<<

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem

19 | 2008 Varia

Electronic version URL: http://journals.openedition.org/bcrfj/5402 ISSN: 2075-5287

Publisher Centre de recherche français à Jérusalem

Printed version Date of publication: 30 November 2008

Electronic reference Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 [Online], Online since 30 December 2008, connection on 16 March 2020. URL : http://journals.openedition.org/bcrfj/5402

This text was automatically generated on 16 March 2020.

© Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem 1

TABLE OF CONTENTS

Éditorial Sophie Kessler-Mesguich

Activités du Centre de recherche français à Jérusalem en 2008

Articles

Deux nouvelles lèvres de Cassidae au PPNB Les découvertes de Beisamoun et Yiftahel Gaëlle Le Dosseur

Hécatée d’Abdère et la « misanthropie » juive Katell Berthelot

Prolégomènes à une histoire de la métallurgie du fer au Levant Sud Sylvain Bauvais

André Blumel, un itinéraire sioniste à la croisée des chemins François Lafon

À la recherche d’un temps perdu La (re)construction identitaire de la diaspora tcherkesse d’Israël Eleonore Merza

Des « mouvements pacifistes » aux « mouvements anti-occupation » israéliens Matériau pour une réflexion sur les mobilisations contre l’occupation de 1967 à nos jours Karine Lamarche

Entre exotisme et nostalgie Florentin : globalisation d’un quartier « authentique » Caroline Rozenholc

English Translations

Editorial Sophie Kessler-Mesguich

Hecataeus of Abdera and Jewish ‘misanthropy’ Katell Berthelot

In search of a lost time (Re) construction of identity in the Circassian diaspora in Eleonore Merza

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 2

Éditorial

Sophie Kessler-Mesguich

1 Au moment de signer mon premier éditorial comme Directrice du CFRJ, je veux dire tout d’abord ma fierté et mon plaisir d’assumer cette fonction. Le Centre de recherche français à Jérusalem est aujourd’hui un lieu vivant où se conjuguent de façon harmonieuse, et dans une collaboration constante entre spécialistes français et israéliens, des recherches pluridisciplinaires touchant à des domaines variés en sciences humaines et sociales : archéologie, histoire, philosophie, linguistique, musicologie, anthropologie, sciences des religions, sciences politiques... Les ingénieurs, techniciens, chercheurs affectés, enseignants-chercheurs en délégation, boursiers doctorants et post-doctorants, constituent une équipe dynamique et performante avec laquelle j’ai eu grand plaisir à travailler depuis le mois de septembre 2008, et que je remercie pour la qualité du travail qu’ils accomplissent dans leurs domaines respectifs. Ma gratitude s’adresse également à mon prédécesseur, Pierre de Miroschedji : avec la rigueur, la ténacité et la sûreté de jugement que connaissent tous ceux qui travaillent avec lui, il a mis en place et amplement développé, pendant les quatre années de son mandat, un projet scientifique ambitieux pour le CRFJ, tout en lui assurant une intégration réussie dans le réseau des IFRE, Instituts français de recherche à l’étranger.

2 À Jérusalem, la présence française a un sens tout particulier. Elle s’enracine dans l’histoire. Par la complexité de son architecture administrative et diplomatique, elle exprime aussi les tensions qui déchirent une ville remarquable par la beauté de ses sites et la diversité de ses habitants. Je souhaite que ceux qui viendront travailler au CRFJ dans les années à venir puissent continuer à rendre compte de cette complexité, en particulier dans des domaines qui n’y ont pas encore été abordés : littérature comparée, cinéma, économie, sciences de l’éducation, sciences cognitives... 3 Je suis consciente qu’à l’heure où l’État doit restreindre son train de vie, le maintien d’un Centre comme le nôtre constitue pour nos tutelles, le CNRS et le MAEE, un effort important. Dans une conjoncture internationale difficile, il nous appartient de les convaincre qu’un tel effort est nécessaire. Essentielle au rayonnement de la France et de la langue française dans une région où elle est plus que jamais utile, l’aide apportée par nos tutelles permet de maintenir une coopération avec les chercheurs d’un pays où l’exigence scientifique est poussée au plus haut point. Les échanges avec nos collègues

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 3

israéliens montrent l’importance de ce dialogue et son utilité ; je profite d’ailleurs de cette occasion pour remercier de leur accueil et leur soutien l’Ambassadeur de France en Israël, Monsieur Jean-Michel Casa, et le Conseiller de coopération et d’action culturelle, Monsieur Tobie Nathan – sans oublier les services du SCAC de Tel-Aviv. Le contexte actuel de restrictions budgétaires fait malheureusement peser de lourdes menaces sur les bourses destinées aux doctorants et post-doctorants ; cependant, j’attache une grande importance à notre mission de formation, et c’est pourquoi je m’emploierai dès cette année à trouver des sources extérieures de financement, par le biais de mécénats culturels. 4 Je m’attacherai aussi à ce que nos travaux soient encore mieux connus, tant des spécialistes que du grand public cultivé. Le développement de nos activités ouvertes atteste d’une forte demande en ce sens : les conférences mensuelles rencontrent toujours le même succès, et, depuis peu, l’ouverture d’un cours sur l’histoire d’Israël (huit séances de trois heures) a amené au Centre un nouveau public, intéressé et assidu. D’autres cours – sur l’islam, sur l’histoire de la langue hébraïque entre autres – sont prévus pour les mois à venir. Nous continuons également à organiser des séminaires, qui permettent aux chercheurs de faire le point sur leurs travaux et d’assurer avec leurs partenaires israéliens la réflexion collective nécessaire au travail scientifique. Ces séminaires débouchent en général sur des ateliers ou des colloques : pour 2009, cinq colloques et ateliers seront organisés au CRFJ, en coopération avec des universités et des institutions de recherche israéliennes. 5 Concernant nos publications, rappelons que quatre volumes ont paru en 2008, chez CNRS Éditions, dans une nouvelle maquette. Il s’agit des deux tomes de l’ouvrage de D. Trimbur et R. Aaronsohn (De Bonaparte à Balfour, la France, l’Europe occidentale et la Palestine, 1799-1917, republication de l’édition de 2001, et De Balfour à Ben Gourion, les puissances européennes et la Palestine, 1917-1948); de la monographie consacrée par J- M. Joubert à Yeshayahou Leibowitz (Leibowitz, une pensée de la religion) ; enfin, de l’ouvrage dirigé par F. Ouzan et D. Michman (De la mémoire de la Shoah dans le monde juif). D’autres publications sont prévues pour 2009, tant chez CNRS Éditions que chez de Boccard, dans une toute nouvelle collection intitulée « Archéologie et sciences de l’Antiquité : mémoires et travaux ». 6 Enfin, nous continuons à publier en ligne notre Bulletin annuel et bilingue, qui reflète la variété des travaux des chercheurs affectés ou associés au CRFJ, ainsi que des boursiers. Il est mis en ligne par Marjolaine Barazani, que je remercie pour sa contribution à la valorisation de la recherche accomplie au CRFJ. Vous trouverez par ailleurs des informations détaillées sur les chercheurs, les activités et les publications du Centre en consultant notre site web (http://www.crfj.org). 7 Rigueur scientifique, ouverture, et rayonnement de notre Centre : telles sont les objectifs auxquels je consacrerai tous mes efforts pendant toute la durée de mon séjour à Jérusalem.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 4

