae deperisse somno... dolore dicimus, nusquam eam scriptam Scripta enim licet olim credantur, uspiam reperire ualeamus. Et quidem tanti uiri actus non inuenimus... Quasi lineas uitae eius et miracula non dubitamus fuisse scripta... quasdam, quae per succedentium posteritates Sed quaedam ad nos per succedentium ad nos fideli relatu emanarunt, tangentes... relationem fideli narratione contigit proferamus. emanasse.

Dans les exemples qui pre´ce`dent, seuls quelques de´tails provenaient du mode`le a` l’inte´rieur d’une forme et d’une topique bouleverse´es. Cependant, il existe aussi des cas de vraie re´e´criture, ou` un prologue s’est transmis en deux versions – versions certes distinctes, mais structurellement apparente´es, en de´pit des changements syno- nymiques ou topiques. Les e´diteurs des Monumenta Germaniae historica ont he´site´ alors entre une pre´sentation synoptique sur deux colonnes (Bathilde [BHL 905, 908], Philibert [BHL 6805, 6806]16), des e´ditions se´pare´es (Vivien [BHL 1324, 1325], Le´ger [BHL 4851, 4852]) ou une e´dition traditionnelle rejetant en apparat les variantes de la re´e´criture (Lambert [BHL 4677, 4679a]). Chacun de ces exemples pose des proble`- mes particuliers, et les motivations de telles re´e´critures restent souvent myste´rieuses, faute de de´clarations explicites ou de te´moignages indirects. L’e´le´ment commun, semble-t-il, est que l’auteur du texte alternatif (qu’il soit qualifie´ de re´viseur stylis- tique ou de remanieur) n’entendait pas se mettre en avant ou se substituer a` l’auteur primitif, contrairement a` ce qui arrivait dans les cas discute´s jusqu’ici. En ce qui concerne Vivien et Philibert, les deux recensions sont si proches que seuls les prologues ont e´te´ publie´s se´pare´ment; les vies elles-meˆmes ont fait l’objet d’une e´dition unique avec un seul apparat. Pour Bathilde, en revanche, la pre´sentation en colonnes se poursuit tout au long du texte. A` l’inte´rieur des dossiers complexes de Lambert et de Le´ger, les remaniements BHL 4679a et 4852, hormis leurs prologues, n’ont pas e´te´e´dite´s ni meˆme collationne´s inte´gralement. La tendance ge´ne´rale va vers l’amplification, mais celle-ci reste modeste a` l’e´gard des textes liminaires. Les types de prologues [a, h ou m] ne sont ici jamais modifie´s. Le cas e´che´ant, les noms des auteurs ou commanditaires primitifs sont maintenus: Ursi- nus et Ansoaldus (en BHL 4852), l’abbe´ Cosquinus et la communaute´ de Jumie`ges

15 MGH, SRM 7, 1919/1920, p. 156–157 et 171. 16 La Vita Sulpicii Bituricensis (BHL 7927–7928) est aussi imprime´e sur deux colonnes, mais seule la seconde recension posse`de un prologue. Quant a` l’e´dition synoptique de la Vita Gertrudis (BHL 3490), la distance entre les prologues est si faible qu’elle renvoie a` deux familles de manus- crits, plutoˆ t qu’a` deux recensions; les textes mis en paralle`le sont d’ailleurs re´pertorie´s sous le meˆme nume´ro dans la BHL. Transformations des prologues hagiographiques 109

(en BHL 6806). La re´vision est d’abord lexicale et syntaxique, mais s’accompagne parfois de changements de lieux communs et aussi de courtes additions: une citation biblique (Tobie 12, 7) en teˆte de BHL 908; des formules mentionnant les garants des informations transmises (BHL 4679a: sicut per fideles uiros et idoneos testes ad nostrum peruenit auditum; BHL 4852: cum quodammodo quorumdam relatione fuissent audita). La transformation la plus drastique concerne le prologue de la Vita Philiberti (BHL 6806), a` tel point que, dans un manuscrit de Bamberg du Xe sie`cle (Staatsbibliothek, Patr. 134 [B. V. 25]), un scribe a juge´ utile de le transcrire, de manie`re additionnelle, devant celui de BHL 6805: si, de ces deux textes, Levison n’avait pas donne´ une e´dition synoptique, j’aurais e´te´ enclin a` les e´voquer plutoˆ t dans la section pre´ce´dente. Pour Vivien, les prologues concurrents sont atteste´s respectivement dans des te´moins du Xe (BHL 1324) et du XIIe sie`cle (BHL 1325). Parmi les e´le´ments com- muns figure leur premier mot, l’adverbe convenienter, et l’on peut se demander si cela n’a pas e´te´ voulu, afin de ne pas troubler les utilisateurs, habitue´s dans les listes de lectures ou les coutumiers a` trouver des renvois fonde´s sur les incipit. Dans le dossier de Denis, les de´buts des passions, a` la fois semblables et diffe´rents – Post domini nostri Iesu Christi salutiferam passionem, post resurrectionis [...] mysterium (BHL 2171), Post beatam et gloriosam resurrectionem domini nostri (BHL 2178), Post beatam ac salutiferam domini nostri Iesu Christi passionem et adorandam eius ab inferis resur- rectionem (BHL 2175, par Hilduin) –, reposent peut-eˆtre sur une intention analogue. Noter en passant que ces trois prologues [h] sont construits de la meˆme manie`re et que celui d’Hilduin illustre une pratique encore non commente´e: il s’agit d’un centon de phrases de´coupe´es dans l’introduction, plus de´veloppe´e, de BHL 2171.

Pour rajeunir un texte, la re´e´criture stylistique n’e´tait qu’une des options possibles. Certains hagiographes, respectueux du travail de leurs pre´de´cesseurs, imite`rent les historiens en adoptant la technique de la continuation. Baudonivie conc¸ut sa Vie de Radegonde (BHL 7049) comme second livre d’un diptyque, dont le premier e´tait la biographie due a` Fortunat (BHL 7048). Son prologue [a] emprunte une bonne part de sa topique a` Fortunat, mais en puisant dans des pre´faces autres que celle de BHL 7048. Baudonivie laissa ainsi en l’e´tat le prologue [h] de Fortunat. Mais un hagiographe poste´rieur, qu’il est difficile de dater, substitua brutalement a` ce dernier une pre´face [m] (BHL 7050), sans qu’on devine sa motivation. Le nouveau prologue, a` quelques variantes pre`s, est de´coupe´ dans celui de la Vie d’un e´veˆque de Chartres, Betharius (BHL 1318–1319)17. Milon de Saint-Amand comple´ta la Vie en prose du patron de son abbaye (BHL 332) par une se´rie de supple´ments (BHL 339–341), ce qui eut pour conse´- quence de laisser intact le prologue [a] primitif et anonyme. De manie`re comparable, Ermentarius procura une e´dition augmente´e du dossier de Philibert, en comple´tant une Vie ancienne (BHL 6805) par un recueil de miracles (BHL 6808–6809), mais plus tard, il choisit, contrairement a` Milon, de faire pre´ce´der l’ensemble d’une nouvelle de´dicace en vers et en prose a` Hilduin (BHL 6807). Les manuscrits de´pendant de son

17 De cette pie`ce, reste´e ine´dite sous la forme BHL 7050, je donne une transcription dans l’annexe I. 110 Franc¸ois Dolbeau e´dition, dont le meilleur est Tournus 1 du Xe sie`cle, s’ouvrent ainsi sur trois textes liminaires, a) un poe`me a` Hilduin en distiques e´le´giaques ou` figure le nom Ermen- tarius, coupe´ en deux par une tme`se; b) une lettre de de´dicace au meˆme (a + b = BHL 6807); enfin c) le prologue anonyme qui e´voquait la commande de l’abbe´ Cosquinus et de la communaute´ de Jumie`ges (de´but de BHL 6805), sans retouches significatives. Un tel respect du travail d’autrui est si inhabituel que les anciens e´rudits interpre´taient l’ensemble Prologues + Vie + Miracles comme une œuvre homoge`ne d’Ermentarius. Pour l’enrichissement des Vies anciennes, il existe une dernie`re technique, beau- coup plus fre´quente que la pre´ce´dente: l’interpolation, qui re´sulte d’un travail de compilation. Celle-ci, qui a mauvaise presse aupre`s des critiques modernes, repose souvent sur des recherches documentaires et un re´el effort pour harmoniser des sources disparates. E´ tudie´e sous l’angle des prologues, elle peut avoir des issues tre`s diverses. On a de´ja` vu comment Hilduin, dont l’œuvre hagiographique a un caracte`re compilatoire, avait, dans BHL 2175, abre´ge´ et centonise´ un prologue ante´rieur. Dans la Vie de saint Le´ger, BHL 4852, l’interpolateur a choisi de retoucher superficielle- ment le prologue d’Ursinus, sans apport autre que stylistique. D’autres compilateurs, faute de documentation externe justifiant une intervention, se contentent de re- prendre tels quels les textes liminaires. En teˆte de la Vie de Jean de Re´oˆ me (BHL 4424), Jonas de Bobbio avait place´ une pre´face hagiologique; celle-ci fut e´car- te´e par un premier remanieur (BHL 4425), mais re´tablie en l’e´tat par un second (BHL 4426), qui visait a` combiner les deux textes transmis. Les e´ditions modernes de la Vie de Germain d’Auxerre par Constance de Lyon (BHL 3453) de´butent par trois pie`ces liminaires: I) une lettre faisant hommage de l’œuvre a` l’e´veˆque Patient de Lyon, explicitement de´signe´ comme commanditaire; II) une lettre accompagnant l’envoi d’un exemplaire re´clame´ par l’e´veˆque Censurius d’Auxerre; III) un avis ge´ne´ral aux lecteurs. Une telle se´quence est irre´gulie`re et n’a pas de garants dans la tradition manuscrite, ou` seuls quelques te´moins attestent la lettre II, et encore jamais a` cette place. La se´rie I–II–III des modernes de´rive en fait de la Vie interpole´e (BHL 3454), qui fut compile´e au IXe sie`cle a` Auxerre. Son auteur y avait retrouve´, dans les archives e´piscopales, la lettre II de Constance a` Censurius, simple billet accompagnant un livre, qui n’appartenait pas a` la Vie primitive. Or il de´sirait, en compilateur ze´le´, enrichir son mode`le, sans en changer la teneur, a` partir du maximum de sources. Il intercala donc le texte II entre les prologues primitifs (adresse´s, sur le mode`le de la Vita Martini, et au commanditaire et aux lecteurs en ge´ne´ral), tout comme il interpola ailleurs des extraits des Vies d’Amateur, de Genevie`ve ou des Miracles de Julien. Les se´quences II–I–III ou II–III – remplac¸ant, dans de rares manuscrits de la Vie ancienne, la succession habituelle I + III18 – sont le produit d’une contamination banale, dont vient d’eˆtre cite´, d’apre`s un recueil de Bamberg, un autre exemple relatif a` Philibert. Ce qui importe ici est que le compilateur auxerrois a reproduit scrupuleu- sement les deux prologues de Constance de Lyon; par souci d’exhaustivite´, il leur a adjoint un billet e´manant du meˆme auteur, billet que les futurs e´diteurs de BHL 3453 seraient bien inspire´s de rejeter en appendice.

18 Londres, British Library, Add. 17357, XIIIe sie`cle; Rome, Biblioteca Vallicelliana, t. XXII, XIe sie`cle. Transformations des prologues hagiographiques 111

Enfin – ultime aboutissement possible –, il existe aussi quelques cas de prologues interpole´s. Les hagiographes ont alors juge´ bon d’e´mailler d’e´le´ments nouveaux l’entre´e en matie`re de leur mode`le. Le phe´nome`ne, associe´ ou non a` des retouches stylistiques, reste rare, car les compilateurs visent surtout a` enrichir leur hypotexte de donne´es factuelles. Un exemple simple est procure´ par le dossier de Melaine de Ren- nes, ou` le remanieur a voulu transformer le type de prologue de son mode`le, de [h] a` [m]19.

BHL 5887 [h] BHL 5890 [m] Dum sanctorum patrum priscorum Cum sanctorum priscorum patrum ueneranda ueneranda memoria in omnipotentis Dei memoria in omnipotentis Dei laude laudem uenerabiliter est colenda, et eorum uenerabiliter sit colenda, et eorum honorabilis honorabilis uita ad exemplum fidelium uita ad exemplum fidelium fideliter proferenda; fideliter est proferenda, quam reus in diuinis quisque in diuinis uoluminibus reus adscribitur, uoluminibus ascribitur, qui non studuerit qui non studuerit dare gratis, quod ipse gratis dare gratis, quod ipse gratis accepit? accepit. Quidquid enim ecclesiae filiis proficit, Quicquid enim aecclesiae proficit et et auditores suos imbuit, eosque ad exemplum auditores imbuit eosque ad exemplum prouocat bonum, non est silendum, sed potius prouocat bonum, non est silendum, sed praedicandum. Idcirco nos timentes de inutili, potius praedicandum. uel potius de noxia taciturnitate damnari, insignia sanctissimi Christi praesulis Melanii gesta, qualicumque decreuimus exprimere charactere, ne forte, quod absit, dum praestolatur qui ea luculentius describat, materies multipliciter profutura (pro futura ed.) uetustate depereat. Praestat siquidem, ut descripta tam salubri historia de syllaba reprehendamur uel litteris, quam inerti somnolentiae indulgentes; nec nobis excusationem de tantillo nobis commisso talento, nec sapientioribus quandoque futuris in his amplificandis siue corrigendis locum Vnde ait psalmista: »Iusticiam tuam non praebuerimus exercitationis. Quapropter abscondi in corde meo, [ueritatem tuam et sequentes pro posse psalmistam qui ait: salutare tuum dixi. Non abscondi] »Iustitiam tuam non abscondi in corde meo, misericordiam tuam et ueritatem tuam a misericordiam tuam et ueritatem a concilio concilio multo« (Ps 39, 11). multo«, non ea abscondemus de isto confessore Christi, quae ueridica relatione comperimus, quamuis ea proferre ut decuerat non possimus.

19 Le texte de gauche (BHL 5887) est emprunte´a` Bruno Krusch, MGH, SRM III, 1896, p. 372; celui de droite (BHL 5890) aux AASS Ian. 1, 3e e´d., p. 328. Une premie`re re´vision le´ge`re (BHL 5888) avait respecte´ le prologue primitif, en coupant seulement une partie de la citation psalmique (les mots ueritatem tuam et salutare tuum dixi. Non abscondi, imprime´s ici entre crochets). C’est de cette re´vision, le´ge`rement tronque´e, que de´pend le texte interpole´ BHL 5890. 112 Franc¸ois Dolbeau

Un autre cas, plus complexe, est procure´ par le dossier des saints Omer, Bertin et Winnoc. L’œuvre primitive avait e´te´ conc¸ue comme une trilogie (BHL 763), intro- duite par un prologue [m], ou` seul Omer e´tait mentionne´, tandis que les deuxie`me et troisie`me parties n’avaient pas d’ouverture spe´ciale. Un de´vot de Bertin, de´sireux de mettre son patron en valeur, fabriqua un nouveau prologue (re´pertorie´ sous BHL 1290), en interpolant celui de BHL 763. Le nom de Bertin, ajoute´a` celui d’Omer, l’obligea a` transformer des singuliers en pluriels; une addition finale montre clairement qu’il voulait introduire ainsi un diptyque traitant singulatim (c’est-a`-dire se´pare´ment, successivement) de la Vie et des Miracles d’Omer et de Bertin20. Mais l’examen de la tradition ne permet plus de savoir quels e´taient les textes qui devaient suivre. Dans Saint-Omer 764, Xe sie`cle, il pre´ce`de les seuls Miracula Bertini (BHL 1291)21; dans Boulogne 107, XIe sie`cle, il inaugure un groupe de textes sur Bertin renfermant BHL 1292, des hymnes, une messe, puis BHL 1290 et 129122; dans Gand 244, XIe sie`cle, il est bizarrement associe´a` un autre prologue relatif a` Omer, celui de BHL 76723; ailleurs, comme dans la Bibliotheca hagiographica latina, il intro- duit le re´cit BHL 129024, ou l’ensemble BHL 1290–129125, mais jamais un diptyque incluant des pie`ces sur Omer. La re´alite´ est donc plus complique´e que la fac¸on dont le texte a e´te´ re´pertorie´.

Avec ces pie`ces augmente´es par interpolation, toute la gamme des transformations possibles a e´te´ parcourue. Les observations pre´ce´dentes peuvent-elles maintenant servir a`e´clairer le statut controverse´ de certains prologues? Je voudrais ici amorcer une re´flexion a` propos de quelques textes normands: d’abord les Vies de trois saints ve´ne´re´s a` Fontenelle: les e´veˆques Ansbert de Rouen et Vulfran de Sens, et l’abbe´ fondateur, Wandrille26; puis celle de l’abbesse Austreberte de Pavilly. Les Vies de Fontenelle ont une longue histoire commune, puisque le premier docu- ment suˆr a` leur sujet est la description d’un livret, le´gue´a` l’abbaye par un preˆtre reclus, en 811: Librum uitarum sancti Vuandregisili, Ansberti ac Vulframni confes-

20 Quia igitur sancti uiri loca regiminis sui discreta habuerunt, honeste gubernantes, sanctus uidelicet Audomarus episcopatum Taruennae, beatus uero Bertinus coenobium suum proprium Sithiu, de eorum uita et uirtutibus singulatim pauca nobis sunt expedienda (e´d. AASS Sept. 2, Anvers 1748, p. 591A). 21 Cf. AnalBoll 47 (1929), p. 289. 22 Cf. Van der Straeten, Les manuscrits hagiographiques d’Arras (voir n. 6), p. 137–138. 23 Cf. AnalBoll 3 (1884), p. 175–176. 24 Vatican, Reg. lat. 598, Xe sie`cle, provenant de Fleury: cf. Cat. Vat., p. 389. 25 Douai, BM 836, fin XIIe sie`cle: cf. AnalBoll 20 (1901), p. 383. C’est sous cette forme que le texte e´tait jadis copie´ dans les exemplaires du Legendarium Flandrense. 26 J’essaierai de poursuivre et, en partie, de confirmer par une autre voie les analyses de John Howe, The Hagiography of Saint-Wandrille (Fontenelle) (Province of Haute-Normandie), dans: Martin Heinzelmann (dir.), L’hagiographie du haut Moyen Aˆ ge en Gaule du Nord, Stuttgart 2001, p. 127–192 (= SHG VIII), et de Ste´phane Lebecq, Vulfran, Willibrord et la mission de Frise. Pour une relecture de la Vita Vulframni, dans: Michel Polfer (dir.), L’e´vange´lisation des re´gions entre Meuse et Moselle et la fondation de l’abbaye d’Echternach (Ve–IXe sie`cle), Luxembourg 2000, p. 429–451. Transformations des prologues hagiographiques 113 sorum Christi uolumen I27. La Vie d’Ansbert par le moine Aigradus (BHL 520) et celle de Vulfran par le moine Jonas (BHL 8738) posent un proble`me identique: cer- taines des donne´es relate´es dans le corps des textes sont incompatibles avec les noms des abbe´s auxquels les prologues [a] confe`rent le roˆ le de commanditaire. Aigradus offre son ouvrage a` l’abbe´ Hildbertus, actif dans les dernie`res anne´es du VIIe sie`cle, ce qui implique une re´daction de peu poste´rieure a` la mort d’Ansbert, survenue apre`s 690. Jonas envoie le sien au successeur d’Hildbertus, l’abbe´ Baino (ca 700–709), la` encore quelques anne´es au plus apre`s le de´ce`s de Vulfran, ante´rieur a` 704. L’e´diteur de ces textes, Wilhelm Levison, apre`s en avoir analyse´ le contenu, leur applique le meˆme jugement28: les deux Vies renferment des informations de bon aloi, mais sont vicie´es par de tels anachronismes qu’elles ne peuvent avoir e´te´ re´dige´es sous Hildbertus et Baino; elles doivent eˆtre abaisse´es au moins jusqu’a` la fin du VIIIe sie`cle. Toutes deux empruntent des passages a` l’Histoire eccle´siastique de Be`de, acheve´e entre 731 et 735. Le prologue de Jonas fait appel au te´moignage d’un preˆtre Ovo, ramene´ de Frise par Vulfran, et re´sidant toujours a` Fontenelle; or ce preˆtre est donne´ comme de´funt au chapitre 6, ou` sa mort est situe´e sous un abbe´ du milieu du VIIIe sie`cle. La lettre initiale d’Aigradus ne peut non plus eˆtre sauve´e, car prologue et Vie sont unis par de larges emprunts a` la Vita Honorati d’Hilaire d’Arles et de´coulent donc d’une cam- pagne unique de re´daction. La conclusion est sans appel: les auteurs sont des faus- saires, et leurs prologues des fictions; leurs noms meˆmes sont sujets a` caution, et celui de Jonas pourrait renvoyer a` l’auteur fameux de la Vie de Colomban. Le Pseudo- Aigradus serait aussi l’auteur de la Vie mutile´e de Lambert de Fontenelle († 688), premier successeur de Wandrille (BHL 4675). En 1910, la the`se de Levison, aujourd’hui largement rec¸ue, e´tait nouvelle. Car auparavant la plupart des historiens admettaient que les deux Vies d’Ansbert et de Vulfran e´taient interpole´es, ce qui e´vitait de rejeter les indications des prologues. Malgre´ mon admiration pour Levison, je ne comprends pas ce qui oblige ici a` traiter Aigradus et Jonas de faussaires. Les arguments tire´s de la Quellenforschung sont spe´cieux: il suffit pour les re´futer de placer dans la strate primitive les reprises de la Vita Honorati et dans une autre strate les emprunts a` Be`de. Certes, pour aucun des dossiers, il ne s’est transmis de version ante´rieure. Mais les observations faites plus haut a` propos de Vies suˆ rement interpole´es (BHL 3453 et 3454; BHL 4851 et 4852; BHL 5887 et 5888; BHL 6805 et 6806) montrent que les remanieurs ne se mettent pas en avant, ne se dissimulent pas sous des noms fictifs, respectent globalement la teneur des prologues primitifs, alors qu’ils enrichissent massivement les re´cits, au risque de commettre des anachronismes. Il se peut que Levison ait eu raison, mais l’hypothe`se ante´rieure de l’interpolation reste, a` mon sens, de´fendable, vu le sort re´serve´ d’ordi- naire aux textes liminaires. En outre, la pre´sence – dans chaque dossier – d’une hym- ne alphabe´tique de type archaı¨que renforce l’hypothe`se d’un culte litte´rairement productif de`s la premie`re de´cennie du VIIIe sie`cle: la pie`ce en l’honneur de Vulfran,

27 Pascal Pradie´ (e´d.), Chronique des abbe´s de Fontenelle (Saint-Wandrille), Paris 1999 (Les clas- siques de l’histoire de France au Moyen Aˆ ge, 40), p. 142. 28 MGH, SRM V, Hanovre, Leipzig 1910, p. 613–615 (Ansbertus), 657–659 (Vulframnus). 114 Franc¸ois Dolbeau re´cemment publie´e (BHL –)29, reprend une strophe de l’hymne a` Ansbert (BHL 523) et attribue expresse´ment a` Baino le roˆ le de commanditaire. Voila` donc un faux sup- ple´mentaire, si l’on s’en tenait a` l’appre´ciation de Levison. Dans le cas de Wandrille († ca 668), le proble`me se pose en termes un peu diffe´rents. La Vie la plus ancienne (BHL 8804) est introduite par un prologue [m] assez prolixe, ou` ne sont nomme´s ni l’auteur ni le commanditaire; elle est attribue´e en ge´ne´ral a` un disciple de Wandrille, localise´ selon les auteurs a` Romainmoˆ tier ou, plus probable- ment, a` Fontenelle. La Vita secunda (BHL 8805) de´bute par un hommage anonyme [a] de l’œuvre a` Lambert, deuxie`me abbe´ de Fontenelle, devenu e´veˆque de Lyon entre 677 et 683; le fait que Lambert soit ici qualifie´ de reuerentissime pontificum implique une date poste´rieure a` son e´lection comme e´veˆque; mais le re´cit lui-meˆme fait e´tat d’une translation survenue plus tard et ne peut eˆtre ante´rieur a` la confection des Gesta abbatum Fontanellensium, c’est-a`-dire a` l’abbatiat d’Anse´gise (823–833). Faut-il donc, avec Krusch30, conside´rer cette lettre a` Lambert comme un autre exemple de falsification? Felice Lifshitz a nague`re propose´ une solution simple: la lettre serait authentique, mais aurait initialement pre´ce´de´ la Vie ancienne, connue aujourd’hui graˆce a` un seul te´moin du VIIIe sie`cle31. Il y aurait donc eu transfert pur et simple de prologue, selon un phe´nome`ne effectivement atteste´. En fait, l’hypothe`se est insoutenable: les textes liminaires [m] de BHL 8804 et [a] de BHL 8805 ne peuvent avoir fonctionne´ en- semble comme deuxie`me et premier prologues, non seulement parce qu’ils utilisent, comme le dit John Howe, »the same humility topoı¨«, mais surtout parce qu’ils ont en commun un passage de´ja`e´voque´ dans l’introduction de Krusch:

BHL 8804 BHL 8805 Adgrediar ergo facultate qua ualio... Conabor iam uirtute qua ualuero e Plurimum quippe mihi de ipsius beatissimi pluribus pauca reuoluere. { Inseremus ergo uiri uirtutis pandenti, multa a memet ipso illa, quae ueris assertionibus experti sumus uise, plerumque etiam uenerabilium fuisse patrata} ; nonnulla enim a memetipso monachorum seu discipulorum eius, qui ei uisa,pleraqueetiam uenerabilium prolexa tempora seruierunt, relatione monachorum eius, qui ei per prolixa prolata, qui non tantum audita sed uisa adhaeserunt tempora, { assertione uerissima} narrant, in hoc opere [...] pauca de plurima probata cognoui: qui non tantum audita, [...] expressi stilo. uerum etiam ipsis coram positis acta fideliter narrant.

29 Franc¸ois Dolbeau, Une hymne ine´dite en l’honneur de saint Vulfran, dans: Martin Heinzel- mann (dir.), Livrets, collections et textes. E´ tudes sur la tradition hagiographique latine, Ostfil- dern 2006 (Beihefte der Francia, 63), p. 225–284. 30 MGH, SRM 5, 1910, p. 1–11; le jugement de Krusch fut suivi par Levison, ibid., p. 615. 31 Felice Lifshitz, The Norman Conquest of Neustria. Historiographic Discourse and Saintly Relics, 684–1090, Toronto 1995 (Studies and Texts, 122), p. 221–224. Transformations des prologues hagiographiques 115

Hormis les passages entre accolades (noter l’insistance des comple´ments ueris assertionibus, assertione uerissima), presque tous les mots de la colonne de droite32 trouvent un e´quivalent exact ou synonymique sur la colonne de gauche33. Il est donc difficile d’admettre que les deux pie`ces ont pu fonctionner ensemble, au moins sous la forme ou` elles se sont transmises. John Howe, estimant, pour d’autres raisons, qu’il existait entre BHL 8804 et 8805 un interme´diaire perdu, a suppose´ que la lettre a` Lambert remontait en substance a` ce maillon manquant. Mais l’hypothe`se se heurte a` une autre difficulte´, que soule`ve l’analyse des sources.

Vita Columbani (BHL 1898) BHL 8805 (a) Hii qui eo fuerunt in tempore... qui nobis (c) Inseremus ergo illa, quae ueris non audita sed uisa narrent, uel quae etiam assertionibus experti sumus fuisse patrata; nos per uenerabiles uiros Athalam et { nonnulla enim a memetipso uisa, pleraque Eusthasium didicimus... (b) Si aliqua minus etiam uenerabilium monachorum eius, qui ei rite prompta decorem faciditatis caruerint, per prolixa adhaeserunt tempora, assertione uestris faleramentis decorentur, ut legentibus uerissima probata cognoui: (a) qui non tantum apta fiant... (c) Inseruimus ergo illa quae audita, uerum etiam ipsis coram positis acta ueris assertionibus experti sumus fuisse fideliter narrant.} (b) Quae si minus compte patrata... (d) Nouerit tamen nos non ad hoc edita fuerint, aut decore facundiae funditus uestigia tendere, ut nos putemus doctorum caruerint, mi reuerentissime pontificum gressibus coaequari. Lantberte, uestris... eloquiis decorentur, ut legentibus apta fiant. (d) Nouerint tamen legentes, non hac me stoliditate desipere, ut uelim doctorum gressibus coaequari.

A` l’e´vidence, l’auteur anonyme de BHL 8805 s’inspire du prologue de Jonas de Bob- bio34, y compris dans le passage entre accolades qu’il posse`de en commun avec BHL 8804. Or, dans ce membre de phrase, BHL 8804 se re´ve`le plus proche du texte de Jonas. L’explication de John Howe devient donc peu e´conomique, puisqu’elle oblige a` supposer deux recours, nettement se´pare´s dans le temps, a` la Vita Colum- bani, le premier durant la re´daction de BHL 8804, le second durant celle du maillon manquant dont de´pendrait BHL 8805. Mais quelle autre explication proposer? Con- trairement a` ce qui est dit en ge´ne´ral, l’hagiographe ne pre´sente pas Lambert comme son commanditaire; il lui envoie seulement un exemplaire pour d’e´ventuelles correc- tions. Sous toute re´serve, je serais donc enclin a` proposer la solution suivante: les deux textes liminaires de la Vita Wandregisili sont quasi contemporains et issus, sinon de la meˆme plume, au moins du meˆme cercle. Le prologue de BHL 8804 introduit la version destine´e a` la communaute´ de Saint-Wandrille, celui de BHL 8805 en serait

32 E´ d. AASS Iul. 5, 3e e´d., p. 372 (d’ou` est aussi tire´ l’extrait commente´ ensuite). 33 E´ d. Bruno Krusch, MGH, SRM 5, 1910, p. 13. 34 E´ d. Bruno Krusch, Ionae Vitae sanctorum Columbani, Iohannis, Vedastis, Hanovre, Leipzig 1905 (MGH, Scriptores rerum germanicarum in usum scholarum, 37), p. 145–148. 116 Franc¸ois Dolbeau une re´e´criture de substitution35, destine´e a` la copie offerte en hommage a` l’ancien abbe´, devenu e´veˆque de Lyon, re´e´criture reprise ensuite au IXe sie`cle par un auteur carolingien. A` moins qu’on ne pre´fe`re s’en tenir a` une falsification partielle – ou meˆme, avec Krusch et Levison, ge´ne´ralise´e – des prologues hagiographiques de Fon- tenelle dans l’intention de repousser aux origines des productions plus tardives. Le dossier d’Austreberte, e´galement commente´ par John Howe36, est presque aussi e´pineux. Puisque la pre´sente e´tude traite des prologues, les Vies seules seront e´vo- que´es, et non les Miracles. Trois ont e´te´ re´pertorie´es: BHL 831, reste´e ine´dite, a` l’exception de ses deux prologues [a] et [m] qu’ont publie´s les Bollandistes dans leur catalogue hagiographique de Paris37; BHL 832, e´dite´e par Jean Bolland dans les Acta Sanctorum38, avec un seul prologue [a], a` la fois voisin et diffe´rent de celui de BHL 831; BHL 833, recension abre´ge´e, de´butant in medias res et partiellement imprime´e par Mabillon39. La simple collation des manuscrits conduit a` une conclu- sion qui ruine en partie les analyses ante´rieures. BHL 831 et 832 ont bien deux entre´es en matie`res distinctes, mais les re´cits qui suivent ne forment qu’une seule Vie, car les e´carts observe´s entre la version des Acta Sanctorum et les manuscrits s’expliquent par les interventions stylistiques de Surius, conserve´es chez Bolland. En d’autres termes, une fois revues sur les te´moins me´die´vaux, les recensions 831 et 832 divergent seu- lement par leurs pie`ces liminaires. On est donc confronte´a` un nouveau cas de sub- stitution de prologue, explication sugge´re´e a` l’instant a` propos de la lettre d’envoi de la Vita Wandregisili (BHL 8805) et phe´nome`ne de´ja` releve´ dans les dossiers de Vivien (BHL 1324 et 1325) et de Philibert (BHL 6805 et 6806). Le rapprochement avec Philibert est d’autant plus significatif que celui-ci, fonda- teur et premier abbe´ de Jumie`ges, avait choisi Austreberte comme abbesse du monas- te`re voisin de Pavilly: la sainte est donc mentionne´e dans la biographie de Philibert, et Philibert dans la Vie d’Austreberte. Quant aux prologues de BHL 831 et 832, ils e´voquent, eux aussi, le dossier de Philibert, mais dans une autre perspective40:

35 Les prologues, tout en e´tant proches, n’ont jamais e´te´ associe´s: cela distingue la position ici de´fendue de celle de Felice Lifshitz. 36 Howe, The Hagiography of Jumie`ges (voir n. 26), spe´c. p. 108–116. 37 Cat. Paris., 3, p. 137–139. 38 AASS Febr. 2, Anvers 1658, p. 419–423. 39 Acta sanctorum ordinis sancti Benedicti, saec. III, pars prima, Paris 1672, p. 37–39. Levison, influence´ par d’autres historiens, estimait que la Vie BHL 833 e´tait ante´rieure a` BHL 831–832 et repre´sentait la Vita prima (cf. MGH, SRM V, p. 595 n. 2). John Howe (The Hagiography of Jumie`ges [voir note 26], p. 115) a montre´ qu’une telle position e´tait intenable et que BHL 833 posse´dait toutes les caracte´ristiques d’un abre´ge´. Il convient donc de revenir a` l’ordre choisi par Mabillon, qui a publie´ ce texte derrie`re celui de BHL 832. 40 Les textes cite´s sont extraits des e´ditions propose´es en annexe; ils ont e´te´ revus sur les manuscrits, et peuvent donc pre´senter des divergences avec les e´ditions mentionne´es aux notes pre´ce´dentes. Transformations des prologues hagiographiques 117

BHL 831 BHL 832 Etenim si aggredi temptauero, uereor ne mihi Vnde non immerito tantae materiae molem contingat quod cuidam contigisse audiui. arripere trepido, cui nimirum, ut opinor, ipse Nam rogatus a quibusdam uiri Homerus, si ab inferis emergeret, seu ille mirae reuerentissimi Filiberti, monasterii eloquentiae Tullius, tanta uirtutum copia Gemmeticensis quondam abbatis, uitam deuictus, succumberet. Vereor enim ne mihi atque conuersationem diligentius exarare, contingat quod cuidam contigisse audiui, qui ilico scribere conatus est. Cum autem ad rogatus a quibusdam uiri reuerentissimi manus cuiusdam legendi gratia peruenisset, Philiberti, monasterii Gemmeticensis quondam despexit et irrisit (arrisit Boll.) et longe aliter abbatis, uitam atque conversationem stilo textum et ordinem multo melius dissimiliter diligentius exarare, ilico scribere conatus est. immutauit. Ego tamen utrumque bene fecisse Cumque ad manus cuiusdam legendi gratia existimo. Nam ille qui prior mente deuota peruenisset, despexit et irrisit, et longe aliter iuxta uires petentibus fratribus satisfecit, nisi textum et ordinem multo melius dissimiliter hoc fecisset, eius animum, qui post fecit, ad immutauit. Vnde hactenus distuli uestrae faciendum nullatenus prouocasset. Et utinam parere deuotioni, ne forsitan ab his qui huic similiter eueniret opusculo! philosophiae sibi applaudunt peritiam et simplicem nostram conrodunt scientiam, promptulae arguar praesumptionis, quod beatae uirginis eximios actus imperitis uidear explicare uerbis.

La meˆme anecdote est relate´e de part et d’autre, et dans les meˆmes termes. Un hagio- graphe, qui venait de re´diger sur commande une Vie de Philibert, a vu son travail critique´ et en partie refait. Dans les deux cas, l’histoire est rapporte´e avec crainte (uereor ne mihi contingat quod), a` l’inte´rieur d’une section impre´gne´e de topique d’humilite´. Dans BHL 831, elle rec¸oit malgre´ tout une conclusion positive, puisque la maladresse initiale a pousse´ un critique a`e´crire une version meilleure. Dans BHL 832, elle justifie seulement les re´ticences et retards de l’auteur face a` la taˆche qu’on lui a confie´e. La dernie`re phrase commune aux deux versions (longe aliter textum et ordi- nem multo melius dissimiliter immutauit) implique une re´fection assez drastique, au niveau de la langue (textus) et de la succession des e´pisodes (ordo). On he´site donc a` la mettre en relation avec le de´doublement des recensions BHL 6805 et 6806, qui diver- gent surtout par leur prologue41. Reste a` expliquer, dans ce cas comme dans d’autres, le phe´nome`ne de substitution des prologues. L’ouverture de BHL 831 comporte deux textes: I) un hommage de l’ouvrage a` l’abbesse Iulia, de´veloppant les the`mes du mundus senex et de l’incom- pe´tence de l’auteur [a]; II) une adresse ge´ne´rale aux lecteurs, commenc¸ant par une justification de l’hagiographie [m]. La structure est donc celle de la Vita Martini,a`

41 C’e´tait de´ja` l’opinion de Levison (cf. MGH, SRM V, p. 573). Il n’est pas non plus pertinent de renvoyer au manuscrit de Bamberg, B. V. 25, Xe sie`cle, qui atteste une contamination de BHL 6805 par BHL 6806, plutoˆ t qu’une re´e´criture. 118 Franc¸ois Dolbeau laquelle l’anonyme emprunte aussi quelques lieux communs42. L’ouverture de BHL 832 est plus sobre et se limite a` un prologue [a], e´galement adresse´a` Iulia, selon un code de modestie affecte´e, mais sans allusion pessimiste a` la vieillesse du monde. L’auteur tire aussi quelques formules de Sulpice Se´ve`re43, mais il n’existe aucun recou- pement, de sorte que John Howe s’est trompe´ quand il a invoque´ ces emprunts – et leur pre´tendue de´gradation en BHL 832 – pour de´montrer l’ante´riorite´ de BHL 83144. En dehors du nom de Iulia et de l’anecdote relative a` Philibert, les pie`ces liminaires n’ont rien en commun. La refonte a donc e´te´ quasi totale, mais dans quel sens a-t-elle e´te´ effectue´e? En accord avec John Howe et les Bollandistes (au vu de leur nume´ro- tation), j’estime que la priorite´ doit eˆtre accorde´e a` BHL 831, dont l’ouverture, gon- fle´e d’un long passage a` l’irre´el, est sophistique´e et parfois difficile a` comprendre. Il paraıˆt plus logique d’admettre que la re´e´criture s’est faite dans le sens de la simplifi- cation et de la sobrie´te´. Cela est d’ailleurs e´taye´ par le fait que, sur le plan textuel, les meilleurs te´moins de la Vita sont les deux manuscrits du XIIe sie`cle qui attestent le double prologue (Paris, BNF lat. 12605 et Alenc¸on, BM 12). L’hypothe`se la plus plausible est que, face a` un de´but aussi complique´, une re´e´criture partielle a e´te´ demande´e a` l’auteur lui-meˆme ou a` un confre`re; la me´saventure survenue au bio- graphe de Philibert se re´pe´tait en quelque sorte dans un milieu assez voisin. L’absence de retouches, meˆme minimes, a` l’inte´rieur de la Vita est en faveur d’une quasi simul- tane´ite´ des recensions. Les deux ouvertures pre´sentent l’hagiographe comme contemporain de l’abbesse Iulia, qui aurait, selon John Howe, ve´cu vers le milieu du VIIIe sie`cle. Si une telle datation devait eˆtre confirme´e et en l’absence d’abbesses homonymes, il faudrait conclure, la` encore, que l’hagiographe e´tait un faussaire. En effet, d’apre`s le style, ni la Vita unique ni aucun des prologues ne peuvent remonter a` cette e´poque. De plus, l’introduction BHL 832 renferme une citation cache´e du poe`te Milon de Saint- Amand († ca 871–872), reste´e jusqu’a` pre´sent non identifie´e: conscius imperitiae et inertis ingenii, qui nunc apicum primordia uix addidici45. Si, comme il semble, les recensions BHL 831 et 832 sont contemporaines, le dossier d’Austreberte

42 La fin de II notamment est faite de fragments emprunte´s a` la Vita Martini, § 1, 9: Obsecro autem eos qui lecturi sunt, ut fidem dictis adhibeant, neque me quicquam nisi conpertum et probatum scripsisse arbitrentur; prol. 3–4: ut res potius quam uerba perpendant... quia regnum dei non in eloquentia, sed in fide constat... salutem saeculo non ab oratoribus [...] sed a piscatoribus praedi- catam (e´d. Jacques Fontaine, Paris 1967 [Sources chre´tiennes, 133], p. 252, 254, 248). 43 Les mots ut opinor, ipse Homerus, si ab inferis emergeret [...], tanta uirtutum copia deuictus, succumberet de´rivent de Vita Martini 26, 3 (contamine´e avec sa source, la Vita Hilarionis de Je´roˆ me); l’expression animum appuli ad scribendum provient de Vita Martini, prol. 5 (ou de sa source, Te´rence, Andria, prol. 1). 44 Howe, The Hagiography of Jumie`ges (voir n. 26), p. 111: »That the unpublished version (BHL 831) is the closer surviving witness of this author’s original vita is indicated by the bor- rowing from the Vita Martini cited above, which has been distorted almost beyond recognition and subsumed into the prologue of the more extensively circulated version (BHL 832)«. 45 Cf. Milo, Vita metrica sancti Amandi (BHL 333) I, v. 100–101: Qui rudis existens apicum primordia uix nunc / Addidici, doctrina et uerbi flumine siccus (e´d. Ludwig Traube, dans: MGH, Poetae Latini, 3, Berlin 1896, p. 571). Transformations des prologues hagiographiques 119 est e´tranger a` l’e´poque me´rovingienne et date, au plus toˆ t, de la mise en circulation du poe`me de Milon vers 855.

Mon expose´ cherchait plutoˆta` poser des proble`mes qu’a` les re´soudre. Ces premie`re re´flexions, limite´es aux prologues, sont loin d’avoir e´puise´ la question des change- ments apporte´s aux pe´ritextes et encadrements topiques. De la suppression a` la re- prise en l’e´tat, de l’emprunt d’un de´tail a` l’interpolation, la gamme des traitements possibles est e´tendue, et les motivations des re´dacteurs souvent moins apparentes que dans les re´cits eux-meˆmes. Parmi les Vies de saints des temps me´rovingiens, le phe´- nome`ne le plus curieux semble la substitution d’un prologue a` un autre, avec maintien du re´cit, car on ne sait jamais si cela refle`te un repentir d’auteur, un double envoi a` deux destinataires, un de´sir du commanditaire, une ame´lioration voulue par un lec- teur. Les entre´es en matie`re permettaient a` chaque hagiographe de de´ployer son talent dans le maniement des lieux communs: leurs me´tamorphoses constituent un champ, encore mal explore´, de l’histoire de la rhe´torique. 120 Franc¸ois Dolbeau

Annexes I. PROLOGUE A` LA VITA RADEGUNDIS, SUBSTITUE´ A` CELUI DE VENANCE FORTUNAT

Ce texte (BHL 7050) s’est conserve´ dans Paris, BNF lat. 5360, fol. 92rv, de la fin du XIIIe sie`cle (= P), un le´gendier per anni circulum, de juillet a` de´cembre46. Le recueil a probablement e´te´ conc¸u pour une maison de femmes, Jouarre-en-Brie47. Il est donc e´tonnant que les de´veloppements de Fortunat sur la saintete´ fe´minine y aient disparu au profit d’une topique plus banale, extraite de la Vie d’un obscur e´veˆque de Chartres de la fin du VIe sie`cle, Betharius (BHL 1318–1319 = Be). L’affirmation de l’hagio- graphe: Nos quod uidimus scripsimus modifie mensonge`rement l’hypotexte: Nos quod scimus scripsimus. La Vita Radegundis qui suit transmet en finale une addition caracte´ristique du groupe 5 de Krusch48. Le mode`le chartrain Be, dont un manuscrit remonte au XIe sie`cle, devait eˆtre sensiblement plus ancien, d’apre`s la syntaxe et les hyperbates49.

Cum beatorum confessorum gesta religio christiana oba amorem celestis patrie exemplaqueb sequacibus bonorumc deuotissime aggreditur diuinis inserere paginis, ut ea que per eos dominus dignatus est presentaliterd operari miracula, ualeante ad cunc- torum redolere noticiam hominum, in eius procul dubio non dubium est adcumulare laudibusf, qui suis fidelibus fragili adhucg glutino circumdatish tantami excellentiam dignatur conferre, quatinus adhuc seculo degentibusk erumpant, dicentes in laudibus: »Nostra auteml conuersatio in celis est50«. Obsecro itaque omnes qui hanc lecturi sunt editiunculam, nem adtendant uenus- tatem gramatice artis, sed donum deitatisn, eto intento audiant corde quanta sit gloria propter amorem dei terrenap relinquere et per angustum euuangelii tramitemq51 celes- tis uite gaudiisr adherere, ut legendo et credendos gesta eorum proueniat eis quod in euuangelio ueritas dicit: »Beati qui non uiderunt et crediderunt52«. Nos quod uidi- must scripsimus, unde nobis aliquam portiunculam credimus obtinereu.

46 Un second te´moin, auquel je n’ai pas eu acce`s, serait conserve´a` Wien, ÖNB, ser. n. 12754, fol. 68v, XVe sie`cle, selon le site Internet BHLms des Bollandistes (http://bhlms.fltr.ucl.ac.be/). 47 Cf. Franc¸ois Dolbeau, Anciens possesseurs des manuscrits hagiographiques latins conserve´sa` la Bibliothe`que nationale de Paris, dans: Revue d’histoire des textes 9 (1979), p. 183–238, spe´c. p. 205. 48 MGH, SRM II, Hanovre 1888, p. 377. Le prologue »hagiologique« de Venance Fortunat est e´dite´ ibid., p. 364–365. 49 E´ d. Bruno Krusch, MGH, SRM III, Hanovre 1896, p. 613–614. Toutefois, le prologue n’e´tait connu de l’e´diteur qu’au travers d’e´ditions ante´rieures; il e´tait absent de ses deux te´moins me´die´- vaux, comme il l’est aussi de Copenhague, Kongelige Bibliothek, Thott, 133, XIIIe sie`cle, de´crit par Baudouin de Gaiffier,E´ tudes critiques d’hagiographie et d’iconologie, Bruxelles 1967 (Subsidia hagiographica, 43), p. 394–400, spe´c. p. 400. 50 Phil 3, 20. 51 Cf. Mt 7, 13–14. 52 Io 20, 29. Transformations des prologues hagiographiques 121 a ad Be b exemplarque Be c bonum Be d praesentialiter Be e ualeant Be P in marg. f accumulari praeconiis Be g fragili adhuc P: adhuc carnis Be h circumdatis Be: -tos P i tantam Be: -tum P k adhuc seculo degentibus P: in hoc saeculo degentes Be l autem non habet Be m ut non Be n donum deitatis P: deuotionem scribentis Be o et non habet Be p propter amorem dei terrena P: mundum Be q tramitem Be: -te P r celestis uite gaudiis P: sanctorum uestigiis Be s et credendo scripsi: et credo P haec uerba non habet Be t uidimus P: scimus Be u nobis — obtinere P: portiunculam credimus aeternae beatitudinis affuturam Be.

II. PROLOGUES CONCURRENTS DE LA VIE D’AUSTREBERTE

A. Double prologue de la Vie re´pertorie´e sous BHL 831

Ce texte a e´te´ publie´ par les Bollandistes (= ed.), d’apre`s Paris, BNF lat. 12605, fol. 12–13, XIIe sie`cle, provenant du Bec (= B); il est imprime´ ici a` partir d’une col- lation de B avec Alenc¸on, BM 12, fol. 114–115, XIIe sie`cle, provenant de Saint- E´ vroult (= A). Une troisie`me copie, aujourd’hui perdue, appartenait jadis a` l’abbaye de Conches (cf. l’inventaire de Paris, BNF lat. 11777, fol. 101, XVIIe sie`cle). Les notes textuelles renvoient seulement aux changements introduits par rapport a` ed. et aux variantes significatives.

Incipit prologus in uitam sanctae Austrobertae uirginis Si ruensa mundus et, uelut arbor incisa securibus una in parte casura, penitus incli- natus ab hominibus retrahi et quibuslibet argumentis potuisset subponi, quo facilius mens humana, longeuitate temporum certa, fabricandi quippiam aut scribendi sump- sisset fiduciam, ita ut ipsa artificeb artificium suum facultatemc utendi aetas longaeua protraheret, opusque fructum atque perfectum fruendi causa humana procreatio durans in aeuo constaret, licet iam a sonitu tantae concussionis in uniuerso mundo dudum cunctaed generaliter cessauerint artium disciplinae, surgeret tamen modo hominum noua progenies53 et uelut exe radice germinans rediuiua praecipue philo- sophiae iocunditas pullularet. Ego igitur, a te, o uenerabilis mater Christique discipula Iulia, quamquam inertia soporeque depressus, tandem excitatus, immo a memet ipsof, et tactus dolore cordis intrinsecus54, dum tanta ignorantia et imperitia me cernerem deprehensum, ut ad perficiendum opus quod iniungebas penitus forem inefficax, quid aliud agerem quam ut, peregrinatione suscepta, orientalium partium regiones lustrare festinans, terras penetrare, montium iuga conscendere, maria transfretare aggrederer, ibique unum e pluribus quos illae regiones habere solebant, Tullium uidelicet aut Demostenem, perquirens, disciplinis suis me traderem eiusque ad tempus omni me seruitio sub- iugarem 〈uitamque illi committeremg〉, quatinus aliquantisper imbutus [uitamque illi

53 Cf. Vergilius, Eclog. 4, 7. 54 Cf. Gn 6, 6. 122 Franc¸ois Dolbeau committerem] uerbis, quasi Iosephus aut Caesariensis Eusebius, uel etiam, ut dicere nefas est, noster quondam Ieronimus residerem, et non solum ea tibi quae a te iussa sunt eleganti sermone digesta breuiter luculenterque ediderim, uerum etiam praesen- tibus temporibus quicquid e mundo accidensh casu siue de industria euenisset, ad cognitionem humani generis stilo illustrassem? Nunc igitur, cum aliter mundo euenire non posse manifestum est, nisi ut uelociter cum his omnibus quae in eo sunt dissoluatur et pereat, ita ut nec his paene sufficiat qui eo praesenti tempore utuntur – quanto magis futuris, dum non erunt, aliquid fiti intentionek relinquendil –, quid aliud unum quemque oportet magis, ut intra quan- tulumcumque cubiculum residens, uitam suam potius a uitiis corrigere studeat, quam laudem ab hominibus quaerens, aliorum uirtutes tantum uerbis nitatur, non operibus explanare? Nec hoc ideo dicimus, quasi non uideatur bonum aut sanctum uitas atque uirtutes sanctorum commemorari – quia, quando de ipsis loquimur, tunc corda nostra salubrius compunguntur, et si imitari mens nostra non ualet quod recolit, saltem ex auditu aut lectu desiderio inflammatur atque accenditur –, sed quia ad nostram excusationem multa iam opponere temptauimus, ut, si possibile fuisset tuis imperiis contraire, ab hoc negotio uolueramus declinare, quia ualde uidetur difficile eructare hominem quod in cibo non sumpserit, aut aliquid docere nisi prius didice- rit55. Nam cum ego minime sim tali eruditusm officio aut usus aliquo ingenio, quo- modo, si annisus fuero, potero unquam euadere sine periculo? Etenim si aggredi temptauero, uereor ne mihi contingatn quod cuidam contigisse audiui. Nam rogatus a quibusdam uirio reuerentissimi Filiberti, monasterii Gemmeticensis quondam abba- tis, uitam atque conuersationem diligentius exarare, ilico scribere conatus est. Cum autem ad manus cuiusdam legendi gratia peruenisset, despexit et irrisitp et longe aliter textum et ordinem multo melius dissimiliter immutauit. Ego tamen utrumque bene fecisse existimo. Nam ille qui prior mente deuota iuxta uires petentibus fratribus satisfecit, nisi hoc fecisset, eius animum, qui post fecit, ad faciendum nullatenus prouocasset. Et utinam huic similiter eueniret opusculo! Nam obtabam in modico simpliciter tantum significare, ac si diuinitus, quod praecipis. Prouocatus itaque, commotus tremensque uerba domini, dum deum requiescere et inhabitare perspexe- rit, debet tunc magnopere totis nisibus laborare ne occultentur opera Christi, sed magis lucerna iam semel accensa, non sub modio sed super candelabrum posita, lucens omnibus qui in domo sunt56, non solum praesenti tantum tempore Christi fidelibus extinguaturq aut abscondatur, uerum ad posteritatis augmentum 〈ut inde- ficiens luceat iugiterque resplendeatr〉, a quouis oratoris facundia frustrato uel luden- tis philosophiae peritia alieno, rustico uidelicet inpolitoque sermone, [ut indeficiens luceat iugiterque resplendeat] obtabam, exempli causa quantulocumque pagano lit- teris commendetur, ut sicut illi qui paulo ante corporeis oculis intuentes per semet

55 Proverbial: cf. Bernardus Clar., Sermo 5 in dedicatione ecclesiae, 2: Nec possum uobis quod non gustauerim eructare (e´d. Jean Leclercq, Henri Rochais, Sancti Bernardi opera, 5, Rome 1968, p. 389); Ambrosius Med., De officiis I, 1, 1, 4: Docere uos coepi quod ipse non didici. Itaque factum est ut prius docere inciperem quam discere (e´d. Maurice Testard, Sancti Ambrosii Mediolanensis De officiis, Turnhout 2000 [CCSL, 15], p. 2), etc. 56 Mt 5, 15. Transformations des prologues hagiographiques 123 ipsos magnalia uiderunt, ita hi qui legendo reuocant ante oculos cordis praeterita glorificent Deum patrem qui est in caelis57.

Item praefatio Cum igitur uitae uel gesta sanctorum narrando recoluntur, quid aliud quam laus uel gloria dei praedicatur atque per hoc mentes audientium ad amorem caelestis patriae inflammantur58? Qua de re poscentes auxilium omnipotenti deo redemptori nostro, qui linguas infantium facit disertas59 et plectrum linguae asinae contra naturam olim uertit in eloquiis60, ut et oris nostri ianuam aperiat apertamque adimpleat, quatinus cum fiducia dicere possim, sustentare eum qui lassus est uerbo61. Vnde cum magna humilitate obsecro62 eos qui lecturi sunt, ut fidem dictis adhibeant, neque me quicquam, nisi a testibus fidelibus compertum scripsisse arbitrentur, quibus etiam interfuisse manifestum est, potiusque rem quam uerba perpendant, quia regnum Dei non est in eloquentia, sed in fide constat atque uirtute. Etenim non ab oratoribus sed a piscatoribus saeculo uenisse salutems credendum est. Explicit prologus. a ruinis ed. b artifice scripsi dubitanter: -ces AB ed. c facultatem ed. recte: -tum AB d cunctae ed. recte: -ta AB e e ed. f immo a memet ipso AB (qui, textu partim eraso, non bene legitur): tuo [desiderio] ipso ed. g haec uerba hic posui: post imbutus habent AB ed. h accidens ed. recte: -cedens AB i sit ed. k intentione A: -nis B ed. l relinquendi scripsi dubitanter: -dum AB ed. m tali eruditus: talenti ditus ed. n contigat ed. o uiris A fort. recte p arrisit ed. q aut extinguatur A r haec uerba hic posui: post sermone habent AB ed. s seculo salutem euenisse A.

B. Prologue de la Vie re´pertorie´e sous BHL 832 L’e´dition des Acta Sanctorum (Febr. 2, Anvers 1658, p. 428 = ed.)ae´te´ revue sur l’ensemble des manuscrits disponibles, dont le meilleur est Rouen, BM 1392 (U. 98), fol. 114–115, XIIe sie`cle, provenant de Jumie`ges (= R). Afin de ne pas multiplier les notes critiques, seules les divergences entre ed. et R sont ici note´es.

Prologus in uitam sanctae Austrobertae [1] Iam dudum me, uenerabilis mater Christique discipula Iulia, importunis precibus obnixe petebas ut uitam beatissimae uirginis Austrebertae meo studerem stilo dige- rere et tantae claritatis gemmam ad multorum notitiam litterisa propalare. Hoc me saepius admonebas, admonendo pulsabas, meque torporis et ignauiae arguebas, illius in euangelio serui ingerens socordiam, qui non distrahendo ad lucrum, sed humo

57 Mt 5, 16. 58 Cf. Anso, Vita Erminonis, prol.: Dum apostolorum praecepta exemplaque patrum recitantur..., corda audientium conpunguntur atque ad amorem caelestis patriae inflammantur (e´d. Wil- helm Levison, MGH, SRM VI, Hanovre, Leipzig 1913, p. 461). 59 Sap 10, 21. 60 Allusion a` l’aˆnesse de Balaam (Num 22, 28). 61 Is 50, 4. 62 A` partir de ce verbe jusqu’a` la fin du texte, centon tire´ de Sulpice Se´ve`re (voir n. 42). 124 Franc¸ois Dolbeau abscondendo domini sui pecuniam, diuinae animaduersionis atrocem incurritb sen- tentiam63. Ad haec ego meae conscius imperitiae et inertis ingenii, qui nunc apicum primordia uix addidici64, tantae rei negotium aggredi recusabam et impar uiribus meis pondus subire deuitabam et, ne tamc splendidam nostro seculo lucernam imperito uidererd obfuscare eloquio, admodum formidabam. Quis enim, rethorico licet fretus acumine et uerborum facundia praeditus, de ea ut dignum est loqui sufficiat, aut innumera uirtutum eius praeconia ubertim prosequi ualeat, quae ad instar sanctissimi uatis Hieremiae, priusquam in utero formaretur, angelico testante oraculo, deo omni- potenti cognita et, antequam de uulua exirete, caelitus sanctificata65, angelicam quo- dammodo studuit ducere uitam et post angelorum inedicibilem promeruit gloriam? Vnde non immerito tantae materiae molem arripere trepido, cui nimirum, ut opinor, ipse Homerus, si ab inferis emergeret66, seu illef mirae eloquentiae Tullius tanta uir- tutum copia deuictus succumberet. Vereor enim ne mihi contingat quod cuidam contigisse audiui, qui rogatus a quibusdam uiri reuerentissimi Philiberti, monasterii Gemmeticensis quondam abbatis, uitam atque conuersationem stilo diligentius exa- rare, ilico scribere conatus est. Cumque ad manus cuiusdam legendi gratia peruenis- set, despexit et irrisit, et longe aliter textum et ordinem multo melius dissimiliter immutauit. Vnde hactenus distuli uestrae parere deuotioni, ne forsitan ab his qui philosophiae sibi applaudunt peritiam et simplicem nostram conrodunt scientiam, promptulae arguar praesumptionis, quod beatae uirginis eximios actus imperitis uidear explicare uerbis. [2] Verum quia sapientia huius mundi stultitia est apud deum67, omissa omni excusationis nota, ad multorum profectum et eius memoriale perpetuum, conemur eag fideli et ueraci stylo depromere, quae de ea multorum ueri- dica fidelium comperimus relatione. Ergo gloriosae huius patronae nostraeh animatus merito, quae caelestis imperatoris felici gaudet conubio, uestrae insuper piae deuo- tionis parens imperio, tandem animum appuli ad scribendum68 sanctissimum eius ortum, conuersationem et obitum, et quae per illam dominus gessit insignia mira- culorum. Operae pretium est enim tam pretiosae uirginis gesta, inculto licet calamo nec urbanitatis lepore perspicuoi, summatim perstringendok exequi ac diuina magna- lia saltem balbutiendo effari. Dabit pro certo de se scribendi fiduciam, quae ipsam dei patris mirando contemplatur sapientiam, a fine usque ad finem attingentem et omnia in numero et pondere suauiter disponentem69. In laudibus itaque redemptoris aggre- diamur eius exordiuml uitae et conuersationis, ut in eius glorificetur uirtutum in- signiis qui mirabilis est et gloriosus in sanctis suis70. a latius ed. b meruit ed. c tam om. ed. d uideret ed. e exiret de uulua ed. f ille om. ed. g ea om. ed. h nostrae om. ed. i conspicuo ed. k perstringendo scripsi: -da R ed. l exordium eius ed.

63 Mt 25, 24–26. 64 Emprunt a` Milon de Saint-Amand, dont le passage correspondant a e´te´ cite´ n. 45. 65 Cf. Ier 1, 5. 66 Cf. n. 43. 67 I Cor 3, 19. 68 Cf. n. 43. 69 Cf. Sap 8, 1 (11, 21). 70 Cf. Ps 67, 36. STE´ PHANE GIOANNI

La Vita Virgilii (BHL 8679) Plagiat, re´e´criture ou remploi?

La Vie de saint Virgile, e´veˆque d’Arles de 591 a` 618, repre´sente un type de re´e´criture extreˆme. Ce texte, e´crit probablement avant 7351, est en effet un doublet2 de la Vie me´rovingienne de Maxime, e´veˆque de Riez de 434 a` 460, e´crite par Dynamius vers 585. Ce rapport chronologique3, qui explique le de´sinte´reˆt des historiens pour la Vita Virgilii4, est aujourd’hui unanimement admis: il repose sur la lettre d’envoi de Dyna- mius a` l’e´veˆque de Riez Urbicus qui lui avait demande´ une Vita Maximi5, et sur le

1 La Vita Virgilii indique que saint Virgile a toujours prote´ge´ la ville de ses agresseurs. On peut donc penser qu’elle a e´te´e´crite avant 735, date de la prise de la ville par Charles Martel. 2 Le cas est assez fre´quent dans l’hagiographie latine: voir Hippolyte Delehaye, Le´gendes hagio- graphiques, Bruxelles 1955, p. 87–100; Id., Les Passions des martyrs et les genres litte´raires, Bruxelles 21966, p. 223; Franc¸ois Halkin, Le´gendes grecques de »martyres romaines«, Bruxelles 1973 (Subsidia hagiographica, 55), p. 12; et surtout Baudoin de Gaiffier, Les doublets en hagio- graphie latine, dans: AnalBoll 96 (1978), p. 261–269. Cette dernie`re e´tude propose une liste non exhaustive des doublets recense´s. L’auteur constate que »le plus grand nombre sont martyrs; il n’y a que sept confesseurs et une abbesse. Les saints auxquels un texte ante´rieur a e´te´ plus ou moins adapte´ afin de leur donner une Passio ou une Vita sont tous des personnages peu connus et qui ont e´te´ honore´s assez tardivement. En effet, puisqu’on ne savait rien ou presque rien a` leur sujet, on a emprunte´ ailleurs un re´cit de´ja` existant«. La Vita Virgilii, qui n’est pas cite´e par B. de Gaiffier, s’accorde assez mal avec cette interpre´tation puisque l’e´piscopat de Virgile, l’un des principaux e´veˆques d’Arles, est bien connu graˆce a` la »Correspondance« de Gre´goire le Grand (voir n. 8). 3 L’auteur de la Vita Virgilii a copie´ la Vita Maximi, et non l’inverse. 4 La Vita Virgilii n’est meˆme pas cite´e dans les actes du colloque »L’E´ glise et la Mission au VIe sie`cle« dont la troisie`me partie est consacre´e a` »saint Virgile et les E´ glises gauloises au VIe sie`cle«. Voir: Christophe de Dreuille (dir.), L’E´ glise et la Mission au VIe sie`cle, Paris 2000, p. 199–290; voir aussi Anke Krüger, Südfranzösische Lokalheilige zwischen Kirche, Dynastie und Stadt vom 5. bis zum 16. Jahrhundert, Stuttgart 2002 (Beiträge zur Hagiographie, 2), p. 32, p. 45 et 65; l’auteur de cette monographie sur l’hagiographie provenc¸ale ne prend pas en consi- de´ration le contenu de la Vita Virgilii qui, selon elle, n’est pas contemporaine, p. 32: »Die Vita des Hl. Arelater Bischofs Virgilius (588–601), die kein zeitgenössisches Werk ist und erst in einer Handschrift des 11. Jahrhunderts überliefert, schreibt diesem Bischof die Errichtung einer ›Sal- vator und Honorat-Kirche‹ zu«. 5 Dinamii Vita sancti Maximi episcopi Reiensis,e´d. Salvatore Gennaro, Catane 1966, p. 65–68: Domino beatissimo patri, Vrbico papae, salutem Dinamius patricius. Dum apostolicae, pater, fidei ardore succensus, universa de uirtutibus sancti Maximi, quae fidelis gestorum relatio manifestat, sollicita indagatione perquiris, imperitiam meam pulsare non desinis paternis etiam monitis, prae- dicandi auctoritate confirmans, quod non parum ipsius delicti noxa reus efficiar, nisi omnia in uita eius, quam me ante aliquot annos rurali sermone conscripsisse constitit, studeam addere quaecum- que uos de illius mirabilibus (»Au seigneur et bienheureux pe`re, l’e´veˆque Urbicus, le patrice Dynamius [donne] son salut. Mon pe`re, enflamme´ par l’ardeur de la foi apostolique, tu re- 126 Ste´phane Gioanni constat, dans la Vita Virgilii, de quelques invraisemblances6: le faussaire passe notam- ment sous silence les principales actions de l’e´piscopat de Virgile7 et il n’e´voque pas ses correspondances avec Gre´goire le Grand qui le nomma vicarius du pape en Gaule, lui confe´ra le pallium et confirma la primaute´ de la me´tropole d’Arles8. Cet exemple nous place donc aux limites de notre colloque, car la Vita Virgilii n’est pas a` proprement parler une re´e´criture. Reproduisant la quasi-totalite´ d’une Vita ante´rieure, elle correspond davantage a` un »remploi«, terme employe´ par l’arche´o- logie pour de´signer l’utilisation, dans un monument, d’objets ayant appartenu a` une construction ante´rieure. Pourtant, une lecture attentive re´ve`le, c¸a et la`, plusieurs ajouts et variations qui montrent que la Vita Virgilii est autre chose qu’un »insigne plagiat«9: certaines expressions, voire des phrases entie`res, de´livrent en effet une re- pre´sentation originale de l’e´veˆque Virgile et du sie`ge me´tropolitain d’Arles10. Cet exemple confirme donc qu’une re´e´criture – meˆme re´duite au minimum – ne repre´- sente pas »une de´perdition d’authenticite´« et que »l’acte de re´e´criture est e´minem- ment historique«, sinon »sur le passe´ qu’il raconte«, du moins »sur le temps de son auteur«11.

cherches, par une enqueˆte scrupuleuse, tout ce qui concerne les miracles de saint Maxime que re´ve`le un re´cit fide`le des faits. Ce faisant, tu n’he´sites pas, meˆme avec des avertissements paternels, a` faire appel a` ma maladresse, affirmant, par ton autorite´ de preˆcheur, que je me rendrais coupable d’une faute qui ne serait pas mince si je ne prenais pas soin d’ajouter toutes les manifestations de ses miracles que tu as de´couvertes a` tous les e´ve´nements de sa vie que, on le sait, j’ai mis par e´crit il y a quelques anne´es avec un style de paysan«). 6 Selon Andrieu, la principale incohe´rence concerne l’accession du saint a` l’abbatiat de Le´rins (A. Andrieu, Un insigne plagiat. Faussete´ des Actes de saint Virgile, dans: Bulletin de la Socie´te´ scientifique et historique des Basses Alpes 3 [1888], p. 494). Le texte e´voque en effet son pre´de´- cesseur Honorat, fondateur du monaste`re au de´but du Ve sie`cle, auquel Virgile aurait succe´de´ (Vita Virgilii, 3: a sancto Honorato præcessori suo summis uirtutibus præferendo, qui in eodem loco abbatis nomen digne gesserat, et honorifice succederet, et meritis coæquaretur). Toutefois, nous pensons que le terme »succederet« ne signifie pas que Virgile a imme´diatement succe´de´a` Honorat mais qu’il est venu apre`s lui, comme tous les autres abbe´s de Le´rins. 7 Sur Virgile d’Arles, voir en particulier Ralph W. Mathisen, Syagrius of Autun, Virgilius of Arles, and Gregory of Rome. Factionalism, Forgery, and Local Authority at the End of the Sixth Century, dans: de Dreuille (dir.), L’E´ glise et la Mission au VIe sie`cle (voir n. 4), p. 199–290. 8 Gre´goire le Grand, Registrum epistularum libri I–XI, e´d. Dag Norberg, Turnhout 1982 (CC ser. lat., 140 et 140A): epist. I, 45, p. 59; V, 58, p. 354–357; VI, 54, p. 427; IX, 217, p. 780–781; 219, p. 782–790; 225, p. 798–799; XI, 38, p. 932–934; 45, p. 942–943. 9Andrieu, Un insigne plagiat (voir n. 6), p. 492–494. 10 D’autres »remplois« ont montre´ que l’interpre´tation de ce type de texte ne pouvait pas se re´duire a` une imitation gratuite: voir, par exemple, Giovanni Paolo Maggioni, La composizione della Passio Zotici (BHL 9028) e la tradizione della Passio Getulii (BHL 3524), dans: Filologia medio- latina 8 (2001), p. 127–172. L’auteur de cette e´tude a constate´ que la Passio Zotici, qui est un »doublet« de la Passio Getulii, remplissait une fonction politique pre´cise: elle permettait au pape Pascal Ier d’e´tablir un lien e´troit entre le martyr romain Zoticus et l’un des principaux saints honore´s a` l’abbaye de Farfa, Getulius, traditionnellement lie´e au pouvoir impe´rial, avec laquelle le pape e´tait en conflit (p. 128–129: »il presente contributo [...] si propone di riferire il rifacimento in questione alla figura di Pasquale I, mostrando come si tratti di una rielaborazione consape- volmente mirata a mettere in discussione il culto di uno dei santi principali onorati nell’abbazia di Farfa, in favore di uno dei martiri traslati a Roma, nella basilica di S. Prassede, proprio da quel pontefice che ebbe alcuni motivi di conflitto con quell’abbazia storicamente legata al potere imperiale«). 11 Monique Goullet, Guy Philippart, Le miracle me´die´val. Bilan d’un colloque, dans: Monique La Vita Virgilii (BHL 8679) 127

Ces e´le´ments nous incitent a` reconside´rer les rapports entre la Vita Virgilii et la Vita Maximi de Dynamius: nous tenterons, dans une premie`re partie, de reconstituer l’origine de ces Vitae en e´tudiant leur transmission manuscrite et leurs interpolations. Nous analyserons, dans un second temps, les diffe´rents types de uariatio en essayant de comprendre la fonction de cette re´e´criture extreˆme: la confrontation de ces textes si proches nous permettra ainsi de nous interroger sur les crite`res d’identification d’une re´e´criture a` l’e´poque me´rovingienne: si A et B sont presque identiques, com- ment eˆtre suˆ r que B est un plagiat de A, et non l’inverse? Notre propos n’est pas de de´fendre a` tout prix l’originalite´ stylistique de la Vita Virgilii, ni de renverser l’ordre de composition mais de montrer, dans une troisie`me partie, que ces deux Vitae pro- venc¸ales, dont la re´daction s’e´chelonne entre la fin du VIe sie`cle et le de´but du VIIIe sie`cle, cherchent avant tout a` se rattacher a` une tradition hagiographique et a` une repre´sentation du moine-e´veˆque de´finie par les Vitae d’Honorat, d’Hilaire et de Ce´saire – principales figures du monachisme le´rinien ayant acce´de´ au sie`ge d’Arles – dont elles contiennent de nombreux extraits.

I. SAINT VIRGILE ET L’HAGIOGRAPHIE PROVENC¸ALE

A. Virgile d’Arles

L’histoire de Virgile est bien diffe´rente de celle de Maxime qui fut abbe´ de Le´rins au milieu du Ve sie`cle et e´veˆque de Riez de 434 a` 460. Virgile naquit un sie`cle plus tard, vers les anne´es 550, dans une famille originaire d’Aquitaine qu’il quitta tre`s toˆ t pour se retirer du monde et rejoindre le monaste`re insulaire de Le´rins12. Il s’agit proba- blement du meˆme Virgile qui, selon Gre´goire de Tours, fut abbe´ d’un monaste`re d’Autun (Saint-Symphorien d’Autun?) avant de devenir e´veˆque d’Arles en 591 sous l’insistance de l’e´veˆque Syagrus d’Autun13. Mais Gre´goire ne dit rien de l’origine le´rinienne de Virgile, pas plus d’ailleurs qu’il n’e´voque l’origine le´rinienne de Loup de Troyes ou de Maxime de Riez14. On a donc affaire, avec Virgile, a` un e´veˆque d’Arles, ayant e´te´ moine a` Le´rins comme l’avaient e´te´ ses pre´de´cesseurs Honorat, Hilaire et Ce´saire. Ses relations e´pistolaires avec le pape Gre´goire le Grand15 re´ve`lent l’importance de son e´piscopat pour le sie`ge d’Arles: il y est question de discipline eccle´siastique, de la conduite a` tenir avec les juifs, de la mission en Grande-Bretagne d’Augustin qu’il consacra lui-meˆme e´veˆque. Mais surtout, comme Ce´saire au de´but

Goullet, Martin Heinzelmann (dir.), Miracles, Vies et re´e´critures dans l’Occident me´die´val, Ostfildern 2006 (Beihefte der Francia, 65), p. 16–17. 12 Sur Virgile, voir n. 4. 13 Gre´goire de Tours, Decem libri historiarum, IX, 23, e´d. corr. Bruno Krusch, Hanovre 21951 (MGH, SRM I–1), p. 443: Obiit autem et Licerius Arelatensis episcopus; in cuius eclesia Virgilius abba Augustidunensis, opitulante Siagrio episcopo, substitutus est. 14 Friedrich Prinz, Frühes Mönchtum im Frankenreich. Kultur und Gesellschaft in Gallien, den Rheinlanden und Bayern am Beispiel der monastischen Entwicklung (4. bis 8. Jahrhundert), Munich 21988, p. 60, n. 83. 15 Voir n. 8. 128 Ste´phane Gioanni du VIe sie`cle, Virgile renforc¸a la primaute´ du sie`ge d’Arles en recevant du pape le pallium et en e´tant nomme´ vicarius des Gaules. La tradition lui attribue e´galement la fondation de la cathe´drale Saint-E´ tienne et d’une autre basilique hors-les-murs de´die´e au Sauveur et a` saint Honorat a` laquelle il annexa un monaste`re. Cet he´ritage explique la continuite´ du culte de Virgile, a` Arles, durant tout le Moyen Aˆ ge, comme en te´moigne la pre´sence de la Vita Virgilii dans le principal manuscrit hagiographique d’Arles, le codex BNF lat. 5295, qui contient les Vitae de six principaux saints e´veˆques de la me´tropole: Trophime, Regulus, Honorat, Hilaire, Ce´saire et Virgile16. La Vita Virgilii e´voque bien le passage a` Le´rins, l’e´le´vation au sie`ge d’Arles et la fondation des basiliques. En revanche, elle passe comple`tement sous silence le se´jour a` Autun, le roˆ le de Virgile dans la mission d’Augustin a` Cantorbury et les relations de Virgile avec le pape Gre´goire. Elle n’indique meˆme pas que Virgile rec¸ut le pallium ni qu’il fut nomme´ vicarius du pape. Pour A. Andrieu, ces anomalies s’expliquent pre´- cise´ment par le fait que la Vita Virgilii est une copie presque exacte de la Vita Maximi dans laquelle un faussaire aurait remplace´ les noms propres et reformule´ certains passages. Pour tenter de comprendre la nature pre´cise de cette intertextualite´, il convient de reconstituer l’origine des deux textes et les e´tapes de leur transmission.

B. La transmission de la Vita Virgilii et des Vitae Maximi La premie`re e´dition de la Vita Virgilii (BHL 8679) a e´te´ re´alise´e en 1613 par Vincent Barralis dans la Chronologia sanctorum et aliorum virorum illustrium ac abbatum sacrae insulae lerinensis17,a` partir d’un vieux parchemin confie´ par Franc¸ois Claret, l’archidiacre d’Arles18. L’e´dition de Barralis fut reprise par les Bollandistes dans les Acta Sanctorum19,a` la date du 5 mars, puis annote´e par Mabillon20. Virgile est honore´ le 5 mars a` Le´rins (selon le calendrier be´ne´dictin) et le 7 ou le 10 octobre a` Arles (selon l’ordo dioce´sain). Un seul manuscrit de la Vita Virgilii avait e´te´ recense´ jusqu’a` pre´- sent, le codex BNF lat. 5295, XIe–XIIe sie`cle21. La Vita Virgilii, qui correspond au dernier cahier du manuscrit22, n’est pas comple`te puisque la dernie`re ligne se termine par une ponctuation faible au milieu d’une phrase. Ce cahier, de meˆme format que les autres, a e´te´ rajoute´ au manuscrit: en effet, les quatre-vingt-douze feuillets des Vitae pre´ce´dentes comportent vingt-trois lignes alors que les huit feuillets de la Vita Virgilii comportent vingt-quatre lignes et re´ve`lent un changement d’e´criture de plus en plus

16 Voir n. 21. 17 Vincent Barralis, Chronologia sanctorum et aliorum virorum illustrium ac abbatum sacrae insulae Lerinensis, Lyon 1613, p. 87–94. 18 Id., p. 87: Incipit Vita beati Virgilii archiepiscopi Arelatensis et monachi Lerinensis desumpta ex membrano perantiquo manuscripto et nobis benigne exhibito a reuerando domino Francisco Claretto I. V. D. archidiacono sanctae Arelatensis ecclesiae. 19 AASS, Mart. I, Venise 21735, p. 399–404. 20 Jean Mabillon, Acta Sanctorum ordinis sancti Benedicti, II, Paris 1669, p. 53–57. 21 BNF lat. 5295, fol. 1r–92v (XIe sie`cle); fol. 93r–100v (XIIe sie`cle) et fol. 101 (entre 1163 et 1182). Ce le´gendier d’Arles contient les Vitae de Trophime, Regulus, Honorat, Hilaire, Ce´saire et Virgile: voir Louis Duchesne, Fastes e´piscopaux de l’ancienne Gaule (provinces du Sud-Est), Paris 21907, p. 251–252; Krüger, Südfranzösische Lokalheilige (voir n. 4), passim. 22 La Vita Virgilii se trouve aux feuillets 93r–100v. La Vita Virgilii (BHL 8679) 129 perceptible. Les quatre-vingt-douze premiers feuillets sont date´s traditionnellement du XIe sie`cle alors que les huit derniers sont date´s du XIIe sie`cle, en raison d’une liste e´piscopale, sur le dernier feuillet du manuscrit, qui se termine, de premie`re main, a` Raimon de Bolle`ne (1163–1182)23. Mais ce feuillet ne suffit pas a` dater le cahier conte- nant la Vita Virgilii, car il est de format diffe´rent et a e´te´ ajoute´a` l’ensemble. En outre, la Vita Virgilii e´voque la de´dicace de la basilique Saint-E´ tienne et la translation des reliques d’E´ tienne a` Arles. Il serait surprenant que l’on de´cidaˆt de ce´le´brer le souvenir de la cathe´drale Saint-E´ tienne a` un moment ou` celle-ci avait de´ja` perdu son vocable au profit de l’actuelle basilique Saint-Trophime. Nous conside´rons donc que le cahier contenant la Vita Virgilii est ante´rieur a` 1152, date de la translatio des reliques de Trophime24, et pourrait remonter a` la premie`re moitie´ du XIIe sie`cle. Les manuscrits liturgiques d’Arles que nous avons consulte´s re´ve`lent que le culte de Virgile n’avait plus grande importance a` la fin du Moyen Aˆ ge. Nous n’avons repe´re´ que deux autres te´moins partiels de la Vita: codex BNF lat. 3820, XIVe sie`cle (Homi- liarum. Legendarius Arelatensis; Vita Virgilii, § 1–4, fol. 143v–144r) et codex BNF lat. 752, XIVe sie`cle (Breviarium Arelatense; Vita Virgilii, § 1–3, fol. 276v). Ces te´moins partiels de´rivent tous du BNF 5295 dont ils reproduisent fide`lement le texte; en revanche, aucun de ces trois manuscrits ne semble avoir servi a` Barralis pour e´tablir son e´dition princeps de la Vita, comme le sugge`rent quelques variantes textuelles rassemble´es ci-dessous:

BNF lat. 5295, XIe–XIIe sie`cle Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) uariatur actio ueteris per nouos sæpius 1. uariatur actio uetus per nouos sæpius relatores. relatores insulam sancti monasterii Lerinensis expetiit 3. monasterium sacræ insulæ Lerinensis expetiit nec remoueri nullatenus poterant singuli 8. nec ullatenus remoueri poterant singuli ex usu gestanda feretro collocauit 10. ex usu gestandam feretro collocasset quale gaudium potuerint habere 11. quale gaudium potuerunt habere Qui, quod expedire gaudio manus armata Qui, quod expedire gladio manus armata consueuerat, flatu operante supplebat consueuerat, fletu operante supplebat tunc palam omnibus humilitate sanctissima 15. tunc palam omnibus humilitate sanctissima studuit indicare, quod de hac luce migraturus indicare, quod de hac luce migraturus esset: esset: unde licet omnes subito moerore unde omnes subito moerore turbati in hoc, turbati in hoc, quod se iam migraturum esse quod se iam migraturum esse prædixerat, prædixerat, intuitu proprio quid ageret, intuitu proprio quid ageret, præstolati fuerunt. præstolati fuerunt.

23 Duchesne, Fastes e´piscopaux de l’ancienne Gaule (voir n. 21), p. 252. 24 Raimon de Montredon avait organise´ la translation des reliques de saint Trophime, des Alys- camps, le 29 septembre 1152. 130 Ste´phane Gioanni

Ces variantes textuelles semblent indiquer qu’il existait deux transmissions distinctes de la Vita Virgilii, lie´es, d’une part, au monaste`re de Le´rins, ou` Virgile est feˆte´ le 5 mars comme dans le calendrier be´ne´dictin, et, d’autre part, au dioce`se d’Arles, ou` Virgile est feˆte´ en octobre, comme l’attestent les te´moins liturgiques du dioce`se d’Ar- les25. Barralis, qui situe la feˆte du saint en mars, aurait donc pu disposer d’un manu- scrit d’origine le´rinienne, aujourd’hui perdu, que lui aurait preˆte´ l’archidiacre Fran- c¸ois Claret. Cette hypothe`se n’exclut pas l’intervention directe de Barralis dans l’e´tablissement du texte, comme le sugge`re l’expression sacra insula26, dans son e´di- tion, qui illustre le processus de sacralisation de Le´rins entame´e apre`s la restauration de la vie monastique sur l’ıˆle. La transmission de la Vita Virgilii contraste nettement avec celle de son hypotexte pre´sume´, la Vita Maximi. La BHL recense deux textes hagiographiques se rapportant a` Maxime de Riez: un sermo de sancto maximo episcopo et abbate, qui est une laudatio compose´e par Fauste de Riez dans la seconde moitie´ du Ve sie`cle et transmise dans la collection d’Eusebius Gallicanus, et la Vita proprement dite de Maxime, e´crite par Dynamius a` la fin du VIe sie`cle. Nous nous inte´resserons uniquement a` la Vita Maxi- mi de Dynamius puisque c’est elle qui pre´sente de nombreux points communs avec la Vita Virgilii. La Vita Maximi ae´te´e´dite´e par Surius en 1575 et reprise par Barralis dans son histoire des saints le´riniens en 1613 et dans la »Patrologie latine« de Mig- ne27 (PL). Une nouvelle e´dition a e´te´ publie´e par Gennaro a` Catane en 196628. La BHL Novum supplementum (1986) signale ces e´ditions sous le meˆme nume´ro (BHL 5853), en pre´cisant que l’e´dition de Surius – celle qu’Andrieu a compare´e a` la Vita Virgilii – pre´sente une version »mutato stylo« de la Vita. Cette distinction est importante car, dans notre perspective comparatiste, le rapport d’intertextualite´ est tre`s diffe´rent suivant que l’on conside`re l’une ou l’autre e´dition: la version e´dite´e par Surius est moins proche de la Vita Virgilii que celle e´dite´e par Gennaro. La transmission de la Vita Maximi est beaucoup plus importante que celle de la Vita Virgilii. Gennaro a recense´ vingt-sept te´moins, du IXe au XVIIe sie`cle29. Cela s’ex- plique par l’extension du culte de Maxime, regarde´ comme le fondateur du sie`ge

25 Dans tous les manuscrits liturgiques d’Arles que nous avons consulte´s (du XIe au XVe sie`cle), Virgile est toujours cite´ dans les litanies et dans les oraisons du sanctoral, meˆme si les extraits proprement dit de la Vita sont relativement rares. 26 Nous exprimons notre reconnaissance a` Rosa-Maria Dessi et Michel Lauwers qui ont attire´ notre attention sur l’emploi tardif de cette expression qui n’est pas atteste´e, dans l’e´tat actuel de nos recherches, avant la fin du XIVe sie`cle, au moment du retour des reliques d’Honorat a` Le´rins: voir Rosa-Maria Dessi, Michel Lauwers, De´sert, E´ glise, ıˆle sainte. Le´rins et la sanctification des ıˆles monastiques, de l’Antiquite´ au Moyen Aˆ ge, dans: Michel Lauwers, Yann Codou (dir.), Le´rins, une ıˆle sainte de l’Antiquite´ au Moyen Aˆ ge (colloque de l’universite´ de Nice, juin 2006), Turn- hout 2009. D’apre`s les auteurs de cette e´tude, l’ide´e d’une ıˆle sacre´e apparaıˆt sous la plume des abbe´s re´formateurs qui ce´le`brent l’ıˆle de Le´rins, comme Gregorio Cortese et Denys Faucher. Leurs œuvres poe´tiques, transmises presque inte´gralement par la Chronologia de Barralis, ont exerce´ une grande influence sur celui-ci qui semble avoir ajoute´ l’adjectif sacra chaque fois qu’il rencontrait le mot insula dans les textes anciens qu’il compilait. 27 Barralis, Chronologia (voir n. 17), II, p. 120–126 et Migne PL 80, col. 31–40. 28 Dinamii Vita sancti Maximi episcopi Reiensis (voir n. 5). A` titre de comparaison, Salvatore Gen- naro ajoute en annexe (p. 155–166) la Vita Maximi e´dite´e par Surius et Barralis. 29 Vita Maximi, p. 15–64, de codicum manuscriptorum natura. La Vita Virgilii (BHL 8679) 131 e´piscopal de Riez, qui s’est diffuse´ dans des zones fort e´loigne´es de la Provence centrale: les pays flamands et le dioce`se de The´rouanne, la basse valle´e de la Seine, la valle´e du Rhoˆ ne, le Jura, les Corbie`res jusqu’au nord de la pe´ninsule italienne30. Toutefois, il faut bien pre´ciser que tous ces manuscrits contiennent la Vita Maximi e´dite´e par Gennaro en 1966; aucun ne transmet la version publie´e par Surius – reprise par Barralis et la PL – qui e´dite en re´alite´ une interpolation de la Vita Maximi. Puisque la BHL signale ces deux e´ditions sous le meˆme nume´ro, nous appellerons Vita Maximi A l’e´dition de Gennaro et Vita Maximi B l’e´dition de Surius. L’origine de cette interpolation est obscure: nous savons, certes, que Surius a e´dite´ de nom- breux textes hagiographiques ›mutato stylo‹. Mais, dans ce cas, il propose habitu- ellement une ame´lioration du texte des Vitae. Or, ici, l’e´dition de Surius propose un texte infe´rieur, du point de vue stylistique31,a` la Vita Maximi qui se trouve dans les manuscrits me´die´vaux et qui a e´te´e´dite´e par Gennaro. Il ne s’agit donc peut-eˆtre pas d’une Vita ›mutato stylo‹, comme Surius avait l’habitude d’en e´diter, mais d’une e´dition re´alise´e a` partir d’un manuscrit aujourd’hui perdu. Ce manuscrit avait pro- bablement une origine le´rinienne, car les moines de Le´rins, qui honoraient a` la fois Maxime et Virgile, ne pouvaient se satisfaire d’une meˆme Vita pour deux saints diffe´rents. Il leur e´tait ne´cessaire de marquer la diffe´rence entre la Vita Maximi et la Vita Virgilii. C’est pourquoi l’ouvrage de Barralis, qui recueille la totalite´ des textes le´riniens connus, contient la Vita Virgilii et la Vita Maximi B. En d’autres termes, la Vita Maximi e´dite´e par Surius et Barralis serait une interpolation de la Vita Maximi A destine´ea` se diffe´rencier non pas de la Vita Maximi A – puisqu’elle n’apporte rien de neuf et se contente de re´e´crire les meˆmes phrases avec des synonymes et de modifier l’ordre des miracles – mais de la Vita Virgilii. La Vita Maximi B fut ne´cessairement re´alise´e apre`s la restauration du monaste`re provenc¸al au XIe sie`cle, dans le contexte de l’implantation clunisienne en Provence. Le monaste`re connut en effet une pe´riode d’expansion qui se caracte´rise par la cons- titution d’un re´seau de de´pendances le´riniennes bien au-dela` de la Provence, en Ligu- rie et en Catalogne32. L’e´dification de cette Ecclesia lerinensis, ayant pour centre l’ıˆle Saint-Honorat, et la mise en valeur de la saintete´ de l’ıˆle33 se traduisirent, a` partir du XIIIe sie`cle, par une production hagiographique autour de son fondateur illustre´e par deux re´e´critures, e´pique et provenc¸ale, de la Vita Honorati mais aussi par l’essor du culte des saints le´riniens34. Le renforcement des de´votions le´riniennes, qui accom- pagne cette valorisation de la saintete´ de l’ıˆle, culmine dans la translation des reliques d’Honorat en 1391 dans la chapelle Sainte-Croix qui pourrait correspondre a` la pe´- riode de notre interpolation, entre le XIIIe sie`cle et la seconde moitie´ du XVIe sie`cle. On pourrait donc re´sumer les diffe´rents types de re´e´critures de la fac¸on suivante:

30 Thierry Pe´cout, Maxime de Riez a` The´rouanne, ou les vicissitudes d’une identite´e´piscopale, dans: Lauwers,Codou (dir.), Le´rins, une ıˆle sainte de l’Antiquite´ au Moyen Aˆ ge (voir n. 26). 31 Voir n. 36 et 37. 32 E´ liana Magnani, Re´seau de de´pendances et structure eccle´siale de Le´rins (XIe–milieu XVe sie`cle), dans: Histoire de l’abbaye de Le´rins, Bellefontaine 2005, p. 179–228. 33 Sur cette question, Lauwers,Codou (dir.), Le´rins, une ıˆle sainte de l’Antiquite´ au Moyen Aˆ ge (voir n. 26). 34 E´ liana Magnani, Le´rins dans la Provence angevine (XIIIe–milieu XVe sie`cle), dans: Histoire de l’abbaye de Le´rins (voir n. 26), p. 229–248. 132 Ste´phane Gioanni

– Fin du VIe sie`cle: Dynamius compose la Vita Maximi a` la demande de l’e´veˆque de Riez Urbicus. – Entre le de´but du VIIe sie`cle et le milieu du VIIIe sie`cle: un auteur anonyme e´crit la Vita Virgilii en reprenant le texte de la Vita Maximi auquel il apporte quelques modifications. – Entre le XIIIe sie`cle et le XVIe sie`cle, un moine de Le´rins fait une paraphrase de la Vita Maximi afin de distinguer le texte de la Vita Maximi et celui de la Vita Virgilii. Il convient donc a` pre´sent d’e´tudier les proce´de´s remarquables de re´e´criture, d’une part, entre la Vita Maximi B et la Vita Virgilii et, d’autre part, entre la Vita Maximi A et la Vita Virgilii.

