PRÉSENCE DE LA MUSIQUE De 1 "Apparition D'une Musique Nouvelle
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PRÉSENCE DE LA MUSIQUE De 1 "apparition d'une musique nouvelle S'il est difficile de connaître la place que Stockhausen occupera dans la vie musicale du XXIe siècle, Pierre Boulez lui-même a déclaré au soir de la nouvelle, le vendredi 7 décembre, qu'« il restera comme un des grands créateurs de la seconde moitié du XXe siècle » (1). D'ailleurs, com ment le compositeur français aurait-il pu dire autre chose ? Ayant toujours conservé l'un pour l'autre un profond respect mutuel, quoique très éloignés d'un point de vue musical depuis des décennies, ces deux compositeurs sont apparus, d'emblée, alors, comme deux figures majeures de leur génération, et ce, au titre de compositeurs sériels. Musicalement très étroitement liés durant deux ans environ, de 1951 à 1953, ils allaient rompre avec les techniques de composition musi cale les plus récentes. Ne pouvant nous attarder sur les événements qui jalonnèrent une vie si longue, n'osant tenter de cerner un œuvre vaste, ne sachant comment résumer un corpus d'écrits théoriques très volumineux, ni ne prétendant pouvoir réévaluer la notion « d'avant-garde » qui va de pair avec l'apparition d'une nouvelle musique, si nouvelle qu'elle induisit une rupture, c'est sur ces points que nous devrons ici insister, tentant ainsi de relever quelques faits et traits caractéristiques de cette période de l'histoire de la musique, cette avant-garde musicale dont Stockhsausen fut l'un des représentants, et à vrai dire, une aventure dont il fut le héros. D'évidence, si Boulez a retiré Polyphonie X et accorde per sonnellement au premier livre des Structures pour deux pianos un statut de document plutôt que de partition, Stockhausen a toujours fait jouer et lui-même dirigé aussi bien Kreuzspiel que Kontra- Punkte (2). En effet, si l'œuvre de Stockhausen comporte 36l opus connus à ce jour, elle vaut d'abord par la force, l'originalité remar quable de sa musique, perceptible, selon le catalogue établi par lui-même, dès son opus 1, Kontra-Punkte. Cette force, cette origi nalité, trouvent essentiellement leur source dans la volonté de se débarrasser du passé, volonté indissociable du profond désir de nouveauté musicale. Ainsi, quelques éclairages semblent nécessaires avant d'aborder les œuvres. PRÉSENCE DE LA MUSIQUE De 1'apparition d'une musique nouvelle Un fils de paysans orphelin Son père et sa mère étaient issus d'une famille de paysans pauvres. Ses deux parents jouaient du piano. Karlheinz Stockhausen fut orphelin au lendemain de la guerre. Sa mère, enfermée dans un hôpital psychiatrique alors qu'il avait 4 ans, mourra l'année de ses 13 ans. Déclarée morte d'une leucémie, elle aurait été brûlée, comme beaucoup d'autres, par les nazis, qui jugeaient inutile de nourrir des aliénés en temps de guerre. Son père, qui poursuivit après la Première Guerre mondiale des études lui permettant de devenir instituteur, et occupait, du fait de sa fonction, une place importante dans la vie sociale d'Altenberg, se porta volontaire dans l'armée allemande à l'ouver ture du conflit mondial. Karlheinz Stockhausen se souvient avoir vu son père trois fois, peut-être, pendant la Seconde Guerre mon diale, et pas plus de trois jours lors de leur dernière rencontre, avant que celui-ci ne lui déclare qu'il ne reviendrait pas. À propos de cette première partie de sa vie, Stockhausen a toujours estimé avoir reçu de ses parents « plus de soutien qu'ils n'auraient pu m'en donner vivants » (5). L'expérience de la guerre Karlheinz Stockhausen fit ses études à Burscheid, dans une Oberschule, où il fut scolarisé jusqu'à l'âge de 13 ans. En jan vier 1942, faute d'avoir été accepté, du fait de la maladie de sa mère, et ce, en dépit de son intelligence et de ses bonnes condi tions physiques, dans une école plus prestigieuse où il aurait suivi des études politiques, il entre dans une école de professeurs. Dans cette école, Karlheinz Stockhausen a dit avoir subi une éducation marquée du sceau de la discipline et de l'absence totale de liberté individuelle. Cette école comportait trois orchestres : un orchestre de jazz, un orchestre symphonique, et un orchestre qui jouait de la musique légère. C'est certainement à ce moment-là que Karlheinz Stockhausen commença à jouer de la musique. En 1944, il est l'un des deux élèves de sa classe, trop jeune pour être appelé au front, à pouvoir échapper au service militaire. 