AUTEUR

SOPHIE KESSLER-MESGUICH

Directrice du Centre de recherche français à Jérusalem

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 5

Activités du Centre de recherche français à Jérusalem en 2008

Tables rondes, ateliers, colloques, séminaires « Borders and Mobility: Reappraising power mechanisms in the Israeli-Palestinian space » Au cours de l’année universitaire 2007-2008, le CRFJ a mis en place un séminaire de recherches intitulé « Mobility and borders, reappraising power mechanisms in the israeli- palestinian spaces ». Ce séminaire a été organisé par Cédric Parizot, anthropologue, chargé de recherche au CNRS, affecté au CRFJ, en collaboration avec quatre universitaires israéliens : Lev Grinberg, Professeur de sociologie, Directeur du Hubert Humphrey Center for Public Affairs, Université Ben Gourion du Néguev ; Adriana Kemp, Professeure de sociologie, Département de Sociologie et d’Anthropologie, Université de Tel Aviv et Institut Van Leer, Jerusalem ; Ben Ari, Professeur d’Anthropologie à l’Université Hébraïque de Jérusalem ; Jackie Feldman, Maître de conférence en Anthropologie, Département de Sociologie et d’Anthropologie, Université Ben Gourion. L’objectif était de réunir des chercheurs français et israéliens pour développer des recherches sur les dispositifs de pouvoir qui se développent le long des limites et des frontières qui fragmentent l’espace israélo-palestinien. Trois rencontres ont eu lieu les 22-23 novembre 2007, le 18 janvier 2008 et le 13 juin 2008. À la suite des discussions et des réflexions élaborées dans ces séminaires, Cédric Parizot a élaboré un projet de recherche intitulé « Le conflit israélo-palestinien sous l’angle des relations transfrontalières ». Ce projet a reçu, depuis septembre 2008, le soutien du Réseau d’excellence européen Ramses². Réunissant cette fois des chercheurs français, israéliens et aussi palestiniens, ce groupe de travail s’est déjà retrouvé pour participer à un colloque en France, à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme en novembre 2008. Deux rencontres sont prévues en juin et novembre 2009. Elles donneront lieu à une publication. « Marc Jarblum et André Blumel » Séminaire de François Lafon (maître de conférences, Paris I-Sorbonne, en délégation au CRFJ), 1er février 2008. Marc Jarblum et André Blumel, deux itinéraires sionistes originaux : à partir des fonds conservés aux Archives Sionistes Centrales (CZA) à Jérusalem, F. Lafon a présenté la matrice définie par Léon Blum et son entourage qui, en dépit de divergences politiques

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 6

lourdes, se caractérise par un fort engagement sioniste. Puis, il a montré la variété des chemins suivis par ces deux militants, en insistant sur la contradiction apparente de leur engagement, notamment la compatibilité entre engagement pro-communiste et soutien à Israël dans le cas d’André Blumel. « Les exégètes juifs de l'Antiquité face au récit biblique de la conquête de Canaan » Séminaire de Katell Berthelot (chargée de recherche au CNRS, affectée au CRFJ), 21 mars 2008. Dieu promet à la descendance d'Abraham une terre qui est déjà peuplée. Pour rendre compte de cette contradiction, les textes bibliques eux-mêmes développent un argumentaire : les autochtones se seraient rendu abominables aux yeux de Dieu par leur idolâtrie et leurs actes monstrueux, en particulier leurs sacrifices humains, ou encore seraient sous le coup d'une malédiction originelle (Genèse 9). Dans le contexte des guerres hasmonéennes, à la fin du 2e et au début du 1er siècle avant notre ère, la question de la légitimité de la souveraineté juive sur la terre se pose avec une acuité nouvelle. On trouve par la suite, dans la littérature juive d'époque hellénistique et romaine, des relectures inventives et même audacieuses des textes bibliques qui traitent des Cananéens et du rapport d'Israël à la terre promise. « Le voisin arabe : les nouvelles implantations galiléennes au défi de la coexistence » Séminaire de Pierre Renno (boursier doctorant au CRFJ), 28 mars 2008. À la fin des années 1970, dans le cadre d'un plan de relance de l'implantation, une trentaine de villages résidentiels ont été créés par l'Agence Juive en Galilée centrale. Ces villages ont attiré des familles de la classe moyenne urbaine, laïque et ashkénaze à la recherche d’un nouveau type de banlieue verte. Pour répondre à leur désir de séparatisme social, ces populations ont mis en place des procédures de sélection des nouveaux arrivants, inspirées par celles en vigueur dans les implantations rurales et collectivistes. Depuis la fin des années 1990, ces procédures ont également été utilisées pour faire obstacle à l'intégration de familles arabes israéliennes. Cette politique, où se croisent considérations nationales et sociales, donne aujourd'hui lieu à d'intenses débats au sein même des villages. « “Homme et femme il les créa”. Masculin et féminin dans les religions de la Méditerranée et leur influence sur le droit matrimonial religieux Table ronde internationale, organisée par Katell Berthelot (chargée de recherche au CNRS, affecté au CRFJ), Christian Boudignon et Matthias Morgenstern, dans le cadre du programme européen « Ramsès, Réseau d’excellence des centres de recherche en sciences humaines sur la Méditerranée », 31 mars-1er avril 2008. Cette table ronde s’est attaché à étudier les lois du mariage à travers les trois religions de la région méditerranéenne, leurs conceptions du masculin et du féminin ainsi que de leur interaction. Elle s’est également intéressée aux relations homme/femme dans les différentes sociétés. Les intervenants, venus d’Allemagne, France, Israël, Italie et du Royaume-Uni, qui appartiennent à des champs disciplinaires complémentaires, ont confronté leurs expériences. Les comportements et les valeurs des sociétés traditionnelles semblent imprégnés de leurs origines religieuses. L’évolution des différentes sociétés et l’apport qu’elle peut apporter dans le regard actuel des conflits ou tensions actuels. « Migration et relations interculturelles dans le Levant sud et l’espace israélo- palestinien »