II. LES PROCE´ DE´ SDELAUARIATIO

A. Confrontation de la Vita Maximi B (e´d. Surius/Barralis) et la Vita Virgilii

L’abbe´ de Riez, Andrieu, qui qualifiait la Vita Virgilii de »plagiat«, ne connaissait que la Vita Maximi B e´dite´e par Surius et reprise par Barralis, comme le prouvent les paralle`les textuels sur lesquels se fonde son analyse35. La confrontation de la Vita Maximi B et de la Vita Virgilii montre pourtant qu’il s’agit moins d’un plagiat que d’une paraphrase puisque l’auteur essaie d’exprimer les meˆmes ide´es en reprenant le moins possible les expressions de l’hypotexte: la re´e´criture apparaıˆt dans la recherche de synonymes, dans la condensation ou l’amplification, dans le bouleversement de l’ordre des mots, etc.:

Vita Maximi B (e´d. Surius, 1575) Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613)

4. ocius accessit ad lectulum agrotantis 4. concitus ad stratum monachi rediit monachi, quem diximus in febrem incidisse: ægrotantis: ubi dum orationum preces intra clamque apud illum intra arcana pectoris sui arcana pectoris sui claustra diffunderet; mox et preces Deo fundens, id effecit, ut mox pristinæ incolumitati redditur languidus, et restitutus sit incolumitati pristinae, et praeda præda caruit latro deceptus: ac proinde obtinuit sua frustratus sit hostis elusus. Itaque geminam uirtus inuicta uictoriam. Quoniam obtinuit gemina uirtus inuictam uictoriam, dum uires ægroto reddidit, aduersarium quando et uires aegroto reddidit, et superauit; deflet inimicus, quod perdidit, aduersarium imperauit: deplorante inimico gaudet monachus, quod recepit. jacturam quam fecerat, laetante monacho salute quam recuperauit.

35 Andrieu, Un insigne plagiat (voir n. 6), p. 493. La Vita Virgilii (BHL 8679) 133

Vita Maximi B Vita Virgilii (e´d. Barralis) Types de variation (e´d. Surius/Barralis) ocius concitus synonyme lectulum stratum synonyme quem diximus in febrem suppression incidisse clamque apud illum suppression preces orationum preces extension fundens diffunderet extension id effecit, ut mox... mox condensation restitutus languidus synonyme hostis elusus latro deceptus synonyme + e´cho scripturaire obtinuit gemina virtus invictam obtinuit geminam virtus inversion d’e´pithe`tes victoriam inuicta victoriam quando quoniam synonyme imperavit superauit synonyme deplorante inimico deflet inimicus synonyme laetante monacho salute quam quod perdidit, gaudet synonymes + rythme recuperavit. monachus, quod recepit.

L’emploi de verbes pre´fixe´s, les discrets e´chos scripturaires, la recherche rythmi- que36 et la cohe´rence de l’expression37 re´ve`lent que la Vita Virgilii est d’une qualite´ stylistique supe´rieure a` la Vita Maximi e´dite´e par Surius. Nous sommes donc en de´saccord avec Andrieu qui conside´rait la Vita Virgilii comme un »insigne plagiat« de la Vita Maximi B e´dite´e par Surius. Nous pensons au contraire que la Vita Maximi B ae´te´e´crite apre`s la Vita Virgilii, pre´cise´ment pour s’en distinguer. Ce point de vue semble avoir e´te´ partage´, au grand regret du pe`re Andrieu38, par les Petits Bollandistes qui connaissaient uniquement la Vita Maximi e´dite´e par Surius. Le plagiat serait donc, en quelque sorte, inverse´ si l’on ne prenait pas en conside´ration la Vita Maxi- mi A e´crite par Dynamius a` la fin du VIe sie`cle.

36 La phrase deflet inimicus, quod perdidit, gaudet monachus, quod recepit fonde´e sur un rythme binaire et sur des antithe`ses lexicales, est plus recherche´e que son e´quivalent laetante monacho salute quam recuperauit. 37 L’expression uirtus inuicta a plus de sens que inuictam uictoriam, qui est obscure. 38 Andrieu, Un insigne plagiat (voir n. 6), p. 494: »Les Bollandistes ont inse´re´ la Vie de saint Virgile d’apre`s Barral dans leur immense et pre´cieuse collection des AASS (tome Ier de mars, p. 397). Ils ne paraissent pas avoir soupc¸onne´ qu’elle est apocryphe. [...] Les Petits Bollandistes ont fait mieux: ils ont de´pouille´ saint Maxime de ses actions les plus e´clatantes pour les attribuer a` saint Virgile«. 134 Ste´phane Gioanni

B. Confrontation de la Vita Maximi A (codices,e´d. Gennaro) et de la Vita Virgilii (e´d. Barralis) Une vue d’ensemble confirme la grande proximite´ des deux textes. De longs passages sont rigoureusement identiques, les diffe´rences se limitant le plus souvent a` de simples variantes. Une confrontation de la totalite´ des deux textes laisse ne´anmoins apparaıˆtre des re´e´critures d’importance variable, surtout dans la partie centrale de la Vita, consacre´e a` la pe´riode de l’e´piscopat. Le faussaire a naturellement change´ le nom des personnes (Maxime remplace´ par Virgile, le diacre Ausanus par Aurelianus; le subdiaconus Rusticus par Fulgentius; le subdiaconus Cariattus par Aristarchus...) et des lieux (Riez remplace´ par Arles; la basilique Saint-Alban par la basilique Saint-E´ tienne...). Ces substitutions e´videntes, qui sont les moins significatives, entraıˆnent des adaptations plus ou moins re´ussies comme le jeu de mot sur le nom des saints: l’auteur de la Vita Maximi conside`re que Maxime e´tait bien »le plus grand« par ses œuvres39; Virgile, quant a` lui, faisait preuve de »vigilance«40. Certains de´tails de la topographie are´late (la basilique de Saint- Sauveur et Saint-Honorat; le uicus appele´ Gallica...) re´ve`lent une recherche re´aliste, un effet de re´el qui montre que la Vita Virgilii s’adressait bien a` des fide`les connaissant leur re´gion, autrement dit qu’elle s’inscrivait dans un culte, comme le confirme la pre´sence d’extraits de la Vita dans les autres manuscrits liturgiques de la ville. D’autres variations, plus significatives, apparaissent apre`s l’e´le´vation de Virgile a` l’e´piscopat. La premie`re modification concerne le classement des e´pisodes. On cons- tate, par exemple, que certains miracles sont expose´s dans un ordre diffe´rent:

Vita Maximi A (e´d. Gennaro, 1966) Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) e´le´vation a` l’e´piscopat / vertus de l’e´veˆque e´le´vation a` l’e´piscopat / vertus de l’e´veˆque fondation de la basilique majeure fondation de la basilique majeure 1er miracle: chasse le diable qui, en l’absence de´dicace en pre´sence de tous les e´veˆques de l’e´veˆque, empeˆchait de construire la basilique majeure translatio des reliques translatio des reliques de saint E´ tienne et de nombreux saints apparition d’une sentence sur la porte apparition d’une sentence sur la porte l’e´veˆque protecteur de la cite´ l’e´veˆque protecteur de la cite´ 2e miracle: l’e´veˆque ressuscite le neveu du 1er miracle: l’e´veˆque ressuscite le neveu du diacre, mort en jouant diacre, mort en jouant

39 Vita Maximi, 7: maximus permansit in opere. 40 Vita Virgilii, 6: uigil permansit in opera. La Vita Virgilii (BHL 8679) 135

Vita Maximi A (e´d. Gennaro, 1966) Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613)

2e miracle: l’e´veˆque chasse le diable qui empeˆ- chait de construire la basilique hors-les-murs De´dicace de l’e´glise Saint-Sauveur et Saint-Honorat 3e miracle: l’e´veˆque ressuscite une jeune fille 3e miracle: l’e´veˆque ressuscite une jeune fille 4e miracle: l’e´veˆque rame`ne a` la vie un 4e miracle: l’e´veˆque rame`ne a` la vie un adolescent e´touffe´ par un chien enrage´ adolescent e´touffe´ par un e´norme serpent (morsu canis rabidi suffocatus) (immanissimus serpens)

La deuxie`me diffe´rence, beaucoup plus inte´ressante, se traduit par la volonte´ de modifier certaines repre´sentations de l’hypotexte: par exemple, dans le quatrie`me miracle, Maxime rame`ne a` la vie un adolescent e´touffe´ par un chien enrage´ alors que Virgile ressuscite un adolescent e´touffe´ par un e´norme serpent. Ce changement paraıˆt plus cohe´rent avec le de´but de la Vita ou` le diable est repre´sente´, durant le se´jour du saint a` Le´rins, sous la forme d’un dragon immense (draco forma ingenti). Autre exemple: la basilique majeure que le diable empeˆche de construire, dans la Vita Maxi- mi A, devient une simple basilique hors-les-murs dans la Vita Virgilii. Cette re´e´cri- ture donne l’impression que le diable avait plus de difficulte´a` agir a` l’inte´rieur de la ville, ce qui rappelle un the`me fre´quent dans la litte´rature le´rinienne: l’impuissance du diable tournant autour de l’ıˆle Saint-Honorat ou` il est vaincu par avance41. Un dernier type de re´e´criture, le plus important, concerne les re´e´critures par ampli- fication, ajouts de mots, d’expressions ou de phrases entie`res. Par exemple, durant la de´dicace de la basilique majeure, la Vita Virgilii e´voque un e´le´ment qui n’apparaıˆt pas dans la Vita Maximi A: l’auteur signale la pre´sence de tous les e´veˆques, contribuant ainsi a` renforcer l’autorite´ de Virgile repre´sente´ comme un archeveˆque entoure´ de ses suffragants. Cette repre´sentation correspond a` la re´alite´ de l’e´piscopat de Virgile qui, nous l’avons rappele´ plus haut, avait e´te´ de´signe´ vicarius du pape par Gre´goire le Grand. Un autre ajout important concerne la translatio des reliques. Le nom du saint

41 Ennode de Pavie, De Vita Beati Antoni,e´d. Friedrich Vogel, Berlin 1885 (MGH, AA VII), p. 189: Sanctorum petamus exercitum, et illam Lirinensis insulae cohortem inriguo inquiramus ardore! Quem solum hactenus pulsauit aduersarius, timebit inter inimicam sibi multitudinem constitutum. Instructa proeliis acies illa semper inuigilat et uariis perfossum ictibus abigit infe- stantem. Quot bella illis diabolus intulit, numerant tot triumphos. Non metuunt, quotiens adesse Satanam, ut dimicantes acuant, classico fuerit stridente nuntiatum. (»Allons, rejoignons l’arme´e des saints, cherchons, avec toute notre ardeur, a` entrer dans la fameuse cohorte de l’ıˆle de Le´rins. Jusqu’a` pre´sent l’Adversaire s’en est pris a` un homme seul. Celui-ci lui fera peur quand il le verra au milieu d’une foule ennemie. Range´e en bataille, cette arme´e-la` reste toujours en veille et elle chasse l’assaillant en le perc¸ant de traits divers. Pour ces hommes-la`, autant d’attaques du diable, autant de triomphes. Ils n’ont pas peur, chaque fois que Satan est la` et que la trompette stridente l’annonce, en invitant les combattants a` aiguiser leurs armes«). 136 Ste´phane Gioanni n’est pas cite´ dans la Vita Maximi A alors que la Vita Virgilii e´voque saint E´ tienne et d’autres saints (beati Stephani et aliorum sanctorum). La pre´sence de nombreuses reliques et de plusieurs cultes, notamment celui d’E´ tienne42, accentue le rayonnement de la me´tropole d’Arles qui constitue un centre d’attraction des fide`les. Les re´e´critures que nous venons d’e´tudier ne se re´duisent donc pas aux remplois massifs de la Vita Maximi A. Elles permettent au faussaire – mais ne peut-on pas dire l’auteur? – de re´aliser une œuvre originale dont nous voudrions tenter de com- prendre la fonction.

III. FONCTION DE LA RE´ E´ CRITURE DANS LA VITA VIRGILII

Au premier abord, la Vita Virgilii surprend par son silence sur les principales actions de l’e´piscopat de Virgile, l’un des plus importants de l’histoire de la me´tropole. Tou- tefois, certaines re´e´critures, aussi discre`tes soient-elles, fournissent des pistes pour l’interpre´tation.

A. L’e´veˆque protecteur des fide`les et organisateur de la vie religieuse Plusieurs modifications mettent en valeur le roˆ le protecteur de l’e´veˆque vis-a`-vis de la communaute´ des fide`les. Par exemple, la Vita Maximi A raconte que, par une ruse du diable, »un obstacle cache´e´crasait tous les jougs des bœufs« qui ne pouvaient plus de´placer les colonnes; l’intervention du saint fit disparaıˆtre le diable et les bœufs purent a` nouveau se mouvoir. Cet e´pisode se trouve mot pour mot dans la Vita Virgilii a` une exception pre`s: les bœufs sont remplace´s par la multitude des hommes. Autrement dit, le saint de´livre du sortile`ge non plus des bœufs mais des fide`les qui travaillent sur le chantier. Il prote`ge directement sa communaute´ contre le diable:

Vita Maximi A (e´d. Gennaro, 1966) Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613)

9. Quadam itaque die, dum uir beatissimus basilicam extra muros urbis miro opere conderet, uisum est, ut columnæ marmoreæ, quæ ibidem nunc uidentur assistere in altum deductæ, erigi deberent. Contigit autem, ut uiro Domini absente, omnes nimio labore fatigarentur, et molem lapidum mouere non 8. Sed in nullo grauabatur tanti onere possent: sed in nullo grauabatur tanti onus ponderis quae eius præcedebant auxilia ponderis, quod eius præcedebant auxilia sanctitatis, dum ille tamen ad templi illius sanctitatis: dum ille tamen ad templi illius septa

42 Sur le culte de saint E´ tienne, voir Jean Meyers (dir.), Les miracles de saint E´ tienne. Recherches sur le recueil pseudo-augustinien (BHL 7860–7861), Turnhout 2006. La Vita Virgilii (BHL 8679) 137

Vita Maximi A (e´d. Gennaro, 1966) Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) septa operarios indesinenter insisteret. Ita operarius indesinenter insisteret; ita eodem ab- eodem absente diabolicæ artis obuiante sente diabolicæ artis obuiante nequitia, nequitia, uniuersa iuga boum occulta uniuersam multitudinem uirorum occulta prægrauauit obiectio [...]. Tunc dicere coepit: prægrauauit obiectio [...]. Tunc clamosa uoce »Frustra per ignorantiam laboratis, dum dicere coepit: »Frustra per ignorantiam uidere inimici hostis obstacula non potestis: laboratis, dum uidere inimici hostis obstacula nam ego conspicio Æthiopem paruulum, ubi non potestis: nam ego conspicio Æthiopem diabolicæ uirtutis consistit immanitas, paruulum, in quo diabolicæ uirtutis consistit iuuenculis certantibus obuiantem«. Tunc immanitas, iuuenculis certantibus obuiantem«. genu flexo deuotus adorans, ut insidiatoris Tunc genu flexo deuotus adorans, ut aduersitatem uinceret, auxilia diuina insidiatoris aduersitatem uinceret, auxilia poposcit. Vnde aduersarius, illico, quia diuina poposcit, et conuersus ad funebrem amplius sub præsentia sacri pontificis nocere dixit: »O omnis dolor, et inimice humani non licuit, cum nimio foetore discessit, et generis, quomodo ausus es opus Dei insidiari?« remotis bouibus, quæ ab eius insidiis Ad hanc uocem territus aduersarius, illico, quia prægrauatæ fuerant, ad dispositum locum, amplius sub præsentia sacri pontificis nocere ubi uidebantur opponi, absque ulla non licuit, cum nimio foetore discessit, et difficultate erectæ sunt: quoniam nihil illi remotis columnis, quæ ab eius insidiis insidiator aduersari poterat, cui Dei arbitrio prægrauatæ fuerant, ad dispositum locum, ubi dæmonia subiecta esse iubebat. uidebantur opponi, absque ulla difficultate erectæ sunt: quoniam nihil illi insidiator aduersari poterat, cui Dei arbitrio dæmonia subiecta esse uidebantur.

La Vita Virgilii insiste aussi sur l’importance de »l’e´veˆque constructeur«43 dans l’or- ganisation de la vie religieuse, se´culie`re et re´gulie`re. De fac¸on ge´ne´rale, les e´glises et les de´dicaces sont plus nombreuses que dans la Vita Maximi A; les baˆtiments sont con- struits avec des mate´riaux plus pre´cieux: les simples columnae de la basilique de Riez deviennent, a` Arles, des columnae marmorae; Virgile, lui-meˆme, a plus de pre´sence que Maxime: il parle clamosa uoce et meurt, a` un aˆge plus que ve´ne´rable, dans sa cent vingt-septie`me anne´e44. Mais la Vita souligne aussi l’implication personnelle de Vir- gile dans la fondation de communaute´s asce´tiques: ainsi, le miracle de la re´surrection de la jeune fille par l’e´veˆque est pre´ce´de´, dans la Vita Virgilii, d’une phrase supple´- mentaire e´voquant la construction d’une basilique en l’honneur d’Honorat, le pre- mier abbe´ de Le´rins, a` laquelle est annexe´e une communaute´ monastique que Virgile aurait contribue´e a` organiser.

43 Voir Dominique Iognat-Prat, La Maison-Dieu. Une histoire monumentale de l’E´ glise au Moyen Aˆ ge, chap. I »Fondements d’une sacralite´ chre´tienne (v. 300–v. 800)«, Paris 2006, p. 77–82: »L’e´veˆque constructeur«. 44 Vita Virgilii, 15: emittens spiritum ad cælestia migrauit, anno a centesimo uigesimo septimo ætatis suæ. 138 Ste´phane Gioanni

Vita Maximi A (e´d. Gennaro, 1966) Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613)

10. Dedicauit autem idem beatus antistes basilicam, quam construxit, in honore Saluatoris Domini nostri Iesu Christi, et beati Honorati confessoris, atque ibidem ordinem constituit monachorum seruientium Deo. Cumque a beato pontifice sacra Missarum 11. Contigit ut cuiusdam uiduæ unica filia, in solemnia celebrarentur, contigit ut cuiusdam annis adolescentiæ constituta fati munus uiduæ unica filia, in annis adolescentiæ implesset: quam cum piissima genitrix infelici constituta, a maligno spiritu raperetur: quam casu decepta, non minus miseranda quam cum piissima genitrix infelici casu decepta, non misera, ex usu gestanda feretro collocasset: minus miseranda quam misera, ex usu ad sacrosanctum trepida concurrit antistitem, gestandam feretro collocasset: ad sacrum cum lacrimis potius quam uerbis causam trepida concurrit antistitem, cum lacrimis improbi doloris adsignans, ut supra corpus potius quam uerbis causam improbi doloris exanime orationem funderet, supplicauit [...]. assignans, ut supra corpus exanime orationem funderet, supplicauit [...].

Toutes ces re´e´critures ne sont pas des variations gratuites: la repre´sentation de l’e´veˆque constructeur et protecteur renforce son autorite´ et l’on comprend pour- quoi la Vie de Virgile a e´te´ ajoute´e au le´gendier contenant les vies des grands e´veˆques de la ville45. Les remplois de la Vita Maximi A n’empeˆchent donc pas la repre´sentation originale d’un e´veˆque qui, malgre´ de nombreuses lacunes, est assez cohe´rente avec l’importance de l’e´piscopat de Virgile. L’analyse des sources met en lumie`re un second aspect du culte de Virgile: son appartenance a` la tradition le´ri- nienne.

B. Arles et la tradition le´rinienne Les sources de notre texte peuvent eˆtre facilement reconstitue´es a` partir de l’e´dition scientifique de son hypotexte, la Vita Maximi A. Gennaro a montre´ que cette Vita e´tait e´maille´e de citations et d’e´chos implicites: il a identifie´ vingt et une citations scripturaires, six e´chos a` Prudence et deux emprunts a` la litte´rature profane (Virgile, E´ ne´ide; Nepos, De regibus). Mais ses recherches ont surtout e´tabli la de´pendance de la Vita a` l’e´gard de l’hagiographie provenc¸ale: trente-huit passages reprennent, de manie`re plus ou moins explicite, des extraits de la Vie d’Honorat (6), de la Vie d’Hilaire (14) et de la Vie de Ce´saire (18): or, contrairement a` Maxime, ces trois saints ont e´te´a` la fois moines de Le´rins et e´veˆques d’Arles, comme ce fut le cas de Virgile. De fac¸on ge´ne´rale, les e´chos »le´riniens« sont plus marque´s dans la Vita

45 Voir n. 21. La Vita Virgilii (BHL 8679) 139

Virgilii que dans son hypotexte: si le passage au monaste`re est commun aux deux saints, l’implication de Virgile dans les fondations monastiques imite l’action de Ce´saire46, la de´dicace de la basilique Saint-Honorat e´voque le fondateur de Le´rins, et le re´cit de sa mort rappelle, par son »odeur tre`s douce«, l’e´pitaphe d’Hilaire qui, dans la demeure des anges, voit »les herbes toujours parfume´es et les jardins embau- me´s de fleurs divines«:

Epitaphium sancti Hilarii (vers 13–16)47 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613)48

[...] 15. [...] non minus cum angelis quam cum angelicasque domos intrauit et aurea regna, hominibus habitasse. Tam suauissimus odor diuitias, paradise, tuas, fragrantia semper fragrauit, uelut si uniuersos uerni temporis gramina, et halantes diuinis floribus hortos flores in unum diuina prouisio congregasset. Vnde quid aliud censendum est, nisi amoenitatem paradisi respirasse?

L’objectif de la Vita Virgilii est donc manifestement d’inscrire le souvenir du saint dans une ligne´e de moines-e´veˆques qui ont contribue´a` la sacralisation de la me´tro- pole d’Arles: a` cet e´gard, la translation des reliques de saint E´ tienne et d’autres saints en pre´sence des e´veˆques suffragants – translatio qui n’e´tait e´voque´e ni dans la Vita Hilarii ni dans la Vita Caesarii – peut eˆtre conside´re´e comme une sorte d’aboutis- sement, de repre´sentation ide´ale du rayonnement de la ville. L’omnipre´sence des figures d’Honorat, Hilaire et Ce´saire est d’autant plus frappante que le codex BNF lat. 5295, le plus ancien te´moin de l’hagiographie are´late, transmet leur Vitae dans un meˆme recueil. Ce le´gendier incarne a` lui seul cette continuite´e´piscopale et constitue un monument de la Provence chre´tienne, marque´e par le double rayonnement de la cite´ d’Arles et du monaste`re de Le´rins. Mais dans la mesure ou` il n’existe aucun te´moignage direct sur le monaste`re insulaire aux VIIe–VIIIe sie`cles49, la Vita Virgilii

46 Vita Caesarii, 28 et surtout 35, e´d. Bruno Krusch, Berlin 1896 (MGH, SRM III), p. 467 et 470. Fortement marque´ par ses expe´riences asce´tiques a` Le´rins et a` Arles, l’e´veˆque Ce´saire (503–542) fut un acteur essentiel de l’histoire monastique de la re´gion, comme en te´moignent ses sermons aux moines, ses deux re`gles monastiques, aux moniales et aux moines, et son implication person- nelle dans la fondation du monaste`re fe´minin de Saint-Jean d’Arles: voir Ce´saire d’Arles, Œuvres monastiques I et II, introduction, texte critique, traduction et notes par Adalbert de Vogüe´ et Joe¨l Courreau, Paris 1988 et 1994 (Sources chre´tiennes, 345 et 398). 47 Les seize vers de l’e´pitaphe se trouvent sur le devant du sarcophage de l’e´veˆque: voir Barralis, Chronologia (voir n. 17), p. 117–118; Duchesne, Fastes e´piscopaux de l’ancienne Gaule (voir n. 21), p. 256. Le le´gendier d’Arles (BNF 5295) contient une transcription comple`te de l’e´pitaphe, copie´e a` la fin de la Vita Hilarii (fol. 60v–61r). Barralis signale e´galement une copie de l’e´pitaphe dans le »manuscrit le´rinien« qu’il a collationne´ (p. 117). 48 Vita Virgilii, 15. 49 Bien que la ce´le`bre communaute´ soit encore e´voque´e comme un mode`le dans la »Vie de l’abbe´ Aygulphe« re´dige´e a` Fleury ou dans les cercles carolingiens, aucun document du haut Moyen Aˆ ge e´manant directement de l’ıˆle n’a e´te´ conserve´. 140 Ste´phane Gioanni inte´resse aussi l’histoire de Le´rins. Elle nous rappelle que »l’ıˆle des saints«50 demeure une re´fe´rence essentielle pour repre´senter la saintete´ dans la Provence me´rovingienne et qu’elle exerce toujours, mais sous d’autres formes que par le passe´, »sein[en] Ein- fluss in Gallien«51. Si la Vita Virgilii est trop proche de la Vita Maximi pour qu’on puisse a` proprement parler de »re´e´criture«, elle pre´sente des traits singuliers qui ruinent la the`se du simple »plagiat«. Le terme de »remploi«, emprunte´a` l’arche´ologie, conviendrait donc da- vantage pour de´signer un texte original contenant de nombreuses parties d’un texte ante´rieur. L’exemple de la Vita Virgilii montre que les »remplois« cherchent avant tout a` inscrire le culte d’un saint dans une tradition hagiographique et qu’ils ne doivent pas eˆtre conside´re´s uniquement en fonction de leur hypotexte. La Vita Maxi- mi n’est qu’un maillon de la chaıˆne hagiographique qui rattache le saint provenc¸al de l’e´poque me´rovingienne au rayonnement de la me´tropole d’Arles et a` l’aˆge d’or de Le´rins. Par ses sources et par ses the`mes, la Vita Virgilii rappelle en effet que l’histoire glorieuse du sie`ge e´piscopal d’Arles est indissociablement lie´e a` la repre´sentation du monaste`re insulaire. Elle montre que l’origine le´rinienne d’un saint e´veˆque, dans la Provence du haut Moyen Aˆ ge, remplit une fonction comparable aux origines apo- stoliques. Aussi importants que les saints de l’e´poque apostolique (comme Tro- phyme a` Arles), les saints e´veˆques ayant un rapport avec Le´rins (Maxime a` Riez, Virgile a` Arles...) joue`rent un roˆ le de´terminant dans l’affirmation du pouvoir e´pis- copal. De`s lors, l’existence re´elle de Virgile importe moins, aux yeux de l’hagiogra- phe, que l’appartenance a` cette ligne´e de moines-e´veˆques exceptionnels qui ont fait de la cite´ d’Arles la me´tropole de la Provence chre´tienne.

50 Ennode de Pavie, Vita Antoni, 40: sanctorum insula. 51 Prinz, Frühes Mönchtum im Frankenreich (voir n. 14), p. 47. La Vita Virgilii (BHL 8679) 141

Annexe Pour faciliter la lecture et l’interpre´tation des »remplois« de la Vita Maximi A dans la Vita Virgilii, nous avons pense´ qu’il serait utile de confronter les deux textes dans un tableau, en essayant autant que possible de juxtaposer les passages identiques. Les mots en italique correspondent aux diffe´rents types de variations que nous avons e´tudie´es:

VitaMaximiA(e´d.Gennaro,1966) – BHL5853 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) – BHL 8679

1. [=lettre de de´dicace de Dynamius a` l’e´veˆque Urbicus de Riez] Domino beatissimo patri, Vrbico papae, salutem Dinamius patricius. Dum apostolicae, pater, fidei ardore succensus, uniuersa de uirtutibus sancti Maximi, quae fidelis gestorum relatio manifestat, sollicita indagatione perquiris, imperitiam meam pulsare non desinis paternis etiam monitis, praedicandi auctoritate confirmans, quod non parum ipsius delicti noxa reus efficiar, nisi omnia in uita eius, quam me ante aliquot annos rurali sermone conscripsisse constitit, studeam addere quaecumque uos de illius mirabilibus, protinus manifestum est inuenisse, unde ego gemino pudore confundor, cui nec loquendi facultas conceditur, nec silendi securitas indulgetur. Si loquar, sensum monstrat detecta rusticitas imperitum; si taceam, paternum minatur imperium; nam, si licuisset, uel de succincta poteram dictione placere, cui non possunt dogmatis augmenta succurere. Inter utramque ergo constitutus angustiam, praeceptis uestris parere disposui, placiturus oboedientia, non doctrina. Vetera uos igitur chartarum indicastis reuoluisse uolumina, in quae, quod de eius operibus beatissimi Fausti antistitis, praecessoris uestri, sollertia deuota collegerat, unde pauca sensu potius quam obtutu uix decernere potuistis: nam pluriora aemulae uetustatis edacitas consumpserat, quae latebant; quod nisi ut scriptorum meorum serie aeternae memoriae 142 Ste´phane Gioanni

VitaMaximiA(e´d.Gennaro,1966) – BHL5853 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) – BHL 8679 traderentur pauca de plurimis, satis esse impium censuisitis. Vnde me ex parte uotis uestris satisfecisse censeo, quod in longum ducta propaginem lectio multiplicata subsequitur; quae quotiens audientibus fecerit dudum lecta fastidium, ad uestrum poterit pertinere delictum; si mercedis praemium contulerit, nihil ad me exinde similiter pertinebit, qui compulsus uestris imperiiis prolixiora conscripsi quam uolui et refugium breuitatis omisi. Me ergo, quem silentii peplo, prudentissime pastor, exspolias et tegmine taciturnitatis enudas, supplico ut cum uniuerso populo diffuso munias intercessionis praesidio. Quotiens lectionis relegitur longitudo, nec dictio impolita displiceat, quam tenor relationis sanctae commendat; nam dubium non est quod quantum integra deuotione cordis ipsius sancti antistitis gesta praefers, tantum opera mediteris et eius integra auiditate mentis con〈it〉eris sequi uestigia, cuius actionum diligis ornamenta, dummodo diuino beneficio et ipsius tibi patronicio concedatur temporalis uitae prolixa tranquillitas et sancti operis exspectata facultas, domine uere sancte et beatissime papa. [CAPUT I. Acta in iuuentute. Vita monastica.] 2. Beatissimi Maximi Regensis urbis 1. Igitur beatissimi Virgilii, Arelatensis urbis antistitis, hodie dies sanctæ sollemnitatis Antistitis, hodie dies sanctæ solennitatis excolitur, qui quotannis rediuiuis temporum excolitur: cuius nos gesta pandere deuotio cursibus, cuius nos gesta pandere deuotio fidelis admonet et mos priscus constringit: fidelis admonet et mos prisca constringit; quia, nisi euidens comperta relatio tenacibus quia, nisi euidens comperta relatio tenacibus litteris custodita seruetur, uariatur actio uetus litteris custodita seruetur, uariatur actio per nouos sæpius relatores. Nam (ut de eius uetus per nouos sæpius relatores. Nam ut de mysticæ actionis insigni nihil sit dubium eius mysticæ actionis insignia nihil sit nihilque faciat uulgaris assertio fabulosum) dubium nihilque faciat uulgaris assertio quæ ab ipso facta sunt et probata, ueridico sunt fabulosum, quæ ab ipso facta sunt et probata, sermone narranda: unde tamen, ne audientibus ueridico sunt sermone narranda. Vnde faceret prolixitas inepta fastidium, studuimus tamen, ne audientibus faceret prolixitas silere plurima, pauca disserere. La Vita Virgilii (BHL 8679) 143

VitaMaximiA(e´d.Gennaro,1966) – BHL5853 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) – BHL 8679 inepta fastidium, studuimus silere plurima, pauca disserere.

3. Hic igitur in uico proprio, cui uocabulum 2. Hic igitur in uico proprio, cui uocabulum est est de Comeco, uitæ sumpsit exordium, Samon, qui est in partibus Aquitaniæ, uitæ Christianis parentibus editus, factus illico sumpsit exordium, Christianis parentibus Christianus. Qui ab ipsis infantiæ rudimentis editus, factus illico Christianus, qui ab ipsis erecta semper humilitate crescebat, ita infantiæ rudimentis erecta semper humilitate teneros ætatis annos morum maturitate crescebat; ita teneros ætatis annos morum castigans, ut proprietatem sui nominis maturitate castigans, ut proprietatem sui impleret gratia sanctitatis. Postquam uero nominis impleret gratia sanctitatis. Postquam adolescentiæ ritu, corporeo coepit rubore uero adolescentiæ ritu, corporeo coepit rubore pubescere, blandimenta luxuriæ animo pubescere, blandimenta luxuriæ animo incidente castrabat, ut pollicitæ uirginitatis incidente castrabat, ut pollicitæ uirginitatis palmam pro incorrupta integritate palmam pro incorrupta integritate perciperet, perciperet, et in regnis cælestibus et in regnis cælestibus triumpharet. triumpharet.

4. Fuit itaque bonorum omnium ornamentis Fuit itaque bonorum omnium præditus praeditus et dignis suffragiis præferendus: ornamentis, et dignis suffragiis præferendus: pretiosus uultu, blandus aspectu, ore speciosus uultu, blandus aspectu, ore placidus, placidus, corde serenus, patientia fortis, mente serenus, patientia fortis, magnanimitate magnanimitate laudabilis, amicus pacis, laudabilis, amicus pacis, largus inimicis: iurgiis inimicis: puluereum fastidiens censum puluereum fastidiens solum, accensus in amore in amore cælorum, de temporalibus æterna cælorum, de temporalibus æterna comparans, comparans, contemnens temporalia pro contemnens temporalia pro æternis: qui ut æternis. Qui, ut interius diuinæ legis interius diuinæ legis præcepta agnosceret, ita præcepta agnosceret, ita naturali capax naturali capax acumine litterarum est studiis acumine litterarum est studiis eruditus, ut eruditus, ut pastum animæ legendi auiditate pastum animæ legendi auiditate colligeret, et colligeret, et more apium, æternæ dulcedinis more apum æternæ dulcedinis nectar nectar hauriret. Sed, quamlibet cuncta a se hauriret. Sed, quamlibet cuncta a se uitiorum uitiorum carnalium incrementa succidens, carnalium incrementa succidens, omni in omni in parte digna meritorum conuersatione parte digna meritorum conuersatione fulgeret; uirtutem tamen sui corporis fulgeret, uirtutem tamen sui corporis abstinentiæ assiduitate frangebat in se, naturam abstinentiæ assiduitate frangebat in se et delicti, antequam nasceretur, ulciscens: cui naturae delicti, antequam nascerentur tantum percussor dignoscitur defuisse ulciscens, cui tantum percussor dignoscitur martyrio, nam ipse se procul dubio martyrem defuisse martyrio; nam ipse se procul dubio et cruciatu fecit et merito. martyrem et cruciatu fecit et merito. Cunctam, quin etiam facultatum suarum 144 Ste´phane Gioanni

VitaMaximiA(e´d.Gennaro,1966) – BHL5853 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) – BHL 8679 copiam derelinquens, insulam sancti 3. Cunctam quin etiam facultatum suarum monasterii Lerinensis expetiit, ubi æternas copiam derelinquens, monasterium sacræ iustus diuitias inueniret, euangelica in insulæ Lerinensis expetiit, ubi æternas iustus omnibus miles Christi præcepta secutus; diuitias inueniret, euangelica in omnibus miles quod nisi cunctis opibus redderetur Christi præcepta sequutus: quod, nisi cunctis extraneus, non posset esse perfectus, nec operibus redderetur extraneus, non posset esse aliter regni cælestis præmia compararet, nisi perfectus; nec aliter regni cælestis præmia uniuersa contemneret. In qua congregatione, compararet, nisi uniuersa contemneret. In qua dum cunctos caritate perfecta diligeret, congregatione, dum cunctos caritate perfecta diligebatur a cunctis, quatenus raptus noui diligeret, diligebatur a cunctis, quatenus raptim amoris studio, antiquam esset regulam noui amoris studio antiquam est regulam consecutus, uel mystica apparuit consecutus, uel mystica apparuit conuersatione conuersatione præcipuus, ut sancto præcipuus, ut a sancto Honorato præcessori Honorato præcessori suo, summis uirtutibus suo summis uirtutibus præferendo, qui in præferendo, qui in eodem loco abbatis digne eodem loco abbatis nomen digne gesserat, et nomen gesserat, et honore succederet, et honorifice succederet, et meritis coæquaretur. meritis coæquaret. Vbi, dum commissum gregem custodiret 4. Vbi dum commissum gregem custodiret sollertia pastorali et solus ex more singulis solertia pastorali, et solus ex more singulis noctibus, cum genus humanum depositis noctibus, cum genus humanum deposita soporis curis soporis imago comprimeret, monasterii imago comprimeret, monasterii septa lustraret; saepta lustrauit; ab insolito contigit ut illum ab insolito contigit, ut illum quidam quidam sollicitudine motus monachus, in solicitudine monachus, in annis puerilibus annis puerilibus constitutus, e uestigio constitutus, e uestigio sequeretur. sequeretur.

5. Tunc beatissimi uiri conspectibus forma Tunc beatissimi uiri conspectibus forma ingenti ingenti atque terribili diabolus insidiator atque terribili diabolus insidiator apparuit: sed, apparuit. Sed sicut Christi athletam sicut Christi athletam spiritualibus armis spiritalibus armis indutum terrere non ualuit, indutum non ualuit terrere, ita inopinantem ita inopinantem monachum ictu formidinis monachum ictu formidinis sauciauit: qui ad sauciauit; qui ad cellulam illico uix gressu cellulam illico uix gressu trepidante confugiens, trepidante confugiens, igneis est febribus igneis est febribus uiolenter accensus. Rursus uiolenter accensus. Rursus tamen pertinax tamen pertinax ille deceptor existimans se posse ille deceptor, existimans se posse sanctum sanctum Dei Virgilium uel in aliquo perturbare, Dei uel in aliquo perturbare, igneo se dracone igneo se dracone formatum ostendit: sed formatum ostendit; sed raptim, territus raptim, territus crucis armis, euanuit: quoniam crucis armis, euanuit, quoniam iam inuictus inuictus athleta hostem, quem sæpius uicerat, athleta hostem, quem sæpius uicerat, non non timebat. Qui cum totius insulæ ambitum timebat. Qui, cum totius insulæ ambitum peragrasset, concitus ad stratum monachi rediit peragrasset, concitus ad stratum monachi ægrotantis: ubi dum orationum preces intra La Vita Virgilii (BHL 8679) 145

VitaMaximiA(e´d.Gennaro,1966) – BHL5853 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) – BHL 8679 rediit ægrotantis; ubi dum orationum preces arcana pectoris sui claustra diffunderet; mox et intra arcana pectoris sui claustra diffunderet, pristinæ incolumitati redditur languidus, et mox et pristinæ incolumitati redditur præda caruit latro deceptus: ac proinde obtinuit languidus, et præda caruit latro deceptus. Ac geminam uirtus inuicta uictoriam. Quoniam perinde obtinuit geminam uirtus inuicta dum uires ægroto reddidit, aduersarium uictoriam, quoniam, dum uires ægroto superauit; deflet inimicus, quod perdidit, reddidit, aduersarium superauit; deflet gaudet monachus, quod recepit. inimicus quod perdidit, gaudet monachus quod recepit.

6. Dum singulis similiter noctibus pastor 5. Dum singulis similiter noctibus pastor egregius, ne aliquid aduersi contingeret, ouile egregius, ne aliquid aduersi contingeret, ouile dominicum circuiret, ad litus æquoris, qui dominicum circuiret; ad litus æquoris, quod uocatur Moles, accessit, ubi insidiator ille uocatur Molis, accessit: ubi insidiator ille, quasi quasi nauem oneratam aduexisse fallaci specie nauem oneratam aduexisset, fallacis speciem imaginis ante oculos ausus est confingere imaginis ante oculos ausus est confingere sacerdotis, ostendens nautas solito ritu sacerdotis, ostendens nautas solito ritu feruere, feruere uel nauis instrumenta colligere; e uel nauis instrumenta colligere: a quibus duo ad quibus duo ad ipsius sancti latera ipsius sancti latera peruenere, dicentes: »In his peruenerunt, dicentes: »In his quidem quidem partibus negotiandi nos causa perduxit, partibus negotiandi nos caussa perduxit, quibus te ingens compendium rei euentus quibus in te ingens compendium rei euentus exhibuit: Virgilium te esse nouimus non minus exhibuit. Maximum te esse nouimus non sanctitate quam nomine: quem uniuersitas in minus sanctitate quam nomine, quem transmarinis partibus tanta auiditate uidere uniuersitas in transmarinis partibus tanta desiderat, ut si hoc obtinere possit, nihil auiditate uidere desiderat ut, si hoc obtinere pretiosius esse censeret. Nullum nobis ergo possit, nihil pretiosius esse censeret. Nullum utile lucrum quocumque labore præstabitur, nobis ergo simile lucrum quocumque labore nisi ut te Hierosolymam impositum naui præstabitur, nisi ut te Hierosolymam ducamus, quem successu prospero impositum naui ducamus, quem successu inopinantem inuenimus: quod et tibi procul prospero inopinantem inuenimus; quod et dubio ad culmen immodicum pertinebit, si tibi procul dubio ad culmen immodicum felici cursu ibidem adueheris, quo uotis pertinebit, si felici cursu ibidem adueheris, omnium expectaris«. Vir itaque Dei insidias quo uotis omnium expectaris«. Vir itaque inimici cognoscens, sanctae Crucis armatus Dei, insidiam inimici cognoscens, sanctae auxilio, præsidia superna inuocans, spirituali crucis armatus auxilio, præsidia superna hac auctoritate respondit: »Decipere non potest inuocans, spiritali hac auctoritate respondit: Christi milites nequitia deceptoris, nec »Decipere non potest Christi milites nequitia fraudibus ualetis illudere, quos aduersa Deus deceptoris, nec fraudibus ualet his illudere admonet præuidere: quoniam ita præsentem quos aduersa Deus admonet præuidere, insulam beatissimi Honorati muniuit oratio, quoniam ita præsentem insulam beatissimi per quem ex ea draco est habitator eiectus, ut 146 Ste´phane Gioanni

VitaMaximiA(e´d.Gennaro,1966) – BHL5853 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) – BHL 8679

Honorati muniuit oratio, per quem ex ea nullum huic ulterius nocendi aditum possit draco est habitator eiectus, ut nullum huic habere diabolus«. Euanuit inter hæc nauis ulterius nocendi aditum possit habere fictilis ab oculis pernoctantis: uir autem sanctus diabolus«. Euanuit inter hæc nauis fictilis ab protinus festinans, ad oratorium remeauit, et ut oculis exorantis: unde protinus festinans ad ad uigilias surgerent, admonuit; ubi cum omni oratorium remeauit, et ut ad uigilias sancta congregatione ipsi celeberrimas studuit surgerent, admonuit; ubi cum omni sancta reddere laudes, per quem illi successerat congregatione ipsi celeberrimas studuit uictoria triumphalis. reddere laudes, per quem illi successerat uictoria triumphalis. [CAPUT II. Archiepiscopatus Arelatensis. Templa extructa. Mortui resuscitati.] 7. Quem dum tantis uirtutum mysteriis esse 6. Quem dum tantis uirtutum mysteriis esse præcipuum per uniuersum orbem uelox fama præcipuum per uniuersum orbem uelox fama uulgaret, ad pontificium Regensis urbis, uulgaret, ad pontificium Arelatensis urbis, amore omnium sacerdotum uel ciuium non amore omnium sacerdotum uel ciuium non minus raptus quam electus, adducitur; et minus raptus quam electus, adducitur; et reluctans protinus consecratur. Qui licet iam reluctans protinus consecratur. Qui licet iam Maximus ubi amplius cresceret non haberet, Virgilius ubi amplius cresceret non haberet, attamen nihil de nominis sui proprietate attamen nihil de nominis sui proprietate minorans, dum maximus permansit in opere, minorans, dum uigil permansit in opere, claruit claruit in honore. Inter cetera igitur, quæ in in honore. Inter cetera igitur, quæ in eodem eodem fulgebant bonorum actuum fulgebant bonorum actuum ornamenta, ornamenta, monstrabat illum patientia monstrabat illum patientia fortem, fortem, beneuolentia patientem, libertas beneuolentia patientem, libertas alacrem, alacrem, liberalitas abundantem, liberalitas abundantem, magnanimitas magnanimitas liberalem, pietas mitem, liberalem, pietas mitem, sedulitas diligentem, sedulitas diligentem, caritas dulcem, largitas caritas dulcem, largitas generalem, doctrina generalem, doctrina laudabilem, æquitas laudabilem, æquitas singularem, humilitas singularem, humilitas pauperem, dignitas pauperem, dignitas affluentem. Qui cum esset affluentem. omnibus uirtutibus adornatus, Scripturis quoque diuinis nulli priorum infimus, basilicam 8. Qui dum basilicam in honore sancti Albani in honore sancti Stephani Protomartyris Christi intra castellum Regensem fideli, qua poterat intra urbem Arelatensem fideli, qua poterat deuotione construeret, [+ cf. Vita Virgilii 9, deuotione construxit. ligne 7] columnas quae ibidem nunc uidentur adsistere adhibita competenti numero boum 7. Sed nec hoc ad confortanda corda iuga trahebant. Sed in nullo grauabatur tanti Arelatensium esse censuimus omittendum onere ponderis, quae eius præcedebant quod, dum beatissimus antistes ad ipsius auxilia sanctitatis: dum ille tamen ad templi basilicæ templum, quod cum magna deuotione La Vita Virgilii (BHL 8679) 147

VitaMaximiA(e´d.Gennaro,1966) – BHL5853 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) – BHL 8679 illius septa operarius indesinenter insisteret; construxerat, cum ceteris episcopis, qui ad ita eodem absente diabolicæ artis obuiante dedicationem templi conuenerant, psallendo nequitia, uniuersa iuga boum occulta sacras cum honore maximo reliquias beati prægrauauit obiectio ut, crebris aculeis Stephani uel aliorum sanctorum adueheret, in laniati, nullis rebus accedere potuissent; ubi ipsius urbis porta improuise uersus iste ex alios quam plures iuuencos quin etiam ordine sic uenit: Hæc porta Domini, iusti adiunxerunt, quibus uis maior esse poterat et intrabunt per eam. Quod procul dubio robur ualidius imminebat, tunc saepissimis in intelligendum est, urbis memoratæ portam sic unum mucronibus sauciati, nihil proficere eius orationibus munitam, ut, sicut hactenus poterant, quibus spiritalis aduersitas per longinqua spatia temporum propitiante resistebat. Et tamquam si totum montem Deo numquam esse comprobatur irrupta; ita illum, quod impossibile esse dinoscitur, nec imposterum posse irrumpi diuinitate trahere niterentur, ita pondus mobile fraus propitia censeatur. Quoniam facillime Pastor inimica resistens fecerat non posse moueri. ille præcipuus, quem uiuentem monstrant Cuius rei gestum beatissimo antistiti gesta, post transitum apud Dominum obtinere anhelans ilico nuntius perturbatus exhibuit; potuit, ut gloriosam eius meritis urbem hanc, in ille uero ad locum indubitanter accessit nec qua pontificium emeruit, perpetuis temporibus terrore trepidus nec maerore confusus; cuius defensaret a foris per uirtutem sui corporis, et tantum aspectibus insidiator ille latere non intra per templum sacratissimum quod potuit, qui populo uniuerso latebat. Tunc construxit, undique per beneficia indulta quæ dicere coepit: »Frustra per ignorantiam muta meruit. Omnes ergo diuinitate propitia pecora uulneratis, dum uidere inimici hostis nouerunt, sicut psallentium turba prædixit, obstacula non potestis; nam et ego conspicio urbem Arelatensem per defensorem Virgilium Æthiopem paruulum, ubi diabolicæ uirtutis in omnibus esse munitam, nec permitti potest, consistit immanitas, iuuenculis certantibus ut locum illum hostiles cunei ualeant obuiantem«. Tunc genu flexo deuotus irrumpere, ubi ille Christo dignoscitur adorans ut insidiatoris aduersitatem uinceret, militasse: unde nec reliqui antistites præcessoris auxilia diuina poposcit. Vnde aduersarius illius, qui in omnibus eius æquantur meritis, ilico, quia amplius sub præsentia sacri censendi sunt esse minores. pontificis nocere non licuit, cum nimio foetore discessit, et remotis bouibus qui adiuncti eius insidia prægrauante fuerant, columnae illae ad dispositum locum ubi praesse uidebantur absque difficultate aliqua peruenerunt, quoniam nihil illi insidiator humani generis aduersari poterat, cui Deus arbiter dæmonia subiecta esse iubebat.

9. [cf. Vita Virgilii 7, ligne 1] Sed nec hoc ad confortanda corda Regensium esse censuimus omittendum quod, dum 148 Ste´phane Gioanni

VitaMaximiA(e´d.Gennaro,1966) – BHL5853 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) – BHL 8679 beatissimus antistes ad ipsius basilicæ templum, quod cum magna deuotione construxerat, psallendo sacras cum honore maximo reliquias adueheret, in ipsius ab improuiso castelli porta uersus iste ex ordine sic uenit: Hæc porta Domini, iusti intrabunt per eam. Quod procul dubio intelligendum est, urbis memoratæ refugium sic eius orationibus munitam, ut, sicut hactenus per longinqua spatia temporum propitiante Deo numquam esse comprobatur irrupta; ita nec imposterum posse diuinitate propitia censeatur; quoniam facillime Pastor ille præcipuus, quem uiuentem monstrant gesta, post transitum apud Deum obtinere potuit, ut gloriosam eius meritis urbem hanc, in qua pontificium emeruit, perpetuis temporibus defensaret a foris per uirtutem sui corporis quae praecellit, ab infra per templum sacratissimum quae construxit, undique per beneficia indulta quæ meruit. Omnes ergo diuinitate propitia nouerint, sicut psallentium turba prædixit, castellum Regensem per defensorem Maximum in omnibus esse munitum, nec permittere potest ut locum illum hostiles cunei ualeant irrumpere, ubi ille Christo dignoscitur militasse; unde nec reliqui antistites præcessores illius, qui in omnibus eius æquantur meritis, censendi sunt esse minores.

10. Dum in basilica igitur ipsa, quam ad 8. Dum in basilica igitur ipsa, quam ad effectum effectum perduxerat, instantia pastorali perduxerat, instantia pastorali Virgilius Maximus celebraret, et inter reliqua ex hoc celebraret, et inter reliqua ex hoc Deo gratias Deo gratias ageret, quia suum desiderium ageret, quia suum desiderium adimplesset, adimplesset, quod miraculum dignoscitur quod miraculum dignoscitur contigisse, non contigisse, non patimur silentio præterire. putamus silentio præterire. Aurelianus itaque Ausani itaque cuiusdam Regensis diaconus quidam Arelatensis diaconus, fratris filium, fratris filium, quem paruulum parentum quem paruulum parentum transitus transitus dereliquerat et ille nutriendum dereliquerat, nutriendum excipiens, plusquam La Vita Virgilii (BHL 8679) 149

VitaMaximiA(e´d.Gennaro,1966) – BHL5853 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) – BHL 8679 excipiens plus quam filium diligebat, dum filium diligebat: qui dum per murum eiusdem per murum eius castelli cum reliquis urbis cum reliquis infantibus uespere sabbathi infantibus ipsius uespere sabbati luderet, luderet, interueniente casu lapsus corruit, et interueniente casu, lapsus corruit et spiritum spiritum ceruicibus fractis amisit. A quo nuncio ceruicibus fractis amisit. Ad quod nuntium diaconus ille perculsus, nimio dolore diaconus ille perculsus, nimio dolore percurrens, corpus exanime uestimentis suis percurrens corpus exanime uestimentis suis coopertum rapuit, et ad sacrum pontificem, ubi coopertum rapuit, et ad sacrum pontificem, celebrabat uigilias, secretius deportauit: ubi celebrabat uigilias, secretius deportauit, tractans qualiter eum publice pedibus ipsius tractans qualiter eum publice pedibus suis prosterneret, et ut ipsi uitam deberet reddere, prosterneret, et ut ipsi uitam deberet reddere, supplicaret. Sed quia probatissimum Christi supplicaret. Sed quia probatissimum Christi militem omnino iactantiam fugere nouerat, ad militem omnino iactantiam fugere nouerat, cubiculum ipsius eum studuit deportare, uel in ad cubiculum ipsius eum studuit deportare, lectulo prostratum eiusdem lectaribus operire: uel in lectulo prostratum eiusdem lectaribus sciens et tota mente confidens quod illum operire, sciens et tota mente confidens quod uiuificare poterat spiritalis medicus, qui illum uiuificare poterat spiritalis medicus, consueuerat suscitare defunctos. Vnde cum qui consueuerat suscitare defunctos. Vnde multo moerore (spem tamen de confidentia cum multo moerore, tamen de spe capiens) ad uigilias remeauit, et in loco ubi stare confidentiam capiens, ad uigilias remeauit, et consueuerat, indubitanter accessit. Quo uiso, in loco ubi stare consueuerat indubitanter clementissimus pontifex silentium psallentibus, accessit; quo uiso, clementissimus pontifex quæ gesta fuerant replicaturus, indicauit: et silentium psallentibus, quæ gesta fuerant cum consueto deuotionis studio orationem replicaturus, indicauit, indicens, cum implesset, diaconum illum ex hoc, quod fecerat, consuetae deuotionis studio orationem fortiter increpauit: quem non solum remouere implesset, diaconem illum ex hoc quod nequiuit territum, sed etiam amplius studuit fecerat fortiter increpauit: quem non solum incitare compunctum. Tunc ad ipsius quod remouere nequiuit territum, sed etiam prostratus pedes clamare coepit, quod nisi amplius studuit incitare compunctum. Tunc uitam defuncto redderet, eius uestigia non ad ipsius prostratus pedibus clamare coepit, laxaret: addens etiam quia facillime illum quod nisi uitam defuncto redderet, eius poterat suscitare, de quo meruerat quæ fuerant uestigia non laxaret addens etiam quia acta, nuntio nullo indicante, cognoscere. Qua facillime illum poterat suscitare, de quo improbitate compulsus, et ratione constrictus, meruerat quæ fuerant acta, nullo nuntio ipso tamen comitante qui precabatur, ad indicante, cognoscere. Qua improbitate lectulum suum secretius decreuit accedere: sed compulsus et ratione constrictus, ipso tamen turbam populi nec uitare quiuit, quin ad ipsius comitante qui precabatur, ad lectulum suum rei miraculum conueniret. Ad quod secretius decreuerat accedere, sed turbam corpusculum cum fuisset ingressus, auxilia populi uitare non potuit nisi ut ad ipsius rei diuina tota mentis auiditate deposcens, manum miraculum conueniret. Ad quod eius qui functus fuerat, fiducialiter corpusculum cum fuisset ingressus, auxilia apprehendit, et pristinæ sanitati restituit. Tunc 150 Ste´phane Gioanni

VitaMaximiA(e´d.Gennaro,1966) – BHL5853 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) – BHL 8679 diuina tota mentis auiditate deposcens, omnis constipatio populi circumsepta clamat: manum eius qui defunctus fuerat fiducialiter »Gloria tibi Deus«, nec ullatenus remoueri uel fideliter adprehendit et suscitatum poterant singuli, quin uiderent motum, et pristinæ saluti restituit. Tunc omnis audirent eloquium suscitati: de qua seditione constipatio populi circumsepta clamabat: uix ad uigilias, clericorum suorum auxilio »Gloria tibi Deus!«. Nec ullatenus remoueri ereptus, reuocari poterat, quem concursus poterant singuli, nisi ut uiderent motum, et fidelium obsidebat. In hoc miraculo, paullo audirent eloquium suscitati. De qua seditione minor apparuit confidentis diaconi fides, quam uix ad uigilias clericorum suorum auxilio uirtus sancta pontificis. Interea ut de plurimis ereptus reuocari poterat, quem concursus pauca uideamur dinumerare, ad superiora, quæ fidelium obsidebat. In hoc miraculo, paulo prætermisimus, stylo scribendi redeamus. minor apparuit confidentis diaconi fides quam uirtus sancta pontificis. 9. Quadam itaque die, dum uir beatissimus basilicam extra muros urbis miro opere conderet, uisum est, ut columnæ marmoreæ, quæ ibidem nunc uidentur assistere in altum deductæ, erigi deberent. Contigit autem, ut uiro Domini absente, omnes nimio labore fatigarentur, et molem lapidum mouere non possent: sed in nullo grauabatur tanti onus ponderis, quod eius præcedebant auxilia sanctitatis: dum ille tamen ad templi illius septa operarius indesinenter insisteret; ita eodem absente diabolicæ artis obuiante nequitia, uniuersam multitudinem uirorum occulta prægrauauit obiectio. Cumque nullis rebus accedere potuissent, alios quamplures iuuencos etiam adiunxerunt, quibus uis maior esse poterat, et robur ualidius imminebat: sed nihil proficere poterant, quibus spiritalis aduersitas resistebat: et tamquam si totam urbem illam, quod impossibile esse dignoscitur, trahere niterentur, ita pondus mobile, fraus inimica resistens, fecerat non posse moueri. Cuius rei gestum beatissimo Antistiti anhelans illico nuncius perturbatus exhibuit: ille uero ad locum indubitanter accessit, nec terrore trepidus, nec moerore confusus: cuius tantum adspectibus insidiator ille latere non potuit, qui populo uniuerso latebat. Tunc clamosa uoce dicere coepit: »Frustra per ignorantiam La Vita Virgilii (BHL 8679) 151

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laboratis, dum uidere inimici hostis obstacula non potestis: nam ego conspicio Æthiopem paruulum, in quo diabolicæ uirtutis consistit immanitas, iuuenculis certantibus obuiantem«. Tunc genu flexo deuotus adorans, ut insidiatoris aduersitatem uinceret, auxilia diuina poposcit, et conuersus ad funebrem dixit: »O omnis dolor, et inimice humani generis, quomodo ausus es opus Dei insidiari?« Ad hanc uocem territus aduersarius, illico, quia amplius sub præsentia sacri pontificis nocere non licuit, cum nimio foetore discessit, et remotis columnis, quæ ab eius insidiis prægrauatæ fuerant, ad dispositum locum, ubi uidebantur opponi, absque ulla difficultate erectæ sunt: quoniam nihil illi insidiator aduersari poterat, cui Dei arbitrio dæmonia subiecta esse uidebantur.

10. Dedicauit autem idem beatus antistes basilicam, quam construxit, in honore Saluatoris Domini nostri Iesu Christi, et beati Honorati confessoris, atque ibidem ordinem constituit monachorum seruientium Deo. 11. Contigit itemque ut cuiusdam uiduæ Cumque a beato pontifice sacra Missarum unica filia, in annis adolescentiæ constituta solemnia celebrarentur, contigit ut cuiusdam fati munus implesset: quam cum piissima uiduæ unica filia, in annis adolescentiæ genitrix infelici casu decepta, non minus constituta, a maligno spiritu raperetur: quam miseranda quam misera, ex usu gestanda cum piissima genitrix infelici casu decepta, non feretro collocasset: ad sacrosanctum trepida minus miseranda quam misera, ex usu concurrit antistitem, cum lacrimis potius gestandam feretro collocasset: ad sacrum quam uerbis causam improbi doloris trepida concurrit antistitem, cum lacrimis adsignans, ut supra corpus exanime potius quam uerbis causam improbi doloris orationem funderet, supplicauit. Quod uir assignans, ut supra corpus exanime orationem Dei pietate uictus nec differre potuit nec funderet, supplicauit. Quod uir Dei pietate negare: sed ad feretrum confidenter accessit, uictus, nec differre potuit nec negare: sed ad ubi protinus adorans uel in sublime geminas feretrum confidenter accessit, ibique pronus manuum suarum palmas attollens, precibus adorans uel in sublime geminas manuum beatis obtinuit ut mortuam suscitaret; quæ suarum palmas attollens, precibus beatis raptim, tamquam post nimium soporem obtinuit, ut mortuam suscitaret. Quæ raptim euigilans, oculos rediuiua prægrauatos tamquam post nimium soporem euigilans, aperuit et uocata surrexit. 152 Ste´phane Gioanni

VitaMaximiA(e´d.Gennaro,1966) – BHL5853 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) – BHL 8679

oculos rediuiua prægrauatos aperuit, et auocata surrexit.

12. Longum itaque est gaudia materna Longum itaque est gaudia materna differere, et disserere et stuporem admirantis populi stuporem admirantis populi replicare. Post quæ replicare. Post quæ tamen miracula, a quibus tamen miracula, quia mortis iura uirtus meritis mortis iura uirtus meritis armata resoluerat, armata resoluerat, dum iactantiam pontifex ille dum iactantiam pontifex ille fugeret, concitus fugeret, concitus remeauit: sed deuotio populi, remeauit; sed deuotio populi, quæ rei gestum quæ suffragia in diuinis laudibus intonabat, suffragia in diuinis laudibus intonabant, tanta eum auiditate præcinxerat, ut maximam tanta eum auiditate præcinxerat, ut maximam partem indumenti sui in reliquiarum patrocinia partem indumenti sui in reliquiarum ciuili uiolentia rapuisset: unde pro eius patrocinia ciuili uiolentia rapuisset; unde pro uirtutibus declarandis, quod uix circa scapulas eius uirtutibus declarandis, quod uix circa remanere potuit, hodierna deuotio reseruauit. scapulas remanere potuit, hodierna deuotio reseruauit. [CAPUT III. Alia miracula. Mors, sepultura.] 13. Alia similiter uice, dum quidam 11. Erat itaque in eadem urbe immanissimus adolescentulus morsu canis rabidi serpens, qui multos e populo laniauerat. Dum praefocatus fuisset exstinctus, turba populi quidam adolescens morsu eius suffocatus, qua præsente contigerat supplicante obtinuit fuisset extinctus, turbam populi, quam ut ad locum, quo iacebat corpus exanime præsentem contigerat, supplicantem obtinuit perueniret. Ille uero sacratissimus pastor ut ad locum, quo iacebat corpus exanime, ancipiti reddebatur cogitatione suspensus: perueniret. Ille uero sacratissimus Pastor dum hinc fletibus quæ poscebant negare non ancipiti reddebatur cogitatione suspensus: dum poterat, inde, ne iactantiam incurreret hinc fletibus, quæ poscebant, negare non metuebat; attamen pietate uictus et poterat; inde, ne iactantiam incurreret, multorum obsequiis, ut ad locum accederet, metuebat. Ast tamen pietate uictus et uota populi supplicantis impleuit; ubi, manus multorum obsequiis, ut ad locum accederet, suas ad cælum eleuauit et pariter oculos uota populi supplicantis impleuit: ubi manus lacrimis distillantibus attolens, defuncto suas ad cælum eleuauit pariterque oculos salutem pristinam reddidit, quem teste lacrimis distillantibus, defuncto salutem populo suscitauit. Sed ita eum parentes pristinam reddidit, quem teste populo proprii pugnis pectora concisa tundentes suscitauit. Sed ita eum parentes proprii pugnis ululatibus et fletibus obruebant, ut pectora concisa tundentes, ululatibus et fletibus consurgere non ualeret, quamlibet salutem obsidebant, ut consurgere non ualeret, pristinam recepisset; unam tamen manum ad quamlibet salutem pristinam recepisset: unam genitorem, aliam ad genitricem attollens, tamen manum ad genitorem, aliam ad membris inter utrumque titubantibus genitricem attollens, membris inter utrumque eleuatur et, populo Deo gratias acclamante, titubantibus eleuatur, et populo Deo gratias ad hospitium reuertitur proprium, cui iam acclamante, ad hospitium reuertitur proprium, La Vita Virgilii (BHL 8679) 153

VitaMaximiA(e´d.Gennaro,1966) – BHL5853 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) – BHL 8679 coeperant parari sepulcrum. Vnde piissimi cui iam coeperant parare sepulcrum. Vnde genitores arbitrandum est quale gaudium piissimi genitores arbitrandum est quale potuerint habere post luctum, dum hinc gaudium potuerunt habere post luctum, dum exultabant de præsentia rediuiuæ sobolis; hinc exultabant de præsentia rediuiuæ sobolis; inde, quod ad integrum uiueret uix inde, quod ad integrum uiueret, uix credebant. credebant. Canem uero illum qui multos e Perrexit itaque sacratissimus pontifex ad locum, populo laniauerat iteratis in conspectu sacri ubi latebat ille sæuissimus coluber, qui multos pontificis rei euentus exhibuit; quem cum, iam ex populo peremerat: et uiso eo, animi animi indignatione commotus, proiecto indignatione commotus, proiecto baculo, baculo, erectis sursum manibus cælestem quem in manu gerebat, erectis sursum manibus actorem inuocans, extinctum calor uitæ cælestem actorem inuocans, extinctum calor deseruit. Nec mirum est qualiter spiritalis uitæ deseruit, atque per medium crepuit: athleta, dum gregem humani generis congregata denique copiosa lignorum strue, defenderet, hostem eius ictu letifero ignem supponi iussit. Nec mirum est, qualiter perculisset; qui, quod expedire gladio manus spiritalis athleta, dum gregem humani generis armata consueuerat, fletu operante defenderet, hostem eius ictu letifero supplebat, et forsitan ferientis ictum fallere perculisset; qui, quod expedire gladio manus potuit, quod obtutum pontificis non fefellit. armata consueuerat, fletu operante supplebat: Inflicta uero uulnera ita orationis et forsitan ferientis ictum fallere potuit, qui medicamento et crucis sanauit auxilio, ut obtutum pontificis non fefellit. Inflicta uero subito pariter et liuorem abstergeret et uulnera, ita orationis medicamento et crucis dolorem; nec quod rapidis dentibus auiditas sanauit auxilio, ut subito pariter et liuorem insana corruperat, apparebat. abstergeret et dolorem: nec quidem, quod dirus serpens rabidis dentibus et auiditare insanam corruperat, apparebat.

14. Quendam igitur bos petulcus cornu 12. Alia uero die bos quemdam petulcus cornu ferienti iugulauerat, uel extrinsecus intranea ferienti iugulauerat, uel extrinsecus intranea eius expulerat; quem dum ilico ad eumdem eius expulerat: quem dum illico ad eumdem medicum famulantum deuotio deduxisset et medicum famularis deuotio deduxisset, licet in licet in omnibus uirtutibus incurrere se omnibus uirtutibus incurrere se iactantiam iactantiam formidaret, clementer tamen formidaret, clementer tamen uulneratum uulneratum excepit, cuius exta manibus excepit, cuius manus diligenter attractans diligenter obtrectans fomentis calidis fomentis salutiferis oblectauit, et per uulnus oblectauit uel per uulnus intromisit, quod per intromisit: quod ipse superposita spongia se superpositam spongiam leniter alligans, ne leniter alligans, ne aliquis soluere præter illum aliquis soluere præter illum auderet, instanter auderet, instanter admonuit. Quod cum die admonuit. Quod cum die septima laxasset, septima laxasset, ita in integrum fuisse sanatum ita integre fuisse sanatum apparuit, ut uix apparuit, ut uix ibidem uel cicatricis uestigium ibidem uel cicatricis uestigium remansisset. remansisset. 154 Ste´phane Gioanni

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15. Cuius uero semper artus teneros cilicii 13. Eius uero semper artus teneros cilicii edomabat asperitas, unde interiorem tunicam edomabat asperitas, unde interiorem tunicam induebatur, quam de corpore suo crucis induebatur, quam de corpore suo crucis studio studio numquam abstulit sed etiam cum numquam abstulit sed etiam cum eadem se eadem se sepeliri præcepit; nec umquam sepeliri præcepit: nec unquam uti uoluit uoluit lauacris, ne forte animorum suorum lauacris, ne forte animorum suorum constantia, constantia, quae calcatis carnalibus uitiis quam calcatis carnalibus uitiis monstrabat monstrabat sustinere, etiam martyrium sustinere, etiam martyrio mollior redderetur . mollior redderetur.

16. Quidam igitur cæcus, dum per quindecim 14. Quidam igitur cæcus, dum per quindecim annos naturali lumine captus uel hospita annos naturali lumine captus, uel sospita cæcitate damnatus, iugi tenebrarum caligine cæcitate damnatus, iugi tenebrarum caligine teneretur obnoxius , sanctissimum teneretur obnoxius, sanctissimum indesinenter indesinenter precabatur antistitem, ut ipsi precabatur Antistitem, ut ipsi lumen amissum lumen amissum suis intercessionibus suis intercessionibus redderet et uidendi aciem redderet et uidendi aciem restauraret. Qui restauraret. Qui dum hoc, arrogantiam dum hoc arrogantiam uitando differret, uitando, differret, Fulgentium quemdam Rustico cuidam subdiacono, qui illi obsequi Subdiaconum, qui ei obsequi consueuerat, consueuerat, studuit deprecari, ut quando studuit deprecari, ut, quando nocturnis horis nocturnis horis beatissimus pontifex solus beatissimus pontifex solus basilicas circuibat, basilicas circuibat, eum pro mercede sua eum pro mercede sua secretius traheret, et ad secretius traheret et ad templi uestibulum, templi uestibulum, quo egredi consueuerat, quo egredi consueuerat deportaret. Quod deportaret. Quod quadam nocte, dum mane quadam nocte, dum mane mysticum altare mysticum ad altare sancti Stephani ex more uir sancti Andreae ex more uir Dei psallendo Dei psallendo sacras excubias celebraret, sacras excubias celebraret, præfatus præfatus Subdiaconus implere non distulit: ubi subdiaconus implere non distulit; ubi dum dum cæcus ille, solo prostratus, expectans cæcus ille, solo prostratus, exspectans sacerdotis aduentum quiesceret, medicus, sacerdotis aduentum quiesceret, medicus quem desiderabat, aduenit: in quo dum quem desiderabat aduenit; in quo dum ab improuiso molliter gradiendo pedem improuiso molliter gradiendo pedem impulisset, ueneranda eius uestigia supplex impulisset, ueneranda eius uestigia supplex amplectitur, et ut uisum illi redderet, amplectitur et ut illi uisum redderet, deprecatur. Qui oratione confidenter facta, deprecatur. Qui, oratione confidenter facta, signaculum crucis super eius oculos imposuit, signacula crucis super eius oculos imposuit et et diu clausa lumina subito reserauit: quem diu clausa lumina subito reserauit, cui osculans contestatus est ei, ut nulli panderet, osculum donans contestatus est ut nulli quod ipsi per illum Deus uisum restituisset. Et panderet, quod ipsi per illum Deus uidendi licet hoc spoponderit, pro magnitudine gaudii aciem reddidisset. Et licet hoc pro non potuit occultare. Sed quamlibet operatio immensitate gaudii non potuit occultare, sed secreta fuisset, opus tamen supplicum nequit La Vita Virgilii (BHL 8679) 155

VitaMaximiA(e´d.Gennaro,1966) – BHL5853 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) – BHL 8679 quamlibet operatio secreta fuisset, opus esse secretum; et qui uisum per tot annorum tamen publicum nequiuit esse secretum et qui curricula non habuerat, non latere potuit, quod uisum per tot annorum curricula non uidebat, sed etiam fugata tenebrarum caligine habuerat, non latere potuit, quod uidebat; splendebat actor redditor luminis, et gratia sicque etiam fugata tenebrarum caligine, fulgebat actoris . splendebat auctor redditi luminis et gratia fulgebat auctoris.

17. Et licet diuina largitas in amore Et licet diuina largitas in amorem sanctorum sanctorum audientium uota semper uota audientium semper amplificet, non tamen amplificet, non tamen ad integrum cuncta ad integrum cuncta rerum miracula expleri rerum miracula expleri possunt, quamlibet in possunt, quamlibet in longum protenta lectio longum protenta lectio perducatur. Aut perducatur, aut quando inter tanta operum quando inter tanta operum sanctorum sanctorum insignia inuenienda est finis eius insignia inuenienda est finis eius operis, in operis, in quo cælestis gratia præfulsit actoris, quo cælestis gratia præfulsit auctoris? Et cui et cui facillime constitit illuminare cæcos, facillime constitit illuminare cæcos, sanare sanare claudos, suscitare defunctos; quidquid claudos, suscitare defunctos, minus esse amplius dicitur, inuenitur. Quid plura? quidquid amplius dicitur, inuenitur. Quid Incunctanter omnia implere poterat, in quo plura? Incunctanter omnia implere poterat, Spiritus sanctus præfulgebat . in quo spiritus sanctus præfulgebat.

18. Coepit uero quandoquidem inter hæc 15. Coepit uero, quandoquidem inter hæc immensa mysteria diem sui obitus esse immensa mysteria diem sui obitus esse uicinam uicinam sacratissima reuelatione cognoscere. sacratissima reuelatione cognoscere, tunc Tunc palam omnibus humilitate sanctissima palam omnibus humilitate sanctissima indicare, studuit expetere commeatum, ut prius quod de hac luce migraturus esset: unde omnes genitale solum proximosque suos requiret subito moerore turbati in hoc, quod se iam quam de hac luce migraret. Vnde licet omnes migraturum esse prædixerat, intuitu proprio subito maerore turbauerit, ille tamen cum quid ageret, præstolati fuerunt. Tunc cum in magna gaudii alacritate quos expetiit stratu proprio tamquam soporem capiens, uisitauit ipsisque se iam migraturum esse recubasset, et diuinum impleret officium, et prædixit; sed quantum eos multum exsultare hymnos uel cantica psalleret, emittens spiritum de suo fecit aduentu, tantum amplius dolere ad cælestia migrauit, anno a centesimo de transitu. Tunc cum in stratu proprio, uigesimo septimo ætatis suæ. In quo loco tamquam soporem capiens, recubasset, et eadem hora tam suauissimus odor fragrauit, diuinum impleret officium et hymnos uel ueluti si uniuersos uerni temporis flores in cantica psalleret, amittens spiritum ad unum diuina prouisio congregasset. Vnde quid cælestia migrauit. In quo loco eadem hora aliud censendum est, nisi amoenitatem paradisi tam suauissimi odoris copia confragrauit, ad cultum ipsius funeris respirasse? Nec ueluti si uniuersos uerni temporis flores in mirum: transitus sui nuntium, non solum ad 156 Ste´phane Gioanni

VitaMaximiA(e´d.Gennaro,1966) – BHL5853 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) – BHL 8679 unum diuina prouisio congregasset. Vnde priuata moenia uelox fama prouexit, sed et per quid aliud censendum est nisi amoenitatem uniuersum seculi ambitum diuulgauit. paradisi ad cultum ipsius funeris respirasse? Occurrunt undique per diuersos uiarum Nec mira quod transitus sui nuntios, non accessus fideles cunei populorum, optantes solum ad priuata moenia uelox fama singuli uel uehiculi uelamenta contingere pro prouexit, sed et per uniuersum saeculi munimine salutari. ambitum diuulgauit. Occurrunt undique per diuersos uiarum accessus fideles cunei populorum, optantes singuli uel uehiculi uelamenta contingere pro munimine salutari.

19. Tunc quædam adolescentula in uico qui 16. Tunc quædam adolescentula in uico, qui Decima nuncupatur fenus naturæ reddiderat, uocatur Gallica funus naturæ reddiderat, cuius cuius corpusculum auferens dilectio corpusculum afferens dilectio propinquorum, propinquorum deportauit ad tumulum. deportauit ad tumulum, in quem iam ipsius Quae iam in ipsa sepulturæ arca deposita, sepulturæ arca deposita, necdum tamen, ut necdum tamen, ut tumulantum mos est, tumulandi mos est, tegmine cooperta, subito tegmine cooperta, subito illis psallentium illis psallentium turba insonuit, a quibus turba insonuit, a quibus sacrum corpus sacrum corpus efferebatur: sub quo momento efferebatur. Sub quo momento amatores amatores ipsius puellæ, quæ ad sepeliendum ipsius puellæ, quæ ad sepeliendum euecta euecta fuerat, amnem Rhodani fluuii fuerat, a clero uel populo fusis precibus uel transmeantes a clero uel populo fusis precibus lacrimis poposcerunt ut deponentes uel lacrimis poposcerunt, ut deponentes paululum feretrum, quod gestabant, subter feretrum, quod gestabant, subtus puellæ corpus puellæ corpus exanime traheretur. Cunctis exanime traheretur. Cunctis igitur fidei ardor igitur fidei ardor insedit ac de effectu non inhæsit, ac de effectu non dubii; tam sanctæ dubii tam sanctæ petitioni nihil omnimodo petitioni nihilominus denegauerant, et denegarunt et submittentes defunctæ corpus submittentes defunctæ corpus proiecerunt, proiecerunt colloquentes ad inuicem quod colloquentes adinuicem, quod uir ille uir ille apostolicus, de quo nunquam diuina apostolicus, cui nunquam diuina defuerat gratia defuerat, quamlibet naturæ debitum gratia, quamlibet naturæ debitum reddidisset, reddidisset, uirtutibus tamen ac meritis uirtutibus tamen ac meritis uiueret. Illico igitur uiueret. Ilico igitur uniuersitas populi uniuersus populus deuotione fidelissima sese in deuotione fidelissima sese in diutina oratione diutina oratione prosternit, atque consurgens, prosternit atque consurgens, dum dum unanimiter Kyrie eleison septies unanimiter Kyrie eleison septies proclamassent, mortua puella surrexit. Omnes proclamassent, mortua puella surrexit. subito terror inuasit, et amentium more, Omnes subito terror inuasit et, amentiae gaudium cum stupore miscentes, uno more gaudium cum stupore miscentes, uno morabantur aspectu. Iam quidem luctum morabantur intuitu. Iam quidem luctum exultatio oborta compresserat: cuncti tamen exsultatio oborta compresserat, cuncti tamen super tam ingenti mysterio obstupescebant. La Vita Virgilii (BHL 8679) 157

VitaMaximiA(e´d.Gennaro,1966) – BHL5853 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) – BHL 8679 super tam insigni mysterio obstupebant. Quid plura? Ad integrum tunc, qui puellam Quid plura? Ad integrum tunc et qui funus detulerant, conuenerunt, ipsaque cultum puellae detulerant gaudii sunt ubertate funebrem cum gratulatione respuens, uitalibus repleti et puella, cultum funebrem cum est rursus indumentis induta, et præcedentibus gratulatione respuens, uitalibus est rursus sequentibusque populis uelox adiungitur, de se uestimentis induta et præcedentibus in Sancti præconium testimonium salutis sequentibusque populi turmis adiungitur, de publicatione proclamans: »O sanctissima se in sancti præconiis testimonium salute merita sacerdotis, o beatum meritum, uitamque publicans, uoce proclamans: »O sanctissima pontificis, qui ut se remuneratione diuina in merita sacerdotis, o beatum meritum æternum uiuentem ostenderet, post mortem uitamque pontificis, ut qui se remuneratione mortuam suscitauit«. Quas tamen terras uix diuina in æternum uiuentem ostenderet post amor populi Arelatensis exuberans arces ... ad mortem mortuam suscitauit!« Quas tamen ecclesiam sancti Saluatoris detulerunt habentes turbas uix amor populi Regensis arcis de funere luctum, gaudium de uirtute. Tunc in exsuperans, ad ciuitatem suam munus sancti ipsa basilica supra nominata, quam ipse corporis detulerunt, habentes de funere construxerat, tumulum cum solennitate luctum, gaudium de uirtute; tunc in basilica percepit: ubi auxiliante Christo, quidquid sancti Petri, quam ipse construxerat, quo post confidenter petitur, inuenitur: ubi procul dubio exitum requiescere uoluit, tumulum cum si fides non sit dubia, uirtus permanet infinita. magna sollemnitate praeparare coepit. Quod templum deinceps inuasit uocabulum Maximi nominis, dum patrocinia uindicauit auctoris; ubi auxiliante Christo quicquid confidenter petitur inuenitur, unde procul dubio si fides non sit dubia; nam uirtus permanet infinita.

20. Non post longa igitur spatia temporis, 17. Non post longa igitur spatia temporis, dum dum in huius commemoratione pastoris in huius commemoratione Pastoris multa multa narrarentur a multis, subdiaconus narrarentur a multis, Subdiaconus quidam, quidam, nomine Cariatto, conuersatione nomine Aristarchus, conuersatione sanctissimus, circumstantibus palam rei sanctissimus, circumstantibus palam rei gestæ gestæ tenorem exposuit, dicens: »Nullus tenorem exposuit, dicens: »Nullus nostrum nostrum dubitet, beatissimum Maximum, de dubitet, beatissimum Virgilium, de cuius tantis cuius tanta uirtutibus, uelut ipsa ueritas uirtutibus, uelut ipsa ueritas suggerit, replicatis, suggerit, replicatis, dum in huius saeculi dum in huius seculi mansit spatiis, non minus mansit spatiis, non minus cum angelis quam cum Angelis quam cum hominibus habitasse: cum hominibus habitasse; quem nobiscum quem nobiscum humana conditio tenebat humana conditio tenebat assiduum, cum assiduum, eum sanctis dignitas meritorum. sanctis dignitas meritorum. Contigit ergo Contigit autem quadam nocte, ut in hac urbe, quadam nocte ut in hac urbe, ubi illi ubi illi pontificium prouisio superna 158 Ste´phane Gioanni

VitaMaximiA(e´d.Gennaro,1966) – BHL5853 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) – BHL 8679 pontificium prouisio superna commiserat, commiserat, sancti Stephani celeberrima sancti Andreae celeberrima festiuitas inuentio, quæ est tertio nonas Augusti, immineret, quo ad celebrandas excubias immineret, quo ad celebrandas excubias admonitor fueram deputatus. Vbi, dum admonitor fuerat deputatus. primo noctis tempore, blandi soporis tranquillitate compressus, sollicita obseruatione quiescerem, dulcedinem subitam psallentium audiui ac raptim perturbatus exiliui, censens me ita diuturno somni onere fuisse praeuentum, ut nequaquam ad commissum excitandi officium occurrissem. Tunc meis auribus amplius quam studia humana consueuerat spiritalis cantilenae suauitas intonabat. Continuo igitur ad ipsius arcis uestibulum gressu pensili peraccessi, ubi beatissima apostolorum nomina, hoc est Petri et Andreae, dum se cum sancto Maximo ad complendam orationem alternis coeperint honoribus praeuenire, propriis auribus peccator audiui; quos cum sanctus in omnibus Maximus, iugi oblatione compulsus, differre longius iam nequiret, sub hac oratione compleuit officium: ›Sit gloria Dei benedicta in aeternum et in saecula saeculorum‹, respondentes reliquis: ›Amen‹. Ego uero sciscitandi amore, amplius adpropinquans, nullum alium nisi sacratissimum Maximum prostratum in facie uel ipsius templi pauimento subnixum uidere promerui; unde consurgens, meam indigni sollicitudinem his monitis comprehendit: ›Arduum quippe est ut sanctorum secreta fragilitas humana cognoscat et temerarium ut inquirat. Audi ergo meam tibi magis praesciens in hac obseruatione sententiam: explorata ne publices quoniam, in qua die neglexeris, de hac luce migrabis; quod si ita proueniat, in diuini nominis pendit arbitrio‹. Ego tamen beatissimam eius uirtutem humanae memoriae derelinquo, ut nulli in hoc saeculo La Vita Virgilii (BHL 8679) 159

VitaMaximiA(e´d.Gennaro,1966) – BHL5853 Vita Virgilii (e´d. Barralis, 1613) – BHL 8679 lateat qualiter possit conuersatio iustorum cum sanctis habere consortium«. Cuius rei uero plenam credulitatem ipsa res praestitit: dum eadem die memoratus subdiaconus, sicut sibi praedictum, retulit, huius uitae cursum amisit et quia non ualuit differre terminum nec silere mysterium.

21. Ergo tota deuotione totaque mentis auiditate indulgeri nobis fusis precibus supplicemus, per huius antistitis patrocinium ueniam delictorum, ut et ipse animum nostrum ab omnibus letalibus uitiis semper faciat esse purgatum, cui praesens celebramus officium; ubi sic studeamus adsistere praesentia corporis, ut fulgeamus lumine caritatis, quod ipse dominus Iesus Christus praestare dignetur, qui uiuit et regnat apud coaeternum patrem una cum spiritu sancto in saecula saeculorum. Amen.

CHARLES ME´ RIAUX

Une Vita me´rovingienne et ses lectures du IXe au XIe sie`cle Le dossier de saint Ge´ry de Cambrai*

Chacun sait que l’on ne conserve pratiquement plus aucune Vie de saint »authenti- quementme´rovingienne«,d’unepart,parcequeleslibelliprimitifsquilesconservaient ont disparu apre`s le rassemblement en collections a` partir de la fin du VIIIe sie`cle; d’autre part, parce que l’introduction des Vitae me´rovingiennes dans les premiers le´gendiers a toujours e´te´ accompagne´e d’une correction formelle plus ou moins pro- nonce´e afin de les rendre acceptables au public carolingien1. Il est ainsi souvent de´licat de faire la part entre les œuvres proprement carolingiennes – et nous ne soulevons pas ici le proble`me des informations dont les auteurs disposaient – et les travaux de re´e´cri- tures de Vitae et de Passiones plus anciennes2. Ce proble`me a des conse´quences tre`s lourdes, car elle conduit souvent les historiens a` conside´rer ces textes de manie`re tout a` fait arbitraire en fonction des de´monstrations qu’ils conduisent3. De ce point de vue, l’examen du dossier hagiographique de saint Ge´ry (Gaugericus) de Cambrai peut apporter quelques pistes de re´flexion4. La premie`re Vita me´rovin-

* Nous livrons ici les premiers re´sultats d’une recherche appele´e a`eˆtre pre´cise´e, en particulier par une consultation syste´matique des te´moins manuscrits des Vitae Gaugerici. Cette e´tude doit beaucoup aux encouragements et a` la patience de Martin Heinzelmann ainsi qu’a` l’aide que nous ont apporte´e Marie Isaı¨a, Bruno Dume´zil, Klaus Krönert, Ste´phane Lecouteux et Se´bastien Rossignol: que tous soient vivement remercie´s. Quelle que soit la pratique des e´diteurs, nous avons normalise´ les citations latines en pre´fe´rant le u au v et le i au j. 1 Guy Philippart, Les le´gendiers latins et autres manuscrits hagiographiques, Turnhout 1977 (Typologie des sources du Moyen Aˆ ge occidental, 24–25) [mise a` jour, Louvain 1985], ici p. 27–36; on lira de´sormais une excellente pre´sentation des e´tudes re´alise´es depuis lors sur le sujet dans les contributions rassemble´es dans: Martin Heinzelmann (dir.), Livrets, collections et textes. E´ tudes sur la tradition hagiographique latine, Ostfildern 2006 (Beihefte der Francia, 63); pour la transmission des textes hagiographiques me´rovingiens, on se reportera a` la contribution de Martin Heinzelmann ici meˆme. 2 Sur tout ceci, voir Monique Goullet,E´ criture et re´e´criture hagiographiques. Essai sur les re´e´critures de Vies de saints dans l’Occident latin me´die´val (VIIIe–XIIIe sie`cle), Turnhout 2005 (Hagiologia, 4); Ead., Martin Heinzelmann (dir.), La re´e´criture hagiographique dans l’Occi- dent me´die´val. Transformations formelles et ide´ologiques, Ostfildern 2003 (Beihefte der Francia, 58); ainsi que les contributions rassemble´es dans: Hagiographica 10 (2003). 3 Comme le soulignent Franc¸ois Dolbeau, Martin Heinzelmann et Joseph-Claude Poulin, Les sources hagiographiques narratives compose´es en Gaule avant l’an mil (SHG). Inventaire, exa- men critique, datation, dans: Francia 15 (1987), p. 701–731, ici p. 702. 4 L’ensemble du dossier est classe´ dans la Bibliotheca hagiographica latina (BHL), p. 492 (no 3286–3291) et son Novum supplementum, p. 373; il a e´te´e´tudie´ par Le´on Van der Essen, E´ tude critique et litte´raire sur les vitae des saints me´rovingiens de l’ancienne Belgique, Louvain, Paris 1907 (Recueil de travaux de l’universite´ de Louvain, 1re se´rie, 17), p. 206–211, qui a repris la plupart des conclusions e´mises avant lui par Bruno Krusch (dont les e´tudes sont cite´es n. 5); sur le 162 Charles Me´riaux gienne (BHL 3286) a e´te´ transmise par une dizaine de te´moins qui ont cependant e´te´ ignore´s jusqu’a` la fin du XIXe sie`cle5. Ge´ry n’e´tait pas pour autant inconnu des his- toriens, car les re´e´critures du texte avaient donne´ lieu a` plusieurs e´ditions depuis l’e´poque moderne: il s’agit d’une seconde Vie carolingienne (BHL 3287) et d’une troisie`me Vie du XIe sie`cle (BHL 3289)6, auxquelles il faut ajouter plusieurs passages des Gesta des e´veˆques de Cambrai, compose´s a` la demande de l’e´veˆque Ge´rard Ier en 1024/10257. Nous pre´senterons brie`vement, dans un premier temps, la Vita Gaugerici prima, l’e´tat de la critique a` son sujet, quelques observations sur la diffusion du texte et quelques hypothe`ses nouvelles sur le contexte de sa re´daction. Il faudra ensuite nous pencher sur les entreprises de re´e´criture successives dont la chronologie doit aujourd’hui eˆtre pre´cise´e. Une partie de notre de´monstration visera a` expliquer pour- quoi la Vita secunda a tenu a` respecter avec une si grande fide´lite´ la trame du texte primitif. Chemin faisant, nous proposerons aussi d’autres re´flexions sur la manie`re dont la Vita me´rovingienne a e´te´ lue, interpre´te´e et comple´te´e aux IXe et XIe sie`cles.

personnage de Ge´ry et son culte, la meilleure introduction reste la notice du Chanoine Platelle, Ge´ry (saint), dans: Dictionnaire d’histoire et de ge´ographie eccle´siastique 20 (1984), col. 1102–1103; a` comple´ter avec Marc Van Uytfanghe, La valle´e de l’Escaut et de ses affluents a` l’e´poque me´rovingienne. Le te´moignage des textes, dans: Andre´Van Doorselaer (e´d.), De merovingische beschaving in de Schaldevallei, Courtrai 1981 (Westvlaamse archaeologica mono- grafiee¨n, 2), p. 23–63, ici p. 32–35; et par les contributions rassemble´es dans: Michel Rouche (dir.), Saint Ge´ry et la christianisation dans le nord de la Gaule (Ve–IXe sie`cle), Villeneuve d’Ascq 1986 (= Revue du Nord, p. 68–269). 5 La premie`re e´dition a e´te´ donne´e par les Bollandistes dans: AnalBoll 7 (1888), p. 387–398; l’e´di- tion de re´fe´rence est aujourd’hui celle de Bruno Krusch dans: MGH, SRM III, Hanovre 1896, p. 652–658 qui a comple´te´ la liste des manuscrits, ibid., IV, p. 774; il existe une traduction com- mente´e: Michel Rouche, Vie de saint Ge´ry e´crite par un clerc de la basilique de Cambrai entre 650 et 700, dans: Saint Ge´ry (voir n. 4), p. 281–288; fondamentale reste pour notre propos l’e´tude de Bruno Krusch, Das Leben des Bischofs Gaugerich von Cambrai, dans: Neues Archiv 16 (1890), p. 227–234; a` comple´ter de´sormais par Marieke Van Acker, Ut quique rustici et inlet- terati hec audierint intelligant. Hagiographie et communication verticale aux temps me´rovin- giens (VIIe–VIIIe sie`cle), Turnhout 2007 (Corpus Christianorum. Lingua Patrum, 4), passim. 6 Par convention, nous citerons les trois Vitae sous les noms de Vita prima, Vita secunda et Vita tertia; pour ces deux derniers textes, nous utiliserons l’e´dition du pe`re Van den Bossche dans: AASS Augusti II, Anvers 1735, respectivement p. 672–675 et p. 675–690. 7 Gesta episcoporum Cameracensium,e´d. Ludwig Bethmann, MGH, Scriptores VII, Hanovre 1846, p. 393–489; pour la datation de l’œuvre, voir Erik Van Mingroot, Kritisch onderzoek omtrent de datering van de Gesta episcoporum Cameracensium, dans: Revue belge de philologie et d’histoire 53 (1975), p. 281–332 dont le Chanoine Platelle a donne´ un commode compte rendu en franc¸ais dans: Me´langes de science religieuse 34 (1977), p. 135–136; sur l’e´piscopat de Ge´rard Ier, voir du meˆme Erik Van Mingroot, Ge´rard Ier de Florennes, dans: Dictionnaire d’histoire et de ge´ographie eccle´siastique 20 (1983), p. 742–751; d’autres re´fe´rences seront don- ne´es au cours de cette e´tude. Une Vita me´rovingienne et ses lectures du IXe au XIe sie`cle 163

I. LA VITA GAUGERICI PRIMA ET LA CRITIQUE

L’e´veˆque Ge´ry de Cambrai est mentionne´a` une seule reprise de son vivant: il figure en 614 parmi les participants du concile de Paris re´uni par Clotaire II a` l’issue de la grande guerre civile8. Notre connaissance de ce personnage repose donc entie`rement sur la documentation narrative poste´rieure a` sa mort et en premier lieu sur la premie`re Vita qui lui fut consacre´e.

