DOSSIER : ET LE MONDE INQUIETANT DES JONQUES…

L’Empereur de Macao Henri Vernes est très fort pour nous Il ne s’agit pas là de la première aventure immerger directement dans une ambiance de Bob Morane dans laquelle des jonques particulière et interpeller notre imaginaire : sont mises en scène. « … la rue du Dragon Jaune à Hong kong J’ai cependant envie d’évoquer cette n’avait rien de bien engageant avec les histoire en début de texte, parce qu’elle rares lanternes de papier huilé qui m’a beaucoup marqué et que je l’ai éclairaient de taches crues ses maisons toujours associée à ce type de navire. aux façades lépreuses couronnées de toits cornus. De temps en temps, de derrière une Sans doute en raison de l’impact qu’ont eu façade, on entendait les rumeurs sur mon imagination l’attaque par le pirate désaccordées d’une musique chinoise ou Mao, dit l’ange aux griffes de dragon, du les cris de joueurs lancés dans d’interminables parties de majong et ivres Poisson aux Nageoires Dorées , commandé 1 par Joao Tseu, le massacre qui en a d’alcool de riz. » découlé et l’abandon de Bob, demeuré attaché au mât, et qui, après le départ des Dès les premières lignes du premier assaillants, sera livré seul aux caprices de chapitre, on y est ! l’océan et à l’appétit aux oiseaux marins affamés. Plus loin, il allait nous plonger dans un monde horrible, orchestré par Pô, l’âme Et puis, il y a tant de choses dans ce livre . damnée de l’empereur de Macao, qui C’est un des classiques de la série, à mon debout sur ses pilons de bambous (image avis. Il y règne un mystère bien effrayante et triste à la fois car le particulier et on y pressant le danger de personnage est pitoyable et pourrait façon permanente, au milieu de situations inspirer la compassion s’il n’était si cruel ) périlleuses en ombres chinoises. torturant au fond d’un grenier sinistre, le pauvre Sprague Miller contre le flanc Il est incontestable que les images que duquel était fixé un vase de terre contenant suscite le texte d’Henri Vernes ne un crabe rouge … pouvaient que frapper les imaginations. Car qui, parmi les lecteurs fervents de J’aime moins la version B.D. qui, si sur le l’époque ( 1957 ) avait déjà visité Hong plan graphique est impeccable comme le Kong et Macao ? Pas moi, en tous cas ni sont toutes les œuvres de aucun de mes amis et donc tous ces noms en Bob Morane, ne me plaît qu’à demi au de lieux évocateurs – la rue du Dragon niveau de l’ambiance car elle me donne Jaune , le Trésor des Sages , le Tigre l’impression de montrer un monde un peu enchanté – de même que ceux des trop « moderne » par rapport à celui qui protagonistes – Wan, Joao Tseu, Jonathan ressort du roman. Ma-Boon-Ma l’ albinos , l’horrible Pô , 1 Sprague Miller – constituaient un univers Tous les extraits de romans cités sont tirés des éditions d’aventure fabuleux. originales Marabout Junior. Certains d’entre eux se retrouveront inévitablement dans d’autres chapitres du présent ouvrage en fonction de l’aventure étudiée. chair et la brûlaient, mais aussi à cause de Mais évidemment, cela est très subjectif et la soif , une soif qui le rongeait … » personnel et n’enlève rien au grand talent de ce dessinateur. Le climat général du récit à ce moment est J’aime beaucoup par contre les couvertures oppressant, comme l’est d’ailleurs le de Pierre Joubert pour la première édition, paysage : MJ n° 114, et celle, tout en mouvement, de Patrice Sanahujas pour le Pocket Lefrancq « … l’on traversait maintenant une étrange n° 11. région océane parsemée de pitons rocheux semblables à d’énormes dents noires. » Et Un roman exceptionnel que j’associe à une nouvelle jonque apparaît : « De l’image de la jonque. La jonque chinoise. derrière un de ces pitons, une jonque Un bateau qui évoquera toujours en moi venait de surgir. Elle était noire comme la une menace, un mystère, … avec sa grande nuit la plus noire et aucune lumière ne voile membraneuse comme une aile de brillait à son bord. Telle quelle, elle chauve-souris, sa structure générale et les paraissait abandonnée par son équipage et lieux magiques où il croise. faisait songer à ce vaisseau fantôme des vieilles légendes. » Page 62 du roman ( en MJ ) : « Tak-Chee et moi allons gagner Henri Vernes fait surgir un navire immédiatement la jonque … » déclare Joao mystérieux, qui impressionne et pimente la Tseu. Plus haut, sur la même page le nom lecture par cette angoisse que j’évoquais du Poisson aux Nageoires Dorées est plus avant. C’est l’abordage, le massacre évoqué et on sait que ce vaisseau va de l’équipage du Poisson aux Nageoires attaquer le navire britannique Victoria pour Dorées par celui de la jonque assaillante, s’emparer des diamants qu’il transporte d’où bondissent des pirates de la mer de vers Tokyo. Chine.