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 7

La troisième rencontre doctorale du Centre de recherche français à Jérusalem a été organisée par Caroline Rozenholc (doctorante CRFJ) et Sylvain Bauvais (post-doc CRFJ, les 28 et 29 avril 2008. Ces rencontres, organisées pour la troisième année consécutive par les doctorants et post-doctorants boursiers du Centre, ont réuni des jeunes chercheurs des communautés scientifiques française, européenne, israélienne et palestinienne. Cette mise en commun a permis de faire le point sur la recherche menée dans différentes universités, sur des thèmes convergents vers un même espace géographique. Cette année, les communications se sont développées autour de la question des migrations et des relations interculturelles qui en découlent. Le Levant Sud/espace israélo-palestinien est un lieu d’étude privilégié des mobilités et de leurs impacts. En effet, depuis la diffusion des premiers hominidés venant d’Afrique jusqu’aux migrations actuelles, c’est une zone de passage, d’implantation, d’échanges et de conflits. Quelque soit l’angle d’approche, méthodologique ou théorique, par lequel on aborde la question migratoire, la mise en relation de populations, ou d’individus, a de tous temps participé de la modification des pratiques sociales. Qu’il s’agisse des migrants ou des populations en place. La redéfinition des contenus culturels dépend, quant à lui, à la fois de l’échelle et du rythme des flux, des mobiles et des contextes dans lesquels ceux-ci interviennent. Le choix de niveaux d’analyse pour aborder ces questions – de l’individu au collectif – et d’échelles temporelles contribuent alors à produire des compréhensions parfois fort différentes de phénomènes semblables. Comment, alors, embrasser une dynamique si complexe, dans toute la profondeur historique de la région ? Au terme de ces deux journées, riches de douze communications et des discussions qui les ont prolongées, certaines conclusions se dessinent. Plusieurs questions articulant ces rencontres ont effectivement émergé et nous développerons ici, sans toutefois rentrer dans le détail de chacune des présentations, celles relevant du matériau étudié et des questions d’échelles qu’ils soulèvent. Matériaux étudiés et « distance temporelle » à l’objet Premièrement, au fil des présentations, le matériau d’étude – avec un panel s’étendant de la culture matérielle aux entretiens – est apparu comme des plus déterminants dans l’orientation des approches et des méthodologies. Le matériau étudié lui-même influe sur le choix des échelles d’analyses temporelle et sociétale. La « culture matérielle », qui est pour l’archéologie par exemple le matériau majeur, est par définition partielle ; elle ne peut transcrire qu’une part très faible des productions sociales. Les sources écrites, quant à elles, diffèrent selon les périodes et les sujets ; son caractère partiel peut être une source de distorsion mais ce sont les sources écrites comme matériau qui doivent être analysées avec précaution. Pour les entretiens, l’individu « matériau d’étude » présente une difficulté supplémentaire. Effectivement, si comme pour les textes, les entretiens représentent un point de vue (forcément partial), la sélection opérée – et par conséquent la représentativité de l’information dans le réservoir d’information foisonnant qu’est la société contemporaine – relève quant à elle du choix purement individuel. C’est ici la très grande quantité d’informations qu’il faut pouvoir traiter. Les approches transversales – faisant appel à plusieurs matériaux d’étude – se révèlent alors indispensables pour permettre une contextualisation et une meilleure compréhension de l’objet d’étude (Janna Mager). Un second point se dégage du caractère chronologique des différentes disciplines qui ont dialogué lors de ces rencontres. Il semblerait qu’un certain nombre de glissements

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 8

s’opèrent en fonction de la distance temporelle à l’objet étudié. Dans les sociétés sans écriture, l’interprétation des changements de la culture matérielle est un outil permettant de mettre en évidence les migrations ou autres contacts interculturels (G. Le Dosseur). Dans les périodes de transition, ce glissement rend l’interprétation des sources écrites et des cultures matérielles plus délicates. La prise en compte à un même degré de textes trop lacunaires et d’une culture matérielle fait en effet ressortir davantage de contradictions que de convergences et se prête alors à nombre de débats scientifiques (S. Bauvais). Pour les périodes historiques, ensuite, les textes nous informent d’avantage sur les migrations et l’étude de la culture matérielle est alors utilisée pour éclairer les lacunes textuelles (changements de la vie quotidienne, des techniques, etc.) : premier glissement (Katia Cytrin). Un second glissement intervient avec le passage des sources textuelles à un accès direct aux acteurs de la migration (acteurs politiques, ou migrants). Les ressources textuelles ne sont alors évidemment plus primordiales, mais permettent une mise en contexte des phénomènes à l’œuvre. Ce dernier cas de figure représente l’ensemble des communications qui touchent au contemporain, qu’elles exploitent des statistiques, des archives ou des textes historiques. La culture matérielle – à moins de faire l’objet d’une étude en particulier – est mise de côté. Question d’échelles et de points de vue ! Un troisième point important à souligner est la manière dont à l’intérieur d’un thème commun, les problématiques abordées peuvent diverger ou converger en fonction des disciplines, de leur matériau d’étude et par conséquent des échelles d’analyse. Deux questions d’échelles, deux concepts se dégagent : celui de l’échelle temporelle dans lequel s’inscrivent les mobilités et leurs productions sociales, et celui de l’échelle sociétale, individu, groupe, collectivité. La question de l’échelle des acteurs découle, encore une fois, des matériaux d’étude eux-mêmes. Pour l’archéologie, la culture matérielle ne peut aborder les sociétés que dans une globalité cohérente à travers le partage de la culture matérielle et dans laquelle l’exception – ou l’individu – n’est pas représentée. Au contraire, pour les sciences contemporaines, les décisions individuelles et les choix migratoires sont intéressants en eux-mêmes (R. Paz), même s’ils doivent à leur tour être replacé dans leur contexte de départ et d’arrivée ; parfois aussi dans l’entre-deux. Cette différence entre les échelles d’analyse donne souvent à la discipline archéologique une position très généralisante, dont les emplois systématiques de typologies et de modèles théoriques en sont des exemples les plus marquants. Les relations interculturelles peuvent également s’envisager selon l’angle du ou des migrants ; ou celui des locaux, des populations en place. Le point de vue des populations depuis lesquels la migration s’opère peut également être abordé en s’intéressant aux populations transnationales. La combinaison entre ces points de vue est aussi possible en abordant la construction d’une entité citoyenne voire nationale (A. Kidron et M. Qafisheh). Dans tous les cas, les mécanismes étudiés ne sont pas les mêmes suivant que l’on étudie la migration en action ou bien ses conséquences à plus long terme. L’étude de la migration en action s’intéresse surtout aux migrants, aux motifs de leurs mobilités, aux modalités de celles-ci et à leur intensité (A. Schneideler et C. Rozenholc). Les mécanismes du contact interculturel représentent le deuxième niveau d’analyse de la migration et de ses productions sociales. Il est intéressant de remarquer que plusieurs mécanismes d’évolution des productions sociales à travers les contacts interculturels sont repris dans l’ensemble des communications : séparation, confrontation, divergence, convergence, parallèle, renforcement (Israel Pupko).