A. Pre´sentation de la Vita prima Les e´le´ments de chronologie donne´s par la Vita prima permettent d’e´tablir une four- chette assez pre´cise pour l’e´piscopat de Ge´ry9.E´ duque´a` Ivois (aujourd’hui Carignan, pre`s de Mouzon, dans le de´partement actuel des Ardennes), repe´re´ par le me´tropo- litain Magne´ric de Tre`ves († apre`s 587), il fut nomme´a` Cambrai par le roi, Childe- bert II d’Austrasie, dont le me´tropolitain e´tait tre`s proche (chap. 2–6)10. La date de cette nomination pose proble`me. On a toujours conside´re´ que Cambrai n’avait jamais e´te´ auparavant une cite´ austrasienne. Il faut donc admettre que Childebert II s’en serait empare´ apre`s la mort de son oncle, Chilpe´ric Ier, en 584. Bien que tre`s vraisem- blable, cette date reste le fruit d’une conjecture et de la me´connaissance que nous avons du (ou des) royaumes dont relevait Cambrai au VIe sie`cle11. Rien ne s’oppose, en effet, a` ce que la cite´ ait e´te´ austrasienne depuis beaucoup plus longtemps, ce qui doit conduire a` accepter avec prudence cette date de 584. Ge´ry fut ordonne´ par Egidius de Reims – dont on sait par Gre´goire de Tours qu’il fut exile´ en novembre 590 – et connut ensuite un long e´piscopat de trente-neuf anne´es (chap. 13) que l’on en vient ainsi a` dater, avec les quelques re´serves e´mises plus haut, des anne´es 584/590–623/629. Des propositions ont e´te´ faites pour restreindre cette fourchette en se fondant sur la participation de son successeur Bertoaldus (cite´ au chap. 14 de la Vita prima) au concile de Clichy (626/627), mais il faut savoir que celui-ci figure en fait dans la liste des participants d’un concile dont Flodoard assure qu’il aurait e´te´ rassemble´ par Sonnatius de Reims; les actes de cette re´union sont les meˆmes que ceux du concile de Clichy, mais la liste des participants diffe`re le´ge`rement d’une manie`re qu’il est d’ailleurs assez difficile d’expliquer12. Ceci e´tant dit, la fourchette finalement

8 Jean Gaudemet, Brigitte Basdevant (e´d. et trad.), Les canons des conciles me´rovingiens (VIe–VIIe sie`cle), Paris 1989 (Sources chre´tiennes 353 et 354), vol. 2, p. 522: Ex ciuitate Marace Gaugericus episcopus. 9Krusch, Das Leben (voir n. 5), p. 228; Vita prima (voir n. 5), comm., p. 649. 10 Sur Magne´ric, voir Nancy Gauthier, L’e´vange´lisation des pays de la Moselle. La province romaine de Premie`re Belgique entre Antiquite´ et Moyen Aˆ ge (IIIe–VIIIe sie`cle), Paris 1980, p. 189–204; sur la cour austrasienne a` la fin du VIe sie`cle, voir de´sormais Bruno Dume´zil, Gogo et ses amis. E´ criture, e´changes et ambitions dans un re´seau aristocratique de la fin du VIe sie`cle, dans: Revue historique 309–3 (2007), p. 553–593, ici p. 584–585 (pour l’importance de Magne´ric). 11 Krusch, Das Leben (voir n. 5), p. 231. 12 Flodoard, Historia Remensis ecclesiae,e´d. Martina Stratmann, MGH, Scriptores XXXVI, Ha- novre 1998, l. II, chap. 5, p. 141–145; Michel Sot, Un historien et son E´ glise. Flodoard de Reims, Paris 1993, p. 430–436. 164 Charles Me´riaux retenue s’accorde avec la participation de Ge´ry au concile de Paris de 614 ainsi qu’avec une dernie`re donne´e chronologique fournie par la Vita: la visite de Ge´ry a` Chelles aupre`s de Clotaire II, a` l’occasion de laquelle l’auteur fait mention du maire du palais Landericus (chap. 9). Celui-ci est atteste´ en 604; son successeur Gundolan- dus fut installe´ apre`s la supplice de Brunehaut en 61313. Il serait donc inte´ressant de pouvoir pre´ciser davantage la date de cette visite tre`s ›politique‹ entre le roi neustrien et un e´veˆque »austrasien«14. Outre ces e´le´ments de chronologie, la Vita prima apporte des informations tre`s concre`tes, sous la forme de petits tableaux se succe´dant sans ve´ritable lien. Une foi e´lu et ordonne´e´veˆque de Cambrai, Ge´ry se distingue aupre`s de prisonniers qu’il fait sortir a` deux reprises des geoˆ les du comte (c. 7–8). L’occasion est ainsi donne´e a` l’auteur d’e´voquer la procession des Rogations mene´e par l’e´veˆque (chap. 8). Ge´ry rend visite a` Clotaire II a` Chelles, de´livre deux esclaves que le maire du palais allait faire exe´cuter (chap. 9) et part en mission a` Tours, au nom du roi, pour y distribuer des aumoˆ nes, ce qui lui donne l’occasion de gue´rir un aveugle (chap. 10). Il est alors question d’une visite des domaines que l’e´glise de Cambrai posse´dait en Pe´rigord et d’un miracle pre`s du tombeau de saint Front a` Pe´rigueux (chap. 11)15; puis d’un voyage a` Famars, au nord de Cambrai, dans la valle´e de l’Escaut, ou` l’e´veˆque libe`re de nouveau des esclaves emmene´s par un marchand (chap. 12). Un bref chapitre rappelle qu’apre`s sa mort, un 11 aouˆ t, Ge´ry fut inhume´ »dans la basilique Saint-Me´dard qu’il avait fait e´difier de son vivant a` un endroit ou` il avait ordonne´ que l’on de´truisıˆt des idola« (chap. 13). La Vie s’ache`ve sur deux re´cits de miracles post mortem. Le saint apparaıˆt a` Bertoaldus pour lui demander de rapporter a` la cathe´drale son lit que son successeur avait en effet cru bon de de´poser a` Saint-Ge´ry (chap. 14)16. Enfin, le saint avertit en songe le custos de la basilique qu’un voleur s’en prenait a` son tombeau; mis en fuite, ce dernier trouva alors accueil dans la basilique Saint-Quentin de Cambrai (chap. 15)17.

13 Landericus est mentionne´ en 604 par Fre´de´gaire (l. IV, chap. 25–26); sur Gundolandus, voir Horst Ebling, Prosopographie der Amtsträger des Merowingerreiches, von Chlotar II. (613) bis Karl Martell (741), Munich 1974 (Beihefte der Francia, 2), no CXCVI, p. 165. 14 Krusch, Das Leben (voir n. 5), p. 231–232, penchait pour une rencontre en 613 ou peu apre`s; on sait cependant par Fre´de´gaire qu’en 605 The´odebert II d’Austrasie conclut la paix avec Clo- taire II (l. IV, chap. 26); on pourrait donc tout a` fait imaginer la participation de Ge´ry aux ne´gociations pre´liminaires; nous remercions Josiane Barbier d’avoir attire´ notre attention sur ce passage. 15 Il s’agit donc de la plus ancienne mention du culte du saint: voir Maurice Coens, La Vie ancienne de saint Front de Pe´rigueux, dans: AnalBoll 48 (1930), p. 324–360, ici p. 332. 16 Le lit d’un saint e´tait conserve´ apre`s sa mort avec un soin tout particulier: voir, par exemple, la Vita Eligii (BHL 2474), e´d. Bruno Krusch, MGH, SRM IV, Hanovre, Leipzig 1902, p. 663–741, l. II, chap. 76, p. 737–738 et chap. 79, p. 739; De virtutibus Geretrudis (BHL 3495), e´d. Bruno Krusch, MGH, SRM II, Hanovre 1898, p. 464–471, chap. 4, p. 466. 17 Sur l’identification de ce sanctuaire, voir infra n. 90. Une Vita me´rovingienne et ses lectures du IXe au XIe sie`cle 165

B. E´ tat de la critique Pour Bruno Krusch, l’œuvre e´tait assure´ment me´rovingienne. Ce jugement reposait a` la fois sur les donne´es historiques de la Vie ainsi que sur des crite`res linguistiques18. L’auteur prend en effet encore le soin de mentionner l’origine ethnique et religieuse des parents de Ge´ry, Romanis nationes, christianitates religionem (chap. 1) ainsi que l’origine de son successeur, Bertoaldus, ex Francorum natione (chap. 14)19. Ce type de pre´cision apparaıˆt aussi sous la plume de Fre´de´gaire (par exemple au l. IV, chap. 78). L’auteur te´moigne d’une connaissance pre´cise des institutions franques, civile et re- ligieuse: qu’il s’agisse d’e´voquer les agents de l’administration royale – maior domus, comes, iudex, tribunus (chap. 7–9)20 – ou de de´crire la proce´dure suivie lors de l’e´lec- tion e´piscopale de Ge´ry de manie`re tout a` fait conforme a` ce que prescrivent trois formules de Marculf a` la fin du VIIe sie`cle (chap. 6): petitio du clerge´ et du peuple de Cambrai a` Childebert, litterae adresse´es par le roi au me´tropolitain de Reims, Egi- dius, et enfin ce´re´monie d’ordination a` Cambrai pre´side´e par ce meˆme Egidius21. Bruno Krusch avait e´galement releve´ la faible charge merveilleuse des miracles ope´re´s par le saint dont le principal me´rite est, on l’a dit, de proce´der a` plusieurs reprises (chap. 7, 8, 9 et 12) a` la libe´ration de prisonniers ou d’esclaves22. Aux arguments de

18 Krusch, Das Leben (voir n. 5). 19 Il est significatif que la Vita secunda supprime cette premie`re pre´cision; elle conserve la seconde mais en ajoutant que Bertoaldus e´tait d’origine noble, ce qui fait disparaıˆtre toute connotation ethnique: Bertoaldus ex Francorum praecelsae nobilitatis prosapia. 20 Comes et iudex sont synonymes et de´signent le comte, ici nomme´ Wado; sur tout ceci, voir Alexander Callander Murray, The Position of the grafio in the Constitutional History of Mer- ovingian Gaul, dans: Speculum 61–4 (1986), p. 787–805; pour les rapports entre l’e´veˆque et le comte a` l’e´poque me´rovingienne, voir Martin Heinzelmann, Bischof und Herrschaft vom spät- antiken Gallien bis zur den karolingischen Hausmeiern. Die institutionellen Grundlagen, dans: Friedrich Prinz (dir.), Herrschaft und Kirche. Beiträge zur Entstehung und Wirkungsweise episkopaler und monastischer Organisationsformen, Stuttgart 1988 (Monographien zur Geschichte des Mittelalters, 33), p. 23–82, ici p. 63–68; sur le tribunus, essentiellement atteste´ aux VIe et VIIe sie`cles, voir Martin Heinzelmann, Joseph-Claude Poulin, Les Vies anciennes de sainte Genevie`ve de Paris. E´ tudes critiques, Paris 1986 (Bibliothe`que de l’E´ cole pratique des hautes e´tudes, IVe section. Sciences historiques et philologiques, 329), p. 35. 21 Marculfi Formulae,e´d. Karl Zeumer, Formulae merowingici et karolini aevi, Hanovre 1886 (MGH, Leges V), l. II, chap. 5–7, p. 45–47; cf. Carlo Servatius, Per ordinem principis ordinetur. Zum Modus der Bischofsernennung im Edikt Chlothars II. vom Jahre 614, dans: Zs. für Kir- chengeschichte 84 (1973), p. 1–29; Ian Wood, Administration, Law and Culture in Merovingian Gaul, dans: Rosamond McKitterick (dir.), The Uses of Literacy in Early Medieval Europe, Cambridge 1990, p. 63–81; Sandrine Linger, L’e´crit a` l’e´poque me´rovingienne d’apre`s la corres- pondance de Didier, e´veˆque de Cahors (630–655), dans: Studi Medievali 33–2 (1992), p. 799–823; on verra e´galement les e´tudes de´sormais rassemble´es dans: Brigitte Basdevant-Gaudemet, E´ glise et autorite´s. E´ tudes d’histoire de droit canonique me´die´val, Limoges 2006 (Cahiers de l’Institut d’anthropologie juridique, 14). 22 Sur ce the`me, voir Georg Scheibelreiter, Der Bischof in merowingischer Zeit, Cologne, Graz, Vienne 1983 (Veröffentl. des Instituts für österreichische Geschichtsforschung, 27), p. 188–192; Marc Van Uytfanghe, Pertinence et statut du miracle dans l’hagiographie me´rovingienne (600–750), dans: Denise Aigle (dir.), Miracle et Karama. Hagiographies me´die´vales compare´es, Turnhout 2000 (Bibliothe`que de l’E´ cole pratique des hautes e´tudes. Section des sciences religieu- ses, 109), p. 103–104; et de´sormais Annette Wiesheu, Bischof und Gefängnis. Zur Interpretation der Kerkerbefreiungswunder in der merowingischen Hagiographie, dans: Historisches Jahrbuch 121 (2001), p. 1–23. 166 Charles Me´riaux

Bruno Krusch – de´ja` suffisants pour de´fendre la datation me´rovingienne de la Vita prima –, on peut en ajouter quelques autres qui abondent dans le meˆme sens. Les historiens ont en effet note´ la description tre`s pre´cise du fonctionnement d’une »e´cole paroissiale« (chap. 2–4) sur le mode`le de celle que prescrivaient les e´veˆques re´unis a` Vaison, en 529, en cherchant a`e´tendre en Gaule la coutume italienne qu’avaient les preˆtres d’instruire, par l’apprentissage du psautier, de jeunes lecteurs susceptibles de leur succe´der23. L’historien de la liturgie peut aussi relever au chap. 8 de la Vita prima la mention de la ce´le´bration des Rogations, processions institue´es par l’e´veˆque Mamert de Vienne aux alentours de 470 sur le mode`le byzantin et ge´ne´ralise´es dans le royaume franc par le canon 27 du premier concile d’Orle´ans (511)24. La Vita Gau- gerici confirme l’usage, a` cette occasion, du chant du trisagion dans la liturgie cam- bre´sienne de la fin du VIe sie`cle25. A` ces conside´rations historiques, Bruno Krusch ajoutait des arguments d’ordre linguistique et constatait que la langue du texte n’avait pas encore e´te´ passe´ea` la »lime de l’e´cole carolingienne«. Le Monumentiste e´tablissait aussi une parente´ tre`s nette entre le latin de la Vita et le »latin neustrien« de Fre´de´gaire et du Liber historiae Francorum26. Marieke Van Acker, qui a examine´ re´cemment la »grande e´conomie textuelle« dont l’auteur fait preuve, sugge`re que ce dernier a pu aussi exercer une fonction de notaire tant le style objectif, concis et pre´cis des notices judiciaires »aurait bien pu constituer le mode`le formel de re´fe´rence« de la Vita27. De`s lors que l’auteur manifeste une connaissance pre´cise de Cambrai et de ses environs, Bruno Krusch admettait sans difficulte´ qu’il s’agissait d’un clerc cambre´sien e´crivant avant la fin du VIIe sie`cle, et sans doute apre`s l’e´piscopat de Bertoaldus dont il parle au passe´ 28. Les commentateurs de la Vita se sont ensuite unanimement range´s a` cette datation, mais sans chercher a` la pre´ciser davantage29. Cela paraıˆt en effet difficile. Si l’on met de coˆ te´ la liste du »concile de Sonnatius«, l’e´piscopat de Bertoaldus n’est pas autrement documente´. Les listes e´piscopales du XIe sie`cle lui donnent un successeur nomme´

23 Pierre Riche´,E´ ducation et culture dans l’Occident barbare (VIe–VIIIe sie`cle), Paris 41995, p. 230–231; Martin Heinzelmann, Studia sanctorum.E´ ducation, milieux d’instruction et valeurs e´ducatives dans l’hagiographie en Gaule jusqu’a` la fin de l’e´poque me´rovingienne, dans: Michel Sot (dir.), Haut Moyen Aˆ ge. Culture, e´ducation et socie´te´.E´ tudes offertes a` Pierre Riche´, La Garenne-Colombes 1990, p. 105–138, ici p. 125–129; Robert Godding, Preˆtres en Gaule me´rovingienne, Bruxelles 2001 (Subsidia hagiographica, 82), p. 55–63. 24 Geoffrey Nathan, The Rogation Ceremonies of Late Antique Gaul. Creation, Transmission and the Role of the Bishop, dans: Classica et Medievalia. Revue danoise de philologie et d’histoire 49 (1998), p. 275–302; Philippe Bernard,E´ glise et vie liturgique dans la Gaule franque du Ve au IXe sie`cle, dossier d’HDR ine´dit, universite´ Paris IV, 1999, p. 171–176. 25 Sur ce point, voir Philippe Bernard, Hagius/Agius/Aius. Les avatars d’un calque dans la latinite´ tard-antique, dans: Archivum Latinitatis Medii Aevi 62 (2004), p. 165–185; Id., Transitions litur- giques en Gaule carolingienne. Une traduction commente´e des deux »lettres« faussement attri- bue´es a` l’e´veˆque Germain de Paris, Paris 2008, p. 62–65. 26 Krusch, Das Leben (voir n. 5), p. 234. 27 Van Acker, Ut quique rustici (voir n. 5), p. 140–141. 28 Krusch, Das Leben (voir n. 5), p. 234; Vita prima (voir n. 5), comm., p. 650. 29 Rouche, Vie de saint Ge´ry (voir n. 5), p. 281: »entre 650 et 700«; Platelle, Ge´ry (voir n. 4), col. 1102: »une Vita qui ne peut avoir e´te´e´crite apre`s la fin du VIIe sie`cle«; Van der Essen,E´ tude critique (voir n. 4), p. 207: »peu de temps apre`s l’e´piscopat de Bertoald«. Une Vita me´rovingienne et ses lectures du IXe au XIe sie`cle 167

Ablebertus ou Emebertus dont on ne sait absolument rien. Apre`s lui, l’e´veˆque Aubert est bien atteste´ au de´but des anne´es 660 et meurt avant 67430.

C. La diffusion de la Vita prima La Vita prima n’est aujourd’hui plus conserve´e dans aucun manuscrit cambre´sien, ni meˆme dans les le´gendiers des grandes abbayes voisines, a` l’exception d’un codex de Saint-Laurent de Lie`ge (Bruxelles, BR 9636). Tous les manuscrits existant ont donc e´te´ conserve´s dans des re´gions tre`s pe´riphe´riques par rapport a` Cambrai qui resta le foyer principal du culte de Ge´ry pendant tout le Moyen Aˆ ge31. Parmi les plus anciens de ces te´moins e´loigne´s, figurent les le´gendiers de Saint-Emmeran de Ratisbonne (Munich, BSB Clm 14364 du IXe sie`cle), de Saint-Pierre de Wissembourg (Bruxelles, BR 7984 du Xe sie`cle) ainsi que le Passionarium maius de Saint-Gall (Zurich Zen- tralbibliothek, C 10 i du IXe/Xe sie`cle), qui a directement inspire´ l’e´loge de´veloppe´ que Raban Maur a consacre´a` saint Ge´ry dans son martyrologe, compose´ entre 843 et 85432. Ces constatations illustrent une nouvelle fois, si besoin e´tait, le principe selon lequel »c’est dans les centres ou` un culte est vivant que naissent les remaniements, les interpolations, les re´cits de miracle ou de translations, alors que les textes primitifs se conservent plutoˆ t sous forme fossile dans les zones pe´riphe´riques«33. Nous aurons l’occasion de le ve´rifier a` plusieurs autres reprises tout au long de cet expose´.

30 Louis Duchesne, Fastes e´piscopaux de l’ancienne Gaule, Paris 1894–1915, vol. 3, p. 110–111; sur Aubert, on verra Charles Me´riaux, Hagiographie et re´forme a` Cambrai au de´but du XIe sie`cle. La Vita Autberti et son auteur, dans: Richard Corradini, Max Diesenberger (dir.), Zwischen Niederschrift und Wiederschrift, Vienne (Forschungen zur Geschichte des Mittelalters, 15), (sous presse). 31 Pour la diffusion du culte de Ge´ry dans l’ensemble du dioce`se et particulie`rement a` Bruxelles, voir Henri Platelle, La cathe´drale et le dioce`se. Un aspect religieux du rapport ville-campagne. L’exemple de Cambrai, dans: Alain Dierkens, Jean-Marie Duvosquel (dir.), Villes et campa- gnes au Moyen Aˆ ge. Me´langes Georges Despy, Lie`ge 1991, p. 625–641; et Mina Martens, Le culte de saint Ge´ry a` Bruxelles au Xe sie`cle, dans: Hommage au Professeur Paul Bonenfant (1899–1965). E´ tudes d’histoire me´die´vale de´die´es a` sa me´moire par les anciens e´le`ves de son se´minaire a` l’Universite´ libre de Bruxelles, Bruxelles 1965, p. 19–33 (dont les conclusions nous semblent fragiles); des reliques de Ge´ry ont aussi e´te´ envoye´es en Saxe au milieu du Xe sie`cle, voir sur ce point Paul Bertrand, Charles Me´riaux, Cambrai-Magdebourg. Les reliques des saints et l’inte´gration de la Lotharingie dans le royaume de Germanie au milieu du Xe sie`cle, dans: Gene- vie`ve Bührer-Thierry, Ste´phane Lebecq (dir.), L’Occident sur ses marges (VIe–Xe sie`cle). Formes et techniques de l’inte´gration, Saint-Denis 2006 (= Me´die´vales, 51), p. 85–96. 32 John McCulloh (e´d.), Rabani Mauri martyrologium, Turnhout 1979 (CCCM, 44), p. 80: Eodem die depositio beati Gaugerici episcopi, qui in Eposio castro ortus fuit. Hic statim in iuuentu- te, meditatione legis Dei et psalmodiae intentus fuit. Post uero a beato Egiio episcopo Remensium ciuitatis, Cameracoremsim ciuitate episcopus est ordinatus. Qui multis uirtutibus claruit, maxime in absolutione uinctorum qui in carceribus custodiebantur. Cum ergo eos a praesidibus, qui illos in carceres miserant, absolui non posset impetrare, ad Dominum prece fusa absoluere promeruit; qui etiam caecos inluminauit et infirmos curauit. Cum autem in episcopatu suo XXX et tres [?] annos circiter expleuit, ad Dominum migrauit, quod multis indiciis miraculorum iuxta sepulchrum eius ita factum claruit; sur le Passionarium maius comme source de Raban, voir l’introduction de J. McCulloh, p. XXIX–XXX et surtout Id., The ›Passio Mauri Affri‹ and Hrabanus Maurus’ Martyrology, dans: AnalBoll 91 (1973), p. 391–413, ici p. 404–409. 33 Dolbeau,Heinzelmann,Poulin, Les sources hagiographiques (voir n. 3), p. 710; Franc¸ois Dolbeau, La diffusion de la Vita S. Ursmari de Rathier de Ve´rone, dans: E´ tienne Renard, Michel Trigalet, Xavier Hermand et al. (dir.), Scribere sanctorum gesta. Recueil d’e´tudes d’- 168 Charles Me´riaux

On notera aussi que la re´gion rhe´nane se pre´sente comme un excellent conserva- toire des traditions anciennes concernant Ge´ry en raison, certes, du principe que nous venons de rappeler, mais aussi sans doute parce que Ge´ry e´tait originaire du dioce`se de Tre`ves et qu’il avait attire´ l’attention du me´tropolitain Magne´ric. C’est ainsi qu’au- tour de l’an mil, l’abbe´ Eberwin de Saint-Martin de Tre`ves a litte´ralement pille´ les premiers chapitres de la Vita Gaugerici prima lorsqu’il composa une Vita de Magne´- ric, dont le tombeau se trouvait pre´cise´ment a` Saint-Martin34. On portera aussi une attention particulie`re a` la pre´sence de la Vita prima dans plusieurs le´gendiers de la re´gion rhe´nane. La Vie est en effet conserve´e dans un manuscrit de Malme´dy, au dioce`se de Cologne, mais a` la frontie`re du dioce`se de Lie`ge il est vrai (Cite´ du Vatican, BAV lat. 8565), et surtout dans trois le´gendiers per circulum anni du de´but du XIIIe sie`cle: le le´gendier de Saint-Maximin de Tre`ves (Paris, BNF lat. 9742 pour le volume d’aouˆ t), le le´gendier d’Arnstein (Londres, BL Harley 2801 pour les mois de juin a` septembre) et enfin la collection de Bruxelles (BR 98–100 pour les mois de juillet a` septembre) que le pe`re Coens attribuait au monaste`re de Knechtsteden35.

D. Quelques hypothe`ses sur le contexte de re´daction de la Vita prima Au cours du colloque, Martin Heinzelmann a insiste´ sur le caracte`re atypique du parcours de Ge´ry qui n’e´tait pas, de l’aveu meˆme de l’auteur de la Vita prima, d’ori- gine aristocratique, ce qui e´tait pourtant la norme pour l’acce`s aux charges e´pis- copales36. Cela signifiait en particulier que Ge´ry ne disposait d’aucune assise locale sous la forme de proprie´te´s familiales, d’un re´seau de parente´ ou de tout autre type de cliente`le. Pre´cisons que malgre´ la mention des idola de´truits par l’e´veˆque (chap. 13), l’ide´e d’un saint missionnaire, qui aurait e´te´a` l’origine de la conversion de la re´gion, est a` exclure. Outre le fait que la Vita insiste sur le bon enracinement des institutions eccle´siastiques a` Cambrai, elle ne cache pas que Ge´ry n’en e´tait pas le premier e´veˆque et qu’il eut au moins un pre´de´cesseur37. Comme nous l’avons sugge´re´, des conside´ra-

hagiographie me´die´vale offert a` Guy Philippart, Turnhout 2005 (Hagiologia, 3), p. 181–207, a` la p. 194 e´voque aussi la »circulation annulaire [...] caracte´ristique d’une œuvre ancienne, passe´e de mode au lieu meˆme de sa production«. 34 Vita Magnerici (BHL 5149), e´d. Jean Pien, AASS Julii VI, Anvers 1729, p. 183–192, chap. 12–15, p. 185; cf. Klaus Krönert, La construction du passe´ de la cite´ de Tre`ves (VIIIe–XIe sie`cle). E´ tude d’un corpus hagiographique, the`se de doctorat NR, universite´ Paris X, 2003, p. 438–459 et p. 874. 35 Maurice Coens, Coloniensia, dans: AnalBoll 80 (1962), p. 142–173, ici p. 166–173 (le pe`re Coens avait e´galement releve´, p. 153, la forme archaı¨que de Camaraca dans le martyrologe de Sainte- Marie aux Degre´s de Cologne connu par une copie moderne adresse´e a` Jean Bolland); Bernhard Vogel, Hagiographische Handschriften im 12. Jahrhundert, dans: Klaus Herbers (dir.), Europa an der Wende vom 11. zum 12. Jahrhundert. Beiträge zu Ehren von Werner Goez, Stuttgart 2001, p. 207–216, ici p. 209. 36 Martin Heinzelmann, L’aristocratie et les e´veˆche´s entre Loire et Rhin jusqu’a` la fin du VIIe sie`cle, dans: Pierre Riche´ (dir.), La christianisation des pays entre Loire et Rhin (IVe–VIIe sie`cle), Paris 1976 (= Revue d’histoire de l’E´ glise de France, p. 62–168) [re´e´d. Paris 1993 (Histoire de la France religieuse, 2)], p. 76–90; l’auteur de la Vita prima ne cache pas non plus que Ge´ry n’a pas rec¸u la formation dont be´ne´ficiaient les jeunes aristocrates me´rovingiens: voir sur ce point Heinzelmann, Studia sanctorum (voir n. 23), p. 117–123. 37 Vita prima (voir n. 5), chap. 6, p. 654: contigit Camaracinse civitate episcopum fuisse defunctum; Une Vita me´rovingienne et ses lectures du IXe au XIe sie`cle 169 tions politiques ont e´te´ de´terminantes dans la nomination de Ge´ry, a` une e´poque ou` les cartes du jeu politique e´taient en train d’eˆtre redistribue´es en raison de la mort de Chilpe´ric Ier (584) et de la minorite´ de son fils Clotaire II. Il est important de noter que Magne´ric de Tre`ves fut d’ailleurs associe´ de tre`s pre`s – en compagnie de Gre´goire de Tours – aux discussions qui aboutirent en 587 au traite´ d’Andelot38. Le fait que Ge´ry ait duˆ entie`rement sa nomination a` Childebert e´tait un gage de fide´lite´ d’autant plus pre´cieux que Cambrai se pre´sentait alors comme un ve´ritable verrou, a` la fron- tie`re entre Neustrie et Austrasie. Le premier biographe de Ge´ry sugge`re l’habilete´ politique du personnage qui semble ne pas avoir souffert de la disparition successive de ses protecteurs austrasiens – Childebert II, en 596, et Magne´ric, a` une date inconnue – et d’avoir gagne´ la confiance du roi de Neustrie Clotaire II. Mais il est plus e´tonnant de constater que son biographe, plus d’un demi-sie`cle plus tard, tient toujours a` donner une pre´senta- tion e´quilibre´e des rapports de Ge´ry avec ces souverains. Aux premiers chapitres, qui insistent sur les racines austrasiennes de l’e´veˆque (chap. 1–6), re´pondent en effet les deux chapitres qui mettent en sce`ne des relations confiantes avec Clotaire II (chap. 9–10)39. D’autre part, comme l’a sugge´re´ Marieke Van Acker, la Vita se pre´sente comme un petit dossier de miracles successifs dont le rassemblement avait assure´ment pour but d’accompagner un culte naissant40. Ses premie`re attestations apparaissent un peu plus tard. Le nom de Ge´ry apparaıˆt sans doute sur une authentique de reliques, retrouve´e dans les reliquaires d’Andenne (sur la Meuse, au sud d’Huy) et date´e du de´but du VIIIe sie`cle, ce qui sugge´rerait le succe`s de son culte a` cette e´poque dans les cercles austrasiens41. Bien que les sources les plus explicites documentant la fondation du monaste`re soient tardives, il ne fait gue`re de doute qu’Andenne e´tait, comme Nivel- les, un Eigenkloster pippinide, fonde´a` la fin des anne´es 680 par Begge, fille du maire du palais, Pe´pin de Landen42. Le culte de Ge´ry est ensuite atteste´ dans les deux plus anciens te´moins de la seconde famille du Martyrologe Hie´ronymien, les manu- scrits de Bern (Saint-Avold de Metz, VIIIe sie`cle) et Wissembourg (Fontenelle,

sur ce proble`me de la »conversion« du nord de la Gaule a` l’e´poque me´rovingienne, nous nous permettons de renvoyer le lecteur a` Charles Me´riaux, Gallia irradiata. Saints et sanctuaires dans le nord de la Gaule du haut Moyen Aˆ ge, Stuttgart 2006 (Beiträge zur Hagiographie, 4), p. 31–52. 38 Gre´goire de Tours, Decem libri historiarum, l. IX, chap. 10; cf. Dume´zil, Gogo (voir n. 10), p. 184–185. 39 Comme le constate aussi Sabine Savoye, Clotaire II, prince ide´al des hagiographes me´rovingiens et carolingiens (VIIe–IXe sie`cle), dans: Revue be´ne´dictine 116/2 (2006), p. 316–351. 40 Van Acker, Ut quique rustici (voir n. 5), p. 136 et p. 140–141. 41 Andre´Dasnoy, Le reliquaire me´rovingien d’Andenne, dans: Annales de la Socie´te´ arche´ologique de Namur 49 (1957–1958), p. 41–60, et spe´c. p. 58–59 pour la lecture du nom Gauricus sugge´re´e par le pe`re Grosjean, Bollandiste; on notera que la diffusion de reliques cambre´siennes a` cette e´poque est aussi atteste´e par une authentique portant le nom de sainte Aldegonde de Maubeuge, conserve´e au Latran dans le Sancta sanctorum: cf. Bruno Galland, Les authentiques de reliques du Sancta sanctorum, Rome 2004 (Studi e testi, 421), no 28, p. 103 date´e par l’auteur fin VIIe/de´but VIIIe sie`cle. 42 Matthias Werner, Der Lütticher Raum in frühkarolingischer Zeit. Untersuchung zur Geschich- te einer Karolingischen Stammlandschaft, Göttingen 1980 (Veröffentlichungen des Max-Planck Instituts für Geschichte, 62), p. 401–404. 170 Charles Me´riaux

772)43; de la`, accompagne´ par la diffusion de la Vita prima, il rejoignit progressive- ment le fonds commun du sanctoral franc44. La volonte´ de l’auteur de rappeler a` parts e´gales les re´fe´rences austrasienne et neustrienne du saint pourrait renvoyer a` la situation que connaissait Cambrai au moment de la composition de la Vita prima. Or, on sait que la re´gion fut un enjeu important sous le re`gne de Dagobert, plus pre´cise´ment au moment ou` le souverain pre´parait le partage du royaume entre ses deux fils, Sigebert III – au profit duquel il re´tablit le royaume d’Austrasie en 632 – et Clovis II – dont il dessina la pars regni l’anne´e suivante. Au te´moignage de Fre´de´gaire (l. IV, chap. 75–76), ces partages pro- voque`rent d’aˆpres contestations pour de´terminer le sort d’une re´gion interme´diaire, le »duche´ de Dentelin«, atteste´ depuis l’extreˆme fin du VIe sie`cle et dont a peut-eˆtre fait partie Cambrai45. Or, il ressort de la Vita prima que le sort de la cite´ apparaissait aux yeux de son auteur comme bien peu assure´ pour qu’il de´cidaˆt d’observer une si prudente neutralite´ politique. Il est vrai cependant que cette observation pourrait valoir pour toute la seconde moitie´ du VIIe sie`cle quand s’affirma la rivalite´ entre les deux regna. Mais que l’on ait pris le parti de promouvoir a` Cambrai le culte d’un saint si atypique peut en outre laisser penser qu’il y avait une certaine urgence a` de´finir un mode`le de saintete´ proprement cambre´sien. Or, dans les anne´es 640–660, il est un personnage qui de´ploie une grande activite´ sur ce terrain, il s’agit d’E´ loi qui »invente« des corps saints non seulement dans ses dioce`ses de Noyon et Tournai (Quentin a` Augusta et Piat a` Seclin), mais e´galement dans les dioce`ses de Soissons (Cre´pin et Cre´pinien) et Beauvais (Lucien)46. Cela apporterait un indice supple´mentaire d’une datation dans la de´cennie qui suivit la mort de Dagobert (639).

43 Vita prima (voir n. 5), comm., p. 649. 44 Arno Borst (e´d.), Der karolingische Reichskalender und seine Überlieferung bis ins 12. Jahr- hundert, vol. 2, Hanovre 2001 (MGH, Libri memoriales, 2), p. 1186–1187; Astrid Krüger, Lita- nei-Handschriften der Karolingerzeit, Hanovre 2007 (MGH, Hilfsmittel, 24), p. 480 (index); Maurice Coens, Anciennes litanies des saints, dans: Id., Recueil d’e´tudes bollandiennes, Bru- xelles 1963 (Subsidia hagiographica, 37), p. 131–322, passim; pour l’e´loge du martyrologe de Raban Maur, voir supra n. 32; pour la diffusion poste´rieure du culte de saint Ge´ry, voir les re´fe´rences donne´es supra n. 31 et 41. 45 Comme l’avait de´ja` note´Krusch, Das Leben (voir n. 5), p. 231; sur ce ducatus compris grossie`re- ment entre la Somme et l’Escaut, voir Eugen Ewig, Die fränkischen Teilungen und Teilreiche (511–613), dans: Id., Spätantikes und fränkisches Gallien. Gesammelte Schriften (1952–1973), Munich, Zurich 1976 (Beihefte der Francia, 3), vol. 1, p. 114–171, aux p. 148–149; Louis Dupraz, Contribution a` l’e´tude du Regnum Francorum pendant le troisie`me quart du VIIe sie`cle (656–680), Fribourg [Suisse] 1948, p. 217–218; nous avons propose´ re´cemment quelques hypo- the`ses sur l’enjeu que repre´sentait ce duche´ entre les deux regna: Charles Me´riaux, Quentovic dans son environnement politique et religieux. Cite´s et dioce`ses au nord de la Somme au VIIe sie`cle, a` paraıˆtre dans les actes du colloque »Quentovic, un grand port europe´en a` l’aube du Moyen Aˆ ge« (11–13 mai 2006). 46 Vita Eligii (voir n. 16), l. II, chap. 6–7, p. 697–700; sur la valeur de cette Vita, voir de´sormais Clemens M. M. Bayer, Vita Eligii, dans: Reallexikon der Germanischen Altertumskunde 35 (2007), col. 461–524. Une Vita me´rovingienne et ses lectures du IXe au XIe sie`cle 171

II. LA VITA SECUNDA

La Vita secunda ae´te´ publie´e par le pe`re Van den Bossche de`s 173547. Le texte est un remaniement tre`s respectueux des informations procure´es par la Vita prima et pro- ce`de surtout a` la correction de la langue du texte48. Comme son mode`le, la Vita secunda ne posse`de ni pre´face ni prologue, meˆme si cette lacune a e´te´ comble´e dans un manuscrit par l’adjonction d’un prologue me´trique (BHL 3288)49. On constate cependant que le texte e´dite´ dans les Acta Sanctorum est incomplet par rapport a` la Vita prima, car il ne reprend pas les deux Miracula post mortem du saint donne´s a` la fin de la Vita prima (chap. 13–14).

A. Le proble`me des Miracles Le pe`re Van den Bossche avait bien constate´ que le manuscrit qu’il e´ditait (ainsi que d’autres qu’il avait pu consulter), contenait deux Miracles post mortem, mais, n’ayant pas connaissance de la Vita prima, il pensait que ceux-ci avaient e´te´ ajoute´s tardive- ment, a` partir de la Vita tertia50. Il n’a donc pas juge´ utile de les reproduire. De`s 1907 ne´anmoins, Le´on Van der Essen laissait entendre que ceux-ci appartenaient bien a` la re´daction primitive de la Vita secunda, ce qui ne fait aucun doute, car ils ont e´te´ identifie´s dans plusieurs te´moins de la Vita secunda et surtout dans le plus ancien, Cite´ du Vatican, BAV Palat. lat. 582 (Saint-Martin de Mayence, Xe sie`cle) copie´ avant la composition de la Vita tertia51. Le pe`re Coens en a donne´ une e´dition en 1943 a` partir d’un manuscrit de Cologne52. On peut donc eˆtre assure´ que la Vita secunda primitive reprenait l’ensemble de la Vita prima sans rien en retrancher, meˆme si certains copistes me´die´vaux n’ont pas he´site´a` exclure les Miracles post mortem intro- duisant une distinction e´ditoriale tout a` fait e´trange`re aux pre´occupations des auteurs de la Vita prima et de la Vita secunda53.

47 Vita secunda (voir n. 6); le texte est e´dite´ ex insigni codice nostro membraneo ms P. 155 (= auj. Bruxelles, BR 7482 [3180] du XIIIe sie`cle, de provenance inconnue) cum aliis mss collato. 48 Van der Essen,E´ tude critique (voir n. 4), p. 208; Goullet,E´ criture et re´e´criture (voir n. 2), p. 192. 49 Uniquement conserve´ dans Bruxelles, BR II 992 (3292) (abbaye de Saint-Ghislain, XIe sie`cle). 50 Vita secunda (voir n. 6), comm., no 23, p. 670: duo miracula manifeste adjecta sunt ex Vita secun- da (= l’actuelle Vita tertia); ibid., p. 675, note m. 51 Van der Essen,E´ tude critique (voir n. 4), p. 208; sur le manuscrit de Rome, voir infra n. 60–62; la succession Vita + Miracula se lit aussi dans Luxembourg, BN 97 (Echternach, XIe sie`cle) et dans Bruxelles, BR 7482 (3180) (voir n. 47) ainsi que dans le manuscrit de Cologne cite´ note suivante. 52 Maurice Coens, Catalogus codicum hagiographicorum latinorum Archivi historici Coloniensis, dans: AnalBoll 61 (1943), p. 140–201, avec e´d. p. 193–194 d’apre`s Cologne, HA W 163 (Lie`ge, abbaye Saint-Jacques, XIe–XIIe sie`cle); ces miracles sont indexe´s dans le Novum supplementum de la BHL (voir n. 4) sous les nos 3289b et 3289c, ce qui laisse malheureusement penser qu’il s’agit de comple´ments a` la Vita tertia (BHL 3289). 53 Sur les proble`mes que pose la distinction entre Vita et Miracula, voir Martin Heinzelmann, Une source de base de la litte´rature hagiographique latine. Le recueil de miracles, dans: Hagiographie, cultures et socie´te´s (IVe–XIIe sie`cle), actes du colloque de Nanterre et Paris (2–5 mai 1979), Paris 1981, p. 235–259; Pierre-Andre´Sigal, Histoire et hagiographie. Les Miracula aux XIe et 172 Charles Me´riaux

B. Quelques aspects du travail de re´e´criture Le premier remaniement est essentiellement formel, on l’a dit. Il enrichit toutefois le texte primitif de quelques comparaisons bibliques. Pour ne citer que les premiers chapitres, on voit ainsi Ge´ry successivement compare´a` Marie de Be´thanie s’instrui- sant aux pieds du Christ (chap. 1) et au prophe`te Daniel (chap. 2); le le´preux, que Ge´ry rencontre a` Ivois et qu’il baptise, est, lui, compare´a` Naaman le Syrien gue´ri de la le`pre dans le Jourdain (chap. 5, d’apre`s 2 Rois 5). L’auteur corrige le vocabulaire institutionnel me´rovingien susceptible de ne plus eˆtre compris par le lecteur ou l’au- diteur et, ce faisant, en change parfois le sens: le terme d’officiales (que Michel Rouche traduit par »notables du municipe«) laisse la place a` celui de ministri altaris (chap. 1)54; plus loin (chap. 8), l’auteur remplace le terme de tribunus par celui de iudex alors que ce dernier e´tait synonyme de comes dans la Vita prima. Il pre´sente le maire du palais comme celui qui maior dominatu in aula regis fascibus excellebat (chap. 9). De manie`re ge´ne´rale, on doit plutoˆ t constater que le remanieur tient a` s’effacer comple`tement de son texte, ou comme l’a e´crit Gabriel Sanders a` propos de l’auteur de la re´e´criture de la Vita de sainte Bathilde, »ne tient pas a` se faire le second hagiographe« du saint55. Il conserve par exemple les allusions que l’auteur primitif faisait a` l’e´poque ou` il e´crivait56. L’auteur est ainsi avare de re´fe´rences a` son environ- nement: il se contente, en fait, d’apporter deux pre´cisions ›historiques‹ en donnant un nom au pre´de´cesseur de Ge´ry, qu’il nomme Vedulfus57; et en e´voquant les »foires tre`s ce´le`bres« (est etenim et memoria uiri Dei uenerabilis locus, et celeberrimis nundinis longe lateque institorum ore uulgatus) qui, a` son e´poque, faisaient la re´putation de la basilique Saint-Ge´ry de Cambrai (chap. 14). Ces e´le´ments e´tant assez minces, Bruno Krusch et Le´on Van der Essen se fondaient avant tout sur la date du manuscrit du Vatican (IXe/Xe sie`cle) pour situer, sans autre pre´cision, la composition de ce rema- niement. Nous y reviendrons plus loin.

XIIe sie`cles, dans: L’historiographie en Occident du Ve au XVe sie`cle, Rennes 1980 (= Annales de Bretagne et des pays de l’Ouest, 87, no 2), p. 237–257; Id., Miracles in vita et miracles posthumes aux XIe et XIIe sie`cles, dans: Histoire des miracles, Angers 1983 (Publications du Centre de recherches d’histoire religieuse et d’histoire des ide´es, 6), p. 41–49; Hans-Werner Goetz, Wun- derberichte im 9. Jahrhundert, dans: Martin Heinzelmann, Klaus Herbers, Dieter R. Bauer (dir.), Mirakel im Mittelalter. Konzeptionen, Erscheinungsformen, Deutungen, Stuttgart 2002 (Beiträge zur Hagiographie, 3), p. 180–226. 54 Rouche, Vie de saint Ge´ry (voir n. 5), p. 282 n. 3, ce que confirme Heinzelmann, Studia sanc- torum (voir n. 23), p. 127. 55 Gabriel Sanders, Le remaniement carolingien de la Vita Bathildis me´rovingienne, dans: Anal- Boll 100 (1982) (= Me´langes offerts a` Baudouin de Gaiffier et Franc¸ois Halkin), p. 411–428, aux p. 418–419 qui observe aussi, p. 423, que le remanieur de la Vie de Bathilde, »sans ajouter au contenu e´ve´nementiel de la Vita, re´ussit a` impre´gner le re´cit d’une saveur biblique persistante«. 56 Apre`s avoir e´voque´, au passe´, l’installation d’un autel dans la chambre de Ge´ry par son successeur Bertoaldus, l’auteur de la Vita prima pre´cise, au pre´sent, que adsidue uota redduntur, et mini- steria diuina a clericis celebrantur (chap. 14); l’auteur de la Vita secunda ajoute ainsi: usque hodie celebratio sancta peragitur, immo reuerenter inibi ac indesinanter cotidie Deo uota soluuntur. 57 Bruno Krusch proposait d’y voir une de´formation du nom de Vedastus: Vita prima (voir n. 5), comm., p. 651 suivi par Van der Essen,E´ tude critique (voir n. 4), p. 208. Une Vita me´rovingienne et ses lectures du IXe au XIe sie`cle 173

C. La diffusion de la Vita secunda La Vita seconda a connu une diffusion beaucoup plus importante que la Vita prima, mais ge´ographiquement plus concentre´e dans les environs de Cambrai, ce qui n’ex- clut pas aussi quelques rares exceptions parmi les te´moins les plus anciens (Mayence, Echternach et Cologne). Une premie`re enqueˆte a en effet permis de repe´rer une petite trentaine de te´moins dont la liste est pre´sente´e en annexe. La plupart d’entre eux proviennent d’e´tablissements situe´s dans les dioce`ses d’Arras (Saint-Vaast d’Arras, la cathe´drale de la cite´, Anchin, Marchiennes, Mont-Saint-E´ loi) et de Cambrai (la cathe´- drale de Cambrai, Lobbes, Cambron, Saint-Ghislain). On notera e´galement la pre´- sence de la Vita secunda dans le le´gendier de Worcester (Londres, BL Cotton Nero E. I part II) compile´ dans le nord de la France, peut-eˆtre a` Saint-Vaast d’Arras58. Une petite dizaine de ces te´moins connus se rattachent a` la grande collection per circulum anni du Le´gendier de Flandre, minutieusement analyse´e par Franc¸ois Dolbeau. Celle-ci s’est diffuse´e a` partir de la fin du XIIe sie`cle dans les abbayes du nord de la France et particulie`rement dans les e´tablissements cisterciens. La Vita secunda est pre´sente dans tous les te´moins de la collection, qu’il s’agisse de manuscrits actuelle- ment conserve´s ou simplement connus par des descriptions de l’e´poque moderne59. L’insertion de la Vita secunda dans cette collection ne nous apprend rien sur la gene`se du texte. En revanche, il nous paraıˆt d’autant plus important de pre´senter le plus ancien manuscrit dont la datation a servi de principal argument pour estimer celle du texte. Sous la cote Palat. lat. 582, la bibliothe`que Vaticane conserve un codex au sein duquel se distinguent trois sections: la premie`re partie (fol. 1–4r) renferme petit dossier hagiographique comprenant la Vita Gaugerici et une partie de la Vita de saint Ursmer, abbe´ de Lobbes au VIIIe sie`cle, par Rathier de Ve´rone; la partie cen- trale, la plus importante, comprend un grand nombre de capitulaires carolingiens, et en particulier la collection rassemble´e par l’abbe´ Anse´gise de Fontenelle († 833); une dernie`re section (fol. 126r–155v) propose a` nouveau quelques textes hagiogra- phiques. L’ensemble e´tait conserve´a` Saint-Martin de Mayence au milieu du XVe sie`cle60. Les capitulaires ont e´te´ transcrits au tout de´but du Xe sie`cle dans une e´criture que Bernard Bischoff qualifiait de »west-deutsch-ostfranzösisch (-bel- gisch)«61. En revanche, la premie`re section – d’une meˆme main – a e´te´ copie´e plus tard.

58 Peter Jackson, Michael Lapidge, The Contents of the Cotton-Corpus Legendary, dans: Paul E. Szarmach (dir.), Holy Men and Holy Women. Old English Prose Saints’ Lives and their Contexts, Albany 1996, p. 131–146, ici p. 133–134 et p. 139 (la Vita Gaugerici porte le no 88). 59 Franc¸ois Dolbeau, Nouvelles recherches sur le Legendarium Flandrense, dans: Recherches augustiniennes 16 (1981), p. 400–455; les te´moins du Le´gendier de Flandre sont pre´ce´de´s d’un aste´risque dans la liste donne´e en annexe II; on notera que le contenu des volumes d’aouˆ t des le´gendiers des abbayes de Vaucelles et de Marchiennes n’est pas connu, mais il n’y a aucune raison de penser qu’ils ne contenaient pas la Vita Gaugerici secunda; d’autre part, nous n’avons pas eu la possibilite´ de ve´rifier si la Vita e´tait copie´e dans un te´moin abre´ge´ de la collection, le le´gendier de Newcastle (Newcastle, University Library, ms. 1). 60 Henri Stevenson, Jean-Baptiste De Rossi, Codices Palatini latini Bibliothecae Vaticanae I, Rome 1886, p. 193–196; Cat.Vat., p. 267–268. 61 Gerhard Schmitz, Ansegis und Regino. Die Rezeption der Kapitularien in den Libri duo de synodalibus causis, dans: Zs. der Savigny-Stiftung für Rechtsgeschichte 105, Kanonistische 174 Charles Me´riaux

La Vie d’Ursmer, par Rathier de Ve´rone, a e´te´ compose´e entre 936 et 939 et, de l’avis de Franc¸ois Dolbeau, les deux textes ont e´te´ copie´s a` la fin du Xe sie`cle, a` Mayence meˆme62. De la sorte, on peut se demander si le fait que le copiste ait transcrit ensemble ces deux textes n’est pas un argument en faveur d’une datation assez proche: du libellus qu’il avait sous les yeux, il se serait contente´ des pie`ces qui lui e´taient incon- nues, car de composition re´cente. La datation du plus ancien manuscrit e´tant pre´cise´e, c’est de´sormais l’histoire de Cambrai et plus particulie`rement de Saint-Ge´ry qu’il faut examiner pour tenter de retrouver les circonstances qui auraient e´te´ propices a` la composition de cette Vita secunda.

D. La Vita Gaugerici secunda et l’histoire de Saint-Ge´ry de Cambrai Les informations sur l’histoire de Saint-Ge´ry sont minces63. Un custos est bien atteste´ dans la premie`re Vie. On peut donc supposer qu’une communaute´ cle´ricale s’est rassemble´e assez toˆ t pour le service du culte et qu’elle a ensuite adopte´ sans difficulte´ la re`gle canoniale. D’apre`s les Gesta, Saint-Ge´ry a fait l’objet d’une reconstruction a` la fin de l’e´piscopat de Thierry (830, † 863). Saint-Ge´ry est mentionne´ dans le testa- ment de l’abbe´ Anse´gise (833) et dans la liste des abbayes passe´es dans la main de Charles le Chauve a` l’occasion du traite´ de Meersen (870), lorsque ce dernier partagea avec son fre`re, Louis le Germanique, le royaume de leur neveu de´funt, Lothai- re II64. Abbaye royale au IXe sie`cle, elle semble alors avoir connu une re´elle prospe´rite´ mate´rielle si l’on suit les traditions recueillies au XIe sie`cle65. Elle fut alors tenue en

Abteilung 74 (1988), p. 95–132, ici p. 111–112, qui cite une lettre de Bernhard Bischoff du 9 avril 1984; voir e´galement Id. (e´d.), Die Kapitulariensammlung des Ansegis, Hanovre 1996 (MGH, Capitularia regum Francorum. Nova series, 1), p. 156–158. 62 Dolbeau, La diffusion de la Vita S. Ursmari (voir n. 33), p. 189 et p. 194 qui rejoint ainsi l’avis de Schmitz (e´d.), Die Kapitulariensammlung (voir n. 51), p. 156 concernant le manuscrit, »viel- leicht schon in der 2. Hälfte des 10. Jahrhundert dort«, c’est-a`-dire a` Mayence. 63 Nous ne prenons pas en compte le livre de Petrus Cornelis Boeren, Contribution a` l’histoire de Cambrai a` l’e´poque me´rovingienne, Maastricht, Vroenhoven 1940 qui reconstruit l’histoire me´- rovingienne de Cambrai a` partir des donne´es tire´es d’un acte du XIe sie`cle conserve´ dans le fonds de Saint-Pierre de Gand et que l’auteur pre´sente comme une copie de l’acte me´rovingien de fondation de Saint-Ge´ry; si Frans Blockmans (dans: Revue belge de philologie et d’histoire 20 [1941], p. 707–719) et E´ douard Perroy (dans: Revue du Nord 26 [1943], p. 125–127) semblent avoir e´te´ en partie convaincus par l’argumentation, le pe`re Coens s’est montre´ plus perplexe (dans: AnalBoll 59 [1941], p. 328–329). 64 Me´riaux, Gallia irradiata (voir n. 37), p. 261–262; le travail de Fernand Vercauteren,E´ tude sur les civitates de la Belgique seconde. Contribution a` l’histoire urbaine du nord de la France de la fin du IIIe a` la fin du XIe sie`cle, Bruxelles 1934 (Me´moires de la classe des lettres et des sciences morales et politiques de l’Acade´mie royale de Belgique, 2e se´rie, 33), p. 217–223 est toujours extreˆmement utile. 65 Gesta (voir n. 7), l. II, chap. 4, p. 456 (passage cite´ en annexe I); en 1074, une charte de l’e´veˆque Lie´bert en faveur de Saint-Ge´ry rappelle la liberalis elemosinae benignitas a Lothario, item a Lothario et Carolo regibus facta, et a Joanne papa auctoritate apostolica confirmata (Erik Van Mingroot [e´d.], Les chartes de Ge´rard Ier, Lie´bert et Ge´rard II, e´veˆque de Cambrai et d’Arras, comtes du Cambre´sis [1012–1092/1093], Introduction, e´dition, annotation, Leuven 2005 [Mediaevalia Lovaniensia. Series I / Studia, 25], p. 132); on conserve une copie du XVIIIe sie`cle du privile`ge de Jean VIII: e´dite´ par Charles Duvivier, Recherches sur le Hainaut ancien (pagus Une Vita me´rovingienne et ses lectures du IXe au XIe sie`cle 175 be´ne´fice par le comte vraisemblablement de`s la fin du IXe sie`cle. Ne´anmoins, c’est sous l’e´piscopat de Fulbert (933/934, † 956) que Saint-Ge´ry apparaıˆt comme l’enjeu majeur pour le controˆ le de Cambrai, notamment parce qu’une partie de la monnaie et des revenus publics de la cite´ye´taient attache´s, ce qui impliquait la tenue de marche´s importants, et nous rame`ne aux foires e´voque´es dans la Vita secunda. Or, en 948, a` l’issue d’un aˆpre conflit entre le comte Isaac et l’e´veˆque, Otton Ier confia a` Fulbert l’abbaye, l’ensemble de ses possessions et tous les droits publics qui en de´pendaient. Cambrai entrait alors pleinement dans l’»E´ glise impe´riale« avant la lettre66. De la sorte, on voit peu a` peu converger un faisceau d’arguments qui plaideraient en faveur d’une composition dans les anne´es 930–940, sous l’e´piscopat de Fulbert, avant que celui-ci n’ait de´finitivement gain de cause contre le comte: outre l’argument que nous avons tire´ de l’examen du manuscrit de Saint-Martin de Mayence et la mention des »foires tre`s ce´le`bres« que l’on serait tente´ de rapprocher des avantages importants que le comte Isaac tirait de l’abbaye, il faut aussi relever l’opportunite´ qu’il y avait a` faire circuler une version le´ge`rement re´nove´e de la Vita de Ge´ry avant 948 (ou peut- eˆtre encore dans les anne´es suivantes). Il n’e´tait pas utile de remanier en profondeur un texte dont le message restait parfaitement transparent: des relations confiantes entre l’e´veˆque et le souverain et, dans la cite´, la pre´e´minence de l’e´veˆque sur le comte et ses repre´sentants, e´taient propres a` assurer a` Cambrai le meilleur gouvernement possible. L’absence de toute re´fe´rence pre´cise a` la communaute´ de Saint-Ge´ry dans la Vita ne contredit pas l’hypothe`se d’une commande e´piscopale compose´e au sein du scriptorium de la cathe´drale67.

III. LA VITA TERTIA

A. Pre´sentation

Les circonstances de la re´daction de la Vita tertia du saint sont beaucoup mieux connues. Celle-ci se distingue d’abord des deux pre´ce´dentes par un abondant para- texte: un distique annonce une epistola praevia a` l’e´veˆque Ge´rard qui, en raison de la date du plus ancien manuscrit, ne peut eˆtre que Ge´rard Ier de Florennes (1012, † 1051)68. On verra plus loin que la Vie a e´te´ compose´e apre`s 102369. Cette

Hainoensis) du VIIe au XIIe sie`cle, Bruxelles 1865, p. 424–428 (no XVI), il me´riterait une e´tude approfondie. 66 Gesta (voir n. 7), l. I, chap. 71, p. 426 et l. I, chap. 73, p. 427 pour la copie du diploˆ me de 948 dont l’original (ou une copie contemporaine?) est toujours conserve´ (Theodor Sickel [e´d.], Die Urkunden Konrad I., Heinrich I. und Otto I., Hanovre 1879–1884 [MGH, Diplomata regum et imperatorum Germaniae, 1], no 39, p. 125–126); sur tout ceci, voir Charles Me´riaux, Fulbert, e´veˆque de Cambrai et d’Arras (933/934, † 956), dans: L’E´ glise et la socie´te´ entre Seine et Rhin (Ve–XVe sie`cle). Recueil d’e´tudes d’histoire du Moyen Aˆ ge en l’honneur de Bernard Delmaire, Revue du Nord 86 (2004), p. 525–542, ici p. 526–529. 67 Ce qui irait aussi dans le sens de la remarque que nous formulons a` propos de la Vita Waldetrudis: voir infra n. 107. 68 Auguste Molinier, Catalogue ge´ne´ral des manuscrits des bibliothe`ques publiques de France. 176 Charles Me´riaux epistola est elle-meˆme suivie d’une pre´face au lecteur, d’une table des chapitres du premier livre puis d’une nouvelle pre´face introduisant le premier livre. Les deux livres suivant s’ouvrent aussi l’un et l’autre sur une pre´face et une table des chapitres. L’auteur a ainsi l’occasion de pre´senter longuement les raisons pour lesquelles il prend la plume afin de composer sa premie`re œuvre. L’e´veˆque Ge´rard, ayant entendu parler d’un grandis et miraculosus codex de la Vie de saint Ge´ry, autrefois conserve´a` Cambrai mais de´truit lors d’une attaque des paı¨ens, le fit rechercher en vain jusqu’a` ce qu’un inconnu venu du Nord lui apporte un vetustissimus liber plus court que celui qu’il recherchait, mais plus long que celui que l’on connaissait alors a` Cambrai. L’auteur de la Vita tertia explique alors avoir fondu ces deux libelli en un seul texte70. Comme l’a rappele´ Monique Goullet, »l’existence du fantasmagorique ori- ginal [...] est le pont aux aˆnes de la litte´rature hagiographique«71. Il n’est donc pas question de prendre ces explications a` la lettre. Il en va de meˆme pour la destruction des bibliothe`ques, quoique l’on sache tre`s bien qu’a` Cambrai, elles souffrirent a` plusieurs reprises pendant le haut Moyen Aˆ ge72. La pre´face pose ainsi la question de la connaissance de la Vita me´rovingienne a` Cambrai sous l’e´piscopat de Ge´rard Ier. Comme on l’a dit, il n’existe plus aucun te´moin cambre´sien du texte, et l’on peut penser que sa transmission avait e´te´ inter- rompue en raison de la diffusion de la Vita secunda, dans le courant du Xe sie`cle. Cette question reste ouverte. Nous nous demandons s’il ne faut pas faire cre´dit a` l’auteur d’avoir eu sous les yeux la Vita me´rovingienne et d’y avoir fait quelques emprunts, si discrets fussent-ils. Les re´e´critures successives du chap. 3 de la Vita prima, ou` le

Se´rie in–8o, 17, Paris 1891, p. 319, l’identifie a` tort avec Ge´rard II, sans doute en raison de la pre´sence de la Vita tertia dans le le´gendier de l’abbaye du Saint-Se´pulcre exe´cute´ sous son e´pis- copat (1076–1092). 69 Voir infra n. 102 et 103. 70 Vita tertia, p. 675–676: Cum olim, pater sanctissime, de uita patris nostri et gloriosi pontificis Gaugerici, grandem et miraculosum codicem, de quo hic praemodicus, quem nunc habemus, decerptus fuerat, a senioribus didicisses late compositum; sed sub bachania paganorum, qui, pec- catis Christianorum exurgentibus, Galliam uastauerunt, in ipsis monasteriorum incendiis una cum thesauro reliquo et quammultis uoluminibus illum etiam concrematum; hoc profecto grauiter ingemiscens, diutina posthac indagine laborasti; et, sicubi thesaurum tanti pretii reperires, non modo a confinibus, uerum et a longe remotis bibliothecariis solicitus perquisisti. Neque uero poteras quieuisse, donec forte ad laboris tui solatium, fauente, credo, tuis desideriis diuinae uol- untatis suffragio, uetustissimum librum nescio quis peregrinus ab Arctois finibus nobis detulit uenumdandum; tamen perdito curtiorem, sed habito latiorem; quem tu pie ac desiderabiliter amplexatus, quoniam quidem agresti et minus culto sermone horrebat, illico me iussisti meliore stylo corrigere, et ex duobus libellis; ex nuper inuento uidelicet, et ante habito; mutatis tamen sermonibus, sed seruatis rerum sensibus, unum corpus efficere. 71 Goullet,E´ criture et re´e´criture (voir n. 2), p. 191 n. 71; on rapprochera cette pre´face de celle que Rathier a compose´e en teˆte de la re´e´criture de la Vie de saint Ursmer de Lobbes, ou` il pre´tend avoir retrouve´a` Coˆ me un libellus consacre´ au saint: cf. Dolbeau, La diffusion de la Vita S. Urs- mari (voir n. 33), p. 194. 72 Peut-eˆtre ne faut-il pas exage´rer la part du topos: en 911, un privile`ge de Charles le Simple, dont l’original est aujourd’hui toujours conserve´, fait e´tat d’un acte plus ancien de Zwentibold, sed eadam civitate deflagrata, preceptum quoque voracibus flammis absumptum est (Philippe Lauer [e´d.], Recueil des actes de Charles le Simple [893–923], Paris 1943–1949 [Chartes et diploˆ mes relatifs a` l’histoire de France], p. 153); Cambrai a aussi e´te´ la cible d’attaques normandes puis d’une incursion hongroise. Une Vita me´rovingienne et ses lectures du IXe au XIe sie`cle 177 me´tropolitain Magne´ric de Tre`ves interroge le jeune Ge´ry et lui demande d’apprend- re par cœur le psautier pour pouvoir l’ordonner a` l’occasion d’une prochaine visite, montre que l’auteur puise alternativement dans les deux mode`les. Il reprend des termes que la Vita secunda avait supprime´s, mais conserve la re´ponse de l’e´veˆque au style direct introduite par le second biographe, meˆme s’il en change le sens73. Comme l’a releve´ Monique Goullet, l’auteur »use et abuse d’arguments rhe´tori- ques«; il e´tale sa connaissance du grec et de mots latins rares et se plaıˆt par endroits a` jouer sur l’e´tymologie de certains noms74. Contrairement au travail du premier rema- nieur, cette œuvre a de profonde re´sonance avec son temps. On peut en effet relever des e´chos a` la liturgie75;a` la re´flexion pastorale76; mais e´galement a` la situation poli- tique locale77. Prenons un exemple. La Vita prima pre´sente les parents de Ge´ry comme des gens d’une origine sociale moyenne (»ni les premiers, ni les derniers«) et ne pre´cise rien quant a` celle de Bertoaldus, son successeur. La troisie`me re´e´criture insiste en revanche sur la noblesse familiale des deux pre´lats, ce qui comme l’a note´ Monique Goullet, »adapte le portrait social de l’e´veˆque a` la norme du XIe sie`cle«78. D’autre part, lorsqu’il e´voque l’e´lection de Ge´ry, l’auteur ne se contente pas de dire que les habitants de Cambrai s’adresse`rent au roi Childebert, comme le fait la Vita prima, mais il pre´cise qu’ils se rendirent en de´le´gation aupre`s de lui (chap. 25), ce qui e´tait absolument conforme aux traditions de l’E´ glise impe´riale. A` la mort de l’e´veˆque, les insignes e´piscopaux e´taient rapporte´s au souverain par les clercs du sie`ge vacant, et c’est a` cette occasion que la nomination de son successeur pouvait eˆtre ne´gocie´e avec

73 Vita prima (voir n. 5), chap. 3, p. 653: Et cum haec praedictus pontifex audisset, praecepit, ut ipsum suo conspectui praesentaret. Cumque in eius praesentia aduenisset, et cum paterna discus- sione adloqueretur et in ipso uultu ilari, facie formonsa, decoro aspectu, inspirante Domino, cognouisset, eum manibus sui clericati officium Dominum seruiendum continuo coronauit.–Vita secunda (voir n. 6), chap. 3, p. 672: Quibus auditis, uenerandus pontifex: »Nostris, inquit, reuerendus actutum praesentetur optutibus adolescens«. Qui cum adductus in eius staret prasen- tia, coepit eum uenerabilis pontifex blande ac leniter affari, dulcique sermone praeclare indolis animum confortare. Compertaque illius sanctitate, suis eum sacris manibus, fusa super ipsum benedictione, summus pontifex totondit, et regia et sacerdotali corona famulaturum Domino in ius perpetuum insigniuit.–Vita tertia (voir n. 6), chap. 13, p. 678: Audiens hoc archiepiscopus, gaudio quippe repletus, tantae laudis puerulum suis conspectibus statim praecepit adesse; uolens uidelicet, an ita se res habuerit, purius uentilare. Qui cum uenisset in eius praesentiam coepit praeclarae indolis animum uerborum dulcedine et blandis affatibus aucupari, paulatimque in eius sanis responsionibus, ultra spem, sanctitatis mysterium intueri; voir aussi dans ce sens Goullet, E´ criture et re´e´criture (voir n. 2), p. 191 n. 73. 74 Ibid., p. 192–195. 75 Ainsi pour le rituel du bapteˆme: cf. ibid., p. 195 n. 84. 76 Bruno Judic, La diffusion de la Regula pastoralis de Gre´goire le Grand dans l’E´ glise de Cambrai, une premie`re enqueˆte, dans: Revue du Nord 76 (1994), p. 207–230, a pu montrer que la Vita tertia se pre´sentait comme un ve´ritable »programme e´piscopal« qui sugge`re »une intense utilisation du Pastoral [de Gre´goire le Grand] a` Cambrai dans l’entourage de Ge´rard«. 77 Ainsi, lorsque l’auteur rappelle au chap. 24 qu’une e´glise qui a perdu son e´veˆque souffre d’eˆtre expose´e »au harce`lement des loups et de partout aux embuscades des ennemis« (luporum gras- satibus ac diversorum inimicorum insidiis), on peut assure´ment reconnaıˆtre une allusion au droit de de´pouille exerce´ principalement par le chaˆtelain a` Cambrai, comme ce fut le cas a` la mort de l’e´veˆque Lie´bert en 1012 et dont les Gesta dressent un tableau e´pouvantable (e´d. voir n. 7, l. I, chap. 119–120, p. 453–454). 78 Goullet,E´ criture et re´e´criture (voir n. 2), p. 191 n. 73. 178 Charles Me´riaux l’empereur. Les Gesta des e´veˆques de Cambrai donnent d’ailleurs une belle descrip- tion du de´roulement de cette proce´dure en 1051, apre`s la mort de Ge´rard Ier,a` l’oc- casion de l’e´lection de son successeur Lie´bert79.

B. Les origines de Saint-Ge´ry Mais c’est en abordant les origines du monaste`re de Saint-Ge´ry que l’auteur s’e´carte ouvertement de ses mode`les. Il convient donc de s’attarder sur cette partie de la re´e´criture. La premie`re Vita du saint se contente de dire que saint Ge´ry fut inhume´ »dans la basilique Saint-Me´dard qu’il avait fait e´difier de son vivant a` un endroit ou` il avait ordonne´ que l’on de´truisıˆt des idola«80. Le premier remaniement est de´ja` plus prolixe: l’auteur introduit un autre motif, celui du bois sacre´(lucus) qui aurait existe´ sur la colline et amplifie le the`me du sanctuaire paı¨en de´truit et remplace´ par un lieu de culte chre´tien. Cette version est ensuite reprise sans grand changement par l’auteur des Gesta. La troisie`me Vie se veut beaucoup plus pre´cise en invoquant la tradition orale, pre´cise´ment le »te´moignage des anciens« (iuxta relationem ueterum) et des restes mate´riels (quaedam uestigia quae etiam adhuc cernebantur). Fort de ces infor- mations – que l’on serait naturellement enclin a` rejeter en raison de leur caracte`re topique81 –, l’auteur pre´tend que la colline aurait porte´ le nom de Mont-des-Bœufs en raison des sacrifices d’animaux qui y e´taient re´gulie`rement commis82. Ce faisant, il introduit une conception du culte paı¨en qui semble relever davantage de pratiques romaines, meˆme si des sacrifices de bovide´s ont pu eˆtre observe´ dans le monde ger- manique, particulie`rement sur le site anglo-saxon de Yeavering, en Northumbrie, a` une e´poque tout a` fait contemporaine de l’e´piscopat de Ge´ry83.

79 Gesta Lietberti (voir n. 7), chap. 3–4, p. 490–492; cf. Philippe Depreux, L’investiture de l’e´veˆ- que. Interpre´tation d’un rituel (Xe–de´but XIIe sie`cle), dans: Bulletin de la Mission historique franc¸aise en Allemagne 42 (2006), p. 204–219. 80 Nous avons donne´ les textes en annexe I. 81 Le the`me de la destruction d’un temple suivie imme´diatement de la construction d’une e´glise est d’emploi courant dans l’hagiographie franque depuis la Vita Martini de Sulpice Se´ve`re, mais il n’est pas confirme´ par les de´couvertes arche´ologiques; en revanche, le re´emploi de monuments abandonne´s depuis longtemps est bien atteste´, en particulier a` Boscherville (Normandie), sou- vent cite´, ou` les murs d’un petit fanum ruine´a` la fin du IVe sie`cle sont repris, mais au VIIe sie`cle seulement, pour la construction d’une chapelle fune´raire; sur ces proble`mes, voir re´cemment Lukas Clemens, Tempore Romanorum constructa. Zur Nutzung und Wahrnehmung antiker Überreste nördlich der Alpen während des Mittelalters, Stuttgart 2003 (Monographien zur Geschichte des Mittelalters, 50), p. 248–267 qui cite p. 257 n. 47 la Vita Gaugerici tertia; sur Boscherville, voir toujours Jacques Le Maho, Saint-Martin de Boscherville (Seine-Maritime), dans: Michel Fixot,E´ lisabeth Zadora-Rio (dir.), L’e´glise, le terroir, Paris 1989 (Monographies du CRA, 1), p. 63–69. 82 Sur les origines de ce toponyme, on lira les propositions de Judic, La diffusion (voir n. 76), p. 218 n. 28. 83 Bruno Judic, Le corbeau et la sauterelle. L’application des instructions de Gre´goire le Grand pour la transformation des temples paı¨ens en e´glises. E´ tudes de cas, dans: Lionel Mary, Michel Sot (dir.), Impies et paı¨ens entre Antiquite´ et Moyen Aˆ ge, Paris 2002, p. 97–125, cherche a` articuler les donne´es arche´ologiques du site (re´sume´es p. 117–120) et les consignes de Gre´goire le Grand aux moines romains en mission en Grande-Bretagne. Une Vita me´rovingienne et ses lectures du IXe au XIe sie`cle 179

Mais l’aspect le plus digne de retenir notre attention est assure´ment le paralle`le biblique e´tabli a` la fin du chap. 56 entre Ge´ry et Abraham a` partir du chap. 23 du livre de la Gene`se. D’apre`s l’auteur de la Vita tertia, l’e´veˆque aurait proce´de´ lui-meˆme a` l’achat du lieu de sa se´pulture a` un »bourgeois« (burgarius), tout comme Abraham avait achete´a`E´ phron un champ, situe´a` He´bron, dans lequel se trouvait le caveau double (spelunca duplex) ou` il ensevelit son e´pouse Sara. Comme Michel Lauwers l’a montre´, a` partir du XIe sie`cle, ce re´cit a »servi a` justifier la se´pulture des chre´tiens au sein des cimetie`res et les offrandes faites a` l’occasion de l’ensevelissement des de´funts«84. Michel Lauwers a aussi note´ que cette interpre´tation apparaıˆt pour la premie`re fois dans les actes du synode d’Arras de 1025 et qu’elle aurait donc e´te´ donne´e par Ge´rard Ier lui-meˆme pour porter la contradiction aux he´re´tiques conte- stant, entre autres choses, la le´gitimite´ des se´pultures en un lieu spe´cial, le cimetie`re. A` cette occasion, Ge´rard fut aussi un des premiers a` laisser entendre que »l’achat d’un lieu de se´pulture par Abraham pre´figurait la pratique des dons pour les de´funts« que critiquaient avec virulence les he´re´tiques85. Or la Vita insiste pre´cise´ment sur le fait que Ge´ry a achete´ le lieu numerata pecunia et, plus loin, que l’abbaye a e´te´ dote´e ex rebus propriis. La fondation de Saint-Ge´ry est ici pre´texte a` faire affleurer dans la re´e´criture hagiographique un de´bat eccle´siologique majeur qui agitait alors l’e´glise de Cambrai. Le fait ne doit pas nous e´tonner. Erik van Mingroot a, avec d’autres argu- ments, cherche´a` montrer que les deux textes sortaient de la plume du meˆme auteur86. On retrouve en outre une pre´occupation semblable, mais a` propos d’autres the`mes comme le partage des responsabilite´s entre le souverain ou l’e´piscopat, ou encore la dignite´ des lieux de culte, dans la Vita Autberti compose´ea` la meˆme e´poque sur l’ordre du meˆme Ge´rard Ier87. Dans le chapitre suivant, la Vita tertia apporte une pre´cision nouvelle en proposant un ve´ritable re´cit de fondation de la communaute´ de Saint-Ge´ry dont l’e´tablissement aurait e´te´ fait sur les »bien propres« de l’e´veˆque qui en aurait de surcroıˆt confie´ l’abbatiat a` son fre`re, nomme´ Landon. Cette pre´sentation a assure´ment pour but de

84 Michel Lauwers, Naissance du cimetie`re chre´tien. Lieux sacre´s et terre des morts dans l’Occi- dent me´die´val, Paris 2005, p. 211–258, p. 235 pour la citation; on verra e´galement Id., La se´pul- ture des Patriarches (Gene`se 23). Mode`le scripturaire et pratiques sociales dans l’Occident me´die´val ou du bon usage d’un re´cit de fondation, dans: Studi Medievali, 3e se´rie, 37–2 (1996), p. 519–547. 85 Lauwers, Naissance du cimetie`re chre´tien (voir n. 84), p. 218–219 et p. 227; sur les actes du synode d’Arras e´dite´s dans Migne PL 142, col. 1271–1312 (col. 1295 pour le passage qui nous inte´resse), voir Erik Van Mingroot, Acta synodi Attrebatensis (1025). Proble`mes de critique de provenance, dans: Studia Gratiana 20 (1976), p. 201–229, et Guy Lobrichon, Arras, 1025, ou le vrai proce`s d’une fausse accusation, dans: Monique Zerner (dir.), Inventer l’he´re´sie. Discours pole´miques et pouvoirs avant l’Inquisition, Nice 1998 (Collection du Centre d’e´tudes me´die´vales de Nice, 2), p. 67–85. 86 Van Mingroot, Acta synodi Attrebatensis (voir n. 85), p. 225 attribue les actes, les Gesta et la Vita tertia au meˆme auteur, le chapelain personnel de Ge´rard Ier, mais sa de´monstration porte surtout sur la parente´ entre les Acta et les Gesta; nous montrons ici meˆme que l’attribution de la Vita tertia et des Gesta a` un meˆme auteur se heurte a` plusieurs objections se´rieuses (voir infra n. 100 sqq.). 87 Vita Autberti (BHL 861), e´d. Joseph Ghesquie`re, AASS Belgii selecta III, Bruxelles 1785, p. 538–565; sur ce texte, on verra Me´riaux, Hagiographie et re´forme (voir n. 30). 180 Charles Me´riaux rappeler le statut de Saint-Ge´ry, devenue abbaye e´piscopale en 948, et veut rappeler que les droits de l’e´veˆque remontent aux origines de l’e´tablissement ce que, bien entendu, rien ne permet de confirmer par ailleurs. Mais doit-on pour autant e´carter une pre´cision si tardive et si inte´resse´e sans chercher a` pre´ciser les sources de l’auteur? Il se trouve que Marie Isaı¨a a re´cemment attire´ l’attention sur un passage du testament de l’e´veˆque, Landon de Reims, connu par l’analyse qu’en donne Flodoard au Xe sie`cle88. Parmi les e´glises be´ne´ficiaires de la ge´ne´rosite´ du pre´lat, figure imme´- diatement apre`s Saint-Remi, la basilica sancti Gaugerici et sancti Quentini. Avec Marie Isaı¨a, nous pensons qu’il s’agit bien de deux basiliques distinctes, mais dont les vocables auraient e´te´ ›fondus‹ dans l’analyse de Flodoard pour de´signer un seul e´ta- blissement89. On se souvient que la premie`re Vita Gaugerici mentionne en effet une basilique Saint-Quentin, meˆme si certains commentateurs ont propose´ une identifi- cation avec la grande basilique du Vermandois90. D’autre part, l’auteur de la Vita Gaugerici tertia apporte une pre´cision supple´mentaire en soutenant que la fondation de Ge´ry e´tait place´ea` l’origine sous le patronage des saints Me´dard et Loup. Or, Loup est une figure qui se rattache a` l’histoire de l’E´ glise de Reims: neveu de saint Remi, il occupa le sie`ge de Soissons et figure comme principal be´ne´ficiaire du testament du me´tropolitain. Ces indications nous mettent sur la piste de deux hypothe`ses. Soit l’auteur de la Vita tertia, comme le propose Marie Isaı¨a, a puise´ dans des traditions solides, reste´es ine´dites et transmises par les ueteres, mais il est alors difficile d’ex- pliquer pourquoi l’auteur de la Vita me´rovingienne les auraient ignore´es. Soit il faut inverser la perspective et imaginer que l’auteur a pu avoir connaissance de l’œuvre de Flodoard, ce qui est plus que probable91; mais il faut alors reconnaıˆtre que la manie`re dont il agence les traditions re´moises reste assez obscure.

C. La diffusion de la Vita tertia La Vita tertia a connu une diffusion extreˆmement limite´e dans l’espace comme dans le temps puisqu’elle est aujourd’hui conserve´e dans trois manuscrits seulement, dont deux le´gendiers cambre´siens du XIe sie`cle. Le plus ancien date de la premie`re moitie´ du XIe sie`cle (Cambrai, BM 865)92. Il est compose´ de deux sections. La premie`re

88 Flodoard, Historia Remensis ecclesiae (voir n. 12), l. II, chap. 6, p. 147–148; Landon est pre´sente´ par Flodoard comme contemporain de Sigebert III (633/634 † 656); Marie-Ce´line Isai¨a, Remi de Reims. Vie, culte, dossier hagiographique (Ve–XIe sie`cle), the`se de doctorat NR, universite´ Paris X, 2004, chap. 8, § III 2, propose de faire de Landon, e´veˆque de Reims, un neveu de Ge´ry et de son fre`re Landon, premier abbe´ de Saint-Me´dard. 89 Hypothe`se soutenue par la mention, quelques lignes plus bas, de la basilique sancti Medardi et sanctorum Crispini et Crispiniani qui de´signe, sans aucun doute possible ici, les deux grandes basiliques suburbaines de Soissons; cf. Topographie chre´tienne des cite´s de la Gaule 14, Province eccle´siastique de Reims, Paris 2006, p. 55–56. 90 Rouche, Vie de Saint-Ge´ry (voir n. 5), p. 287 n. 22, qui n’est cependant pas suivi par Platelle, Ge´ry (voir n. 4), col. 1102; et Charles Pietri, Remarques sur la christianisation du nord de la Gaule (IVe–VIe sie`cle), dans: Revue du Nord 66 (1984), p. 55–68, ici p. 61. 91 L’auteur des Gesta a releve´ dans Flodoard plusieurs informations inte´ressant Cambrai, mais non la mention du testament de Landon. 92 Molinier, Catalogue (voir n. 68), p. 352–353; Denis Muzerelle et al., Cambrai, Paris 2000 (Manuscrits date´s des bibliothe`ques de France, 1), p. 103. Une Vita me´rovingienne et ses lectures du IXe au XIe sie`cle 181

»paraıˆt avoir e´te´ exe´cute´e pour un e´tablissement qui vouait un culte important a` Saint-Remi«93; la seconde partie contient la Vita tertia et plusieurs autres Vies, dont les Vies de deux saints proprement cambre´siens, saint Vincent de Soignies (BHL 8672–8673) et saint Etton (BHL 2653), dont la composition semble parfaite- ment contemporaine de la Vita Gaugerici tertia94. Le manuscrit e´tait conserve´ au XIIe sie`cle a` l’abbaye Saint-Andre´ du Cateau, fonde´e par Ge´rard Ier en 1024, et ou` il fut inhume´. Bref, par bien des aspects, ce codex semble se rattacher a` la personne meˆme de Ge´rard qui, rappelons-le, avait rec¸u sa formation a` Reims aupre`s de son oncle Adalbe´ron95. La Vita tertia a aussi e´te´ copie´e, sous l’e´piscopat de Ge´rard II (1076 † 1092), dans le grand le´gendier de l’abbaye du Saint-Se´pulcre, qui avait e´te´ fonde´e en 1064 par l’e´veˆque Lie´bert. Quant au dernier manuscrit, Bruxelles, BR 9070–9077, il s’agit d’un dossier tardif re´unissant, a` la suite d’œuvres historiogra- phiques, plusieurs pie`ces du dossier de saint Ge´ry, en particulier liturgiques96. La seconde Vita ae´te´ comple´te´e par les derniers chapitres de la Vita tertia les plus ›originaux‹, ceux qui concernent la fondation de Saint-Ge´ry et dont il a e´te´ question. Une liste des e´veˆques de Cambrai jusqu’a` Pierre de Mirepoix (1309, † 1324) semble une nouvelle fois indiquer une provenance cambre´sienne. Si inte´ressante qu’elle nous paraisse, cette troisie`me Vie n’a donc pas circule´ au Moyen Aˆ ge.

IV. LES GESTA

Re´dige´s en 1024/1025 par un familier de l’e´veˆque Ge´rard Ier – son propre chapelain si l’on suit la proposition d’Erik Van Mingroot –, les Gesta des e´veˆques de Cambrai font par trois fois mention d’une Vita Gaugerici a` laquelle ils renvoient le lecteur de´sireux d’en savoir davantage sur l’existence du pre´lat, ce qui permet a` l’auteur de n’en rien dire (meˆme s’il prend la peine de de´tailler plus loin les circonstances de la fondation de

93 Ibid. 94 Sur la Vita Vincenti compose´e a` Hautmont avant 1024/1025, voir Franc¸ois De Vriendt, Les deux Vies latines de saint Vincent de Soignies (XIe–XIIe sie`cle). Un patrimoine litte´raire sone´- gien?, dans: Jacques Deveseleer (dir.), Saint Vincent de Soignies. Regards du XXe sie`cle sur sa vie et son culte. Recueil d’e´tudes publie´a` l’occasion du quatrie`me centenaire de la confre´rie Saint-Vincent (1599–1999), Soignies 1999 (Les Cahiers du Chapitre, 7), p. 35–50; la Vita Ettonis – qui puise dans la Vita Vincentii – n’a pas fait l’objet d’e´tude spe´cifique; nous avons rassemble´ quelques e´le´ments dans Me´riaux, Gallia irradiata (voir n. 37), p. 354. 95 Gesta (voir n. 7), l. III, chap. 1, p. 465; nous empruntons ce rapprochement a` Ste´phane Lecou- teux dans son e´tude a` paraıˆtre sur »Les anciens le´gendiers de Cambrai (Xe–XIIe sie`cle)«; un autre e´le´ment sugge`re l’importance du codex, il s’agit de la capitulation, reproduite dans l’e´d. du pe`re Van den Bossche (voir n. 6), et dont Joseph-Claude Poulin a re´cemment montre´ qu’elle e´tait plus souvent qu’on ne le croyait une initiative d’auteur (Joseph-Claude Poulin, Un e´le´ment ne´glige´ de critique hagiographique. Les titres de chapitres, dans: Scribere sanctorum gesta [voir n. 33], p. 309–342). 96 Cat.Brux., 1, p. 266–267. 182 Charles Me´riaux

Saint-Ge´ry)97. De l’aveu meˆme de l’auteur, la Vita et les Gesta sont ici les deux faces comple´mentaires d’une meˆme entreprise qu’il juge donc inutile de re´pe´ter inutile- ment98. De la sorte, les premiers chapitres des Gesta ne permettent pas une compa- raison pre´cise des deux textes. Constatant que les Gesta et la Vita tertia ont tous les deux e´te´e´crits a` la demande de Ge´rard Ier et s’appuyant sur quelques paralle`les sty- listiques, en particulier l’emploi d’helle´nismes, tous les commentateurs, depuis le pe`re Van den Bossche, ont attribue´ les deux textes a` un seul et meˆme auteur. Celui-ci aurait d’abord compose´ la Vita qui, de son propre aveu, e´tait son premier travail d’e´criture. Dans les Gesta, il se serait alors contente´ de renvoyer le lecteur a` la Vita qu’il venait d’e´crire99. Sans me´connaıˆtre l’inte´reˆt de ces arguments, il faut convenir qu’ils sont loin d’eˆtre absolument de´terminants, et dans l’e´dition des Gesta qu’il avait procure´e en 1846, Ludwig Bethmann avait propose´, sans succe`s, de reconnaıˆtre la Vita secunda comme source des Gesta. Nous nous contenterons ici de deux obser- vations qui nous semblent confirmer pleinement son jugement. Au de´but du second livre des Gesta, qui pre´sente brie`vement l’histoire des e´tablis- sements religieux des dioce`ses d’Arras et de Cambrai, l’auteur s’arreˆte sur celle de Saint-Ge´ry et, contrairement a` ce qu’il a fait au de´but de son œuvre, ne se contente pas de renvoyer le lecteur a` sa source; il la re´sume, montrant ainsi qu’il a bien sous les yeux la Vita secunda dont il a e´galement exploite´ les deux Miracula post mortem100. D’autre part, l’auteur des Gesta de´veloppe longuement au l. III, chap. 37 la ren- contre du roi, Robert le Pieux, et de l’empereur, Henri II, a` Ivois, lieu de naissance de Ge´ry, le 10 et le 11 aouˆ t 1023 qui est, rappelons-le, le jour de la depositio du saint101. Les recherches d’Erik Van Mingroot ont montre´ que ce passage faisait encore

97 Gesta (voir n. 7), l. I, chap. 12, p. 407 (in gestis beati Gaugerici [...] legimus); ibid., l. II chap. 4, p. 456 (ut ipsius vitam legentibus liquet) et p. 457 (in illo uolumine, quod de uita ipsius inscribitur, si cui libet, poterit inuenire). 98 Sur ce point, voir Felice Lifshitz, Beyond Positivism and Genre. »Hagiographical Texts« as Historical Narrative, Viator 25 (1994), p. 95–113. 99 Voir supra n. 70 pour la pre´face; les arguments en faveur d’un meˆme auteur sont pre´sente´s par le pe`re Van den Bossche dans son commentaire aux nos 17 et 18, p. 668–669, puis furent repris par Krusch, Das Leben (voir n. 5), p. 227; Vita prima (voir n. 5), comm., p. 651; Van der Essen, E´ tude critique (voir n. 4), p. 209–210; Van Mingroot, Kritisch onderzoek (voir n. 7), p. 315–316; Ineke Van’t Spijker, Gallia du Nord et de l’Ouest. Les provinces eccle´siastiques de Tours, Rouen, Reims (950–1130), dans: Guy Philippart (dir.), Hagiographies. Histoire inter- nationale de la litte´rature hagiographique latine et vernaculaire en Occident des origines a` 1550, Turnhout 1996 (Corpus Christianorum. Hagiographies, 2), p. 239–289, a` la p. 271; ils ont aussi e´te´ de´veloppe´s par Max Manitius, Geschichte der lateinischen Literatur des Mittelalters 2, Munich 1923, p. 344–346. 100 Nous renvoyons le lecteur aux textes cite´s en annexe I. 101 Gesta (voir n. 7), l. III, chap. 37, p. 480: Hinc autem imperator egressus, ad Euosium uillam pulcherrimam, quam beati uidelicet Gaugerici natiuitas illustrauit, cum primoribus quidem suo- rum palatinorum intendit, ibi scilicet cum Rotberto rege colloquium habiturus, sed et de statu imperii, ac non tantum de mundanis uerum de spiritualibus locuturus; sapienter quippe disposito, ut in eo loco, ubi beatissimum Gaugericum nouerat ortum, eius gaudiosam festiuitatem, quae 3. Idibus Augusti est, celebrare ueniret. Qui nimirum quanto maior tanto humilior, regi Rotberto, cum ad se ueniret, in uilla Mosomo in die festo sancti Laurentii occurrere estimauit; in crastino uero sancti Gaugerici uenientem ad se cum summa ueneratione suscepit. Hoc autem tam speciale colloquium et tantae solemnitatis conuentum non est meae paruitatis euoluere; ubi quidem diu- ersarum nationum duces ac satrapae, ubi summorum et illustrium uirorum, tam episcoporum uidelicet quam et abbatum, in numero confluxere personae. Une Vita me´rovingienne et ses lectures du IXe au XIe sie`cle 183 partie de la re´daction primitive des Gesta par le chapelain de Ge´rard, pre´sent, semble-t-il, a` Ivois aux coˆ te´s de son e´veˆque qui accompagnait l’empereur102. Il n’y a donc rien d’e´tonnant a` ce que l’auteur prenne soin de relever l’heureuse coı¨ncidence du lieu et de la date de la rencontre. Cette entrevue est cependant traite´e de manie`re tout a` fait diffe´rente par l’auteur de la Vita tertia qui, lorsqu’il pre´sente le lieu de naissance de Ge´ry, apre`s un jeu de mot sur le nom de la rivie`re du Chiers et une description bucolique, se contente d’une vague allusion a` une rencontre »des rois de Gaule et de Germanie«103. Les souverains ne sont pas nomme´s, mais il est peu vrai- semblable que l’auteur ait a` l’esprit une autre rencontre que celle de 1023, qui fut de loin la plus importante a` cet endroit104. L’auteur de´veloppe ensuite un jeu de mot sur le nom du saint et rapporte qu’Ivois a de´sormais une e´glise e´difie´e en son honneur, autant d’e´le´ments absents des Gesta. Nous pensons donc aboutir aux conclusions suivantes. D’une part, la Vita Gau- gerici que cite l’auteur des Gesta est bien la Vita secunda comme l’avait de´ja` sugge´re´ Ludwig Bethmann de`s 1846. D’autre part, il est difficilement concevable que les deux textes soient de la plume du meˆme auteur, si l’on juge par la manie`re diffe´rente, tant sur le fond que dans la forme, dont est pre´sente´e la rencontre de 1023 entre Robert le Pieux et Henri II. Il faudrait pourtant aller plus loin et comprendre comment deux œuvres commande´es par Ge´rard Ier ont pu s’ignorer a` ce point, a` moins qu’elles n’aient e´te´ compose´es exactement au meˆme moment dans des e´tablissements diffe´r- ents. On doit enfin observer que l’auteur des Gesta, si soucieux de sa documentation, ne semble pas avoir eu acce`s a` la Vita me´rovingienne, ce qui pourrait donner raison aux affirmations de la Vita tertia pre´tendant que la premie`re Vie n’e´tait plus connue a` Cambrai au de´but du XIe sie`cle. Il reste a`e´voquer deux autres emprunts plus discrets que les Gesta font a` la Vita Gaugerici. L’auteur de´veloppe en effet un re´cit assez inattendu. Saint Vaast, e´veˆque

102 Van Mingroot, Kritisch onderzoek (voir n. 7); sur la rencontre d’Ivois, voir Ingrid Voss, Herr- schertreffen im frühen und hohen Mittelalter. Untersuchungen zu den Begegnungen der ost- fränkischen und westfränkischen Herrscher im 9. und 10. Jahrhundert sowie der deutschen und französischen Könige vom 11. bis 13. Jahrhundert, Cologne, Vienne 1987 (Beihefte zum Archiv für Kulturgeschichte, 26); Ead., La rencontre entre le roi Robert II et l’empereur Henri II a` Mouzon et Ivois en 1023. Un exemple des relations franco-allemandes au Moyen Aˆ ge, dans: Annales de l’Est 44 (1992), p. 3–14. 103 Vita tertia, chap. 8, p. 677: Cuius multimodas laudes etiam praeterfluens amnis, nomine Karus, non parum augmentat, qui iuxta honorem uocabuli incolis carus, illimis, uisu argenteus, piscium diues, haustu saporus , circumquaque terras opimat, plantisque quibuslibet ac seminibus alimenta subcommodans, amoena pratorum longe diffusa naturali irrigatione foecundat. Porro illuc cibo- rum inuitatoria copia, reges Galliae uidelicet et Germaniae, cum suis multis millibus de magnis rebus aliquando colloquentes ex alterutro regno ambos accersere consueuit; quia nusquam potest refectio tam caballis, quam hominibus clementior inueniri. Dignum itaque et congruum ualde fuit, ut ueri gaudii (quantum quidem ad rusticam linguam) riccitatem adeptus, in ricco etiam et gaudenti oppido nasceretur, cuius uitae et doctrinae dulcimonio quandoque filii Israe¨l dirigendi, ab aerumnis Aegypti supernae patriae repromissa gaudia sortirentur. Sed quod maiori gratiae potest conferri, ex tunc temporis quidem in honore et memoria ipsius, basilicam ipso in loco, quo natus fuerat, fidelis antiquitas dedicauit, et perennis signum testimonii posteris reseruauit. 104 La localisation des rencontres d’Henri Ier l’Oiseleur avec les grands du royaume occidental est en effet le re´sultat de conjectures. 184 Charles Me´riaux d’Arras qui est cre´dite´ d’avoir le premier gouverne´ les deux sie`ges e´piscopaux au de´but du VIe sie`cle, aurait e´te´ envoye´a` Vienne par saint Remi, incapable de voyager en raison de son aˆge, a` un synode a` l’occasion duquel Mamert aurait institue´ les Rogations105. Cette re´union n’est pas autrement connue, et la pre´sence de Vaast († 540?) dans les anne´es 470 a` Vienne est inadmissible d’un strict point de vue chro- nologique, mais on comprend aise´ment son insertion dans les Gesta: elle vise de toute e´vidence a` expliquer les origines de cette ce´re´monie que l’auteur a lue, meˆme s’il n’y fait pas re´fe´rence explicitement, dans la Vita Gaugerici. Plus loin dans l’œuvre, l’au- teur fait une mention, directe cette fois-ci, a` Ge´ry en rappelant qu’il serait apparu en songe a` l’e´veˆque Be´renger († 962/963)106. L’auteur rappelle que celui-ci avait pour- suivi en armes certains de ses ennemis jusqu’aux portes du monaste`re Saint-Ge´ry, leur permettant bien a` contre cœur de s’y re´fugier. Ce comportement violent fut sanctionne´: le saint apparut a` l’e´veˆque endormi et le frappa de sa crosse. Be´ranger ne tarda pas a` mourir des suites du coup qu’il avait rec¸u. Les the`mes sont ici clairement emprunte´s aux Miracula. Il est question de l’asile trouve´ dans un sanctuaire et d’une apparition de l’e´veˆque, meˆme si l’auteur les re´orchestre dans un re´cit qui lui est propre. De la meˆme manie`re, on constatera que Ge´ry n’est pre´sent que dans une seule Vita de saints du dioce`se, celle de sainte Waudru de Mons compose´e avant les anne´es 930, a` laquelle il apparaıˆt dans son sommeil107.