On peut imaginer que pour les membres de Paradoxalement, ceux-ci ignorent le la bande à la solde d’un chef – l’Empereur prisonnier toujours ligoté à son mât. Et leur – qu’ils ne connaissent pas, les passagers et forfait accompli, ils l’abandonnent à son l’équipage du bateau anglais ne compteront triste sort, seul parmi les morts, à bord pas… d’un vaisseau à la dérive. Même si l’un de ces hommes sans foi ni loi abreuve un peu La jonque représente donc un danger. Bob Bob avant de partir, on frémit en imaginant Morane gagnera son bord à la nage – il ne l’absence total de respect pour la vie passera pas inaperçu – se cachera dans la humaine qui hante l’esprit de ces pirates. cale pour s’y faire cueillir, être attaché au mât et torturé. C’est ici aussi que la couverture réalisée par Pierre Joubert pour le Junior colle A partir de ce moment, les pages qui vont parfaitement à l’histoire. Les phrases suivre seront dures, hallucinantes : terribles vont se bousculer :

« …Toutes les demi-heures environ Tak- « Au sein de la demi-torpeur dans laquelle Chee était venu l’asperger à nouveau les facultés de Bob Morane s’étaient d’eau de mer et, petit à petit, ses annihilées, un battement d’ailes s’imposa, souffrances étaient devenues intolérables, en même temps qu’un tintamarre de non seulement à cause des liens enduits de piaillements stridents faisant songer à un sel qui, en se resserrant, écorchaient sa vol de démons aériens s’abattant sur la terre pour y accomplir quelques maléfiques besognes (…) Tout autour de fait l’auteur des régions traversées, des lui, un vol compact d’oiseaux marins apparitions de cauchemar ( le mosasaure, occupaient son champ visuel (…). Des les calmars géants ) et de personnages plus milliers de becs crochus et acérés qui, que patibulaires. venus de tous les coins du ciel, s’apprêtaient à déchirer les cadavres épars Dans cette aventure, Bob Morane sur le pont. » accompagne l’expédition du Professeur Frost à la recherche d’un mosasaure vivant Bien avant qu’Alfred Hitchcock ne dans un lagon, quelque part au-delà du s’inspire du roman de Daphné du Maurier cercle arctique, à hauteur de l’île Wrangel. pour réaliser son film Les oiseaux , Henri Vernes plongeait son héros dans un drame Les ennemis les plus dangereux ont pour similaire. nom Aloius Lensky alias Lemontov et Li- Chui-Shan, un pirate chinois. A une Finalement, Bob Morane s’en sortira mais certaine époque, ces deux hommes ont encore une fois, tous ces fantastiques exercé conjointement leurs rapines, évènements minutieusement rapportés, écumant les côtes chinoises, indochinoises contribuèrent à créer une image maléfique et malaises à bord d’un jonque puissante : de la jonque dans mon esprit de l’époque, la Montagne de Fortune . de jeune lecteur passionné. Cette Montagne de Fortune nous est ∗ décrite de la manière suivante :