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 9

En conclusion, les « grands écarts » que constituaient ces troisièmes rencontres ont montré, grâce à la cohérence de l’ensemble des communications, l’intérêt d’une confrontation des disciplines de sciences humaines et de leurs approches méthodologiques. Le dialogue entre linguistique, archéologie, architecture, géographie et sciences politiques, autour de la thématique des contacts interculturels et des processus de mutation engendrés par les mobilités s’est révélé des plus fructueux. Peut- être est-ce d’ailleurs la proposition d’une temporalité large et d’une approche, à la fois ponctuelle et dynamique d’un même phénomène qui aura effectivement permis le croisement d’approches et de matériaux d’étude, de disciplines, parfois très éloignés. « Human-animal interactions in the circum Mediterranean area: interdisciplinary approach – archaeology, ecology and evolution – of zoonotic diseases » Colloque international, 27-29 mai 2008, organisée par le Dr. Anne Bridault (CNRS, Archéologie et Sciences de l’Antiquité, UMR7041, Nanterre - F) et le Dr. Gila Kahila Bar-Gal (Koret School of Veterinary Medicine, The Hebrew University of Jerusalem). Cette manifestation s’est tenue au Centre de recherche français de Jérusalem, avec le soutien de son directeur, P. de Miroschedji et de son équipe. Elle a réuni environ 70 chercheurs israéliens, américains et européens, de disciplines diverses (archéozoologie, archéologie, écologie, médecine, anthropologie, biologie) sur la thématique des zoonoses ou affections transmissibles des animaux vertébrés à l’homme et inversement. Ces maladies sont influencées par de nombreux facteurs dont les habitudes alimentaires, les pratiques d’élevage, la virulence des agents et les voies de transmission, les densités de population, les changements environnementaux, etc… Hommes et animaux ont une longue histoire co-évolutive qui a influencé la transmission des infections et les maladies en résultant. Aujourd'hui le réchauffement global pose un défi pour nos écosystèmes, or il reste encore beaucoup à apprendre sur les relations complexes entre les composantes des écosystèmes, en particulier dans la longue durée. Si le thème est d’actualité, l’originalité de cet atelier fut de traiter cette question dans la longue durée (Préhistoire – Actuel) et dans une ouverture interdisciplinaire. Un véritable dialogue interdisciplinaire a pu se construire au fur et à mesure de la manifestation, certainement lié à la grande pédagogie de nombreux intervenants. L’ensemble des participants a convenu qu’il fallait donner des suites à cette manifestation, en prévoyant la réalisation d’un ouvrage, la mise en place de collaborations par le montage de projets interdisciplinaires et la programmation d’une nouvelle manifestation « La place de l’industrie osseuse dans la néolithisation : une révolution tranquille » Séminaire de Gaëlle Le Dosseur (boursière post-doc au CRFJ), 20 juin 2008. G. Le Dosseur a présenté les multiples utilisations de l’industrie osseuse et les relations en l’Homme et l’Animal, en montrant que l’évolution est lente et graduelle, marquée par d’éventuels changements dans les comportements. L’industrie osseuse se développe au Natoufien. L’étude du matériau révèle que l’évolution n’est pas la même selon les lieux où l’on en trouve trace : les différents sites se singularisent par une spécialisation fonctionnelle des objets qui servent de poinçons, compresseurs, manches, armes ou parures. « La notion de commandement divin dans le judaïsme et dans l’Islam » : «Divine Commandments and Aspect of Their Implementation»

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 10

Troisième rencontre bilatérale franco-israélienne au Centre de recherche français de Jérusalem, 9-10 septembre 2008, organisée par Katell Berthelot (chargée de recherche au CNRS, affecté au CRFJ), Sarah Stroumsa (Professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem) et Sarah Sviri (Professeur à l’Université hébraïque de Jérusalem). Cette troisième rencontre entre universitaires islamologues et hébraïsants israéliens et français – dans le cadre d’un projet qui associe l’Université Hébraïque de Jérusalem, le Centre de recherche français de Jérusalem, l’Institut de recherche et d’étude sur le monde arabe et musulman (MMSH, Aix-en-Provence) et le Centre Paul-Albert Février (MMSH, Aix-en-Provence) – s’est tenue au CRFJ sur le thème « Divine Commandments ans Aspects of Their Implementation ». Pour mémoire, la première rencontre, plus généraliste, s’est tenue au CRFJ en 2006 et la deuxième à la MMSH d’Aix-en-Provence en octobre 2007 avec pour thème « Divine Commandments: Immutability and Change ». La formule retenue pour ce troisième atelier s’est avérée particulièrement fructueuse. Chacune des interventions avait un texte et sa lecture commentée pour objet, texte communiqué par l’intervenant en langue originale (arabe ou hébreux) et en traduction anglaise à l’ensemble des participants et plus particulièrement à un discutant priviligié. Cette manière de procéder a grand ouvert les portes des discussions faisant suite aux communications. La première journée a été consacrée aux « racines médiévales » de la problématique et la seconde à ses « aspects contemporains ». La compréhension du « passé » s’est ainsi démontrée incontournable pour celle du présent, même si l’éclairage du passé sur le présent, s’agissant de la question de l’application des lois révélées, est parfois indirect. Le thème de la quatrième et dernière rencontre de ce projet a été déterminé : « Divine Commandments in Judaism and Islam and God as Legislator ». Elle se tiendra à Aix-en- Provence en septembre 2009. Une publication, placée sous la direction de K. Berthelot, de S. Stroumsa et d’É. Chaumont, en forme d’anthologie de textes commentés destinée à un public non- exclusivement académique viendra parachever les travaux de notre groupe de recherche. « Limites et frontières des espaces israéliens et palestiniens » Colloque organisé par Cédric Parizot (chargé de recherche au CNRS, affecté au CRFJ, IREMAM) et Stéphanie Latte Abdallah (IREMAM), 13 et 14 novembre 2008, à la Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme (MMSH, Aix-en-Provence). Ce colloque est la première rencontre des membres du projet jeunes chercheurs « Mobilités Frontières et Conflits dans les Espaces Israélo-Palestiniens », soutenu par la Région Provence-Alpes-Côte-d’Azur et l’Agence Nationale de la recherche en partenariat scientifique avec l’Institut de Recherches et d’Études sur le Monde Arabe et Musulman (IREMAM), l’Institut d’Ethnologie Européenne et Comparative (IDEMEC), Migrations Internationales, Espaces et Sociétés (MIGRINTER), La Maison Méditerranéenne des Sciences de l’Homme (MMSH-USR 3125) et le Centre de recherche français à Jérusalem (CRFJ). Il a présenté et diffusé les premiers travaux du groupe de recherche et de celui du groupe de travail RAMSES² « Le Conflit Israélo-Palestinien sous l’Angle des Mobilités Transfrontalières ». Trente chercheurs et doctorants y ont participé, Français, Palestiniens, Jordaniens et Israéliens. Les interventions, en français et en anglais, ont été traduites simultanément. Le colloque, organisé en ateliers, a traité des « mobilités et échanges transfrontaliers », des frontières et ressources transfrontalières, de la façon de « penser les frontières économiques », des