Au terme de ce premier examen du dossier hagiographique de saint Ge´ry, il convient de rappeler les quelques re´sultats auxquels nous pensons avoir abouti. Il e´tait difficile de pre´ciser davantage que ne l’avait de´ja` fait Bruno Krusch le contexte de re´daction de la Vita prima. Il nous semble ne´anmoins qu’il n’est pas sans rapport avec la situation politique de Cambrai au milieu du VIIe sie`cle dont le rat- tachement de´finitif a` la pars neustrienne du royaume, effectif a` la mort de Dag- obert Ier,ae´te´ difficilement accepte´ par les Austrasiens. Nous proposons aussi de prendre en compte la floraison de cultes dans les cite´s voisines sous l’e´piscopat d’E´ loi, a` laquelle la promotion du culte de Ge´ry peut ainsi apparaıˆtre comme une re´ponse.

105 Gesta (voir n. 7), l. I, chap. 8, p. 406; sur les Rogations, voir supra n. 24. 106 Gesta (voir n. 7), l. I, chap. 84, p. 432. 107 Vita Waldetrudis (BHL 8776), e´d. Joseph Daris dans: Analectes pour servir a` l’histoire eccle´sias- tique de la Belgique 4 (1867), p. 218–231, p. 222: Et ecce apparuit illi sanctissimus Gaugericus episcopus, nimio decore refulgens; eamque summo honore et reuerentia suscepit, deditque illi per uisionem etiam calicem uino plenum. Quem cum bibisset, sereno et hilari uultu dixit ad eam: »Age quod agis; placent enim mihi, quae facies«; sur cette Vita, voir Franc¸ois De Vriendt, Le dossier hagiographique de sainte Waudru, abbesse de Mons (IXe–XIIe sie`cle), dans: Me´moires et publi- cations de la Socie´te´ des sciences, arts et lettres du Hainaut 98 (1996), p. 1–37; Id., La tradition manuscrite de la Vita Waldetrudis (BHL 8776–8777). Les me´canismes de propagation d’un re´cit hagiographique re´gional (IXe–XVe sie`cle), dans: AnalBoll 117 (1999), p. 319–368; ainsi que, Anne-Marie Helve´tius, Abbayes, e´veˆques et laı¨ques. Une politique du pouvoir en Hainaut au Moyen Aˆ ge (VIIe–XIe sie`cle), Bruxelles 1994, p. 158, qui se demande si l’auteur n’est pas un moine de Lobbes. A` la lecture de ce passage, peut-on penser que cet auteur avait sous les yeux la Vita prima qui de´crit Ge´ry, tel qu’il se pre´sente a` Magne´ric de Tre`ves, uultu ilari, facie formonsa, decoro aspectu (chap. 3), termes qui ne figurent plus dans la Vita secunda? Une Vita me´rovingienne et ses lectures du IXe au XIe sie`cle 185

La seconde Vie du saint respecte scrupuleusement la trame du re´cit originel. Il nous a semble´ que cette attitude ne s’expliquait pas exclusivement par des pre´occupations stylistiques, mais que l’œuvre pouvait eˆtre de re´daction plus tardive, compose´e dans les anne´es 940, sous l’e´piscopat de Fulbert. A` cette date, l’inte´gration de Cambrai dans les structures institutionnelles de l’E´ glise d’Empire – dont elle e´pouse ainsi progressivement les mode`les ide´ologiques – a assure´ment exacerbe´ la lutte pour le controˆ le de la cite´ entre l’e´veˆque, jouissant de la confiance du souverain, et le comte, donnant ainsi une actualite´ nouvelle a` l’ancienne Vita dont la forme n’e´tait cependant plus au gouˆ t du jour. Il s’agirait alors d’une composition plus ›ottonienne‹ que ve´ri- tablement ›carolingienne‹. En 1024/1025, ce texte est cite´ par l’auteur des Gesta qui, par endroits, trouve plus commode d’y renvoyer son lecteur. Rien ne permet de dire que la Vita me´rovingienne ait alors servi de sources a` ces meˆmes Gesta. On pourrait cependant adopter une perspective diffe´rente en constatant aussi que, inde´pendam- ment de la situation sociale et politique, la Vita Gaugerici prima a impose´ dans l’historiographie cambre´sienne des sche´mas litte´raires qui trouve`rent leur accom- plissement dans les Gesta, en grande partie structure´s autour du conflit entre l’e´veˆque et le comte, puis l’e´veˆque et le chaˆtelain. La Vita tertia est une œuvre bien diffe´rente. Le luxe du paratexte et la diffusion confidentielle pourraient faire penser a` une œuvre scolaire de la plume d’un jeune clerc de l’entourage de Ge´rard Ier. L’inte´reˆt du texte vaut surtout pour le re´cit des origines de Saint-Ge´ry et l’introduction d’informations nouvelles. Leur vraisem- blance pose le proble`me des sources dont l’auteur aurait eu connaissance et qu’a` ce stade de la recherche, il nous paraıˆt difficile d’e´lucider de fac¸on satisfaisante. On perc¸oit en revanche assez bien les buts que visait ce remaniement: justifier les droits de l’e´veˆque sur l’e´tablissement tout en distillant quelques re´flexions pastorales sur le statut des se´pultures dont on discutait pre´cise´ment dans les anne´es 1020. Il reste de´sormais a` poser une dernie`re question: en l’absence de la Vita prima, l’expertise des diffe´rentes strates de re´e´criture auraient-elles permis de conclure a` l’existence d’un hypotexte me´rovingien qu’elles ne citent pas? Il nous semble que oui, mais cette conclusion repose aussi sur un contexte local particulier qui a pousse´ le premier remanieur a` respecter scrupuleusement son mode`le. Gabriel Sanders avait fait un constat similaire a` propos des Vitae Bathildis. Il n’est pas e´vident qu’une telle re´ponse puisse eˆtre apporte´e partout. 186 Charles Me´riaux

Annexes

I. LES ORIGINES DE SAINT-GE´ RY

Les passages communs a` la Vita secunda et aux Gesta sont en italiques.

1. Vita BHL 3286; e´d. Krusch, chap. 13, p. 657: Egit autem beatus pontifex episcopatum suum cum digna ueneratione triginta et nouem annos feliciter; semper tamen se multis uirtutibus publicauit. Obiit III. Id. Aug., auxiliante Domino, in pace et sepultus est in basilica sancti Medardi, quem ipse uiuens edificare iussit in loco, unde idola distruere procurauit, que est in oppido Camaracinse ciuitate.

2. Vita BHL 3287; e´d. Van den Bossche, chap. 14, p. 674–675: Rexit igitur uenerandus praesul praedictam Cameracensium ecclesiam annos circiter XXXIX; insignis uirtutibus, et miraculis coruscans, fide integer, operibus indefessus, animumque licet quasi arcum semper haberet intentum, uiribus tamen corporis desti- tutus, aetate prouectus, in senectute bona plenus dierum in pace sanctae Dei ecclesiae tertiis Idibus Augusti quieuit, et appositus est ad patres suos. Sepultus est autem in basilica, quae est in montis uertice, ab ipso sancto uiro in honore beati Medardi constructa; estque locus ipse haud procul ab urbe Cameracensi ritibus daemonum priscis temporibus ab idolatris ad subuersionem animarum dedicatus; unde uir Domi- ni Gaugericus gaudenter memorandus idola expulit, lucum succidit, et locum spur- citiis deditum fecit orationis at sacrificii domum: est etenim et memoria uiri Dei uene- rabilis locus, et celeberrimis nundinis longe lateque institorum ore uulgatus: ubi etiam usque in hodiernum diem beneficia incessanter praestantur diuina ad laudem et gloriam Domini nostri Iesu Christi, qui cum Patre et Spiritu sancto uiuit et regnat Deus per omnia secula seculorum. Amen.

3. Gesta episcoporum Cameracensium,e´d. Bethmann, l. II, chap. 4, p. 456: Tempore namque huius pontificis, ut ipsius uitam legentibus liquet, in uertice montis ubi nunc monasterium est, habebatur ueteris dementiae lucus, ritibus uidelicet demo- nicis priscis temporibus ad subuersionem animarum ab idolatris dedicatus. Unde uir Domini gaudenter memorandus, diuino consilio afflatus, lucum succidere estimauit, atque idolis stirpitus euersis, basilicam in honore beati Medardi construxit. Sicque locum spurcitiis deditum fecit orationis et sacrificii domum, sane sibi preuidens inibi suae dormitionis mausoleum et gratae mansionis habitaculum. Cum enim post tri- gesimum nonum sui episcopii annum cunctipotens Rex, sed et dispunctor largissi- mus suum militem fortissimum sudoribus suis responsurus ad remunerationem uocasset: in eadem basilica, ut ante destinauerat, honorifice tumulatus resurrectionis Une Vita me´rovingienne et ses lectures du IXe au XIe sie`cle 187 diem expectat. Mox igitur reges et principes ac potentissimi quique, signis et prodigiis quibus ante obitum multifarie coruscauerat excitati, ac multo amplioribus, quae per eius merita misericors et miserator Dominus post obitum indesinenter operari digna- tus est, attoniti, ad sanctissimi uiri sepulchrum diuersis ex partibus confluxerunt, tantique uiri patrocinio sese iuuari implorantes, opulentissima munera obtulerunt. Statimque ex affluentia rerum cum omni sedulitate monasterium ampliatur, fratrum- que numerosa cohors ad seruiendum Deo et suo sanctissimo confessori imperpetu- um delegatur. Haec autem domus, in montis supercilio sita, aperte insinuare uidetur ipsum uidelicet mansorem egregium semper terrena calcasse, caelestibus toto desi- derio inhiasse. Exin uero locus ex diuersi generis ope ditatur, multisque beneficiis uirorum bonorum adeo augmentatur, ut non modo circum et circa uiciniam crassi- ores uberioresque uillarum colonias, uerum in longe remotis regionibus, ut scripta quae in archiuo aecclesiae sunt attestantur, diuersa et ut ita dicam totius generis emolumenta donarent. Qui locus olim tam eligantia quam tota oportunitate pree- minens, uniuersae prouinciae gratiam multiplicem et maximum honorem prestabat, urbemque excellentia suae dignitatis quamplurimum insignibat. Erat enim ueneranda atque regalis abbatia, ex omni sufficientia florens, cuius multiplici gratiae nihil con- ferre putares.

4. Vita BHL 3289; e´d. Van den Bossche, l. III, chap. 56–57, p. 686–687108: [56] Interea uero beatus pontifex aetate senescens, uitaeque praesentis occubitum imminere praenoscens, sepulchrum sibi cum summa diligentia prouidere curauit; et cum adhuc salutis integer uiueret, sacrum suae dormitionis mausoleum digno et competenti aedificio titulauit; quia nimirum, ut se haberet philosophorum sententia, mortis meditatio est tota sapientum uita. Nam prope moenia ciuitatis, ab ortu uide- licet solis, mons quidam in sublime porrigitur, ex omni parte tunc temporis saltuosus; olim uero, iuxta relationem ueterum, nefariis daemonum cultibus mancipatur: ipsa etenim species rerum et quaedam uestigia, quae etiam adhuc cernebantur, errorum, fidem dabant non modicam testimonio fabulonum, qui eum astruunt Bublemontem composito nomine appellatum, uel a bubus utique, uel etiam ceteris animalibus, quae immolabantur sacrificiis idolorum. Hunc siquidem locum suae sepulturae commo- dum praesul praeuidens, adamauit, et a suo quodam burgario qui eum possederat, numerata pecunia comparauit, patriarcham scilicet imitatus, qui emerat ab Ephron speluncam duplicem in possessione sepulchri. [57] Quem etiam nouare et meliorare disponens, conductis operariis, lucum suc- cidit, ferarum latibula et daemonum fana subuertit, omnique spurcitia et impietate supplosa, in supercilio basilicam fabricauit; quam denique ex rebus propriis pro opportunitate dotatam in sanctorum confessorum Medardi et Lupi, quorum semper reliquias speciali more secum portabat, honore memoria consecrauit; et constitutis fratribus in perpetuum seruituris fratrem suum Landonem abbatem praefecit. In qua nimirum basilica, ut longe ante prouida meditatione disposuit, monumentum sibi de

108 Ce re´cit a ensuite e´te´ brie`vement repris a` la fin du XIIe sie`cle par un chanoine de Saint-Ge´ry dans la Continuatio des Gesta consacre´e aux e´veˆques Manasse`s et Gaucher: cf. e´d. cite´e n. 7, p. 501. 188 Charles Me´riaux nouo et exquisitissimo lapide fecit excudi; et, quomodo adhuc apparet cernentibus, in subterranea cryptula pulchre et artificiose composita collocauit, illud quidem Daui- dicum commemorans: »Haec requies mea in seculum seculi; hic habitabo, quoniam elegi eam« [Ps 132 (131) 14]. Postea uero suos non tam imperio coarctauit, quam prece blandissima et fraterna monitione petiuit, ut post naturae uinculum dissolu- tum, cum de labore huius uitae migraret ad sabbatum, in hoc quasi quodam terrae matris gremiolo non eius grauarentur sepelire corpusculum, eo usque corruptibiliter dormiturum, donec, uocante Domino, resurgat incorruptibile ad sabbatum sabba- torum.

II. LISTE PROVISOIRE DES MANUSCRITS DES TROIS VITAE GAUGERICI

Vita BHL 3286

Manuscrits indique´s par Bruno Krusch: 1. [1a] Munich, BSB Clm 14364 Ratisbonne, abbaye Saint-Emmeran, deuxie`me tiers du IXe sie`cle 2. [1b] Chartres, BM 27 (68) Chartres, abbaye Saint-Pierre, XIIe sie`cle 3. [1b*] Paris, BNF lat. 5296 XIIIe sie`cle 4. [1b**] Paris, BNF lat. 15437 Autrefois conserve´a` Paris, e´glise Saint-Marcel, XIIe sie`cle 5. [2a] Bruxelles, BR 7984 Wissembourg, abbaye Saint-Pierre, Xe sie`cle 6. [2a] Zürich, Zentralbibliothek C 10 i = Passionarium maius de Saint-Gall, IXe–Xe sie`cle 7. [2b] Paris, BNF lat. 9742 Tre`ves, abbaye Saint-Maximin, XIIIe sie`cle 8. [2c] Bruxelles, BR 9636 Lie`ge, abbaye Saint-Laurent, XIe–XIIe sie`cle 9. [2c*] La Haye, BR I. 3 XIVe sie`cle 10. [2d] Bruxelles, BR 98–100 (3132) Le´gendier per circulum anni de la re´gion rhe´nane (Knechtsteden?), XIIIe sie`cle Une Vita me´rovingienne et ses lectures du IXe au XIe sie`cle 189

11. [2e] Wolfenbüttel, Herzog-August-Bibliothek 404.2 (6) Novi France, XIIe sie`cle 12. Paris, BNF lat. 12612 XIIIe sie`cle

Manuscrits non indique´s par Bruno Krusch: 13. Wurzbourg, Juliusspital-Pfarrei (en 1910) Wissembourg, abbaye Saint-Pierre, fin du XIe sie`cle Feuillets d’un le´gendier utilise´ dans la reliure d’un registre de la fin du XVIe sie`cle de´crits par J. Hefner, Würzburger Legendarfragmente aus dem 11. Jahrhundert, dans: Historisches Jahrbuch 31 (1910), p. 56–65. 14. Londres, BL Harley, 2801 Arnstein, Abbaye Sainte-Marie, fin du XIIe sie`cle 15. Vatican, Lat. 8565 Malme´dy, abbaye Saint-Pierre, XIe-XIIe sie`cle 16. Vienne, ÖNB Ser. N. 12754 Corsendonck, abbaye Notre-Dame, XVe sie`cle

Vita BHL 3287 L’aste´risque signale les exemplaires du Le´gendier de Flandre et ses collections de´ri- ve´es.

Manuscrits comprenant la Vita et les Miracula 1. Vatican, Palat. lat. 582 Mayence, Saint-Martin, deuxie`me moitie´ du Xe sie`cle 2. Luxembourg, BN 97 Echternach, abbaye Saint-Willibrord, XIe sie`cle 3. Cologne, HA, W 163 Lie`ge, Abbaye Saint-Jacques, XIe-XIIe sie`cle 4. Bruxelles, BR 7482 (3180) [P. 155 chez les anciens Bollandistes] XIIIe sie`cle

Manuscrits comprenant la Vita seule 5. Douai, BM 867 Marchiennes, Abbaye Saint-Rictrude, XIe sie`cle 6. Bruxelles, BR II 992 (3292) [Phillips 8391] Abbaye Saint-Ghislain, XIe sie`cle 190 Charles Me´riaux

7. Paris, BNF lat. 18300 XIe sie`cle 8. Bruxelles, BR 18018 (3239) Lobbes, abbaye Saint-Pierre, fin du XIe sie`cle 9. Londres, BL Cotton Nero E. I, § I, part II Worcester, deuxie`me quart du XIIe sie`cle 10. Cambrai, BM 1224 (1097 et 1209) Cambrai, Chapitre cathe´dral ou Saint-Ge´ry, milieu du XIIe sie`cle 11. Douai, BM 837 Anchin, Abbaye Saint-Sauveur, XIIe sie`cle 12. Arras, BM 14 (23) Mont-Saint-E´ loi, Abbaye Saint-Vindicien, XIIIe sie`cle 13. Arras, BM 573 (462) Arras, Abbaye Saint-Vaast, XIIIe sie`cle 14. *Bruges, SB 404 Ter Doest, XIIIe sie`cle, apre`s 1211 15. *Saint-Omer, BM 716, t. V Clairmarais, Abbaye Notre-Dame, de´but du XIIIe sie`cle 16. *Le´gendier de Cambron, XIIIe sie`cle, t. E: vol. perdu 17. *Le´gendier d’Arrouaise, XIIIe sie`cle, t. V: vol. perdu 18. *Cambrai, BM 856 (760) Cambrai, abbaye Saint-Aubert, XIIIe sie`cle 19. *Le´gendier de Saint-Jean de Valenciennes, XIIIe sie`cle, t. III: vol. perdu 20. *Newcastle BU 1, XIIIe sie`cle? 21. Bruxelles, BR II 1151 (3300) [Phillipps 4768] Cambron, Abbaye Sainte-Marie, XIIIe sie`cle 22. Cambrai, BM 1338 (1190) XIIIe sie`cle 23. Douai, BM 151, t. II Marchiennes, Abbaye Sainte-Rictrude, dernier quart du XIIIe sie`cle 24. Arras, BM 344 (961) Arras, Cathe´drale, XIVe sie`cle 25. Bruxelles, BR 9070–9077 (1350) Cambrai (?), premie`re moitie´ du XIVe sie`cle Une Vita me´rovingienne et ses lectures du IXe au XIe sie`cle 191

26. Douai, BM 848 1438 27. Berlin, SBPK Theol. lat., fol. 706 Le´gendier d’Hermann Greven, chartreux a` Cologne, XVe sie`cle

Vita BHL 3289

1. Cambrai, BM 865 (768) Le Cateau, abbaye Saint-Andre´, premie`re moitie´ du XIe sie`cle 2. Cambrai, BM 864 (767 II) Cambrai, abbaye Saint-Se´pulcre, 1076–1092 3. Bruxelles, BR 9070–9077 (1350) Cambrai (?), premie`re moitie´ du XIVe sie`cle

CHRISTIANE VEYRARD-COSME

La Vita me´rovingienne de Maximin de Tre`ves a` travers sa re´e´criture par Loup de Ferrie`res Hypotexte ou pre´texte?

Servat Loup (805–862) est un Franc de l’Ouest, sans doute d’origine germanique. Il entre au monaste`re de Ferrie`res, puis a` l’abbaye de Fulda, parfait sa formation en the´ologie aupre`s de Raban Maur, de 828 a` 836. Auteur d’une se´rie de traite´s1, il compose e´galement deux œuvres hagiographiques respectivement intitule´es Vita Wigberti et Vita Maximini et laisse une correspondance dans laquelle la critique s’est plu a` relever les indices d’une passion pour les auteurs anciens2 qui, d’apre`s l’un de ses e´le`ves de Ferrie`res, He´ric d’Auxerre, transparaissait dans son enseignement et dans la queˆte des manuscrits qu’il mena jusqu’a` sa mort3. Ces points justifient le qualificatif d’humaniste ou de pre´-humaniste que lui ont notamment de´cerne´, avec quelques nuances, Louis Holtz et Antonio Romano4, et, dernie`rement, Alberto Ricciardi dans l’ouvrage qu’il a consacre´a` la correspondance de Loup5.

1 On rele`ve, en particulier, le »Traite´ sur les me`tres de Boe`ce« et le »Livre sur les trois questions«, compose´a` la demande de Charles le Chauve: voir Le´on Levillain, Loup de Ferrie`res. Corres- pondance, Paris 1927 (Les classiques de l’histoire de France au Moyen Aˆ ge, X), p. VI–VII, et Wolfgang Buchwald, Armin Hohlweg, Otto Prinz (dir.), Dictionnaire des auteurs grecs et latins de l’Antiquite´ et du Moyen Aˆ ge, trad. et mise a` jour Jean-Denis Berger et Jacques Billen, Brepols 1991, p. 262 et p. 525–526. 2 Voir Antonio Romano, L’opera agiografica di Lupo di Ferrie`res. Testo critico, trad. e note della Vita Maximini e, in appendice, testo e trad. della Vita Wigberti, Galatina, Congedo 1995, p. 17. 3 Voir He´ric, Poe`mes, MGH, Poetae Latini aevi Carolini, III, 2, 1896, p. 427, texte cite´ par Levil- lain (voir n. 1, p. VII–VIII): Hic praeceptorum sunt ludicra pulchra duorum Quis ego praesulibus ingenium colui. His Lupus,his Haimo ludebant ordine grato, Cum quid ludendum tempus et hora daret. Humanis alter, divinis calluit alter. Excellet titulis clarus uterque suis. 4 Voir Louis Holtz, L’humanisme de Loup de Ferrie`res, dans: Claudio Leonardi (dir.) Gli umanesimi medievali, Firenze 1998 (Millenio Medievale, 4), p. 201–213, ici p. 202, qui voit en Loup un »intellectuel de la troisie`me ge´ne´ration carolingienne« he´ritier d’Alcuin, maıˆtre de son maıˆtre Hraban Maur. Pour Romano, Lupo di Ferrie`res, un umanista nel IX secolo, dans: ibid., p. 583–589, Loup se distingue par son entreprise de collations et de critiques textuelles, par le style classique et e´le´gant de sa correspondance (p. 583). Mais le chercheur revient sur les e´qui- voques possibles du terme »humaniste« (p. 584), en relevant les lacunes de ses connaissances en lettres anciennes. Sur ce dernier point, voir Roger Garie´py, Lupus of Ferrie`res’ Knowledge of Classical Latin Literature, dans: Guy Cambier (dir.), Hommages a` Andre´ Boute´my, Bruxelles 1976 (Latomus, 145), p. 152–158. 5 Voir Alberto Ricciardi, L’Epistolario di Lupo di Ferrie`res. Intellettuali, relazioni culturali e politica nell’eta` di Carlo il Calvo, Spoleto 2005. 194 Christiane Veyrard-Cosme

En e´tudiant la re´e´criture de la Vie de Maximin compose´e par Loup, nous aimerions nous interroger sur la place que l’e´criture du carolingien accorde a` l’hypotexte ou texte de base et la manie`re dont l’e´criture de Loup laisse encore transparaıˆtre ou modifie les donne´es spe´cifiques du texte me´rovingien que nous taˆcherons de re´per- torier. Pour ce faire, nous esquisserons dans un premier temps une comparaison des trames narratives, puis, dans un deuxie`me temps, soulignerons la modification de la perspective textuelle adopte´e par Loup, avant de montrer, dans un troisie`me et der- nier point, comment l’hypertexte ou texte re´e´crit, innovant par rapport a` son hypo- texte, consacre la naissance d’une conscience d’auteur-narrateur.

I. ESQUISSE COMPARATIVE DES TRAMES NARRATIVES

1. Un hypertexte unique pour un unique hypotexte

Loup a environ trente ans lorsqu’il compose sa re´e´criture de la Vita Maximini. Par une notation des plus rares en hagiographie me´die´vale6, la date de composition de l’œuvre, l’an 839, est indique´e par une remarque du narrateur au terme de la Vita7:

Ceterum, si uelimus, et hac et multiplici Du reste, en admettant que nous voulions aliarum uirtutum specie quotiens floruerit, de´crire en nos lignes tous les autres miracles, usque ad hunc annum, quo scribimus, hoc est nombreux et varie´s par lesquels il s’illustra, ab incarnatione Domini octingentesimum jusqu’a` la pre´sente anne´e ou` nous e´crivons, l’an tricesimum nonum, stili officio designare, nec 839 de l’Incarnation du Seigneur, l’espace d’un modum libri tenebimus et erudito lectori livre ne nous suffirait point et le lecteur cultive´ minus erimus grati, dum similia frequenter nous serait bien peu gre´ de relater a` maintes narrabimus. reprises des faits qui se ressemblent.

En s’inte´ressant au personnage de Maximin, Loup aborde le parcours d’un e´veˆque que Gre´goire de Tours lui-meˆme ce´le`bre comme episcopus potens in omni sanctitate dans les Histoires I, 37. E´ veˆque de la Gaule du IVe sie`cle, ne´a` Silly en Aquitaine a` la fin du IIIe sie`cle et mort probablement en 346, Maximin est feˆte´ le 29 mai d’apre`s les martyrologes. Mais une autre tradition donne comme dies obitus le 12 septembre, date correspondant en fait a` sa translatio. Ce´le`bre pour ses combats contre l’arianisme, e´veˆque de Tre`ves en 332, il est e´ga- lement passe´a` la poste´rite´ pour avoir accueilli saint Athanase, alors en exil, et son amitie´ avec ce dernier est mentionne´e par Je´roˆ me dans son Chronicon pour l’an 343.

6 Nous remercions Franc¸ois Dolbeau d’avoir attire´ notre attention sur ce point lors de la discus- sion qui a suivi notre communication. 7 Voir l’hypertexte, la re´e´criture de Loup dore´navant appele´e Vita II (BHL 5824), e´d. Bruno Krusch, MGH, SRM III, 1896, p. 74–82, ici § 25, p. 82. La Vita me´rovingienne de Maximin de Tre`ves 195

C’est a` l’initiative de son successeur au sie`ge e´piscopal que sa de´pouille est transfe´re´e d’Aquitaine (son tombeau originel se trouvait en l’actuelle Mouterre-Silly, a` proxi- mite´ de Loudun) a` Tre`ves, en la basilique Saint-Jean qui deviendra Saint-Maximin. En se proposant de re´e´crire la Vita de ce saint homme, que l’iconographie repre´- sente le plus souvent en compagnie d’un ours, allusion a` l’un des e´pisodes les plus connus de sa vie, Loup n’a qu’un seul pre´de´cesseur en hagiographie: le re´dacteur anonyme d’une vie compose´e mi-VIIIe sie`cle (BHL 5822), dont le texte a e´te´ publie´ dans les Acta sanctorum par Henschen d’apre`s un manuscrit de la bibliothe`que de Saint-Victor de Paris et est suivi, dans cette meˆme e´dition, d’une relation de miracles mise par e´crit en 962 par un moine de Saint-Maximin de Tre`ves nomme´ Sigehard8. Le manuscrit de Saint-Victor est actuellement connu sous la cote BNF lat. 150299. Il s’agit d’un manuscrit du XIIe sie`cle, de 159 folios, qui s’ouvre sur deux textes con- sacre´s a` saint E´ tienne, puis, aux folios 14r–21v, comporte la Vita sancti Maximini anonyme, et enfin offre un Liber in quo plures legendae sanctorum aux folios 22 a` 87, date´ du XIIIe sie`cle. L’hypertexte, lui, nous est transmis par trente-neuf te´moins manuscrits (deux du XIe sie`cle – Wien, Österreichische Nationalbibl. 576 et Montpellier, BU Fac. Me´d., M. 48 –; un du XIe/XIIe, dix du XIIe, dix du XIIIe, trois du XIVe, dix du XVe, deux du XVIe et un du XVIe/XVIIe sie`cle10). Enfin, si Loup n’eut qu’un seul pre´de´cesseur hagiographe sur Maximin, il n’eut aucun successeur sur ce sujet. Nous sommes donc en pre´sence d’une re´e´criture unique (BHL 5824) d’un texte me´rovingien (BHL 5822).

2. Analyse globale des trames Le texte me´rovingien pre´sente les caracte´ristiques suivantes: sur ses quinze paragra- phes, distribue´s en deux chapitres, un paragraphe bref sert de prologue; le parcours ante mortem du saint est e´voque´ en trois paragraphes seulement, dont un, plus long que les deux autres, relate le miracle de l’ours. De`s la fin du paragraphe 4, la mort de Maximin intervient, re´sume´e sous forme de re´cit d’e´ve´nements11:

Denique sanctus Dei Maximinus, Enfin, le saint de Dieu, Maximin, quitta son Treuirorum archiepiscopalem relinquens sie`ge archie´piscopal de Tre`ves pour se rendre sedem, ad patriam rediit, amore scilicet dans sa patrie, pousse´ par son amour pour ses fratrum, Pictauensis antistitis Maxentii et fre`res l’e´veˆque de Poitiers Maxence et Maxime, Maximi, quos illic reliquerat quando Galliam qu’il avait laisse´s la`-bas quand il e´tait venu en adiit: uisitatisque fratribus, illic uitam Gaule. Apre`s avoir rendu visite a` ses fre`res,

8 Voir le texte me´rovingien de la Vita Maximini, cite´e de´sormais e´ventuellement sous l’appellation Vita I (5822), en AASS, Maii VII, p. 21–24. 9 Nous tenons a` remercier ici Anne-Marie Turcan-Verkerk dont les conseils nous ont permis de retrouver la cote actuelle du manuscrit de la Vita I. 10 Voir Romano, L’opera agiografica (voir n. 2), p. 47–48. 11 Voir Vita I, § 4, col. 22. 196 Christiane Veyrard-Cosme ultimam, dictis simul et actibus decoratam, c’est la`-bas qu’il ve´cut la fin d’une vie qui devait finiuit. Sic praesul culmina coeli laetus sa parure a` ses paroles et a` ses actes. C’est ainsi ascendit; quantusque sanctorum chorus suaue que l’e´veˆque monta, dans l’alle´gresse, dans les canentium huic fuerit animae comitatus, hauteurs ce´lestes; et la douceur des chants humana nequit lingua referre: mortuusque qu’entonnait le chœur des saints pour est praesul in praefata prouincia, et sepultus accompagner son aˆme, la parole humaine ne est in coenobio quod situm est in Pictauensi saurait la rendre; l’e´veˆque mourut dans la dite parochia, annis suae ordinationis province et fut enseveli dans le monaste`re qui se septemdecim transactis, diebusque triginta. trouve dans le dioce`se de Poitiers, dix-sept ans et trente jours apre`s son ordination.

Les paragraphes 5, 6 et 7, beaucoup plus de´veloppe´s, retracent la lutte entre Aquitains et fide`les de Tre`ves venus re´clamer le corps. Le chapitre II, comportant les paragraphes 8 a` 15, mentionne les miracles ope´re´s post mortem et met en avant, aux paragraphes 12 et 13, Charles Martel, be´ne´ficiaire d’une gue´rison, et Pe´pin, dont l’entourage va be´ne´ficier, avec succe`s, a` plusieurs reprises, d’exorcismes. Les re´cits de miracle pre´cisent le nom des be´ne´ficiaires et sont circonstancie´s. Le dernier paragraphe s’ache`ve, sans surprise, sur la mention de la basilique Saint- Maximin de Tre`ves, qui est, de fait, l’alpha et l’omega d’un re´cit destine´a` promouvoir un groupe et un lieu de pe`lerinage, bien plus qu’un individu12. L’hypotexte n’avance toutefois aucune allusion au miracle attribue´a` Maximin par Gre´goire de Tours en Gloire des Confesseurs, 91 (BHL 5825) – il s’agit du miracle d’Arbogast et du Franc. De fait, le texte de Gre´goire, comme nous l’a indique´ Martin Heinzelmann, n’est gue`re transmis avant la fin du VIIIe sie`cle, e´poque a` laquelle commence la tradition manuscrite de l’œuvre hagiographique de l’e´veˆque de Tours; le silence observe´ sur ce miracle par l’hagiographe me´rovingien tendrait donc a` confir- mer la datation de la Vita I, ante´rieure a` 750. Or, Loup ne mentionne pas plus ce miracle, alors meˆme qu’a` son e´poque, en revanche, le texte de Gre´goire est bien

12 Voici le tableau re´capitulatif que l’on peut dresser de ce chapitre:

Paragraphes du chapitre II Miracle (type et contenu)

8 Gue´rison: aveugle de´livre´ de ce´cite´ 9 Miracle portant sur objet: justification du transfert de la de´pouille 10 Gue´rison: femme au pied paralyse´ gue´rie 11 Exorcisme collectif 12 Gue´rison: be´ne´ficiaire Charles Martel 13 Exorcismes: les be´ne´ficiaires sont des membres de l’entourage de Pe´pin (a` l’initiative de ce dernier) 14 Miracle sur les e´le´ments: tempeˆte apaise´e 15 Exorcisme: un homme en proie au de´mon dans la basilique Saint-Maximin La Vita me´rovingienne de Maximin de Tre`ves 197 connu. Sans doute n’a-t-il pas juge´ bon de l’inse´rer en raison d’e´le´ments »fabuleux«, pour reprendre le jugement exprime´ par Loup dans sa lettre de de´dicace. En regard de la trame de l’hypotexte, la re´e´criture de Loup, avanc¸ant vingt-cinq paragraphes auxquels s’ajoute une lettre de de´dicace adresse´e au commanditaire, Waldo de Saint-Maximin, est distribue´e selon le plan suivant, la lettre e´tant hors- texte: les huit premiers paragraphes concernent le parcours ante mortem du saint; l’e´pisode de la lutte entre Aquitains et de´le´gue´s de Tre`ves, prenant place dans les paragraphes 9 a` 13, n’en constitue cependant pas l’unique point d’attention: le de´rou- lement du re´cit accorde en effet une large place aux miracles qui jalonnent le transfert du saint et sa progression vers Tre`ves. Il s’agit donc du deuxie`me grand temps de la Vita re´e´crite. Puis, a` partir du paragraphe 14, tout en respectant la trame de l’hypotexte, Loup inse`re un re´cit de gue´rison inconnu de l’hypotexte, peut-eˆtre sur la base d’archives, dans la courte notice du paragraphe 18. L’hagiographe marque toutefois une pause narrative et consacre un long de´velop- pement, le paragraphe 20, a` de´gager la spe´cificite´ des miracles de pre´dilection du saint13:

Maxima sunt haec et Deo, qui per seruos suos Tre`s grands sont les miracles, et dignes de Dieu operatur, digna miracula atque celebri qui œuvre par l’interme´diaire de Ses serviteurs praeconio ad posteros transmittenda; uerum et ils doivent eˆtre transmis a` la poste´rite´ par un illud scrupulosius est considerandum, quod he´raut ce´le`bre; mais ce que l’on doit examiner praeter tantam ubertatem uirtutum perinde avec la plus grande attention, c’est le fait qu’en quasi speciali gratia fugandorum daemonum dehors d’une si grande abondance de miracles, potestas beato Maximino permissa est, quod la possibilite´, comme par une graˆce spe´ciale, de ex consequentibus facile apparebit. Dixerunt mettre en fuite les de´mons fut accorde´e a` saint hinc melius alii, quos uitae sinceritas Maximin, phe´nome`ne qui apparaıˆtra aise´ment caelestium fecit conscios archanorum; de ce qui suit. D’autres, auxquels la since´rite´ de ceterum meae tenuitati uidetur, hunc uirum leur vie a donne´ de connaıˆtre les myste`res ea causa illud priuilegium meruisse, quod, ce´lestes, l’ont dit mieux que moi; mais mon es- dum communem uitam ageret, ab his prit, malgre´ sa faiblesse, pense que cet homme a praecipue fuerit uitiis alienus, quibus me´rite´ ce grand privile`ge parce que, tout en apostatae spiritus elegerunt inconuertibiliter menant la vie de tous, il e´tait e´tranger aux vices mancipari, superbia uidelicet atque inuidia, dont les esprits apostats ont choisi, sans retour aequumque uisum fuisse diuino consilio, ut possible, de se faire les esclaves, l’orgueil et qui superbiam humilitate deiecerit, inuidiam l’envie, et que par conseil divin il avait semble´ contriuerit caritate, dominium possideat juste que, puisqu’il avait e´crase´ l’orgueil par son illorum, qui suo deprauati arbitrio, ad humilite´, avait foule´ aux pieds l’envie par la memoratas uirtutes numquam aspirare charite´, il posse´daˆt une domination sur ceux consentiant. qui, dans la perversion de leur volonte´ propre, ne consentent jamais a` aspirer aux vertus dont nous avons fait me´moire.

13 Voir Vita II, § 20, p. 81. 198 Christiane Veyrard-Cosme

Les exorcismes relate´s aux paragraphes 21 a` 23, touchant a` Charles Martel et a` l’en- tourage de Pe´pin, sont conserve´s dans leur ordre chronologique d’apparition. Le dernier, au paragraphe 24, insiste sur l’aspect collectif de l’exorcisme, comme le montre son introduction: et ut a singulis ad turbam liberatorum transeamus. Le dernier paragraphe inscrit dans une de´marche d’historien le re´cit re´e´crit14 et insiste sur l’espe´rance de´gage´e par ce parcours pour tout homme, point que la Vita I ignore15:

In fine igitur nostri opusculi in commune Au terme de notre petit ouvrage, implorons beati Maximini clementiam flagitemus, ut tous ensemble la cle´mence de saint Maximin, en qui subinde ab aliis infirmitates depulit lui demandant, a` lui qui chassa les maladies du corporum, multo maxime liberare nos corps des autres, de daigner bien plus encore dignetur a languoribus animarum, ostendens nous de´livrer des langueurs de notre aˆme, et de in hac etiam parte, quantum praeualeat: quo montrer sur ce point la force de sa puissance. nunc peccatorum ueniam consecuti, Afin qu’apre`s avoir obtenu le pardon de nos quandoque illius gloriam conspicere, pe´che´s, nous me´ritions, tout en contemplant sa gaudentes etiam propria sorte, mereamur. gloire, de nous re´jouir de notre propre sort.

Si l’hypertexte suit donc la trame narrative de l’hypotexte, il ne s’en distingue pas moins par les de´veloppements argumente´s qui s’interrogent sur la spe´cificite´ et la signification des miracles ope´re´s par Maximin. Toutefois, la re´e´criture de Loup se fait dans une perspective textuelle diffe´rente.

II. DES PERSPECTIVES TEXTUELLES DIFFE´ RENTES DE L’HYPOTEXTE AU PRE´ TEXTE

1. Modification ge´ne´rique du type textuel

La re´e´criture s’accompagne d’une modification ge´ne´rique du type textuel: en effet, l’hypotexte anonyme se pre´sente comme un discours tenu devant les moines de l’abbaye de Saint-Maximin de Tre`ves. L’hypotexte s’ouvre sur un prologue bref, avanc¸ant des marques phatiques16:

Deo, in sanctis suis signa atque prodigia A` Dieu qui ope`re signes et miracles par Ses mirabiliter operanti, ab omni christianorum saints d’admirable manie`re, le peuple chre´tien populo indesinentes referri gratiae debent; tout entier doit, sans discontinuer, rendre

14 Voir § 25, p. 82. 15 Ibid. 16 Voir § 1, col. 20. La Vita me´rovingienne de Maximin de Tre`ves 199 maxime istis diebus in quibus sanctorum graˆces; et tout particulie`rement en ces jours ou` aliquorum annua celebratur dies. l’on ce´le`bre l’anniversaire des saints. Voila` Quapropter de uirtutibus siue miraculis quas pourquoi, des vertus ou miracles que le Sei- Dominus per beatum dignatus est operari gneur a daigne´ ope´rer par l’interme´diaire du Maximinum, caritati uestrae, carissimi bienheureux Maximin, nous avons de´cide´, tre`s fratres, pauca enarrare decreuimus ut chers fre`res, d’en raconter par le menu exemplo instituti ipsius felicitatem ardentius quelques-uns a` votre charite´, afin qu’instruits a` adipiscamini aeternam. son exemple, vous ayez plus d’ardeur a` gagner la fe´licite´e´ternelle qui est la sienne.

En d’autres points de la Vita, on rele`ve des indices qui vont dans le meˆme sens: la premie`re personne de l’encomiaste, ce´le´brant les vertus du saint en un discours pan- e´gyrique, est souligne´e par des expressions a` l’exemple de celle qui ouvre le para- graphe 3, expressions construites sur un meˆme sche´ma17: Nec hoc silendum arbitror quod ipse uenerabilis pontifex Maximinus synodum congregauit. Ces formulations, dont nous avons eu l’occasion d’e´tudier ailleurs l’origine psal- mique et la porte´e18, introduisent le contenu de la louange qui livre la structure des relations entre Dieu, hagiographe et communaute´. L’hypotexte comprend ainsi plu- sieurs formes d’invitatoires encadrant les se´quences. Nous sommes en pre´sence d’un sermon dont le noyau est la ce´le´bration, au-dela` du saint, d’un lieu et d’une cite´, Tre`ves, d’une institution et d’une communaute´. Le locuteur a` la premie`re personne est le porte-voix d’un groupe qui ce´le`bre tout a` la fois un saint patron et le groupe lui-meˆme. La Vita I offre un syste`me e´nonciatif qui est essentiellement discours comme le montre le repe´rage des modalite´s e´nonciatives (exclamations, interrogations), des actes de langage corre´latifs (de´ploration, exalta- tion), des figures d’e´locution associe´es. De plus, le je qui intervient n’est pas biogra- phique mais sujet universalisable. Proche du je lyrique, la voix de l’hagiographe est une voix sans corps, qui se laisse revisiter par celui qui de´clame, ou re´cit et ne s’inscrit pas dans le texte comme entite´. La re´e´criture de Loup, elle, est pre´ce´de´e d’une lettre adresse´ea` l’ami commanditaire (Lupus Waldoni suo salutem). Cette lettre, qui a valeur programmatique, brosse a` grands traits la perspective dans laquelle se situe la re´e´criture tout en avanc¸ant une analyse de la Vita I:

17 Cette expression se trouve en p. 21; voir e´galement au § 12: neque hoc silendum est quod tempore Caroli principis, ipse Princeps; au § 13, p. 2: nec hoc pratereundum, fratres, opinor, quod; au § 15, p. 24: neque hoc intermittendum existimo quia uir quidam. 18 Voir Christiane Veyrard-Cosme,E´ loge du saint, louange de Dieu dans la litte´rature hagiogra- phique me´diolatine, dans: Lalies 24 (2004), p. 7–36. 200 Christiane Veyrard-Cosme

Amicos honestis certare officiis seque Rivaliser avec ses amis en taˆches honneˆtes et inuicem uelle sinceris praeuenire obsequiis vouloir aller au devant l’un de l’autre en se inter praecipua humanae uitae negotia non rendant since`rement des services passent, a` inmerito deputatur, quippe nostra juste raison, pour activite´ des plus importantes inbecillitas, mutuis, freta subsidiis, dans l’existence humaine: de fait, notre fai- cooperante diuina gratia, nec laetis inaniter blesse, forte, avec l’aide de la Graˆce Divine, extollitur, et par effecta tristitibus, ab eis d’un secours mutuel, sans se laisser vainement hautquaquam facile superatur. Huius tantae transporter par le succe`s, de meˆme force devant rei subtilis consideratio me tibi, Waldo le malheur, ne se laisse aise´ment dominer par carissime, suasit morigerari, et quod iam inde aucun des deux. C’est la pense´e de ce ab initio nostrae cognitionis magnopere phe´nome`ne si subtile, tre`s cher Waldo, qui m’a flagitasti, ne tibi negarem, effecit, scilicet ut persuade´ de te faire ce plaisir et m’a pousse´a` ne uitam beati Maximini meo stilo point te refuser ce que depuis les premiers elucubrarem et res, quae ad nos usque temps de´ja` ou` nous nous connaissions tu me qualibuscumque litteris decurrerunt, re´clamais instamment, m’atteler, par ma plume, accuratiori sermone conuenienti a` la vie du bienheureux Maximin et a` restituer restituerem dignitati. Huc accessit quod dans un style plus soigne´ qui fuˆta` la mesure de memoratum uirum clementi apud Deum sa dignite´ les donne´es qui sont arrive´es jusqu’a` intercessione mihi plurimum confido nous en des e´crits quelconques. A` cela s’est profuturum, si eius actus, quanta possum ajoute´ l’e´le´ment suivant: j’ai pleinement diligentia, celebrans, proponam nescientibus confiance que le dit homme, graˆce a` une imitandos. Verum in hoc opere illud me intercession cle´mente aupre`s de Dieu, me sera admodum coartat, quod, multis quae, dum grandement utile pour peu qu’en ce´le´brant ses aduiueret, egit, ut palam est, silentio actes, avec tout le soin possible, je les propose a` suppressis, uix parua gestorum illius l’imitation de ceux qui les ignorent. Mais, dans monimenta exstant, et in his ipsis quaedam cette taˆche, il est un point qui m’est une fabulosis inueniuntur similia. Quo fit ut contrainte, le fait que nombre des actes amplissimi uiri opinantissimae maiestati accomplis de son vivant ayant, manifestement, angusta scribendi materia parum respondere e´te´ recouverts par le silence, c’est a` peine si uideatur. Omissis itaque his quae fidem subsistent d’infimes traces de ses exploits, et en- ceteris poterant derogare, non ingenii mei, core y trouve-t-on des e´le´ments qui ont tout de uerum diuinae gratiae fiducia digna la fable. On en arrive au point que le peu de dumtaxat memoratu hinc narrare aggrediar. matie`re se preˆtant a` l’e´criture semble bien peu re´pondre a` la grandeur de la renomme´e d’un homme d’une telle envergure. Une fois mis de coˆ te´ les points qui pouvaient entacher la cre´dibilite´ qu’on peut accorder a` tout le reste, c’est en ayant confiance, non en mon ge´nie propre, mais en la Graˆce Divine que je vais faire le re´cit des seuls faits dignes de me´moire19.

19 Voir le texte, p. 74. La Vita me´rovingienne de Maximin de Tre`ves 201

Il s’agit donc, pour l’hagiographe, de dresser le constat de la disparite´ entre la ce´le´brite´ du saint et l’insuffisance de donne´es factuelles sur ce meˆme personnage; soulignant le caracte`re fabuleux du peu d’e´le´ments disponibles, et, par l’adjectif inde´fini qualibus- cumque, l’aspect commun de l’hypotexte, l’hagiographe carolingien engage son en- treprise sous le signe de la restriction nume´rique et axiologique: seuls les faits dignes d’eˆtre inscrits dans la me´moire collective seront e´voque´s. Dans le meˆme temps, l’œuvre est conc¸ue comme une forme de re´habilitation (il s’agit de restituer des faits convenables pour un personnage de cette dignite´). Rien n’est dit, en revanche, de la mutation ge´ne´rique: or, du sermon, marque´ par l’oralite´ intrinse`que, le narrateur entend tirer un re´cit me´morable.

2. De la sce`ne avant toute chose: la Vita I ou la pre´dominance du dramatique L’oralite´ dans l’hypotexte est pre´sente a` bien des niveaux: si le locuteur manifeste a` plusieurs reprises, comme on l’a vu, sa pre´sence et la prise en charge du re´cit, plusieurs paragraphes offrent des propos tenus au style direct; d’une manie`re ge´ne´rale, si l’on se re´fe`re a` la tripartition attendue dans tout re´cit (distribution des e´le´ments entre re´cits de paroles, re´cits de pense´e, re´cits d’e´ve´nements), l’anonyme privile´gie les re´cits d’e´ve´nements et ignore les re´cits de paroles: ces dernie`res semblent donne´es sans me´diation ni filtrage. Ces passages au discours direct ont les caracte`res de pur dis- cours, en ce qu’ils utilisent des marques de repe´rage absolu, transcrivent la subjecti- vite´ du locuteur (modalisation, connotation, jeu des modalite´s) et sont nettement coupe´s du re´cit d’e´ve´nement; qui plus est, la rupture entre discours et re´cit est parfois accuse´e, comme le montre l’e´pisode de l’irruption de l’ours. Maximin, en compagnie de Martin20, part pour Rome; en chemin, Martin de´cide d’acheter des vivres et laisse Maximin monter la garde aupre`s de leurs affaires et de leur aˆne21:

Ibique sanctum reliquit Maximinum, ut Martin laissa saint Maximin, le chargeant de custodiret eorum sarcinulas et asellum simul garder leurs bagages et l’aˆne et ses paniers. Mais cum sportellis. Cumque sanctus Maximinus, comme saint Maximin, las de fatigue et de la sopore fatigatus et itinere, somno dedisset route, s’e´tait abandonne´ au sommeil, voici corpus, ecce ursus de saltu egressus asellum qu’un ours sortit des fourre´s, se saisit de l’aˆne arripuit eumque secum deportans deuorauit. pour l’emporter avec lui et le de´vorer. Saint Cumque reuersus fuisset beatus Martinus et Martin, de retour, re´veilla saint Maximin et lui sanctum excitasset Maximinum, dixit ei: dit: »Qu’as-tu fait, fre`re Maximin?« Il dit: »Je Quid fecisti frater Maximine? sopore, ait, me suis laisse´ surprendre par le sommeil et j’ai

20 Nous nous rallions a` l’hypothe`se e´mise par Romano, L’opera agiografica (voir n. 2), qui voit en ce Martin, non point Martin de Tours, comme le pense Walter Berschin (Biographie und Epo- chenstil im lateinischen Mittelalter, vol. III: Karolingische Biographie 750–920, Stuttgart 1991 [Quellen und Untersuchungen zur lateinischen Philologie des Mittelalters, 10]), mais Martin de Mayence. Le texte me´rovingien pre´cise d’ailleurs au § 3 que Martin se joint a` Maximin sur la route de Rome. S’il vient de Mayence, il est de fait sur le bon chemin: Romam nutu atque auxilio Domini, ipse sanctus adiens, sancto Martino iungitur. 21 Voir § 3, col. 21. 202 Christiane Veyrard-Cosme deprehensus fui, et hic paululum caput incline´ la teˆte un petit moment.« Il lui dit: »Et reclinaui. Asellum, inquit, nostrum ubi notre aˆne, ou` l’as-tu mis?« L’autre re´pondit: »Je habes, et ille respondit nescio. Ipse uero n’en sais rien.« Saint Martin lui montre la beˆte sanctus Martinus ei feram ostendit, quae sauvage qui l’avait de´vore´. Et il dit: »Une chose deuorauerat eum. Qui dixit: certissime est suˆ re, il a fait son propre malheur!« Alors le iniuriam sibi praeparauit. Tunc uenerabilis ve´ne´rable saint Maximin appela la beˆte et lui sanctus Maximinus uocauit ipsam feram, donna cet ordre, au nom du Seigneur precepitque ei in nomine Domini Iesu Je´sus-Christ: »Viens, suis-moi, pourquoi Christi dicens: veni sequere me, quare non n’as-tu pas laˆche´ prise et as-tu agi de manie`re dimisisti, et sic stulte operatus es, ut minime stupide au point de ne pas e´pargner notre aˆne, nostro parceres asello, causas portanti cet aˆne qui portait nos affaires?! A` toi de faire ce nostras ? tibi iubeo, quod ipse faciebat, fac et qu’il faisait, c’est un ordre!« Il le charge du ipse. Onerat ei onera quae ipse asellus ferre poids que l’aˆne transportait d’ordinaire. L’ours consueuerat. Ipse uero ursus quod ei iussum s’appliqua, sans broncher, a` exe´cuter l’ordre fuerat, agere absque murmuratione studuit ; qu’il avait rec¸u; et il partit avec lui, dans une et perrexit cum illo, oboedientiam exhibens, soumission affiche´e, jusqu’au moment ou` ils usque dum ad limina beati Petri uenissent arrive`rent au tombeau de saint Pierre apoˆ tre. Ils apostoli. Oratione autem cum mentis firent oraison dans la since´rite´ de leur cœur, sinceritate peracta, sanctorumque reliquiis rendirent un culte aux reliques des saints avec uenerabiliter honoratis, reuersi sunt usque ad ve´ne´ration et s’en retourne`rent jusqu’au lieu locum cuius Urseria uilla uocabulum est et appele´ Urseria et il y avait avec eux l’ours qui cum eis ursus deportans onera eorum. Tunc transportait leur chargement. Alors saint beatus Maximinus dixit eidem urso: Perge Maximin dit a` l’ours: »Va ou` tu veux, mais taˆche quo uis, et uide nullum noceas, nullum laedas, de ne faire de mal a` personne, de ne blesser per- et a nullo noceri poteris. sonne et personne ne pourra te faire de mal!«

La translation du corps de Maximin, d’Aquitaine a` Tre`ves, est relate´e en recourant a` de multiples reprises au principe du style direct, cre´ant une polyphonie colore´e22:

Eodem tempore sanctus Paulinus A` cette e´poque, saint Paulin fut ordonne´ et fait Treuirorum ordinatus est pontifex e´veˆque de Tre`ves; son clerge´ et les fide`les de faciensque cum clero suo et populo Tre`ves furent tous exhorte´s a` aller chercher et Treuirorum omnes pariter hortati sunt ut ramener a` Tre`ves le corps de saint Maximin. inde corpus transferrent sancti Maximini; qui Mais tous e´taient fort dubitatifs, disant qu’ils in hoc dubii maxime fuerant dicentes se eum auraient le plus grand mal a` le trouver a` moins minime reperturum nisi eis a quoquam qu’on ne le leur montraˆt. Clercs et fide`les se ostenderetur. Simul ergo collecta masse`rent en nombre et alle`rent en Aquitaine, multitudine clericorum et populi demandant ou` le saint de Dieu reposait, car per- perrexerunt ad Aquitaniam inquirentes ubi sonne parmi eux ne connaissait l’endroit. sanctus Dei requieuisset; quia nemo eorum Comme ils e´taient las de cheminer, ils firent une nouerat locum. Cumque ex itinere iam halte. Et la`, l’un des plus aˆge´s se prosterna en

22 Voir § 5, col. 22. La Vita me´rovingienne de Maximin de Tre`ves 203 fatigati essent in quodam castrametati sunt prie`re implorant le Seigneur de lui montrer loco. Tunc unus ex senioribus, prosternens se l’endroit. Et aussitoˆ t arrive un jeune qui gardait in orationem, Dominum, ut sibi locum les brebis et qui, a` ce que l’on dit, de´clara a` une ostenderet, deprecabatur. Statimque uenit brebis: »Si tu t’e´loignes d’ici, par saint unus puer oues custodiens qui oui uni Maximin, je te frapperai.« Il l’appela a` lui et lui testatus est dicens: si hinc abieris, per sanctum demanda ou` reposait le saint corps. L’enfant lui Maximinum, te percutere habeo. Quare ipse re´pondit en disant: »Eh l’homme, qui es-tu uocans ad se puerum interrogauit eum ubi pour ne pas savoir ou` repose le saint de Dieu?« ipsum corpus requiesceret sanctum. Qui Le vieillard re´pondit: »Je ne sais pas ou` il repose respondens dixit ei: tu homo qualis es, qui mais je veux l’apprendre de toi.« L’enfant alla a` nescis ubi sanctus Dei requiescit? ipse senex l’endroit et le lui montra. Alors le vieillard respondit: ego haec ignoro sed a te scire revint le dire aux siens et tous, d’une seule voix, desidero. Puer itaque perrexit eique locum loue`rent le Seigneur. Ils se leve`rent, se rendirent ostendit. Tunc senex referens suis omnes aupre`s de saint Maximin et se prosterne`rent en pariter laudauerunt Dominum; surrexerunt prie`re. Ils e´taient en prie`re quand voici que sanctumque Maximinum adiuerunt ac l’ange du Seigneur leur apparut, se manifestant prostrauerunt se in orationem. Orantibus par des signes, et leur dit: »C’est ici que repose autem illis ecce angelus Domini apparens le bienheureux Maximin.« En entendant ces manifestus, ostendis eis dicens: hic uir beatus mots, ils furent pris d’une alle´gresse impossible requiescit Maximinus. Illi haec audientes, a` de´crire. Alors les gardiens et une foule impos- gauisi sunt inenarrabili laetitia. Tunc ipsi sible a` de´crire de fide`les aquitains se custodes ac multitudo inenarrabilis populi rassemble`rent et voulurent les pousser a` partir; Aquitanorum collegerunt se mais ils re´pondirent: »Nous sommes vos fre`res compuleruntque eos de ipso exire loco. At illi dans le Christ. Nous ne sommes venus que responderunt, dicentes: fratres uestri in pour prier, c’est tout. Pourquoi nous Christo sumus. Nos uero non ob aliud poussez-vous a` partir? Nous resterons ici pour uenimus, nisi causa orationis. Quid nos la nuit, et demain nous partirons.« Devant leur compellitis exire? hac nocte hic morabimur, et assurance, les Aquitains pense`rent que les gens cras proficiscemur. Tunc Aquitani suorum de Tre`ves e´taient pleins de crainte. Ils en furent uidentes constantiam putabant Trevirenses remplis d’une grande alle´gresse, et tous se esse timore plenos. Et laetitia repleti sunt saoule`rent au point que nul d’entre eux ne magna cunctique inebriati, adeo ut nemo reconnaissait son voisin! Alors que gardiens et eorum proximum suum agosceret. Tunc fide`les e´taient e´crase´s de sommeil, tous autant sopore depressi tam custodes quam reliquus qu’ils e´taient, l’ange du Seigneur re´veilla saint populus ueniens angelus Domini beatum Lubentius et lui dit: »Le`ve-toi, va dans la pie`ce excitauit Lubentium ac dixit ei: surge, perge ou` dort le gardien, prends la cle´ de l’e´glise qui in cellulam ubi custos requiescit; et clauem est pre`s de sa teˆte et empare-toi du grand tre´sor ecclesiae quae ad caput illius est accipe et tolle que tu recherches.« Lubentius, en compagnie thesaurum magnum quem quaeris. At ille d’autres preˆtres, le trouva comme l’ange le lui cum aliis pergens presbyteris inuenit avait dit. Il prit la cle´ et alla avec les preˆtres a` quemadmodum angelus ei dixerat tulitque l’e´glise; ils enleve`rent le corps de saint Maximin ipsam clauim et perrexit cum presbyteris ad et le rapporte`rent a` leurs fide`les. ecclesiam, ac leuauerunt corpus beati Maximini plebique detulerunt. 204 Christiane Veyrard-Cosme

D’un point de vue pragmatique, terme entendu au sens linguistique, c’est-a`-dire s’in- te´ressant aux lois de l’e´nonciation a` l’œuvre dans un texte, l’hypotexte se caracte´rise par sa duplicite´, en participant de deux situations d’e´nonciation a` la fois: dans la pre- mie`re, l’e´nonciateur s’adresse a` des fratres dans un discours; dans la seconde, on a, lors de plusieurs e´pisodes, une situation dialogue´e repre´sente´e, avec des personnages e´changeant des propos dans un cadre e´nonciatif qui est cense´eˆtre autonome par rap- port a` la repre´sentation. De`s lors, l’hagiographe de l’hypotexte a fondamentalement pour fonction de mettre en relation des sce`nes, et non d’en tirer la lec¸on. De plus, les sce`nes domine´es par le discours direct se preˆtent a` la varie´te´ de tons: indignation, surprise, embarras; elles offrent aussi, par le jeu des de´ictiques (pronoms, pronoms- adjectifs ou adverbe du type ecce) un principe d’ostension aise´ment visualisable. Les de´monstratifs alimentent une gestuelle minimale. En outre, la succession des sce`nes imprime un rythme a` une e´criture dont le sens profond est a` la fois voile´ et de´voile´ par le pittoresque. Le sens du coup de the´aˆtre (assoupissement de Maximin, disparition de l’aˆne, assoupissement des Aquitains, vol de la de´pouille sainte), le recours a` un outil dramaturgique essentiel, le mensonge profe´re´ par les fide`les de Tre`ves, le jeu avec le public vise´, qui, sur le passage du mensonge ›pieux‹, en sait plus que les protagonistes aquitains, soulignent le roˆ le de l’efficacite´ dramatique recherche´e, l’appel a` une forme de pathos, ou recherche d’une e´motion suscite´e chez l’auditeur, et la place re´serve´ea` la participationactived’unlectorat/auditoirequipeutinterpre´terlessituationsexpose´es.

3. La re´e´criture de Loup: une interpre´tation fonde´e sur la mise a` distance Or le travail de re´e´criture ope´re´ par Loup gomme la part du discours direct; sa mise en re´cit repose sur une mise a` distance des paroles et un recours syste´matique au discours indirectstrict,introduitpardesverbesde´claratifsexplicites.Lediscourssefonddansle narre´ et perd, comme tel, son autonomie; il implique de´sormais un repe´rage relatif des coordonne´es du re´el; ces dernie`res sont assure´es par le narrateur qui transpose dans sa narration la relation a` l’espace, aux temps, aux consciences; c’est lui qui organise par rapport a` lui-meˆme temps, espace et jeu des personnes. La hie´rarchie des e´le´ments du re´cit, dans le cas de la re´e´criture, donne donc la premie`re place a` l’hagiographe. On peut mesurer ce phe´nome`ne en confrontant, pour les passages pre´ce´demment e´voque´s, hypotexte et hypertexte.

Hypotexte § 5, col. 22 Hypertexte § 8–9, p. 77–78 Eodem tempore sanctus Paulinus Treuirorum Succedens in episcopatu Paulinus, qui fidei suae ordinatus est pontifex faciensque cum clero ueritatem exilii perpessione firmauit, suo et populo Treuirorum omnes pariter communicato cum clero et populo Treuirorum hortati sunt ut inde corpus transferrent sancti consilio, sanctum Maximinum ab Aquitanis, Maximini; qui in hoc dubii maxime fuerant ubi situs fuerat, reuehendum constituit. Itaque, dicentes se eum minime reperturum nisi eis a facto agmine, clerus populusque Aquitaniam quoquam ostenderetur. Simul ergo collecta uersum tendentes, emensis prolixis uiarum multitudine clericorum et populi spatiis, tandem haud longe a loco ubi ille perrexerunt ad Aquitaniam inquirentes ubi claudebatur thesaurus admodum fatigati La Vita me´rovingienne de Maximin de Tre`ves 205 sanctus Dei requieuisset; quia nemo eorum substiterunt. Ibi, ceteris corpora curantibus, nouerat locum. Cumque ex itinere iam quidam seniorum prostratus Domino fatigati essent in quodam castrametati sunt supplicabat ut illius exoptabilis loci quem ipse loco. Tunc unus ex senioribus, prosternens se cum sociis penitus ignoraret, aliquod in orationem, Dominum, ut sibi locum mererentur indicium.Vix orationis uerba ostenderet, deprecabatur. Statimque uenit finierat cum puer gregem ouium sequens, unus puer oues custodiens qui oui uni nomine beati Maximini iuratiue assumpto, testatus est dicens: si hinc abieris, per sanctum ouem, si, quo ipse nollet, accederet, ictu Maximinum, te percutere habeo. Quare ipse repellendam minatus est. Hic senior uocans ad se puerum interrogauit eum ubi stupefactus, ubinam quem nominasset ipsum corpus requiesceret sanctum. Qui Maximinus requiesceret, percontatur. Atque respondens dixit ei: tu homo qualis es, qui puer uicissim quinam esset qui tam clari uiri nescis ubi sanctus Dei requiescit? Ipse senex memoriam nesciret admirando perquirens, respondit: ego haec ignoro sed a te scire postquam resciit aliunde aduentantes, eos ad desidero. Puer itaque perrexit eique locum locum desideratum usque perduxit. Ita illi ostendit. Tunc senex referens suis omnes laudantes Deum beatumque Maximinum, pariter laudauerunt Dominum; surrexerunt etiam angelica reuelatione certiores effecti sanctumque Maximinum adiuerunt ac sunt, illic, ubi monstratum fuerat, prostrauerunt se in orationem. Orantibus inueniendum, quod quaererent. Verum custos autem illis ecce angelus Domini apparens ecclesiae suspicatus id quod euenit, ut eadem manifestus, ostendis eis dicens: hic uir beatus ecclesia excederent qui aduenerant, imperauit. requiescit Maximinus. Illi haec audientes, Moxque celerrima fama rem dissipante, gauisi sunt inenarrabili laetitia. Tunc ipsi inmanis excita manus Aquitanorum Treuiros custodes ac multitudo inenarrabilis populi moliebatur loco arcere; potuissetque committi Aquitanorum collegerunt se facinus pessimum, ni Treuiri christianitatis compuleruntque eos de ipso exire loco. At illi fraternitatem opponentes, orandi tantum responderunt, dicentes: fratres uestri in studio se conuenisse firmassent. Aquitani Christo sumus. Nos uero non ob aliud Treuiros sui timore perculsos arbitrantes, uenimus, nisi causa orationis. Quid nos hincque remissi laetitia, uino indulgent et, quod compellitis exire ? hac nocte hic morabimur, erat consequens, somno grauiori soluuntur. et cras proficiscemur. Tunc Aquitani suorum §9. Interea beato Lubentio, cuius est mentio uidentes constantiam putabant Trevirenses superius facta, imperat angelus, clauem esse timore plenos. Et laetitia repleti sunt ecclesiae ad caput custodis capiat, et absque magna cunctique inebriati, adeo ut nemo strepitu ecclesiam introgressus, exoptatum eorum proximum suum agosceret. Tunc thesaurum asportet. Ille, coetu aliorum sopore depressi tam custodes quam reliquus presbyterorum adiuncto, summa cum populus ueniens angelus Domini beatum properantia paret, ac prospero comitante excitauit Lubentium ac dixit ei: surge, perge successu, clauis, unde sumpta fuerat, cito in cellulam ubi custos requiescit; et clauem refertur, et cateruis expectantibus, quod ecclesiae quae ad caput illius est accipe et tolle tantopere cupiebant infertur. thesaurum magnum quem quaeris. At ille cum aliis pergens presbyteris inuenit quemadmodum angelus ei dixerat tulitque ipsam clauim et perrexit cum presbyteris ad ecclesiam, ac leuauerunt corpus beati Maximini plebique detulerunt. 206 Christiane Veyrard-Cosme

Dans cet extrait, la re´e´criture absorbe dans le re´cit la teneur des propos directs en la reportant sur diffe´rentes strates de la phrase: la` ou` l’hypotexte offre un texte aux structures syntaxiques caracte´rise´es par leur brie`vete´, mais aussi par des rimes et des rythmes, la re´e´criture de Loup densifie l’e´nonce´ en lui donnant une e´paisseur con- fe´re´e par une subordination syste´matique et complexe23. On de´note chez Loup une pratique, tre`s classicisante, de subordination par emboıˆtement des phrases, afin de baˆtir de ve´ritables pe´riodes. A` de´faut d’eˆtre cice´roniennes, ces dernie`res, en e´tageant les propositions subordonne´es de´pendant de la principale, cre´ent des ramifications dans le re´cit, propres peut-eˆtre a` rendre la complexite´ d’une situation de de´tourne- ment de reliques. Toutefois, l’absorption des propos directs se fait selon diffe´rentes modalite´s: on rele`ve ainsi une simple transposition au style indirect dans l’exemple suivant, qui de l’hypotexte ainsi re´dige´

angelus Domini beatum excitauit Lubentium ac dixit ei: [...] et clauem ecclesiae quae ad caput illius est accipe aboutit au texte suivant, qui recourt d’ailleurs a` une parataxe bien connue des clas- siques, reposant sur l’ellipse du subordonnant ut comple´tif apre`s un verbe d’injonc- tion, dans un e´nonce´ qui offre principale et subordonne´e:

imperat angelus, clauem ecclesiae ad caput custodis capiat,

En d’autres points, le passage au style indirect joue d’une combinaison de termes tire´s de l’hypotexte et de synonymes. Reprenons les propos de l’ange du Seigneur:

angelus Domini beatum excitauit Lubentium ac dixit ei: surge, perge in cellulam ubi custos requiescit; et clauem ecclesiae quae ad caput illius est accipe et tolle thesaurum magnum quem quaeris.

L’e´nonce´ de Loup propose:

imperat angelus, clauem ecclesiae ad caput custodis capiat, et absque strepitu ecclesiam intro- gressus, exoptatum thesaurum asportet.

Si l’on s’inte´resse aux termes conserve´s au meˆme cas et dans leur ordre chronologique d’apparition dans la phrase de l’hypotexte, on rele`ve les e´le´ments suivants; en itali- ques, les termes emprunte´s a` l’hypotexte mais mis a` un autre cas; en italiques souli-

23 Notre analyse, ici, rejoint, tout en empruntant une de´marche diffe´rente, les conclusions aux- quelles Birgit Auernheimer parvient a` propos de l’analyse d’un autre passage de l’hypotexte, le chapitre II, dans son ouvrage: Die Sprachplanung der karolingischen Bildungsreform im Spiegel von Heiligenviten. Vergleichende syntaktische Untersuchungen von Heiligenviten in verschie- denen Fassungen, v.a. der Vita Corbiniani, auf der Basis eines valenzgrammatischen Modells, München 2003, ici p. 186–189. La Vita me´rovingienne de Maximin de Tre`ves 207 gne´s, les termes de´rive´s, comme le verbe simple capiat pour le compose´ accipe; en gras, les termes condensant une structure syntaxique prise comme synonyme, voyant dans la relative une pe´riphrase ou glose d’un adjectif ou d’un participe: ici exoptatum est l’e´quivalent de quem quaeris. La principale, tout en conservant le protagoniste ce´leste (angelus), substitue au verbe de´claratif de base dixit le verbe d’injonction imperat en reportant sur ce dernier la valeur injonctive des impe´ratifs pre´sents dans l’hypotexte (surge, perge, accipe, tolle). Ne restent plus alors que les termes, ici en standard, ajoute´s par l’hypertexte. Un autre exemple permet de mesurer les e´carts de la re´e´criture par rapport au texte originel. Lors de la confrontation entre les Aquitains, pris de soupc¸ons devant l’empresse- ment mis par la de´le´gation de Tre`ves a` trouver le tombeau de saint Maximin, et cette meˆme de´le´gation, les envoye´s de Tre`ves sont ainsi pre´sente´s par l’hypotexte:

At illi responderunt, dicentes: fratres uestri in Christo sumus. Nos uero non ob aliud ueni- mus, nisi causa orationis. Quid nos compellitis exire? Hac nocte hic morabimur, et cras pro- ficiscemur.

Or la re´e´criture propose la structure suivante:

potuissetque committi facinus pessimum, ni Treuiri christianitatis fraternitatem opponentes, orandi tantum studio se conuenisse firmassent.

Une partie du discours direct disparaıˆt: Quid nos compellitis exire? Hac nocte hic morabimur, et cras proficiscemur. La prise de parole initiale est e´galement arase´e et porte´e au niveau premier du re´cit, comple´ment d’objet direct du participe pre´sent opponentes, appose´ au sujet du verbe firmassent. En effet, de l’affirmation fratres uestri in Christo sumus, on passe au substantif fraternitatem et de Christo au substan- tif christianitatis, ge´nitif comple´ment du nom de fraternitas. Les substantifs tirent vers l’abstrait la teneur de l’affirmation de l’hypotexte et, de ce fait meˆme, impliquent une mise a` distance des e´le´ments. Le second volet du discours direct devient subor- donne´e de rang 2 en passant sous forme d’infinitive. Nos uero non ob aliud uenimus, nisi causa orationis devient orandi tantum studio se conuenisse. Or, la transformation ne se cantonne pas au simple changement de type de discours. La ne´gation restrictive du style direct non ob aliud nisi est en effet condense´e sous forme d’adverbe tantum dans la re´e´criture, le terme oratio donne naissance par de´rivation au ge´rondif orandi, et le meˆme principe de de´rivation est a` l’origine du passage du simple uenire au compose´ verbal de l’hypertexte conuenisse. Quant au verbe introducteur firmassent, il donne le ton ge´ne´ral du passage, par interpre´tation de l’hagiographe, sensible a` la vivacite´ des propos directs de l’hypotexte: on peut conside´rer que les propos directs sont en effet une protestation de bonne foi des gens de Tre`ves. La portion escamote´e du discours direct est sans doute passe´e sous silence par la re´e´criture a` dessein: n’est-elle pas le cœur du mensonge, de la duperie, pre´alable au vol de la de´pouille? 208 Christiane Veyrard-Cosme

Le principe re´gissant l’e´criture de Loup semble eˆtre celui de l’enchaˆssement: dans le passage de la Vita I, ou` intervient l’enfant berger qui use du nom de Maximin comme juron, on trouve ces mots:

Statimque uenit unus puer oues custodiens qui oui uni testatus est dicens: si hinc abieris, per sanctum Maximinum, te percutere habeo.

Or Loup propose cette re´e´criture:

Vix orationis uerba finierat cum puer gregem ouium sequens, nomine beati Maximini iura- tiue assumpto, ouem, si, quo ipse nollet, accederet, ictu repellendam minatus est.

Si l’on adopte pour cette phrase la pre´sentation stylistique en arborescence com- mune´ment applique´e aux pe´riodes latines classiques, on observe qu’en regard d’un hypotexte offrant une principale et une seule subordonne´e de rang 1, la relative qui oui uni testatus est dicens, puis, dans le passage direct, une subordonne´e de rang 1, conditionnelle (ici a` l’e´ventuel) et une principale avec futur pe´riphrastique (percutere habeo), l’hypertexte met l’ensemble en position de subordonne´e de rang 1, car il choisit de reporter sur la principale le chef de file de la de´le´gation de Tre`ves; recourant a` l’expression Vix... cum, il stratifie sa phrase de la manie`re suivante:

Vix ... finierat cum puer sequens minatus est. (rang 1) nomine assumpto ouem citu repellendam (rang 2) si accederet quo ipse nollet (rang 3).

Mais, en re´alite´, le parti-pris d’emboıˆter les structures, et non de les donner comme dans l’hypotexte, dans un de´roulement chronologique va a` l’encontre du principe d’intelligibilite´ de l’hypotexte, oriente´ vers la lecture publique. La structure complexe re´sulte, de plus, d’une interpre´tation de l’hagiographe: de l’incise per sanctum Maximinum, on obtient nomine beati Maximini iuratiue assump- to. Si hinc abieris, devient, a` la faveur d’un ajout, si accederet quo ipse nollet, et percutere habeo est transforme´ en ictu repellendam. Enfin, l’encadrement du discours indirect est explicite: minatus est. Ici, l’hagiographe, contrairement a` son devancier, exerce tre`s strictement sa fonc- tion de commentateur de l’action en de´roulement. Il canalise l’interpre´tation du lec- teur et ne lui laisse aucune marge d’appre´ciation. Enfin, a` l’occasion, l’hagiographe carolingien opte pour la suppression d’e´le´ments, sans doute parce qu’il les juge superflus ou fabuleux. Lors de l’e´pisode de l’ours, le carolingien choisit de styliser les donne´es de l’hy- potexte et de re´duire de manie`re drastique les donne´es propose´es par son devancier, en oˆ tant non seulement les propos directs, mais aussi l’assoupissement de Maximin, incapable de surveiller aˆne et bagages24:

24 Voir le texte en § 3, col. 21. La Vita me´rovingienne de Maximin de Tre`ves 209

Deinde Romam, nutu atque auxilio Domini, Cum Romam tenderet, opinatissimum ipse sanctus adiens, sancto Martino iungitur: confessorem Martinum conuenit; iunctique ut ambo amabiles Christo una uisitarent summi pontifices, diuinis rebus intenti, limina deati apostoli Petri. Illisque in laborem itineris non ut alii sentiebant. Illis quodam castello uenientibus, perrexit beatus itaque in ulteriora progredientibus, Martinus ad ipsum castellum ut cibos emeret, qui necessarii erant in uia; ibique sanctum reliquit Maximinum, ut custodiret eorum sarcinulas et asellum simul cum sportellis. forte asellum, qui sarcinas beatorum ferebat, Cumque sanctus Maximinus, sopore fatigatus et itinere, somno dedisset corpus, ecce ursus de saltu egressus asellum arripuit ursus offendit eumque protinus deuorauit. eumque secum deportans deuorauit. Hic Cumque reuersus fuisset beatus Martinus et sanctum excitasset Maximinum, dixit ei: Quid fecisti frater Maximine? Sopore, ait, deprehensus fui, et hic paululum caput reclinaui. Asellum, inquit, nostrum ubi habes, et ille respondit nescio. Ipse uero sanctus Martinus ei feram ostendit, quae deuorauerat eum. Qui dixit: certissime iniuriam sibi praeparauit. Tunc uenerabilis sanctus Maximinus uocauit ipsam feram, Maximinus in nomine Domini ferae dicitur precepitque ei in nomine Domini Iesu imperasse, ut, Christi dicens: Veni sequere me, quare non quia iumentum non abegerat, sed dimisisti, et sic stulte operatus es, ut minime consumpserat, nostro parceres asello, causas portanti nostras? Tibi iubeo, quod ipse faciebat, fac et ipse. Onerat ei onera quae ipse asellus ferre ipsa iumenti onus assumeret: illam e uestigio consueuerat. Ipse uero ursus quod ei iussum successisse oneri, et quoad reuersi ad locum fuerat, agere absque murmuratione studuit; et perrexit cum illo, oboedientiam exhibens, usque dum ad limina beati Petri uenissent apostoli. Oratione autem cum mentis sinceritate peracta, sanctorumque reliquiis uenerabiliter honoratis, reuersi sunt usque ad locum cuius Urserua uilla uocabulum est et qui Ursarii uilla dicitur deuenirent, subuectioni cum eis ursus deportans onera eorum. Tunc mansuetissime famulatam, ibique a sancto uiro beatus Maximinus dixit eidem urso: Perge pristinam uagandi potestatem recepisse, prius quo uis, et uide nullum noceas, nullum tamen licentia quemquam laedendi erepta. laedas, et a nullo noceri poteris.

Nous avons choisi de repe´rer, dans la confrontation des deux textes, en gras les termes identiques que partagent hypotexte et hypertexte et de contraster en italiques souli- gne´s dans l’hypertexte les termes obtenus par de´rivation de ceux de l’hypotexte. 210 Christiane Veyrard-Cosme

Si le respect de l’apparition chronologique des termes est net et tend a` prouver que l’hagiographe carolingien suit le de´roulement de l’hypotexte, on voit e´galement le choix de´libe´re´ de passer sous silence le pittoresque de l’hypotexte et aussi de sup- primer une e´nonciation multiple en faisant disparaıˆtre les dialogues. Pour Birgit Auernheimer, la re´e´criture de Loup est

prunkender Gelehrtentext, der nicht primär die Gläubigen erreichen sollte, sondern als Prestige-Text innerhalb der klerikalen Elite der litterati tradiert wurde. Hier ist die Tren- nung zwischen Volkssprache und lateinischer Hochsprache deutlich vollzogen, denn eine Rückbindung an die Sprecher der Volkssprache als Rezipienten dieser Heiligenvita dient nicht mehr der Verfasserintention25.

Elle en tire la conclusion suivante:

Daraus wird deutlich, daß Lupus die Neufassung nicht in erster Linie um der Verständ- lichkeit willen geschrieben hat, d.h. mit der primären Intention, dem Text eine größere Verbreitung zu verschaffen, sondern daß die rhetorische Stilisierung seine eigene sprachliche Kompetenz und Gelehrsamkeit präsentieren soll26.

Si ces constatations peuvent le´gitimement rendre compte des enjeux de la re´e´criture dans le cas pre´sent, on peut e´galement s’interroger sur la place accorde´e par l’hagio- graphe carolingien a` des de´veloppements qui sont autant de re´ve´lateurs de la perspec- tive particulie`re adopte´e par Loup. Il y a tout d’abord chez l’auteur carolingien une conscience tre`s claire des enjeux stylistiques de l’e´criture et, pour ainsi dire, une conscience de soi en tant que lettre´. Comme le montre la premie`re des cinq lettres qui composent la correspondance e´change´e avec le vieil E´ ginhard, entre 829 et 836, Loup a un mode`le litte´raire en teˆte27: dans la premie`re lettre adresse´e a`E´ ginhard, alors qu’intervient le deuxie`me point autobiographique, que pre´ce`de une phrase, re´cemment commente´e par Orlan- di28, souvent cite´e par les critiques – Mihi satis apparet propter se ipsam appetenda sapientia –, phrase qui vaut a` cette lettre d’eˆtre regarde´e comme manifeste ou pro- fession de foi humaniste d’un lettre´ 29, l’e´pistolier Loup de´finit un ide´al qu’il voit illustre´ par la Vita Karoli compose´e par son correspondant; or, en ce´le´brant le style de l’e´crivain dont il veut devenir l’ami, il de´finit certains crite`res qui deviennent autant d’ide´aux a` atteindre dans sa propre prose:

25 Voir Auernheimer, Die Sprachplanung (voir n. 23), p. 185. 26 Ibid., p. 193. 27 Voir sur ce point Christiane Veyrard-Cosme, Plus quam umquam uobis nunc optarem adesse. Enjeux de l’e´criture du manque dans la correspondance de Loup de Ferrie`res et d’E´ ginhard, dans: Patrick Laurence, Franc¸ois Guillaumont (dir.), Epistulae Antiquae V. Actes du Ve colloque international »L’e´pistolaire antique et ses prolongements europe´ens«, Tours 2006, Leuven 2008, p. 291–307. 28 Voir Giovanni Orlandi, Lupo di Ferrie`res e la saggezza epistolare, dans: Filologia mediolatina 11 (2004), p. 99–122. 29 Voir Holtz, L’humanisme (voir n. 4,) p. 202. La Vita me´rovingienne de Maximin de Tre`ves 211

Mihi satis apparet propter se ipsam appetenda A` mes yeux, la sagesse doit eˆtre recherche´e pour sapientia. Cui indagandae a sancto elle-meˆme. C’est sur ses traces que le saint metropolitano episcopo Aldrico delegatus, e´veˆque me´tropolitain Aldric me de´peˆcha; on doctorem grammaticae sortitus sum me donna un maıˆtre de grammaire et c’est de lui praeceptaque ab eo artis accepi. Sic, quoniam que j’appris les re`gles de cet art. Aujourd’hui, a grammatica ad rhetoricam et deinceps passer de la grammaire a` la rhe´torique et, de la`, ordine ad ceteras liberales disciplinas transire aux autres arts, les uns apre`s les autres, c’est une hoc tempore fabula tantum est, cum deinde histoire tre`s simple. Comme j’avais commence´ auctorum uoluminibus spatiari aliquantulum a` parcourir les œuvres des auteurs anciens et coepissem et dictatus nostra aetate confecti que celles qui avaient e´te´ compose´es a` notre displicerent, propterea quod ab illa Tulliana e´poque me de´plaisaient, parce qu’elles e´taient ceterorumque grauitate, quam insignes loin de la solennite´ d’un Cice´ron ou d’autres quoque Christianae religionis uiri aemulati auteurs antiques que meˆme des auteurs sunt, oberrarent, uenit in manus meas opus chre´tiens, et non des moindres, ont imite´e, j’eus uestrum quo memorati imperatoris clarissima entre les mains votre ouvrage, celui par lequel – gesta (liceat mihi absque suspicione et permettez-moi de le dire sans eˆtre soupc¸onne´ adulationis dicere) clarissime litteris de flatterie – vous avez, d’e´clatante fac¸on, allegastis. Ibi elegantiam sensuum, ibi confie´ aux lettres les hauts faits e´clatants de raritatem coniunctionum, quam in l’empereur dont j’ai fait me´moire. Ele´gance de auctoribus notaueram, ibi denique non la pense´e, rarete´ de transitions que j’avais longissimis periodis impeditas et implicitas at releve´es chez les auteurs antiques, phrases enfin modicis absolutas spatiis sententias inueniens que n’entravaient ni n’enchaıˆnaient point de amplexus sum. Quare, cum et ante propter trop longues pe´riodes, phrases condense´es en opinionem uestram, quam sapiente uiro de bre`ves formules, voila` ce que j’y trouvai et dignam imbiberam, tum praecipue propter appre´ciai. C’est donc, dans un premier temps, expertam mihi illius libri facundiam, pour votre re´putation que j’imaginais convenir desideraui deinceps aliquam nancisci a` un sage, puis, dans un second, tout oportunitatem, ut uos praesentes alloqui particulie`rement pour l’e´loquence dont j’avais possem ; ut quemadmodum uos meae eu la preuve dans votre livre que je conc¸us le paruitati uestra tum probitas tum sapientia de´sir de saisir l’opportunite´ de pouvoir fecerat claros, ita me uestrae sublimitati meus m’entretenir avec vous en face a` face, afin de et erga uos amor et erga disciplinas studium voir, a` l’exemple de votre honneˆtete´, de votre commendaret. Neque uero id optare sagesse qui avaient rendu votre personne il- desistam, quamdiu ipse incolumis in hac uita lustre a` ma petitesse, mon amour pour votre uos esse cognouero30. personne comme pour l’instruction et l’e´tude me recommander a` vous. Et je ne cesserai de le souhaiter aussi longtemps que je serai en bonne sante´ et vous saurai en cette vie.