Après cette évocation peut-être un « …il eût été bien moins rassuré en peu longue – si c’est le cas je prie tout le apercevant la silhouette sombre de cette monde de m’en excuser mais ce roman est jonque dont les voiles déployées faisaient tellement marquant dans le domaine penser à quelque gigantesque chauve- abordé que je me devais d’en détailler le souris, qui s’approchait lentement du climat – reprenons la chronologie des Mégophias. La coque et les voilures de rencontres de Bob Morane avec les l’étrange bâtiment devaient être peintes en jonques et leurs inquiétants équipages… noir, car c’était à peine si l’on pouvait en distinguer les formes dans les ténèbres Un bout de phrase au chapitre XVI (… ). On eût dit un de ces vaisseaux du Sultan de Jarawak : « … la vedette fantômes qui, désemparés et abandonnés alla s’accoter au wharf et s’immobilisa par leurs équipages, errent au gré des entre un schooner et une jonque courants. » chinoise. » est la seule allusion, sauf erreur de ma part, à ce type de navire dans les Déjà, ici, le navire tel qu’il nous est montré premiers épisodes de la série. donne froid dans le dos. D’emblée, il est inquiétant, sombre et lourd de menaces. Et Il faut attendre le treizième roman pour dans ce premier roman « avec jonque », faire plus ample connaissance avec ce cette dernière est noire, porteuse de bâtiment vedette des romans d’aventures dangers. exotiques. A contrario, lorsque Henri Vernes ( et le La croisière du Mégophias cas se représentera, nous le verrons ) décide de nous décrire la cabine du Un autre grand récit. Le lecteur s’y débat propriétaire, il s’agit d’un endroit luxueux, dans un monde proche du fantastique à confortable, à l’opposé de l’impression certains moments, par la description que maléfique que donne extérieurement le bateau lui-même, comme si l’auteur « C’était un Chinois gigantesque, véritable voulait atténuer cette impression, adoucir géant, épais comme une futaille. Avec son son propos : visage jaune, son crâne rasé, sa bouche sans lèvres, au pli cruel, et ses yeux bridés « La cabine de Li-Chui-Shan, à bord de la à l’extrême jusqu’à n’être plus que deux jonque Montagne de Fortune offrait un fentes à peine ouvertes, il offrait l’image décor des Mille et une Nuits avec ses même de la cruauté froide, raisonnée. » tentures de riches soies, ses meubles incrustés d’ivoire et de nacre, ses Assurément un roman à redécouvrir pour somptueux divans. » ceux qui l’aurait un peu oublié.

Par la voix de Li-Chui-Shan , nous pouvons Le Châtiment de l’Ombre Jaune prendre connaissance des avantages que présente la jonque : Cette jonque-ci, contrairement aux précédentes, nous l’avons tous attendue « Je ne changerais pas la Montagne de avec la même impatience que Bill. La Fortune même contre un torpilleur ( … ) jonque Pagan , celle du Docteur Partridge, son apparence vétuste n’éveille pas alias Monsieur Oh-Oh, se montre enfin, l’attention quand elle circule entre les îles dans les dernières lignes du sixième des mers chinoises ou de Java. En outre, si chapitre, alors que Bill est en très mauvaise elle est prise en chasse, la jonque, grâce à posture : sa légèreté relative et à ses puissantes machines distancie aisément ses « Et, soudain, une sorte de muraille se poursuivants surpris. Quant à sa coque de dressa devant lui. Une muraille sur bois, si jamais un obus la perce, elle est laquelle il put lire, tracé en rouge, un nom plus aisément et plus rapidement réparable qui lui sembla familier. Cela sur l’espace qu’une coque en métal. » d’un éclair cependant. La muraille frappa la pirogue en plein. Bill sentit un corps dur Le roman, comme écrit plus haut, baigne lui heurter le front et, privé de conscience, dans une atmosphère fantastique de il bascula dans l’eau. » brouillard, de landes, de fjords, d’animaux fabuleux et met en scène quelques Après de longues recherches infructueuses personnages parmi les plus lugubres créés sur l’Irrawaddy et bien des péripéties, par M. Vernes. De ce point de vue, les Ballantine avait donc failli périr noyé alors descriptions qui sont faites de qu’il touchait au but en rencontrant le Lensky/Lemontov sont des moments Docteur Partridge et ses Drapeaux Verts, d’anthologie : un des nombreux groupes décidés à renverser le gouvernement birman. Dans « …un profil tranchant de bête de proie un premier temps, (…) ses joues amaigries, ses orbites creuses de tête de mort, sa large bouche U-Win, le chef de cette armée que Bill sans lèvres, pareille à un piège (… ) une avait rencontré avait refusé de l’aider. Il ne tête de fantôme qui semblait avancer toute voulait pas risquer des ennuis avec Ming et seule dans la nuit, sans épaules pour la le Shin Tan. Et puis, il avait quand même soutenir (… ) à voir sa figure, on dirait orienté notre ami vers M. Oh-Oh toujours qu’il est en train de transporter ( le Docteur Par… ) et la jonque Pagan . un mort au cimetière. » Je ne ferai l’injure à personne de raconter Dans le genre, Li-Chui-Shan ne devait pas la fin de l’histoire, de ce très bon épisode être mal non plus : de la guerre livrée par Bob Morane et Bill « …Bob se trouva face à face avec un Ballantine contre l’Ombre Jaune. Malais de taille moyenne, presque aussi large que haut avec des muscles d’hercule, Dans ce roman, la jonque est un navire un cou de taureau et une bouche en tirelire sympathique et non plus utilisée par une dans une large face plate, au nez camus. troupe de pirates sanguinaires. De ce colosse, reconnaissable à ses vêtements de cuir noir, se dégageait une Dans sa version en bande dessinée, c’est à impression de force et de férocité (… ) la page 23 de l’album que l’on découvre D’instinct, Bob comprit se trouver en comment Coria voit la Pagan . présence du chef des pirates. »