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 11

militantismes au-delà des frontières. La question des attentats suicides a été étudiée dans l’atelier « corps et frontières » alors qu’un autre atelier se consacrait à « définir et acter les frontières ». « ‘Boker tov al’Florentin : Le quartier de Florentin : un ailleurs dans la ville » Séminaire de Caroline Rozenholc (doctorante CRFJ), 19 décembre 2008. C. Rozenholc définit ce quartier, objet de sa thèse de géographie, qu’elle envisage dans le contexte de la mondialisation. Florentin est en pleine transition et il nous donne à repenser l’articulation entre ancrage historique et gentrification. Elle situe Florentin dans la ville de Tel-Aviv, avec ses vagues de populations et leurs différentes pratiques de l’espace. Les entretiens avec « la population » et les différents acteurs du quartier révèlent une identité forte et une forte identification au quartier. Le quartier, après une longue période de détérioration, connaît une véritable période de rénovation et transition socio-économique. Conférences Le Centre de recherche français de Jérusalem a poursuivi cette année son cycle de conférences mensuelles, chaque premier mercredi du mois. Il s’agit de conférences en français, à l’intention d’un public élargi. « Après le Mur : quelle séparation ? » Conférence de Cédric Parizot (chargé de recherche au CNRS, affecté au CRFJ), 13 février 2008. Cette présentation analyse dans quelle mesure et selon quelles modalités le mur de séparation construit autour de la Cisjordanie, depuis 2002, a créé chez la population israélienne l’image d’une séparation entre elle et la population palestinienne. Cette question se pose dans la mesure où la construction de cet édifice reste encore largement inachevée et où les dispositifs de contrôle déployés par Israël maintiennent sa présence au cœur de la Cisjordanie et donc des deux côtés du mur. Partant d’enquêtes ethnographiques des pratiques de l’espace et d’observations des dispositifs de contrôle israéliens déployés depuis 2002, cette intervention montre, qu’en tant que projet et en tant qu’édifice très médiatisé, le mur est bel et bien devenu un support de projections pour les Israéliens des villes côtières et du centre du pays. Ces projections sont favorisées non seulement par la méconnaissance du tracé de la barrière et de sa discontinuité, mais surtout par l’efficacité de dispositifs de « contrôle à distance », moins médiatisés, qui ont assuré la chute du nombre d’attentats et ainsi contribué à restaurer un sentiment de souveraineté sur le sol israélien. Cette étude permet donc d’apprécier combien des mécanismes de contrôle inscrits dans des formes de territorialités postmodernes (régime de mobilité, police à distance, etc.) peuvent renforcer parmi une population des représentations territoriales de type moderne. Enfin, cette recherche invite à relativiser le rôle de la matérialité des frontières dans la construction de ces mêmes frontières. Car, si le mur fonctionne comme un support de projection pour les populations israéliennes qui en sont éloignées ; il perd en revanche son rôle de marqueur spatial pour les populations qui résident à ses marges, en raison des multiples dispositifs de contrôle sécuritaire qui s’y superposent. « Les exégètes juifs de l'Antiquité face au récit biblique de la conquête de Canaan » Conférence de Katell Berthelot (chargée de recherche au CNRS, affecté au CRFJ), 21 mai 2008. Dieu promet à la descendance d'Abraham une terre qui est déjà peuplée. Pour rendre compte de cette contradiction, les textes bibliques eux-mêmes développent un

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 12

argumentaire : les autochtones se seraient rendu abominables aux yeux de Dieu par leur idolâtrie et leurs actes monstrueux, en particulier leurs sacrifices humains, ou encore seraient sous le coup d'une malédiction originelle (Genèse 9). Dans le contexte des guerres hasmonéennes, à la fin du 2e et au début du 1er siècle avant notre ère, la question de la légitimité de la souveraineté juive sur la terre se pose avec une acuité nouvelle. On trouve par la suite, dans la littérature juive d'époque hellénistique et romaine, des relectures inventives et même audacieuses des textes bibliques qui traitent des Cananéens et du rapport d'Israël à la terre promise. « De Jérusalem à Jérusalem. Un parcours ethnomusicologique » Conférence d’Olivier Tourny (chargé de recherche au CNRS, affecté au CRFJ), 13 juin 2008. On dit traditionnellement que le chercheur conduit ses recherches. Souvent, c’est bien le contraire qui se passe. Parti en Israël avec pour projet l’étude des musiques traditionnelles bédouines, O. Tourny allait finalement se consacrer à l’analyse des chants liturgiques des Juifs d’Éthiopie. Après de nombreuses années d’enquêtes sur le sujet en Israël, c’est logiquement en Éthiopie que s’est poursuivie et élargie le champ d’investigation, donnant naissance à un programme systématique de collecte et de sauvegarde des musiques traditionnelles de ce pays. Les musiques liturgiques juives et chrétiennes d’Éthiopie s’appuyant fortement sur la Psalmodie, c’est sur cette thématique qu’O. Tourny revient en Israël pour l’étendre à l’ensemble des communautés juives, chrétiennes et musulmanes du pays. « L’hébreu moderne : une langue comme les autres ? » Conférence de Sophie Kessler-Mesguich (Professeur, Paris III, directrice du CRFJ), 22 octobre 2008. Nouvellement nommée à la direction du Centre de Recherche Français à Jérusalem, S. Kessler-Mesguich, Professeur de linguistique et littérature hébraïques à l’Université de Paris III, a inauguré, devant un public nombreux, le cycle de conférences mensuelles avec un exposé où elle a dressé un tableau rapide de la linguistique, appliquée à l’Hébreu. S’agit-il dans ce cas d’une renaissance (persistance de la langue pendant dix- sept siècles pour les prières et l’étude) ou d’une création ? Les deux théories ont leurs partisans. L’étude montre que si les systèmes phonétiques sont différents dans les langues biblique et moderne, l’hébreu est uni dans sa continuité. On peut conclure que l’hébreu moderne est une langue comme les autres, avec ses niveaux de langue, ses emprunts et son évolution. « Nous et les autres. La Loi antérieurement révélée en islam » Conférence d’Éric Chaumont (chargé de recherche au CNRS, affecté au CRFJ), 12 novembre 2008. Le Coran s’inscrivant expressément dans la tradition des révélations abrahamiques qu’il vient, dit-il, « confirmer » (saddaqa), la question suivante ne pouvait pas ne pas se poser à la communauté musulmane : Qu’en est-il, pour nous, musulmans, des Lois antérieurement révélées ? Nous concernent-elles et, si oui, de quelle manière ? La problématique a été abordée dans les cadres d’une discipline appelée « les fondements de la compréhension de la Loi » (‘ilm usûl al-fiqh), l’équivalent de notre philosophie du droit dans l’ordre du savoir islamique. Nous avons rapproché cette question de celle-ci qui est traitée dans la même discipline : Les adhérents des autres monothéismes abrahamiques – les juifs et les chrétiens principalement – sont-ils concernés par la

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 13

sharia qui nous a été révélée dans le Coran ? C’est ici la question de la vocation soit universelle soit « régionale » de la révélation coranique qui est en jeu. Les réponses apportées par les légistes et les théologiens sont diverses et souvent très subtiles parce que les sources – le Coran et la Sunna (l’exemple du Prophète Muhammad) – sont à cet égard plurivoques. Il apparaît que pour les uns, il y a comme une révélation progressive d’une seule et même sharia qui se clôt avec la révélation adressée à Muhammad alors que pour les autres, les révélations ont été d’abrogation en abrogation, seule la dernière restant d’actualité pour l’ensemble de l’humanité. Il y a en revanche quasi-unanimité parmi les oulémas pour affirmer que la vocation de la révélation coranique est universelle mais cette affirmation formelle, qui contredit apparemment les leçons expresses du Coran, est elle aussi diversement comprise. La conférence est disponible sur le site d’Akadem : http://www.akadem.org/sommaire/ themes/philosophie/5/1/module_5226.php « Deux fois vingt ans, Israël ; vingt ans après »