La syntaxe de l’e´pistolier n’est gue`re e´loigne´e de celle de l’hagiographe. Dans un monde qui, pour lui, be´ne´ficie de l’he´ritage de la re´forme de Charles – comme le rappelle l’ouverture de sa lettre – ,

30 Texte latin dans: Levillain, Loup de Ferrie`res (voir n. 1), p. 6. 212 Christiane Veyrard-Cosme

Amor litterarum ab ipso fere initio pueritiae L’amour des lettres a pris naissance en moi mihi est innatus, nec earum, ut nunc a pour ainsi dire depuis ma prime enfance, et je plerisque uocantur, superstitiosa uel otia n’ai pas repousse´ ce qu’aujourd’hui la plupart fastidiui; et, nisi intercessisset inopia appellent leurs loisirs pleins de superstitions. praeceptorum et longo situ collapsa priorum S’il n’y avait eu un manque de maıˆtres, si l’e´tude studia pene interissent, largiente Deo, meae de l’Antiquite´ ne s’e´tait effondre´e jusqu’a` auiditati satisfacere forsitan potuissem, risquer la mort, j’aurais peut-eˆtre pu, si Dieu siquidem uestra memoria per famosissimum me l’avait accorde´, donner satisfaction a` mon imperatorem Karolum, cui litterae eo usque avidite´: or c’est a` votre e´poque, graˆce a` deferre debent ut aeternam ei parent l’empereur Charles, de grande renomme´e, memoriam, coepta reuocari, aliquantum auquel les lettres doivent reconnaıˆtre ce me´rite, quidem extulere caput satisque constitit et meˆme, lui en accorder e´ternelle me´moire, ueritate subnixum praeclarum Ciceronis c’est graˆce a` lui que les e´tudes ont commence´a` dictum: »Honos alit artes et accenduntur eˆtre re´tablies, a` relever un peu la teˆte, et que le omnes ad studia gloria31«. mot illustre de Cice´ron a retrouve´ un fond de ve´rite´: »L’honneur nourrit les arts et la gloire enflamme toute personne pour l’e´tude«32. l’e´criture hagiographique est un moyen, moins de corriger un latin me´diocre que de transcender le style de l’hypotexte en le portant au sublime, style juge´a` la mesure de la grandeur du personnage ce´le´bre´. Des multiples termes a` diminutifs de l’hypotexte, des nominatifs absolus, des de´ictiques foisonnants, des vocables spe´cifiques (pro- uincia, credendarius) l’hypertexte ne conserve qu’asellus. Si la Vita I offre un cas d’ablatif absolu avec lien grammatical puisqu’il est sujet du verbe principal, l’hyper- texte inse`re de nombreux ablatifs absolus employe´s de manie`re tre`s classique sans aucun lien grammatical avec le sujet de la principale. Mais ce que met aussi en avant la re´e´criture de Loup, c’est la naissance d’une conscience d’auteur-narrateur.

III. LA VITA II OU LA NAISSANCE D’UNE CONSCIENCE AUCTORIALE

1. Fonctions du narrateur

Dans ce cadre-la`, on peut alors comprendre la porte´e des structures a` l’irre´el aux- quelles le narrateur de la Vita II recourt avec pre´dilection. L’irre´el du passe´ implique la distance par rapport a` l’e´ve´nement conside´re´ au moment de son e´criture. Le nar- rateur de la Vita II montre une aptitude a` figurer la perspective dans le passe´, alors

31 Ibid., p. 4. 32 Cice´ron, Tusculanes, I, 2, 4 cite´e´galement par Augustin, Cite´ de Dieu, V, 3. La Vita me´rovingienne de Maximin de Tre`ves 213 que l’hagiographe de la Vita I est moins me´morialiste qu’actant-te´moin, voire re´ci- tant d’une ce´le´bration qui demeure celle d’une communaute´. Dans la Vita I, le narrateur anonyme exerce essentiellement, outre la fonction nar- rative qui lui permet d’e´voquer l’univers raconte´, une fonction de re´gie, organisant le discours dans lequel il inse`re les paroles des personnages. A` cinq reprises, a` l’amorce des paragraphes 3 (nec hoc silendum arbitror), 11 (nec hoc aestimo postponendum), 12 (neque hoc silendum est), 13 (nec hoc praetereundum, fratres, opinor) et 15 (neque hoc intermittendum existimo), il exerce l’une des cinq fonctions comple´mentaires du narrateur, la fonction testimoniale qui lui permet d’e´valuer les actions et les acteurs de la narration. La re´e´criture de Loup offre un panel plus large des fonctions du narrateur: on rele`ve tout d’abord la fonction communicative, qui consiste a` s’adresser au destinataire pour agir sur lui ou maintenir le contact, selon la de´finition d’Yves Reuter; la fonction me´tanarrative qui lui permet de commenter le texte et d’en signaler l’organisation interne; la fonction testimoniale centre´e sur l’attestation (qui lui permet d’exprimer son degre´ de certitude ou de distance vis-vis de l’histoire), et l’e´valuation; la fonction explicative qui donne au narrataire, le destinataire, les e´le´ments juge´s ne´cessaires pour comprendre l’histoire; la fonction ge´ne´ralisante ou ide´ologique, enfin, dont le dernier paragraphe est un bon exemple. Voix d’un groupe, le narrateur de la Vita I est de´sincarne´, alors que le narrateur de la Vita II met en avant des marques de subjectivite´ et de culture, sans oublier d’inse´rer citations et allusions a` des autorite´s garantes de la qualite´ et de la teneur de son re´cit.

2. Citations et garants Comme le rele`ve Walter Berschin, Loup insiste sur la noblesse de son he´ros et ajoute, a` son mode`le, un de´veloppement sur les combats mene´s contre l’arianisme de Maxi- min et ses liens avec Athanase33. Mais dans quel but? Alors que l’hypotexte est assez bref sur le sujet, la re´e´criture de Loup fait intervenir explicitement une autre source, le Chronicum de Je´roˆ me, avant de de´ployer une e´criture historiographique a` l’antique:

Hypotexte § 2, col. 21 Hypertexte Eodem tempore beatus Maximinus ad epis- Sanctus autem Maximinus consensu sacrorum copalem electus est dignitatem; tunc ariana ordinum totiusque plebis annisu a uicinis epis- haeresis per totum orbem, et maxime intra copis pontificali est excellentia sublimatus. Iam Illyricum, coepit grassari ac pullulare, ac uero, quam strenue sit eo functus offcio, persequebatur ecclesiam Dei. Tunc summi auctoris Hieronymi testimonio, qui Maximinus, spem suam uiriliter agens in aut contemporalis ei, tametsi puer, fuit aut Domino illi haeresi contradicebat multasque proxime illius aetatem accessit, licet tribulationes et angustias perpessus est sub cognoscere. Namque is in praeclaro Chronicae ipso imperatore Constantio. opere, cum a secundo anno Constantini,

33 Voir Berschin, Biographie (voir n. 20), p. 191. 214 Christiane Veyrard-Cosme

Constantii atque Constantis augustorum arrianam impietatem, praefati Constantii regis fultam praesidio, persecutam exiliis, carceribus et uariis afflictionum modis primum Athanasium, deinde omnes non suae partis episcopos declarasset, paucis interiectis, sexti anni, si quae forte fuissent, res memorabiles notaturus: Maximinus, inquit, Treuirorum episcopus clarus habebatur. Hic si quis inspiciat, insaniam Arriani principis tum quam maxime inferbuisse, facile intelleget, persecutionibus, quae uulgo ueris inportabantur praesulibus, sanctum quoque Maximinum alacriter participatum ac uiolatae fidei non declinasse modo contagia, sed assertorum eius peruersis ac uiolentis molitionibus obuiasse. Nec adeo fuerat operosum eas celeriter penitusque subuertere, nisi merito execrabilis impietatis miserabiliter excaecati illius nefarii sceleris uel inuentores uel defensores lumen rationis nequaquam admittere consensissent. Nam quis umquam, quaeso, de consubstantialitate Patris et Filii uel per quietem sit ausus dubitare, nisi qui illam euidentissimam Dei sententiam surda praeterierit aure: Ego et Pater unum sumus? »Unum« enim dixit, tantum se profecto uolens intellegi, quantus Pater esse cognoscitur. Scilicet mysterium baptismatis in nomine Patris et suo ac sancti Spiritus tradi iussisset fidelibus neque, ut Patri sanctoque Spiritui, sibi quoque uoluisset deferri! Verum quis illos ferret non minus stultos quam impios? Denique cum ipse Filius dicat, ut omnes honorificent Filium, sicut honorificant Patrem, in tantam inperitissimi homines proruperant audaciam, ut minorem Patre Filium esse contenderent. Hi callidis argumentorum commentis sua nitebantur astruere; contra per Athanasium atque Maximinum ceterosque propugnatores ac duces clarissimos apostolicae doctrinae semper superabat auctoritas. Laboriose mendacium exquisitis ornabatur sententiis; per se satis decora, simplex ueritas eminebat. Postremo potestas humana La Vita me´rovingienne de Maximin de Tre`ves 215

fortissimis bellatoribus turbulentum minaxque bellum conflauerat; diuina maiestas animum, uires, arma, quibus illi uincerent, ministrabat. Ex his quae praemisimus beati Hieronymi uerbis, etsi pauca sunt, tamen satis Maximini sanctitas poterit aestimari; sed eis ille non contentus rem intulit, maximis meo iudicio laudibus prosequendam: a quo, inquit, haut dubium quin Maximino, Athanasius Alexandrinae ecclesiae episcopus, cum a Constantio quaereretur ad poenam, honorifice susceptus est.

Le narrateur, en voulant tirer une lec¸on d’e´ve´nements me´morables, profite de l’e´loge du saint pour inse´rer, en moraliste, un blaˆme des temps pre´sents:

O uirum beatissimum summisque principibus Oˆ homme tre`s saint, digne a` juste titre d’eˆtre ecclesiae merito coaequandum, qui regiae l’e´gal des plus grands princes de l’E´ glise, pour potestatis iniustum spreuerit inpetum et cum avoir me´prise´ l’attaque injuste du pouvoir royal periculo, si non uitae, certe dignitatis et avoir, au pe´ril, sinon de sa vie, du moins de amplexus sit custodiam mandatae diuinitus son rang, embrasse´ la protection de la charite´ caritatis! Fac enim imperatorem furiata que Dieu lui avait demande´e! Imagine un mente proditionis praemia proponentem; si empereur qui, dans la folie de son esprit, pro- opinari potuisset, fore aliquem, qui cum pose des re´compenses pour la trahison; s’il avait ualeret, non solum Athanasium minime pu penser qu’il y aurait eu quelqu’un qui, en en proderet, sed etiam studiose celaret, quas ayant la capacite´, ne trahirait non seulement proscriptiones, quae exilia, quae tormenta point Athanase mais encore le cacherait avec minaturus fuisset deprehensoque postmodum soin, de quelles proscriptions, de quels exils, de illaturus: et liquido apparebit, quantum quelles tortures ne l’aurait-il pas menace´ et, pondus iustitiae tribui debeat huic sancti apre`s l’avoir attrape´, afflige´! Et la juste valeur Maximini constantiae. Profecto fiducia ex qu’on doit attribuer a` la constance de saint diuinis eloquiis concepta docuit, quatinus sit Maximin apparaıˆtra clairement. saecularibus potestatibus obsequendum; Assure´ment, la confiance rec¸ue des paroles neque enim Deus se iusta praecipientem divines lui a enseigne´ les limites de la contemnendi, homines autem quamquam soumission aux puissances du sie`cle et jamais imperatores iniusta iubentes audiendi Dieu ne lui aurait donne´ la possibilite´ de me´pri- potestatem fecisset. Nam etsi praescripserit, ser les justes pre´ceptes qu’Il lui donnait, et ut Caesari quae sunt Caesaris et Deo quae d’e´couter les ordres injustes d’eˆtres humains, sunt Dei reddamus, quod id citra tout empereurs qu’ils fussent! Car bien que uiolationem suorum fieri uoluerit Dieu nous ait prescrit de rendre a` Ce´sar ce qui mandatorum, apostolus declarauit, qui est a` Ce´sar et a` Dieu ce qui est a` Dieu, l’Apoˆ tre a dicturus: regem honorificate,–Deum timete de´clare´ qu’Il a voulu que cela se fıˆt sans violer praemittendum curauit. Sed o nostri temporis Ses commandements; avant de dire »honorez le mores degeneres! Omnes pene iam nerui roi« n’a-t-il pas eu soin de lancer »craignez 216 Christiane Veyrard-Cosme pristini roboris conciderunt. Leuibis Dieu«? Oˆ mœurs de´ge´ne´re´es de notre temps! terroribus fracta cessit constantia, pluris De´sormais, les forces de l’antique robustesse pecunia quam iustitia aestimatur. Quis iam ont pratiquement toutes de´cline´! La constance, imperatoribus diuinorum praeceptorum brise´e par des craintes pourtant le´ge`res, a cesse´ reserare salutarem non reformidet et l’argent a plus d’estime que la justice! Qui seueritatem? Quis eis sua pericula, zelo diuini de´sormais ne redouterait de de´voiler aux timoris accensus, absque fuco adulationis empereurs les se´ve`res mais salutaires pre´ceptes aperiat? Ego plane non sum dubius aut de Dieu? Qui, enflamme´ du ze`le de la crainte de neminem aut rarum nunc esse, qui si Dieu, leur ouvrirait les dangers qu’ils courent, quemlibet, ut quondam magnus fecit sans fard, sans flatterie? Pour moi, le doute Athanasius, iniquos motus imperatorum fuga n’est pas permis: il n’y a personne – ou du declinantem uideret, ei, ut Maximinus, moins il y a bien peu de gens – qui, voyant un gremium caritatis, Deo fisus, aperiret; immo homme fuir, comme le fit autrefois le grand latebram praestare uel remotissimus quisque Athanase, les initiatives injustes d’empereurs, refugeret ne, dum alium tegere moliretur, lui ouvrirait, comme le fit autrefois Maximin, semet ipsum laqueis calamitatis exponeret. At des bras charitables, en mettant sa confiance en Maximinusinceleberrimaeademquetuncregia Dieu. Bien au contraire, chacun s’empresserait ciuitate fortissimum excipiens confessorem, de gagner un abri, le plus a` l’e´cart possible, de dum eius ingenue communicauit periculo, peur, en taˆchant de prote´ger autrui, de se jeter participium sibi peperit gloriae sempiternae. soi-meˆme dans les filets du malheur. Or Maximin rec¸ut dans une cite´ tre`s connue, qui, en meˆme temps, e´tait alors re´sidence du souve- rain, un confesseur qui e´tait le courage meˆme, et, en partageant librement le danger qu’il courait, se me´nagea une part de la gloire e´ter- nelle.

La condamnation de la tie´deur des contemporains, la de´ploration d’une e´poque de´- cadente (oˆ nostri temporis mores degeneres!), tout en attestant des liens e´troits qui se tissent entre e´loge d’un saint personnage, que l’hagiographe se plaıˆt a` pre´senter selon une typologie martyriale, et blaˆme du temps pre´sent, sont aussi le moyen pour l’hagiographe de se faire historiographe moraliste. Quant a` la citation hie´ronymien- ne, emprunte´e au paragraphe 6 du Chronicum, au de´but du passage, elle endosse la fonction canonique de la citation, l’autorite´, mais cre´e e´galement un jeu de miroir entre texte cite´ et texte citant (la Vita aspire a` devenir Chronique), narrateur cite´ (Je´roˆ me) et narrateur citant (Loup), dans une tension permanente entre imitation et e´mulation. Si les e´le´ments emprunte´s a` Je´roˆ me permettent d’e´toffer, chez le saint, un parcours biographique succint dans l’hypotexte, ils jouent e´galement un roˆ le capital, non seulement pour l’e´nonciateur en re´ve´lant son rapport a` l’e´criture, mais aussi pour le lecteur contemporain, en ce qu’ils de´ploient une culture que devaient avoir en partage les lettre´s capables de situer l’œuvre de Je´roˆ me et de repe´rer les emprunts faits par l’hagiographe aux auteurs classiques. La Vita me´rovingienne de Maximin de Tre`ves 217

Alors que la Vita I repose fondamentalement sur une distribution en se´quences dia- logue´es, dicte´es par le souci de montrer, et non de de´montrer, porte´es par un e´non- ciateur porte-voix d’un groupe soucieux de ce´le´brer e´loge du saint et louange divine, la Vita II, lieu de me´moire, l’est de´sormais autant, sinon plus, de l’e´crivain que du saint homme et se fait monument d’un style domine´ par l’emboıˆtement, la complexite´ syntaxique, le recours aux questions oratoires et a` l’irre´el, proce´de´s de mise a` distance mais aussi, parce qu’ils sont e´minemment cice´roniens, moyens d’inscrire l’œuvre dans le temps des hommes. Le texte me´rovingien, a` travers cette re´e´criture, n’est plus qu’une trame te´nue, lointain souvenir tant au plan ge´ne´rique qu’au plan stylistique. Les changements de perspective adopte´s ont permis a` l’hagiographe carolingien de composer une œuvre, la Vita II, qui semble moins re´e´criture que transsubstantation de l’hypotexte.

MAXIMILIAN DIESENBERGER

Der Cvp 420 – die Gemeinschaft der Heiligen und ihre Gestaltung im frühmittelalterlichen Bayern

Dem vielgestaltigen Panorama merowingischer Hagiographie, das Martin Heinzel- mann in diesem Band präsentiert, steht ein dürftiges, eintöniges Bild der handschrift- lichen Überlieferung hagiographischer Texte aus der Merowingerzeit gegenüber. In diesem Zusammenhang können etwa die Passio Acaunensium martyrum aus einem Codex des 7. Jahrhunderts oder die Vita Wandregiseli aus der Mitte des 8. Jahrhun- derts genannt werden1. Während es sich dabei um einzelne Texte handelt2, sind hagio- graphische Sammlungen handschriftlich erst aus der zweiten Hälfte des 8. Jahrhun- derts überliefert, wobei Guy Philippart elf Handschriften aus diesem Zeitraum verzeichnet, die allerdings nicht nur merowingische Heiligenleben überliefern3. Aus der Perspektive der handschriftlichen Überlieferung könnte man also überhaupt nur von einem Panorama karolingischer Handschriften merowingischer Hagiographie sprechen, das erst um 800 interessante Konturen gewinnt. Zu diesen ältesten Handschriften zählt Codex 420 der Österreichischen National- bibliothek, eine Sammlung hagiographischer Texte, die erst relativ spät, im Jahr 1907, in den Gesichtskreis der Forschung geriet4.

1 Paris, BNF lat. 9550, fol. 81v–86r; Paris, BNF lat. 18315. Ich danke Richard Corradini, Gerda Heydemann, Franz Lackner, Hildegund Müller, Marianne Pollheimer und Helmut Reimitz für zahlreiche Anmerkungen zu diesem Text. Vor allem möchte ich mich bei Martin Heinzelmann bedanken, der mir nahelegte, die Forschungen über Codex 420 für diesen Band niederzulegen. 2 Vgl. Joseph-Claude Poulin, Les libelli dans l’e´dition hagiographique avant le XIIe sie`cle, in: Martin Heinzelmann (Hg.), Livrets, collections et textes. E´ tudes sur la tradition hagiogra- phique latine, Ostfildern 2006 (Beihefte der Francia, 63), S. 15–193, hier S. 158. Vgl. z.B. auch St. Petersburg, Publichnaia bibl. Lat. fol. I 12mf (Passio Dionysii), siehe dazu: Poulin, Les libelli, S. 85. 3 Vgl. Guy Philippart, Les le´gendiers latins et autres manuscrits hagiographiques, Turnhout 1975 (Typologie des sources du Moyen Aˆ ge occidental, 24/25), S. 31; Franc¸ois Dolbeau, Notes sur l’organisation interne des le´gendiers latins, in: Hagiographie, cultures et socie´te´s, IVe–XIIe sie`cle. Actes du colloque organise´a` Nanterre et a` Paris (2–5 mai 1979), Paris 1981, S. 11–31. Philippart, Les le´gendiers latins, S. 30, Anm. 21, nennt darüber hinaus noch: Montpellier, bibliothe`que de la faculte´ de me´decine (in der Folge: FM) 55; Paris, BNF lat. 10861 (poste´rieures a` 800) und Wien, Österreich. Nationalbibl. (in der Folge: ÖNB), Cod. lat. 371. Ergänzen könnte man: Bern, Burgerbibl. Ms. 50 (Frg.: Anastasia, Afra) und München, Univ.Bibl. 4°Cod. ms. 3 (fol. 80v–104v: Vita Martini). Zur ältesten hagiographischen Handschrift, die mindestens eine merowingische Vita überliefert, zählt München, Bayer. StB Clm 3514, S. 232–239 (Vita Medardi), eine Unzial- handschrift, die in die Mitte des 8. Jahrhunderts datiert wird. 4 Georg Vielhaber, De codice hagiographico C. R. Bibliothecae Palatinae Vindobonensis Lat. 420 (olim Salisburg. 39), in: AnalBoll 26 (1907), S. 33–65; Bruno Krusch, Ein Salzburger Legen- dar mit der ältesten Passio Afrae, in: Neues Archiv 33 (1908), S. 15–52; Otto Mazal, Die Salz- 220 Maximilian Diesenberger

Der Wiener Codex überliefert neben einigen wenigen Passiones und Viten der Wüstenväter hauptsächlich die ältesten heute bekannten Zeugnisse einiger merowin- gischer Heiligenleben, darunter u.a. die ältere Vita des Richarius, die Lebensbe- schreibungen des Lupus von Sens, des Anianus von Orle´ans, des Germanus von Auxerre, des Filibertus von Jumie`ges, des Audoinus von Rouen und die Vita des Arnulf von Metz. Die Handschrift enthält des Weiteren einen nicht unbeträchtlichen Teil der dem Venantius Fortunatus zugeschriebenen Viten und überliefert mit der Lebensbeschreibung des Venantius von Tours, die dem Kap. 16 von Gregors von Tours Liber vitae patrum entspricht, außerdem das älteste handschriftliche Zeugnis eines hagiographischen Textes des Turoner Bischofs, das bisher bekannt ist5. Da der Codex den beiden Editoren Bruno Krusch und Wilhelm Levison erst ab den Arbeiten zum 5. Band der Scriptores rerum merovingicarum (1910) zur Verfügung stand, liegen viele der in den Vorbänden dieser Reihe edierten Viten bis heute mit wenigen Ausnahmen in keiner zufrieden stellenden Edition vor. Das trifft vor allem auch auf die Viten des Venantius Fortunatus zu, die von Bruno Krusch im Rahmen der Auctores Antiquissimi bereits 1885 ediert worden waren und deren Editionen durch die ›Funde‹ mehrerer Handschriften in den folgenden Jahrzehnten, darunter Codex 420, doch einiger wesentlicher Korrekturen bedürfen. Während die meisten dieser Zeugnisse merowingischer Hagiographie von den MGH-Editoren zumindest in Nachträgen dokumentiert wurden, fanden einige Texte der Wiener Sammlung bei Krusch und Levison überhaupt keine Beachtung6. Dass die Lebensbeschreibungen der Eremiten Symeon stylita, Antonius und Paulus oder die Jungfrauenpassiones im zweiten Teil der Handschrift nicht beachtet wurden, erklärt sich aus dem spezifi- schen Interesse an merowingischen Texten. Die Vita des Evurtius von Orle´ans und die Lebensbeschreibung des Romanus von Blaye fielen hingegen der Entscheidung der MGH-Editoren zum Opfer, ab Band 3 der SRM den Zeithorizont des Heiligen als Maßstab zur Aufnahme eines Textes in die Editionsreihe zu wählen, und nicht den Zeithorizont der Texterstellung. Damit fanden generell auch die gallischen Märty- rerakten – der Rictiovaruszyklus und der burgundische Märtyrerzyklus – die im 6. bzw. 7. Jahrhundert entstanden sind, keine Berücksichtigung, obwohl sie eigentlich zur gallischen bzw. merowingischen Hagiographie zu zählen sind7. Eine weitere

burger Dom- und Klosterbibliothek in karolingischer Zeit, in: Codices manuscripti 3 (1977), S. 44–64, hier S. 54: »geschrieben in Salzburg um 800«. Vgl. auch E.A. Lowe, CLA X: Austria, Belgium, Czechosolovakia, Denmark, Egypt, and Holland, Oxford 1963, Nr. 1479. 5 Diese Beobachtung verdanke ich Martin Heinzelmann. 6 Die Nachträge finden sich in MGH, SRM VII, 1919, S. 707–855. 7 Vgl. Walter Berschin, Biographie und Epochenstil Mittelalter, Bd. 2: Merowingische Biogra- phie. Italien, Spanien und die Inseln im frühen Mittelalter, Stuttgart 1988 (Quellen und Unter- suchungen zur lateinischen Philologie des Mittelalters, 9), S. 83: »Gute Aussichten, auf eine merowingische Grundschicht zu stoßen, würden Untersuchungen des ›Rictiovarus-Zyklus‹ bie- ten.« Vgl. Ian N. Wood, The Use and Abuse of Late Hagiography, in: Evangelos Chrysos, Ian N. Wood (Hg.), East and West. Modes of Communication, Leiden, Boston, Köln 1999 (The Transformation of the Roman World, 5), S. 93–109, hier S. 98f.: »We even tend to underestimate the variety (of hagiographical texts) because we usually forget that a substantial proportion of the acts of the christian martyrs of the Roman period were compiled in the fifth century and later. The destructive review by Delehaye of Dufourcq’s ›E´ tudes sur les Gesta Martyrum‹ may have been a factor in the subsequent comparative neglect of these texts. This has unfortunately served Der Cvp 420 221

Einschränkung der MGH-Editoren bei der Auswahl ihrer Texte lag darin, dass sie Lebensbeschreibungen, die in Überarbeitungen vorlagen, nur in Ausnahmefällen edierten. Im Zusammenhang mit den unterschiedlichen Genovefaversionen – die sogenannte C-Version wird im Codex 420 überliefert – hatte Bruno Krusch im Jahr 1916 sogar auf das Programm der MGH verwiesen, das ihn verpflichte, im Gegensatz zu den Acta sanctorum die unterschiedlichen Versionen eines Textes nicht zu edieren – ein Vorsatz, dem mit wenigen Ausnahmen auch Folge geleistet wurde8. Alkuins Lebensbeschreibungen des Vedastis und des Richarius im IV. Band der SRM oder Hinkmars Remigiusvita in Band III fanden offenbar nur deshalb Aufnahme in die Editionsreihe, da von diesen Texten zusätzliche historische Informationen zu gewin- nen waren – der Mehrwert ergab sich vor allem aber daraus, dass die Autoren dieser Texte bekannt und selbst in der Politik ihrer Zeit verankert waren. Für viele hagiographische Texte trafen diese entscheidenden Aspekte aber nicht zu. So wurde etwa die Vita des Simplicius von Autun aus Codex 420, eine Überarbeitung von Gregors von Tours Liber in gloria confessorum c. 75, offenbar deswegen über- gangen, da der Text von einem Heiligen handelt, der vor der Merowingerzeit lebte, da die Vita nach den Maßstäben des Editionsunternehmens keinen historischen Wert hatte und da sie die re´e´criture durch einen unbekannten Autor darstellt. Gerade diese vielfältigen Begrenzungen bei der Erstellung der Editionen führten aber einerseits dazu, dass der Blick auf die tatsächlichen Bestände hagiographischer Texte eingeschränkt bzw. verzerrt wurde, da er bis heute vom spezifischen Erkennt- nisinteresse der MGH-Editoren gelenkt wird9. Andererseits bewirkten diese Aus- wahlkriterien, dass der einzelne Text von seinen Überlieferungsträgern, den Hand- schriften, durchweg isoliert betrachtet wurde. Beide Aspekte waren den MGH-Editoren aber durchaus bewusst. Vor allem Wilhelm Levison hat in seinem »Conspectus codicum hagiographicorum«, der dem VII. Band der SRM beigefügt wurde, darauf hingewiesen, dass eine »historia collectionum ipsas vitas conplecten- tium, exceptis paucis, adhuc desideratur«10. Daraufhin legte er in einigen allgemeinen Überlegungen zu Ordnungsprinzipien von hagiographischen Sammlungen bzw. zu

to strengthen an understandable emphasis on those texts published within the various series of the ›Monumenta Germaniae Historica‹, most notably the ›Scriptores rerum Merovingicarum‹, leaving only the most devoted researcher to wrestle with sometimes inadequate editions to be found in the ›Acta sanctorum‹ (there are of course plenty of well edited texts in the ›Acta sanctorum‹ and in the ›Analecta Bollandiana‹), and the non-Frankish specialist to work with texts which are usually published in isolation. Even the Merovingianist may sometimes find him- or herself wrong-footed by the failure of Bruno Krusch and Wilhelm Levison to include a major work in the Scriptores rerum Merovingicarum«. 8 Bruno Krusch, Die neueste Wendung im Genovefa-Streit 1, in: Neues Archiv 40 (1916), S. 131–181, hier S. 147. Er bezog sich dabei wohl auf den Plan-Entwurf der MGH von 1819. Vgl. Ankündigung und Plan-Entwurf einer Sammlung der Quellen deutscher Geschichten des Mit- telalters, in: Archiv der Gesellschaft für ältere deutsche Geschichtskunde 1 (1819), bes. S. 20. 9 E. W. Brooks kritisiert etwa in seiner Besprechung des VII. Bandes der SRM (The English Historical Review, 35, 139, Juli 1920), S. 438–440, dass von den Editoren immer wieder Textteile von Viten ausgelassen worden sind. 10 Wilhelm Levison, Conspectus codicum hagiographicorum, in: MGH, SRM VII, 1919, S. 529. Mit der Ausnahme meinte Levison Albert Poncelet, Le le´gendier de Pierre Calo, in: AnalBoll 29 (1910), S. 5–116. 222 Maximilian Diesenberger

Verbreitungswegen einzelner Texte und Textgruppen die Grundlage für künftige Forschungen11. Die vorliegende Untersuchung unternimmt exemplarisch den Versuch, eine Sammlung hagiographischer Texte in ihrem handschriftlichen und sozialen Kontext zu analysieren. Dabei geht sie von folgenden Grundüberlegungen aus. Die Hand- schrift als Kompendium ist zwar das sichtbare Ergebnis der (handwerklichen) Bemü- hungen vieler beteiligter Personen, durchaus aber nicht der Endpunkt der gedank- lichen Verhandlungsprozesse, denen sie ihre Entstehung verdankt12. Jede vorliegende Handschrift stellt damit jeweils eine Momentaufnahme dar, deren ›Flüchtigkeit‹ oft sogar im Graphischen sichtbar wird. Die Differenz, also das Spannungsverhältnis, zwischen handwerklichem ›Endprodukt‹ und gedanklichen Verhandlungsprozessen zeigt sich auch darin, dass die meisten Kompendien durchaus Widersprüchliches in sich vereinen. Dies ist unter anderem auch Folge davon, dass die vorhandenen Res- sourcen, auf die die Kompilatoren einer Sammlung zurückgegriffen haben, in unter- schiedlicher Textform (inhaltliche und graphische Organisation des Textes, verschie- dene Schriftstile, in denen sie verfasst worden waren etc.) und in verschiedenen Überlieferungszusammenhängen (einzeln überliefert, als libelli, als Teil einer Misch- handschrift etc.) vorlagen. Darüber hinaus verfügten die frühmittelalterlichen Kom- pilatoren über divergierende Strategien, mit einem Text umzugehen, was unter ande- rem auch auf verschiedene Ansichten über die ›Authentizität‹ eines Textes zurückzuführen ist13. Angesichts dieser komplexen Grundvoraussetzungen besteht die Leistung der an einer Handschrift beteiligten Schreiber oft schon allein darin, das vorliegende Mate- rial überhaupt in eine Ordnung gebracht zu haben. Denn die Bemühungen, vorhan- dene Texte zu einem Ganzen zusammenzufügen, lassen deren Widersprüchlichkeit oft deutlicher hervortreten. Eine Analyse der vielfältigen organisatorischen Ent- scheidungen, die die Entstehung eines Kompendiums überhaupt erst bedingten, erlaubt demnach auch einen Einblick in den Fortschritt der gedanklichen Aneig- nungsprozesse. Schwierigkeiten bei der Abschrift oder bei der Einordnung einzelner Texte lassen dabei manchmal auch die Spur von der re´e´criture zur e´criture zurück- verfolgen.

11 Eine umfassende Analyse von hagiographischen Sammlungen als Kompendien benötigt dabei auch die Edition der einzelnen Texte, deren (ausschließende) Kriterien sie eigentlich zu über- winden trachtet. Die Untersuchung handschriftlicher Kontexte leidet daher oft eher am Mangel an guten Editionen zahlreicher hagiographischer Texte, die bis heute nur in ungenügender Form vorliegen. 12 Der Begriff des »Handwerks« soll in diesem Zusammenhang durchaus auch die intellektuellen Entscheidungsprozesse einschließen, die die Produktion eines Objektes wesentlich mitbestim- men. Vgl. dazu Richard Sennett, The Craftsman, New Haven 2008. Obwohl die Handschrift zunächst das Ergebnis einer handwerklichen Tätigkeit darstellt, ist sie selbst weiterhin Verän- derungen unterworfen. 13 In diesem Zusammenhang könnte die von Michel Foucault, L’ordre du discours. Lec¸on inau- gurale au Colle`ge de France prononce´e le 2 de´cembre 1970, Paris 1971, vorgebrachte Kritik am modernen Textbegriff auch auf die Frage der Kompendien ausgeweitet werden. Der Cvp 420 223

DIE LOKALISIERUNG DER HANDSCHRIFT

Die Handschrift Österreichische Nationalbibliothek, Lat. 420 wurde im sogenann- ten Arn-Stil sehr wahrscheinlich in Saint-Amand geschrieben und gelangte bald danach nach Salzburg, wo sie vereinzelt Korrekturen durch den magister Baldo erfuhr14. Die paläographische Zuordnung der Handschrift nach Saint-Amand wurde von Bernhard Bischoff vorgenommen. Sie kann auch inhaltlich bestätigt werden15. So überliefert der Codex zahlreiche merowingische Heiligenleben, deren Existenz in Bayern zu dieser Zeit sonst nicht nachweisbar ist. Die wenigen in dieser Samm- lung überlieferten Texte, die aber zur Zeit der Entstehung von Codex 420 auch in Bayern verfügbar waren, gehören jeweils unterschiedlichen Handschriftenklassen an, wie es etwa die lateinische Übersetzung der Vita Antonii eremitae des Evagrius von Antiochia zeigt. Im Vergleich mit den vier anderen aus bayerischen Bibliothe- ken überlieferten Texten der Vita Antonii aus dem späten 8. bzw. 9. Jahrhundert, die der Handschriftenklasse δ angehören, zählt die Version aus Codex 420 zu einer Handschriftengruppe α, die sonst nicht im bayerischen Raum bezeugt ist16. Damit gehört Codex 420 zu einer Vielzahl von Handschriften, die in der Zeit Arns von Salzburg ihren Weg aus dem westlichen Frankenreich in den bayerischen Raum gefunden haben.

DIE DATIERUNG DER HANDSCHRIFT

Eine genaue Datierung der Handschrift ist paläographisch nicht möglich. Sie ist als ein Zeugnis des Arn-Stils, der zwischen den 780er und 820er Jahren in Erscheinung trat, chronologisch nur relativ einzuordnen. Codex 420 weist einerseits die meisten Buchstabenformen auf, die nach Bischoff die voll ausgebildete Minuskel der »älteren Gruppe« charakterisieren17, zeigt aber andererseits im Schriftbild einen Ansatz zum

14 Siehe Bernhard Bischoff, Die südostdeutschen Schreibschulen und Bibliotheken, Bd. 2: Die vorwiegend Österreichischen Diözesen, Wiesbaden 1980, S. 121f., der die Handschrift unter jene »des Arnstils ohne Beteiligung Salzburger Hände« einordnete. Vgl. allerdings E. A. Lowe, CLA X, Nr. 1479: »written at Salzburg, possibly by scribes from St. Amand«. Hermann Julius Her- mann, Die frühmittelalterlichen Handschriften des Abendlandes, Leipzig 1923 (Beschreibendes Verzeichnis der illuminierten Handschriften Österreichs, 1: Die illuminierten Handschriften und Inkunabeln der Nationalbibliothek in Wien), S. 154: »In Salzburg am Anfang des IX. Jahr- hunderts geschrieben«. 15 Bischoff, Schreibschulen 2 (wie Anm. 14), S. 121f. 16 Zur Handschriftengruppe δ zählen: München, Bayer. StB Clm 6393; Brüssel, Bibl. Royale 8216–8218; Wien, ÖNB lat. Ser. Nov. 2070; Wien, ÖNB Ser. nov. 3763; Salzburg, Stiftsbibl. St. Peter, Cod. a VIII 25 (aus dem 10. Jh.). Vgl. dazu Pascal Bertrand, Die Evagriusübersetzung der Vita Antonii. Rezeption – Überlieferung – Edition. Unter besonderer Berücksichtigung der Vitas Patrum-Tradition, Universität Utrecht 2005 (unveröffentlichte Dissertation), S. 124. 17 Vgl. die Aufzählung in Bischoff, Schreibschulen 2 (wie Anm. 14), S. 64 bzw. CLA X, S. XIII. Einzelformen: »s« geht am Wortanfang in die Unterlänge: fol. 52r; versch. r-Ligaturen: fol. 66v; 67r; 67v; »ra« (am Wortbeginn) fol. 61v; »rs« fol. 67r; beim »or«-Nexus ist der Schlussstrich unter 224 Maximilian Diesenberger

Ausgleich der Buchstabenbreiten an, die die von Bischoff postulierte »etwas jüngere Gruppe« kennzeichnen18. Allerdings lassen sich die meisten anderen Charakterisie- rungen der »jüngeren Gruppe« bei den Schreibern der Wiener Handschrift (noch?) nicht bzw. nur ansatzweise beobachten. Nach wie vor wurden von den Schreibern der Handschrift (mehr oder weniger) die f-Verbindungen, »uT« und vielfältige r-Li- gaturen verwendet19. In der relativen Chronologie der Handschriften ordnet sich der Codex wohl in der Mitte ein20. Ein Schreiber der Handschrift (»Schreiber E«) bedien- te sich der »Variante o-r«, die in mehreren Handschriften erscheint, die teilweise inhaltlich um 800 eingeordnet werden können. Dazu zählt etwa die Handschrift Wien, ÖNB, Lat. 418, die nicht nur im Zusammenhang mit der Schrift, sondern auch vom Initialschmuck her Ähnlichkeiten mit Codex 420 aufweist21. Einen inhaltlichen Hinweis für die Datierung der Handschrift um 800 gibt auch die in diese Sammlung aufgenommene ältere Vita des Richarius von Centula. Diese Vita, die im 7. Jahrhun- dert entstanden ist, diente zunächst am Ende des 8. Jahrhunderts als Grundlage für ein königliches Diplom für das Kloster Centula/Saint-Riquier, das Angilbert, der Abt des Klosters, bei Karl dem Großen am 28. April 797 erwirkte22. Die Urkunde spricht die erste Translation des Heiligen nach Centula an, die am 9. Oktober des Todesjahres des Heiligen stattgefunden hat. Das ist genau das Datum, unter dem die Vita Richarii in den Jahreskreis der Wiener Handschrift 420 eingereiht wurde, wäh- rend der Todestag des Heiligen am 26. April gefeiert wurde. Die in Codex 420 vor- liegende Vita entspricht also jenem Dossier, das Angilbert Karl dem Großen vorge- legt hatte. Nur wenige Jahre später diente derselbe Text als Grundlage für eine

die Zeile geschwungen, sodass der folgende Buchstabe (besonders »v« mit Kürzungsstrich) dar- überstehen kann: fol. 130v; 158v; 101r; 103r; »y« mit Punkt ist kurz und steht auf der Zeile: fol. 66r; häufiger Gebrauch von »uS«, »nT«, »uT«; vgl. z.B. fol. 99r. 18 Bischoff, Schreibschulen 2 (wie Anm. 14), S. 66. Als Charakteristikum der »etwas jüngeren Gruppe« zählt auch der Wechsel von einer Zeile in größerer roter Unziale mit einer solchen in kleinerer schwarzer Unziale (vgl. etwa Cod. 420 fol. 121v), bzw. von Zeilen roter Unziale mit Zeilen schwarzer Halbunziale (vgl. Cod. 420, fol. 166v.). 19 Zur Charakterisierung der »jüngeren Gruppe« vgl. Bischoff, Schreibschulen 2 (wie Anm. 14), S. 70. Weitere Merkmale, die auf eine jüngere Entstehung der Handschrift verweisen, werden von Bischoff (ibid., S. 67) genannt und sind durchaus, wenngleich auch nur vereinzelt, im Codex 420 zu beobachten; vgl. etwa unziales »e« im Rahmen der Auszeichnungsschrift in der Monu- mentalis auf fol. 9r. Eine genauere paläographische Datierung wird u.a. auch dadurch erschwert, dass die Schreiber durchaus auch ältere Formen der Schrift bevorzugen konnten. 20 Die Entstehung von Vatikanstadt, Bibl. Apostolica Vaticana (BAV), Reg. Lat. 1040, hält Bischoff, Schreibschulen 2 (wie Anm. 14), S. 64 und 103, in den späteren 780er Jahren für möglich. Zu den jüngeren Handschriften zählen Paris, BNF lat. 2109, und Laon, BM 298. Vgl. Bischoff, Schreibschulen 2 (wie Anm. 14), S. 100. 21 Zur Handschrift vgl. Bischoff, Schreibschulen 2 (wie Anm. 14), S. 125f; zur Datierung um 800 vgl. Rudolf Riedinger, Erzbischof Arn von Salzburg und die Handschriften Vat. Regin. Lat. 1040 und Vindobon. Lat. 418, in: Mitteilungen der Gesellschaft für Salzburger Landeskunde 124 (1984), S. 305–318, hier S. 310f. Zu einer genaueren Analyse der Handschrift vgl. Ders., Der Codex Vindobonensis 418 – seine Vorlagen und seine Schreiber, Turnhout 1989 (Instrumenta patristica, 17). Zu den Parallelen der Initialgestaltung vgl. z.B. Wien, ÖNB lat. 418, fol. 1, mit ÖNB, Cod. lat 420, fol. 172v, wobei die Ausführung der Initiale in der hagiographischen Hand- schrift qualitativ keineswegs mit jener der Acta concilii vergleichbar ist. Zur Beschreibung des Buchschmucks vgl. Hermann, Die frühmittelalterlichen Handschriften (wie Anm. 14), S. 154f. 22 D Karol. I. 182, ed. Engelbert Mühlbacher, MGH Diplomatum Karolinorum 1, 1906, S. 245f. Der Cvp 420 225 re´e´criture der Vita, die Angilbert von Alkuin im Jahr 800 erbeten hatte. Im Kontext dieser gezielten Verbreitung des älteren Textes durch Angilbert um 800 könnte sich auch die Aufnahme in die hagiographische Sammlung aus Saint-Amand ereignet haben. Angilbert stand in dieser Zeit in engem Kontakt mit Arn von Salzburg, der damals auch Abt von Saint-Amand war. Im Jahr 798 hielt sich der Abt von Centula sogar einige Tage im Kloster an der Scarpe auf und hätte damit die Gelegenheit gehabt, den Text persönlich dorthin mitnehmen zu können23. Für eine frühe Erstel- lung der hagiographischen Sammlung spricht darüber hinaus auch die Tatsache, dass der Wiener Codex nicht Alkuins Version der Vita überliefert, obwohl der Angelsach- se den (Erz-)Bischof von Salzburg bis zu seinem Lebensende mit vielen Texten aus dem Frankenreich, darunter auch mit einigen seiner eigenen Schriften, versorgte24. Aufgrund des Alters der Wiener Handschrift war Bruno Krusch jedenfalls gezwungen, die zeitliche Einordnung einzelner Viten, die er bis dahin vorgenommen hatte, zu korrigieren25. Aber auch heute bedarf die Datierung einzelner in Codex 420 überlieferter Texte einer Korrektur. So überliefert die Handschrift 420 etwa die Vita Evurtii secunda des subdiaconus Lucifer (BHL 2799), die vom Großteil der For- schung als re´e´criture der Vita Evurtii prima (BHL 2800) angesehen und deren Ent- stehung daher im zweiten Viertel des 9. Jahrhunderts angesetzt worden ist26. Mit der frühen Datierung der Wiener Handschrift um 800 ist aber sowohl die Frage nach dem Verhältnis der beiden Viten zueinander als auch nach dem Kontext der Entstehung der beiden Texte neu zu stellen27.

23 Angilbert, Epistola 147, ed. Ernst Dümmler, MGH Epistolae 4, Karolini aevi 2, 1895, S. 237. 24 Vgl. dazu zahlreiche Hinweise bei Donald A. Bullough, Alcuin. Achievement und Reputation, Leiden, Boston 2004, S. 102, 181f. etc. 25 Vgl. etwa die Vita Lupi Trecensis, ed. B. Krusch, MGH SRM III, 1896, S. 117–124, deren Entstehung Krusch nach dem Fund zweier ihm zum Zeitpunkt der Edition unbekannter Hand- schriften eher früher ansetzte. Vgl. B. Krusch, Zur Florians- und Lupuslegende. Eine Entgeg- nung (Fortsetzung), in: Neues Archiv der Gesellschaft für ältere deutsche Geschichtskunde 24 (1899), S. 535–570, hier S. 561. Im Fall der älteren Passio Afrae, die nun im Codex 420 vorlag, war er aber nicht bereit, seine Überlegungen zur Entstehung der Afrapassiones zu überdenken, sondern beharrte auf seinem früheren Datierungsansatz. 26 Zur Datierung vgl. Genevie`ve Renaud, Les traditions de l’e´glise d’Orle´ans sur ses saints e´veˆques Euverte et Aignan, vies, miracles, culte, in: Annuaire de l’E´ cole pratique des hautes e´tudes, IVe section (1972/1973), S. 745–752; vgl. auch Thomas Head, Hagiography and the Cult of Saints. The Diocese of Orle´ans, 800–1200, Cambridge u.a. 1990, S. 34f. 27 Jean-Charles Picard, Orle´ans, in: Nancy Gauthier, Jean-Charles Picard, Topographie chre´- tienne des cite´s de la Gaule des origines au milieu du VIIIe sie`cle, Bd. VIII: Province eccle´siastique de Sens (Lugdunensis Senonia), Paris 1992, S. 81–96, hat zu Recht darauf hingewiesen, dass die Version des Lucifer nicht unbedingt als Wiederschrift der Vita prima angesehen werden muss. Eine genaue Analyse der Evurtiustexte kann an dieser Stelle nicht erfolgen. 226 Maximilian Diesenberger

DIE ORGANISATION DER HANDSCHRIFT

Die Handschrift überliefert 35 hagiographische Texte, wobei die männlichen und weiblichen Heiligen voneinander getrennt wurden28. Dabei wurden die Inventio sanctae crucis und die mit ihr offenbar schon in der Vorlage gemeinsam überlieferte Exaltatio seu revelatio sanctae crucis (fol. 150v–158v) als ›biographischer Text‹ der Kaiserin Helena aufgefasst und dem weiblichen Teil der Handschrift zugeordnet. Sowohl der erste Teil, der die Texte über männliche Eremiten und Heilige überliefert, als auch der zweite Teil, der Viten und Passiones über Frauen wiedergibt, wurde chronologisch nach dem Jahreskreis gereiht. Dabei gab es allerdings Schwierigkeiten bei der Einordnung einzelner Texte. Bei der Datumsangabe von Lupus von Sens (1. September) wurde fälschlicherweise jene seines Namensvetters von Lyon (24. September) aufgenommen, und die Vita des Simplicius von Autun (19. November) erscheint unter dem Datum des gleichnamigen Bischofs von Vienne am 12. Febru- ar29. Wenn die Daten mancher Heiligen nicht verfügbar waren, wurden die betref- fenden Texte am Ende des jeweiligen Teils angeordnet. Dies trifft auf die Vita Paterni ebenso zu wie auf die Vita Romani und die Passio septem dormientium, die am Ende des ersten (männlichen) Jahreskreises auf fol. 115r–130v Aufnahme gefunden haben. Offenbar orientierten sich die Schreiber nur an den Tagesdaten, die sie bei den hagio- graphischen Texten selbst fanden – ein Rückgriff auf bekannte Martyrologien, in denen etwa das Festdatum der septem dormientes leicht zu finden gewesen wäre, oder auf Kalendarien ist nicht festzustellen. Codex 420 zählt mit dieser chronologischen Anordnung der Texte zu den ältesten bekannten hagiographischen Handschriften, die diesem Aufbau folgen30. Manche Handschriften dieser Zeit weisen eine hierarchische Gliederung auf, die von den Aposteln über die Märtyrer, Päpste und Heiligen zu den weiblichen Märtyrern reicht31, andere wurden nach spezifischen lokalen Interessen bzw. nach (noch) nicht nachvollziehbaren Mustern gegliedert32.

28 Vgl. Dolbeau, Le´gendiers latins (wie Anm. 3), S. 17, mit weiteren Beispielen. Unter den Texten, die sich mit den weiblichen Heiligen bzw. Märtyrerinnen befassen, finden sich auch die Inventio ss. crucis, intermissa est legenda Iudae Quiriaci und die Exaltatio seu reversio s. Crucis, bei denen jeweils der Kaiserin Helena eine tragende Rolle zukam. Der Bibliothekar Johannes Holveld aus dem 15. Jh. zählt in seiner dem Codex 420 vorgebundenen Inhaltsangabe auf fol. 1r/v nur 34 Texte, da er den Beginn der Vita Eulaliae auf fol. 172v nicht aufnahm. 29 Das historische Martyrolog Salzburgs gibt allerdings zum 1. September korrekt: Sennis Lupi epi. Vgl. Meta Niederkorn-Bruck, Das Sanctorale Salzburg um 800. Liturgie zwischen Norm und Praxis, Universität Wien 1999 (unveröffentlichte Habilitationsschrift), S. 397. Bei der Datums- angabe zur Vita Arnulfi auf fol. 46r wurde von einer anderen Hand die Datumsangabe von XVIII Kl. Septb fälschlicherweise auf XVIII Kl. Octb korrigiert. Die Vita des Paulus von The- ben (eigentlich 10.1.) erscheint unter dem Datum des Apostels Paulus. 30 Vgl. dazu die ältere Handschrift München, Bayer. StB, Clm 3514, Mitte 8. Jh., deren Texte ebenfalls chronologisch angeordnet wurden. Siehe auch Karlsruhe, Badische Landesbibl., Ms. Aug. perg. 32 (Reichenau, 2. Viertel 9. Jh); Wien, ÖNB lat. 371 (Anfang 9. Jh.). 31 München, Bayer. StB, Clm 4554; bzw. teilweise Montpellier, FM lat. 55; vgl. auch den späteren Codex aus Bobbio: Vatikanstadt, BAV, lat. 5771. Vgl. Dolbeau, Le´gendiers latins (wie Anm. 3), S. 17: »L’ordre hie´rarchique est rarissime et archaı¨que«. 32 Montpellier, FM Lat. 55; Sankt Gallen, Stiftsbibl. 548; Turin, BN, D. V. 3 (2. Hälfte 8. Jh., wahrscheinlich Soissons). Der Cvp 420 227

DIE ARBEITSWEISE DER AN DER HANDSCHRIFT BETEILIGTEN SCHREIBER

Die Analyse der Arbeitsweise der an der Erstellung der Sammlung beteiligten Kräfte erlaubt genauere Einblicke in die Entscheidungsprozesse, die der Entstehung der Handschrift vorangingen beziehungsweise diese begleiteten. Codex 420 besteht heute aus 172 Blättern und wurde von (mindestens) fünf Hän- den geschrieben, die jeweils ein ihnen zugewiesenes Textkontingent kopierten33. Schreiber A verfasste fol. 2r–60v; Schreiber B: fol. 61r–98v; Schreiber C: fol. 99r– 130v; Schreiber D: fol. 131r–158v; Schreiber E: fol. 159r–172v34. Am Ende des Codex fehlen mehrere Blätter, denn auf der letzten erhaltenen Versoseite (fol. 172v) beginnt erst die Passio der Eulalia35. Zwischen fol. 98v und 99r des Codex 420 soll nach G. Vielhaber und W. Levison mindestens eine Lage ausgefallen sein, da die Vita Germani Autissiodorensis im Kapi- tel 27 (von 46 Kapiteln der Edition) abbricht und mit fol. 99r ein anderer Schreiber mit der Richariusvita beginnt36. Eine Analyse der Arbeitsweise der fünf Haupthände, die an der Erstellung der Sammlung beteiligt waren, verdeutlicht jedoch, dass im Zusammenhang mit den fehlenden Teilen der Vita des Germanus von Auxerre nicht unbedingt von einem Textverlust auszugehen ist. Die Handschrift überliefert 23 Lagen und weist eine zeitgenössische Lagenzählung in Majuskelbuchstaben von »A« bis »Y« auf, die unregelmäßig zwischen vier Schnör- keln geschrieben wurden37. Daneben zeigen sich Reste einer alternativen Lagenzäh- lung in römischen Zahlzeichen unter einem Winkel (bzw. zwischen zwei Winkeln) ausschließlich auf der 9. bis zur 17. Lage38. Dieser Teil der Handschrift wurde vom zweiten und dritten Schreiber (»Schreiber B und C«) verfasst, die offensichtlich bereits Kenntnis davon hatten, wie viele Lagen von ihren Kollegen vor ihnen gefüllt worden waren. Es spricht einiges dafür, dass diese alternative Zählung noch in Saint-

33 Nicht gezählt sind dabei fol. 1 und fol. 173, die später vor- bzw. nachgeheftet worden sind. Vielhaber, De codice hagiographico (wie Anm. 4), S. 34, unterschied nur 3 Hände; er sah bereits auf 60v den Wechsel von der ersten zur zweiten Hand. Bernhard Bischoff, Die südostdeutschen Schreibschulen und Bibliotheken in der Karolingerzeit, Bd. 1: Die bayrischen Diözesen, Wies- baden 21960, S. 121, folgte ihm in diesem Zusammenhang. Die Lagen wurden in 19 Zeilen angelegt, die manchmal überschritten wurden. Nur das Blatt von 103r–104v weist eine Liniie- rung von 20 Zeilen auf. 34 Die ersten drei Schreiber kopieren den männlichen Jahreskreis, die letzten beiden den weiblichen Jahreskreis. 35 Die Wiener Handschrift ÖNB lat. 339 aus dem 12./13. Jh. überliefert eine Kopie des letzten Teiles des Codex 420. Zu Cod. lat. 339 vgl. Wilhelm Wattenbach, Verzeichniß der auf der oesterreichischen Reise untersuchten Handschriften: Wien, in: Archiv der Gesellschaft für ältere deutsche Geschichtskunde 10 (1849), S. 447–592, hier S. 542–544. 36 Siehe Vielhaber, De codice hagiographico (wie Anm. 4), S. 35, und W. Levison, MGH, SRM VII, 1919, S. 235. Der Text bricht in der Edition auf S. 271, Z. 1 mit den Worten emendatione fruerentur ab, bietet aber inhaltlich durchaus einen ›stimmigen‹ Abschluss. 37 Vielhaber, De codice hagiographico, S. 34, gibt fälschlicherweise 22 Lagen an (die letzte Lage ist unvollständig und weist daher keine Zählung auf). 38 ÖNB, Cod. lat. 420, fol. 68v, 76v, 84v, 92v, 108v, 116v, 124v, 130v. 228 Maximilian Diesenberger

Amand, aber offenbar nur von diesen Schreibern vorgenommen worden war. Nur wenig später wurde sie (in Salzburg?) durch die neue, nun die gesamte Handschrift erfassende Zählung ersetzt39. Auf fol. 108v findet sich etwa die Rasur der älteren Zählung in der Mitte der Versoseite, die neue Zählung wurde danebengesetzt, da die radierte Stelle vermutlich zu rau war, um überschrieben zu werden. Die an der Erstellung der Sammlung beteiligten Hände arbeiteten offenbar nach- einander, folgten dabei aber durchaus einer Arbeitsteilung, die noch vor dem Beginn der Gesamtarbeiten verhandelt worden war. Dabei ist nicht nur die Anzahl der jeweils von einem Schreiber zu kopierenden Texte festgelegt worden, sondern offen- bar auch der Umfang der Seiten, die insgesamt gefüllt werden sollten. Die fünf Schreiber kopierten die ihnen zugeteilten Texte nämlich grundsätzlich auf größeren Lageneinheiten, meist auf Quaternionen, und ergänzten diese dann zum Ende hin mit jeweils einer kleineren Lageneinheit40. So fügte Schreiber A einen Binio an, um die Vita Filiberti (fast) zu Ende zu schreiben; Schreiber B und C fügen jeweils einen Ternio an, Schreiber D wiederum einen Binio, bei Schreiber E bleibt der Umfang der Ergänzungen wegen des Blattverlusts unklar. Diese Vorgehensweise zeigt, dass die fehlenden Teile der Vita des Germanus von Auxerre sehr wahrscheinlich nicht auf einen Lagenverlust zurückgehen. Denn das Ende der ihm zugewiesenen Texte war für den Schreiber B offenbar schon abzuse- hen, als er die Germanusvita begann, da er bereits auf eine kleinere Lageneinheit zugriff. Diese Zäsur wird auch durch die alternative, wahrscheinlich ältere Lagen- zählung des nun folgenden Schreibers bekräftigt, der ja genau den Lagenbestand dokumentierte, der auch heute überliefert ist. Wie strikt sich die Schreiber an die geplante Organisation der Handschrift hielten, zeigt sich auch an der Vita Filiberti. Mit dieser Lebensbeschreibung schloss Schreiber A auf fol. 60v seine Arbeit ab, fand dabei aber auf der letzten Lage (einem Binio) nicht mehr genug Platz vor, um noch den letzten Satz des Textes zu kopieren, und ließ ihn deshalb entfallen41. Dass das Fehlen von Textpassagen aber nicht grundsätzlich auf schlechtes Platz- management der Schreiber oder auf den Verlust von Lagen zurückging, verdeutlicht schließlich die Vita Antonii, die auf der vorletzten Zeile von fol. 20r nach dem 14. Kapitel endet42. Noch auf derselben Seite setzt Schreiber A mit der Überschrift der Vita des Simplicius fort, ohne dass hier von einem Blattverlust oder von einem Lagen- bzw. Handwechsel die Rede sein kann.

39 Zählungen mit römischen Zahlzeichen unter einem Winkel finden sich z.B. in Wien, Österreich. Staatsarchiv, Codex R0139; Salzburg, Stiftsbibl. St. Peter, Cod. a VII 2, fol. 11r–226v; Salzburg, Stiftsbibl. St. Peter, Cod. a IX 16; Stiftsbibl. St. Peter, Cod. a X 23; München, Bayer. StB, Clm 5508, bis fol. 151r; zur Zählung in Majuskelbuchstaben vgl. den mit dem Cvp 420 verwandten Codex Wien, ÖNB lat. 371. Wien, ÖNB lat. 418 weist beide Zählungsarten auf. Wien, ÖNB lat. 366 hat Zählungen mit römischen Zahlzeichen und mit Minuskel- und Majuskelbuchstaben. 40 Schreiber A beginnt allerdings mit einem Ternio; Schreiber C mit einem Quinternio, wobei er das Mittelblatt (fol. 103 und 104) auf allen 4 Seiten im Gegensatz zu allen anderen Lagen mit 20 Zei- len füllte. 41 ÖNB, Lat. 420, fol. 60v: gloriae in triumphum. Vgl. Vita Filiberti abbatis Gemeticensis et Heri- ensis 43, ed. W. Levison, MGH, SRM V, 1919, S. 568–606, hier S. 604, Z. 12. 42 Vgl. Vita sancti Antonii 14, ed. Bertrand, Die Evagriusübersetzung der Vita Antonii (Anm. 16), S. 165. Der Cvp 420 229

Offenbar fielen bei längeren Texten, wie bei der Antoniusvita oder bei der Lebens- beschreibung des Germanus von Auxerre ganze Kapitel aus Platzgründen aus. Bei der Vita Hilarii wurde wohl aus diesem Grund das 2. Buch nicht aufgenommen43. Es zeigt sich überhaupt beim Aspekt der Kürzungen, wie z.B. auch bei Prologen oder Epilogen, keine einheitliche Linie. Bei einigen hagiographischen Texten wurde auf die Prologe verzichtet, bei manchen blieben sie bestehen44. Die chronologische und geschlechterspezifische Anordnung der Handschrift spricht zwar für einen klaren, die Gesamtheit der Sammlung betreffenden Arbeits- plan der beteiligten Schreibkräfte, die etwa auch darauf achteten, dass sich ihr Umfang in Grenzen hielt. Trotz dieser gemeinsamen Vorgaben und Entscheidungs- prozesse reihen sich die einzelnen von den Schreibern verfassten Teile aber nicht nahtlos aneinander. Der unvermittelte Abbruch der Arbeiten an der Vita Filiberti durch Schreiber A und an der Vita Germani durch Schreiber B und die Zählung nur der Lagen, die von den Schreibern B und C verfasst wurden, verdeutlichen, dass sich die Schreiber vor allem daran orientierten, die allgemein besprochenen Vorgaben in dem ihnen zugewiesenen Teil zu erfüllen.

DIE GRAPHISCHE GESTALTUNG DER HANDSCHRIFT, DIE ORGANISATION DER EINZELNEN TEXTE UND MÖGLICHE VORLAGEN

Eine vergleichbare Spannung zwischen den individuellen Entscheidungsprozessen der einzelnen Schreiber und den allgemeinen Vorgaben ist auch im Zusammenhang mit der graphischen Gestaltung der Sammlung festzustellen. Die Handschrift weist zwar deutlich Vereinheitlichungsbestrebungen von allen beteiligten Händen auf: Die Texte wurden konsequent durchnummeriert und, wenn vorhanden, das Todesdatum des jeweiligen Heiligen angegeben. Als Auszeichnungsschrift diente mit wenigen Ausnahmen eine Unziale, die in roter Tinte ausgeführt wurde. Manche Rubrik wur- de mit Buchstaben verschiedener Schriften gestaltet, darunter auch mit einer Halb- unziale. Die spezifische Struktur der Sammlung hat allerdings auch in der graphi- schen Organisation der Handschrift ihre Spuren hinterlassen. So füllte Schreiber A auf fol. 2r eine halbe Seite mit einer Monumentalcapitalis in drei Zeilen und markierte damit den Beginn der Sammlung45. Die beiden ihm nachfolgenden Hände (Schreiber

43 Venantius Fortunatus, Vita Hilarii ep. Pictavensis: Cod. Lat. 420, fol. 9r–14r. Vielleicht auch ein Hinweis, dass die Kompilatoren der Sammlung nicht so sehr am Nachleben der Heiligen Inter- esse zeigten. 44 Die Prologe fehlen etwa bei Venantius Fortunatus, Vita Hilarii ep. Pictavensis (fol. 9r–14r); Vita Antonii eremitae (fol. 14r–20r); Venantius Fortunatus, Vita Albini ep. Andegavensis (fol. 22r– 26r); Epistola Urbani presb. de Paulini (Nolensis) obitu (fol. 31v–35r); Vita Germani Autis- siodorensis (fol. 87v–98v); Vita Amantii ep. Ruteni (fol. 107r–110r). 45 Vgl. die Monumentalcapitalis in Wien, Österreich. Staatsarchiv, Codex R 0139, 1r (Saint- Amand), in einer allerdings weitaus besseren Qualität; oder Valenciennes, BM 100 (93) fol. 1r (Saint-Amand). 230 Maximilian Diesenberger

B und C), die den Jahreskreis der männlichen Heiligen fortführten, verzichteten beim Beginn ihrer Schreibtätigkeit auf fol. 61r bzw. auf fol. 99r im Vergleich mit den Rubriken, die sie im Verlauf ihrer Arbeiten für die anderen ihnen zugewiesenen Texte verwendeten, auf eine nochmals hervorgehobene Gestaltung. Dagegen gestaltete Schreiber D das Incipit zur Genovefavita auf fol. 131r deutlich größer, als er es danach mit den Rubriken zu den folgenden Texten machte, nicht aber Schreiber E auf fol. 159r. Damit wurde offenbar auch graphisch der Unterteilung der Sammlung in einen männlichen und weiblichen Teil Rechnung getragen. Die inhaltliche Organisation der Rubriken im Besonderen und die graphische Aus- gestaltung der Handschrift im Allgemeinen zeugen aber von einem nicht völlig ver- einheitlichten Formwillen. Es variieren nämlich durchaus die Auszeichnungsschrif- ten, die Gestaltung der Initialen und die inhaltliche Ordnung der Rubriken. Manche Unregelmäßigkeiten bei der graphischen und inhaltlichen Gestaltung der Rubriken gehen dabei auf den individuellen Gestaltungswillen der einzelnen Schreiber zurück. So verwendet Schreiber A nur bei den ersten drei Texten, die er kopiert, als Haupt- auszeichnungsschrift eine Monumentalcapitalis, während er sonst eine Unziale (mit vereinzelten Kapitalisbuchstaben) verwendet. Ebenso individuell scheint die Gestal- tung der Initialen gewesen zu sein. Sie sind allgemein sehr schlicht gehalten, weisen dabei unterschiedliche Formen und vereinzelt (florale) Ornamente oder Verwen- dung von Farben (rot und grün) auf und folgen keiner einheitlichen Vorgabe, selbst nicht bei den Texten, die von einem Schreiber kopiert wurden46. Auch die Schrift- größe der Rubriken schwankt sowohl zwischen den Schreibern als auch innerhalb der Texte der jeweiligen Kopisten erheblich47. Bei der inhaltlichen Organisation der Rubriken bietet Schreiber A zunächst den Titel des Textes und danach das Datum. Schreiber B und C setzen zunächst mit dem Datum an und lassen daraufhin den Titel folgen. Schreiber D gibt beide Formen wieder. Schreiber E schließlich beginnt seine Texte konsequent mit einem Incipit und lässt daraufhin den Titel des Textes und das Datum folgen. Unregelmäßigkeiten zeigen sich auch beim Umgang mit den Prologen. Schreiber A gab etwa die Prologe der Vita Pauli und der Vita Filiberti wieder, ohne diese als solche zu bezeichnen oder sie vom Haupttext graphisch durch eine Initiale hervor- zuheben48. Im Fall der Vita Arnulfi trennte er aber im Gegensatz dazu das Vorwort vom Haupttext sowohl inhaltlich, indem er dieses als prologus bezeichnete und indem er die Datumszeile vor dem Haupttext wiedergab, als auch graphisch durch eine Initiale49. Bei einigen anderen Texten wurden die Prologe erst gar nicht aufge- nommen50. Im Fall der Vita Albini fehlt zwar der von Venantius Fortunatus verfasste

46 Vgl. dazu Hermann, Die frühmittelalterlichen Handschriften (wie Anm. 14), S. 154f. 47 Schreiber A lässt, abgesehen von der Symeonvita, die ja als Incipit der gesamten Sammlung gilt, unterschiedlich viel Platz für die Rubriken. Auf fol. 9r lässt er nach der Vita Hilarii eine Zeile leer, füllt mit dem Mittelband der Auszeichnungsschrift die folgende Zeile ganz aus, schreibt in der nächsten Zeile kleiner, aber gedehnt, das Datum in einer anderen Auszeichnungsschrift. Auf fol. 14 füllt er zwei Zeilen mit der Vita Antonii; auf fol. 20r benötigt er nur eine Zeile für die gesamte Rubrik, noch dazu in der letzten Zeile. 48 ÖNB Lat. 420, fol. 35r und 52r. 49 Vgl. ÖNB lat. 420, fol. 35r (Vita Pauli), fol. 52r (Vita Filiberti) mit fol. 46r (Vita Arnulfi). 50 Siehe Anm. 44. Der Cvp 420 231

Prolog51, da aber der erste Satz der Vita durch eine große Initiale eingeleitet und durch eine ebensolche vom Haupttext getrennt wurde, entsteht der Eindruck, dass der Text vollständig mit dem Vorwort vorhanden sei52. Dieser unausgewogene Umgang mit den Prologen, der sich auch bei den anderen Schreibern fortsetzt53, könnte ein Hinweis darauf sein, dass sich die Kopisten der Wiener Handschrift in manchen Fällen mehr an ihre Vorlagen hielten, als dass sie sich an der Organisation der Handschrift orientierten. Bei aller Vorsicht, die in diesen Fragen angebracht ist, könnten damit auch der an einigen wenigen Fällen bezeugte Wechsel der Auszeichnungsschriften oder die variierende Gestaltung der Initialen erklärt werden. Wenn die Rubrik sowohl bei der Vita Symeonis als auch bei der Vita Antonii jeweils eine Monumentalkapitalis aufweist, die sich über mehrere Zeilen erstreckt, kann dies auch als Hinweis auf eine gemeinsame Herkunft aus einer Samm- lung der Vitas patrum interpretiert werden. Desgleichen weisen die Passio septem dormientium apud Ephesum auf fol. 121v (Schreiber C) und die Passio Eufemiae auf fol. 166v (Schreiber E) sowohl in der graphischen Gestaltung der Rubriken als auch im Incipit Parallelen auf, die in der Handschrift sonst nicht zu finden sind54. In diesem Fall ist an ein Passionarium als Vorlage zu denken. Ähnlich sind die Parallelen zwi- schen der Vita Arnulfi auf fol. 46r, der Vita Albini auf fol. 22r (beide Schreiber A) und der Vita Paterni auf fol. 115r/v (Schreiber C) zu bewerten. Alle drei Viten überliefern eine deutliche graphische Trennung des Prologs vom Haupttext, wie sie in dieser Form in Codex 420 nicht weiter vorkommt. Im Fall der Arnulfvita ist diese Form auch bei anderen Überlieferungen bezeugt, bei der Albinusvita ist sie in den bekann- ten Handschriften sonst nicht vorhanden55, die Vita Paterni hat eine Parallele im zeitnahen Codex aus Montpellier56. Diese Texte des Codex 420 können deshalb eben- falls aus einer gemeinsamen Sammlung stammen. Vielleicht standen den Schreibern aus Saint-Amand u.a. sogar einzelne chronolo- gisch geordnete Vorlagen zur Verfügung. Codex 420 überliefert die Lebensbeschrei- bungen des Severin von Köln (21. Oktober) und des Venantius von Tours (23. Okto- ber) gemäß der chronologischen Ordnung hintereinander57. Beide Texte standen in

51 ÖNB lat. 420, fol. 22r. Der Text setzt erst mit dem Haupttext an: Venantius Fortunatus, Vita sancti Albini V, 10, ed. B. Krusch, MGH Auct. Ant. IV, 2, 1885, S. 29, Z. 6. 52 Venantius Fortunatus, Vita Albini V, 11, MGH, Auct. Ant. IV, 2, S. 29, Z. 9. 53 Schreiber B (fol. 61r–98v) überliefert die Prologe zur Vita des , des Vivianus, des Lupus von Sens, des Evurtius, nicht aber des Germanus von Auxerre. Im Fall der Vita Audoini (fol. 61r–66v) beginnt der Haupttext schon mit dem letzten Satz des Prologs, wie ihn die Edition wiedergibt. Vgl. Vita Audoini episcopi Rotomagensis, prologus, ed. W. Levison, MGH, SRM V, 1910, S. 536–567, hier S. 554, Z. 1: Igitur favente Domino ... Die Initiale wurde dabei links vom Schriftblock abgesetzt, was im Fall der Vita Lupi nicht geschah. 54 Bei beiden Passiones erstrecken sich die Titel über drei Zeilen, wobei die zweite Zeile jeweils in brauner bzw. schwarzer Tinte geschrieben wurde. 55 Vgl. Vita Arnulfi, prologus, ed. B. Krusch, MGH, SRM II, 1888, S. 426–446, hier S. 432. 56 Vgl. Montpellier, FM 55, fol. 48r–51r, und die jüngere Hs. Paris, BNF lat. 5666, fol. 54; vgl. zur Letzteren: Venantius Fortunatus, Vita sancti Paterni, ed. B. Krusch, MGH, Auct. Ant. IV, 2, S. 33–37, hier S. 33. 57 Das Salzburger Martyrolog gibt für Severin von Köln allerdings den 22. Oktober an: Coloniae Severini ep. et conf.; Venantius von Tours und Lupus von Sens erscheinen im Salzburger histo- rischen Martyrolog nicht. 232 Maximilian Diesenberger dieser Anordnung offenbar auch einem Kopisten aus der Reichenau zur Zeit des Bibliothekars Reginbert zur Verfügung, wenngleich in diese Handschrift nicht die ganze Venantiusvita aufgenommen wurde, sondern nur deren Prolog58. Der Rei- chenauer Schreiber stellte nämlich nur das Vorwort des Textes von Gregor von Tours an die Spitze der in seiner Vorlage benachbarten Vita Severini und ersetzte dabei konsequent den Namen »Venantius« durch jenen des »Severin«59. Da die Severinvita des Codex 420 und der Karlsruher Handschrift jeweils verschiedenen Handschrif- tenklassen angehören, müssen die Lebensbeschreibungen der beiden Heiligen um 800 bereits in mehreren Sammlungen vorgelegen haben, die wahrscheinlich auch schon chronologisch angeordnet waren. Wie breit gestreut die Überlieferung merowingerzeitlicher hagiographischer Texte um 800 war, zeigt auch der Versionenvergleich der Vita Paterni im Codex 420 und der zeitgleichen Handschrift Montpellier, FM 55. Die Texte beider Handschriften weisen eine große Ähnlichkeit in der Gestaltung der Rubriken auf und weichen erheblich von dem von Bruno Krusch edierten Text ab, bringen dabei gemeinsam manche alternativen und zum Teil besseren Lesarten ein60, treten aber auch dadurch hervor, dass sie sinnentstellende Varianten bieten61. Trotz der Nähe dieser beiden Überlieferungen scheinen auch sie auf unterschiedliche Vorlagen zurückzugehen, die jedoch ähnlich gestaltet waren. Bruno Krusch hat den Schreibern des Codex 420 im Allgemeinen, vor allem aber dem Kopisten der Paternusvita im Besonderen attestiert, nachlässig gearbeitet zu haben62. Das wird etwa durch eine konsequent falsche Auf- lösung von Kürzungszeichen deutlich63, aber auch durch die Tatsache, dass bei sinn- losen Wörtern oder Sätzen von den Schreibern selbst keine Emendationen vorge- nommen worden sind.

58 Karlsruhe, Badische Landesbibl. 136, fol. 34r. Weder im Inhaltsverzeichnis aus Reginberts Hand (fol. 1v) noch in Reginberts Katalog wird die Vita Severini genannt. Der Katalog nennt jedoch: Gregorius Turonensis de sancto Venantio abbate. Vgl. Gustav Becker, Catalogi bibliothecarum antiqui, Bonn 1885, Nr. 10, S. 21. Ich danke Martin Heinzelmann für diesen Hinweis. 59 Karlsruhe, Badische Landesbibl. 136 fol. 34r. Vgl. W. Levison, Die Entwicklung der Legende Severins von Köln, in: Ders., Aus rheinischer und fränkischer Frühzeit. Ausgewählte Aufsätze, Düsseldorf 1948, S. 28–48, hier S. 32f. 60 Vgl. Vita Paterni XVIII, 52, MGH, Auct. Ant. IV, 2, S. 37: Attamen cum a se sancti fere tria milia spatia interessent, eadem nocte pariter beatus Paternus una cum sancto fratre suo glorioso prae- posito, nobili in triumpho, felici viatico cum choro angelico in caelesti senatu de terrenis pias animas emiserunt ad Christum, mit der besseren Lesart ÖNB Lat. 420, fol. 119r: At tam cum ad Sesciaco fere tria milia spatia interesset, eadem pariter beatus Paternus una cum sancto fratre suo glorioso praeposito, nobili in triumpho, felici viatico cum choro angelico in caelesti senatu de terrenis pias animas emiserunt ad Christum. Vgl. z.B. die bessere Lesart Vita Paterni X, 31, MGH, Auct. Ant. IV, 2, S. 35, Z. 35: institutus mit Wien, ÖNB Lat. 420, fol. 117v, Z. 1f.: restituitur. 61 Vita Paterni III, 9, MGH, Auct. Ant. IV, 2, S. 34: exortus; ÖNB Lat. 420, fol. 116r: et excertis; Montpellier, FM 55, fol. 48v: et excelsis; nur in Codex 420 findet sich etwa die Variante: Vita Paterni, I, 4, MGH, Auct. Ant. IV, 2, S. 33, Z. 18: converso; ÖNB Lat. 420, fol. 115v, Z. 7: cum verso. 62 Krusch, Salzburger Legendar (wie Anm. 4), S. 25. Ibid., S. 19 spricht er vom »niedrigen Bil- dungsstand der Abschreiber«. 63 ÖNB, Lat. 420, fol. 117v, Z. 20: inter anstelle von item: Vita Paterni XII, 36, MGH, Auct. Ant. IV, 2, S. 36, Z. 1: item; vgl. auch Codex 420, fol. 119r, Z. 11, mit Vita Paterni XIX, 53, MGH, Auct. Ant. IV, 2, S. 37, Z. 23f. Auf fol. 18r, Z. 2: idem anstelle von item: Vita Paterni XIII, 39, MGH, Auct. Ant. IV, 2, S. 36, Z.1. Auch mehrfach quae statt quoniam. Der Cvp 420 233

Dabei scheinen aber manche Fehllesungen des Codex 420 auf Schwierigkeiten mit der Schrift zurückzuführen zu sein, in der die Vorlagen verfasst worden waren bzw. mit der bereits Schreiber der Vorlagen Probleme hatten. Der Schreiber des Codex von Montpellier konnte im Fall der Vita Paterni offenbar besser mit seiner Vorlage umgehen64, oder er hatte eine bessere Vorlage als Schreiber C der Wiener Hand- schrift, der in zahlreichen Fällen Worte falsch trennte, was in einigen Texten der Wiener Sammlung zu beobachten ist65. Solche Fehler geben meist einen Hinweis auf Vorlagen, die in einer Schrift gehalten waren, mit deren Entzifferung die Schreiber nicht mehr vertraut waren. Diese Fehler sind aber durchaus nicht (nur) dem Unver- mögen eines einzelnen Schreibers der Sammlung zuzuordnen – jede der fünf an der Handschrift beteiligten Hände weist mindestens einen Text auf, der in dieser Hin- sicht korrumpiert ist66. Darüber hinaus kopierte Schreiber C, der die Fehler in der Vita Paterni verantwortete, auch die Vita Severini, die er zumindest im Hinblick auf die Worttrennung weitaus besser bewältigte67. Einige zeitgenössische Korrektoren, darunter der magister Baldo, haben versucht, ausgesuchte Texte in eine passable Form zu bringen. Dabei wurden offensichtliche Schreibfehler ausgebessert, die Verständlichkeit der Texte verbessert und damit in einigen Fällen auch ein ›merowingischer‹ Text durch eine ›karolingische‹ Korrektur verändert. Manchmal scheint aber der Korrektor eine ›ältere‹ Lesart eingefügt zu haben, als sie der ihm vorliegende Text hatte, worauf Walter Berschin in seiner Studie zur Passio Afrae der Wiener Handschrift hinweist68. In einigen Fällen wurden aber auch Vereinheitlichungen zwischen einzelnen Texten vorgenommen, die nicht unbe- dingt als zwingende Korrekturen anzusehen sind69. Neben formalen und graphischen Unregelmäßigkeiten weisen damit auch inhalt- liche Varianten und/oder Fehllesungen auf unterschiedliche, wahrscheinlich sogar

64 Montpellier, FM Lat. 55, fol. 51r, gibt mit der Edition der Vita Paterni XIX, 53, MGH, Auct. Ant. IV, 2, S. 37, Z. 23f. an einer Stelle des Textes korrekt item Lascivius episcopus wieder. Schreiber C bringt dagegen auf fol. 119r, Z. 11: Inter laus cuius episcopus; W. Levison, Vorwort zur Vita Audoini, MGH, SRM V, 1910, S. 544, gab auch im Fall der Vita Audoini der Version des Montepulsanus den Vorzug gegenüber jener des Vindobonensis. 65 Aus muta tacuit der Vorlage wird mutata fuit; weitere Verlesungen: aus adolescentibus zu cla- rescentibus; aus ista adituri wird inpara dicturi; als Beispiel für falsche Kürzungsauflösung und Worttrennung: aus perstitit wird praestet Ita; anstelle von sanctissimo nesciente: sanctissimone sciente. 66 Vgl. etwa auch ÖNB, Lat. 420, fol. 61r (Vita Audoini): vinemores mit Vita Audoini, prologus, MGH, SRM V, 1910, S. 553, Z. 17, anstelle violae inter nemoris kopiert er vinemores (Korr: vinee mores); vgl. auch auf fol. 61v, wo mehrfach anstelle von Chlotharii, ursprgl. Choltarii, korrigiert zu Hlotharii erscheint. 67 Gerade diese Schwierigkeiten hatte jedoch der Reichenauer Schreiber, der die Vita Severini kopierte. 68 Walter Berschin, Die älteste erreichbare Textgestalt der Passio s. Afrae, in: Bayerische Vorge- schichtsblätter 46 (1981), S. 217–224, hier S. 223f. 69 Eine korrigierende Hand emendiert in der Severinsvita ÖNB, Lat. 420, fol. 103r Aquitaniae auf Aequitaniae. Vgl. Venantius Fortunatus, Vita Severini episcopi Burdegalensis 2, ed. W. Levison, MGH SRM VII, 1919, S. 205–224, hier S. 220. Diese Form hat er wahrscheinlich in der Pater- nusvita ÖNB, Lat. 420, fol. 115v bzw. in der Hilariusvita ÖNB, Lat. 420, fol. 9r gesehen. Vgl. Venantius Fortunatus, Vita Paterni III, 9, MGH, Auct. Ant. IV, 2, S. 34; Venantius Fortunatus, Vita Hilarii III, 6, ed. B. Krusch, MGH, Auct. Ant. IV, 2, 1885, S. 1–11, hier S. 2. 234 Maximilian Diesenberger noch zum Teil merowingerzeitliche Handschriften als Vorlagen hin, die den Schrei- bern aus Saint-Amand zur Verfügung gestanden haben.

BEISPIELE DER RE´ E´ CRITURE IM CODEX 420

Gerade die heterogenen Ursprünge der Sammlung lassen daher nach dem Alter der einzelnen Texte fragen. Neben den Wüstenvätertexten und den Passiones vor allem der weiblichen Märtyrer zählt die Vita des Romanus von Blaye zu den ältesten Tex- ten der Sammlung. In seinem Liber in gloria confessorum bezieht sich Gregor von Tours bereits auf eine Vita, die seiner eigenen biographischen Notiz über diesen presbyter zugrunde gelegen haben soll70. Gregors kurze Notiz erwähnt, dass der Heilige von Martin von Tours begraben worden sei und dass Romanus Schiffbrü- chige gerettet habe. Beide Motive finden sich in dem in Codex 420 überlieferten Text, der durchaus die Vorlage für Gregors Notiz dargestellt haben könnte. Anders verhält es sich bei der Vita des Simplicius von Autun. Gottfried Vielhaber hat in seiner Besprechung des Codex 420 diese Lebensbeschreibung als den ältesten Text der Sammlung angesprochen. Demnach soll dieser Text die Vorlage für Gregors von Tours Schilderung des Lebens des Heiligen in dessen Liber in gloria confessorum c. 75 gewesen sein71. Diese Einordnung ist von Bruno Krusch in seiner Entgegnung mit Recht zurückgewiesen worden72. Tatsächlich scheint die im Codex 420 vorlie- gende Version vielmehr auf Gregors Text aufzubauen, wofür manche wörtliche Übernahmen, aber auch motivische Übertreibungen sprechen. So wurde etwa die Zahl der nach einem Wunder getauften Heiden von dem unbekannten Kompilator verdreifacht, um die Bedeutung des Heiligen zu steigern – ein möglicher Hinweis auf die spätere Entstehung des Textes. Dass der Turoner Bischof mit seinem Kapitel über Simplicius von Autun keine Quelle preisgab, was er etwa bei Romanus von Blaye tat, könnte ebenfalls dafür sprechen, dass die Vita Simplicii des Codex 420 eine spätere Überarbeitung auf der Basis von Gregors Text ist73. Obwohl Codex 420 zu den ältesten hagiographischen Sammelhandschriften zählt, überliefert er doch eine beachtliche Menge von bereits überarbeiteten Texten, wobei die Techniken der Überarbeitung vielfach variierten. Die hier überlieferte Vita Amantii (Schreiber C) etwa ist an mehreren Stellen erheblich gekürzt worden74. So fehlten nicht nur der Prolog der Vita, sondern auch die ausführliche Beschreibung der spezifischen Tugenden des Heiligen und mehrfach größere Teile des Textes75.

70 Gregor von Tours, Liber in gloria confessorum 45, ed. B. Krusch, MGH, SRM I, 2, 1885, S. 744–820, hier S. 776; Edition des Textes bei Vielhaber, De codice hagiographico (wie Anm. 4), S. 52–56. 71 Vielhaber, De codice hagiographico (wie Anm. 4), S. 37. 72 Krusch, Ein Salzburger Legendar (wie Anm. 4), S. 18f. 73 Gregor von Tours, Liber in gloria confessorum 75, ed. B. Krusch, MGH, SRM I, 2, 1885, S. 772f. 74 Die Version des Codex 420 folgt in einigen Varianten und kürzeren Auslassungen dem Bruxel- lensis 9289. 75 So z.B. Vita sancti Amantii III, 20–25; V, 37 (ab dumque)–46 (mit Ausnahme eines Satzes) etc., ed. B. Krusch, MGH, Auct. Ant. IV, 2, 1885, S. 55–64, hier S. 57; 58f. etc. Der Cvp 420 235

Obwohl die Vita Amantii im Verhältnis zu anderen in die Sammlung aufgenomme- nen Texten ohne diese Kürzungen länger wäre, ist nicht anzunehmen, dass die Kür- zungen von Schreiber C der Handschrift selbst vorgenommen worden sind. Einer- seits ist diese technische Form der Kürzung eines Textes, die gezielt und überlegt Teile der Vorlage (Wunderepisoden etc.) streicht, ohne dabei selbst Übergänge oder andere Zusätze zu verfassen, in der Sammlung nicht weiter belegt. Andererseits haben auch die inhaltlichen Auswahlkriterien der Streichungen keine Parallelen bei vergleichbaren Texten der Sammlung. So überliefern einige Texte des Codex 420 z.B. gerade den Tugendkatalog des jeweiligen Heiligen, der in die vorliegende Lebens- beschreibung des Amantius jedoch keine Aufnahme fand76. Eine alternative Form der Überarbeitung bietet die Vita Aniani des Codex 42077. In diesem Text wurde jenes Kapitel ersetzt, in dem der Heilige seine Bischofsstadt Orle´ans durch seinen Mut und mit Hilfe der Truppen des von ihm gerufenen Aetius vor dem Heer des Attila rettete78. Anstelle dieses Kapitels der Vita setzte ein unbe- kannter Kompilator die entsprechenden Passagen aus den Decem libri historiarum des Gregor von Tours ein79. Obwohl beiden Texten dieselbe Erzählung zugrunde liegt, weisen sie doch einige Unterschiede auf. Während etwa im 10. Kapitel der Vita die Hunnen die Mauern der Stadt bereits durchbrochen hatten, bevor die Truppen des Aetius und des Gotenkönigs Thorismund den Belagerten zu Hilfe kamen, ent- setzten bei Gregor von Tours Aetius und die beiden Gotenkönige Theoderid (!) und Thorismund mit ihren Heeren die Stadt noch vor dem Fall der Mauern. Obwohl in den Decem libri historiarum wie auch in der Vita Aniani dieser Sieg den Interventio- nen des Heiligen Anianus zugeschrieben wird, fokussiert die Erzählung des Turoner Bischofs doch mehr die Taten und das Verhandlungsgeschick des Aetius, der nicht nur den überlebenden Sohn des Theodor, Thorismund, zur Rückkehr in dessen patria überreden konnte, sondern sogar den Frankenkönig zur Flucht bewegte – das sind Passagen, die der Vita des Anianus im Codex 420 eine andere Perspektive ver- liehen als sie der ursprüngliche Text hatte. Es ist nicht sehr wahrscheinlich, dass diese ›Überarbeitung‹ der Vita auf den Schrei- ber aus Saint-Amand zurückgeht. Da jedoch nach Pascale Bourgain und Martin Heinzelmann Auszüge aus Gregors Historiae erst um 800 in signifikanter Weise in Umlauf kamen, dürfte der Austausch von Kapitel 10 der Anianusvita mit dem 7. Kapitel des 2. Buches der Historiae nicht lange vor der Erstellung der Wiener Handschrift vollzogen worden sein80.