141 PRÉSENCE DE LA MUSIQUE De l'apparition d'une musique nouvelle Le contexte musical Rencontre avec Olivier Messiaen Stockhausen a rencontré l'œuvre de Messiaen avant de ren contrer le pédagogue. En effet, Mode de valeurs et d'intensités appartenait à un ensemble de Quatre études de rythme que Messiaen enregistra sur un disque qui fut commercialisé. C'est sous cette forme donc que Mode de valeurs et d'inten sités, composé à Darmstadt en 1949, est retourné à Darmstadt en 1951, et que Stockhausen découvrit l'œuvre (7). C'est après cette découverte faite durant les cours d'été de 1951, en janvier 1952, que Stockhausen viendra à Paris et fera alors la rencontre de Messiaen le pédagogue. En outre, ainsi que Stockhausen le dit lui-même, c'est indi rectement qu'il fera connaissance avec l'œuvre d'Olivier Messiaen, puisque c'est Karel Goeyvaerts, de cinq ans son aîné, qui la lui fit découvrir et qui lui fit comprendre le « processus de synthèse tel que Messiaen l'utilise » (8). Stockhausen déclare : « Pour nous tous qui étions des élèves de Messiaen, à ce moment-là, tel fut le point de départ : une musique dont toutes les caractéristiques étaient différenciées d'une note à l'autre » (9). Parmi les compositeurs les plus sensibles à la découverte de l'œuvre, il y a Karlheinz Stockhausen. En effet, à l'époque où Messiaen a composé Mode de valeurs et d'intensités, les élèves entrés dans la classe de Messiaen, ceux de la génération de Boulez et de Serge Nigg, s'étaient déjà engagés dans la voie du sérialisme. Stockhausen, lui, découvre alors les nouvelles possibilités que la partition de Messiaen lui révèle. Il voit, dans la continuité des recherches que Messiaen avait faites sur la musique de la Renaissance en composant Mode de valeurs et d'intensités, puis île de feu 1 et 2, la possibilité de donner aux valeurs (durées) et hau teurs (notes) la même importance. Stockhausen découvre du même coup que la durée des silences avait la même importance pour la structure musicale que la durée des sons. Il avait aussi trouvé dans les recherches d'Olivier Messiaen sur la musique du XXe siècle diverses influen ces, en particulier celle de la musique d'Anton Webern dans 143 PRÉSENCE DE LA MUSIQUE De l'apparition d'une musique nouvelle L'influence de la musique de Webern, que Stockhausen connaissait alors fort bien, transparaît : celle-ci est même percepti ble à la seule audition de Kontra-Punkte, auquel ces intensités donnent un caractère particulier, un « climat général de statisme » (12) que l'on retrouve dans le Concerto op. 24 du compositeur viennois. L'opus n° 1 : Kontra-Punkte Cette œuvre est dans le catalogue de Karlheinz Stockhausen la onzième de la liste mais reçoit pourtant le numéro 1 (les précé dentes étant classées de n° 1/11, 1/10, à n° 1/2, une classification dont on relèvera qu'elle est inverse de l'ordre chronologique !). Il y a notamment, avant Kontra-Punkte, Kreuzspiel (n° 1/7), et Punkte (n° 1/2, 1952-1962). Au lendemain de la composition de Kreuzspiel, Stockhausen compose Formel pour un orchestre de douze instruments à vent, douze instruments à cordes et instruments de percussion de sons déterminés (vibraphone et glockenspiel, célesta, harpe et piano) (13). Cette œuvre lui permet d'obtenir la commande d'une nouvelle pièce pour orchestre pour le festival Donaueschingen de 1952, lui apportant aussi la somme d'argent qui lui permettra d'aller étudier à Paris avec Messiaen. Cette commande donna naissance à Punkte pour orchestre, œuvre que Stockhausen n'achèvera que bien ulté rieurement, mais qui est le point de départ de la composition de Kontra-Punkte, achevé en 1953. Kontra-Punkte, tel que Stockhausen l'entend, signifie points contre points, soit un strict ponctualisme s'opposant à la notion de contrepoint. Mais ce titre peut aussi être compris comme faisant allusion au contrepoint, ou bien encore comme étant dirigé contre le ponctualisme. L'œuvre est strictement sérielle, quoique ni les hauteurs, ni les valeurs, ni les intensités, ni les timbres ne soient organisées sous la forme d'une série complète de 12 éléments. On peut considérer comme une série de hauteurs, ou comme un fragment de celle-ci, les 6 premières notes de l'œuvre : do dièse, 145 PRÉSENCE DE LA MUSIQUE De 1'apparition d'une musique nouvelle sixième est le piano, qui joue le rôle d'instrument principal comme dans le Concerto de Webern. Il y a aussi six intensités : pp, p, mp, mf, f, sfz. Commentai re de l'œuvre La forme de l'œuvre se caractérise par l'élimination progres sive des neuf instruments entourant le piano. Le premier instru ment éliminé est la trompette, aux environs du premier cinquième de l'œuvre ; cette élimination d'abord lente sera de plus en plus rapide. Cette élimination progressive et croissante des instruments donne à l'œuvre une forme - du moins dans la mesure où celle-ci peut être caractérisée par cet aspect externe à l'œuvre - claire : celle-ci est linéaire, et pourrait être qualifiée de forme exponentielle.