Conférence de Claude Klein ( Professeur, Université hébraïque de Jérusalem), 3 décembre 2008. À l’occasion de la réédition de son livre Deux fois vingt ans, Israël ; vingt ans après, augmenté d’une postface, l’auteur, professeur émérite de l’Université hébraïque de Jérusalem, juriste et spécialiste du système politique israélien, expose sa perception des problèmes majeurs qui menacent l’État d’Israël. Il revisite son approche après quarante ans passés dans le pays. Sioniste, il s’interroge sur les dangers qui pèsent sur l’avenir d’Israël À l’occasion du centenaire de la naissance de Georges Vajda (1908-1981) Conférence de Paul Fenton ( Professeur Paris IV-Sorbonne) et de Moshe Idel (professeur, Université hébraïque de Jérusalem, 17 décembre 2008. Un auditoire important est venu assister au Centre de recherche français à cette conférence à deux voix à l’occasion du centenaire de la naissance de Georges Vajda (1908-1981). Dans la tradition d’Ignace Goldziher, Vajda, d’origine hongroise mais venu très tôt en France, fut un des grands maîtres de l’orientalisme au XXe siècle, autant dans le domaine de l’islamologie que celui des études juives. Travaillant de concert avec Gershom Scholem, il fut un des rares érudits en Europe dont l’œuvre s’ouvre à la Kabbale. P. Fenton, professeur à l’université Paris IV-Sorbonne, est spécialiste des sciences du judaïsme, des rapports entre l’islam et le judaïsme, et de la kabbale s’est interrogé sur les motifs qui ont suscité cet intérêt pour la mystique juive chez Vajda, que rien dans sa formation rationaliste au Séminaire rabbinique de Budapest ne prédisposait à cette vocation. Fenton, qui a présenté sa traduction du commentaire d’Ibn Malka sur le Sefer Yezira, accompagnée d’une étude inédite de Vajda, a montré la part importante de l’influence sur le jeune Vajda de Louis Massignon, qui l’encouragea à se pencher sur l’ambiance intellectuelle des premiers commentateurs judéo-arabes sur le Sefer Yezira, classique de la mystique juive. M. Idel, professeur de pensée juive à l’Université hébraïque de Jérusalem, s’est livré à une comparaison de la contribution de G. Vajda aux études kabbalistiques et celle de G. Scholem. Si les deux chercheurs collaboraient étroitement, comme le montre la correspondance de Scholem conservée à la Bibliothèque Nationale de Jérusalem, leurs options scientifiques divergeaient sensiblement. Vajda s’intéressait surtout à la dimension philosophique dans la kabbale et peu à ses aspects irrationnels, tels que le

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 14

messianisme et l’antinomisme qui ont tant préoccupé le chef d’école de Jérusalem. Cette divergence a amené M. Idel à parler d’une école européenne de la Kabbale face à une école israélienne avec leurs options intellectuelles, et même idéologiques respectives. Cours Le CRFJ a organisé un cours sur l’histoire d’Israël, qui s'adresse à l'ensemble des chercheurs et personnels du CRFJ ainsi qu'à toutes les personnes intéressées. Ce cours, qui se tient au CRFJ, de 18h à 21h, et en parallèle à l’Institut français de Tel Aviv, s’attache à donner un aperçu des principaux enjeux politiques et sociologiques afin de mieux comprendre la société israélienne contemporaine. Il se divise en deux parties : - période 1881-1977 (novembre et décembre 2008), - période 1977 à nos jours, y compris une analyse des résultats des élections pour la 18ème Knesset (mars 2009). Programme de la première partie : période 1881-1977 • lundi 10 novembre 2008 : 1881-1947 : Histoire du sionisme et du Yishouv • lundi 17 novembre 2008 : 1948-1953 : La guerre d’Indépendance et les premières années • jeudi 27 novembre 2008 : 1956-1967 : De la guerre du Sinaï à la guerre des Six Jours • lundi 8 décembre 2008 : 1968-1973 : De l’euphorie à la guerre du Kippour • lundi 15 décembre 2008 : 1973-1977 : Le grand retournement. Dispensée par Simon Epstein (historien) et par François Lafon (maître de conférences Université de Paris 1, en délégation au CRFJ), cette première série vise à comprendre les 30 premières années de la vie de l’État d’Israël, du point de vue tant politique que socio- économique et militaire. Fouilles archéologiquesBeisamoun La Mission archéologique de Beisamoun a débuté en 2007. Elle a pour objectif de mener une exploration programmée à moyen/long terme de cet ancien village implanté à proximité des berges du lac Houleh (haute vallée du Jourdain, Galilée) et principalement occupé au Néolithique précéramique B, à la fin du 8e millénaire. L’important potentiel scientifique du site est connu grâce à une courte campagne de sauvetage menée en 1972 par M. Lechevallier (CNRS/CRFJ ; Lechevallier, 1978) et aux saisons exploratoires que nous avons menées ces deux dernières années grâce à une étroite collaboration franco-israélienne encadrée par H. Khalaily (Israel Antiquities Authority) et F. Bocquentin (CNRS/CRFJ). Elles ont permis d’évaluer la préservation du site et sa chronologie grâce à l’intervention de plusieurs spécialistes (sols, industrie lithique, faune, outils d’os, matériel de broyage, anthropologie, palynologie, géomorphologie, datations radiocarbones) (Bocquentin et al., 2007 ; Khalaily & Bocquentin, 2008). La mission Beisamoun contribue à éclaircir la fin du Néolithique précéramique, période durant laquelle s’implante durablement une culture agro- pastorale dans la région, et de mesurer l’impact de celle-ci sur l’environnement au cours des siècles. Situé dans une zone de passage privilégié entre le Levant sud et le Levant nord, Beisamoun offre, en outre, la possibilité de discuter des phénomènes d’introduction ou de domestication autochtone des espèces animales ainsi que de la circulation des populations et des échanges de techniques et de matières premières. Bocquentin F., Khalaily H., Samuelian N., Barzilai O., Le Dosseur G., Horwitz L.-K. & A. Emery-Barbier. 2007. Renewed Excavation of the PPNB site of Beisamoun, Hula Basin. Néo-Lithics: 2/07: 17-21. Khalaily H. & Bocquentin F., Beisamoun (Mallaha), 2008. Hadashot Arkheologiyot –

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 15

Excavations and Surveys in Israel: 120. http://www.hadashot-esi.org.il/ report_detail_eng.asp?id=809&mag_id=114 Lechevallier M. 1978. Abu Gosh et Beisamoun, deux gisements du VIIe millénaire avant l'ère chrétienne en Israël. Mémoires et Travaux du Centre de recherches préhistoriques français de Jérusalem, 2. Paris : Association Paléorient.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 16

Articles

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 17

Deux nouvelles lèvres de Cassidae au PPNB Les découvertes de Beisamoun et Yiftahel*

Gaëlle Le Dosseur

1 En 2008, deux nouvelles lèvres de Cassidae (fig. 1) ont été mises au jour sur deux sites PPNB du Nord d’Israël : Beisamoun et Yiftahel (fig. 2). Il s’agit d’objets façonnés sur la lèvre externe de gros coquillages méditerranéens (Phalium granulatum de la famille des Cassidae), probablement utilisés comme parures. Les lèvres de Cassidae sont attestées au Levant depuis le Kébarien. On n’en compte qu’un petit nombre aux périodes néolithiques et c’est aux Âges des métaux qu’elles sont les plus nombreuses (Reese, 1989). Les découvertes de 2008 enrichissent donc l’échantillon néolithique et la discussion sur l’approvisionnement en matières premières, les contacts entre les sites et les parentés culturelles à cette époque. Elles apportent également de nouveaux éléments de réflexion sur la fonction de ces objets transculturels.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 18

Fig. 1 : Les lèvres de Cassidae de Beisamoun (a) et Yiftahel (b)

(Clichés G. Le Dosseur, avec l’autorisation de l’Offce des Antiquités d’Israël)