76 Vita sancti Amantii I, 5, MGH, Auct. Ant. IV, 2, 1885, S. 55. Vgl. z.B. Vita Albini VI, 15–17, Auct. Ant. IV, 2, S. 29, MGH, Auct. Ant. IV, 2, 1885, S. 29. Vita s. Remedii II, 6, ed. B. Krusch, MGH, Auct. Ant. IV, 2, 1885, S. 64–67, hier S. 64f., etc. Vita Medardi III, 9, ed. B. Krusch, MGH, Auct. Ant. IV, 2, 1885, S. 67–73, hier S. 68 etc. 77 ÖNB Lat. 420, fol. 110r–115r. 78 Vita Aniani episcopi Aurelianensis 10, ed. B. Krusch, MGH, SRM III, 1896, S. 104–117, hier S. 115–117. 79 Gregor von Tours, Decem libri historiarum II, 7, ed. B. Krusch und W. Levison, MGH, SRM I, 12, 1951, S. 48, Z. 9: Denique. 80 Vgl. Pascale Bourgain, Martin Heinzelmann, L’œuvre de Gre´goire de Tours. La diffusion des manuscrits, in: Nancy Gauthier, Henri Galinie´ (Hg.), Gre´goire de Tours et l’espace gaulois. Actes du congre`s international, Tours, 3–5 nov. 1994, Tours 1997 (13e supple´ment a` la Revue arche´ologique du centre de la France), S. 273–317, hier S. 293f. 236 Maximilian Diesenberger

Als einer der jüngsten Texte der Sammlung ist die Vita Genovefae zu bezeichnen. Sie stellt die C-Version der Lebensbeschreibung dar, die nach Joseph-Claude Poulin in der Mitte des 8. Jahrhunderts vielleicht unter Pippin III. entstanden sein dürfte81. Dieser Text ist nicht nur eine Kürzung der ältesten Vita, sondern auch eine eigen- ständige stilistische Überarbeitung82, die nach Walter Berschin bereits als »karolin- gisch« bezeichnet und »noch ins VIII. Jahrhundert« datiert werden muss. Sie sei durchaus mit den Werken des Alkuin vergleichbar: »Literatur- und stilgeschichtlich ist diese Überarbeitung von Bedeutung«83. Das Überarbeitungsniveau dieses Textes weisen die anderen Viten der Sammlung nicht auf. So überliefert Codex 420 nämlich auch eine re´e´criture der Lebensbe- schreibung des Germanus von Paris. Der Text des Venantius Fortunatus, der als Vorlage diente, wurde dabei von einem unbekannten Kompilator erheblich gekürzt, und im Gegensatz zur Überarbeitungsweise der Vita Amantii wurden unterschied- liche Kapitel zusammengefasst und damit ein eigener Text geschaffen, der von der Vorlage wesentlich abweicht. So verdichtete der Kompilator etwa drei unabhängige Kapitel der Vita des Venantius (die von unterschiedlichen Wundern des Heiligen berichten) zu einer einzigen Episode, schaffte es dabei aber nicht, die unterschiedli- chen Szenographien der Vorlage so zu harmonisieren, dass sie eine bruchlose und stimmige Erzählung darstellen84. Es handelt sich dabei um eine Begegnung des Ger- manus mit dem Merowingerkönig Chlothar I., die in der Vorlage deutlich die domi- nierende Rolle des Heiligen gegenüber dem König betont, die aber in der Überar- beitung nivelliert wird. Gerade die Rollenverteilung zwischen Heiligen und Königen wurde in der hagiographischen Literatur der Karolingerzeit neu verhandelt, wie es etwa auch in der Überarbeitung der Vita Richarii durch Alkuin deutlich wird. Von dieser motivischen Parallele zwischen den beiden Texten her besehen, kann die re´e´criture des Fortunatustextes in die zweite Hälfte des 8. Jahrhunderts datiert wer- den. Dabei erreicht dieser Text aber nicht das Stilniveau des Alkuintextes oder das der C-Version der Genovefavita. Gerade aber dem Überarbeitungsniveau der Vita Germani brevior vergleichbare Wiederschriften hagiographischer Texte stellen wahrscheinlich den weitaus größeren Anteil unter den karolingerzeitlichen Wiederschriften dar, liegen allerdings kaum in (leicht zugänglichen) Editionen vor. Ein Beispiel dafür bietet etwa eine der beiden heute in der Pariser Handschrift BNF, lat. 12598 fragmentarisch überlieferten hagio- graphischen Sammlungen, die eine stark gekürzte Überarbeitung der Vita des Ger- manus von Auxerre überliefert85. Diese Vita brevior wurde von Wilhelm Levison, dem Herausgeber der merowingerzeitlichen Vita, »als ein Conglomerat von Sätzen,

81 Martin Heinzelmann, Joseph-Claude Poulin, Les Vies anciennes de sainte Genevie`ve de Paris. E´ tudes critiques, Paris 1986 (Bibliothe`que de l’E´ cole pratique des hautes e´tudes, IVe section. Sciences historiques et philologiques, 329), S. 162f. 82 Heinzelmann,Poulin, Les Vies anciennes (wie Anm. 81), S. 157. 83 Berschin, Biographie und Epochenstil 2 (wie Anm. 7), S. 14. 84 Vgl. Venantius Fortunatus, Vita Germani episcopi Parisiaci 5, 6 und 23, ed. B. Krusch, MGH, SRM VII, 1919, S. 346–367, hier S. 376, 386, mit Vita Germani II. brevior 5, ed. B. Krusch, MGH, SRM VII, 1919, S. 419–422, hier S. 421. 85 Paris, BNF lat. 12598, fol. 105v–107r. Der Cvp 420 237 die nur theilweise in Beziehung zu einander stehen, vielmehr mehrfach sinnlos ver- einigt sind«, bezeichnet86. Tatsächlich tut sich ein Leser dieser Kurzversion schwer, eine sinnvolle Erzählung hinter diesem weniger geglückten Versuch einer re´e´criture zu erkennen. Der Kompilator hat wie der unbekannte Überarbeiter der Vita des Germanus von Paris mehrere (neun) Kapitel seiner Vorlage ineinander verschränkt, es dabei aber nicht vermocht, eine stimmige Erzählung zu vermitteln87. Der Leser bleibt stetig über die näheren Umstände der Ereignisse uninformiert bzw. erhält wichtige Informationen zur jeweiligen Episode nur beiläufig nachgereicht. Diese Diskrepanz wurde auch von einem zeitnahen karolingischen Korrektor der Hand- schrift wahrgenommen, der sich an einer Stelle des ihm vorliegenden Textes veran- lasst sah, vermittelnde Worte zwischen zwei eigentlich unabhängigen Textblöcken einzufügen, um das Erzählte überhaupt verständlich zu machen88. Diese Überarbeitung der Vita des Germanus von Auxerre hat im Gegensatz zu jener des Germanus von Paris in den SRM keine Aufnahme gefunden – eine Ent- scheidung, die u.a. für die künftige Forschung zur Folge hatte, ein zu ›korrektes‹ Bild von der karolingischen correctio vermittelt zu bekommen. Gerade die weniger erfolgreichen Versuche einer re´e´criture verdeutlichen ja, wie breit angelegt das Bestreben zur Neugestaltung von älteren Texten in der Karolingerzeit überhaupt war und wie unterschiedlich die Qualität dieser Überarbeitungen manchmal sein konnte. Ein Vergleich der in Codex 420 aufgenommenen, teils beträchtlich überarbeiteten Viten verdeutlicht einerseits, dass die Überarbeitungen dieser Texte nicht von den Schreibern aus Saint-Amand selbst vorgenommen worden sind. Die Wiederschriften erfolgten nämlich auf sehr unterschiedliche Art und Weise, die Kopisten selbst beschränkten sich eher auf die Auslassung ganzer Passagen am Anfang und am Ende eines Textes. Andererseits dokumentieren die überarbeiteten Viten der Sammlung, dass die Kopisten um 800 bereits auf ein sehr großes Repertoire von Texten zurück- greifen konnten, die in sehr unterschiedlichen Überarbeitungsstufen vorlagen.

DER KONTEXT DER HAGIOGRAPHISCHEN SAMMLUNG89

Gerade diese Vielfalt an Vorlagen, von denen die Schreiber aus Saint-Amand ihre Texte kopierten, deutet daraufhin, dass bei der Zusammenstellung der Handschrift eine Auswahl getroffen wurde, die auf spezifische Interessen zurückgeht. Die Samm- lung deckt bei weitem nicht das gesamte Spektrum hagiographischer Literatur ab, wie es ein Vergleich mit anderen hagiographischen Sammlungen dieser Zeit verdeut-

86 Wilhelm Levison, Bischof Germanus von Auxerre und die Quellen zu seiner Geschichte, in: Deutsches Archiv 29 (1904), S. 93–175, hier S. 103. 87 Zur Auswahl der Kapitel siehe Wilhelm Levison, MGH, SRM VII, 1919, S. 237. Zur Textaus- gabe vgl. C. Narbey, Supple´ment aux Bollandistes pour des Vies des saints de l’e´poque mero- vingienne, Bd. 2, Paris 1900, S. 436–440. 88 Vgl. Paris, BNF Lat. 12598, fol. 106v, wo eine andere Hand ergänzende Satzteile nachfügte. 89 Eine Studie zum Kontext des zweiten Teils des Codex 420 wie auch zu Codex 371 ist in Vor- bereitung. 238 Maximilian Diesenberger licht. So fehlen etwa apokryphe Apostelakten oder auch die Passiones männlicher Märtyrer, deren umfangreiche Überlieferung nur durch die Passio septem dormien- tium und die Revelatio seu inventio Stephani diaconi protomartyris repräsentiert wird. Dank der guten Überlieferungslage aus Salzburg zur Arnzeit ist eine weitere Sammlung hagiographischer Texte erhalten, die zeitlich und inhaltlich dem Codex 420 nahesteht. Wien, ÖNB Lat. 371 überliefert über 62 Passiones, die ebenfalls nach dem Jahreskreis angeordnet und mit ähnlich gestalteten Rubriken wie Codex 420 ausgestattet wurden. Obwohl sich diese Handschrift vom Format und von den betei- ligten Händen von Codex 420 unterscheidet, füllt sie eine Lücke, die von Letzterem offen gelassen wurde90. Die hagiographische Sammlung überliefert nämlich nur die Passiones männlicher Märtyrer – einige wenige Passiones von Märtyrerinnen haben ja im zweiten Jahreszyklus der Handschrift 420 Aufnahme gefunden. Was die Apo- stelakten betrifft, ist zwar kein Codex aus den Skriptorien von Saint-Amand und Salzburg aus dieser Zeit überliefert, aber durch die Verwendung dieser Texte in der »bayerischen Sermonessammlung« erschließbar91. Um 800 wurden demnach gezielt Sammlungen angelegt, die jeweils unterschiedliche hagiographische Texte vereinten. Man kann nicht zuletzt aus diesem Grund davon ausgehen, dass vor allem auch innerhalb der Sammlungen eine bewusste Auswahl der Texte getroffen wurde. Obwohl die Sammlung chronologisch nach dem liturgischen Jahr zusammengestellt worden ist, entsprechen die Heiligen, die in Codex 420 Aufnahme gefunden haben, gerade nicht jenen, denen in Salzburg besondere Verehrung zuteil wurde, wie es etwa der Vergleich mit den Patrozinien zeigt92. Darüber hinaus fehlen einige Heilige des Codex 420 im historischen Martyrolog Salzburgs, das um 820 erstellt wurde – ein Zeichen dafür, dass einigen Heiligen offenbar keine größere Aufmerksamkeit geschenkt wurde93. Die Zusammenstellung scheint also tatsächlich spezifischen poli- tischen Interessen ihre Entstehung verdankt zu haben, die hauptsächlich nicht mit dem liturgischen Heiligengedenken verbunden waren. Gottfried Vielhaber hat darauf hingewiesen, dass Codex 420 vor allem Texte aus dem neustrischen Teil des Frankenreiches enthält94. Darüber hinaus behandelt der

90 Zur Handschrift vgl. Bischoff, Schreibschulen 1 (wie Anm. 33), S. 121. Die Vorlagen für Codex 371 stammen wie im Fall von Codex 420 aus dem nordfränkischen Raum. Hinweis dafür geben u.a. Passio ss. Fusciani et Victorici (fol. 220v–223v) und die Inventio corporum sanctorum Fus- ciani, Victorici et Gentiani mm. Ambianis (fol. 111r–112v). 91 Vgl. etwa Würzburg, Univ.Bibl., M p th q 15 (Freising 1. Hälfte 9. Jh.); Maximilian Diesenber- ger, How Collections Shape the Texts. Rewriting and Rearranging Passiones in Carolingian Bavaria, in: Martin Heinzelmann (Hg.), Livrets, collections et textes. E´ tudes de la tradition hagiographique latine, Ostfildern 2006 (Beihefte der Francia, 63), S. 195–224. 92 Vgl. etwa die Heiligenleben des Codex 420 mit den Patrozinien der Diözese Salzburg. Zu Letz- teren siehe Kurt Anton Mitterer, Die Patrozinien der Diözese Salzburg unter der Berücksich- tigung der Heiligenverehrung im 8. und 9. Jahrhundert, in: Mitteilungen der Gesellschaft für Salzburger Landeskunde 132 (1992), S. 7–127. 93 Zum Martyrolog vgl. Meta Niederkorn-Bruck, Das Salzburger historische Martyrolog aus der Arn-Zeit, in: Dies., Anton Scharer (Hg.), Erzbischof Arn von Salzburg, Wien, München 2004 (Veröffentlichungen des Instituts für Österreichische Geschichtsforschung, 40), S. 155–171. Eine Edition des Textes durch Meta Niederkorn-Bruck ist in Vorbereitung. Im Salzburger histo- rischen Martyrolog fehlt etwa ein Eintrag für Lupus von Sens; Severin von Köln erscheint anders als im Codex 420 unter dem 22. Oktober. 94 Vielhaber, De codice hagiographico (wie Anm. 4), S. 36, mit weiteren Literaturverweisen. Der Cvp 420 239

Großteil der Viten dieser Sammlung die Lebensbeschreibungen von Bischöfen (18 von 27). Tatsächlich fügt sich die Auswahl der Texte gut in die Bedürfnisse in Salzburg um 800 ein. Im Jahr 798 hatte Arn in Rom das Pallium empfangen und sich damit an die Spitze des bayerischen Episkopats gesetzt. Die Etablierung dieses neuen Machtver- hältnisses in der bayerischen Kirche wurde von flankierenden Maßnahmen in den Skriptorien von Saint-Amand und Salzburg begleitet. Um 800 ließ der Erzbischof von Salzburg mit den Breves Notitiae ein neues Besitztitelverzeichnis erstellen, in dem die Geschichte Ruperts von Salzburg neu erzählt und Salzburg der Vorrang vor den anderen bayerischen Diözesen eingeräumt wird95. Im Gegensatz zur Darstellung der Salzburger Frühgeschichte in der Notitia Arnonis96, in den Gesta Hrodberti und in der späteren Conversio Bagoariorum et Carantanorum berichten die Breves Noti- tiae, dass Rupert den bayerischen Herzog und seine nobiles erst zum Christentum bekehren musste und diese sogar taufte97. Später wird auch erwähnt, dass Rupert von Herzog Theodo die Erlaubnis erhalten habe, »ebendiese Leute [die Bayern, Anm. d. Verf.] zum Dienst an Gott zu erziehen«98. Damit ist die Reihenfolge des Erscheinens der drei bayerischen Heiligen um 700 – Rupert, Corbinian, Emmeram – aus Salz- burger Sicht zugunsten Ruperts entschieden worden. Während die Rupertgeschichte in den Breves notitiae eine re´e´criture älterer hagio- graphischer Traditionen darstellt, ist in einigen anderen Manuskripten der Salzburger Bibliothek das Interesse an Konzepten bayerischer Kirchenorganisation gut doku- mentiert. Wien, ÖNB Lat. 934 überliefert zum Beispiel am Ende einer Auswahl von Briefen Gregors des Großen das Schreiben Papst Gregors II. aus dem Jahr 716 über die Pläne einer Strukturierung der bayerischen Kirche99. In der Salzburger Collectio duorum librorum – eine Sammlung kanonischer Texte, die handschriftlich aus der Zeit Erzbischofs Adalrams (821–836) überliefert ist – findet sich eine Rezension der Notitia Galliarum, in der die Kirchenprovinz Salzburg und ihre fünf Suffragane Aufnahme gefunden haben100. Es ist sehr wahrscheinlich, dass dieser Zusatz auf Arn

95 Vgl. Maximilian Diesenberger, Sammeln und Gestalten – Erinnern und Vergessen. Erzbischof Arn von Salzburg und die Ursprünge des Salzburger Episkopats, in: Walter Pohl (Hg.), Die Suche nach den Ursprüngen, Wien 2004 (Forschungen zur Geschichte des Mittelalters, 8), S. 171–189, hier S. 172–175. 96 In der Notitia Arnonis sind keine Informationen über Rupert erhalten, die nicht Salzburg betref- fen. Vgl. im Folgenden Fritz Losˇek, Notitia Arnonis und Breves Notitiae. Die Salzburger Güter- verzeichnisse aus der Zeit um 800: Sprachlich-historische Einleitung, Text und Übersetzung, in: Mitteilungen der Gesellschaft für Salzburger Landeskunde 130 (1990) S. 5–192. Siehe auch Die- senberger, Sammeln und Gestalten (wie Anm. 95), S. 172–175. 97 Vita Hrodberti episcopi Salisburgensis 4, ed. W. Levison, MGH, SRM VI, 1913, S. 140–162, hier S. 158 (die Gesta sind dabei mit der Sigle 1 versehen); Breves Notitiae 1, 1, ed. Losˇek S. 102. 98 Breves Notitiae 1, 2, ed. Losˇek S. 102. 99 Wien, ÖNB Lat. 934, fol. 79r–80v; Gregor II. papa, Litterae decretales, ed. Johann Merkel, MGH, Leges III, 1863, S. 451–454. Vgl. Diesenberger, Sammeln und Gestalten (wie Anm. 95), S. 175–178 mit weiteren Literaturangaben. 100 Paris, BNF nouv. acq. lat. 452, fol. 87v. Zur Hs. vgl. Bischoff, Schreibschulen 2 (wie Anm. 14), S. 153. Zur Collectio duorum librorum vgl. Roger Reynolds, Canon Law Collections in Early Ninth Century Salzburg, in: Ders., Law and Liturgy in the Latin Church, 5th–12th Centuries, VI, Ashgate 1994, S. 15–34, hier S. 30f. Vgl. Notitia Galliarum VII A, ed. Theodor Mommsen, MGH, 240 Maximilian Diesenberger von Salzburg zurückgeht. Die Aufnahme der bayerischen Diözesen in die Notitia markiert jedenfalls die erfolgreiche Integration der bayerischen Kirche in einen grö- ßeren fränkischen Ordnungsrahmen, der weit in die Vergangenheit zurückreicht. Als Verzeichnis der gallischen Metropolitanverbände transportiert die Notitia auch eine zeitliche Tiefe mit, die es erlaubte, eine gemeinsame Identität über unterschiedliche Zeiten hinweg zu finden. Um 800 wurden diese Prozesse der Annäherung aber erst verhandelt. Die spirituelle Vergangenheit der fränkischen Machthaber sollte ver- stärkt in das im Umbruch befindliche Bayern am Ostrand des fränkischen Reiches ›implementiert‹ werden101. Unter den zahlreichen Texten, die zu dieser Zeit aus Saint- Amand nach Salzburg gelangten, befanden sich eben auch die beiden hagio- graphischen Handschriften 371 und 420. Während Erstere die Passiones römischer und gallischer Märtyrer überliefert102, also den Zeithorizont anspricht, auf den auch die Notitia zurückgeht, bietet Codex 420 eine repräsentative Zusammenstellung gal- lischer bzw. fränkischer Heiliger vom 4. bis ins 7. Jahrhundert103. Diese Texte erlaubten allerdings nicht nur Einblick in die spirituelle Vergangenheit der Franken. Als traditionelle fränkische Identitätsressourcen konnten sie auch in Salzburg ihre identitätsstiftende Wirksamkeit entfalten104. Das für Bayern neue Amt des Erzbischofs und die damit verbundenen Aufgaben bedurften nämlich sowohl in der unmittelbaren Umgebung Arns als auch bei seinen Suffraganen einiger Erläute- rungen105. Das Bedürfnis nach Informationen über das Amt eines Metropoliten ist in den Salzburger Handschriften dieser Zeit zumindest dokumentiert. So überliefert der Wiener Codex 934 nicht nur das Schreiben Papst Gregors II. aus dem Jahr 716 über die Pläne einer Strukturierung der bayerischen Kirche, sondern auch eine Aus- wahl von Briefen Gregors des Großen, bei der ein Salzburger Schreiber durch Rand- notizen u.a. Interesse an den Aufgaben und Pflichten eines Erzbischofs bekunde- te106. Darüber hinaus hatte Arn von Salzburg wahrscheinlich selbst in den ersten

Auct. Ant. IX, Chronica minora 1, unv. ND der 1892 ersch. Ausgabe, 1981, S. 594, mit dem Text aus Sankt Gallen, Stiftsbibl. Cod. 397, S. 47. 101 Vgl. dazu auch die Adaption des westfränkischen »placitum-reports« in Bayern durch Arn. Siehe dazu Warren Brown, Unjust Seizure. Conflict, Interest, and Authority in an Early Medieval Society, Ithaca, London 2001, S. 102–123. 102 Vgl. aber auch die Passio Leudegarii in ÖNB Lat. 371, fol. 165r–180v, die einen merowinger- zeitlichen Märtyrer betrifft. Der Text ist der jüngste der Sammlung. Vgl. dazu Joseph-Claude Poulin, Saint Le´ger d’Autun et ses premiers biographes (fin VIIe–milieu IXe sie`cle), in: Bulletin de la Socie´te´ des antiquaires de l’Ouest, 4e se´r., 14 (1977), S. 167–200, hier S. 182f. 103 Zu den in Wien, ÖNB Lat. 420, aufgenommenen Texten können indirekt durchaus auch die in der Handschrift überlieferten Eremitenleben gezählt werden, die auf die Geschichte des galli- schen bzw. fränkischen Mönchtums großen Einfluss hatten. 104 Vgl. etwa die Bedeutung des hl. Medardus von Noyon für die fränkischen Könige, die die Gebeine des Heiligen nach Soissons transferieren und sich in der dort errichteten Kirche Saint- Medard selbst begraben ließen. 105 Zu den ›Widerständen‹ gegenüber Arns Erhebung vgl. Diesenberger, Sammeln und Gestalten (wie Anm. 95), S. 171–189 und Ders., Dissidente Stimmen zum Sturz Tassilos III., in: Richard Corradini, Rob Meens, Christina Pössel u. a. (Hg.), Texts and Identities in the Early Middle Ages, Wien 2006 (Forschungen zur Geschichte des Mittelalters, 12), S. 105–120. 106 Wien, ÖNB lat. 934 fol. 42v und 72v (Salzburg, um 800); vgl. Bischoff, Schreibschulen 2 (wie Anm. 14), S. 137f. Der Cvp 420 241

Jahren des 9. Jahrhunderts einen Konzilsordo verfasst, der an mehreren Stellen aus- führliche Verhaltensnormen für Bischöfe enthält und aus diesem Grund auch vom Editor des Textes als »Bischofsspiegel« bezeichnet wurde107. Die hagiographischen Texte, die bisher in Bayern verfasst worden waren, waren zur Vermittlung der Aufgaben eines Erzbischofs und seiner Suffragane aus mehreren Gründen nicht geeignet. Die Viten der Heiligen Rupert, Emmeram und Corbinian betrafen einerseits charismatische Gründungsheilige, andererseits sind sie zur Zeit des Agilolfingers Tassilo III. entstanden, charakterisierten also hauptsächlich das Verhältnis vom Bischof zum Herzog, und nicht zu einem fränkischen König, dem Bezugspunkt des bayerischen Episkopats nach 788. Da Arn, der zwar bayerischer Herkunft war, als fränkischer Amtsträger begriffen wurde und er sich wohl als solcher verstand, hatten die Texte, die er sammeln ließ oder auf die er sich berief, meist deutlich einen fränkischen Hintergrund. Um die Jahrhundertwende tritt dabei der fränkische Bezugsrahmen seiner Handlungen mehr in den Vordergrund. In den Breves Notitiae wurde etwa im Gegensatz zur Notitia Arnonis der fränkische König Pippin in die Geschichte des Salzburger Besitztransfers integriert108. Als missus brachte Arn in Bayern etwa den westfränkischen »placitum- report« ein, der zu einem für bayerische Verhältnisse ungewöhnlichen Verfahrens- ablauf führte und lokal auch Widerstand hervorrief109. Gerade seine vielfältigen Auf- gaben als Erzbischof, als Zuständiger für die Awarenmission, als missus in Bayern und königlicher bzw. kaiserlicher Gesandter erforderten von seiner Umgebung ein neues Verständnis von Arns Rolle als fränkische Führungsfigur der bayerischen Kir- che. Dazu waren vor allem Lebensbeschreibungen fränkischer Heiliger geeignet, die sich mit den Aufgaben und Pflichten der zweiten (oder der dem Gründerheiligen folgenden) Generation von Bischöfen befassten, also von jenen vor allem mit der Verwaltung und Durchsetzung bereits bestehender Positionen betrauten Männern, die sich weniger als charismatische Heilige gezeigt, sondern als Organisatoren und Netzwerker bewährt hatten. In diesem Zusammenhang wurde die hagiographische Sammlung des Codex 420 erstellt, die ja zum Großteil die Lebensbeschreibungen von gallischen bzw. fränkischen Bischöfen überliefert. Einige Motive dieser Bischofsle- ben konnten dabei durchaus auch auf Arn und den bayerischen Episkopat bezogen werden110. Viele der in Codex 420 versammelten Texte berichten etwa von Bischöfen, die aus adeligen Familien stammten, wie Arn und die bayerischen Bischöfe selbst111. Manche der Bischöfe, deren Viten in Codex 420 Aufnahme fanden, began-

107 Ordo 7b, ed. Herbert Schneider, Die Konzilsordines des Früh- und Hochmittelalters, MGH, Ordines de celebrando concilio, 1996, S. 55–57 (Einleitung), S. 329–342 (Edition). 108 Breves Notitiae 7, 5; 11, 2; 13, 10, ed. Losˇek S. 97; 103; 105. 109 Siehe Brown, Unjust Seizure (wie Anm. 102), S. 113–120. 110 Die folgenden Beispiele wurden aus Platzgründen limitiert, ließen sich aber beliebig erweitern. 111 Zur Herkunft Arns vgl. Wilhelm Störmer, Der junge Arn in Freising. Familienkreis und Weg- genossen aus dem Freisinger Domstift, in: Niederkorn-Bruck,Scharer (Hg.), Erzbischof Arn von Salzburg (wie Anm. 94), S. 9–26. Vgl. Vita Filiberti 1, MGH, SRM V, 1919, S. 584; Vita Audoini 1, MGH, SRM V, 1910, S. 554; Venantius Fortunatus, Vita Hilarii III, 6, MGH, Auct. Ant. IV, 2, 1885, S. 2; Vita Medardi II, 4, MGH, Auct. Ant. IV, 2, 1885, S. 68; Epistola Urbani presb. de Paulini (Nolensis) obitu, ed. Migne PL 53, 1847, col. 864c; Vita Arnulfi 1, MGH, SRM II, 1888, S. 431; Venantius Fortunatus, Vita Paterni III, 9, MGH, Auct. Ant. IV, 2, 1885, S. 34, etc. 242 Maximilian Diesenberger nen schon früh ihre kirchlichen Karrieren112 und wurden in den klassischen Diszi- plinen unterrichtet113. Gerade der Rhetorikunterricht galt dabei als ideale Grundlage für die Predigttätigkeit des Bischofs, ein Thema, das auch für Arn von Salzburg von großer Bedeutung war114. Constantius erwähnt z.B. zu Bischof Germanus von Au- xerre: »Seine Ausbildung erfolgte zweifellos aufgrund eines verborgenen göttlichen Ratschlusses. Dem künftigen apostolischen Bischof sollte keine Vollkommenheit abgehen. Die Beredsamkeit bereitete ihn für die Predigttätigkeit vor, die Kenntnis des Rechts für die Gerechtigkeit«115. Venantius Fortunatus berichtet von ähnlichen Qualitäten des Hilarius von Poitiers, wobei in den Texten dieses Autors – meist Auftragsarbeiten für mächtige Bischöfe – die Tugenden und Leistungen von deren Vorgängern besonders hervorgehoben wurden: »Wie war er im Gespräch behutsam, in seiner Darlegung tiefsinnig, beredt in seinem sprachlichen Ausdruck, erstaunlich durch die Tugendkraft, vielfältig beim Zusammenfassen, subtil im Unterscheiden, klug – so der Prophet – wie die Schlange, ohne die Einfachheit der Taube zu entbeh- ren, Salz des wachen Verstandes, Quell der Rede, Schatz der Wissenschaft, Leuchte der Lehre, der Kirche ein Verteidiger, ein Vorkämpfer gegen ihre Feinde«116. Gern lässt sich ein karolingischer Bischof die Anspielung auf solche Eigenschaften gefallen, zumal von Arn selbst Texte aus unterschiedlichen Genres erhalten sind117. Mancher Bischof, dessen Leben in die hagiographische Sammlung aufgenommen worden war, wie etwa Audoin von Rouen, hatte seine patria verlassen und in der Ferne

112 Vgl. etwa Vita Viviani episcopi Santonensis 2, ed. B. Krusch, MGH, SRM III, 1896, S. 95 (mit 16 der Kirche geweiht); vgl. zu Arn (mit 18 Jahren): Störmer, Der junge Arn (wie Anm. 111), S. 9. 113 Vgl. Vita Viviani 2, MGH, SRM III, 1896, S. 95; in jungen Jahren wurde auch schon Audoin unterrichtet. Vgl. Vita Audoini 1, MGH, SRM V, 1910, S. 554; Vita Medardi II, 5, MGH, Auct. Ant. IV, 2, 1885, S. 68. 114 Vgl. Diesenberger, How Collections Shape the Texts (wie Anm. 91), mit weiteren Literaturan- gaben. 115 Constantius, Vita Germani 1, ed. W. Levison, S. 251; Vita Audoini 4, MGH, SRM V, 1910, S. 556, dessen Predigttätigkeit gelobt wird. Vgl. dazu auch Peter Gemeinhardt, Das lateinische Christentum und die antike pagane Bildung, Tübingen 2007 (Studien und Texte zu Antike und Christentum, 41), S. 301. 116 Venantius Fortunatus, Vita Hilarii XIV, 51, MGH, Auct. Ant. IV, 2, 1885, S. 6f. Vgl. Gemein- hardt, Das lateinische Christentum (wie Anm. 115), S. 305. Zum Bild der Bischöfe im Werk des Venantius Fortunatus: Davide Fiocco, L’immagine del vescovo nelle Vitae sanctorum di Venan- zio Fortunato, in: Augustinianum 42 (2001), S. 213–230, und Simon Coates, Venantius Fortu- natus and the Image of Episcopal Authority in Late Antique and Early Merovingian Gaul, in: English Historical Review 115 (2000), S. 1109–1137. 117 Vgl. z.B. Arn von Salzburg, Sermo de quarti diei luminaribus, ed. Arno Borst, Schriften zur Komputistik im Frankenreich von 721 bis 818, Teil 2, Hannover 2006 (MGH, Quellen zur Geistesgeschichte des Mittelalters, 21), S. 820–884; Ders., Testimonia ex sacris voluminibus collecta, ed. Harald Willjung, Das Konzil von Aachen 809, Hannover 1998 (MGH, Concilia 2, Supplementum 2), S. 253–283. Max Kerner, Der Reinigungseid Leos III. vom Dezember 800. Die Frage seiner Echtheit und frühen karolingischen Überlieferung, in: Zeitschrift des Aachener Geschichtsvereins 84/85 (1977/1978), S. 131–160. Zu drei erhaltenen Distichen Arns vgl. Fritz Losˇek, Die Auswirkungen karolingischer Politik und Reformen im Südosten des Reiches anhand der lateinischen Überlieferung. Das Beispiel Salzburg, in: Franz-Reiner Erkens (Hg.), Karl der Große und das Erbe der Kulturen, Berlin 2001 (Akten des 8. Symposiums des Medi- ävistenverbandes e. V.), S. 116. Der Cvp 420 243

Karriere gemacht118, bevor er wieder zurückkehrte und Frieden zwischen verfein- deten Parteien herstellte119 – ein Lebensweg, der durchaus mit jenem Arns verglichen werden konnte. Durch manche Parallelen zwischen den Lebensläufen der fränkischen Bischöfe und dem Leben des Erzbischofs von Salzburg konnten den Rezipienten der Samm- lung zugleich auch die vielfältigen Aufgabenbereiche eines Bischofs nahegebracht werden. Neben der Sorge um die Armen, Gefangenen und Kranken wurde durch die Bischöfe das allgemeine Wohl etwa auch durch die Errichtung von Kirchen gestärkt120. Einige Bischöfe schützten die Einwohner ihrer civitates vor Feuer121, vor Steuerbelastungen122 oder vor Überfällen feindlicher Truppen oder Barbaren. So ret- tete Bischof Anianus Orle´ans vor den Hunnen, Lupus beschützte Troyes vor den Hunnen und Vivianus Saintes vor den Sachsen123. Germanus von Auxerre bewirkte während seiner ersten Reise auf die britischen Inseln sogar durch seinen persönlichen Einsatz einen Sieg gegen Pikten und Sachsen124 – ein Ruf, den sich der mit der Awa- renmission betraute Erzbischof wohl gerne angeeignet hätte, wenngleich oder gerade weil er sich im Zusammenhang mit dem Awarenfeldzug im Jahr 796 gegenüber Alkuin eher furchtsam geäußert hatte125. Der Vergleich Arns mit den fränkischen Bischöfen verdeutlichte damit auch das hohe Prestige, das ihm in allen sozialen Schichten zugesprochen werden sollte. Viele der Bischöfe waren nämlich aktive Mitglieder elitärer Netzwerke, wie Audoin von Rouen oder Arnulf von Metz; manche von ihnen waren sogar freund- schaftlich miteinander verbunden126 oder galten nicht minder berühmten Zeitgenos- sen als Vorbilder (was zumindest die jeweiligen Viten behaupteten)127. Mit solchen elitären Verbindungen konnte auch Arn von Salzburg aufwarten128. Zudem erlaubten die fränkischen Bischofsleben auch hierarchische Positionen zu beziehen. Denn den weniger begabten und charismatischen Bischöfen wurden in diesen Texten ihre

118 Vita Audoini 7, MGH, SRM V, 1910, S. 558; Venantius Fortunatus, Vita Severini 2, MGH SRM VII, 1919, S. 220, mit der Aufforderung, sich nach Bordeaux zu begeben. 119 Vita Audoini 14, MGH, SRM V, 1910, S. 562f. 120 Vita Albini 9, MGH, Auct. Ant. IV, 2, 1885, S. 30; vgl. auch Vita Viviani 9, MGH, SRM III, 1896, S. 100 (im Alter errichtet Vivianus eine Basilika). 121 Vita Remedii 14 (ed. B. Krusch, MGH Auct. Ant. 4, 2, 1885), S. 64–67, hier S. 65f.; Vita Arnulfi 20, MGH, SRM II, 1888, S. 440f.; Vita Evurtii 2, AA SS Sept. III, S. 52–58, hier S. 55. 122 Vita Albini XVI, MGH, Auct. Ant. IV, 2, 1885, S. 31. 123 Vita Aniani 10, MGH, Auct. Ant. IV, 2, 1885, S. 115–117; Vita Lupi 6 und 7, MGH, SRM III, S. 121f., Vita Viviani 7, MGH, SRM III, 1896, S. 98, etc. Zur Vita Viviani vgl. Andrew Gillett, Envoys and Political Communication in the Late Antique West, 411–533, Cambridge 2003, S. 143–148, mit weiterer Literatur. 124 Constantius, Vita Germani episcopi Autissiodorensis 18, MGH, SRM VII, 1919, S. 264f. 125 Alkuin, Epistola 107, ed. E. Dümmler, MGH, Epistolae IV, Karolini aevi 2, 1895, S. 153. 126 Vgl. etwa Lupus und Germanus; Constantius, Vita Germani 12, MGH, SRM VII, 1919, S. 259; Audoin mit Abt Filibertus. Siehe dazu Vita Audoini 2, MGH, SRM V, 1910, S. 595; etc. 127 Vgl. Vita Germani 23, MGH, SRM VII, 1919, S. 268, etc. 128 Vgl. dazu etwa Mary Garrison, Praesagum nomen tibi: The Significance of Name-Wordplay in Alcuin’s Letters to Arn, in: Niederkorn-Bruck,Scharer (Hg.), Erzbischof Arn von Salzburg (wie Anm. 93), S. 107–127. 244 Maximilian Diesenberger

Grenzen bewusst, wenn etwa in der Vita des Severin von Bordeaux der ortsansässige Bischof dem Heiligen Platz machte, da er dessen höhere Autorität anerkannte – eine Haltung, die auch jeder Erzbischof von seinen Suffraganen und von seinem populus erwarten konnte129. Aber nicht nur hohe geistliche und weltliche Würdenträger schätzten in diesen Texten den jeweiligen Bischof, sondern auch der populus. In den meisten der in Codex 420 versammelten Bischofsleben wusste der populus von den Vorteilen, die er durch seinen Bischof hatte. Dessen Weggang sollte etwa unter allen Umständen ver- hindert werden, und wenn er doch nicht vermeidbar war, führte er zu großer Trau- er130. Über das gerade in Salzburg und Bayern um 800 interessante Thema der Bischofswahl durch das Volk und/oder auf Wunsch des Königs geben einige Bischofsleben ebenfalls Auskunft. Die Wahl war in den meisten Fällen einstimmig – im Fall des Albinus von Angers entschied sich das Volk für den Kandidaten, der soziales Engagement zeigte und sie am besten zu schützen vermochte131. Da die Sammlung des Codex 420 ja an die Umgebung des Erzbischofs adressiert war, waren gerade die Episoden bedeutsam, in denen sich der populus seinem Bischof gegenüber respektvoll und gehorsam verhielt. Durch die Lektüre der Bischofsviten konnte so auch für die unterschiedlichen Tätigkeiten eines (Erz-)Bischofs Verständnis generiert werden, wenn diese ihn sogar außerhalb seines Amtsbereichs führten. Manche der Bischöfe waren im Auftrag des Königs oder eines Papstes auf Reisen, wie auch Arn selbst132. Bischof Audoin wurde z.B. nach einer seiner Reisen sogar an den Grenzen seiner Diözese von den Bewohnern freudig empfangen133. Wenngleich dieser freund- liche Empfang des Heimkehrenden durch den populus den Beispielen hagio- graphischer Stilisierung zuzuordnen ist, drückt er doch recht deutlich die Erwar- tungshaltung aus, die Arn gegenüber seiner Umgebung hatte. Ein Bischof hatte dabei nicht nur Anspruch auf den Rückhalt durch sein Kirchen- volk, er selbst war der Garant für die Eintracht innerhalb des populus, aber auch im größeren politischen Rahmen. Audoin, der Bischof von Rouen, soll sein Leben lang für concordia zwischen Streitenden gesorgt haben134, vermochte darüber hinaus aber sogar (kurzfristig) Frieden zwischen den Neustriern und den Austrasiern herzustel-

129 Vita Severini 2, MGH, SRM VII, 1919, S. 220. 130 Vita Arnulfi 18, MGH, SRM II, 1888, S. 439f. 131 Venantius Fortunatus, Vita Albini 9, MGH, Auct. Ant. IV, 2, 1885, S. 30. Venantius Fortunatus, Vita Paterni IV, MGH, Auct. Ant. IV, 2, 1885, S. 34. Vita Audoini 1, MGH, SRM V, 1910, S. 555: una cum honore regale adeptus; Vita Arnulfi 7, MGH, SRM II, 1888, S. 434. 132 Vita Audoini 5 und 10, MGH, SRM V, 1910, S. 556f.: Diözesanreisen; S. 559f.: Romreisen. 133 Vita Audoini 11, MGH, SRM V, 1910, S. 560f. 134 Vita Audoini 12, MGH, SRM V, 1910, S. 561. Zur Bedeutung von pax et concordia für die Franken um 800 siehe im Allgemeinen die Admonitio generalis; vgl. die Bedeutung von pax et concordia in der Diviso regnorum, vgl. dazu Matthias Tischler, Die »Diviso regnorum« von 806 zwischen handschriftlicher Überlieferung und historiographischer Rezeption, in: Brigitte Kasten (Hg.), Herrscher- und Fürstentestamente im westeuropäischen Mittelalter, Köln, Wei- mar, Wien 2008, S.193–258, hier S. 214, Anm. 76; und für Arn im Speziellen vgl. künftig Maxi- milian Diesenberger, Der Prediger als Konstituent des sozialen Raumes, in: Dieter Bauer, Klaus Herbers, Hedwig Röckelein, Felicitas Schmieder (Hg.), Heilige – Liturgie – Raum (Beiträge zur Hagiographie, 8), Stuttgart 2010, S. 27–48. Der Cvp 420 245 len135. Audoins Rolle als Stifter der Eintracht zwischen den Franken konnte dabei durchaus mit Arns Rolle als Mittler zwischen den Franken und Bayern verglichen werden. Denn pax und concordia waren Schlagworte, die auch vom Salzburger Erz- bischof in unterschiedlichen Kontexten verwendet wurden136. Für alle jene aber, die nicht geschlossen hinter dem Bischof stehen wollten und sich auf die Zeit vor seinem Episkopat beriefen, überlieferten die in Codex 420 versammelten Texte ebenfalls geeignete Episoden, die verdeutlichten, dass der Rückgriff auf die Vergangenheit und der gegenwärtige Widerstand vor allem ihnen selbst schaden würde. So ließ etwa Evurtius von Orle´ans am Ende seines Lebens Geistliche und ausge- suchte Weltliche zu sich kommen, um sie aufzufordern, bei der Nachbesetzung dis- cordia zu vermeiden und Anianus als seinen Nachfolger zu wählen: Scitis enim quan- ta sunt gesta mala in hac urbe ante meum adventum137. Die in Codex 420 versammelten Heiligenleben boten insgesamt eine Vielzahl von Verhaltensnormen an, die für die bayerischen Verhältnisse um 800 von Nutzen sein konnten. In einem der in die Sammlung übernommenen Prologe fordert der unbe- kannte Autor, dass die Lebensbeschreibung des Heiligen in das officium sermonis einfließen solle, »damit, solange die virtus des Bischofs durch die Predigt zu den Hörenden gelangt, die Nachwelt immer ein Beispiel hat, dem sie folgen kann«138. Mit den gewünschten Rezipienten des Textes sind – zumindest im Zusammenhang mit der hagiographischen Sammlung des Codex 420 – nicht andere Bischöfe gemeint, sondern unterschiedliche soziale Gruppen, die einen (Erz-)Bischof umgaben. Dieser Umgebung wurden durch die Lebensbeschreibungen vor allem merowingischer Heiliger traditionelle Strukturen sozialer Interaktionen zwischen Bischöfen und ihrem Umfeld vermittelt. Daher ergab die Aufnahme von Heiligenleben von Äbten (Filibertus, Richarius und Venantius) oder auch des Presbyters Romanus von Blaye in diese Sammlung durchaus Sinn, gehörten doch auch diese Personenkreise zu den vermutlichen Rezipienten der Sammlung. Codex 420 erwies sich damit als wichtige Ressource zur gedanklichen Neuordnung des bayerischen Episkopats unter der Führung eines Salzburger Erzbischofs. Die Bedeutung dieser hagiographischen Sammlung lässt sich auch daran erkennen, dass die ›bayerische‹ Identität im dritten Viertel des 8. Jahrhunderts hauptsächlich durch die in dieser Zeit entstandenen Bischofsleben (Emmeram, Corbinian, Rupert) ihren Ausdruck gefunden hat. Die Lebensbeschreibungen merowingerzeitlicher Bischöfe sollten nicht die Verehrung der lokalen Heiligen Salzburgs, Regensburgs und Frei- sings ersetzen, sondern das Verhältnis zwischen einem Bischof und seiner Umgebung auf eine neue, fränkische Basis stellen. Diese Prozesse der Neuorientierung können gut anhand der Analyse des hagiographischen Kompendiums nachvollzogen wer- den. Während die geschlechterspezifische und chronologische Ordnung der Texte

135 Vita Audoini 13, MGH, SRM V, 1910, S. 562. 136 Vgl. etwa die Tradition 183a aus: Die Traditionen des Hochstifts Freising, ed. Theodor Bitter- auf, Quellen und Erörterungen zur bayerischen und deutschen Geschichte NF 4,1, Aalen 1967, S. 182–185. Vgl. dazu Diesenberger, Der Prediger als Konstituent des sozialen Raumes (wie Anm. 134). 137 Vita Evurtii 3, AASS Sept. III, S. 57. 138 Vita Viviani 1, MGH, SRM III, 1896, S. 94. 246 Maximilian Diesenberger den Eindruck eines klar strukturierten Kompendiums vermittelt, zeigt die indivi- duelle Arbeit der Schreiber, dass man erst begann, diese Ressourcen fränkischer Hagiographie für den bayerischen Kontext zu nutzen. Die Texte mussten erst gesam- melt, aus ihren ursprünglichen Überlieferungszusammenhängen gelöst und in eine einheitliche Form gebracht werden – eine Leistung, die aufgrund der reichen und vielgestaltigen Quellenlage sehr hoch einzuschätzen ist. Die an der Erstellung der Handschrift beteiligten Schreiber griffen dabei inhaltlich kaum in die Vorlagen ein, obwohl umfangreiche Textüberarbeitungen durchaus üblich waren und sogar einige überarbeitete Texte Aufnahme in die Sammlung gefunden haben139. Das muss nicht unbedingt im Unvermögen der Schreiber begründet gewesen sein, sondern kann auch als Ausdruck eines Ordnungsprozesses interpretiert werden, der das gesam- melte Material zunächst einmal zusammen- und für weitere Diskussionen zur Ver- fügung stellte. Vielleicht lag dahinter auch das Kalkül, das hohe Alter der Texte zu dokumentieren. Den Heiligenleben könnte durch den Respekt gegenüber der vor- liegenden Textform das Prädikat des „Authentischen“ zugedacht worden sein. Hier- in liegt die Chance begründet, die diese Sammlung etwa für Forschungen zum Latein der Merowingerzeit bietet. Jedenfalls ermöglicht die Analyse der Arbeitsweise der beteiligten Schreiber nicht nur Einblicke in die politischen Kontexte, in denen die Handschrift entstanden ist, sondern auch in die sozialen Prozesse, die ihre Entstehung begleiteten. So lässt sich in der Handschrift auch das Interesse an hagiographischen Modellen und ihre soziale Adaption zwischen zwei karolingischen Gesellschaften untersuchen.

139 In der Bayerischen Sermonessammlung, die in Salzburg angelegt worden ist, wurden die meisten der 35 in die Sammlung integrierten hagiographischen Texte überarbeitet. Vgl. Diesenberger, How Collections Shape the Texts (wie Anm. 91). Der Cvp 420 247

Annex DIE TEXTE VON CVP 420

Die Titel der Texte werden nach der Bibliotheca hagiographica latina (BHL) wie- dergegeben. Die Datumsangaben, die von den gebräuchlichen abweichen, werden mit einem Asterisk* gekennzeichnet.

Fol. 2–9 Vita Symeonis stilitae senioris 5.1. Fol. 9–14 Venantius Fortunatus, Vita Hilarii ep. Pictavensis 13.1. Fol. 14–20 III. Vita Antonii eremitae 17.1. Fol. 20–22 IIII. Vita Simplicii ep. Augustodunensis 12.2.* Fol. 22–26 V. Venantius Fortunatus, Vita Albini ep. Andegavensis 1.3. Fol. 26–28 VI. Venantius Fortunatus, Vita Germani ep. Parisiensis 28.5. Fol. 28–31v VII. Vita Medardi ep. Noviomensis 8.6. Fol. 31v–35 VIII. Epistola Urbani presb. de Paulini (Nolensis) obitu 22.6. Fol. 35–39v VIIII. Hieronymus, Vita Pauli 16.7.* Fol. 40–42 X. Vita Lupi ep. Trecensis 29.7. Fol. 42–46 XI. Lucianus presb., revelatio seu inventio Stephani diac. protomartyris 3.8. Fol. 46–52 XII. Vita Arnulfi ep. Mettensis 16.8. Fol. 52–60v XIII. Vita Philiberti ab. Gemmeticensis et Heriensis 20.8. Fol. 61–66v XIIII. Vita Audoeni ep. Rotomagensis 26.8.* Fol. 67–71 XV. Vita Bibiani seu Viviani ep. Santonensis 28.8. Fol. 71–79 XVI. Vita Evurtii ep. Aurelianensis 7.9. Fol. 79–85 XVII. Vita Lupi ep. Senonici 24.9.* Fol. 85–87v XVIII. Vita Remigii ep. Remensis 1.10. Fol. 87v–98v XVIII. Constantius, Vita Germani Autissiodorensis 1.10. Fol. 99–103 XX. Vita Richarii ab. Centulensis 9.10. Fol. 103–105 XXI. Epitomae Severini ep. Coloniensis 21.10. Fol. 105–107 XXII. Vita Venantii ab. Turonensis 23.10. Fol. 107–110 XXIII. Vita Amantii ep. Ruteni 4.11. Fol. 110–115 XXIIII. Vita Aniani ep. Aurelianensis 17.11. Fol. 115–119 XXV. Venantius Fortunatus, Vita Paterni ep. Abrincensis Fol. 119–121 XXVI. Vita et miracula Romani presb. in Castro Blaviensi Fol. 121v–130v XXVII. Passio Dormientium (Septem) Ephesi mm. Fol. 131–140 XXVIII. Vita Genovefae v. Parisiensis 3.1. Fol. 140v–150 XXVIIII. Passio Theodosiae v. m. Caesareae 3.4. Fol. 150v–156v XXX. Inventio ss. crucis, intermissa est legenda Iudae Quiriaci 3.5. Fol. 156v–158v XXXI. Exaltatio seu reversio s. Crucis Fol. 159–165v XXXII. Passio ss. Virginum Spei, Fidei, Caritatis cum Sapientia matre earum 1.8. 248 Maximilian Diesenberger

Fol. 165v–166v XXXIII. Passio Afrae, Hilariae, Dignae, Eumeniae, Euprepiae mm. Augustae Vindelicorum 6.8. Fol. 166v–172v XXXIIII. Passio Euphemiae v. m. Chalcedonensis 16.9. Fol. 172v XXXV. Passio Eulaliae v. m. Barcinonensis 10.12. FRANCESCO STELLA

Riscritture ritmiche di agiografie merovinge in eta` carolingia

Le poesie agiografiche a carattere ritmico fanno parte di quel »domaine neglige´ de la litte´rature mediolatine« di cui parlava Dolbeau in un articolo di cinque anni fa1, e che vorrei qui affrontare dal punto di vista delle pratiche di riscrittura, alle quali ho avuto modo di dedicare lunghe ricerche negli anni in cui mi sono occupato della poesia biblica, dalla tarda antichita` alla letteratura contemporanea2. Il punto di vista da cui partivo era profondamente diverso da quello che ha utilizzato Monique Goullet nel suo bel libro »E´ criture et re´e´criture hagiogaphique«3: il modello critico cui mi ispi- ravo era infatti non tanto Genette quanto Jauss e la Formgeschichte, dunque inteso a individuare le modalita` strutturanti di un genere come modello storico piu` che le tipologie di riscrittura, e insieme molto debitore a Reinhart Herzog4 e Michael Roberts5 di una casistica della parafrasi biblica che si fondava soprattutto su elementi linguistici, quasi grammaticali, e insieme esegetici, modelli che la tradizione di studio fiorentina mi spingeva a coniugare con una forte attenzione per la tradizione mano- scritta. Il ventaglio di testi di cui si dovrebbe occupare una relazione sulle riscritture rit- miche carolinge comprende una poesia molto antica e piuttosto breve sulla vita di Placida-Eustasio, una lunga narrazione pseudoletteraria della Vita di Eligio, una Pas- sio Christophori altrettanto magmatica, una lucida e conseguente narrazione della Passione di san Giustino di Louvres, e un dossier su vita e traslazione di san Germano di Parigi, mentre l’ipotesto del ritmo sulla traslazione di san Cornelio papa pubbli- cato da Winterfeld non e`, a rigore, merovingio ma cariolingio, e dunque in questa sede non ci interessa. Lasciamo da parte la Vita Amandi ritmica del Valenciennes BM 412, la cui l’edizione e` stata pubblicata recentemente da Corinna Bottiglieri6, che lo attribuisce all’XI secolo, cosı` come non potremo trattare di casi quali il ritmo di

1 Franc¸ois Dolbeau, Un domaine neglige´ de la litte´rature me´diolatine. Les textes hagiographiques en vers, in: Cahiers de civilisation me´die´vale 45 (2002), p. 129–139. 2 Francesco Stella, Poesia carolingia latina a tema biblico, Spoleto 1993; Id., La Scrittura infinita. La Bibbia nella poesia medievale e umanistica, Firenze 2001. 3 Ovviamente Monique Goullet¸E´ criture et re´e´criture hagiographique. Essai sur le re´e´criture des Vies des saints dans l’Occident latin me´die´val (VIIIe–XIIIe sie`cle), Turnhout 2005. 4 Reinhart Herzog, Die Bibelepik der lateinischen Spätantike, München 1975. 5 Michael Roberts, Biblical Epic and Rhetorical Paraphrase in Late Antiquity, Liverpool 1985. 6 Corinna Bottiglieri, Oceano contigua regio Aquitana. Una variazione ritmica sulla vita di S. Amando di Maastricht. Edizione del testo, fonti e modelli, in: Hagiographica 10 (2003), p. 241–297. 250 Francesco Stella

Audoeno (BHL 754), dal ms. Rouen BM Y 41, il ritmo di Sankt Emmeram e il ritmo di Saint-Denis (Paris, BNF lat. 2445A7). Tutti gli altri sono pubblicati nel IV volume dei »Poetae latini aevi carolini«8, ma come vedremo avrebbero bisogno estremo di nuove edizioni. Sono quasi tutte vite strettamente legate, se non ai merovingi, ai culti francesi, e parigini in particolare.

EUSTACHIO

Il primo caso e` di grandissimo interesse perche´ riguarda una delle storie piu` raccon- tate e riscritte della cultura religiosa occidentale: quella di Eustasio-Eustache, nato col nome di Placida, era magister militum di Traiano, ed era diventato cristiano mentre andava a caccia, perche´ un cervo gli aveva parlato convertendolo e annunciandogli un periodo di sventure da affrontare con la capacita` di sopportazione di chi sa che lo aspetta un lieto fine. E le sventure arrivano, sotto forma di rapimento della moglie durante un viaggio in barca, di perdita dei figli apparentemente portati via da un leone e un lupo, e di lungo e doloroso isolamento come custode di un campo coltivato in Egitto. Ma la fortuna torna quando l’esercito romano ha nuovamente bisogno di lui e lo manda a cercare con due soldati, che lo riconoscono grazie a una cicatrice e lo richiamano all’antico ruolo: proprio nella campagna militare Eustasio reincontra i figli, che si erano salvati e si erano arruolati, e la moglie che non era stata toccata dal suo rapitore, provvidenzialmente morto subito. Il ricongiungimento della famiglia e` esaltato dal trionfo militare, ma quando a Traiano subentra Adriano, e questi si accor- ge che Eustasio non vuole offrire i sacrifici rituali dopo la vittoria, nel giro di poche frasi si sviluppano l’accusa, la resistenza e il martirio, che coinvolgono tutta la fami- glia: prima con un tentativo di sbranamento da parte dei leoni, che come per Daniele li risparmiano, e poi attraverso l’ustione in un toro di bronzo sottoposto al fuoco. Questa storia, che rappresenta un condensato di schemi favolistici classici ma nasce curiosamente gia` matura in tutti i suoi elementi, come e` noto ha avuto non solo una serie di versioni latine, circa 11 nell’elenco 2760–2771 della BHL, comprese quella di Giovanni da Gaeta (Gelasio II) studiato da Franc¸ois Dolbeau9 e quella metrica del XIII secolo recentemente pubblicata da Thomas Klein10, ma un probabile antece-

7 Su cui vd. Franc¸ois Dolbeau, Prose, rythme et me`tre. Re´e´critures dans le dossier de saint Ouen, in: Monique Goullet, Martin Heinzelmann (cur.), La re´e´criture hagiographique dans l’Oc- cident me´die´val, Ostfildern 2003 (Beihefte der Francia, 58), p. 231–250 e Franc¸ois Dolbeau, Deux poe`mes ine´dits, extraits du ›Livre noir‹ de Saint-Ouen de Rouen, in: Id., Sanctorum socie- tas. Re´cits latins de saintete´ (IIIe–XIIe sie`cle), vol. 2, Bruxelles 2005, p. 747–799. 8 Berlin 1899, rist. Berlin 1964. 9 Franc¸ois Dolbeau, Recherches sur les œuvres litte´raires du pape Ge´lase II. A-Une Vie ine´dite de Gre´goire de Nazianze (BHL 3668 d), attribuable a` Jean de Gae¨te, in: AnalBoll 107 (1989), p. 65–127 e Id., Recherches sur les œuvres litte´raires du pape Ge´lase II. B-Subsiste-t-il d’autres travaux de Jean de Gae`te?, ibid., p. 347–383. Probabilmente riferibile a Gelasio il frammento individuato da Nicoletta Giore` Marchioli, Antonio Giusa, Un nuovo frammento di bene- ventana in Friuli, in: Studi Medievali 35 (1994), p. 783–796. Il frammento e` del XII–XIII secolo. 10 Ein spätmittelalterliches Eustachius-Leben aus der Handschrift Paris, BNF lat. 11341, in: Mit- Riscritture ritmiche di agiografie merovinge 251 dente greco e una varieta` appassionante di reinvenzioni vernacolari, dai due testi anticofrancesi del XIII secolo, uno in prosa e uno in versi, pubblicati da Petersen11, Murray e Ott12 al Guglielmo d’Inghilterra attribuito a Chre´tien de Troyes13 al poema tedesco Die Gute Frau e il poemetto Der Graf von Saffoy, l’inglese Sir Ysambra- ce14, fino alle leggende canadesi sorte dalla rielaborazione orale di una riscrittura ottocentesca, studiate da Alain Boureau15 e piu` recentemente da Konrad Voll- mann16, che ha allargato la cerchia alla novella Sappho Duke of Mantona, del XVI se- colo17, mentre la Biblioteca Agiografica Italiana segnala numerose rielaborazioni ita- liane, anche in versi, probabilmente dipendenti da Iacopo da Varazze e poco studiate18. Questo ha sollecitato fin dalla fine dell’800 intorno alla leggenda una bibliografia veramente impressionante, molto impegnata sul piano dell’antropologia mitografica, che ha fatto in qualche modo perdere di vista e di interesse le fonti latine e i testi piu` antichi. Su questo aspetto si continuano a ripetere luoghi comuni trasmessi per inerzia, e in una ventina di saggi solo quello narratologico di Thomas J. Heffern- an19 ricorda sia l’esistenza del ritmo carolingio, che a suo parere e` addirittura la prima versione latina della leggenda, sia l’enorme lavoro di Wilhelm Meyer sulla ricostru- zione della vita originaria (vd. n. 20). Pur non essendomi mai occupato a fondo di questo affascinante dossier agiografico, la lettura dei testi e della relativa letteratura mi e` parsa esemplare dei rischi di un lavoro che, come il nostro, procede per com- partimenti stagni e dove il filologo germanico ignora quello che scrive il collega latinista ed entrambi ignorano quello che scrive il francesista o l’italianista, e ancor meglio i latinisti si ignorano fra loro, e tutti continuano a ripetere i dati degli Acta sanctorum (AASS).

tellateinisches Jahrbuch 29 (1994), p. 55–111. Su questa vita due interventi critici di Thomas Gärtner, Zur Eustachius-Vita »Ne mea segnicie«, in: Mittellateinisches Jahrbuch 34 (1999), p. 175–182 e Id., Zwei Textvorschlägen zur metrischen »Eustachiusvita« (BHL 2768), in: Anal- Boll 118 (2000), p. 43–46. 11 Holger Petersen, La vie de saint Eustache. Poe`me franc¸ais du XIIIe sie`cle, Parigi 1928. 12 Andreas C. Ott, Das altfranzösische Eustachiusleben, Erlangen 1912, e Jessie Murray, La Vie de S. Eustache, Parigi 1929. 13 Isabelle Garreau, Eustache et Guillaume ou les mutations litte´raires d’une vie et d’un roman, in: Me´die´vales 35 (1998), p. 105–123. 14 Anne B. Thompson, Jaussian Expectations and the Production of Medieval Narrative. The Case of »Saint Eustace« and »Sir Isumbras«, in: Exemplaria 5 (1993), p. 387–407. 15 Alain Boureau, Narration cle´ricale et narration populaire. La le´gende de Placide-Eustache, in: Jean-Claude Schmitt, Les saints et les stars, Parigi 1983, p. 41–64. 16 Konrad Vollmann, Die geheime Weltlichkeit der Legende. Fortleben und Verwandlung antik- weltlicher Erzählstoffe in der Legende, in: Christoph Huber, Burghart Wachinger, Hans Joachim Ziegler (cur.), Geistliches in weltlicher und Weltliches in geistlicher Literatur des Mittelalters, Tübingen 2000, p. 17–25. 17 Joerg O. Fichte, Die Eustachiuslegende, »Sir Isumbras« und »Sappho Duke of Mantona«, in: Walter Haug, Burghart Wachinger (cur.), Kleinere Erzählformen des 15. und 16. Jahrhunderts, Tübingen 1993, p. 130–150. 18 Segnalerei oltre ai titoli della Biblioteca Agiogafica Italiana La rappresentazione di santo Eusta- chio, Firenze 1554 (Riccardiana N.A. O 55); G. Vitaletti, Leggende spirituali, Lanciano 1925 e Angelo Monteverdi, La »Legenda de santo Stady« di Franceschino Grioni, in: Studi Romanzi 20 (1930), p. 1–198 e Id., I testi della leggenda di S. Eustachio, in: Studi Medievali 3 (1908–1911), p. 169–229 e 392–498. 19 Thomas J. Heffernan, An Analysis of the Narrative in the Legend of St. Eustace, in: Medi- aevalia & Humanistica (1975), p. 63–89. 252 Francesco Stella

La questione e` di grande complessita`, e non e` qui il caso di analizzarla nel dettaglio. Si puo` ricordare che tutta la bibliografia, tranne Heffernan, e` convinta che il testo base sia la vita lunga stampata da Mombritius e negli AASS, con risultati molto diversi, da un manoscritto di Parigi non meglio specificato ed effettua i confronti con le riscrit- ture carolinge su questa base. Quasi tutti ripetono che questa vita e` trasmessa da manoscritti del X secolo, riferendosi al Parigino 5577 e a Rouen 1379, e assumono, seguendo i bollandisti, che questa sia la versione latina della vita greca stampata dal domenicano Combefis nel XVII secolo e riprodotta negli AASS: questa vita greca ha un prologo, assente nelle versioni latine, nel quale l’autore si dichiara coevo ai fatti, ambientati sotto Traiano. La vita greca viene datata all’VIII secolo anche perche´ Gio- vanni Damasceno cita il martirio di Eustachio nel 726. Wilhelm Meyer ha scritto il saggio piu` lungo e approfondito sull’argomento quasi 100 anni fa20, pubblicando sia il ritmo del IX secolo gia` edito da Strecker nei Poetae latini aevi carolini, sia un’edizio- ne critica della versione piu` breve della vita, tramandata da 6 manoscritti fra cui due cassinesi e tre romani e prima pubblicata su un solo manoscritto nella Bibliotheca Cassinensis21. Meyer sostiene che questa versione breve, di tradizione italica, e` piu` antica della versione lunga, ed e` addirittura anteriore alla versione greca, e probabil- mente scritta nel V-VI secolo. Tutta la bibliografia recente, che di solito riprende i dati da Alain Boureau, ripete inspiegabilmente che, pur senza certezze sulle fonti primarie della diffusione latina, il modello e` greco ed e` entrato in circolazione latina nel X secolo. Eppure il ritmo e` gia` certamente anteriore e anche il data-base dei Bollandisti riporta, per la redazione in prosa della vita latina piu` lunga, manoscritti del IX secolo22. A parte questo, nessuno ha confutato seriamente le conclusioni di Meyer23, e probabilmente pochissimi le hanno veramente lette, perche´ spesso vengono ignorate o citate con il titolo sbagliato. Personalmente ritengo che le osservazioni pubblicate da Angelo Monteverdi nel 1910 sulle citazioni del testo biblico nella versione greca avvalorino l’ipotesi di anteriorita` del greco, ma l’assenza del prologo greco da tutte le versioni latine insospettisce, cosı` come molte difformita` su dati di fatto. Allo stesso modo non mi convince la datazione proposta da Meyer, fondata su particolarita` linguistiche non meglio specificate, mentre mi sembra attendibile la tesi di un’anteriorita` della versione breve rispetto a quella lunga. Queste sono semplici impressioni di lettura, e fino a che nessuno avra` effettuato una edizione critica queste ipotesi e la lettera stessa dei testi resteranno con un grosso punto interrogativo. Certamente non si puo` piu` ripetere che la prima versione latina dell’agiografia sia del X secolo e non si puo` ignorare che esiste una versione ritmica molto antica. Gran parte dei raffronti con le riscritture vernacolari sono stati operati dunque su una versione che non e` quella piu` antica, e per di piu` su

20 Wilhelm Meyer, Der Rhythmus über den hl. Placidas-Eustasius, in: Nachrichten von der König- lichen Gesellschaft der Wiss. zu Göttingen (1916), p. 2226–2287. 21 Biblioteca Cassinensis, vol. III, 1887, p. 293. 22 Bruxelles 1820–1827 (3150) secolo IX, fol. 74r–80v, legato a Saint Martin de Tours; Bruxelles, Museum Bollandianum 14, fol. 101v–104v, con santi soprattutto dell’Italia centro-settentrionale, e Vat. Reg. lat. 528, fol. 139r–148v, con santi romani, borgognoni e san Martino. 23 Hippolyte Delehaye, La le´gende de saint Eustache, in: Me´langes d’hagiographie grecque et latine, Bruxelles 1966, p. 219–239. Riscritture ritmiche di agiografie merovinge 253 un testo la cui edizione e` basata su uno solo dei 97 manoscritti segnalati. Perfino la vita breve edita da Meyer e` segnalata nel repertorio elettronico dei bollandisti in altri due manoscritti non collazionati da lui, un Vallicelliano XIV del XII secolo e Archivio di San Giovanni in Laterano A 79 dell’XI-XII. Bisogna dire pero` che la BHL qui con- fonde i manoscritti delle due versioni24, perche´ gli incipit sono simili, e questi dati andrebbero verificati come sempre sui manoscritti reali. La versione ritmica, in 43 strofe25 di cinque versi quasi regolari (7/8p+6pp) con tendenza all’assonanza strofica e` tramandata da due manoscritti non registrati dai bollandisti perche´ assenti dai loro cataloghi: il famoso Veronese 90, di fine IX secolo, uno dei principali mss. su cui si basa l’edizione del Corpus Rhythmorum Musicum, e un Sangallese 561 del X secolo, composito, che acclude alla vita in prosa, non si sa in quale versione, alcune strofe del ritmo in un latino piu` corretto, usando pero` sempre il nome Eustachius dove il Veronese ha Eustasius, la vita bollandiana Eustathius e quella di Mombrizio invece Eustachius26. Strecker usa come confronto la Vita dei Bollandisti. In realta` dopo un’analisi anche rapida non ci sono dubbi che la fonte sia la versione breve, e anche con questa ci sono sensibili differenze nella disposizione narrativa, come ci sono anche se il confronto si fa sulla versione maior, ma quattro punti segnano una differenza anche sui dati: il primo e` il colore del cervo, che nel ritmo e` candidus, mentre in tutte le altre versioni, anche volgari, mi pare non sia segnalato: del cervo si dice solo che e` grande27. Inutile ricordare che il cervo bianco e` personaggio di diverse mitografie, compresi alcuni episodi della Matie`re de Bretagne. Qui si puo` pensare a un’interpretazione di can- didus come luminoso, oppure a una variazione autonoma del versificatore, magari in consonanza con racconti popolari. Piu` avanti si indica in 12 anni il periodo di per- manenza di Eustasio come custode di campi in Egitto, mentre sia la versione maior sia quella brevior hanno 15 anni, tranne il codice ambrosiano della versio brevior, che ha 1228. Nella strofa 15 Eustasio, dopo aver visto rapire i figli, si dispera strappandosi barba e capelli: ma la fonte qui ha solo i capelli, e la barba e` nuovamente una varia lectio del codice ambrosiano. Infine nella strofa 19 si specifica che il luogo dove si era verificato l’attacco era la Pannonia, di cui non si fa parola in nessuna versione delle vite. In quella breve si cita in altro luogo il fiume Danubio, che Placida avrebbe attraversato contrattaccando gli invasori. Le altre vite non hanno menzioni geogra- fiche oppure, come quella greca, menzionano l’Hydaspes,e` il fiume del Punjab, fra Pakistan e India (oggi Jhelam) dove Alessandro Magno sconfisse il re Poro. Il che fra

24 Inserisce cioe` erroneamente l’ambrosiano fra i mss. della versione piu` lunga. 25 Il codice di Sangallo ha solo alcune strofe, V le ha tutte e dove coincidono V ne ha una in piu`. 26 Boninus Mombritius, Sanctuarium seu Vitae sanctorum, vol. I, Paris 1910, rist. New York 1978, p. 467–473. La piu` recente descrizione del ms. veronese, a cura di Patrizia Stoppacci,e` in: Corpus Rhythmorum Musicum, I: Songs from non-liturgical sources, e´d. Francesco Stella, Sam Barrett, Firenze 2007. 27 Mario Polia, Il mistero imperiale del Graal, Rimini, p. 111–116, occupandosi del mito, cita Eustachio in relazione al cervo bianco. 28 In un altro passo, la strofa 30, ho riscontrato che l’espressione unus ad alterum sembra ricondurre alla lezione di un codice cassinese della versio brevior, ma in questo caso si tratta di variazioni formulari e quindi poco probanti. 254 Francesco Stella l’altro potrebbe essere un indizio della posteriorita` della versione greca, ma non e` un argomento che possiamo trattare ora. Dunque anche qui la Pannonia o e` un’inven- zione del nostro poeta, o e` una sua deduzione basata sulla menzione del Danubio, oppure e` basata su una versione orale o su una versione non pubblicata di uno degli altri 96 manoscritti non collazionati. Allo stato delle conoscenze oggi, mi sentirei di proporre l’ipotesi che questa versificazione e` basata sulla redazione brevior, e anzi su una fonte comune al codice ambrosiano che ha la menzione dei 12 anni e della barba, e che potrebbe essere giunta in territorio longobardo da Montecassino, e da Verona a Sangallo. La questione non e` secondaria per la storia della poesia ritmica: nel ’98 ho avuto modo di scrivere un articolo su »Studi Medievali« in cui sostenevo che, sulla base dei nuovi dati, accanto all’ipotesi di provenienza Sangallese della moda dei ritmi, sostenuta da Strecker, a quella longobarda e veronese, sostenuta da Norberg, e a quella francese sostenuta da Winterfeld si poteva integrare un’ipotesi di una speri- mentazione irlandese, con prime attestazioni a Luxeuil e Corbie, che diramava poi sia a San Gallo che a Verona. Qui siamo nuovamente di fronte a un testimone veronese, forse esemplato a Monza, con materiale miscellaneo, ma certamente anche lombardo, veronese e francese, e uno di Sangallo con materiale francese (vita di Genoveffa, di Eulalia, di Radegonda) e romano (apostoli Andrea, Pietro e Paolo). Se si dimostrasse che il primo e` stato il codice veronese, l’ipotesi di Norberg troverebbe nuovi appoggi, mentre se anteriore fosse il sangallese avrei una conferma alla mia ipotesi. Il linguaggio nel sangallese e` piu` corretto e questo potrebbe essere segno di inter- venti posteriori; la menzione della Pannonia si giustifica meglio nel contesto vero- nese, durante la guerra contro gli Avari condotta da Pipino figlio di Carlo Magno; il codice ambrosiano E 84 contiene santi francesi come Remigio ma soprattutto molti santi di area milanese, la diocesi di cui allora era suffraganea Verona, e di area vero- nese, compreso san Zeno, al quale e` dedicato anche un famoso ritmo tramandato nel manoscritto Verona 90 insieme a questo; infine il ritmo usa la clausola per provincias omnes, non comune, che si trova nel ritmo 58 Amplam regalis sulla storia di Esther, tra´dito solo nel veronese, e che condivide alcune caratteristiche stilistiche uniche col ritmo su san Zeno29. Ci sono dunque piu` elementi a favore della provenienza vero- nese, ma nessuno di questi e` decisivo. Indipendentemente da questi percorsi tutti filologici, sul piano della riscrittura letteraria il ritmo veronese dimostra una stretta adesione alla lettera, ogni volta che e` reso possibile dalla versificazione30 – e in altri casi una strategia di adattamento rit- mico31; si registra anche uno sforzo di sintesi narrativa, e di razionalizzazione della materia narrativa anche a scapito della suspence: il salvataggio dei ragazzi e` spiegato subito dopo il loro rapimento, prima di descrivere la disperazione di Eustasio; cosı` fa per la fine della moglie. Altre dinamiche attive nel testo sono la semplificazione dei toni32, l’omissione di alcuni nomi (dei soldati che vanno a cercarlo) e l’aggiunta di altri

29 Vd. Stella, La poesia carolingia (vd. n. 2), p. 337–341. 30 11, 2 ve vobis, filii 〈 vae vobis, filii mei 10. 31 13 ignorante puero quid actum sit de patre vel fratre 〉 13, 5 invicem nescientes unus de altero. 32 Eliminata l’ironia amara di 14 Iob ...habuit tamen amicos, qui consolarent eum; ego vero agrestes feras inveni, quae pro consolatione devoraverunt filios meos. Riscritture ritmiche di agiografie merovinge 255 nomi (Traiano, Egitto), omissione di dettagli33 e di episodi34, l’aggiunta di episodi e personaggi secondari35, una misurata ma costante patetizzazione36; richiamo di aspetti morali e di spiegazioni teologiche37, riduzione drastica delle attribuzioni taumatur- giche del santo per chi lo veneri (ultime strofe). Mi sentirei di concluderne che la strategia della riscrittura e` orientata alla costruzione di una storia completa, plausi- bile, proporzionata nelle misure assegnate ai diversi episodi, con focus sulla narra- zione in se´ e, con discrezione, sul filo morale e religioso che la rende jaussianamente significativa nell’ambiente dove e` attesa, enfasi sul pathos dei momenti piu` dram- matici, come fa Paolino d’Aquileia nei suoi ritmi biblici, e riduzione delle appendici narrative ed eucologiche finali, caratteristica di quasi tutte le riscritture ritmiche che quindi ne limita forse l’impiego strettamente liturgico. Altri aspetti di tipo formulare collegano bene questo testo ad altra letteratura ritmica, compresi i Carmina Canta- brigensia eiCarmina Burana, oltre che i ritmi veronesi di cui abbiamo detto, confer- mando l’esistenza di costanti di genere38. L’itinerario filologico, se collegabile all’ambiente veronese del re Pipino, potrebbe dunque confermare l’uso di questa leggenda come mitizzazione ideologica carolingia del santo guerriero e padre di famiglia, ipotizzato in un articolo su »Les Annales« del 1982 da Boureau39, che pero` lo contestualizzava nella seconda generazione, sotto Ludovico il Pio. Il suo successo popolare, che non si puo` misurare con la diffusione della tradizione manoscritta, sembra avvalorato da un altro dato curioso: secondo i medievisti che hanno studiato le riscritture vernacolari la fonte di queste non e` mai il testo latino della vita maior. Nessuno di essi usa la vita brevior per effettuare un confronto, ma l’unico caso in cui si riconosce una dipendenza, nel gia` citato articolo di Heffernan, e` fra le strofi 3 e 4 del ritmo veronese e il leggendario inglese meridio- nale, il »South English Legendary«, come esemplificato nell’appendice. Uno degli obiettivi di questa ricerca e` valutare la possibilita` che le redazioni ritmiche costituis- cano il segno, l’unico a noi trasmissibile, dell’eventuale tradizione orale di queste leggende, e su questo piano nei convegni dedicati al Corpus dei Ritmi40 abbiamo

33 Ad es. il colore dei capelli dei figli, rufi, e il loro ruolo, centuriones. 34 La reazione dell’imperatore e il trafugamento dei corpi con l’indicazione della data di culto. 35 20, 3 quello che risponde sul destino di Eustasio alle prime domande del soldato. 36 16, 5 infelix ego, que meos filios raperent; tolerantiam 〉 tolerantiam et sufferentiam 17,3; 32, 1 anxiam mater dove la fonte ha solo mater; 34, 4 nefandus et durus barbarus 34, 4 dove la fonte ha solo barbarus; 35,3 crudeles bestie dove la fonte ha solo fere; 25 proiecit se ad pedes eius 〉 33, 3 dum ad vestigia eius se vellet sternere / agnovit eum et collum eius amplexa est; commenti emozionali come 36, 3 Quale tunc gaudium fuit, quis potest dicere. 37 39, 3–5 qui me triumphare fecit 〉 qui nos post tantam fecit iustitiam, / per quem speramus habere aeterna gaudia; deum verum, qui fecit omnia. 38 Raffronti: ad es. clausole per provincias omnes, cuncta per ordinem, taliter (4,2; 24, 3 e 41, 2, cfr. Vita Germani 1, 110, 1), vivant feliciter (Dhuoda 122,15,2; Alcuino Carm. etc.). 39 Alain Boureau, »Placido tramite«. La le´gende d’Eustache, empreinte fossile d’un mythe caro- lingien?, in: Annales ESC 4 (1982), p. 686–690. 40 Francesco Stella, Oralita` testuale: questioni linguistiche sul »Corpus dei ritmi latini« (IV–IX secolo), in: Luigi Castagna (cur.), Quesiti, temi, testi di poesia tardolatina, Frank- furt/M. et al., 2006, p. 147–166; Daniel Jacob, Poe´sie rythmique et »traditions discursives«. Une perspective prototypicaliste sur les genres me´die´vaux, in: Edoardo D’Angelo, Francesco Stel- la (cur.), Poetry of Early Medieval Europe. Manuscripts, Language and Music of the Rhythmical Latin Texts, Firenze 2003, p. 267–290. 256 Francesco Stella individuato molte indicazioni dei testi in questa direzione. In tal caso si potrebbe riflettere sull’ipotesi che le redazioni vernacolari dipendano da questo tramite semi- orale anziche´ dalle vite latine. Ma e` un’ipotesi che richiede un accurato lavoro com- paratistico ancora da fare. Questo ritmo, i cui enigmi filologici mi hanno appassionato forse oltre il dovuto, potrebbe essere da solo argomento di tutta la relazione, ma difficilmente si potrebbe dire che si tratta di riscrittura di agiografia merovingia. Il periodo di composizione della fonte e` certamente in periodo merovingio, il santo ha avuto grande fortuna in ambito francese prima e piu` che altrove, il contesto agiografico di alcuni codici (San- gallese) riconduce alla Francia, ma fino a che non si pubblichera` una vera edizione critica delle vite non ci sono prove per ricondurre ai Merovingi la prima biografia, e anzi la provenienza dei manoscritti della vita brevior sembra portare in Italia, in Lombardia e prima ancora nel Lazio, fra Cassino e Roma, dove Eustachio ebbe le prime attestazioni del suo culto41, forse importato dalla Grecia. Mi sembra comunque necessario segnalare lo straordinario interesse e la grande importanza che potrebbe avere la ricostruzione della filiera di testi di questa leggenda, e uno studio autenti- camente comparativo delle sue molteplici realizzazioni medievali.

SAN GIUSTINO

Con maggiore certezza ci conduce all’epoca merovingia la passione di Giustino di Louvres, e anche di questa si e` occupato M. Dolbeau, pubblicandone, insieme a Hedwig Röckelein che l’aveva studiata nel suo libro sulle reliquie42, l’edizione del testo sulla base del manuscritto Parigi 15437 dell’XI secolo e del Paris 10874 del XVI secolo. Il database dei bollandisti omette la menzione di quest’ultimo testimone, ma ne cita uno ulteriore (non utilizzato nell’edizione di Dolbeau/Röckelein) Bourges 36, fol. 175r–181r, del XV secolo. Qui il caso e` apparentemente piu` semplice: a parte la translatio dell’891 esistono una sola versione della passio in prosa, pubblicata prima da Narbey43 e ora da Dolbeau-Röckelein, e la versione ritmica, pubblicata come ritmo 151 da Strecker e prima ancora da Herveux nell’opera di Beda44. In realta` anche questo caso e` complicato da un problema di testo: la storia di Giustino viene fusa con quella

41 E’ noto che il primo luogo dove sia noto un culto per Eustachio fu Roma, dove gli fu dedicata una chiesa da Gregorio II (715–713). Da lı` le reliquie furono traslate a Saint-Denis nel XII secolo: la diaconia sancti Eustachii presso il Pantheon: vd. Richard Krautheimer, Rome, Profile of a City 312–1308, Princeton 1980, p. 81. 42 Hedwig Röckelein, Reliquientranslationen nach Sachsen im 9. Jahrhundert. Über Kommuni- kation, Mobilität und Öffentlichkeit im Frühmittelalter, Stuttgart 2002 (Beihefte der Francia, 48); Franc¸ois Dolbeau, Hedwig Röckelein,E´ dition de la Passio S. Iustini (BHL 4579), in: Martin Heinzelmann (cur.), Livrets, collections et textes. E´ tudes sur la tradition hagiogra- phique latine, Ostfildern 2006 (Beihefte der Francia, 63), p. 351–357. 43 Abbe´ C. Narbey, Actes du martyre de saint Justin, enfant, honore´ a Paris le 1er aouˆ t, in: Supp- le´ment aux AASS par des Vies des saints de l’e´poque me´rovingienne, vol. 2, Paris 1900, p. 111–113, n. 15. 44 Bedae Opera Omnia, Migne PL 94, coll. 595–602. Riscritture ritmiche di agiografie merovinge 257 di Giusto bambino di Auxerre martire a Beauvais, il santo decollato con la testa in mano, che era partito di casa per recuperare suo fratello rapito, tramandata da 11 testimoni, fra cui Paris 12598 del secolo VIII, da cui lo pubblico` Narbey. Questa sovrapposizione era stata gia` riconosciuta e studiata da E´ douard Carpentier45 nell’edizione degli Acta sanctorum, da Du Sollier46 e da Narbey stesso47. L’edizione del ritmo curata da Strecker riporta anche il testo in prosa di Narbey con variae lectiones da codici del X secolo48 come Bruxelles 7984 e Saint-Omer 791 (ma ce ne sono almeno altri 8 che tramandano lo stesso testo). A un primo sguardo il testo di Narbey si rivela precedente all’altro, edito da Dolbeau e Röckelein, il quale sembra una rielaborazione retorica e classicista: il testo piu` antico dovrebbe quindi essere la fonte della poesia. L’edizione Strecker e` basata su due manoscritti che dipendono da una fonte co- mune o piu` probabilmente uno dalla fonte dell’altro: Trier 1159 (ora 1382) del XII se- colo e Bruxelles, Socie´te´ des Bollandistes 209, del XV secolo, studiato da M. Dolbeau in un articolo del’9149. Il manoscritto piu` recente sembra portatore della facies piu` antica e piu` completa del testo, mentre Trier potrebbe esserne un apografo indiretto. A questi bisognerebbe aggiungere il Barberiniano latino 3387, del XVIII secolo, che non e` stato studiato ne´ collazionato. Un’ulteriore versione in prosa, non indicizzata dalla BHL, era segnalata e trascritta da P. Gamans negli AASS Aug. I 32 come una sorta di parafrasi del testo poetico, ma il manoscritto a quanto pare e` stato perduto, cosı` come quello che doveva attribuire a Beda la passione ritmica. Bischoff ha indi- viduato nel Clm 14387 (fine IX–in. X secolo) il manoscritto usato da Herveux50. E` un testo molto lungo, di 135 terzine del classico 15sillabo, 8p+7pp, senza rime e rare assonanze, con molti iati ma clausole regolari La narrazione qui prende avvio dalla nascita di Cristo e da chi ne testimonio` la fede, come i martiri, un destino riservato non solo agli adulti ma anche ai ragazzi: proprio come Giustino, di nove anni. In questo caso la rielaborazione della fonte e` rilevante: l’autore crea anzitutto una cornice di storia della salvezza, sviluppando l’accenno presente nella fonte, e contestualizza la narrazione del periodo della storia romana, chiarendo le transizioni cronologiche e la localizzazione geografica51 e enfatizzando i passaggi retorici52 con esplicitazione delle motivazioni di azioni e risposte (ad es. str. 2953), omissione di dettagli concreti54, intensificazione di elementi patetici (3455), esplicitazione di sottin-

45 AASS Oct. VIII, p. 323 s. 46 AASS Aug. I, p. 30 s. 47 Narbey (vd. n. 43), p. 110 s. 48 AASS Oct. VIII, p. 338–339. 49 Henricus Moretus, Catalogus codicum hagiographicorum latinorum Bibliothecae Bollan- dianae, in: AnalBoll 24 (1905), p. 425–467 e Franc¸ois Dolbeau, Deux le´gendiers de´membre´s du dioce`se de Lie`ge, in: AnalBoll 109 (1991), p. 117–136. 50 Bernhard Bischoff, Mittelalterliche Studien, Stuttgart 1966, vol. I, p. 114. 51 Basilea, il Reno, il fiume Ara (Aar), non menzionati nella fonte. 52 fili 〉 o fili dolcissime. 53 Tibi autem, cum sis puer, ut non possis, timeo; / ne forte teneritudo laesa tui corporis / fatigatum te, quod absit, faciat deficere. Detto dal padre al figlio. Fonte (detto dalla madre): Fili iuste, quomodo potes iter tam longe adgredi, et ne forte aliquid tibi contingat? 54 pecunia, buccella p. 845; hora tertia p. 846; sicera p. 847. 55 La descrizione del cieco zoppo. 258 Francesco Stella tesi56, commenti57, esplicitazione di fonti58, commenti e amplificazioni morali59, abbreviatio60, captatio benevolentiae61. La scarsa importanza dedicata alla plausibilita` della narrazione si rivela nel fatto che non viene corretto, o almeno non viene rico- nosciuto, un errore della fonte, il parentes di 110, 1 in una scena dove invece erano presente solo il padre e il figlio. Una differenza vistosissima e` che Giustiniano qui e` il fratello rapito e adottato, nella fonte e` lo zio materno (avunculus). La tendenza generale e` all’amplificazione, come in questi esempi: cum dies declinasset ad vesperam 〉 et cum dies declinare coepisset ad vesperam; caecus et claudus 〉 qui et claudicabat gressu et visu caruerat, / quem atra vexabat fames, pariter et nuditas. Come spesso accade nei rifacimenti ritmici, la parte finale diventa piu` sintetica: ad es. nella strofa 125 si condensa il discorso diretto con cui Giustino ripercorre tutta la sua storia, riportato per intero dalla fonte, riassumendolo in un brevissimo discorso indiretto. L’esame di alcune formularita` riconduce a espressioni di ritmi precedenti: fili mi dulcissime di 28, 1 e 120, 1 si trova gia` nel ritmo 47 (Audite versus parabole). Cosı` la clausola per ordinem, di 93, 1 e 125, 1, che non si trovava nella fonte, e` formula cara a tutta la letteratura ritmica fin da Paolino d’Aquileia62. Altrettanto si puo` dire per l’uso del piuccheperfetto, che e` il tempo narrativo tipico del racconto ritmico, e che si trova soprattutto nel codice B. Mentre la frequenza dei diminutivi, facili riem- pitivi del verso, dimostra un’eta` di composizione piu` vicina alla fine che all’inizio del IX secolo, se non oltre: substantiola di 58,2, ad es., si trova solo in questo testo e in Rosvita, Basilius 24 e 13263. Il tessuto intertestuale, che non abbiamo esplorato siste- maticamente, propone citazioni bibliche e pochi confronti poetici: Prudenzio e` imi- tato almeno una volta, e altre volte emergono contatti con un formulario che potrem- mo definire tipico delle riscritture64, e cosı` per altri casi che riportano spesso a dizioni postcarolinge65.

56 35: cui ut innotescebat Iustini praesentia 〈 Iuste, senza presentazione. 57 38: il padre lo accusa di dispendium per aver donato la tunica al povero. 58 A str. 39 la fonte cita un passo della Bibbia introdotto da Scriptum est enim, il ritmo chiarisce Spiritu sancto dicente per David psalmographum, termine raro in poesia: solo ps. Tertulliano e Venanzio 9,2,101. 59 in die malo liberabit eum dominus 〉 5 strofe, 41–45. In questo caso ad es. la versione pubblicata da Dolbeau non da` alcuno sviluppo all’elemento morale della fonte. 60 Str. 55 omette il tentativo di pagamento dei traghettatori. 61 57, 2 Venimus ad tuam, aiens, o Lupe clementiam. 62 Paolino d’Aquileia 5,5,2; 5,35,4; 5,62,3; 60,11,2; 61,30,4; 81,19,2; 87,3,2; 113,65,1. 63 Il verbo contutare (9, 1) si trova in poesia solo qui e in Flodoardo (Palaest. 1,92 e Ital. 12,1,52) e Metello (Quirin. 52, 3 e Ecl. 8, 145). 64 119, 1 laus et iubilatio si trova solo nella Translatio Cornelii, una riscrittura ritmica della trasla- zione carolingia di Cornelio papa, e in due tituli: TIT. metr. IV 4,3 (MGH, Poetae) CARM. Libr. III 8, 16 (MGH, Poetae) prima di ricomparire in Adamo di San Vittore carm. 39,4,23. Cosı` fertur ad ecclesiam di 129,3 si trova anche e solo nella Vita Mansueti 281. 65 Abscisum ... caput: cfr., a parte Hor. S. 2,3,303, solo Rosvita Pelag. 388 e Stefano di Rouen Norm. 1, 1402 e 3, 739; venerandus martyr: cfr. Teodulfo 69, 59 e Wandalberto martyr. 261; 111, 1 varia in mente: cfr. Vita Leudegarii 2, 98 e Romul. Metr. 28, 12; 63, 1 oculos circumferens cfr: oltre a Manilio 1, 649 e Silio 11, 261; Wulstan, De sancto Swithuno, 2, 768 e Ysengrimus 1,3,56; 74, 2 claudi carcere: da Claudiano a Paolino di Nola 19, 541 (carcere claudi), Audrado 3,2132, Ildeberto e altri. Riscritture ritmiche di agiografie merovinge 259

L’unico accenno di autocoscienza poetica e` al v. 6, 3, nella presentazione del tema: dove si legge: Ex quibus sanctus Iustinus novennis puerulus / Qualiter per passionem migrarit ad Dominum / Sequens textus demonstrabit scire cupientibus. Dove comun- que almeno due elementi emergono con evidenza: lo scire cupientibus, che e` formula abbastanza comune66 ma rivela comunque una sorta di destinazione didattica, mentre l’uso di textus per autodefinire la riscrittura religiosa e` diffuso solo dalle prefazioni metriche alle bibbie dell’eta` carolingia, e individua una fruizione per lettura anziche´ per esecuzione cantata o liturgica. Il ritmo si puo` collocare forse in quel focolaio di riscritture agiografiche fra fine IX e X secolo che nelle zone della Lorena e del confine fra Francia e Belgio adatto` il vocabolario poetico riconquistato dai carolingi al rifa- cimento letterario di agiografie per un pubblico di lettori che richiedevano ormai un textus, non piu` un carmen o una cantio.

ELIGIO

Un esempio trionfale delle ambizioni letterarie di queste riscritture e` la vita mero- vingia per eccellenza, il romanzo di Eligius, scritto com’e` noto in due libri da Audoe- no (Ouen) di Rouen67 e trasformata in un cantare nel ritmo 149 Strecker: 499 versi piu` una postfazione para-metrica, che si prestano a molte considerazioni sulle tecniche e le motivazioni di riscrittura. Il testo e` pubblicato sulla base di 3 mss. di Bruxelles e uno di Parigi, che Strecker riesce a ordinare in uno stemma, ma a questi va aggiunto ora un codice di Tours (B.M. 1028), del X secolo, un dossier dedicato tutto ad Eligio. Nell’antico (IX secolo) codice di Bruxelles 5374–5375, che i bollandiani hanno riconosciuto provenire da Gembloux, il testo e` presentato alterius manu conscripta Vita sancti Eligii rethorice atque commatice expolita liber tertius, cioe` come terzo libro della vita dello pseudo-Audoeno. E tale lo considero` fra gli altri Sigeberto di Gembloux (cap. 58), attribuendolo a sant’Audoeno. Il significato di questi due avver- bi non e` molto chiaro: Isidoro come ricorda Strecker considera commaticus un sino- nimo di versificatore68, mentre l’avverbio nei pochissimi casi in cui e` attestato sembra significare sempre ›in maniera articolata‹, oppure ›per capitoli‹, cioe`, come interpreta Strecker, »in commata distincte«. Altrimenti commaticus si trova solo in Girolamo e Arnobio nel senso di ›breve‹, e commatice si trova in contesti interpretabili, ma pre- valentemente col significato di ›in versetti‹, riferito al commento a libri biblici arti- colato secondo i versetti dell’originale69.