Enfin, changement de décor aussi, nous ne Celui-ci s’appelle B’a T’ong et ses sommes plus en mer de Chine ni au Pôle ennemis le surnomment le Crabe Noir. A Nord mais sur un fleuve, en Birmanie, pays l’issue de l’abordage et des combats, Bob aujourd’hui rebaptisé le Myanmar par la Morane et les survivants de la goélette junte militaire qui y sévit. tombent entre ses mains.

Le Lagon aux Requins Renseigné par un espion doublé d’un saboteur, le Crabe Noir n’ignore rien des Retour des pirates : « Morane se tourna buts poursuivis par Bob et l’expédition à dans la direction indiquée par l’Australien. laquelle il participe et veut s’approprier les Une jonque noire, toutes voiles dehors, valeurs recherchées qui se trouvent à bord venait de franchir l’entrée du lagon et de l’épave d’un avion coulé au fond d’un fonçait droit vers la Mary-Lucy. » lagon, infesté de requins.

De nouveau, le navire assaillant est noir et N’oublions pas la présence de Papous on sent bien qu’il est manœuvré par des agressifs et la liste des intervenants dans gens pour le moins agressifs. Ce sont cette bonne aventure de notre héros favori assurément des pirates qui en veulent à la sera pour ainsi dire complète. Les plongées goélette : au fond du lagon donnent l’occasion de décrire les fonds marins : « La jonque n’était plus maintenant qu’à deux encablures. On distinguait nettement « …l’épave de l’avion était demeurée au ses voiles en ailes de chauve-souris et sa fond du lagon (… ) au milieu des carène arrondie (… ) Un tir nourri partit innombrables coraux, des rouges de la jonque et balaya le pont de la Mary- araignées de mer, des crabes en apparence Lucy » et :« Quand la jonque ne fût plus maladroits et de toute une flottille de qu’à deux cent mètres, les hommes de la poissons-anges qui fuyaient, effarouchés, goélette distinguèrent, autour du château avec de gracieuses ondulations de leurs arrière, une foule hétéroclite de Malais qui nageoires délicatement ouvragées. » grouillaient en brandissant des armes. » Quand il évoque les poissons-anges, Cette fois ce sont des Malais. A noter au l’auteur fait sans doute allusion à l’ange passage que souvent, Henri Vernes des tropiques ( holocanthus ciliaris ) qui, à compare les voiles des jonques à des ailes l’instar de tous les poissons coralliens se de chauve-souris. Et, ici encore, le chef de caractérise par la polychromie de sa livrée. la bande est un personnage monstrueux, cruel, effrayant : Teintes vives et brillantes qui favorisent l’identification intra-spécifique ou permettent, en décomposant les silhouettes, d’échapper à la vue des prédateurs. Dans le « … une bande de matelots aussi cas particulier des poissons-anges, la disparates que possible. Il y avait là des variété dite empereur, espèce fortement Chinois, des Annamites, des Indiens, territoriale, arbore des dessins beaucoup quelques Européens métissés aussi, tous plus voyants durant la jeunesse qu’à l’âge appartenant, selon toute apparence à la lie adulte. de ces différentes races. Leurs vêtements offraient le plus bel assortiment de hardes Pour en revenir au récit lui-même, Bob et qu’il fût possible de trouver, et sous les ses amis finiront par triompher et le Crabe vestes de cuir ou les vareuses à la chinoise Noir ne réapparaîtra plus. Ce roman a fait on voyait, de-ça, de-là, briller le manche l’objet d’une réédition dans la collection d’un poignard, la crosse d’un revolver (…) Thalweg, Nautilus, illustrée de beaux Un petit Chinois, sec comme un pruneau dessins de René Follet et augmentée d’un et au visage couturé de cicatrices, se mit à dossier sur les atolls. rire. Un rire déplaisant, qui grinçait telle une girouette mal graissée. » Les 7 croix de plomb A ce stade, le lecteur se dit logiquement Encore une aventure que j’aime beaucoup ( que le chef de cette racaille doit être plus mais y en a-t-il vraiment que j’aime moins, que laid. C’est le moment que choisit en fin de compte ?… ) avec de l’exotisme, Henri Vernes pour une fois de plus nous une jonque de pirates ( attention, cette fois surprendre et la belle Lei Pin Tsing entre il y a une nouveauté de taille ! ), des en scène : papous, … « Il s’agissait d’une Chinoise, jeune, Comme souvent, des pirates, il n’y en a pas grande et mince, au visage triangulaire, que sur les jonques. Il y en a un peu partout lisse au point qu’on eût pu le croire taillé à commencer par l’affreux Leonid Zoltan, par un maître sculpteur dans un bloc maître du Taïpeh , convoitant un trésor et d’ambre clair (…) la perfection de la qui recrute son équipage par des moyens forme et des traits (…) Ce masque à la illégaux. Bob et Bill en feront la perfection un peu figée était éclairé par de malheureuse expérience, ce qui nous larges yeux noirs, taillés en amende et des entraînera dans un voyage aux multiples cheveux, noirs également, réunis en une rebondissements depuis Singapour, l’île- longue tresse passant par-dessus l’épaule bagne de Yeluk-Yeluk, les abords de la droite et glissant par-devant jusqu’à la Nouvelle-Guinée et l’île d’Afu. taille, le cernait. »