Les sites : Beisamoun et Yiftahel 2 Beisamoun est situé dans le bassin du Houleh, entre le Golan à l’est et les monts de Naftali à l’ouest. L’occupation principale est datée du Néolithique Précéramique B (PPNB1) tandis que les niveaux les plus récents sont attribués au Néolithique Céramique et à l’Âge du bronze. Depuis les années 50, le site a fait l’objet de nombreuses prospections. En 1972, M. Lechevallier (CNRS et CRFJ) a brièvement fouillé un secteur. Des maisons quadrangulaires au sol plâtré bien conservé ainsi que des sépultures et deux crânes surmodelés ont été dégagés à cette époque (Lechevallier, 1978). En 2007, F. Bocquentin (CNRS) et H. Khalaily (OAI2) ont entamé une nouvelle fouille, programmée sur plusieurs années. Après l’exploration d’un secteur E en 2007 (Bocquentin et al., 2007), un secteur F a été étudié en 2008, livrant notamment un vaste sol plâtré attribué au PPNB. 24 objets travaillés en matières dures animales ont été mises au jour lors de cette campagne de fouilles dont une lèvre de Cassidae.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 19

Fig. 2 : Carte des sites PPNB où des lèvres de Cassidae ont été retrouvés

3 Yiftahel est situé en Basse Galilée, à huit kilomètres à l’ouest de Nazareth. Comme à Beisamoun, l’occupation principale est datée du PPNB, mais des niveaux plus récents (Néolithique Céramique, Âge du bronze) ont également été mis à jour. Le site a été découvert à l’occasion de la construction d’une route. Depuis le début des années 80, A. Berman (OAI), A. Ronen (Université de Haïfa), M. Lamdan et M. Davis (Musée Stekelis, Haïfa), E. Braun (OAI) puis Y. Garfinkel (Université de Jérusalem) l’ont exploré successivement. Après une interruption de dix ans, H. Khalaily et I. Milevski (OAI) ont repris en 2007/2008 les fouilles de ce site, toujours en contexte de sauvetage. Ces derniers travaux, menés sur une large superficie, ont livré un mobilier exceptionnel ainsi que d’immenses bâtiments au sol plâtré très bien conservé, de nombreuses sépultures et trois crânes surmodelés datés du PPNB. Une large collection d’objets en matières dures animales a été constituée. Elle comprend une lèvre de Cassidae aménagée. Les lèvres de Cassidae de Beisamoun et Yiftahel 4 Ces objets (fig. 1) sont fabriqués sur des lèvres externes de Phalium granulatum. Leur forme est courbe et tous deux présentent sur la face concave les indentations naturelles du coquillage. Celui de Beisamoun (fig. 1a) mesure 42 mm de long pour une largeur et une épaisseur de 7 et 8 mm. Celui de Yiftahel (fig. 1b) mesure 51 mm de long pour une largeur et une épaisseur de 8 et 6 mm. 5 Une fois séparées du corps du coquillage3, les lèvres ont été régularisées par abrasion (fig. 3). Il est possible que les extrémités de la lèvre, à Beisamoun, aient été sectionnées pour former deux méplats latéraux. Sur cet exemplaire quatre perforations ont été aménagées par raclage en rotation pour permettre la suspension (fig. 3a et 4). À chaque extrémité, un pont est formé par une perforation sur le méplat latéral et une perforation sur la face concave. Sur l’exemplaire de Yiftahel, une seule perforation a

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 20

été commencée à une extrémité tandis que la partie opposée a été façonnée en pointe (fig. 3b). Cette partie appointée est très différente des extrémités perforées et sa forme est peu propice à recevoir ce type d’aménagement. Par conséquent, bien que l’objet de Yiftahel soit inachevé, son système de suspension devait être différent de celui de Beisamoun. Nous en verrons plus tard les implications.

Fig. 3 : Fabrication des lèvres de Cassidae

a : aménagement de quatre perforations à Beisamoun b : aménagement inachevé d’une perforation à Yiftahel

Fig .4 : Les perforations

Quatre perforations sont aménagées sur l’exemplaire de Beisamoun. Les orifces sont creusés à partir de la face concave et de méplats latéraux. Les deux ponts de suspension sont brisés

6 L’exemplaire de Beisamoun est intensément usé. Toutes les faces sont émoussées et lustrées ainsi que les extrémités et les perforations. Cet objet a été abandonné lorsque les deux ponts de suspension se sont brisés (fig. 4). L’usure de la lèvre de Cassidae de Yiftahel se limite en revanche à la face indentée. Étant donnée l’absence d’autres usures

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 21

sur cet objet et son caractère inachevé, il est probable que l’émoussé de la partie indentée résulte simplement d’une érosion naturelle par l’eau, antérieure au débitage de la lèvre.

7 Ces deux objets, aménagés pour la suspension, étaient probablement des pendentifs ou des parures cousues sur des vêtements ou des accessoires. Ils ont été retrouvés non loin de restes humains mais ils ne sont apparemment pas associés à une sépulture. Discussion 8 Qu’implique la présence de lèvres de Cassidae à Beisamoun et Yiftahel au PPNB ?

9 Tout d’abord, ces objets ayant été aménagés dans un coquillage de la Mer Méditerranée, deux modes d’approvisionnement sont envisagés : l’expédition sur la côte ou l’échange, direct ou indirect, avec des communautés vivant près du littoral. La présence de lèvres de Cassidae dans une région éloignée de la côte méditerranéenne comme le Sinaï (Abu Madi III, cf. infra), et inversement celle de coquillages de la Mer Rouge dans la région méditerranéenne, illustrent la possibilité d’échanges entre communautés (Bar Yosef D., 1999, p. 75). 10 Ensuite, les lèvres de Cassidae sont non seulement présentes à Beisamoun et Yiftahel mais également sur bien d’autres sites PPNB (fig. 2) : Abou Gosh (Reese, 1989), Jéricho (Bar Yosef D., 1999), Kfar Hahoresh (ibid), ‘Ain Ghazal (Reese, 1989), Nahal Hemar (Bar Yosef D., 1999), Abu Madi III (ibid). L’usage de tels objets sur tous ces sites est un argument supplémentaire pour reconnaître une véritable communauté de traditions à cette époque. De nombreux points communs existent entre les sites PPNB tant du point de vue de l’architecture que du point de vue de l’économie, des pratiques funéraires, des techniques lithiques… (Bar Yosef et Belfer Cohen, 1989 ; Kuijt et Goring-Morris, 2002). Cependant, en dépit d’une communauté de traits, chaque site développe ses particularités. Des différences sont perceptibles dans le détail des techniques architecturales comme dans celui des pratiques funéraires… (Bar Yosef et Belfer Cohen, 1989 ; Cauvin, 1997 ; Kuijt et Goring-Morris, 2002). Les crânes ne sont pas modelés de la même manière à Nahal Hemar, à ‘Ain Ghazal, à Kfar Haroresh ou à Beisamoun. De même, l’aménagement des lèvres de Cassidae diffère d’un site à l’autre. À Jéricho, deux perforations sont aménagées aux extrémités, à partir des faces (Reese, 1989 ; Marshall, 1982, fig. 253.5 p. 620 ; D. Stordeur, comm. pers.). À Beisamoun, quatre orifices sont creusés aux extrémités, à partir des faces et de méplats latéraux (fig. 3a). À Yiftahel, les lèvres de Cassidae ne sont percées qu’à une extrémité (fig. 3b). À Abu Madi, la suspension n’est pas assurée par des perforations mais par une gorge creusée à une extrémité (Bar Yosef D., 1999). Enfin, à Kfar Hahoresh, certaines extrémités ont été façonnées de manière à dégager deux petites excroissances pour la fixation (Bar Yosef D., 2008, fig. 2.13). Ces variations reflètent-elles une évolution des modes de suspension dans le temps (au cours du PPNB moyen/récent) ? Ou révèlent-elles des choix « contemporains » distincts, qui contribueraient à définir l’identité propre de chaque site ? 11 L’usage des lèvres de Cassidae se poursuit bien après le PPNB, au Néolithique Céramique puis aux Âges des métaux. D.S. Reese ainsi que D. Bar Yosef ont fait l’inventaire détaillé des exemplaires connus. Nous l’avons résumé dans le tableau 1 (voir annexe). C’est aux Âges des métaux que les lèvres de Cassidae sont les plus nombreuses. Elles sont alors fréquemment retrouvées en contexte funéraire, et donc liées au monde des morts (Reese, 1989) (fig. 5). D’après les données publiées, aucune lèvre de Cassidae du PPNB n’est clairement associée à une sépulture. Seules celles de