66 46 occorrenze da Plauto in poi, spec. Paolino da Nola 22, 53 scire cupis quid sit vel quid fuerit prius aevo; Drac. Laud. Dei 1,1, CE 401,3 e 1449,1; Manfred. carm. 16,1, Aedelwulf. Abbat. 16, 19 et al. 67 La redazione a noi giunta, e pubblicata da Krusch, come e` noto non e` quella originaria di Audoeno. Una traduzione francese di Isabelle Westeel, Vie de saint Eloy, Noyon 2002, e` rifatta sul testo della Patrologia Latina; vd. anche Ead., Quelques remarques sur la Vita Eligii, in: Me´langes religieuses 56/2 (1999), p. 33–47. Sulla successione delle biografie vd. anche Jacques Duquesne, Saint E´ loi, Parigi 1985. 68 Karl Strecker (ed.), MGH, Poetae lat. IV/2, 1896, p. 784. 69 W. T. M., Commatice, in: Notes and Queries 4/II (1868), p. 392, e` solo una domanda di tre righe relativa a un passo di Girolamo. 260 Francesco Stella

Dunque il poeta, se e` a lui che risale l’inscriptio, ha voluto sottolineare la forma in versicoli della sua riscrittura. Ma c’e` un’autosubscriptio, alla fine del testo, che suona: Satesfecisse me reor succincto carmine plectro; / Plura nam referre gravor, necesse quoque nec opinor. / Haec pauca exametris reciprocare studui versiculis, / Adluden- tibus digitis tanti amore antestitis. Qui troviamo, mi pare, la spiegazione di commatice nei termini succincto carmine e piu` ancora nel termine versiculis. Ma ci sono altri elementi di grande interesse: succincto carmine e` una sorta di parola d’ordine che a chi pratica il genere ritmico fa venire in mente l’autodefinizione di Paolino d’Aquileia nel ritmo biblico su Giuseppe che gli e` stato riconosciuto da Dag Norberg 70, 1: Hanc nos storiam succincte strictimque transcursimus, iterato nel ritmo su Lazzaro v. 50, 2 replicemus et succincte tangamus moraliter; e perfino la iunctura succincto carmine si trova pari pari nel nostro autore: carmine succincto lata sed mentis havena al v. 134 della Regula Fidei in esametri, ripreso nel periodo tardocarolingio da Milone di Saint-Amand nella Vita Amandi 4,39 carmine succincto quae restant gesta notabo70. Cosa significa questo? Che l’autore e` cosciente dell’operazione che sta compiendo, sa di inserirsi in un genere preciso, caratterizzato dalla riduzione in versi, e ne adopera il formulario come segnale esplicito. Ma tutto ha un senso in questo congedo: anche l’autore della Vita Germani ritmica scrive a un certo punto che non e` piu` necessario andare avanti. Non solo e non tanto che non era in grado di farlo, ma proprio che non era necessario, che il lettore ne ha avuto abbastanza. Dunque fa riferimento a una misura, ad abitudini di lettura o di ascolto che qualificano il genere e il periodo. E ancora: il termine exametris puo` destare altre interrogazioni: questi versi non sono esametri nel senso quantitativo del termine. Si e` discusso molto sulla loro natura: gia` Krusch nella monumentale intro- duzione alla sua edizione della vita dello pseudo-Dado71 aveva abbozzato una rapi- dissima analisi, con la consulenza di Ludwig Traube, di questo distillato poetico costruito su una fonte gia` opulenta di esornazione retorica come la riscrittura dello pseudo-Audoeno che ci e` rimasta72. Traube ha pensato che fossero versi con sei arsi; Meyer73, e Strecker con lui, ha scritto che il poeta non segue una regola costante, e presenta tre interpretazioni: 1) i versi, o meglio gli emistichi, sono composti da tre parole, ad esempio 256 ita nemo supra o 404 concelebrat ergo cuncti. 2) oppure da due parole piu` lunghe, ognuna con un accento secondario, »Nebenakzent« 72 lassabunda vestigia; 476 exsuperantia favos. 3) sono versi metrici di imitazione, in cui l’arsi metrica fa da ictus ritmico: 158 stipatus celsa (Iuv. 4, 620), 182 progenitum caeli (Iuv. I,

70 E, 4 secoli dopo, da Bellino Bissolo nella dedicatio del Liber legum moralium: Ut penetrare sciat brevis hec oratio celum / Succincto cantum carmine claudo meum. 71 MGH, SRM IV, p. 634–663. Sulla valutazione della paternita` mi attengo a quanto dichiara Strecker nell’introduzione alla versione metrica, MGH, Poetae lat. IV/2 p. 784: ineunte aevo Carolino monachus quidam monasterii Noviomagensis fuse, immo singulari quadam cum loqua- citate alterma vitam conflavit, qui haud mediocriter frustra tamen, ut lectoribus se ipsum Audoi- num esse persuaderet, operam dedit. 72 Fonti alternative, ma assai meno probabili, sarebbero gli excerpti antichi: di Lamberto di Maastricht, del secolo VIII, a sua volta riutilizzato dal biografo di sant’Uberto, Desiderio di Cahors, Aridio di Limoges. 73 Wilhelm Meyer, Spanisches zur Geschichte der ältesten mittellateinischen Rythmik, in: Nach- richten der Gesellschaft der Wissenschaften zu Göttingen (1913), p. 147s. Riscritture ritmiche di agiografie merovinge 261

756). A me sembra di poter dire che l’autore stesso ha spiegato cosa intendeva fare: esametri, cioe` imitazioni ritmiche dell’esametro, come erano di moda nell’Italia lon- gobarda, ma indipendentemente dagli esempi rimasti, che sono soprattutto epigra- fici74. Versiculis non e` invece cosı` caratterizzante: e` in uso fin da Catullo e Orazio, come semplice sinonimo di versus, e come tale e` usato 6 volte da Terenziano Mauro nel de litteris de syllabis de metris e molto spesso da Venanzio Fortunato, vero maestro dei poeti medievali, ma nei congedi delle poesie lo usa soprattutto Alcuino, e poi il suo imitatore Milone di Saint Amand e 9 volte gli autori dei Carmina Centulensia che si muovono nella stessa temperie stilistica. Persino i primissimi ritmi usano versiculi per autodefinire la propria misura formale75. Altro termine significativo e` reciprocare, molto raro in poesia, a parte gli esempi classici di Plauto e Pacuvio, qui probabilmente ininfluenti, e difficile da interpretare anche nei testi antichi. Strecker sottintende prosam. E in questo caso reciprocare indicherebbe l’operazione della riscrittura, la ripetizione restituzione in versi. Ma l’oggetto non puo` essere sottinteso perche´e` espresso: pauca, e non puo` riferirsi alla fonte, ma al risultato del suo lavoro. Quindi reciprocare puo` significare solo »com- porre in serie, uno dopo l’altro«, come nell’unico altro esempio coevo, l’inno di Notker per il Natale 3, 2 per quem dies et horae labant / et se iterum reciprocant, cioe` si succedono uno dopo l’altro. Ma indica l’operazione tecnica che il poeta sente di dover presentare76. L’ultimo verso infine allude a quel piacere della scrittura che barthesianamente dobbiamo concedere perfino a uno scrittore maldestro come questo, e che segna comunque un atto di coraggio nell’emanciparsi dall’ideologia agostiniana dell’utilitas letteraria, dell’aedificatio. La successiva spiegazione in prosa riprende pari pari quella di Sedulio nell’epistola a Macedonio in cui presenta il Carmen Paschale, con l’argo- mento della maggior dolcezza dei versi (blandimentum) che induce a una lettura piu` interessata, e conclude dichiarando che quae omnimodis simpliciter atque prolixe digesta a sancto viro Dadone habebantur, quantulumcumque altius breviter perplexa repetivi, ne videlicet non haberent quod in tanto volumine doctiores quique delec- tabiliter sumerent. Cioe` che ha preso la vita di Audoeno, semplice ma prolissa, e l’ha riscritta, repetivi, in un giro espressivo piu` conciso, breviter perplexa, ma intenzio- nalmente altius, cioe` in stile piu` elevato, sia pure di quel poco che gli e` potuto riuscire, per venire incontro alle attese di un pubblico piu` colto. Un luogo comune della riscrittura agiografica, ma in questo caso l’enfasi sul piacere, delectabiliter, esce dal topos edificatorio per accettare una finalizzazione puramente letteraria e priva di giustificazioni scolastiche per limitarsi a un orientamento edonistico. Certo le ultime parole, riprendendo quelle della vita in prosa77, sono rivolte a Dio e alla gloria del

74 MGH, Poetae lat. IV, ed. Karl Strecker, p. 402, 658, 713, 719–762, 1006, 1035, 1087. Da Fulda, Reichenau, e soprattutto dalla regione longobarda. 75 Teofrido di Amiens, VII secolo: ritmo 40,2,2; r. 60, 11, 1; r. 81, 46, 2, composto da un allievo di Teofrido. 76 Gli altri esempi sono successivi a Ildeberto di Lavardin. 77 Il prologo della Vita e` stato analizzato da Michel Banniard, Latin et communicaton orale en Gaule franque. Le te´moignage de la Vita Eligii, in: Jacques Fontaine, Jocelyn Nigel Hillgarth 262 Francesco Stella santo, onorato con il poco ingegno che possediamo. Ma prima la frequenza di deli- ciae, lenitates, blandimentum, molliri, avidius, libentissime, delectabiliter, che ven- gano da Sedulio o siano proprie dell’autore, qualificano la riscrittura senza possibilita` di equivoco e segnano, per cosı` dire, una stagione nuova. La tecnica seguita e` una vera e propria sfida al filologo: nel prologo si intrecciano le riprese di tre modelli: il proemio di Giovenco, quello di Sedulio e una poesia di Venanzio Fortunato al clero di Parigi. Si arriva anzi al punto di poter ipotizzare quale ramo della tradizione di Venanzio e Giovenco, se non proprio quale manoscritto, aveva di fronte il nostro poeta. E nel seguito dell’opera e` stato possibile individuare altre fonti, fra le quali lo pseudo Lattanzio, Paolino di Nola e il rarissimo Corippo. Con qualche appprofon- dimento, su questa traccia sarebbe forse possibile ipotizzare quale specifica biblioteca medievale avesse di fronte l’autore, dove si trovasse. Il procedimento seguı`to com- porta di solito la scelta di un modello principale, spesso ricopiato in blocco, nel quale vengono innestati pezzi e flosculi da altri modelli, per invertire poi le parti in passi successivi. Questa tecnica era suggerita gia` dalla fonte, che come ricorderete usa con dovizia e una certa goffaggine i modelli poetici, specialmente Sedulio: ma il nostro autore li riconosce e li moltiplica in un gioco di specchi virtuosistico, reso possibile dall’assenza di un principio di versificazione rigido. In particolare, l’inizio e` segnato da Giovenco, che nella fonte non veniva usato, e ripete il cliche´ della sostituzione di un’epica cristiana durevole nel tempo all’epica pagana cosı` a lungo onorata. E la ripresa, gia` nella fonte in prosa, dell’accenno di Sedulio a restringere pauca relatu si coniuga bene alla poetica della concisione che abbiamo visto operativa nelle altre riscritture ritmiche. Ma particolarmente significativo per l’analisi dell’autocoscienza autoriale e` il recupero di Venanzio per coniare l’espressione congrua nova lyra, con cui l’autore esprime la coscienza della novita` dell’operazione78, come fara` Aimoino nel comporre l’aggiunta metrica alla translatio di san Germano. L’espressione tenui sermone, emblematica come affectatio modestiae, che si trova nella fonte, nasce notoriamente in Orazio (sat. 2, 49, ripreso da Ausonio prof. 8, 6) ma a parte questi casi si legge solo nei Miracula Nyniae, altra riscrittura agiografica in versi, e nuovamente in Milone di Saint-Amand 3, 293 non mihi tam tenuis de vobis sermo mearet. Lo stesso Milone e` uno dei possibili confronti per l’espressione pro- perabo impiger gressu79. Diversi indizi ci portano dunque verso Saint-Amand, che oltretutto e` il monastero da cui proviene uno dei principali manoscritti, il Parigino lat. 5327, del secolo X. Strecker lo collocava all’inizio dell’eta` carolingia, non molto

(cur.), Le septie`me sie`cle. Changements et continuite´s. Actes du colloque bilate´ral franco-britan- nique tenu au Warburg Institute les 8 et 9 juillet 1988, p. 58–79, e Michel Banniard, Viva Voce. Communication e´crite et communication orale du IVe au IXe sie`cle en Occident latin, Parigi 1992, p. 259–262. 78 La moltiplicazione dei modelli e` occasione per l’inserimento di glosse rare, come tramen al v. 14, frainteso anche dalla tradizione manoscritta, come Donatista per grammaticus della fonte, come gurdus, nel senso di inesperto, che richiama il francese antico gourd, da cui proviene engourdi, e che e` stato a lungo considerato un hapax assoluto, ma che dopo Laberio, si trova anche in Abbone, Bella Parisiacae urbis 1, 435; 1, 532; 2, 252 e Flodoardo, Ital. 3,14,86 e 5,2,117. 79 Propero gressu si trova in Seneca e properato gressu in Silio. Poi Prudenzio Perist. 12,59, CE 1451, 1; Hibernicus Exul 20,1,3 properanti limina gressu e Milone Amand. 4,373 visurus illum celeri properavero gressu. Riscritture ritmiche di agiografie merovinge 263 dopo la riscrittura della vita Eligi di Audoeno. Il repertorio di Schaller ripropone come datazione sia pure dubitativa il secolo VIII. In effetti il metro e` irregolare, cosa rarissima dopo la riforma carolingia, la sintassi poco sicura, con i participi assoluti propri del VII e VIII secolo, gli scambi i/e e o/u, perfino le desinenze o per um, e si trovano ipercorrettismi come ae per la e finale degli avverbi. Ma lo stesso Schaller dubita di questa datazione, che Strecker giustifica propter magnam auctoris rustici- tatem come un »nicht zwingendes Argument«80, nel suo contributo sulla tradizione protocarolingia di Corippo. E richiama la somiglianza, riscontrata da Meyer, fra le formule ritmiche di questo testo e il repertorio ritmico ispanico altomedievale, per rafforzare la tacita ipotesi con il dato della insolita presenza di Corippo, che ha avuto una tradizione solo ispanica e imitazioni carolinge solo in Teodulfo, ispanico, Modoi- no che potrebbe essere stato suo allievo e il Karolus Magnus et Leo papa, che ho cercato di attribuire allo stesso Modoino. E in effetti anche la lucidissima autocos- cienza di un rifacimento che scrive per circoli di dotti infarciti di cultura poetica e` difficile da immaginare prima dell’eta` carolingia inoltrata.

SAN CRISTOFORO

Resta pochissimo tempo per trattare gli altri due casi, di cui mi limitero` a comunicare alcuni dati. La Passio Christophori, ritmo 150 Strecker, BHL 1778, si inserisce nell’in- finita fortuna di questa leggenda81 scegliendo di mettere al centro, pur in uno sviluppo molto ampio, il martirio delle sorelle Aquilina e Nicea per costruire la figura di un Cristoforo missionario, con intensa perorazione finale per il culto delle reliquie. E` composta di 371 terzine di quindecisillabi rimati o assonanzati, con frequente cambio di ritmo e regolari nella scelta delle clausole, sempre pura, ma poco regolari nel numero di sillabe come nella rima, che mostra rime interne e un caso rarissimo di terzina monorima come nell’inno a sant’Amando (PLAC III 681)82 o nell’elisione. Creduta a lungo un testo recenziore, Strecker lo ha ricondotto a un’epoca di almeno 100 anni anteriore al lungo poema di Walther von Speyer dedicato al santo (983) e lo ha leggermente rivalutato rispetto al giudizio sprezzante dato dai Bollandisti83, ipo- tizzando anzi che abbia attinto a versioni del mito anteriori perfino alle piu` antiche passioni in prosa. La fonte infatti e` incerta, perche´ le passiones in prosa sul santo sono numerose, e non esiste una cronologia articolata. Strecker compara la versificazione ritmica con la passio edita in AASS (Iulii VI, p. 146 s.), e ne riproduce il testo in pochi

80 Dieter Schaller, Frühkarolingische Corippus-Rezeption, in: Wiener Studien 105 (1992), p. 177. 81 Un breve panorama sulla storia della leggenda, fra tanta letteratura che si sofferma invece su aspetti specifici della vita di Cristoforo, e` quello di Horst Fuhrmann, Vom »schlimmen Tod« oder wie das Mittelalter einen »guten Tod« herbeiwünschte, in: Id. (cur.), Überall ist Mittelalter, München 1996, p. 205–224. 82 Strofi 1,4. 83 Cum vulgarem historiae Christophorianae cramben [cavolo] antea satis male coctam item, imo peius, recoxerit (cit. da Strecker, MGH, Poetae lat. IV/2 [vd. n. 68], p. 807). 264 Francesco Stella casi, usando il codice Wien 550 del X secolo, ma rinuncia a qualsiasi altra osserva- zione propter nimiam prolixitatem carminis. Anche in questo caso ci sono manoscritti non noti all’ultimo editore: Strecker ne usa tre, un Vaticano e due di Bruxelles, ma a questi ora si puo` aggiungere il Parigino 5296 del secolo XII e Saint-Omer 716 dello stesso periodo. Per l’aspetto che ci interessa si puo` solo dire che il testo manca di prologo e di epilogo, e quindi non fornisce spunti di autoriflessione, che mancano anche all’interno del testo. Anche l’alto coefficiente di rielaborazione non puo` essere apprezzato senza aver prima individuato la fonte o almeno una versione plausibil- mente vicina. Un primo sondaggio sugli aspetti linguistici e intertestuali rivela alcune interessanti paretimologie dal greco, che si associano bene alla ricorrente polemica anticlassica con uso di nomi mitologici. Si riconoscono termini comuni al genere come oberrare a 295,1 (anche Vita Eligi 323 e Vita Germani 2,34,2, oltre che ritmo 38,14,1), crimi- nosus, a 75, 284, horula a 117,3 e 301, 2 (prima solo in Ritmi 115,46,3) ma soprattutto spiccano hapax isolati in poesia come facetiosus 110,2 e voluntarius 56, 3, millefor- mibus (367,1), fallenter a 259, 3 (solo Ricc. Cather. 2,343), ludicre a 164, 1 (solo Ennio ann. 69)85, praeostendit (329, 1 e Adamo da San Vittore 3,4,2), superungue86 (332, 3). Un indizio interessante e` la condivisione dell’hapax, o meglio del dis legomenon neutericus (96, 3) con il breviloquium di Fridegodo di Canterbury 121087 e l’uso di fetidus riferito a persone, che prima di Bernardo di Morlas e` tipico dei ritmi88.I diminutivi come promptule89 e turmula (126,3), prima solo in Froumundo 15,9 e 21,24 e in Erigero di Lobbes, Vita Ursmari 3,19,3. L’amore per queste formazioni lo spinge a creare il diminutivo di secondo grado ocellulos a 364, 3. Subsannabundus di 138, 3 e` unico, ma il verbo subsannare oltre che in Commodiano e Nemesiano si trova solo in ritmi (Exh. Poen. 64) e in Abbone di Saint-Germain 1, 408, poi Ruodlieb 7, 124 e Amarcio 4,382. Parabola di 151, 1 si trova solo in Aviano, Floro e nei ritmi (42,14,4 e 47,1,1), ludibundus (152,1) nella commedia antica, Prudenzio e nella Cena Cypriani ritmica. Complacare a 157 ha un solo antecedente poetico in Walafrido Strabone 21,21,3. Femella a 176, 3 ha paralleli solo in Catullo 55,7 e Agio epic. Hatum. 417, addirittura nella stessa iunctura femellae tenerae90, che fa pensare a una fonte comune o piu` facilmente alla lettura di uno da parte dell’altro. Il verbo dehonestare, usato due volte (180,1 e 193,1) si trova solo in Prudenzio 10,763, e poi in Ruodlieb, Bernardo di Cluny, Walter Map e Raimondo di Roccosel. E cosı` edentulus, usato tre volte (225,2; 229,2; 230,3), solo in Plauto e in Amarcio, oltre che in Walter von Speyer Scolasticus 5,

84 Su 18 occorrenze almeno 5 nella poesia ritmica Einhardo, Translatio Marcellini et Petri 56,2 e 59, 1; ritmo 88,14,1 e 104,7,3. Ma anche Walafrido Strabone 21,32,1 e Flodoardo Antioch. 1, 721. 85 Inhumane a 263 trova confronti solo in Terenzio Haut. 1046, Guarniero, Paracl. 672 e Ps. Ovid. de mutat. 1,198. 86 La predilezione per i composti in super–coinvolge anche altri lemmi. 87 Quicquid neutericis confinxit apocripha biblis, mentre neotericus si trova in Abbone di Saint- Germain, 3, 61 Uranei neotericus atque neofitus haud sis. 88 17,8,2 e 68,53. 89 Sia avverbio (125,3) che aggettivo (136,3): l’aggettivo si trova prima del XII secolo solo in Enno- dio, Ermoldo Nigello, Agio, Notker, Flodoardo e Fridegodo di Canterbury, oltre che in Metello. 90 Ast hoc femellis tenerisgrave forte videtur,–Quare vos non vindicatis de femellis teneris? Il dialogo di Agio e` tramandato solo in un Bambergense del XV secolo. Riscritture ritmiche di agiografie merovinge 265

160. Laetabundus, usato tre volte (87,1; 138,1; 229,3) era preceduto solo da Paolino d’Aquileia, il ritmo di Eginardo, Rabano, Walafrido e Notker. Semihomo di 251,2 e` l’unica occorrenza poetica medievale: prima si leggeva in Plauto, Virgilio, Ovidio, Columella, Silio, Sedulio e Avito. Anche larvula ha un’altra sola occorrenza oltre che 255, 3: il ritmo di Eginardo, 84,2. L’uso di orca a 278, 3 nel senso di orcio, dolium,e` stato notato anche in un recente contributo lessicografico91. Gregatim, a 294,3, si trova dopo Stazio solo nell’Ecbasis Captivi, in Flodoardo, Alfano, Quid suum vir- tutis (con cui il ritmo ha in comune piu` di un termine raro), Amarcio e Pietro Alfonsi. Anche discruciare (310,2; 280,1) e` raro, e nessuno in poesia lo usa dopo la Passio Christophori, mentre in precedenza si trova quasi solo nei comici e nei cristiani anti- chi: Plauto e Terenzio, Catullo, Endelechio, Prudenzio, Paolino da Nola, Prudenzio e Prospero, Orienzio, l’Anthologia Latina e i Carmina Epigraphica. Raro anche dis- parati (351, 1), solo altri 10 casi fra cui Plauto, poeti cristiani, Wandalberto e Oddone di Cluny. Se si prescinde dai singoli elementi lessicali si riscontra una scarsa adesione al for- mulario poetico, anche se trovano conferma alcune tendenze del genere, come quella a porre a fine verso il nome dell’eroe, ma anche clausole ricorrenti come spectacu- lum92, hominem, dominum e altre parole sdrucciole di uso frequente. Tipica di questo poeta e` la predilezione stucchevole per l’anafora incipitaria e per un prolisso sviluppo retorico dei discorsi diretti e delle argomentazioni. Pur ripetendo che senza aver potuto individuare e confrontare la fonte e` impossi- bile trarre deduzioni attendibili, l’analisi lessicale sembra dimostrare che siamo in presenza di una formazione diversa da quella di altri poeti, in una biblioteca dove probabilmente si potevano leggere accanto ai poeti cristiani opere poco diffuse come Plauto93, il ritmo di Eginardo94, il dialogo di Agio di Corvey. Anche in questo caso lo studio delle tradizioni manoscritte degli autori piu` frequentati potrebbe aiutarci a identificare il luogo di composizione della Passio. L’impasto linguistico tuttavia rive- la quasi sempre isoglosse non carolinge ma del X secolo e questo mi sembra portare non troppo lontano dalla data dei codici, che non e` anteriore all’XI secolo. Nono- stante le argomentazioni metriche di Strecker, percio` , credo che il testo sia stato scritto nel X secolo. Bisogna forse accettare l’idea che l’evoluzione della metrica non

91 Roberta Frank, Old English »Orc«, »Cup«, »Goblet«. A Latin Loanword in: Jane Roberts, Malcom Godden, Janet L. Nelson (cur.), Alfred the Wise. Studies in Honour of Janet Bately on the Occasion of Her Sixty-Fifth Birthday, Cambridge 1997, p. 15–24. 92 Questo testo e` quello nel quale la parola ha il maggior numero di ricorrenze nella letteratura poetica (5 su 28). Fra gli altri si trova in Plauto, Orazio, Ps. Seneca, Ambrogio, Prudenzio (4), Flodoardo (4). 93 Come e` noto, Plauto fu poco letto nel medioevo: un palinsesto di Bobbio dell’VIII secolo fu usato per riscriverci il Libro dei Re, mentre l’altro ramo della tradizione e` costituito dai codici palatini, i cui maggiori rappresentanti sono uno ora alla Vaticana 1615 s. XI, uno in Heidelberg 1613 s. X/XI. 94 Tramandato dal ms. Paris, BNF lat. 14143, di S. Germain-des-Pre`s, e prima ancora da Corbie, del IX secolo; Metz E 99, del monastero di S. Arnolfo, X secolo, e Vat. Reg. 711 X secolo, da Fleury e altri manoscritti, su cui ha realizzato una edizione C. Pe´rez Gonza´ lez, La »Translatio et mira- cula sanctorum Marcellini et Petri« de Eginardo. Estudio, edicio´ n crı´tica y traduccio´ n, tesi dot- torale universidad de Vitoria-Pais Basco 2004. 266 Francesco Stella e` una linea retta, e che in determinate situazioni geografiche o storiche possono esserci sfasature. Lo scopo di valorizzazione delle reliquie e` un altro indizio che potra` aiutarci a individuare le coordinate geografiche del testo: ma presunte reliquie del santo leggendario sono sparse in tutta Europa, comprese Spagna, Italia, Austria, Grecia, Turchia e Germania.

SAN GERMANO

Un vero e proprio dossier ritmico e` rappresentato invece dall’ultimo caso di cui volevo parlarvi, il De vita et miraculis et de translatione sancti Germani, che riguarda san Germano di Parigi, BHL 3470. Sono 263 settenari trocaici ritmici, o meglio quin- dicisillabi, ad accentuazione irregolare95 da un manoscritto bolognese del X secolo (BU 1702) tutto composto da vite del santo e da tre opuscoli teologici che ricondu- cono a Gozlino abate di Saint-Germain-des-Pre`s (843–853, 867–884) e poi vescovo di Parigi negli anni delle incursioni normanne, di cui il ms. conserva l’epitafio. E` un dossier articolato come il Martirologio di Wandalberto di Prüm, con una Praefatio, vita et miracula, un’aggiunta De certis praetermissis miraculis, una Praefationis allo- cutio ad memoratum domnum Odonem regem in translationem eiusdem sancti poti- ficis, la Translatio riferita a quella del 754, un Carmen ad regem, dedicato a Oddone, re dall’888 all’897, e un Inno. E` un caso raro, prima degli Offici ritmici, di un intero ciclo agiografico in versi ritmici. L’autore come al solito e` ignoto, ma almeno ha la cortesia di rivelarci la sua fonte quando scrive Fortunatus vitam scripsit ipsius clarissimam / Germani, sed prae- terivit etiam certissima. In questo caso non avremmo avuto molte alternative, perche´ su san Germano di Parigi abbiamo solo la Vita di Venanzio, un’epitome della stessa, questi ritmi e la translatio, il capitolo di Gregorio di Tours nel De gloria confessorum (88), la Translatio et miracula di un monaco di Saint-Germain-des-Pre`s (di cui in questo convegno ha parlato Max Diesenberger), e le Translationes et miracula di Aimone di Saint-Germain. E` importante in questo caso che per la prima volta non solo si sia voluto versificare la vita, ma anche integrarla, cioe` si sia voluto dare al testo ritmico dignita` di documento agiografico primario. Il poeta e` talmente cosciente di questo ruolo che dopo aver citato Fortunato spiega perche´e` importante lasciare traccia scritta anche dei miracoli tralasciati da Venanzio: Unde sermo refert ista quae subsunt, et alia; / Neque vera dubitantur rebus adtestantibus. / Quod Iudaei mare rubrum pedibus transierint / Haesitari potest, libris si non esset traditum. / Sic de Petri atque Pauli in mari periculis / sine textu litterarum essemus ambigui. Questi versi

95 Dag Norberg, Les vers latins iambiques et trochaı¨ques au Moyen Aˆ ge et leurs re´pliques ryth- miques, Stockholm 1988, p. 103 accomuna la Passio Iustini alla Passio Christophori e alla Vita et translatio S. Germani insieme alla Cena Cypriani come esempi di versificazione irregolare nell’accentazione ma costante nel numero delle sillabe e delle cadenze finali, ed estende queste caratteristiche al terzo libro della Vita Ursmari di Erigero di Lobbes, un autore colto del X secolo (990–1007). Riscritture ritmiche di agiografie merovinge 267 collocano l’integrazione del poeta al livello di attestazione storico-religiosa della Bibbia, di testo che documenta un fatto non solo realmente accaduto ma fonda- mentale per la propria fede e il relativo culto. La prefazione aveva invece annunciato, rivolgendosi a un lector constantissime, l’intenzione di aggiungere ai libri precedenti un ritmo sulla vita del vescovo, per ristorare (reficere) il lettore con la lettura di un carme opiparus, sontuoso, sulla traslazione effettuata sotto re Pipino, nella speranza che il santo ottenga nobis perdono per i peccati del passato e cautela per quelli futuri. Il trattamento narrativo della fonte e` relativamente sistematico: i primi tre capitoli della vita di Venanzio vengono sintetizzati in blocchi di 12 versi ciascuno, poi la proporzione scende fino a 2 versi per capitolo, riducendo i versi a sussidi mnemonici e confemando la legge della maggiore sintesi nelle parti finali. Solo l’ultimo riceve la dignita` di 30 versi perche´ comprende l’elenco delle virtu` del santo e l’episodio con- clusivo di Bosone. I procedimenti della riscrittura sono quindi soprattutto nell’or- dine della condensazione: ad esempio l’omissione di particolari, come i nomi dei genitori e il nome del maestro, il contesto scolastico del tentato avvelenamento. E queste omissioni adombrano talora scrupoli morali, come quando all’inizio i motivi del tentato aborto vengono lasciati nel vago, e il conflitto madre-figlio viene oblite- rato. Il rielaboratore pero` non rinuncia a un suo progetto didattico inserendo ad esempio commenti sui rapporti fra i personaggi, sulle funzioni dimostrative e quindi morali dei singoli episodi, riferimenti biblici96 e ostensione di conoscenze tecniche (dettagli fisiologici sulla durata delle gravidanze). Degli interventi metanarrativi abbiamo detto, e alla fine della translatio c’e` perfino il conteggio dei versi in versi (testo di quattro piedi bisillabi, dimetri catalettici e non catalettici). Sul piano enun- ciativo le modalita` variano restando all’interno di una riscrittura ad alto tasso di innovazione rispetto alla fonte. Il rielaboratore cioe` ha una forte personalita` culturale, e` in grado di strutturare un dossier completo, di collegarlo con il culto, con le fonti e insieme con il contesto politico senza rinunciare a intervenire nel testo. La prefazione e` intitolata praefatio subnexa libris electionis domini Odoni regis, era quindi materialmente collegata a un fascicolo diverso da quello che precede ora nel codice bolognese e riferita all’elezione di Oddone nell’888. Quando si rivolge al re esplicita la funzione di intrattenimento del testo (credo, rex, vos delectari his miris verissimis) coniugandolo con la funzione esemplare dell’agiografia: dum sanctorum memorantur facta vel miracula, / ad vir- tutes promerendas roboratur animus. / Quorum tamen non valemus assequi poten- tiam, / Studeamus imitari fidem, spem et caetera. Concludendo con un doppio distico sull’efficacia dell’andare a chiedere e bussare, dove andare significa vivere bene, chie- dere significa pregare, bussare significa perseverare. La translatio si presenta come un proseguimento brevibus, composto per venire incontro ai desiderii del re, al quale il poeta si rivolge con vos. E si impegna a descrivere quadretti di vita merovingia o protocarolingia, con dialoghi fra personaggi reali coinvolti, il re Childeberto e l’abate Lanfredo, Pipino e Carlomannno e Carlo Magno, Ma dopo 114 versi sente il bisogno di interrompere la finzione biografica limitando la narrazione: Quae non parvum si

96 8 Qui Iohannem exultare voluit in utero, / Hic Germanum ante partum extulit miraculo. 268 Francesco Stella narrentur aestimo fastidium / Me lectorum induxisse; quod horrendum fugio. / Unum tantum ponam, nuda ne susbistet pagina: / Caetera miraculorum eius liber habet.E aggiunge un miracolo narrato da Gregorio di Tours, anche qui con citazione esplicita della fonte. La stessa preoccupazione di non annoiare il lettore era stata manifestata nella vita, alla 24a strofa: Hinc virtutes memorentur / stilo brevi reliquae, / Quo lectori textum absit fastidire carminis. E l’horrendum fugio rivela l’intensita` con cui e` con- diviso questo timore, o almeno l’intensita` con cui si vuol manifestarne l’importanza: la poetica della brevitas come conseguenza di una destinazione del testo alla lettura personale e all’intrattenimento. Dunque un’operazione consapevole ma non scola- stica, strutturata in rapporto studiato coi diversi livelli della societa` politica e religio- sa, ma profondamente diversa dalle riscritture piu` diffuse, e dai loro luoghi comuni sull’appello al lettore colto. Qui si sceglie il ritmo cantabile e la narrazione breve per venire incontro alle attese di un lettore concreto, di una fruizione che non sia piu` virtuosistica o didattica ma potenzialmente sociale e gratificante. Il riuso del patri- monio intertestuale sembra qui, a qualche sondaggio superficiale, estremamente ridotto. Un’unica spia, quell’opiparus della praefatio, ci riporta pero` in territori fami- liari; proprio come molte glosse dei ritmi precedenti, e in particolare di quello su san Cristoforo, opiparus si trova solo in Plauto, Carmina Epigraphica, Milone di Saint- Amand, e Fridegodo di Canterbury. Ci sono isoglosse intertestuali che riconducono spesso il linguaggio di questi ritmi a questa costellazione. Trovare i punti che acco- munano questi nomi ci porterebbe forse piu` vicino al centro di produzione di questi testi, per quanto diversi97.

CONCLUSIONI

Quattro casi, quattro ambienti, quattro stili, quattro destinazioni diverse, che abbia- mo provato a esplorare segnalando ove possibile nuovi dati e nuove ipotesi sulle fonti, le datazioni, le localizzazioni. La Verona longobarda, se e` corretta la nostra ipotesi e l’identificazione della fonte, mette in scena un Eustachio ancora provvisorio per la forma del verso ma gia` narrativamente pronto per la mitizzazione carolingia, tanto e` vero che questa rielaborazione viene inglobata in contesto agiografico fran- cese gia` nel secondo dei due manoscritti che lo tramandano; la passione di Giustino conserva elementi stilistici e narrativi del genere ma sembra rivolta solo un pubblico di lettori, ed esibisce un linguaggio compatibile con una datazione piu` tarda, almeno alla fine del IX secolo, e con ambienti della Francia del nord; il ritmo su Eligio, le cui coordinate poetiche riportano verso Saint-Amand, incrementa le ricadute stilistiche di una fruizione silenziosa del testo moltiplicando l’appello della fonte alla cultura poetica e orientandolo verso una poetica della delectatio ormai indipendente dallo scopo edificante, ma lo fa in un impianto linguistico e metrico ancora primitivo, che ha posto l’esigenza di una spiegazione alla coesistenza di versificazione arcaica e

97 Viene in mente, ad esempio, che Ubaldo di Saint-Amand, lettore e nipote di Milone, studio`a Saint-Germain. Riscritture ritmiche di agiografie merovinge 269 collegamenti con autori fra fine IX e pieno X secolo; la retorica del san Cristoforo ci porta invece dinanzi a un copione drammatico probabilmente mirato alla santifica- zione di qualche sede di reliquie, che fa uso di rarita` lessicali con un gusto che ci porta a uno scriptorium del X secolo dotato di testi come Plauto, il ritmo di Eginardo e Agio di Corvey; il dossier su san Germano esalta la dimensione politica di una tras- lazione cosciente di rivogersi a un pubblico laico e a una valorizzazione politica. Nonostante la varieta` questi testi si rassomigliano tutti in qualcosa, anche se si vede una cesura fra il primo e gli altri quattro: c’e` un formulario che ricorre, modelli comuni, forti analogie nelle tecniche di versificazione che anzi – se si prescinde dal ritmo su Eligio – isolano questi poemetti dal resto della produzione e li mettono in continuita` con l’agiografia ritmica del X–XI secolo, ma soprattutto una condivisione della poetica e delle strategie di riscrittura, tese a condensare per selezione degli elementi narrativi ma insieme ad arricchire con la fioritura delle scelte linguistiche, ad accentuare i toni patetici e a privilegiare le fasi iniziali della narrazione precipitando il finale in brevi preghiere, a riflettere – tranne che per le vite di Eustachio e Giustino – sul rapporto col pubblico e ad esaltare l’aspetto di intrattenimento piu` o meno colto, in cui il legame con l’occasione o il committente rimane adombrato nella conclusione o nella dedica, ma non interferisce con la compattezza della storia cantata. In questi testi si percepisce il conflitto latente fra due generi, o meglio fra un genere narrativo e fortemente contestualizzato, l’agiografia, e un registro stilistico tendente alla tipizza- zione della leggenda, come nei cantari in vernacolo di cui i ritmi sono antesignani. L’agiografia dona al ritmo la propria attrazione narrativa e il proprio radicamento sociale, il ritmo da` all’agiografia una dimensione mitica e una contestualizzazione potenzialmente performativa non limitata all’ambito liturgico, e uscendo dall’am- biente scolastico gli conquista le corti laiche verso cui dopo l’eta` merovingia migrano spesso gli intellettuali, prestandosi a fare da ponte verso le leggende e le sacre rap- presentazioni del basso medioevo. E` un esperimento che, dopo la ramificata pro- duzione di poesie ritmiche dei secoli VI–IX, si concentra probabilmente in pochi centri di produzione, ma e` probabilmente una battaglia tardiva, che i testi latini sono destinati a perdere, e che vedra` presto trionfare in questa funzione le lingue volgari.

JULIA M. H. SMITH

La re´e´criture chez Hucbald de Saint-Amand

Hucbald de Saint-Amand, qui mourut a` l’aˆge de quatre-vingt-dix ans en 930, e´tait maıˆtre d’e´cole, poe`te, the´oricien de la musique et hagiographe1.E´ le`ve de Milon de Saint-Amand, il e´tait l’he´ritier des riches traditions poe´tiques et hagiographiques de son abbaye, et des accomplissements intellectuels de la deuxie`me moitie´ du IXe sie`cle. Il passa le commencement et la fin de sa carrie`re a` Saint-Amand, mais au milieu de sa vie, il partagea l’exil des moines pendant les attaques normandes. Il e´tait vraisemblablement parent d’Hucbald, comte d’Ostrevant et gendre d’E´ vrard de Frioul, et ses liens de parente´ encadraient sans doute certaines des activite´s de ce moine savant. Ainsi, vers 883–886, il fut envoye´a` Saint-Bertin pour donner un ensei- gnement a` l’abbe´ Raoul, fils d’E´ vrard de Frioul. On peut supposer qu’Hucbald fit sa premie`re expe´rience du genre hagiographique dans ce contexte familial en acceptant une commande: e´crire un re´cit de la translatio des reliques du pape Calixte, qui, en 854, avaient e´te´ transporte´es a` Cysoing, monaste`re familial d’E´ vrard2. Apre`s la disparition de Raoul en 892, Foulques, ancien abbe´ de Saint-Bertin mais alors archeveˆque de Reims, fit venir Hucbald a` Reims pour soutenir le projet de restauration des e´coles du dioce`se. Hucbald semble eˆtre reste´a` Reims jusqu’a` l’as- sassinat de l’archeveˆque en 900, et c’est sans doute pendant son se´jour qu’il composa un opuscule (aujourd’hui perdu) en l’honneur de Cilinia, la me`re de saint Re´mi3. Il

1 Orientation bibliographique: Le´on Van der Essen, Hucbald de Saint-Amand (ca 840–930) et sa place dans le mouvement hagiographique me´die´val, dans: Revue d’histoire eccle´siastique 19 (1923), p. 333–351, 522–552; Henri Platelle, Hucbald de Saint-Amand, dans: Nouvelle Bio- graphie nationale, vol. 2, publ. par l’Acade´mie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, Bruxelles 1990, p. 225–228; Id., Le the`me de la conversion a` travers les œuvres hagio- graphiques d’Hucbald de Saint-Amand, dans: Revue du Nord 68 (1986), p. 511–531; Yves Char- tier, Clavis operum Hucbaldi Elnonensis. Bibliographie des œuvres d’Hucbald de Saint- Amand, dans: Journal of Medieval Latin 5 (1995), p. 202–224; Julia Smith, The Hagiography of Hucbald of Saint-Amand, dans: Studi Medievali, 3e se´rie 35 (1994), p. 517–542; Ead., A hagio- grapher at Work. Hucbald and the Library at Saint-Amand, dans: Revue be´ne´dictine 106 (1996), p. 151–171. 2 Translatio S. Calixti Cisonium (BHL 1525), MGH, Scriptores XV/1, p. 418–422. Chartier, Clavis operum Hucbaldi (voir n. 1), p. 220, propose Hucbald comme auteur, solution accepte´e par Charles Me´riaux, Gallia irradiata. Saints et sanctuaires dans le nord de la Gaule du haut Moyen Aˆ ge, Stuttgart 2006 (Beiträge zur Hagiographie, 4), p. 218, 352; Id., La Translatio Calixti Cisonium (BHL 1525): une commande de Gise`le, fille de Louis le Pieux, au monaste`re de Saint- Amand?, dans: Monique Goullet (dir.), Parva pro magnis munera. E´ tudes de litte´rature tardo- antique et me´die´vale offertes a` Franc¸ois Dolbeau par ses e´le`ves, Turnhout 2009, p. 595–611. 3 Cf. Chartier, Clavis operum Hucbaldi (voir n. 1), p. 223. 272 Julia M. H. Smith rentra a` Saint-Amand avant 906, et le retour dans sa communaute´ d’origine stimula une pe´riode d’activite´ hagiographique exceptionnelle: toutes les œuvres hagiogra- phiques que l’on peut lui attribuer avec certitude ont e´te´e´crites la`, au sein du re´seau commanditaire qui entourait l’abbaye. Ces œuvres de vieillesse lui valurent une renomme´e exceptionnelle parmi ses contemporains plus jeunes4. Vestrae sapientiae lampas admirabilis in Galliis hac tempestate singulariter dono coelesti excellere nosca- tur, avoue Pierre de Cambrai5. Les e´loges se portent sur un texte en particulier, sa version de la Vie de Lebuin, fondateur de l’e´glise de Deventer (mort vers 780). Il semble e´vident qu’Hucbald la fit circuler assez largement: magno, ut vere fateor, polletis ingenio, infinitam sermonis habetis suppellectilem, nil Latinus eloquentiae vestrae, nil pulchrius, nil unquam legi dulcius, proclame Odilon de Saint-Me´dard, apre`s avoir rec¸u un exemplaire qu’Huc- bald lui avait envoye´ 6. Bien qu’on puisse douter qu’Odilon ait connu la Vita antiqua Lebuini re´e´crite par Hucbald, il est important de pre´ciser que ses activite´s de rema- nieur hagiographique ne diminue`rent point sa renomme´e. En fait, la plupart de son corpus hagiographique se pre´sente comme une re´fection d’œuvres ante´rieures. C’est donc en qualite´, assez rare, d’hagiographe se spe´cialisant dans la re´e´criture qu’Huc- bald retiendra notre attention dans ce volume7. Exposer sa fac¸on de travailler revient donc essentiellement a` exposer une re´e´criture. Cependant, plusieurs questions se posent. Comment Hucbald e´valua-t-il le contenu et le style des Vies anciennes? Le processus de re´e´criture touche-t-il l’ide´al de saintete´ au cœur de chaque Vie? Que peut-on e´tablir de la circulation manuscrite des textes du VIe–VIIe sie`cle a` l’e´poque carolingienne? Cette communication examinera, pour commencer, les cas les plus simples avant d’e´tudier plus minutieusement des textes proble´matiques. L’œuvre qui assura sa re´putation, la Vita Lebuini, montre de manie`re exemplaire comment Hucbald transforme un hypotexte en quelque chose de nouveau8. On admet commune´ment que la Vita antiqua Lebuini ae´te´e´crite entre 840 et 864 et qu’elle contient un ensemble de citations d’autres textes historiques et hagiogra- phiques (Histoire eccle´siastique de Be`de le Ve´ne´rable; Vita Liudgeri; Vita Gregorii

4 Pour les fausses attributions, voir Van der Essen, Hucbald (voir n. 1), p. 527–531; Chartier, Clavis operum Hucbaldi (voir n. 1), p. 221–223. Deux autres vies ont e´te´s re´cemment attribue´es a` Hucbald par Franc¸ois Dolbeau, Passion de saint Cassien d’Imola, compose´e d’apre`s Prudence par Hucbald de Saint-Amand, dans: Revue be´ne´dictine 87 (1977), p. 238–256 (reproduit avec addenda dans: Id., Sanctorum societas. Re´cits latins de saintete´ [IIIe–XIIe sie`cle], vol. 1, Bruxelles 2005 [Subsidia hagiographica, 85], p. 207–229); Id., Le dossier hagiographique de saint Ame´, ve´ne´re´a` Douai. Nouvelles recherches sur Hucbald de Saint-Amand, dans: AnalBoll 97 (1979), p. 89–110 (reproduit avec addenda dans: Id., Sanctorum societas, vol. 1, p. 231–255). 5Migne PL 132, col. 875. 6 Odilon, Epistola ad Hucbaldum,Migne PL 132, col. 629. 7 Cf. Christiane Veyrard-Cosme, L’œuvre hagiographique en prose d’Alcuin. Vitae Willibrordi, Vedasti, Richarii, Florence 2003. 8 Vita Lebuini (BHL 4812), Migne PL 132, col. 877–894, avec pre´face e´d. Adolf Hofmeister, Über die älteste Vita Lebuini und die Stammesverfassung der Sachsen, dans: Geschichtliche Studien. Albert Hauck zum 70. Geburtstag dargebracht, Leipzig 1916, p. 85–107, n. 13 (repro- duit dans: Walther Lammers [dir.], Entstehung und Verfassung des Sachsenstammes, Darmstadt 1967, p. 1–31). La re´e´criture chez Hucbald de Saint-Amand 273

Traiectensis) et de me´moires locales9.A` l’exception d’un passage ce´le`bre qui pre´tend de´crire la »constitution« des Saxons libres, elle reste a` peu pre`s inconnue, mais il est e´vident que l’auteur anonyme a recueilli tout ce qu’il pouvait a` propos de ce saint homme pour servir a` la comme´moration liturgique aupre`s de son tombeau. Meˆme s’il ne s’agit pas d’un hypotexte me´rovingien, il est ne´anmoins utile de confronter les deux Vies de Lebuin, le texte original et son remaniement par Hucbald, et d’e´valuer la transformation qui s’ope`re de l’un a` l’autre. Dans sa pre´face, Hucbald s’exprime comme famulorum Christi infimus et s’efface derrie`re un topos de fausse modestie – modes de pre´sentation de soi-meˆme qu’il utilise plusieurs fois. Cette pre´face me´rite un examen minutieux. Hucbald explique qu’un certain Nitger, Deo ... caro eius amico Lebuino famulus devotissimus, a invite´, encourage´, oblige´ et contraint (hortando, poscendo, obtestando, postmodum per ves- trae sanctitatis ore ad os michi praecipientis imperium ... cogendo extorsit) le vieil hagiographe si renomme´a` composer cette œuvre, et il admet en passant que Nitger connaissait les actions de Lebuin, quae...vel audiendo vel legendo hauserit. Voila` de´ja` un aveu de l’existence d’une Vita ante´rieure! Hucbald n’annonce pas expresse´ment qu’il refait une vie plus ancienne: il laisse le lecteur attentif le de´duire. Aussi, en de´diant cet opusculum a` Balde´ric, l’e´veˆque d’Utrecht (918–975) qui s’efforc¸ait de restaurer son dioce`se apre`s les de´vastations normandes, Hucbald commence par le saluer comme e´veˆque en proie aux souffrances d’un aˆge de te´ne`bres, dans lequel les iniquite´s se multiplient et la charite´ devient froide10. Il termine par le souhait que son lecteur ou auditeur puisse trouver dans l’opuscule un animae emolimentum11. Donc Hucbald e´crit pour le soulagement spirituel de ses lecteurs, au premier rang desquels se trouvait Balde´ric. Il emploie deux moyens de fac¸onner cet emolimentum qui, mis ensemble, ont pour effet de doubler la longueur de l’hypotexte. En premier lieu, bien qu’il garde les de´tails historiques et la trame narrative des e´ve´nements de l’hypotexte, Hucbald re´e´crit le latin, et transforme son style simple et paratactique en cette prose pe´rio- dique et orne´e que ses contemporains admirent tellement12. Mais, plus important, il place au commencement une longue exposition sur l’ide´al carolingien du preˆtre-

9 Vita antiqua Lebuini (BHL 4810b), MGH, Scriptores XXX/2, p. 791–795. Commentaire: Hof- meister, Über die älteste Vita Lebuini (voir n. 8); Heinz Löwe, Entstehungszeit und Quellen- wert der Vita Lebuini, dans: Deutsches Archiv 21 (1965), p. 345–370; Wilhelm Wattenbach, Wilhelm Levison, Heinz Löwe, Die Karolinger vom Vertrag von Verdun bis zum Herrschafts- antritt der Herrscher aus dem Sächsischen Hause. Das ostfränkische Reich, Weimar 1990 (Deutschlands Geschichtsquellen im Mittelalter. Vorzeit und Karolinger, VI), p. 826–828; Ian Wood, The Missionary Life. Saints and the Evangelisation of Europe, 400–1050, Harlow 2001, p. 115–117. 10 Sur Balde´ric, voir Kaj Van Vliet, De stad van de bisschop, ca. 925–1122, dans: Renger Evert de Bruin et al. (dir.), Een paradijs vol weelde. Geschiedenis van de stad Utrecht, Utrecht 2000, p. 44–71; Johanna Maria Van Winter, Bisschop Balderic en de rijkskerk, dans: Cornelis Dek- ker, Philip Maarschalkerweerd, Johanna Maria Van Winter (dir.), Geschiedenis van de provincie Utrecht tot 1528, Utrecht 1997, p. 103–114. Je dois cette orientation bibliographique a` Carine van Rijn. 11 Pre´face, e´d. Hofmeister (voir n. 8). 12 Smith, The Hagiography (voir n. 1), p. 529–530. 274 Julia M. H. Smith missionnaire, a` laquelle sont ajoute´es des re´flexions sur les qualite´s sacerdotales dont un preˆtre a besoin. La the´ologie de la mission formule´e au IXe sie`cle laisse son em- preinte aussi: Lebuin devient le type ide´al du miles Christi, preˆt a` combattre n’im- porte quelle perse´cution, fort dans sa foi13. En revanche, ses ennemis, eux aussi, ont e´te´ transforme´s, avec leur hostilite´ plus implacable et un comportement moins humain qu’auparavant. Sous la plume d’Hucbald, Lebuin est devenu inspiration et mode`le pour un e´veˆque qui faisait face a` toutes sortes de difficulte´s et a` un futur tre`s incertain. Le fort contraste entre hypotexte quasi-historique et remaniement exe´ge´- tique nous aide a` appre´cier la Vita antiqua telle qu’elle est: par essence, le point d’intersection d’un lieu d’ensevelissement, de la me´moire et de la liturgie du saint. Tandis que la Vita antiqua sert a` une communaute´ du IXe sie`cle dont l’identite´ cul- tuelle e´tait en plein essor, Hucbald offre une image qui sert aux besoins distinctifs des premie`re de´cennies du Xe sie`cle. Avec l’exemple de sa re´e´criture de la Vie de Lebuin comme fil conducteur, nous pouvons aborder les deux autres œuvres dont nous posse´dons encore l’hypotexte. Ce sont toutes les deux des versions de passions martyriales, la Passio Cassiani et la Passio Cyrici et Julittae, mais elles sont tellement diffe´rentes qu’elles apportent plusieurs nouveaux aperc¸us sur le processus de transformation de l’hypotexte en hypertexte. Cette dernie`re, en particulier, jette tant de lumie`re sur la souche me´rovingienne du corpus hagiographique carolingien qu’elle me´rite un examen approfondi. Apre`s un court survol du contexte historique dans lequel Hucbald s’occupait des cultes des martyrs, on abordera la Passio Cassiani avant de s’attarder plus longuement sur la Passio Cyrici et Julittae. On peut caracte´riser ce contexte en adoptant plusieurs perspectives. A` premie`re vue, il est domine´ par l’obscurite´ dans laquelle se de´veloppe le culte des martyrs, occidentaux et orientaux. C’est seulement dans des cas assez rares que l’on peut tracer quelques aspects de leur e´volution ante´rieure a` la fin du IVe sie`cle, en particulier graˆce a` l’inte´reˆt que leur portaient des Pe`res de l’E´ glise et d’autres gens de lettres, comme le poe`te espagnol Prudence14. En ge´ne´ral, les aperc¸us sur les cultes martyriaux des e´poques tardo-antique et me´rovingienne restent fragmentaires, meˆme si l’on peut constater leur importance dans la liturgie, la christologie et la construction d’un passe´ saint pour les cite´s e´piscopales15. Un e´le´ment constitutif de cette obscurite´ est l’ex- treˆme rarete´ des manuscrits des Passiones ante´rieurs a` la fin du VIIIe sie`cle16. Et quand

13 Hunc sciens imminere conventum Christi miles Lebwinus, destinavit animo se illuc iturum, quo aut suo regi acquireret copiosum fidelis exercitus numerum, aut fortiter contra hostes dimicans, gloriosum victoriae suae reportaret triumphum.Migne PL 132, col. 887D. 14 Lucy Grig, Making Martyrs in Late Antiquity, London 2004; Johan Leemans (dir.), More than a Memory. The Discourse of Martyrdom and the Construction of Christian Identity in the His- tory of Christianity, Leuven 2005. 15 Martin Heinzelmann, Panorama de l’hagiographie me´rovingienne dans ce volume. 16 Pour la transmission manuscrite, voir Guy Philippart, Les Le´gendiers latins et autres manu- scrits hagiographiques, Turnhout 1977 (Typologie des sources du Moyen Aˆ ge occidental, 24–25, avec mise a` jour, 1985), p. 27–50; Clare Pilsworth, Dating the Gesta martyrum. A Manuscript- based Approach, dans: Early Medieval Europe 9 (2000), p. 309–324; Maximilian Diesenberger, How Collections Shape the Texts. Rewriting and Rearranging Passions in Carolingian Bavaria, dans: Martin Heinzelmann (dir.), Livrets, collections et textes, Ostfildern 2006 (Beihefte der Francia, 63), p. 195–224. La re´e´criture chez Hucbald de Saint-Amand 275 il devient possible, de`s le IXe sie`cle, de tracer leur transmission manuscrite, il est clair que les Passions sont des textes mouvants exceptionnels, avec maintes versions d’une seule Passion, sans distinction nette entre les diffe´rentes re´dactions et les caprices des copistes. Les efforts, souvent sans re´sultats de´finitifs, de pre´ciser les hypotextes latins du martyrologe vieil-anglais (qui date du IXe sie`cle), font ressortir fortement cette instabilite´ notoire17. La volonte´ d’inscrire dans un texte un martyr local, de comple´ter sa comme´mo- ration liturgique par un re´cit e´crit, offre une perspective comple´mentaire. Meˆme s’il ne se manifeste a` l’e´poque me´rovingienne que dans certains cas, par exemple a` Au- xerre18, l’intensification carolingienne du gouˆ t pour la textualite´ rend cet e´lan beau- coup plus fort. Beaucoup de martyrs dont il ne reste que le nom, le jour de feˆte et la tradition d’un lieu de se´pulture, ont e´te´ dote´s, au IXe sie`cle, d’une narration e´voquant leur vie et leur mort19. Cette re´cupe´ration du passe´ par l’e´criture touche aussi les martyrs pour lesquels une Passio existe de´ja`. Remanie´s, disse´mine´s, revitalise´s ou re´invente´s, les martyrs locaux sont en plein essor a` l’e´poque carolingienne20. Mais c’est surtout la perception d’un passe´ fondamentalement romain qui contri- bua a` l’e´laboration d’une nouvelle place pour les martyrs dans la socie´te´ franque21. Tandis que les contours politiques des cultes de plusieurs saints me´rovingiens de la Gaule e´taient e´troitement associe´s aux foyers d’opposition aux Pippinides, de`s le commencement du nouveau re´gime carolingien, son ide´ologie se fonde, non sur les saints francs, mais sur les martyrs romains22. La version de la loi salique promulgue´e par Pe´pin III en 763/764 et renouvele´e par Charlemagne en 768 insiste sur le fait que les Francs ont pris en charge les reliques de ceux que les Romains ont martyrise´s: Haec est enim gens valida, quae Romanorum iugum durissimum de sui ceruicibus discussit pugnando, atque post agnitionem baptismi sanctorum martyrum corpora, quae Romani igne cremauerunt uel ferro truncauerunt atque bestiis lacerando pro- iecerunt, Franci super eos aurum et lapides preciosos adornauerunt23. A` cause de leur ve´ne´ration des martyrs, les Francs sont plus le´gitimes, plus pieux que les Romains auxquels ils ont succe´de´.

17 Christine Rauer, The Sources of the Old English Martyrology, dans: Anglo-Saxon 32 (2003), p. 89–109; E. Gordon Whatley, Acta Sanctorum, dans: Frederick Biggs et al. (dir.), Sources of Anglo-Saxon Literary Culture, vol. 1, Kalamazoo 2001, p. 22–486. 18 Wolfert Van Egmond, Conversing With the Saints. Communication in Pre-Carolingian Hagio- graphy from Auxerre, Turnhout 2006 (Utrecht Studies in Medieval Literacy, 15), p. 85–96. 19 Par exemple, le martyr Piat, dont les reliques ont e´te´e´leve´es par E´ loi de Noyon entre 641–660, n’a acquis une Passion qu’au IXe sie`cle; Me´riaux, Gallia irradiata (voir n. 2), p. 326–327, 364. 20 Voir la belle e´tude de Hedwig Röckelein, Just de Beauvais alias Justin d’Auxerre: l’art de de´doubler un saint, dans: Heinzelmann (dir.), Livrets, collections et textes (voir n. 16), p. 323–360. 21 Rosamond McKitterick, Perceptions of the Past in the Early Middle Ages, Notre Dame 2006, p. 35–61. 22 Paul Fouracre, The Origins of the Carolingian Attempt To Regulate the Cult of Saints, dans: James Howard-Johnston, Paul Antony Hayward (dir.), The Cult of Saints in Late Antiquity and the Middle Ages, Oxford 1999, p. 143–165. 23 Lex Salica,e´d. Karl Eckhardt, MGH, Leges IV/2, p. 7–9. 276 Julia M. H. Smith

Bien qu’une e´tude minutieuse du culte des martyrs de la Gaule pendant l’e´poque carolingienne reste a` faire, il est ne´anmoins clair que l’essor des translations de reli- ques va de pair avec le de´veloppement de l’ide´ologie et de la tradition manuscrite. On sait que l’e´glise carolingienne s’inte´resse beaucoup aux cultes des martyrs d’Italie, et, en particulier, a` ceux de la cite´e´ternelle. Les translations de reliques, souvent accom- pagne´es de textes justificatifs, commencent sous le re`gne de Pe´pin III, mais s’acce´- le`rent au temps de Louis le Pieux. Bien suˆ r, la plupart des reliques romaines sont rec¸ues dans la partie allemande de l’empire carolingien, mais quelques autres, assez importantes, arrivent en Gaule24. L’arrive´e des reliques romaines de´clenche un regain d’inte´reˆt pour leurs Passions. Laissant a` l’e´cart la vague de composition des martyrologes historiques aux de´cennies centrales du IXe sie`cle, l’exemple le plus notoire d’une translation, le vol des reliques des saints Marcellin et Pierre en 827 par E´ ginhard, est sans doute l’occasion de la re´e´criture me´trique de leur Passion, ou par E´ ginhard lui-meˆme, ou par son notaire Ratleic25. Un peu plus tard, Paschase Radbert re´e´crit la passion des saints Rufin et Vale`re26, et quand l’archeveˆque Foulque de Reims transfe`re les reliques du martyr re´mois Nicaise dans sa cathe´drale a` la fin du IXe sie`cle, Flodoard compose une Pas- sion pour l’occasion27. En fait, le long poe`me de Flodoard, De triumphis Christi, marque un sommet dans la re´e´criture des Passions28. Flodoard (893/894–966) e´tait contemporain d’Hucbald, un peu plus jeune que lui. Il nous assure que les inte´reˆts de l’e´colaˆtre de Saint-Amand sont de son temps, et que la re´e´criture des Passions va de pair avec d’autres formes d’activite´ hagiographique. Hucbald partage donc l’horizon litte´raire et culturel propre au paysage hagiographique de son e´poque. Graˆce a` Franc¸ois Dolbeau, nous posse´dons la version, re´dige´e par Hucbald, de la Passion de Cassien, martyrise´a` Imola, pre`s de Bologne29. La comme´moration tex- tuelle de Cassien commence avec le poe´tique Peristephanon de Prudence, et Hucbald n’est qu’un des nombreux auteurs du haut Moyen Aˆ ge qui ont e´te´ attire´s par le de´fi de la mise en prose30. Sa version transforme les cent six lignes de Prudence en un texte de

24 Julia Smith, Old Saints, New Cults. Roman Relics in Carolingian Francia, dans: Ead. (dir.), Early Medieval Rome and the Christian West. Essays in Honour of Donald A. Bullough, Leiden 2000, p. 317–339; Hedwig Röckelein, Reliquientranslationen nach Sachsen im 9. Jahrhundert. Über Kommunikation, Mobilität und Öffentlichkeit im Frühmittelalter, Stuttgart 2002 (Beihefte der Francia, 48). 25 Passio Marcellini et Petri (BHL 5230), AASS Jun. I, p. 171–173; Passio rhythmica (BHL 5232), MGH, Poet. lat. II, p. 126–135. Sur le vol: Julia Smith, »Emending Evil Ways and Praising God’s Omnipotence«. Einhard and the Uses of Roman Martyrs, dans: Kenneth Mills, Anthony Graf- ton (dir.), Conversion in Late Antiquity and the Early Middle Ages. Seeing and Believing, Rochester NY 2003, p. 189–223. 26 BHL 7374: Migne PL 120, col. 1489–1508. 27 BHL 6075: e´d. Georg Waitz, MGH, Scriptores XIII, p. 417–420; Michel Sot, Un historien et son e´glise au Xe sie`cle. Flodoard de Reims, Paris 1993, p. 637. 28 Migne PL 135, col. 491–886; Peter Christian Jacobsen, Flodoard von Reims. Sein Leben und seine Dichtung De triumphis Christi, Leiden 1978 (Mittellateinische Studien und Texte, 10). 29 Dolbeau, Passion de saint Cassien (voir n. 4). 30 Gre´goire de Tours et Flodoard de Reims ci-inclus. Monique Goullet,E´ criture et re´e´criture hagiographiques. Essai sur les re´e´critures de Vies de saints dans l’Occident latin me´die´val (VIIIe–XIIIe sie`cle), Turnhout 2005, p. 131, 152–153, 300–306. La re´e´criture chez Hucbald de Saint-Amand 277 vingt et un chapitres, dont seulement sept (chap. 11–17) reproduisent l’essentiel du texte mode`le dans un tour de force sans doute destine´a` la salle de classe plutoˆ t qu’a` l’usage liturgique. En amplifiant le re´cit de Prudence avec une exe´ge`se des sens e´ty- mologique, moral et tropologique de l’e´pice biblique cassia, qu’il associe e´tymologi- quement avec le nom du saint, Hucbald invite les e´coliers a` s’engager dans une latinite´ hautement poe´tique et pleine d’allusions patristiques. Meˆme s’il reconnaıˆt que ses e´le`ves trouvent la poe´sie de Prudence trop difficile, il semble que sa version en prose soit destine´e a` des e´coliers avance´s, car il s’y livre a` son gouˆ t pour l’e´tymologie et les jeux de mots, le vocabulaire rare, les figures rhe´toriques et l’ordre poe´tique des mots, sans perdre de vue les lec¸ons morales qu’il veut inculquer31. Il renvoie au poe`me de Prudence les lecteurs »prudents«, c’est-a`-dire avertis, qualifie´s, tandis qu’il re´serve »ce modeste ouvrage aux garc¸ons dont les faculte´s intellectuelles ne sont pas tre`s grandes, et qui ne rougissent pas de s’avouer encore »imprudents« pour le moment32. L’histoire de Cassien est celle d’un e´colaˆtre martyrise´ par ses e´le`ves, qui lancent leurs stylets et tablettes contre lui avec une telle violence qu’il en meurt. Au milieu de son poe`me, Prudence invite ses lecteurs a` visualiser une peinture repre´sentant le moment de ce martyre: il s’e´tend sur les piques des stylets, le sang, les blessures, la chaire de´chire´e. Le lecteur de Prudence assiste effectivement au spectacle de la tor- ture33. Au contraire, Hucbald raccourcit cet e´pisode. A` sa place, le dialogue entre le maıˆtre mourant et ses e´le`ves est grossi, et les sens moral et anagogique sont ampli- fie´s34. Donc, la transformation formelle de vers en prose n’est pas le but de sa re´e´- criture, mais plutoˆ t le moyen d’achever une transformation beaucoup plus profonde de l’expe´rience et de la signification du martyre. Loin d’eˆtre invite´a` participer au martyre, a` subir les e´motions dures comme te´moin d’un spectacle cruel, le jeune lecteur du commencement du Xe sie`cle est contraint a` re´fle´chir sur l’obligation de s’appliquer a` ses e´tudes. L’aversion d’Hucbald pour les de´tails du martyre est frappante. Sa pre´fe´rence pour le martyre exempt de sang et de souffrance caracte´rise son autre Passion, celle de Cyr et Julitte, qui nous offre des aperc¸us supple´mentaires sur son me´tier de remanieur. Le culte de l’enfant Cyr, martyrise´a` l’aˆge de trois ans, et de sa me`re Julitte, est d’origine orientale, mais diffuse´ et »ce´le´bre´ par tout le monde«: on trouve des versions de cette le´gende en arabe, syriaque et vieil-anglais, en plus de plusieurs versions en latin et en grec35. Les diffe´rentes versions de leur Passion indiquent soit Antioche, soit Tarse

31 Smith, The Hagiography (voir n. 1), p. 530–531; Ead., A Hagiographer at Work (voir n. 1), p. 156–157, 159–160, 169; Dolbeau, Passion de saint Cassien (voir n. 4), p. 227–229. 32 Nam sicut in huius opusculi diximus praefatione, non omnibus eque munus concessum noscitur intelligentie et desiderantibus veneranda sanctorum facta nosse difficiliora videntur scripta poe- matice. Igitur Prudentium legant prudentes, hanc autem scedulam pueri quique intelligentia simplices et qui se adhuc fateri non erubescunt imprudentes. Passio S. Cassiani, chap. 20, e´d. Dolbeau (voir n. 4), p. 256. 33 Cf. Jill Ross, Dynamic Writing and Martyrs’ Bodies in Prudentius’ Peristephanon, dans: Journal of Early Christian Studies 3 (1995), p. 325–355; Patricia Cox Miller, Visceral Seeing. The Holy Body in Late Ancient Christianity, dans: Journal of Early Christian Studies 12 (2004), p. 391–411. 34 Hucbald, Passio S. Cassiani, chap. 14–16, e´d. Dolbeau (voir n. 4), p. 221–223. 35 BHL 1801–1808; BHG 313–318; BHO 193–194; Whatley, Acta Sanctorum (voir n. 17), p. 142. 278 Julia M. H. Smith comme lieu de leur mort; d’autres variations sont la pre´sence – ou non – de leurs compagnons, au nombre soit de 404, soit de 11 404, ou l’absence de re´fe´rence a` la me`re. Selon une tradition nivernaise du Xe sie`cle, c’est Amaˆtre, l’e´veˆque d’Auxerre (mort en 418), qui a introduit leur culte en Gaule, au retour d’un pe`lerinage a` Antio- che avec leurs corps36. Quoi qu’il en soit, le culte de saint Cyr s’est re´pandu assez vite en Occident, car il est atteste´ au VIe sie`cle a` Marseille et a` Clermont et, un peu plus tard, a` Cormicy, pre`s de Reims37. En Angleterre, son nom e´tait connu par Be`de le Ve´ne´rable38. Malgre´ sa large diffusion, le culte devient inquie´tant pendant le VIe sie`cle au plus tard. Une condamnation grecque, dont une version prend la forme d’une lettre de The´odore, e´veˆque d’Iconium, a` un autre e´veˆque nomme´ Zosime, associe les histoires de Cyr et Julitte a` des cercles he´re´tiques, voire maniche´ens39. The´odore re´e´crit leur le´gende dans une version acceptable aux autorite´s eccle´siastiques, mais ne re´ussit pas a` supprimer les versions ante´rieures. La Passion est aussi condamne´e en Occident. De libris recipiendis et non recipiendis est une œuvre du VIe sie`cle, d’origine italienne ou gauloise, compose´e par un auteur prive´. De libris est ne´anmoins entre´ dans les collections canoniques de`s la fin du VIIIe sie`cle sous le nom du pape Ge´lase40.A` une liste des livres canoniques de la Bible, il ajoute des listes d’œuvres acceptables et d’œuvres condamne´es. Bien que le soi-di- sant Decretum Gelasianum soutienne la ve´ne´ration des saints en ge´ne´ral, il est aussi renomme´ pour son interdiction de l’utilisation liturgique des Vies des saints dans les e´glises de la cite´ de Rome. Parmi les textes condamne´s, il cite explicitement deux

Citation: The´odore d’Iconium, In martyrium sanctorum Ciryci et Julittae,Migne PG 120, col. 165. Contexte litte´raire: Albert Siegmund, Die Überlieferung der griechischen christlichen Lite- ratur in der lateinischen Kirche bis zum zwölften Jahrhundert, Munich 1949. Diffusion du culte des saints Cyr et Julitte en Orient: A. Dillmann, Über die apokryphen Märtyrergeschichten des Cyriacus mit Julitta und des Georgius, dans: Sitzungsberichte. Königlich Preussische Akademie der Wiss., 1887, p. 339–356; Hippolyte Delehaye, Les origines du culte des martyrs, Bruxelles 1912, p. 197–198, 214, 242, 276; Arietta Papaconstantinou, Le culte des saints en E´ gypte des Byzantines aux Abbasides. L’apport des inscriptions et des papyrus grecs et coptes, Paris 2001, p. 107, 132–134. 36 BHL 1811, Migne PL 132, col. 858B. Amaˆtre d’Auxerre avait e´videmment une grande re´puta- tion comme collectionneur de reliques: voir Röckelein, Just de Beauvais (voir n. 20), p. 326–327 pour un autre exemple. 37 Gre´goire de Tours, Libri Historiarum X, II.21, e´d. Bruno Krusch et Wilhelm Levison, MGH, SRM I/12, p. 67; Id., Liber Vitae Patrum, III.1, e´d Bruno Krusch, MGH, SRM I/2, p. 672; Libellus de ecclesiis Claromontanis, chap. 14, e´d. Wilhelm Levison, MGH, SRM VII, p. 461; Vita Rigoberti episcopi Remensis, chap. 18, e´d. Wilhelm Levison, MGH, SRM VII, p. 73; Bri- gitte Beaujard, Le culte des saints en Gaule. Les premiers temps. D’Hilaire de Poitiers a` la fin du VIe sie`cle, Paris 2000, p. 398 (pour Marseille). 38 Jacques Dubois, Genevie`ve Renaud,E´ dition pratique des martyrologes de Be`de, l’anonyme lyonnais et de Florus, Paris 1976, p. 128. 39 BHG 315–317, Migne PG 120, col. 165–172; versions variantes: AASS Jun. III, p. 25–28; Anal- Boll 1 (1882), p. 201–207. 40 Ernst von Dobschütz, Das Decretum Gelasianum de libris recipiendis et non recipiendis, Leip- zig 1912 (Texte und Untersuchungen zur altchristlichen Literatur 3. Reihe, 8. Band, Heft 4); re´sume´ des avis contradictoires sur sa place de composition: Frank L. Cross, Elizabeth A. Livingstone (dir.), Oxford Dictionary of the Christian Church, Oxford 31997, p. 462. La re´e´criture chez Hucbald de Saint-Amand 279

Passions: celles de Cyr et Julitte et de Georges, en raison de leur connotation he´re´- tique41. Ces deux Passions figurent aussi parmi la liste des apocrypha attache´e au Decretum Gelasianum, apre`s les pseudo-e´vangiles et les œuvres des he´re´tiques, mais a` coˆ te´ de l’e´change e´pistolaire entre Je´sus et Abgar, l’Interdictio Salomonis et Phy- lacteria omnia42. On admet commune´ment que la condamnation latine de la Passio Cyrici et Julittae de´rive du grec43. Mais, comme tant d’autres textes proscrits par le Decretum Gela- sianum, il est e´vident que cette condamnation est reste´e lettre morte. La tradition des versions latines du texte est naturellement complique´e, mais elle peut eˆtre divise´e en deux familles. L’une, la courte, de´rive d’une version latine de la lettre de The´odore d’Iconium (BHL 1801). Le contenu narratif de l’autre pre´sente plusieurs divergences significatives dans les e´ve´nements; il est notamment beaucoup plus long et plus fan- taisiste: il repre´sente, apparemment, les traditions condamne´es. C’est la version longue qui est de´peinte dans les fresques des anne´es 750 a` Sainte-Marie-Antique a` Rome44; c’est e´galement la version longue que contient le plus vieux manuscrit latin de la Passion, un manuscrit de la fin du VIIIe sie`cle dans l’e´criture ›Corbie a–b‹, dont l’origine est Corbie ou Soissons (BHL 1803b)45. La longue version gre´co-latine, telle qu’elle se pre´sente, n’est certainement pas ›he´re´tique‹ dans le contenu the´ologique, meˆme si Dillmann a eu raison en supposant, a` la base de la version arabique, que le re´cit a pris son origine dans des cercles gno- stiques associe´s aux Acta Pauli et Theclae46. Mais l’on doit admettre qu’elle pousse jusqu’a` des limites peu plausibles les topoı¨ de la sagesse d’un enfant et de l’endurance

41 Item gesta sanctorum martyrum, quae multiplicibus tormentorum cruciatibus et mirabilibus con- fessionum triumphis inradiant. Quis catholicorum dubitet maiora eos in agonibus fuisse perpessos nec suis viribus sed dei gratia et adiutorio universa tolerasse? Sed ideo secundum antiquam consuetudinem singulari cautela in sancta Romana ecclesia non leguntur, quia et eorum qui conscripsere nomina penitus ignorantur et ab infidelibus et idiotis superflua aut minus apta quam rei ordo fuerit esse putantur; sicut cuiusdam Cyrici et Iulittae, sicut Georgii aliorumque eiusmodi passiones quae ab hereticis perhibentur conpositae. Propter quod, ut dictum est, ne vel levis subsannandi oriretur occasio, in sancta Romana ecclesia non leguntur. Nos tamen cum praedicta ecclesia omnes martyres et eorum gloriosos agones, qui Deo magis quam hominibus noti sunt, omni devotione veneramur. Das Decretum Gelasianum, chap. 4, e´d. Dobschütz, p. 9 (voir n. 40), avec remarques de Baudouin de Gaiffier, La lecture des Actes des martyrs dans la prie`re liturgique en Occident, dans: AnalBoll 72 (1954), p. 134–166; Id., Un prologue hagiographique hostile au De´cret de Gelase?, dans: AnalBoll 82 (1964), p. 341–353. 42 Das Decretum Gelasianum, chap. 8, e´d. Dobschütz (voir n. 40), p. 13. 43 L’exception est Albert Dufourcq,E´ tude sur les Gesta martyrum romains, vol. V: Les le´gendes grecques et les le´gendes latines, Paris 1988, p. 305–315. 44 Wladimir de Gruneisen, Sainte Marie-Antique, Rome 1911, p. 122–133; Lesley Jessop, Picto- rial Cycles of Non-Biblical Saints. The Seventh- and Eighth-Century Mural Cycles in Rome and Contexts for their Use, dans: Papers of the British School at Rome 67 (1999), p. 236–255. 45 Torino, Biblioteca Nazionale D.V.3, fol. 123–134 (= CLA IV, nr. 446), Albert Poncelet, Cata- logus codicum hagiographicorum latinorum Bibliotecae nationalis Taurinensis, dans: AnalBoll 28 (1909), p. 419–422; Terence Alan Martyn Bishop, The Scribes of the Corbiae a–b, dans: Peter Godman, Roger Collins (dir.), Charlemagne’s Heir. New Perspectives on the Reign of Louis the Pious (814–840), Oxford 1990, p. 535–536; Pilsworth, Dating the Gesta martyrum (voir n. 16), p. 318–320. 46 Dillmann, Über die apokryphen Märtyrergeschichten (voir n. 35), p. 349–350. 280 Julia M. H. Smith de supplices e´tranges. Elle marque le de´veloppement de la tradition de l’hagiographie ›romanesque‹ qu’on pourrait ici caracte´riser comme un me´lange de come´die noire et de farce bouffonne sur le the`me du martyre. C’est un texte plus divertissant qu’e´di- fiant, comme la Passion de saint George – et l’on doit noter que les deux Passions condamne´es circulent ensemble dans les manuscrits orientaux47. La version longue est importante parce qu’elle constitue l’hypotexte qu’Hucbald a remanie´. Bien suˆ r, sa pre´face renvoie explicitement au De´cret de Ge´lase et au statut apocryphe de la le´gende en des termes tre`s forts. Selon Hucbald, la le´gende de Cyr et Julitte se re´ve`le comme foetida ... stercora illa frivola, l’œuvre d’un idiota mimogra- phus falsiloquus48. Malgre´ cela, ce n’est pas la version courte qu’il re´e´crit: les e´ve´ne- ments de son re´cit ne correspondent point a` la lettre de The´odore d’Iconium, mais constituent un abre´ge´ du texte condamne´. En outre, il peut y avoir un e´cho verbal de cette version dans ses mots meˆme de condamnation: en s’adressant au pre´sident du tribunal, le persiflage de l’enfant Cyr de´crit les dieux paı¨ens du juge velut stercus49. Donc, Hucbald transforme la rhe´torique de l’hypotexte apocryphe en condamnation du meˆme texte. Comme remanieur, il se permet de lire ce qu’il savait eˆtre proscrit. En s’interposant entre la version condamne´e et d’autres lecteurs, il se tient dans une position de lecteur privile´gie´, afin de transformer les mots du mimographus falsilo- quus en quelque chose de digne d’eˆtre lu par les fide`les50. Pour Hucbald, re´e´crire c’e´tait de´savouer l’erreur et affirmer ce qu’il croyait eˆtre un jugement papal sur l’or- thodoxie. En remaniant la Passion de Cyr et Julitte, Hucbald garde les lignes ge´ne´rales de la narration, mais il revalorise le contenu totalement. En premier lieu, il fait de Cyr et Julitte des mode`les d’endurance contre les difficulte´s de cette vie, et des exemples – un enfant, une femme – de la persistance dans la louange de Dieu en face de n’importe quelle angoisse. En second lieu, il supprime tous les de´tails de violence, le re´alisme des supplices, de la prison et de la mort, en en faisant mention dans les termes les plus brefs et neutres que possible. La souffrance n’est plus alors une expe´rience du corps, mais un e´tat de l’aˆme, un reflet de la condition humaine que la prie`re vainc. Comme avec la Passion de Cassien, la suppression des de´tails du martyre, qui se trouvaient dans l’hypotexte, de´tourne l’attention du lecteur du re´cit des e´ve´nements et la de´place vers le rapport d’un fide`le avec son Dieu. Dans les deux cas, le martyre est spiritualise´ et alle´gorise´ au point de devenir une home´lie morale convenable pour n’importe quel lecteur de l’e´poque carolingienne. Mais la diffe´rence entre ces deux remaniements est

47 Pour la circulation ensemble des deux Passiones, voir Dobschütz, Das Decretum Gelasianum (voir n. 40), p. 273; Dillmann, Über die apokryphen Märtyrergeschichten (voir n. 35), p. 352; Carl Krumbacher, Der heilige Georg in der griechischen Überlieferung, dans: Abhandlungen der Königlichen Akademie der Wiss., Phil.-Hist. Klasse 35,3 (1911), p. 185. 48 Abdicantes, imo ut foetida respuentes, stercora illa frivola quae a quodam idiota mimographo et falsiloquo de ipsis scabroso nimis stilo sunt ineptissime edita: et idcirco a fidelibus Christicolis, maximeque a beato Blasio [sic: Gelasio] papa jure inter multa sunt ut apocrypha repudiata.Migne PL 132, col. 851–852 (BHL 1809). 49 AASS Jun. III, p. 30D. 50 Il a eu du succe`s: selon les statistiques du e-BHL, il existe beaucoup plus de manuscrits de la version d’Hucbald que d’autres versions de la Passion de Cyr et Julitte. La re´e´criture chez Hucbald de Saint-Amand 281 que celui de la Passion de Cyr et Julitte donne a` Hucbald l’occasion de transformer l’acte de re´e´criture en affirmation de la foi catholique et en refus de l’he´re´sie. Mais pourquoi s’inte´resse-t-il a` ce culte en tout cas? L’e´pitaphe de son tombeau nous en donne la cle´ dans son allusion a` saint Cyr, le seul saint dont il fait mention51. Pour l’e´lucider, nous avons besoin de l’aide de la translatio que Gontier de Saint- Amand ajoute a` sa version me´trique de la Passion de Cyr et Julitte, au commencement du XIIe sie`cle52. C’est une belle petite histoire des rivalite´s poe´tiques a` Saint-Amand, a` cause desquelles Hucbald quitta le monaste`re, se de´plac¸ant jusqu’a` Nevers afin de se calmer. La`, il entra dans la famille e´piscopale de l’e´veˆque de Nevers. L’e´veˆque accorda une telle confiance a` Hucbald que, sur son lit de mort, il l’invita a` faire usage de ses possessions. Rejetant ces richesses, Hucbald choisit la relique la plus pre´cieuse, le corps de saint Cyr, »petit enfant et grand martyr«. L’e´veˆque dut respecter son enga- gement, mais conseilla a` Hucbald de s’enfuir en cachant les pre´cieux ossements. Poursuivi par les Nivernais enrage´s, Hucbald re´ussit ne´anmoins a` gagner Saint- Amand, et y fit construire un autel pour le martyr au beau milieu de l’e´glise abbatiale ou` il avait l’habitude de prier. Une nuit, dit-on, Hucbald vit dans son sommeil saint Cyr qui lui annonc¸a sa mort prochaine. Se rendant en haˆte a` son autel, Hucbald rec¸ut la confirmation que son reˆve n’e´tait point la phantasmatis illusio mais plutoˆ t la vera visio du saint, qui lui ordonna de prendre la plume, une dernie`re fois, en l’honneur de saint Pierre. Malade et mourant, de historia sancti Petri coepit, avant de tre´passer le jour pre´vu par saint Cyr53. Histoire vraie ou non, la chose importante est la suivante: c’est pour lui-meˆme qu’Hucbald se´lectionne Cyr et Julitte. La Passion de l’enfant et de sa pieuse me`re n’est pas issue d’une commande: elle est un choix personnel, un te´moignage sur ses propres de´votions et affections. Telle quelle, elle est le testament hagiographique de sa foi catholique: le processus de re´e´criture tel qu’Hucbald le comprend touche non seulement des textes mais l’essentiel de la foi chre´tienne. Dans cette perspective, nous passons a` un autre groupe de Vitae e´crites par Huc- bald, dont il n’existe pas d’hypotextes. Ce groupe comprend deux, ou peut-eˆtre trois Vitae, toutes associe´es, directement ou indirectement, au monaste`re double de Mar- chiennes, a` dix kilome`tres de Saint-Amand, dans le dioce`se de Tournai. La plus connue est la Vie de Rictrude, abbesse de Marchiennes (morte en 687), re´dige´e par Hucbald en 907. Complexe, subtile et sans paralle`le dans le corpus d’hagiographie fe´minine, c’est la Vie d’une veuve pieuse et de ses enfants, gesta ipsius natorum- que54. Bien qu’Hucbald e´crive a` la demande des clercs et moniales de Marchiennes, la

51 Dormit in hac tumba simplex sine felle columba, / Doctor, flos et honos tam cleri quam monacho- rum, / Hucbaldus, cuius famam per climata mundi / Edita sanctorum modulamina gestaque clamant. / Hic Cyrici membra pretiosa, reperta Nevernis, / Nostris invexit oris scripsitque tri- umphum (MGH, Poet. lat. III, 679). 52 Gontier de Saint-Amand, Translatio Sancti Cyrici (BHL 1813), Migne PL 203, col. 1309–1312 (avec attribution errone´e a` Philippe de Harvengt). Voir aussi Id., Passio Sancti Cyrici (BHL 1812), dans: Cat.Paris. 1, p. 172–194. Pour l’identification de Gontier comme auteur de la translatio, voir Le´opold Delisle, Le Cabinet des manuscrits de la Bibliothe`que impe´riale, vol. 1, Paris 1868, p. 310–312. 53 Migne PL 203, col. 1311B-C. 54 BHL 7247, AASS Maii III, p. 81–89; autre version e´d. Joseph de Ghesquie`re, Acta sanctorum 282 Julia M. H. Smith version qu’il donne est de´die´e a`E´ tienne, e´veˆque de Lie`ge (901–920). Comme Huc- bald, E´ tienne e´tait expert en musique et en re´e´criture hagiographique, puisqu’il avait remanie´ la Vita de Lambert de Lie`ge dans un style e´leve´ 55. Il devait eˆtre lecteur perspicace de ce chef-d’œuvre hagiographique, et Hucbald admet qu’E´ tienne fit quelques remarques critiques sur son e´bauche56. Hucbald se pre´sente a`E´ tienne selon une captatio benevolentiae habituelle, comme omnium exiguus sacerdotum ac monachorum eiusdem, et il minimise son e´rudition, au point qu’elle devient meam quantulamcunque scientiolam. De semblables topoı¨ caracte´risent une autre Vita d’un saint associe´a` Marchiennes qu’on attribue a` Huc- bald, la Vie d’Ame´,e´veˆque de Sion (mort en 691)57. Ici, il proclame son sermo incultus, en soulignant qu’il e´crit non par te´me´rite´ mais par obe´issance58. Ces lieux communs sont assez courants, mais lui servent de paravent pour se cacher chaque fois que le renvoi a` l’hypotexte devient proble´matique. Ils nous ame`nent a` une interrogation de´licate de ses sources. S’il a existe´ une Vita ante´rieure de Rictrude, elle a disparu sans laisser de trace. Dans sa pre´face, Hucbald insiste sur le fait que nulla certae relationis de his scripta videram vel audieram, et qu’il craint de confondre dubia pro certis vel falsa pro veris. Il admet qu’on lui avait montre´ quaedam historiarum exemplaria, et que ces exemplaria e´taient en accord avec les renseignements que les gens de confiance lui avaient donne´s. Une affirmation de la perte des traditions e´crites pendant les attaques des Vikings l’a rassure´, et il a donc commence´a`e´crire, et si non ut debui, institi tamen ut potui, non phaleris deservire verborum, sed aedificationi consulere legentium cupiens vel audi- entium. Ensuite, il fait mention des critiques d’E´ tienne, qui remarqua un manque de persona videlicet et locus cum tempore – c’est-a`-dire les e´le´ments essentiels d’un vrai re´cit historique59. Il semble qu’E´ tienne favorisait une proportion plus e´leve´e d’his- toire e´ve´nementielle par rapport a` Hucbald, qui pre´fe´rait toujours mettre l’accent sur

Belgii (6 t., Bruxelles 1783–1794), IV, p. 488–503. Pre´face e´d. Wilhelm Levison, MGH, SRM VI, p. 91–94, ici p. 93. Cf. Julia Smith, The Problem of Female Sanctity in Carolingian Europe, c. 780–920, dans: Past & Present 146 (1995), p. 3–37. 55 Antoine Auda, L’E´ cole musicale lie´geoise du Xe sie`cle. E´ tienne de Lie`ge (Acade´mie royale de Belgique, classe des beaux-arts, Me´moires, 2), Bruxelles 1923; Wattenbach,Levison, Deutsch- lands Geschichtsquellen VI (voir n. 9), p. 911. 56 Explicito vero iam opusculo, cum ad recitandum vel potius vestrae examinandum traderetur excellentiae, visum est prudentiae vestrae, ex his, quae ad corroborandum uniuscuiusque libri auctoritatem solent a scholasticis requiri, quaedam deesse, persona videlicet et locus cum tempore. MGH, SRM VI, p. 93. 57 BHL 363–364; e´d. Cat.Brux. 2, p. 44–55. Pour l’attribution a` Hucbald, voir Dolbeau, Le dossier hagiographique de saint Ame´ (voir n. 4). 58 Ne cui forte legentium sermo displiceat incultus, imperitiamque scriptoris omnis denotet studiosus initio scedulae, ita votum purgetur idiotae, ut primo praesumptio non culpetur in opere, sed speretur effectus obedientiae, demumque summo reputetur a cordis ardore, quod fit spe mercedis aeternae. Iussus enim fraterni praecepto mandati, potius et exactus amore sancti patris Amati, leges artis grammaticae postposui, necnon rhetoricae utpote nescius curam minime dedi, sed, fidelia fidelis ipse fideliter exequens, simplici locuturus sermone opus injunctum quamvis inepte suscepi. Cat.Brux. 2, p. 44. 59 Voir la note 57. La re´e´criture chez Hucbald de Saint-Amand 283 le sens moral – aedificatio – dans ses œuvres hagiographiques60. Cette pre´fe´rence devait informer son utilisation des sources disponibles. Il est possible que sa premie`re version ait e´te´ presque entie`rement compose´e de re´flexions morales. La version qui nous a e´te´ transmise comprend de longs morceaux homile´tiques, tisse´s de citations de la Bible, d’auteurs patristiques et carolingiens sur les the`mes de la virginite´, la nature du mariage et de la tonsure cle´ricale, les obligations spirituelles d’une me`re d’e´lever ses enfants dans l’amour de Dieu, et des enfants a` respecter leurs parents, et on peut e´mettre l’hypothe`se qu’il s’agit la` des traces de la version qui a de´plu a`E´ tienne61. Si l’on poursuit ce raisonnement, il nous ame`ne a` la conclusion qu’Hucbald n’a ajoute´ d’encadrement e´ve´nementiel qu’apre`s avoir rec¸u la critique de l’e´veˆque de Lie`ge. En face des de´clarations des textes de´truits par les Normands et l’absence de certae relationis scripta, comment pouvait-il le confectionner?62 Il insiste dans sa pre´face sur les mots des gens en lesquels il avait confiance, et les historiarum exemplaria. Meˆme si l’on ne peut pas leur accorder la de´signation formelle d’hypotextes, ces deux cate´- gories de renseignements nous informent sur les moyens de travail d’Hucbald. Quant a` ces textes de base, parmi les longues citations de sources non hagiogra- phiques que la Vita Rictrudis comprend, on peut identifier quelques-uns, notamment les Gesta Dagoberti, les paroles de l’archeveˆque Hincmar de Reims au couronnement de Charles le Chauve, a` Metz en 869, et la Vita Amandi, qui valent l’appellation de historiarum exemplaria63. Les citations de ces textes offrent un contexte spe´cifique, voire franc et chre´tien, encadrant Rictrude, son mari et ses enfants. Ce contexte les place ge´ographiquement dans une histoire qui s’e´tend des Pyre´ne´es jusqu’a` l’Escaut, et les situe en relation chronologique avec le re`gne de Dagobert Ier. Donc, par le moyen des historiae, Hucbald a re´alise´ le locus et le tempus demande´s par E´ tienne de Lie`ge. Sa deuxie`me source de renseignements – les mots des non contemnendae perso- nae –, lui fut vraisemblablement transmise par l’abbesse de Marchiennes et les cha- noines qui y servaient a` l’e´poque carolingienne. En toute probabilite´, les comme´- morations liturgiques fournissent les noms des parents, du mari et des enfants de la veuve Rictrude, renseignements qu’Hucbald put comple´ter par des traditions orales qui circulaient parmi la communaute´ de Marchiennes. Une de ses histoires, celle de la punition de la jeune Euse´bie, est si distinctive que la tradition orale paraıˆt eˆtre la seule explication64. C’est l’histoire d’une fille de Rictrude e´leve´e dans le monaste`re voisin

60 Cf. I Deug-Su, La Vita Rictrudis di Ubaldo di Saint-Amand. Un agiografia intelletuale e i santi imperfetti, dans: Studi Medievali, 3/31 (1990), p. 545–582. 61 Pour les de´tails, voir Smith, The Hagiography (voir n. 1) et Deug-Su (voir n. 60). 62 Certae relationis scripta doit eˆtre comprise comme un renvoi aux prescriptions le´gislatives des conciles carolingiens sur le culte des saints et leur interdiction de la ve´ne´ration des saints qui manquent des passiones ou vitae dignes de confiance. Admonition ge´ne´rale, chap. 42: item in eodem [Conc. Afr., chap. 11], ut falsa nominum martyrum et incertae sanctorum memoriae non venerentur. MGH, Capit. I, p. 56; concile de Francfort, chap. 42: Ut nulli novi sancti colantur aut invocentur, nec memoria eorum per vias erigentur, sed hii soli in ecclesia venerandi sint, qui ex auctoritate passionum aut vitae merito electi sunt. MGH, Conc. Aevi Karolini, I/1, p. 170. 63 Smith, A Hagiographer at Work (voir n. 1), p. 169–170 avec de´tails. 64 Vita Rictrudis, chap. 16–19, Migne PL 132, col. 843–846. 284 Julia M. H. Smith d’Amay par l’abbesse, sa grand-me`re, a` laquelle elle succe´da comme abbesse, a` l’aˆge de douze ans. L’apprenant, Rictrude fit valoir que sa fille e´tait trop jeune pour prendre en charge la communaute´, et insista pour que la petite habite chez elle, a` Marchiennes. Malgre´ cela, Euse´bie sortit pendant la nuit afin de prier a` Amay, contre la volonte´ de sa me`re. Rictrude la de´couvrit et commanda a` son fils, le diacre Mau- ronte, de fouetter la fille. Euse´bie fut blesse´e au point de cracher du sang et du pus durant le reste de sa courte vie. Quant a` Hucbald, il raconte tous ces de´tails, mais transforme l’histoire en home´lie, tisse´e de citations bibliques, sur l’obligation des enfants de respecter la volonte´ de leurs parents. Sans doute son audience a` Marchi- ennes e´tait-elle compose´e, outre les clercs, de veuves, de moniales voile´es et de jeunes filles voue´es par leurs parents a` la vie monastique: pour ces dernie`res, la petite histoire d’Euse´bie illustre parfaitement le pouvoir disciplinaire et de punitions corporelles confe´re´ au chef de monaste`re par la Re`gle de saint Benoıˆt. Bien que les traditions orales lui aient fourni les persona videlicet et locus cum tempore de cette histoire, Hucbald transforme cette dernie`re en aedificatio, en contrebalanc¸ant le gouˆ t d’E´ ti- enne pour l’histoire avec sa propre pre´fe´rence pour la lec¸on morale d’un re´cit. En composant la vie de Rictrude, l’essentiel de son dilemme hagiographique est la ne´cessite´ de distinguer entre dubia et certa. Contrairement au cas des saints Cyr et Julitte, il n’a aucun jugement canonique a` suivre. Mais le devoir de ne point pro- mulguer les erreurs reste le meˆme, car la seule certitude e´tait la ve´rite´ catholique. Donc, il construit un portrait sans miracles de Rictrude – comme femme, me`re et veuve – de grande pie´te´ et moralite´ absolue. En utilisant des traditions orales et des longs extraits des auteurs patristiques et historiques, il tisse un speculum feminae, plutoˆ t qu’une Vie hagiographique traditionnelle. Aedificatio pre´vaut sur gesta afin de rejeter les traditions douteuses et d’assurer le triomphe de vera sur falsa. Quant a` la Vie de saint Ame´, e´veˆque de Sion, il est certain que l’auteur savait tre`s peu de choses de lui, sauf ce qu’il aurait appris a` Marchiennes, le deuxie`me lieu d’exil du saint apre`s avoir e´te´ de´pose´ par Thierry III et s’eˆtre re´fugie´ d’abord a` Pe´ronne65. Dans la pre´face, il affirme son manque de compe´tence, mais en meˆme temps il insiste sur sa connaissance de la grammaire et de la rhe´torique66. Et il se tait au sujet de textes ante´rieurs. Il est e´vident qu’il n’en avait aucun. Pour combler cette lacune, Hucbald utilise trois strate´gies litte´raires. En premier lieu, il rempli la Vita de lieux communs hagiographiques: pieux et excellent e´colier, jeune clerc qui fuit les plaisirs du monde et qui suit les lois divines, ensuite l’e´veˆque mode`le. En second lieu, il fait rentrer en sce`ne tous les personnages de la Vie de Rictrude. En troisie`me lieu, il confectionne

65 Contexte historique: Alain Dierkens, Abbayes et chapitres entre Sambre et Meuse, VIIe– XIe sie`cle: contribution a` l’histoire religieuse des campagnes du haut Moyen Aˆ ge, Sigmaringen 1985 (Beihefte der Francia, 14), p. 307–308. 66 Ne cui forte legentium sermo displiceat incultus, imperitiamque scriptoris omnis denotet studiosus initio scedulae, ita votum purgetur idiotae, ut primo praesumptio non culpetur in opere, sed speretur effectus obedientiae, demumque summo reputetur a cordis ardore, quod fit spe mercedis aeternae. Iussus enim fraterni praecepto mandati, potius et exactus amore sancti patris Amati, leges artis grammaticae postposui, necnon rhetoricae utpote nescius curam minime dedi, sed, fidelia fidelis ipse fideliter exequens, simplici locuturus sermone opus injunctum quamvis inepte suscepi. Cat.Brux. 2, p. 44 a` la note 1. La re´e´criture chez Hucbald de Saint-Amand 285 toute une mosaı¨que de citations des Vies de Rictrude, Lebuin, Cassien, et Cyr et Julitte, dont les mots et les phrases sont re´utilise´s en abondance – indication, pour Dolbeau, qu’Hucbald est en fait l’auteur de la Vita Amati67. D’apre`s Dolbeau, la citation d’Hucbald, par Hucbald lui-meˆme, est le caracte`re le plus distinctif de la Vie d’Ame´. Ici, l’auto-citation plutoˆ t que la re´e´criture devient le moyen de travail qui l’aide a` maintenir son but d’offrir aux auditeurs et aux lecteurs un exemplar verita- tis68. La troisie`me Vie d’un saint de Marchiennes qu’il faut mentionner brie`vement est la Vita Jonati, meˆme si l’on peut douter de l’identification d’Hucbald comme auteur69. Dans son e´tat actuel (pre´face, neuf lectiones pour son jour de feˆte et huit pour la comme´moration de sa translation), seule la pre´face est utilisable pour notre ana- lyse70. Ici, l’auteur admet l’absence de sources (materia non apparente) mais pre´cise qu’il puise tout son mate´riau dans la Vie de saint Amand e´crite par Milon. Bien que les de´tails de cette appropriation nous manquent, on peut remarquer qu’Hucbald (s’il en est vraiment l’auteur) donne une explication de cette strate´gie: le transfert d’un texte a` l’autre sert l’objectif de louer le saint. A` la condition qu’il ne fasse rien qui soit e´tranger a` la foi catholique (nihil ... extra fidem catholicam fecimus), tout plagiat hagiographique paraıˆt acceptable. Cette affirmation de sa stricte observance de la foi catholique n’est pas un simple lieu commun, mais une perception re´elle que le travail d’hagiographe contribue au controˆ le des frontie`res de la foi.