Et la jonque dans cette histoire ? Elle fait Voilà une apparition qui nous change des son apparition fin du chapitre 7 : Li-Chui-Shan, du Crabe Noir et des autres.

« Une énorme jonque noire dont les voiles, Lei Pin Tsing, connue à travers toutes les noires aussi et griffues, faisaient songer mers de Chine et de Malaisie, tout comme aux ailes de ces volatiles d’épouvante, mi- son navire amiral Le Poisson de Légende oiseaux, mi-chiroptères, qui passent en vol était surnommée la Princesse car elle se serré à travers les cauchemars. » disait descendante directe d’empereurs mandchous. Henri Vernes donnait ainsi une dimension supplémentaire à ses descriptions imagées Elle avait succédé, à l’âge de 16 ans, à son en rendant cette jonque-ci particulièrement père, le célèbre pirate Wang Ho Tsing et lugubre. Et l’équipage ne vaut guère depuis ses jonques semaient la terreur des mieux : îles de la Sonde au Kamtchatka, aux îles également, sur lequel un dragon rouge Carolines et Salomon… stylisé est cousu.

Le personnage de Lei Pin Tsing me fait Ce pavillon signifie que nous avons cette penser à une autre femme pirate qui a fois affaire à Tao Su, le Dragon Rouge, réellement hanté les mers asiatiques dans célèbre pirate « oeuvrant » dans la région les années 20/30, Madame Lai Choi San, Hong Kong/Macao. richissime et célèbre. Peut-être son personnage a-t-il inspiré Henri Vernes. C’est dans cette aventure que l’auteur nous contera la légende du mandarin Lin Pei Enfin, comme déjà auparavant, l’auteur Min et de son ennemi Lou Tshin Si. Nous montre à quel point la cabine de la dame ferons connaissance avec la caverne aux contraste avec l’aspect général lugubre du Mille Regards … navire : Le roman, forcément plus élaboré mettra « La cabine de Lei Pin Tsing était meublée en scène toute une série d’autres avec un luxe que l’on s’attendait peu à personnages, dont une demoiselle Anna trouver sur un aussi sinistre vaisseau que Pei Min et une certaine Madame Lou… le Poisson de Légende. Rien de ce qui s’y trouvait n’aurait déparé le boudoir d’une Lin Pei Min n’y sera plus un mandarin de élégante parisienne. Seule, de-ça, de-là, Hong Kong mais bien à Canton, le maître une touche d’exotisme, vase Ming ou de la Triade qui tenait sous sa coupe, un bronze doré tibétain, rappelait que la siècle plus tôt, la Chine et l’Extrême maîtresse de céans était asiatique. » Orient.