En conclusion, Hucbald e´tait spe´cialiste de re´e´criture hagiographique. S’il ne diffe´- rencie pas les saints de l’e´poque me´rovingienne des autres dans sa manie`re de travail- ler, sa de´termination a` pre´senter chaque saint comme home´lie vivante de la vie chre´- tienne, et son habile remaniement de sources de toute sorte, il est ne´anmoins vrai que l’analyse de son œuvre hagiographique sous l’angle de la re´e´criture est la plus fruc- tueuse quand on s’inte´resse aux saints d’un passe´ tre`s lointain – les martyrs. Non seulement en tant que te´moin de leur culte a` l’e´poque carolingienne, mais aussi comme te´moin de traditions manuscrites qu’on ne peut plus, pour la plupart, retrou- ver pour l’e´poque me´rovingienne, Hucbald nous invite a` confronter la re´e´criture des Vitae avec celle des Passiones. Bien qu’il ne garde pas une attitude unique a` l’e´gard des textes ante´rieurs, une seule intention cohe´rente semble l’animer tout le temps: expo- ser la vie catholique et e´difier ses auditeurs et lecteurs de tous aˆges, et de tous e´tats de vie, clercs, laı¨ques, hommes, femmes.

67 Dolbeau, Le dossier hagiographique de saint Ame´ (voir n. 4). 68 Vita Amati, chap. 23, Cat.Brux. 2 (voir n. 57), p. 53. 69 L’attribution a` Hucbald est accepte´e par Franc¸ois Dolbeau, Les hagiographes au travail. Col- lecte et traitement des documents e´crits (IXe–XIIe sie`cle), dans: Martin Heinzelmann (dir.), Manuscrits hagiographiques et travail des hagiographes, Sigmaringen 1992 (Beihefte der Francia, 24), re´imprime´ dans: Franc¸ois Dolbeau, Sanctorum societas (voir n. 4), p. 39, mais rejete´e par Anne-Marie Helve´tius, Abbayes e´veˆques et laı¨ques. Une politique du pouvoir en Hainaut au Moyen Aˆ ge (VIIe–XIe sie`cle), Bruxelles 1994, p. 330 a` la note 97, qui propose une date poste´rieure a` 977. 70 BHL 4447–4448, e´dition incomple`te: AASS Aug. I, p. 73–75; pour les morceaux omis voir Cat.Brux. 2, p. 273–275. 286 Julia M. H. Smith

Vue dans cette perspective, la re´e´criture ne se tient pas en rapport fixe avec les hypotextes. D’une part, elle masque le manque de traditions e´crites de bonne autorite´ ou l’absence totale de renseignements; d’autre part, elle reformule la signification the´ologique, historique et morale du sujet. Les ressources disponibles pour re´aliser ces objectifs varie´s dans la bibliothe`que monastique de Saint-Amand, et aux alen- tours, e´taient conside´rables. Tout ce qu’Hucbald a lu, e´tudie´ ou enseigne´ pouvait eˆtre transforme´ en mate´riau de re´e´criture. La re´e´criture implique non seulement le rema- niement d’un texte hagiographique ante´rieur, l’he´ritage du temps passe´, mais elle entraıˆne e´galement ses propres e´crits, qu’il recycle d’un saint a` l’autre pour combler les traditions lacunaires. Au fond, il importe peu de savoir ce qu’e´tait son hypotexte ou son mate´riau de travail: il les re´e´crit tous, dans un grand projet d’e´dification qui transforme les re´cits des vies des saints en guide de ve´rite´ catholique et de vie chre´- tienne71.

71 Je tiens a` remercier chaleureusement Monique Goullet qui m’a tant aide´e dans la pre´paration de cette contribution ainsi que Christiane Veyrard-Cosme et Graeme Small qui ont relu la version e´crite de mon article. BIRGIT AUERNHEIMER

E´ tude de cas: proposition d’une me´thode de datation de la Vita Aviti fonde´e sur l’analyse syntaxique*

L’e´tude suivante entend montrer l’apport d’une me´thode d’analyse des structures syntaxiques a` la datation de textes, en prenant la Vita Aviti, dont la datation est discute´e depuis longtemps, comme objet de re´flexions. L’hypothe`se qui sous-tend ce travail est la suivante: les versions de la Vita Aviti, BHL 879 et BHL 882, attestent l’e´volution linguistique du latin me´rovingien au latin poste´rieur a` la re´forme carolingienne.

1. LA DATATION DE LA VITA AVITI,UNEQUESTIONDISCUTE´ E

Avitus, abbe´ de Micy, successeur de Maximin, termina sa vie comme ermite et comme responsable d’un petit monaste`re pre`s de Chaˆteaudun en 527. Son corps fut bientoˆt transfe´re´a` Orle´ans, ou` Gre´goire de Tours (573–594) atteste de´ja` une basilique Saint- Avitus1. Il est ainsi e´tabli qu’Avitus a ve´cu a` la fin du Ve et au de´but du VIe sie`cle.

1.1. Pre´misses de la discussion 1.1.1. La discussion au sujet de la datation de la Vita Aviti se fonde sur les pre´misses suivantes: Il existe quatre versions de la Vita Aviti, BHL 879 jusqu’ a` BHL 882. Toutefois, la chronologie des textes est la suivante: BHL 879 – 881 – 880 – 882. – Le texte BHL 879 est le plus ancien2. La seule e´dition comple`te se trouve dans le Catalogus codicum hagiographicorum bibliothecae regiae Bruxellensis3. – Le texte BHL 881, qui est designe´ par C dans l’e´dition de Bruno Krusch pour les MGH4, tire directement son origine du texte 879. Il n’est pas e´dite´. – Du texte BHL 881 de´rive le texte BHL 880 qui correspond au texte B dans l’e´di- tion de Bruno Krusch.

* Je remercie mon cher colle`gue Jean-Jacques Lucke´ pour la traduction de ce texte de l’allemand au franc¸ais. 1 Martin Heinzelmann, art. »Avitus«, dans: Lexikon für Theologie und Kirche I, Freiburg 31993, col. 1320. 2 Cf. Albert Poncelet, Les saints de Micy. Saint Avit, dans: AnalBoll 23 (1904), p. 14–25, ici 17. 3 Cat.Brux., t. 1, p. 57–63. 4 MGH, SRM, t. III, p. 383–385. 288 Birgit Auernheimer

– Et finalement, du texte BHL 880 de´rive BHL 8825. Cette version est publie´e par Godefroid Henschen dans les Acta sanctorum6.

1.1.2. Si Gre´goire de Tours mentionne trois fois Avitus dans ses e´crits, la rencontre entre Avitus et Chlodomir relate´e par Gre´goire ne se trouve pas dans la Vita.

1.1.3. L’auteur de la Vita se fait passer pour un contemporain d’Avitus7. Dans la Vita 879: – L’auteur s’est entretenu lui-meˆme avec un aveugle, gue´ri par Avitus: Quam vir- tutem ab ipso qui caecus fuerat nuper claris oculis referente cognovimus (cap. 8). – L’auteur atteste que l’un des miracles d’Avitus a e´te´ divulgue´ par saint Lubin: Quam rem a sancto beatoque Leobino Carnotinae civitatis episcopo, divulgatam fuisse comperimus (cap. 9). Dans la Vita 882: – L’auteur se fait passer pour un contemporain d’Avitus: E quibus unum, virtutis gloria praedicandum, supernae pietatis dignatio huic mundo nostro attribuit aevo, nomine Avitum8.

1.1.4. Il existe des concordances entre la Vita Aviti et la Vita Leobini. a. Dans BHL 879, Lubin est mentionne´ comme e´veˆque de Chartres, qui a diffuse´ le re´cit du miracle ope´re´ par Avitus (le rappel a` la vie d’un moine de Micy), si bien que l’auteur en a eu aussi connaissance. Mais l’auteur ajoute qu’il serait trop long de raconter tous les autres faits miraculeux de cet homme. b. Dans BHL 882, le lien entre Lubin et Avitus est pre´sente´ de fac¸on plus de´taille´e. Le texte de la Vita Leobini est en partie cite´ mot a` mot: Lubin rend visite a` Avitus avec deux confre`res au chapitre 19 de la Vita Aviti9 ainsi qu’au chapitre 11 de la Vita Leobini10; un moine est te´moin oculaire de l’apparition d’Avitus apre`s sa mort a` Lubin au chapitre 23 de la Vita Aviti et au chapitre 21 de la Vita Leobini11.

1.1.5. Certaines parties de la Vita sont e´tranges. Les e´ve´nements rapporte´s peuvent eˆtre qualifie´s de obscuras et implicatas12: – Il paraıˆt improbable que les moines tiennent leur confre`re Avitus pour stupide, alors qu’ils en font plus tard leur pe`re abbe´. – On a du mal a` croire qu’Avitus soit oblige´ de mettre le soir son pe`re abbe´ au lit, bien qu’il marche sans difficulte´s et se le`ve tout guilleret le matin pour se rendre le plus rapidement possible dans la cellule d’Avitus.

5Poncelet, Les saints de Micy (voir n. 2), p. 17. 6E´ d. Godefroid Henschen, Acta Sanctorum, Martius t. II (dore´navant: AASS Mart. II), p. 282–291. 7Poncelet, Les saints de Micy (voir n. 2), p. 17. 8 AASS Mart. II, p. 284 B. 9 Ibid., p. 289 C. 10 Vita Leobini, cap. IV, e´d. Bruno Krusch, MGH, Auct. Ant. 4/2, 1885, p. 74. 11 Ibid., cap. VII, p. 75. 12 AASS Mart. II, p. 283 B. Proposition d’une me´thode de datation de la Vita Aviti 289

–E´ trange e´galement: le conflit arme´ entre les gens d’Orle´ans et ceux de Chaˆteaudun autour des restes d’Avitus. – Et finalement, on construit une mise´rable cabane du souvenir sur la tombe du tre`s ve´ne´re´ Avitus, que l’on avait enterre´ en grande pompe.

1.2. Interrogations 1.2.1. La Vita Aviti et la Vita Leobini sont-elles du meˆme auteur? Le fait que les citations de la Vita Leobini, dans la version BHL 882, sont introu- vables dans la version BHL 879, semble aller a` l’encontre de cette hypothe`se.

1.2.2. La Vita Aviti est-elle une falsification du IXe sie`cle du monaste`re de Micy? C’est la the`se que Bruno Krusch et Albert Poncelet construisent comme suit: – Les incohe´rences de la Vita impliquent une re´daction de´cale´e dans le temps. – L’abbaye de Micy a suscite´ un grand inte´reˆt au de´but du IXe sie`cle. La re´daction d’une Vita Aviti ne pouvait que renforcer l’autorite´ de cette abbaye. Effectivement, il existe une activite´ hagiographique du monaste`re au IXe sie`cle. – L’auteur de BHL 882 a utilise´ des e´le´ments de la Vie de saint Calais, que l’on ne peut dater que du IXe sie`cle. – On rele`ve des erreurs historiques dans la Vita Aviti. – Dieter von der Nahmer re´fute cette the`se en jugeant l’argumentation insuffisante. Les incohe´rences releve´es par Poncelet prouveraient plutoˆ t la naı¨vete´ de l’auteur. Un faussaire aurait agi de fac¸on plus cohe´rente13, comme le dit Dieter von der Nahmer, dont les arguments sont les suivants: – Les ine´galite´s, qui ne semblent ni retravaille´es ni corrige´es, de´montrent la candeur de l’auteur. – Les personnes nomme´ment cite´es ne sont pas des ce´le´brite´s; un faussaire aurait utilise´ des noms plus connus. – Il est improbable qu’un faussaire de la re´gion d’Orle´ans n’ait pas connu Gre´goire de Tours. – La Vita pre´cise sa datation. Il n’existe pas assez d’arguments allant a` l’encontre de la cre´dibilite´ de cette datation.

1.2.3. La Vita a-t-elle e´te´ re´dige´e aux environs de 600? Jugeant inutile de mettre en doute les indications de date, Dieter von der Nahmer pense que l’auteur e´tait probablement un contemporain un peu plus jeune que Gre´- goire de Tours et Venance Fortunat14. Des erreurs historiques sont loin de prouver que l’auteur soit un faussaire; un faussaire chercherait plutoˆt a`e´viter des erreurs historiques qui pourraient le de´masquer. D’autres chercheurs se sont range´s du coˆ te´ de Dieter von der Nahmer15.

13 Dieter von der Nahmer, Über die Entstehungszeit der älteren Vita S. Aviti, dans: Mittellatei- nisches Jahrbuch 6 (1970), p. 7–13, ici p. 12. 14 Ibid., p. 12. 15 Entre autres, M. Heinzelmann, dans: Lexikon für Theologie und Kirche I (voir n. 1), et Walter 290 Birgit Auernheimer

1.3. Conclusions Si l’on estime que BHL 879 est la plus ancienne des quatre versions, que les autres ont donc e´te´ re´dige´es ulte´rieurement, la plus tardive e´tant l’e´dition du Bollandiste Hen- schen (BHL 882), on ne peut exclure que – comme le dit l’auteur de la Vita – BHL 879 soit effectivement de l’e´poque d’Avitus, bien que cette affirmation de l’au- teur soit traditionnellement prise comme topos dans les versions ulte´rieures. En tout cas, l’auteur de la Vita BHL 882 ne parle pas de l’existence d’un e´ventuel hypotexte qu’il aurait pu utiliser pour sa propre version. Il reste anonyme, tout comme l’auteur de la version BHL 879. La suite logique de cette situation et des conclusions d’Albert Poncelet serait que, quant a` la version BHL 882, il s’agisse d’une vita rescripta, c’est-a`-dire une re´e´criture hagiographique16. L’auteur se consi- de`re comme un correcteur de l’hypotexte, ayant remanie´ et enrichi le texte entre autre e´galement avec des citations de la Vita Leobini.

2. UN NOUVEAU POINT DE DE´ PART L’ANALYSE LINGUISTIQUE PRE´ CISE COMME ME´ THODE POUR VE´ RIFIER L’EXACTITUDE DE L’HYPOTHE` SE

Les justifications d’une datation de la Vita concernent jusqu’a` pre´sent essentielle- ment le contenu et la conception du texte. L’argumentation linguistique n’intervient que de manie`re allusive: Albert Poncelet parle de fautes de langue, qui seraient encore typiques pour le de´but du IXe sie`cle. Cela laisse cependant supposer que l’auteur de la Vita ne savait rien de la re´forme carolingienne. Mais alors pour quel public cet auteur a-t-il e´crit? Dans son argumentation, Bruno Krusch donne quelques rares comparaisons lin- guistiques entre BHL 879 et BHL 882, qui montrent que les divergences linguis- tiques dans BHL 879 sont corrige´es dans BHL 882 selon les re`gles grammaticales. Cela re´ve`le clairement selon lui la version la plus ancienne des deux17. Toutefois, Bruno Krusch, sans poursuivre l’argumentation linguistique, parle d’une falsification du IXe sie`cle, comme le fait Albert Poncelet. Il suspecte l’auteur d’avoir invente´ des te´moignages de contemporains pour accroıˆtre l’autorite´ de la Vita: auctoremque tri- bus saeculis post sanctum degentem sane opus erat, testimoniis aequalium fictis, auc- toritatem suam alioquo modo confirmare18. Cependant, Bruno Krusch ne pre´cise pas si, d’apre`s lui, le faussaire a e´galement falsifie´ le style de l’e´poque d’Avitus. Mais on peut a` nouveau se demander pour quel

Berschin, Biographie und Epochenstil, Bd. II, Merowingische Biographie, Stuttgart 1988, p. 304. 16 Monique Goullet, Martin Heinzelmann (dir.), La re´e´criture hagiographique dans l’Occident me´die´val. Transformations formelles et ide´ologiques, Ostfildern 2003 (Beihefte der Francia, 58), p. 13. 17 Bruno Krusch, dans: MGH, SRM III, p. 380. 18 Ibid., p. 381. Proposition d’une me´thode de datation de la Vita Aviti 291 public ce style a e´te´ employe´, d’autant plus que la langue de l’e´poque me´rovingienne est qualifie´e d’inacceptable du point de vue du IXe sie`cle: il paraıˆt ne´cessaire de cor- riger, c’est a` dire in melius transformare, de tels libros depravatos qui contiennent inconsonantes soloecismos, donc un charabia dissonant19. Est-ce que les rares comparaisons linguistiques pre´sente´es par Bruno Krusch ne conduisent pas a` la simple conclusion que l’auteur de BHL 882 a vu la ne´cessite´ d’e´clairer la langue souvent obscure et re´solument aberrante de l’auteur de BHL 879? C’est un nouvel indice montrant que la version BHL 879 a e´te´ re´dige´e avant la re´- forme carolingienne, la version BHL 882 apre`s cette re´forme. C’est pourquoi on peut formuler l’hypothe`se que les deux versions BHL 879 et 882 de la Vita Aviti attestent l’e´volution linguistique du latin me´rovingien au latin poste´- rieur a` la re´forme carolingienne. Tentons de ve´rifier cette hypothe`se. Pour cela il faut: – d’abord exposer brie`vement le but principal de la re´forme carolingienne; – ensuite justifier et pre´senter la me´thode de recherche; – pour faire apparaıˆtre les diffe´rences syntaxiques a` l’appui de passages choisis du texte: toutefois, comme la Vita BHL 882 est conside´rablement enrichie et retran- scrite par rapport a` la version BHL 879, le choix de phrases comparables reste limite´.

2.1. Perspicuitas, objectif de la re´forme carolingienne Infractions a` la norme, barbarismes et sole´cismes, mots et tournures qui ne sont pas soutenus par des auteurs de base, exage´rations rhe´toriques comme excroissances bizarres des racines traditionelles de la culture rendent les textes ante´rieurs a` la re´- forme carolingienne peu clairs et de ce fait souvent difficilement compre´hensibles. Un style polyvalent et herme´tique obscurcit une compre´hension pre´cise du texte. On l’appelle obscuritas. En revanche, le but de la re´forme carolingienne est la bonne intelligibilite´ du texte; il s’agit de le rendre acceptable pour les lecteurs graˆce a` la perspicuitas et a` la claritas: ... (ut) domenicam orationem ipsi intellegant et omnibus praedicent intelligendam20. C’est pourquoi le but de la re´forme carolingienne est la restitution de ce qui est juste: errata corrigere, superflua abscidere, recta cohortare21 est une base pour l’intel- ligibilite´ et la transparence, la perspicuitas. La restitution des normes n’est pas une fin en soi, mais sert la re´ception des textes. Elle doit garantir leur lisibilite´ et leur pro- pagation. Graˆce a` la perspicuitas, le texte peut, comme le dit Quintilien, recevoir l’approbation des gens cultive´s et eˆtre e´galement clair pour les incultes: ... ita sermo et doctis probabilis et planus imperitis erit22.

19 Karoli Epistola Generalis, MGH, Capitularia regum Francorum, t. I, 1883, p. 80–81. 20 Admonitio Generalis, c. 70, MGH, Capitularia regum Francorum, t. I, 1883, p. 59. 21 Ibid. (pre´face), p. 54. 22 Quintilien, Inst. orat. VIII, 2,22. 292 Birgit Auernheimer

Les pre´alables chez le destinataire sont les connaissances de mode`les syntaxiques, de relations grammaticales a` l’inte´rieur d’un texte, de structures spe´cifiques du genre de texte et dans un cadre de compre´hension commun. Comment atteindre la perspicuitas? Graˆce a` des formulations explicites, on peut e´viter des sources d’incompre´hension. Explicitation, correction grammaticale, struc- turation logique et argumentative garantissent le consensus au-dela` des re´gions. La syntaxe ne doit donc eˆtre ni complexe ni implicite. Une bonne re´ception transparaıˆt, d’une part, dans la propagation des textes et, d’autre part, dans leur intelligibilite´, essentiellement par la syntaxe: l’appre´hension du texte de´pend donc de la compe´tence de l’auteur a` codifier une proposition de fac¸on approprie´e et efficace. En meˆme temps, la syntaxe des textes est d’autant plus facilement compre´hensible que la cohe´- sion du texte est marque´e plus clairement. A` pre´sent, il convient d’examiner les e´ventuelles modifications des structures syn- taxiques entre BHL 879 et BHL 882. Comme il s’agit d’un texte en prose, il faut e´videmment s’attendre a` des corrections de copistes. En revanche, en poe´sie, les variantes linguistiques sont pour ainsi dire prote´ge´es par la me´trique23.

2.2. Quelle me´thode de recherche utiliser? On part de la structure superficielle pour de´couvrir et pre´senter la structure syn- taxique sous-jacente d’extraits de textes. Les re´sultats se doivent d’eˆtre ve´rifiables et il doit eˆtre possible de les visualiser en sche´mas d’unite´s quantitativement saisissables. Il faut que la me´thode utilise´e soit simple, claire, formellement exacte, scientifiquement fonde´e et propre a` la description24. La me´thode de recherche fonde´e sur la Valenz- grammatik offre la possibilite´ de re´duire des structures complexes a` des structures de base simples en pre´sentant de fac¸on hie´rarchique les expressions perc¸ues line´aire- ment. Le mode`le a les avantages suivants: – Il de´couvre la structure hie´rarchique de la phrase. – Il peut e´galement rendre comple`tement visible dans leur structure meˆme les phra- ses les plus complexes. – La position de chaque mot est reconnaissable dans le Stemma. – On peut le comprendre facilement, parce qu’il reste assez proche des me´thodes traditionnelles d’analyse et de traduction de phrases latines. La cle´ de la compre´- hension d’une phrase latine est de poser des questions sur cette phrase en partant du verbe. Cela laisse supposer l’ide´e que chaque phrase est construite hie´rarchi- quement a` partir du verbe.

23 Cf. Berschin, Biographie und Epochenstil, Bd. II (voir n. 15), p. 286. 24 Paul Barie´, Phrasenstruktur und Dependenzrelation. Überlegungen im Vorfeld einer lateini- schen Syntaxtheorie, dans: Der altsprachliche Unterricht 16 (1973), p. 65–119, ici p. 75 et 84; Birgit Auernheimer, Die Sprachplanung der karolingischen Bildungsreform im Spiegel von Heiligenviten. Vergleichende syntaktische Untersuchungen von Heiligenviten in verschiedenen Fassungen, vor allem der Vita Corbiniani, auf der Basis eines valenzgrammatischen Modells, Munich 2003, p. 53. Proposition d’une me´thode de datation de la Vita Aviti 293

– Il s’agit d’une me´thode peu formalise´e rendant les symboles facilement reconnais- sables. – Il existe une se´paration conceptuelle entre syntaxe et morphologie. C’est pourquoi des divergences de terminaisons n’ont gue`re d’importance. Qu’est-ce qui ne peut pas eˆtre expose´ avec cette me´thode? – La me´thode ne peut fonctionner que si l’on suppose que des e´le´ments ne sont pas toujours exprime´s concre`tement dans la phrase, mais souvent implicitement. – Des aspects de l’ordre des mots, qui dans la langue latine a une signification plutoˆt stylistique, ne sont pas pre´sentables. – On ne peut pas montrer les variantes des terminaisons. – Les diffe´rences du choix des mots ne sont pas perceptibles. Ce n’est pas sur l’ordre des mots, les figures rhe´toriques ou le vocabulaire des textes que porte la recherche dans le cas qui nous inte´resse.

2.3. Comment fonctionne le mode`le de la Valenzgrammatik pour analyser des structures syntaxiques? J’ai pre´sente´ de fac¸on de´taille´e la me´thode d’analyse dans mon livre »Die Sprach- planung der karolingischen Bildungsreform im Spiegel von Heiligenviten«25. Pour ce qui nous inte´resse ici, je me contenterai de re´sumer quelques aspects fondamentaux, indispensables a` la compre´hension des phrases analyse´es dans la Vita Aviti. Exami- nons donc l’une des dix phrases analyse´es, pre´cise´ment la phrase trois de la Vita BHL 88226.

2.3.1. Voici l’axiome de base. Le verbe est le centre structurel de la phrase, le noyau verbal (der verbale Kern), qui est marque´ dans le Stemma par VK. Le verbe a Valenz, c’est-a`-dire, par convention, la faculte´ grammaticale d’ouvrir un certain nombre de postes vacants, qui doivent eˆtre occupe´s par des sous-classes grammaticalement et se´mantiquement de´termine´es d’une classe de mots27 (voir fig. 1, p. 297).

2.3.2. Ergänzungen et freie Angaben Toutefois, une phrase ne doit pas eˆtre ne´cessairement constitue´e du verbe avec les postes vacants ouverts, mais d’autres constituants peuvent s’y joindre, les freie Anga- ben. Dans la structure superficielle, donc au plan des chaıˆnes terminales, on ne peut d’abord les distinguer des postes vacants ouverts par le verbe; on les distingue par rapport a` leur fonction syntaxique. – Ergänzungen remplissent des postes vacants ouverts par le verbe, elles sont lie´es a` la Valenz du verbe. Elles sont marque´es de la lettre E avec un additif classifiant.

25 Auernheimer, Die Sprachplanung der karolingischen Bildungsreform (voir n. 24), p. 47–102. 26 Les phrases seront pre´sente´es plus loin, en 2.4. 27 Norbert Richard Wolf, Skriptum zum sprachwissenschaftlichen Seminar II, Würzburg 1978, p. 9. 294 Birgit Auernheimer

– Angaben sont sur le plan logique des propositions propres, qui s’ajoutent au reste de la phrase. Ce sont des Prädikationen sur le reste de la phrase, pour ainsi dire la phrase sur la phrase. La preuve d’e´limination et la preuve avec un Pro-Verb servent a` classifier ces membres de phrase. Les Angaben sont marque´es de la lettre A dans le Stemma. On peut de´finir ces constituants de la phrase en utilisant des ope´rations linguistiques comme la preuve d’e´limination, la preuve par la modification de l’ordre des mots, la preuve de remplacement (voir fig. 2, p. 297).

2.3.3. Les e´le´ments primaires et secondaires de la phrase On distingue les e´le´ments primaires de la phrase des secondaires: les e´le´ments primaires sont soit des Ergänzungen, soit des Angaben. Les e´le´ments secondaires sont des constituants des e´le´ments primaires. Ils s’appellent des Attribute. Dans le Stemma ils apparaissent sous le sigle Attr (voir fig. 3, p. 297).

2.3.4. La re´alisation des e´le´ments de phrase Chaque e´le´ment de phrase peut eˆtre re´alise´ par un mot individuel ou par un syn- tagma, mais aussi eˆtre de´veloppe´ en des structures de´rive´es ou implante´es: – Une phrase peut eˆtre de´ploye´e de fac¸on paratactique comme e´nume´ration ou anti- the`se. – Une phrase peut eˆtre attribue´e de fac¸on hypotactique. – Une phrase peut eˆtre ame´nage´e par verbalisation (l’implantation d’une structure de base comme Satzgliedsatz dans une autre structure de base) (voir fig. 4, p. 297).

2.3.5. La verbalisation comme Satzgliedsatz De ce fait, il y a des Ergänzungssätze, Angabensätze et Attributsätze. Elles sont marque´es par ES, AS et AttrS. Ces phrases sont constitue´es a` nouveau de constituants et un nouveau verbaler Kern (noyau verbal) entraıˆne d’autres Ergänzungen. La structure de la phrase devient complexe.

2.3.6. Les groupes impersonnels En latin, les Satzgliedsätze peuvent eˆtre abre´ge´es en groupes impersonnels, comme les constructions participiales, marque´es par PK, les constructions avec le gerundium, marque´es par GK, et avec le gerundivum, marque´es par GvK, et finalement les cons- tructions infinitives, marque´es par IK. – Le participium coniunctum PK de´pend d’un e´le´ment de phrase primaire ou secon- daire de la phrase supe´rieure. Il ouvre a` son tour de nouveaux postes vacants (voir fig. 5, p. 298). – L’ablativus absolutus, marque´ par A (a.a.) n’est ni Ergänzung ni Attribut d’une Ergänzung dans la phrase supe´rieure, mais une Angabe. – La construction infinitive IK peut re´aliser une Ergänzung de la phrase supe´rieure, l’infinitif comme noyau ouvre alors a` son tour de nouveaux postes vacants. – La construction accusativus cum infinitivo, en franc¸ais la proposition infinitive, remplit le plus souvent le poste vacant de la Ergänzung a` l’accusatif, marque´e par Eakk=IK(AcI). L’accusatif est alors grammaticalise´, et de ce fait le AcI peut e´ga- lement remplir le poste vacant Nominativergänzung, Enom. Proposition d’une me´thode de datation de la Vita Aviti 295

La verbalisation en groupes impersonnels produit la plus grande complexite´ et densite´ d’informations. Pour ve´rifier la complexite´ d’une phrase, il faut donc avant tout examiner le genre et la position des structures de´rive´es28.

2.3.7. Le Stemma A` l’inte´rieur du Stemma, les Stufen, les niveaux marque´s, donnent des e´claircisse- ments sur la structure hie´rarchique de la phrase. – Les relations de de´pendance sont marque´es par des fle`ches, les relations entre les constituants par des lignes. – Les stuctures, dont les e´le´ments sont relie´s sans interruption par des fle`ches, mont- rent durchgängige Abhängigkeiten, des de´pendances ininterrompues. Dans notre phrase mode`le, nous avons trois durchgängige Abhängigkeiten.

Les symboles utilise´s dans les Stemmata figurent dans le tableau suivant, donne´ en allemand.

Zusammenstellung der Symbole in der stemmatischen Darstellung

1. Zahlen und Linien Zahlen links kennzeichnen die durch Dependenzpfeile verbundenen Stufen vertikale Linien kennzeichnen Konstituenzrelationen vertikale Pfeile kennzeichnen Dependenzrelationen horizontale Linien kennzeichnen Ausfaltung oder Nebenordnung

2. Abkürzungen und Symbole S Satz 0 Ellipse (v.a. nicht explizit realisierte Enom)

Verbale Kerne VK finite Verbform als verbaler Kern IK infiniter verbaler Kern PK partizipialer verbaler Kern GvK Gerundiv als verbaler Kern GK Gerund als verbaler Kern

28 Auernheimer, Die Sprachplanung der karolingischen Bildungsreform (voir n. 24), p. 85. 296 Birgit Auernheimer

Primäre Satzglieder Enom Ergänzung im Nominativ Egen Ergänzung im Genitiv Edat Ergänzung im Dativ Eakk Ergänzung im Akkusativ Eabl Ergänzung im Ablativ Epräp Ergänzung mit fester Präposition Eadv Ergänzung mit Präposition Epräd Prädikative Ergänzung Einf Infinitiv als Ergänzung E(nom)akk Nominativergänzung, im AcI als Akkusativergänzung realisiert E(präd)akk Prädikative Ergänzung, im AcI als Akkusativergänzung realisiert E(nom)abl Nominativergänzung, in der A( a.a.) als Ablativ realisiert A Angabe

Sekundäre Satzglieder Attr Attribut Präd Prädikativ in attributiver Position

Ausgebaute Satzglieder = realisiert als abgeleitete Struktur Satzgliedsätze: ES Ergänzungssatz AS Angabesatz Attr.S Attributsatz Attr.S (rel) Relativsatz

Verkürzte Gliedsätze IK als Infinitivkonstruktion realisiertes Satzglied PK als Partizipialkonstruktion realisiertes Satzglied GvK als Gerundivkonstruktion realisiertes Satzglied GK als Gerundkonstruktion realisiertes Satzglied (AcI) AcI – Konstruktion (NcI) NcI – Konstruktion A(a.a.) Ablativus absolutus Proposition d’une me´thode de datation de la Vita Aviti 297

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2.4. Analyse et comparaison de dix phrases extraites de BHL 879 et de BHL 882 Dans les dix phrases suivantes le texte de BHL 879 apparaıˆt comme hypotexte de BHL 882. Elles ont e´te´ analyse´es selon la me´thode pre´sente´e.

BHL 879 BHL 882 I. Kap. 1 (p. 57, 18–21) p. 284 D/E Natum illum fore beatum nocturno tempore Nam hora nativitatis ejusdem tanti luminis cum magno splendore veridica relatione fulgor inibi micuit, ut obstetrices pavore compertum est, ita ut obstetricum subito perculsae nimio, procumberent solo. dilapsum hospitio lumen coeleste tegeret famulatum, et tanti miraculi stupore perculsae pavescerent intuendum.

II. Kap. 3 (p. 57, 35–37) p. 286 B Accidit autem die quadam cum ipse famulans In sequenti nocte contigit, ut cum B. Avitus singulariter semper ut consueverat abbatem Abbatem, pro more singulariter ei serviendo, in thoro deponere, accipiens cingulum clavesque lecto collocasset, cellarii claves cingulo innexas, colligans, capiti cauta manu supposuit, capitio ejus clanculo supponeret. Domno itaque onereque relicto se Calauniae locis Abbate, atque aliis iam soporis oppressione abditissimis collocare (festinavit) et vilibus gravitatis, citissime ruptis deliberationum contextam virgultis cellulam sibi contegere, morulis, pedem a monasterio extulere. quae decem aut amplius fere a monasterio milibus aberat.

III. Kap. 3 (p. 58, 3, 4) p. 286 B/C Cumque abbas ad canendas laudes matutinas Cum vero praedictus abbas, ad explendi ex more surgeret, cingulo dilapso resonant celebrationem officii, surgeret ex more, instrumenta cellarii. apprehenso cingulo claves ei invicem copulatae tinnitus reddidere sonum.

IV. Kap. 4 (p. 58, 12,13) p. 287 B Ingrata sub fasce humilitas sublimata Videbatur enim ei quod ita Abbatis premeretur gemiscit et causas contubernii compescendas nomine, ac si magni ponderis gravaretur mole. vix bonitas insueta consuescit. 300 Birgit Auernheimer

V. Kap. 4 (p. 58, 17–21) p. 287 B/C Illic spontaneus extruditur in deserto, Quo in loco, tot mentis desiderio manere exiguamque sibi ex corticum fragmento cupientes, modici tugurii claustrum, suae christicola providus erigens domum, longe a habitationi congruum, construxerunt. villarum culmine Dei famulus clandestinum fuerat consecutus exilium.

VI. Kap. 5 (p. 58, 31–33) p. 288 B Ubi vero ad tugurium beati viri usque Qui cum ad servi Dei habitaculum, quoniam ea pervenit, in limine fixus balbutiensque in parte signum lucernae conspexerat, protensa cortice duris gemitibus lumen sibi pervenisset; haerens in limine, quia verbis non innuit commodandum. poterat, nutibus accommodari sibi ignem petebat.

VII. Kap. 5 (p. 58, 33 – p. 59, 2) p. 288 B/C Sanctus autem postquam in umbrifera nocte Cuius incertae petitionis signum famulus Dei tetrum facie, crine deformem, atque exiguis considerans, timore perterritus, a pannorum drappiculis semitectum inspexit, Daemoniorum credidit portentis attentari. formidinis metu perterritus, autumans se de Erat enim hujuscemodi formae mutus, ut ex eo horrendae solitudinis vastitate a portentis caperetur conjectura talis: crine siquidem silvestribus attentari et inter nocturnas deformi squallidus, amictu sordidatus, totoque tempestates daemonem affuisse consortem, vultu incompositus. mox ad orationis arma ex ritu conversus, solo Ex ritu vero suae operationis servus Dei ad defixus incubuit, diuque multumque Deum arma conversus orationis, solo incumbens, Dei deprecans fletibus oravit utrum si ex parte misericordiam aliquamdiu intima mentis prece diabolica an catholicae legis ipsum imago postulare coepit, utrum phantasma esset, an torvida fuisset aggressa ut suo imperio humanae rationis consors, requisitus a se vocis ostenderet, et nullis se artibus ille occultaret, propriae explanationem manifestaret; nisi ut interrogatus genus et opera declararet. Proposition d’une me´thode de datation de la Vita Aviti 301

VIII. Kap. 5 (p. 59, 7–10) p. 288 Mox ad imperantis verba insontis lingua Mox ad imperantis jussum muti lingua dissolvitur, voxque faucibus innovatur, et resovitur, atque ordinata narratione exposuit necessitas petitionis et genus exponitur, et quod petierat. Igitur petitione duplex donum majora sibi suggerit meruisse quam nutibus promeruit, ut qui lumen sine voce quaesierat, visus fuerat supplicasse, in tantum ut qui vocem referret cum lumine. lumen petiit vocem referret sine mercede.

IX. Kap. 9 (p. 61, 6–8) p. 289 B/C Monachi ex confabulantium murmure Quorum alterna confabulatione, qui suscitati obstupefactique de coelesti miraculo, dormierant, excitati, tanti eventus recognita tenebantur affixi quod mortuus sancto Avito tenebantur perculsi. inferre fabulas cerneretur.

X. Kap. 11 (p. 61, 34–35) p. 289 F Plebs quidem Dunensium abbatis sui corpus Plebs namque Dunensium, quoniam eum in cupiebat suo privilegio vindicare. supradicta eremo vicinum habuerat, suae parti pro merito vindicari asserebat.

2.4.1. Les mode`les de phrases, avec commentaire des mode`les de phrases Premie`re phrase de BHL 879 Le myste`re de la naissance d’Avitus semble illustre´ par une expression complexe: la coordination tegeret et pavescerent est peu claire. Comment faut-il comprendre intuendum? comme gerundium a` la place de l’infinitif? comme Akkusativergänzung Eakk de pavescerent? La phrase contient quatre verbalisations, la dernie`re au niveau cinq, et trois durchgängige Abhängigkeiten (voir fig. 6, p. 305).

Premie`re phrase de BHL 882 La phrase est clairement marque´e dans les rapports logiques et syntaxiques, les expressions fulgor luminis tanti et nativitatis eiusdem sont meˆme surmarque´es. La construction obscure famulatum obstetricum dilapsum hospitio est codifie´e comme une information claire dans le Attributsatz. La phrase contient deux verbalisations, la dernie`re au niveau sept, et six durchgängige Abhängigkeiten (voir fig. 7, p. 306).

Deuxie`me phrase de BHL 879 Les actions ne sont pas clairement marque´es par les trois participia coniuncta coordonne´s. Dans son ensemble, la phrase est complique´e en raison de son extreˆme tension. La structure de accipiens cingulum clavesque colligans est confuse: a` cause de la pre´sence de –que, colligans ne peut pas eˆtre pris comme Attribut de cingulum et claves ne peut pas eˆtre Akkusativergänzung, ce qui semble pourtant en eˆtre le sens. Dans l’e´dition BHL, festinavit est comple´te´: mais accidit est construit ici avec une construction accusativus cum infinitivo correcte avec une construction infinitive 302 Birgit Auernheimer de´ploye´e collocare et contegere. La phrase pre´sente onze verbalisations, dont la der- nie`re est au niveau six, et cinq durchgängige Abhängigkeiten (voir fig. 8, p. 307).

Deuxie`me phrase de BHL 882 La phrase monstrueuse est ici re´partie sur deux phrases: la premie`re phrase corres- pond au Angabesatz commenc¸ant par cum avec quatre durchgängige Abhängigkeiten et quatre verbalisations. La deuxie`me phrase explicite relicto onere par un ablativus absolutus, ajoute cependant un autre aspect du contenu en un deuxie`me ablativus absolutus. En revanche, la construction de la cellule manque ici au contenu. Contigit, ut est plus facile a` comprendre que accidit avec accusativus cum infinitivo. La phrase introduite par cum est corrige´e par le subjonctif. La construction avec ge´rondif avec ses Angaben est classe´e sans doute aucun, contrairement a` famulans et aux e´le´ments qui lui sont attribue´s dans BHL 879. La relation grammaticale est clairement marque´e dans claves cellarii innexas cin- gulo. L’ensemble de la phrase comporte deux durchgängige Abhängigkeiten et deux verbalisations (voir fig. 9, p. 308).

Troisie`me phrase La structure de base des deux phrases est concordante, le Gerundiv au niveau le plus bas e´tant repris en BHL 882, meˆme si ce n’est pas textuellement. Mais BHL 882 paraıˆt d’abord plus complique´. La` cependant, les contenus sont explicite´s: instru- menta cellarii par la verbalisation claves copulatae ei invicem, resonant par reddidere sonum tinnitus, et abbas par abbas praedictus. Le sens des deux phrases est diffe´rent: dans un cas, la ceinture est dilapso, dans l’autre apprehenso. Dans BHL 879 nous voyons deux durchgängige Abhängigkeiten et trois verbali- sations, dans BHL 882 trois durchgängige Abhängigkeiten et quatre verbalisations (voir fig. 10 et 11, p. 309).

Quatrie`me phrase Les deux phrases ne se correspondent dans leur contenu que partiellement. Dans le Ergänzungssatz, de´ploye´ en BHL 882, les e´ve´nements sont pourtant pre´sente´s d’abord concre`tement, et ensuite interpre´te´s comme construction paralle`le. L’ellipse du sujet est commune aux deux phrases partielles. Dans BHL 879, nous voyons deux durchgängige Abhängigkeiten et pas de ver- balisation, dans BHL 882 quatre durchgängige Abhängigkeiten et deux verbalisati- ons paratactiques (voir fig. 12 et 13, p. 310).

Cinquie`me phrase La structure en BHL 882 est manifestement clarifie´e par rapport a` BHL 879: les actions sont rassemble´es en une phrase. L’accumulation inutile des Nominativergän- zungen pour une seule et meˆme personne spontaneus, famulus, christicola est corri- ge´e. Dans BHL 879, nous voyons cinq durchgängige Abhängigkeiten et une verbali- sation, dans BHL 882 quatre durchgängige Abhängigkeiten et deux verbalisations (voir fig. 14 et 15, p. 311). Proposition d’une me´thode de datation de la Vita Aviti 303

Sixie`me phrase Dans BHL 879, la de´claration est comprime´e jusqu’a` l’incompre´hensibilite´ par des verbalisations. Nous voyons trois durchgängige Abhängigkeiten et quatre verbali- sations. Dans BHL 882, la structure est alle´ge´e. Le Angabesatz, introduit par quoniam, marque la connection avec des de´clarations ante´rieures, instaure donc la cohe´sion; la construction avec gerundivum est re´solue en accusativus cum infinitivo, le contenu de nutibus est clarifie´ par le Angabesatz introduit par quia. Nous voyons trois durch- gängige Abhängigkeiten et cinq verbalisations (voir fig. 16 et 17, p. 312).

Septie`me phrase de BHL 879 L’auteur a sans doute voulu mettre en sce`ne toutes ses connaissances rhe´toriques aux de´pens de la compre´hensibilite´. On peut trouver ici treize verbalisations, mais ordonne´es de fac¸on plus additive que hie´rarchique. La dernie`re partie de phrase, le Ergänzungssatz introduit par nisi ut, reste a` mon sens peu claire dans sa classification syntaxique. On pourrait l’interpre´ter comme de´ploiement du Ergänzungssatz avec le verbe occultaret ou comme un Angabesatz a` ce Ergänzungssatz , ce qui complique encore davantage la structure. Nous voyons cinq durchgängige Abhängigkeiten (voir fig. 18, p. 313 et fig. 19, p. 314).

Septie`me phrase de BHL 882 Et nous voici en pre´sence de trois phrases. La premie`re phrase pre´sente la phrase principale de incubuit a` horrendae de la Vita BHL 879 sous une forme simplifie´e. La deuxie`me phrase pre´sente le Angabesatz, introduit par postquam. Elle contient des mots redondants, qui expliquent la cohe´sion du texte: talis, huiuscemodi. La troisie`me phrase explicite et ordonne les informations a` partir de mox ad orationis.A` cette occasion les constructions participiales conversus et defixus de la premie`re partie de la phrase en BHL 879 sont place´es dans la troisie`me phrase de BHL 882. Cependant, je n’ai toujours pas trouve´ de solution satisfaisante pour pre´senter le Attributsatz, introduit par utrum, qui est une interrogation indirecte double. En raison de ses sept durchgängige Abhängigkeiten la construction de la phrase est tre`s contraignante. Le ut fait de´faut devant manifestaret. Nous voyons huit verbalisations (voir fig. 20, p. 315, fig. 21, p. 315, fig. 22, p. 316).

Huitie`me phrase La premie`re phrase dans BHL 882 est un remaniement de la phrase de BHL 879 jusqu’a` exponitur. Les trois phrases principales coordonne´es sont grammaticalement clarifie´es, lingua et vox sont contracte´s en une Nominativergänzung. La substanti- vation necessitas et genus petitionis est clairement formule´e narratione ordinata comme phrase objet. Dans la deuxie`me phrase de BHL 882 suggerit meruisse est devenu promeruit dans BHL 879. Le ›Attributsatz‹ quam visus fuerat, dans lequel l’auteur de BHL 879 a rendu la de´claration extreˆmement dense, est de´ploye´ en BHL 882, si bien qu’il est facile a` comprendre. La phrase commenc¸ant par ut explicite la ›Akkusativergänzung‹ donum. C’est pourquoi elle est conside´re´e dans le Stemma comme Attributsatz, introduit par ut et de´pendante de la ›Akkusativergänzung‹ donum. 304 Birgit Auernheimer

Dans BHL 879, nous voyons cinq durchgängige Abhängigkeiten et cinq verbali- sations, dans BHL 882 quatre durchgängige Abhängigkeiten et trois verbalisations (voir fig. 23, p. 317 et fig. 24, p. 318).

Neuvie`me phrase Voici une exception par rapport a` toutes les autres phrases: ici BHL 882 paraıˆt moins clair que BHL 879. Ce dernier est plus explicite par l’emploi de monachi comme Nominativergänzung, mais seules les constructions participiales sont de´pen- dantes. Le Angabesatz, introduit par quod dans BHL 879, de´veloppe la raison, qui n’est qu’esquisse´e par la Ablativergänzung dans BHL 882. Dans BHL 879, nous voyons quatre durchgängige Abhängigkeiten et cinq verba- lisations, dans BHL 882 quatre durchgängige Abhängigkeiten et quatre verbalisa- tions (voir fig. 25 et fig. 26, p. 319).

Dixie`me et dernie`re phrase Ici, BHL 882 est a` nouveau indiscutablement plus explicite: Le Angabesatz, intro- duit par quoniam, apporte l’explication de la conduite des gens. Il indique la cohe´sion du texte par l’expression in eremo supradicta. Dans BHL 879, nous voyons quatre durchgängige Abhängigkeiten et une verba- lisation, dans BHL 882 deux durchgängige Abhängigkeiten et deux verbalisations (voir fig. 27 et 28, p. 320). Proposition d’une me´thode de datation de la Vita Aviti 305 )(.3)& ? ? (. (!!!!!!!!!!!!!!!!!!!-. > + #!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!$ $),* 2(*$( > '- + !'( !!' # - "# !! ( > $),- - + + ? >+ ** . ** )'% ? $ ?+ !!!!!!!!!!!!!!!5!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! ? %!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! ? '*)&!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!* #!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!$ + !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!$ -%!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!&- '- ? ./ + !3-, ** # %, %*'- - ! )&!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!*)7- @ !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! !!!!! !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!$!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!%&'( +? !!! !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! ++ &), -$)&!! 1!!!!!!! ? ?> =+ +!!!!!!!!!!!!$ !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!5!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!( ( ? !) ? ** ( > ?+ !0- (4( (!%7* , ? ? ! +!!!!!!$ $ ** ' "# $ (!!!! > +!!!!!!!!!!!!!!!%&'(!!!!!!!!!!%, 4.%!!!!!!!!!!,)&(.!!!!!!!!!!!! ** + (!$)&!*',(.3% .%!!!& > > +!!!!!!!!$ ) ? ** (&'% ? * )( !!!!!!!!!$!!!!!!!!!!!!!$!!!!!!!!!!!!!!!!!!$ ? ++ )& #!)$ +? ( ! ' (!. )&!!!!!!!!!!!!!.%$ +!!!!!!!!!!!!!!!!!!!$ )&!(* > ** % +? >? = ! !"# !!$ # !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! ( ! !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!-,,)&!!!!!!!!!!!!!!! + -%.(!!!!!!!!!!!!!! +!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!%)&'(*, -3-$ +? ** > (, $ $!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!%&'( > 6!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!7( !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! !!2- :!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 9!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! 8!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!$%(,(* /! !! !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!" #!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!! !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!$%&'( +! 306 Birgit Auernheimer

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3. E´ VALUATION DES RE´ SULTATS ET CONCLUSION

Revenons a` pre´sent sur notre hypothe`se. Le latin me´rovingien pre´sente des de´viati- ons re´gionales et personnelles par rapport a` la norme linguistique; on repe`re trop souvent aussi chez les auteurs une tendance a` mettre en avant leurs connaissances rhe´toriques. C’est ainsi que nous trouvons des passages d’une rhe´torique exube´rante a` coˆ te´ d’une langue contraire a` la norme. C’est pourquoi les textes paraissent souvent obscurs. Si l’on e´tablit une comparaison avec la version du texte poste´rieure a` la re´forme carolingienne, dont le but est la perspicuitas, l’obscuritas du latin me´rovingien se manifeste tre`s nettement. A` la lecture de la Vita BHL 879 on remarque tout parti- culie`rement des phrases que l’on a mises en paralle`le avec les phrases correspondantes de BHL 882, et qui sont dans un premier temps inabordables en raison de leur com- plexite´. Ce faisant, nous avons pu trouver des indices qui montrent que BHL 882 se fonde jusque dans les termes sur BHL 879, alors que la syntaxe dans BHL 882 a e´te´ clarifie´e par rapport a` celle de BHL 879. Ainsi le texte devient transparent, c’est a` dire accep- table pour le lecteur. Si l’on compare la structure syntaxique des phrases pre´sente´es, il apparaıˆt distinc- tement que dans BHL 882 la cohe´sion du texte est le plus souvent mieux marque´e que dans BHL 879. On e´vite ainsi l’ambiguite´ et l’on pre´vient des malentendus. La cohe´sion de texte est marque´e par: – des relations claires a` l’inte´rieur des phrases, par exemple par des pronoms et des terminaisons verbales; – par un lien se´mantique des phrases et des e´le´ments de phrases autant que possible indubitable, par exemple par des conjonctions, des adverbes et des pronoms de´monstratifs; – des formes verbales personnelles plus explicites que les impersonnelles: des for- mulations sous forme de Angabesätze sont, par exemple, plus transparentes que la re´alisation comme constructions participiales. Des groupes impersonnels dans BHL 879 sont de ce fait de´ploye´s en Satzgliedsätze dans BHL 882. BHL 882 s’ave`re ainsi comme la version corrige´e et e´largie de BHL 879. La struc- ture syntaxique laisse penser que la re´daction de la Vita BHL 879 est ante´rieure a` la re´forme carolingienne, alors que la structure syntaxique de la Vita BHL 882 rend vraisemblable une re´daction poste´rieure a` la re´forme carolingienne. En conclusion, pour citer encore une fois l’auteur de la Vita BHL 882 dans la huitie`me phrase pre´sente´e, ce texte a e´te´ redige´ narratione ordinata29.

29 Phrase VIII.

INDEX DES MANUSCRITS

Les aste´risques indiquent les pages ou` les manuscrits apparaissent uniquement dans les notes en bas de page. Alenc¸ on BM 12 p. 118, 121–123 Douai BM 151 p. 190 Arras BM 14(23) p. 190 Douai BM 836 p. 112* Arras BM 344(961) p. 190 Douai BM 837 p. 190 Arras BM 573(462) p. 190 Douai BM 848 p. 191 Arrouaise, perdu p. 190 Douai BM 867 p. 189 Avranches BM 167 p. 75* Düsseldorf Universitätsbibl. Fragment K 2 p. 45* Bamberg Staatsbibl. Patr. 134 (B.V.25) Düsseldorf Universitätsbibl. M.Th.u.Sch. p. 109, 117* 29a p. 45* Berlin Staatsbibl. Preuß. Kulturbesitz, Theol. Lat. Fol. 706 p. 191 Gand Bibl. Univ. 244 p. 112 Bern Burgerbibl. 50 p. 219* ’s-Gravenhage Konink. Bibl. I.3 p. 188 Bologna Bibl.Universitaria 1702 p. 266 ’s-Gravenhage Konink. Bibl., Museum Boulogne-sur-Mer BM 107 p. 112 Meermanno-Westreenianum 10 B 2 p. 71* Bourges BM 36 p. 256 Brugge Stedelijke Bibl. 404 p. 190 Heidelberg Universitätsbibl. 1613 p. 265* Bruxelles Bibl. des Bollandistes, Coll. Boll. 209 p. 257 Karlsruhe Bad. Landesbibl. Aug. 136 Bruxelles Bibl. Royale (BR) 98–100 p. 168, p. 104*, 232* 188 Karlsruhe Badische Landesbibl. Aug.perg. Bruxelles BR 1820–1827 p. 252* 32 p. 226* Bruxelles BR 5374–5375 p. 70*, 259 København Kongelige Bibl., Thott in-folio Bruxelles BR 7482 p. 171*, 189 133 p. 120* Bruxelles BR 7984 p. 167, 188, 257 Köln Hist. Archiv W 163 p. 171*, 189 Bruxelles BR 8216–8218 p. 36*, 223* Bruxelles BR 8550–8551 p. 76* Laon BM 298 p. 224* Bruxelles BR 9070–9077 p. 190, 191 London British Library (BL) Addit. 17357 Bruxelles BR 9289 p. 234* p. 110* Bruxelles BR 9636 p. 167, 188 London BL Cotton Nero E. I p. 173, 190 Bruxelles BR 18018 p. 190 London BL Harley 28001 p. 168, 189 Bruxelles BR II 992 p. 171*, 189 London BL Harley 5041 p. 76* Bruxelles BR II 1151 p. 190, 191 Luxembourg Bibl. Nat. 97 p. 171*, 189 Bruxelles Museum Bolland. 14 p. 252* Metz BM E 99 p. 265* Cambrai BM 856 p. 190 Metz Grand Se´minaire p. 74* Cambrai BM 864(767 II) p. 191 Milano Bibl. Ambrosiana E 84 p. 253, 254 Cambrai BM 865(768) p. 180, 191 Montpellier Bibl. Univ. Fac. Me´d. H55 Cambrai BM 1224(1097 et 1209) p. 45*, 53–54, 70*, 72–73, 79*, 219*, 226*, p. 190 231*, 232, 233* Cambrai BM 1338 (1190) p. 190 Montpellier Bibl. Univ. Fac. Me´d. M48 Cambron, perdu p. 190 p. 195 Chartres BM 16 p. 36*, 75* Montermoyen, colle´giale, perdu p. 82 Chartres BM 27 p. 188 München Bayerische Staatsbibl. (BSB) Clm Chaumont BM 7 p. 103 3514 p. 12, 62, 219*, 226* Clermont-Ferrand BM 147 p. 52* München BSB Clm 4554 p. 44*, 45*, 61*, Clermont-Ferrand BM 148 p. 52* 79*, 226* 324 Index des manuscrits

München BSB Clm 5508 p. 228* Rouen BM 1406 (Y. 41) p. 250 München BSB Clm 6393 p. 223* München BSB Clm 14364 p. 167, 188 Saint-Claude, cod. Iurensis, perdu p. 75 München BSB Clm 14387 p. 257 Saint-Omer BM 716 p. 190, 264 München Universitätsbibl. 4° Cod.ms.3 Saint-Omer BM 764 p. 112 p. 219* Saint-Omer BM 765 p. 71* Saint-Omer BM 791 p. 257 Newcastle University Library 1 p. 173*, Saint Petersburg Publ.Bibl. Lat. F. I 12 190 p. 57*, 219* Salzburg Stiftsbibl.St.Peter Cod. a VII 2 Oviedo cod. a.1098, perdu p. 49* p. 228* Salzburg Stiftsbibl.St.Peter Cod. a VIII 25 Paris BNF Baluze 144 p. 75* p. 223* Paris BNF lat. 528 p. 70* Salzburg Stiftsbibl.St.Peter Cod. a IX 16 Paris BNF lat. 752 p. 129 p. 228* Paris BNF lat. 2109 p. 226* Salzburg Stiftsbibl.St.Peter Cod. a X 23 Paris BNF lat. 2445A p. 250 p. 228* Paris BNF lat. 3820 p. 129 Sankt-Gallen Stiftsbibl. 397 p. 240* Paris BNF lat. 5240 p. 76* Sankt-Gallen Stiftsbibl. 548 p. 226* Paris BNF lat. 5275 p. 79* Sankt-Gallen Stiftsbibl. 549 p. 57* Paris BNF lat. 5295 p. 56*, 128, 129, 139 Sankt-Gallen Stiftsbibl. 551 p. 50 Paris BNF lat. 5296 p. 188, 264 Sankt-Gallen Stiftsbibl. 561 p. 253 Paris BNF lat. 5306 p. 75* Sankt-Gallen Stiftsbibl. 566 p. 43* Paris BNF lat. 5315 p. 58* Sankt-Gallen Stiftsbibl. 567 p. 76* Paris BNF lat. 5327 p. 20*, 70*, 262 Sankt-Gallen Stiftsbibl. 577 p. 76* Paris BNF lat. 5360 p. 120–121 Paris BNF lat. 5577 p. 252 Torino Bibl. Naz. D.V.3 p. 79*, 226*, 279 [et Paris BNF lat. 5666 p. 231* page de couverture] Paris BNF lat. 9295 p. 56* Torino Bibl. Naz. F IV 12 p. 72* Paris BNF lat. 9550 p. 219* Torino Bibl. Naz. F IV 26 p. 72* Paris BNF lat. 9742 p. 168, 188 Tournus BM 1 p. 110 Paris BNF lat. 10861 p. 219* Tours BM 1028 p. 70*, 259 Paris BNF lat. 10874 p. 256 Trier Stadtbibl. 1159 p. 257 Paris BNF lat. 11748 p. 75* Paris BNF lat. 11777 p. 121 Valenciennes BM 100 (93) p. 229* Paris BNF lat. 12598 p. 44*, 72, 73*, 236, Valenciennes BM 412 p. 249 237*, 257 Valenciennes, St-Jean, t. III, perdu p. 190 Paris BNF lat. 12605 p. 118, 121–123 Vaticano (Citta` del) BAV lat. 5771 p. 226* Paris BNF lat. 12612 p. 189 Vaticano (Citta` del) BAV lat. 8565 p. 168, Paris BNF lat. 13758 p. 67 189 Paris BNF lat. 14143 p. 265* Vaticano (Citta` del) BAV Barberin.lat. Paris BNF lat. 15029 p. 195 3387 p. 257 Paris BNF lat. 15437 p. 188, 256 Vaticano (Citta` del) BAV Ottob.lat. 120 Paris BNF lat. 17002 p. 70* p. 58* Paris BNF lat. 18300 p. 190 Vaticano (Citta` del) BAV Pal.lat. 582 Paris BNF lat. 18315 p. 12, 76*, 219* p. 171, 173, 189 Paris BNF NAL lat. 452 p. 239* Vaticano (Citta` del) BAV Pal.lat. 1615 p. 265* Reims BM 296 p. 79* Vaticano (Citta` del) BAV Reg.lat. 528 Roma Arch. San Giovanni in Lat.A 79 p. 252* p. 253 Vaticano (Citta` del) BAV Reg.lat. 598 Roma Bibl. Nat. Cod. Farfensis 29 p. 41–42 p. 112* Roma Bibl. Vallicelliana XIV p. 253 Vaticano (Citta` del) BAV Reg.lat. 711 Roma Bibl. Vallicelliana XXII p. 110* p. 265* Rouen BM 1379 p. 252 Vaticano (Citta` del) BAV Reg.lat. 1040 Rouen BM 1392 (U.98) p. 123–124 p. 224* Index des manuscrits 325

Verona Bibl. Capitolare 90 p. 253 Wien ÖNB Ser. nova 2070 p. 223* Wien ÖNB Ser. nova 3763 p. 223* Wien Österreich. Nationalbibl. (ÖNB) 339 Wien ÖNB Ser. nova 12754 p. 120*, 189 p. 229* Wien Österreich. Staatsarchiv R 0139 p. 228*, Wien ÖNB 366 p. 228* 229* Wien ÖNB 371 p. 44*, 61*, 221*, 226*, 228*, Wolfenbüttel Herzog August Bibl. 404.2 (6) 237*, 238, 240 Novi p. 189 Wien ÖNB 418 p. 224*, 228* Würzburg, Juliusspital-Pfarrei p. 189 Wien ÖNB 420 p. 12, 36*, 61*, 70*, 72, 75*, Würzburg Universitätsbibl. M p th q 15 76*, 104, 219–248 p. 238* Wien ÖNB 550 p. 264 Wien ÖNB 576 p. 195 Zürich Staatsarchiv C VI 9, II 8a p. 75* Wien ÖNB 934 p. 239, 240 Zürich Zentralbibl. C 10 i p. 167, 188 326

INDEX DES SAINTS ET DES HAGIOGRAPHES

L’orthographe des noms est ge´ne´ralement celle de BHL; les aste´risques indiquent les pages ou` les re´fe´rences sont pre´sentes uniquement dans les notes en bas de page. Abel p. 65* Anso p. 71*, 106, 123* Abra p. 63 Anstrudis p. 80 Acaunenses mart., voir Thebaei Antidius p. 45* Achilleus, voir Felix,Fortunatus,A. Antonius erem. abb. p. 35, 75, 220, 223, 228, Adelphius abb. Habend. p. 78, 106 229, 230*, 247 Ado p. 57*, 106 Antonius mart. p. 44 Aegidius p. 106 Antonius mon. p. 57, 135, 140* Afra p. 17, 54, 79*, 219*, 225*, 233, 248 Aper ep. Tullensis p. 68 Agatha p. 79* Apollinaris p. 57, 58* Agaunenses abbates p. 17, 60 Arbeo p. 107 Agaunenses mart., voir Thebaei Archanaldus p. 107 Agilus abb. p. 78* Aredius abb. p. 17, 18, 41*, 58, 260* Agilus vicecomes p. 28* Aredius (Arigius) ep. p. 58 Agnes p. 79* Arnulfus ep. Mettensis p. 20*, 69, 71, 78, Agnofleda p. 76, 82 220, 226*, 230, 231, 241*, 243, 244*, 247 Aigradus p. 113 Athanasius p. 35, 75, 194, 213, 214, 215, Aigulfus (Aygulphus) p. 139* 216 Aimoinus p. 262, 266 Attala p. 74 Albanus p. 46, 68, 146 Audoenus (Dado) p. 17, 18, 69, 70, 73, 75, Albinus p. 63, 229*, 230–231, 235*, 243*, 78, 79, 81, 101, 104, 107, 220, 231*, 233*, 244, 247 241*, 242, 243, 244, 247, 250, 259, 260, 261, Alcuinus p. 21, 91, 96, 99, 101, 221, 225, 236 263 Aldegunda (Aldegundis) p. 78, 81, 169* Audomarus p. 112 Aldricus p. 211 Augustinus ep. Cantuar. p. 127, 128 Alexander p. 36, 37*, 38 Aunacharius (seu Aunarius) p. 34, 47, 48, Amandus ep. Traiect. p. 17, 29*, 70–71, 73, 59, 68, 69 80, 118*, 249, 260, 262, 283, 285 Ausonius p. 45* Amandus erem. p. 62* Austreberta p. 82, 105, 112, 116, (117), 118, Amantes (Duo) p. 85–86 121–124 Amantius ep. Ruten. p. 29*, 61, 67, 229*, Austregisilus p. 69 234, 235, 236, 247 Austremonius (Stremonius) p. 38*, 52 Amantius erem. p. 62* Autbertus p. 167, 179 Amator p. 39, 59, 67, 68, 110, 278 Avitus conf. Aurel. p. 17, 61, 287–321 Amatus abb. Habend. p. 78 Avitus ep. Arvernen. p. 40* Amatus ep. Sedun. p. 282, 284, 285 Avitus ep. Viennensis p. 58 Ambrosius ep. Cadurc. p. 73 Avitus erem. Sarlat. p. 62* Ambrosius ep. Milan. p. 35*, 59, 75 Anastasia p. 219* Balthildis p. 17, 73, 74, 81, 101, 108, 172, Anatolianus p. 52* 185 Andochius,Thyrsus (et Felix) p. 41 Barontus p. 17, 77 Andreas apost. p. 49, 52, 154, 158, 254 Basilius ep. Caesar. p. 258 Anianus p. 17, 20*, 29*, 61, 72, 73*, 220, 235, Baudelius p. 44 243, 245, 247 Baudonivia p. 23, 64, 79, 109 Annemundus (Aunemundus) p. 50, 67 Bavo p. 105, 107 Anno p. 71* Beda p. 257 Ansbertus p. 17, 70, 71, 72*, 105, 112, 113, Begga p. 80 114 Benedictus p. 284 Index des saints et des hagiographes 327

Benignus p. 39*, 41, 42* Eberwinus p. 168 Bertila p. 81 Einhardus p. 264*, 265, 269, 276 Bertinus p. 112 Eligius p. 18, 45*, 51*, 69, 70, 101, 107, 164*, Bertulfus p. 74 170, 184, 249, 259–263, 264, 268, 269, 275* Betharius p. 17, 109, 120 Emanus p. 28* Bibianus (Vivianus) p. 17, 18, 61, 108, 109, Emmeramnus p. 239, 241, 245 116, 231*, 242*, 243, 245*, 247 Ennodius p. 57, 135, 140* Blandina p. 36, 37* Enoch p. 65* Bobulenus p. 50, 72*, 75 Eparchius p. 17, 18, 61 Bonitus p. 17, 71, 76*, 101 Epiphanius p. 57 Burgundofara (Fara) p. 74, 79 Epipodius p. 36, 38 Eptadius p. 18, 59 Caecilia p. 79* Ermentarius p. 109, 110 Caesarius p. 17, 56, 57, 59, 127, 128, 138, Erminus p. 71, 123* 139, 140 Etto p. 181 Calixtus p. 271 Eucherius ep. Aurelian. p. 71 Caprasius p. 58 Eucherius ep. Lugd. p. 13, 37*, 38, 39, 58* Carilephus p. 106, 289 Eufemia p. 79*, 231, 248 Cassianus ep. p. 68*, 73 Eufraxia p. 79* Cassianus mart. p. 274, 276, 277, 285 Eugendus abb. Iurensis p. 18, 60 Cassius p. 52* Eugippius p. 74* Christina p. 79* Eulalia p. 79*, 226*, 227, 248, 254 Christophorus p. 249, 263–266, 268 Eumenia p. 248 Chrysanthus,Daria p. 43*, 54 Euphronius ep. Autun. p. 39, 42 Cilinia p. 271 Euprepia p. 248 Cirycus,Iulitta p. 79*, 274, 277–281, 285 Eusebia p. 283, 284 Claudius imperator p. 54* Eusebius p. 36, 37, 46*, 47, 51*, 64 Clemens papa p. 44 Eusebius Gallicanus p. 37*, 38, 56*, 57*, Columba mart. p. 42 130 Columbanus p. 13, 35*, 50*, 64*, 67*, 72*, Eustadiola p. 81, 82* 74, 75, 77, 79, 80, 81, 104, 113, 115 Eustachius (Placidus) p. 249, 250–256, Consortia p. 58 268, 269 Constantius p. 59, 110, 242, 247 Eustasius p. 74 Corbinianus p. 107, 239, 241, 245 Eutropius p. 57 Corcodemus p. 47, 68, 77 Evagrius p. 35, 75*, 223 Cornelius p. 249, 258* Evaidis rex p. 54* Crispinus,Crispinianus p. 44*, 45, 170, Evurtius p. 72, 220, 225, 231*, 243*, 245, 247 180* Exuperius p. 38 Cuthbertus p. 104, 106 Cyprianus Gallus p. 35* Faustus ep. Reiensis p. 38*, 56, 57, 130 Faustus presb. p. 107 Dado, voir Audoenus Felix (Andochius,Thyrsus) p. 41 Dalmatius p. 18, 29*, 61, 67 Felix (Fortunatus,Achilleus) p. 42 Daria, voir Chrysanthus Ferreolus mart. Viennae p. 39, 43 Desiderius ep. Cadurc. p. 18, 23, 70, 260* Ferreolus ep. Ucecensis p. 58 Desiderius ep. mart. Lingon. p. 45, 45*, 46, Ferreolus,Ferrucio p. 42, 43* 53, 67 Filibertus, voir Philibertus Desiderius ep. mart. Vienn. p. 17, 18, 29*, Flodoardus p. 276 49, 50*, 67, 106 Florentius p. 59 Digna p. 259 Foillanus p. 50, 77, 79* Dionysius p. 38*, 44, 52*, 53, 61*, 97, 219* Fortunatus, voir Felix,Achilleus, F. Disciola p. 79* Fortunatus, voir Venantius F. Donatianus, voir Rogatianus Frithegodus p. 106 Dormientes, voir Septem Dormientes Fronto (Frontonius) p. 73, 164 Dynamius p. 56, 57, 125, 130, 132, 133, 141 Frulandus p. 106 328 Index des saints et des hagiographes

Furseus p. 17, 50, 76, 77 Honoratus ep. Massil. p. 56 Fuscianus,Victoricus,Gentianus p. 44*, Hospitius p. 58 45*, 238* Hostianus p. 58 Hrotbertus, voir Rupertus Galla p. 58 Hrotsuitha p. 258 Gallus p. 75 Hucbaldus p. 11 Gallus abb. p. 75 Hucbertus p. 71, 101, 107, 260* Gallus ep. p. 67*, 76* Gatianus p. 38*, 52* Iacobus de Voragine p. 251 Gangulfus p. 107 Illidius p. 67*, 76* Gaugericus p. 11, 68, 161–191 Iohannes abb. Reom. p. 74, 75, 110 Genesius mart. p. 38, 43, 56* Iohannes apost. p. 41, 42* Genovefa p. 17, 18, 19, 20*, 44*, 62, 68, 79, Iohannes Damasc. p. 252 82, 110, 221, 230, 247, 254 Iohannes Gaetanus p. 250 Gentianus, voir Fuscianus Iohannes Syrus p. 49 Georgius p. 279, 280 Ionas Aurelian. p. 107 Geretrudis p. 17, 20*, 23, 50*, 79, 80, 81, Ionas Bobiensis p. 13, 17, 50*, 64*, 67, 74, 75, 108*, 164* 110, 113, 115 Germanus abb. Grandivall. p. 17, 50, 75 Ionas mon. p. 113 Germanus ep. Autissiod. p. 46, 59, 68, 70, 72, Ionatus p. 285 73*, 82*, 110, 220, 227, 228, 229, 231*, 236, Irenaeus ep. Lugd. p. 37, 41, 42, 44, 47, 52, 53 237, 242, 243, 247 Isaia p. 77 Germanus ep. Parisiensis p. 63, 64, 72, 236, Italus p. 80 237, 247, 249, 255*, 260, 262, 264, 266–269 Itta (Iduberga) p. 79, 80 Getulius p. 126* Iulia p. 54 Goar p. 14*, 29* Iuliana p. 79* Godescalcus p. 51* Iulianus p. 13 Gregorius ep. Lingon. p. 39*, 42, 67* Iulianus mart. Brivate p. 12, 39, 40, 43, 48, Gregorius ep. Traiect. p. 272 52, 53, 65, 68, 110 Gregorius ep. Turon. p. 17, 28, 31*, 34, 36, Iulitta, voir Cirycus 37, 38, 39*, 41, 42*, 43, 45, 48, 49, 51*, 52, Iunianus p. 62* 55, 58, 59, 60*, 61, 62, 63, 64–66, 68, 72*, Iurenses patres, p. 17 (voir aussi Romanus, 73*, 74, 76, 77, 79, 83, 85–88, 104, 107, 127, Lupicinus,Eugendus) 194, 196, 197, 220, 221, 232, 234, 235, 266, Iustinus p. 249, 256–259, 266*, 268, 269 268, 287, 288, 289 Iustus ep. Lugd. p. 59 Gregorius papa p. 31*, 34, 35, 42*, 46*, 47*, Iustus presb. p. 67 52, 74, 77, 87 Iustus puer Autisiod. p. 44*, 45*, 257 Gundilana p. 50, 51* Gunterus p. 281 Lambertus ep. Lugd. p. 113 Lambertus (Landebertus) ep. Traiect. Henoc p. 73 p. 51, 71, 108, 260* Heriger p. 71*, 264, 266* Laurentius p. 182* Hieronymus p. 35, 46*, 47, 52*, 75, 104, 118*, Lautenus p. 60 247 Lebuinus p. 272–274, 285 Hilaria p. 248 Leobinus p. 67, 288, 289, 290 Hilarion p. 35, 75, 118* Leocadia p. 37 Hilarius ep. Arelat. p. 35*, 38, 55, 56, 59, Leodegarius p. 17, 50, 51, 52*, 67, 89, 92, 93, 113, 127, 128, 138, 139, 140 98, 99, 101, 106, 108, 109, 240*, 258* Hilarius ep. Gabal. p. 58 Leonardus p. 17 Hilarius ep. Pict. p. 35*, 63, 64*, 75, 229, Lifardus p. 28* 230*, 233*, 241*, 242, 247 Liudgerus p. 272 Hilduinus p. 110 Lonoghylius (Lonochilius) p. 76, 82 Hincmar p. 221 Lubentius p. 203, 205, 206 Honoratus ep. Arelat. p. 55, 56, 113, 126*, Luceia p. 54, 79* 127, 128, 131, 137, 139, 140, 144, 145, 146 Lucia p. 79* Index des saints et des hagiographes 329

Lucianus p. 247 Orientius p. 61 Lucianus mart. p. 44*, 45*, 170 Lucifer p. 225 Pafnucius p. 59* Lupentius p. 49* Pardulfus p. 76 Lupicinus abb. Iurensis p. 18, 60 Paschasius Radbertus p. 276 Lupus (Servatus Lupus) p. 11, 105, 193–219 Paternus p. 63, 226, 231, 232, 233, 241*, Lupus ep. Lugd. p. 226 244*, 247 Lupus ep. Senonicus p. 15, 72, 220, 226, 231*, Patiens ep. Lugd. p. 37*, 38* 238*, 247 Patroclus p. 42 Lupus ep. Trecensis p. 17, 23, 24, 53, 59, 68, Paula p. 53 127, 180, 187, 225*, 243, 247 Paulinus p. 35* Paulinus ep. Nolensis p. 229*, 241*, 247 Machabei (septem fratres) p. 35* Paulinus ep. Trevir. p. 202, 204 Macra p. 45* Paulinus Petricord. p. 55 Magnericus p. 168 Paulus apost. p. 77, 224*, 252, 277 Magnobodus p. 67, 107 Paulus ep. Narbon. p. 38*, 44, 52*, 61 Malchus p. 35 Paulus (Thebaeus) p. 35, 75, 220, 226*, 230, Mamertinus p. 47, 77 247 Mansuetus p. 258* Peregrinus p. 47, 53, 67 Marcellinus ep. Ebredun. p. 57 Petrus apost. p. 157, 158, 209, 254 Marcellinus,Petrus p. 264*, 276 Petrus mart., voir Marcellinus Marcellus ep. Diensis p. 57 Philibertus (Filibertus) p. 78, 108, 109, 116, Marcellus ep. Parisiensis p. 63 117, 118, 220, 228, 229, 230, 241*, 243*, 245, Marcellus mart. p. 44* 247 Marcellus mart. Cabillon. p. 42, 43 Photinus p. 36, 37, 41 Margareta (Marina) p. 54* Piatus p. 44*, 45*, 170, 275* Maria (Dei genitrix) p. 40*, 53 Placidus voir Eustachius Marius p. 57 Polycarpus p. 41, 42* Martialis p. 38*, 52* Pontius p. 44 Martinus ep. Turon. p. 31*, 32, 33, 35, 36, 40, Praetextatus p. 49* 48, 55, 59, 60, 62, 63, 65, 68, 70, 75, 104, 117, Praeiectus p. 17, 35*, 50, 52, 67, 69*, 106 118*, 178*, 201*, 219*, 234, 252* Pragmatius p. 60 Martinus ep. Magunt. p. 201, 202, 209 Priscus,Cottus p. 47 Maurilio (Maurilius) p. 67, 107 Privatus p. 45, 53 Mauritius p . 38 Probus p. 60 Maurontus p. 284 Prudentius p. 38, 258, 274, 276, 277 Maxentius p. 28*, 61 Maximinus ep. Trevir. p. 11, 105, 193–219 Quinidius p. 58 Maximus ep. Reiensis p. 56, 57, 125–159 Quintianus p. 67* Medardus p. 62, 180, 186, 187, 219*, 235*, Quintinus p. 44*, 45, 164, 170, 180 240*, 241*, 247 Melanius ep. Redon. p. 111 Rabanus Maurus p. 167 Melanius ep. Trec. p. 53, 73 Radegundis p. 17, 23, 63, 64, 79, 81, 109, Memmius p. 67 120–121, 254 Memorius p. 23, 24, 53, 54 Ragnebertus p. 51 Milo p. 109, 118, 119, 124*, 258, 261, 262*, Ratherius p. 106, 173, 174, 176* 268, 271, 285 Regina p. 54* Mitrias p. 40, 58 Regulus p. 44*, 128 Monegundis p. 79* Remigius (Remedius) p. 62, 72, 180, 181, 184, 221, 235*, 243*, 247, 254 Naamatius p. 62* Richarius p. 29*, 75, 91, 95, 96, 98, 99, 101, Nicasius p. 276 220, 221, 224, 227, 236, 245, 247 Nicetius ep. Lugd. p. 17, 59 Rictrudis p. 282–285 Nicetius ep. Trevir. p. 67* Rigomerus p. 28* Noe p. 65* Rogatianus,Donatianus p. 44 330 Index des saints et des hagiographes

Romanus abb. Iurensis p. 18, 60 Thecla p. 279 Romanus presb. p. 60, 220, 226, 234, 245, 247 Theodoricus p. 107 Romaricus p. 78 Theodorus ep. Icon. p. 278, 279, 280 Rufinus p. 35*, 36, 51*, 60 Theodosia p. 79*, 249 Rufinus,Valerius mart. p. 44*, 45*, 276 Thyrsus (Andochius,Felix) p. 41 Rupertus (Hrotbertus) p. 239, 241, 245 Trophimus p. 38*, 52*, 56, 128, 129* Rusticula (seu Marcia) p. 17, 20*, 59, 79 Ultanus p. 50 Sabina p. 53 Urbanus presb. p. 231*, 243*, 249 Sabinianus p. 53 Ursinus p. 51, 89*, 101, 106, 108, 109 Salaberga p. 17, 79, 80, 81 Ursmarus p. 71, 106, 173, 174, 176*, 264, Salvius p. 77 266* Samson p. 28*, 73 Sapientia p. 247 Valerianus ep. p. 44* Saturninus p. 38, 44, 52* Valerius, voir Rufinus Segolena p. 79, 80, 81 Valerius ep. mart. Lingon. p. 45* Septem Dormientes p. 49, 52, 87–88, 226, Vasius p. 44 231, 238, 247 Vedastis (Vedastus) p. 67, 74, 183, 184, 221 Servatius p. 29*, 73 Venantius abb. p. 72*, 76, 104, 220, 231, 232, Severinus abb. p. 107 247 Severinus ep. Burdeg. p. 63, 104, 246 Venantius Fortunatus p. 17, 28*, 29, 34, Severinus ep. Colon. p. 63*, 231, 232, 233, 43*, 62, 63, 64, 66, 72, 74, 79, 104, 107, 109, 238*, 247 120, 220, 229*, 230, 231*, 233*, 236, 241*, Severinus presb. p. 74* 242, 244*, 247, 266, 289 Severus, voir Sulpicius Severus Verus p. 57 Sidonius Apollinaris p. 39 Vettius Epagathus p. 36*, 37 Siffredus p. 58 Victor ep. Cenomann. p. 68 Sigehardus p. 195 Victor mart. p. 40, 43 Sigiramnus p. 75, 77 Victoricus, voir Fuscianus Sigismundus p. 51 Victorinus p. 52* Silvester papa p. 37*, 47*, 53, 64* Victorius ep. Cenomann. p. 68 Simplicius p. 72, 73, 221, 226, 228, 234, 247 Victricius p. 37* Sisebutus p. 17, 18, 49, 106 Vincentianus p. 17 Sollemnis p. 28*, 29*, 73, 106 Vincentius conf. Sonegiensis p. 181 Spes,Fides,Caritas p. 247 Vincentius mart. Agin. p. 43 Stephanus Africanus p. 48*, 59, 67 Vincentius mart. Valent. p. 43* Stephanus ep. Leod. p. 282, 283, 284 Virgilius p. 12, 56, 68, 125–159 Stephanus presb. p. 104 Viventiolus p. 60 Stephanus protomartyr p. 48, 129, 136, 146, Vivianus, voir Bibianus 154, 158, 195, 238, 247 Vulfetrudis p. 80 Stremonius, voir Austremonius Vulfinus p. 57 Subnius p. 78, 81 Vulframnus p. 17, 71, 105, 112, 113 Sulpicius Severus p. 31*, 32, 35*, 55, 75, 104, 106, 118, 123*, 178* Walaricus p. 22 Sulpitius (Pius) ep. Bituric. p. 68, 69, 70, Waldetrudis p. 175*, 184 108* Wamba p. 13 Swithunus p. 258* Wandalbertus p. 258*, 266 Symeon stylita p. 220, 230*, 231, 247 Wandregisilus p. 12, 17, 21, 75, 81, 101, 105, Symphorianus p. 39, 42 112, 113, 114, 115, 116, 219 Syrus, voir Iohannes Syrus Warnaharius (Warnecarius) p. 45, 46 Wilfridus p. 104, 106 Tergemini (Speusippus,Eleusippus,Meleu- Winnocus p. 112 sippus) p. 42, 46, 54 Wolstanus (Wilstanus) p. 258* Thebaei mart. (voir aussi mart. Agaunenses, Mauritius) p. 13, 37*, 38, 219 Zeno p. 254 Zoticus p. 126* LES AUTEURS DE CE LIVRE

Birgit Auernheimer, professeur de latin dans l’enseignement secondaire a` Tre`ves

Michel Banniard, professeur a` l’universite´ de Toulouse Le Mirail et directeur d’e´tudes a` l’E´ cole pratique des hautes e´tudes

Max Diesenberger, collaborateur de l’Institut für Mittelalterforschung, Vienne

Franc¸ois Dolbeau, ancien directeur d’e´tudes a` l’E´ cole pratique des hautes e´tudes et codirecteur du projet de recherche Les sources hagiographiques narratives compo- se´es en Gaule avant l’an mil (SHG)

Ste´phane Gioanni, maıˆtre de confe´rence de latin a` l’universite´ Paris I Panthe´on- Sorbonne et membre du Laboratoire de me´die´vistique occidentale de Paris (LAMOP)

Monique Goullet, directrice de recherche au CNRS, membre du Laboratoire de me´die´vistique occidentale de Paris (LAMOP), Paris I Panthe´on-Sorbonne

Martin Heinzelmann, ancien collaborateur de l’Institut historique allemand, codi- recteur du projet de recherche Les sources hagiographiques narratives compose´es en Gaule avant l’an mil (SHG)

Charles Me´riaux, maıˆtre de confe´rence d’histoire me´die´vale a` l’universite´ Lille III

Julia M. H. Smith, Edwards Professor of Medieval History a` l’universite´ de Glasgow

Francesco Stella, professeur au Dipartimento di teoria e documentazione delle tradizioni culturali de l’universite´ d’Arezzo

Christiane Veyrard-Cosme, professeur de langue et litte´rature latines a` l’universite´ Paris III Sorbonne nouvelle