Belle BD de William Vance avec de bons De belles phrases seront écrites pour dessins de la jonque et des « trognes » évoquer la jonque de Tao Su : extraordinaires pour les pirates, … « Noire comme une mauvaise pensée. » L’œil d’émeraude dira Bill et « … la jonque, ancrée à proximité de l’entrée de la faille, tel un D’abord une nouvelle publiée dans le gros carnassier couleur de nuit guettant au centième numéro de Marabout Junior, cette débouché d’un terrier (…) le sinistre histoire est devenue par la suite un roman vaisseau leur apparaissait nettement (…) plus étoffé. se découpant en une noire silhouette d’oiseau de proie, les ailes étant figurées « Cette jonque qui nous suit sans arrêt par les voiles de fibres de bambous commence à m’inquiéter, mon vieux Bob. » tressés. »

C’est un certain Peter Quimby qui parle A la lecture de ce roman, on pensera à ainsi dès la première ligne du conte. Par certains moments à L’Empereur de contre, dans le roman, exit Quimby, et Macao , lorsque le quartier mal famé de c’est Bill Ballantine qui dit cette phrase, en Kowloon avec ses ruelles quasi inexplorées la terminant bien sûr, par l’habituel sera évoqué : « commandant ». « Aucun quartier de nos grandes villes La jonque dont question est à nouveau occidentales, si mal famé fût-il, ne pourrait peinte en noir et l’équipage finira par donner une idée de ce que peut être hisser au mât un carré de drap, noir Kowloon City. Les rues méritent à peine ce nom, car ce sont des boyaux étroits, incertains, au sol mal pavé, changé en Le Professeur Clairembart a été enlevé bourbier par la pluie, en fange immonde pour obliger Bob Morane et Bill Ballantine par les détritus qui s’y amoncellent (…) les à coopérer avec les ravisseurs : la bande du infâmes gourbis bordant ces labyrinthes Requin Chinois, de son véritable nom semblent s’intégrer au bourbier, car leurs Dimitri Tchou, gros importateur murs, faits de planches ou de tôles, sont honorablement connu à Singapour, un tiers cimentés avec la terre elle-même, et ce Bessarabien, deux tiers Chinois et ciment, à la saison humide, se liquéfie, accessoirement malfaiteur de haut vol qui dégouline, et le quartier tout entier paraît s’est emparé de l’Oiseau de feu, appareil sur le point de fondre, de retourner au militaire britannique ultra performant. néant. » Le pilote officiel, un certain Crawford, Et Henri Vernes de nous reparler de la Rue devenu complice de Tchou en raison de du Dragon Jaune ( sans Pô, forcément, ni son vice pour le jeu et des dettes que sa Sprague Miller … ) et d’une Rue du Tigre passion a entraînées, étant décédé, le qui chante ( référence à la maison de jeux Requin Chinois veut que Bob et Bill Au Tigre enchanté ? ). pilotent l’oiseau de feu à son profit.

On retrouve une evocation de la légende C’est à bord d’une des jonques de ce pirate de la Caverne aux Mille Regards qui nous que nos deux amis font le voyage vers le est contée dans cette aventure, dans une repaire de la bande. Cette jonque est BD, dessinée par Vance, intitulée Les Fils brièvement décrite dans le roman comme du Dragon , où d’autres hibous font la suit : réputation de la caverne des Yeux des Mille-Bouddhas. Il y a également de très « Une grande jonque noire était ancrée beaux dessins de jonques dans cette BD. dans la nuit. (…) Le canot (… ) alla finalement se ranger contre le flanc de Un Parfum d’Ylang Ylang/Alias l’énigmatique vaisseau. » MDO Remarquons qu’une fois encore, la jonque Bob et Bill se rendent sur l’île de Zampolo est noire et énigmatique… à bord d’un petit sampan. Cette circonstance a permis à Coria, dans sa Zone « Z » version dessinée, de placer une jonque à quai page 18 et de nous en montrer toute Il y eut d’abord une BD, dessinée par une flotille de pêche pages 35 et 36. Dans Forton qui nous montre sa vision de la l’album suivant, Alias MDO , il y a un très jonque pages 17 19, 20 et 22. beau dessin de jonque en page 4. Honk ! Hink ! Hunk ! Les Hénaurmes sont L’oiseau de feu de la partie dans cette aventure qui débute dans le quartier chinois de Singapour pour Un cas particulier puisque d’abord BD, se poursuivre à Bornéo, plus précisément cette histoire a été réécrite par la suite en dans les monts Batang Lupar que nous roman par Henri Vernes. connaissons grâce aux romans L’Orchidée Noire et Le Masque Bleu . Dans la version BD originale parue chez Marabout, Dino Attanasio a dessiné des Nous retrouverons d’ailleurs Kayan et ses jonques au bas de la page 21 et aux pages Ibans, Awat et les Dja-Dja. 22 et 23.

A un moment donné, Kayan évoque aussi Cette jonque s’appelle Lunglung , double un commerçant chinois et on peut se dragon, et fait partie d’une flotte d’une demander s’il ne s’agit pas du retord Li dizaine de vaisseaux semblables qui Tchen ( voir encore L’Orchidée Noire ). croisent entre la Corée et Batavia, transportant toutes sortes de marchandises, Le pirate de la jonque qui s’appelle cette même de contrebande, pour le compte de fois Guen Hong, est un Malais au crâne leur propriétaire, Joachim Baranov, Russe rasé, au visage légèrement aplati. Il porte qui a fuit avec son père la révolution une veste de cuir noir ( comme certains d’octobre, pour devenir en Chine le célèbre autres déjà évoqués ) sans manches d’où China Jack. émergent des bras musclés. Mais les puissantes jonques comme celles Dans le roman, Henri Vernes nous parle de de China Jack ne sont pas à l’abri des la jonque un peu différemment : attaques de pirates comme nous le racontera, entre autres péripéties, ce bon « Il désignait la silhouette d’une grande roman où des scènes palpitantes se jonque qui, lentement, s’avançait par le bousculent pour notre plus grand plaisir. travers du yacht. Ses voiles de joncs Comme toujours… tressés carguées, elle faisait songer à un ∗ gigantesque oiseau nocturne posé sur la Je pense avoir fait le tour de la question. mer. » Et Honk de dire : « Jonque sans feu Je ne prétends pas avoir été exhaustif toujours très mauvais. Elle peut-être ( merci à M. Fontaine pour sa liste ) et je transporter armes, ou esclaves, ou peux avoir oublié l’un ou l’autre passage drogue… » d’une aventure non citée. Si c’est le cas, j’en suis désolé mais il n’est pas utile pour Puisque c’est un Hénaurme qui le dit… cela de se déchaîner sur le net…

La guerre du Pacifique n’aura pas En conclusion, j’écrirai que la lieu plupart du temps chez Henri Vernes, les jonques débordent de pirates menés par des Autre merveille de la série que ce 200 ème chefs souvent repoussants et sanguinaires. roman d’Henri Vernes ( 176 ème aventure de Je ne pense pas ici à Lei Pin Tsing … Bob Morane ), avec ses voyages dans le temps, ses personnages multiples et les Les navires eux-mêmes sont toujours noirs, terribles évènements racontés. Dans ce sinistres, menaçants et font leur apparition livre, c’est le 5 janvier 1932, au large de au moment où on les attend le moins. Shanghai que notre navire chauve-souris est évoqué : Peut-être est-ce pour assouplir un peu cette image rude que l’auteur décrit à plusieurs « La jonque ressemblait à toutes celles qui reprises des cabines de bord confortables, sillonnaient les mers de Chine, en route luxueuses même. vers d’obscurs destins, se livrant à tous les trafics. Une carcasse de bois de vingt Dans le même ordre d’idée, les trouvailles mètres, avec un haut château arrière et que sont les noms poétiques de ces une grande voile carrée haubanée de vaisseaux nous les rendent sans doute un bambou (…) la coque de bois était doublée peu plus attrayants : Le Poisson aux d’acier et son avant dissimulait une étrave Nageoires Dorées, La Montagne de en couperet, capable d’éventrer n’importe Fortune, Le Poisson de Légende, … quel vaisseau. » George Cantala a écrit un bel article sur les romans de mer et de flibuste d’Henri Vernes et on y retrouve bien entendu nos jonques. Inquiétantes, impressionnantes, parties intégrantes d’aventures inoubliables, vieilles barcasses vouées à tous les trafics mais aussi objets d’évasion exotique, porteurs des rêves de notre imaginaire…

Guy Bonnardeaux