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 22

Kfar Hahoresh ont été retrouvées sur un site dont la fonction essentielle semble funéraire (Goring-Morris, comm. pers.). On peut se demander si l’abondance relative de lèvres de Cassidae dans les sépultures aux Âges des Métaux n’est pas liée aux méthodes de fouilles adoptées sur les sites de ces époques, les sépultures étant souvent plus finement fouillées que les habitations. Si tel n’était pas le cas, on pourrait proposer que le sens donné aux lèvres de Cassidae, en partie reflété par le lieu de dépôt, a pu évoluer avec le temps.

Fig. 5 : Localisation des lèvres de Cassidae

(D’après Reese, 1989 et Bar Yosef, D., 1999)

Conclusion 12 En 2008, deux nouvelles lèvres de Cassidae datées du PPNB ont été mises au jour. Ces objets sont désormais répertoriés sur huit sites de l’époque. Si leur usage sur tous ces sites reflète une tradition partagée, les variations dans leur mode de fabrication et de suspension révèlent soit une évolution des techniques dans le temps soit des choix différents qui contribueraient éventuellement à définir des identités distinctes.

13 La présence de lèvres de Cassidae au Proche Orient pendant le Kébarien, le Néolithique puis les Âges des métaux a conduit D.S. Reese à les considérer comme un trait typiquement oriental (Reese, 1989). Nous ajoutons atemporel. La distribution spatiale de ces objets varie de manière importante entre le Néolithique et les Âges des métaux. Il est difficile de savoir si cette situation résulte des méthodes de fouilles distinctes adoptées sur les sites de ces deux périodes ou si elle est une réalité archéologique. Dans le second cas, la tradition ne se transmettrait que partiellement. Le signifiant persisterait tandis que le signifié pourrait évoluer.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 23

BIBLIOGRAPHIE

Bar Yosef, D. 1999 The role of shells in the reconstruction of socio-economic aspects of neolithic through early bronze age societies in Sinaï. PhD, Hebrew University of Jerusalem. 2008 Invertebrate analysis. In Pearsall D.M. éd., Encyclopedia of archaeology, New York: Academic Press, p. 1560-1565.

Bar Yosef, D.E., and Heller, J. 1987 Mollusca from Yiftah'el, Lower Galilee, Israel. Paléorient, 13/1, p. 131-35.

Bar Yosef, O. et Belfer Cohen, A. 1989 The levantine PPNB interaction sphere. In Hershkovitz I. éd., People and culture in change, B.A.R. I.S., 508, Oxford, p. 59-72.

Bodenheimer, F.S. 1972 Animal and Man in Bible Lands. Collection de Travaux de l'Académie Internationale d'Histoire des Sciences, 10, Leiden: Brill.

Cauvin, J. 1997 Naissance des divinités, naissance de l'agriculture. Paris : Éditions du C.N.R.S.

Chevallier, H. 1981 Les Mollusques du gisement préhistorique de Kitsos (Attique). In Lambert N. dir., La Grotte Préhistorique de Kitsos (Attique), Recherche sur les grandes civilisations, 7, Paris, p. 611-632.

Dance, S.P. 1975 The Molluscan Fauna. In Movius Jr. dir., Excavation of the Abri Pataud, Les Eyzies (Dordogne), Cambridge, MA: Harvard, p. 154-159.

David, N. 1985 The Noaillian (Level 4), Assemblages and the Culture in Western Europe. Excavations of the Abri Pataud, Les Eyzies (Dordogne), American School of Prehistoric Research Bulletin, 37, Cambridge, MA: Harvard.

Demetropoulos, A. 1979 Some Notes on the Marine and Freshwater Molluscs Identified. In Hala Sultan Tekke, 5, Studies in Mediterranean Archaeology, 45:5, Goteborg: Paul Astroms, p. 134-144.

Garstang, J. 1953 Prehistoric Mersin, Yimiik Tepe in Southern Turkey. Oxford: Clarendon.

Guy, P.L.O. 1938 Megiddo Tombs. Oriental Institute Publication, 33. Chicago: University of Chicago.

Kampschulte, I., and Orthmann, W. 1984 Grdber des 3. Jahrtausends in Syrischen Euphrattal, 1. Ausgrabungen bei Tawi 1975 und 1978. Saarbrucker Beitrage zur Alter- tumskunde, 38, Bonn: Rudolf Habelt.

Koeppel, R. 1940 Teleilat Ghassul II. Rome: Pontifical Biblical Institute.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 24

Kuijt et Goring-Morris, N.A. 2002 Foraging, farming, and social complexity in the Pre-Pottery Neolithic of the Southern levant: a review and synthesis. Journal of World Prehistory, 16: 4, p. 361-438.

Lapp, P.W. 1967a The 1966 Excavations at Tell Tacannek. Bulletin of the American Schools of Oriental Research, 185, p. 2-39. 1967b Taanach by the Waters of Megiddo. Biblical Archaeologist, 30/1, p. 2-27.

Marshall, D.N. 1982 Appendix E: Jericho bone tools and objects. In Kenyon K.M. et Holland T.A. dir., Excavations at Jericho IV, London: British School of Archaeology in Jerusalem, p. 570-622.

Mellaart, J. 1970 Excavations at Hacilar. Occasional Publications of the British Institute of Archaeology at Ankara, 9. Edinburgh: Edinburgh University.

Mienis, H. K. 1978 Molluscs from the Prehistoric Sites of Abou Gosh and Beisamoun, Israel. In Lechevallier M. dir., Abou Gosh et Beisamoun, Mémoires et Travaux du Centre de recherche prehistorique francais de Jérusalem, 2, Paris: Association Paléorient, p. 269-272. 1988 Nahal Hemar cave – The marine mollusks. Atiqot, 18, p. 47-49.

Parrot, A. 1956 Le Temple d'Ishtar. Paris : Paul Geuthner.

Reese, D.S. 1989 On cassid lips and helmet shells, Bulletin of the American School of Oriental Research, 275, p. 33-39.

Tubb, J.N. 1985 Excavations in the Early Bronze Age Cemetery of Tiwal esh-Sharqi: A Preliminary Report. Annual of the Department of Antiquities of Jordan, 29, p. 115-30.

Ussishkin, D. 1980 The Ghassulian Shrine at En-Gedi. Tel Aviv, 7/1-2, p. 1-44.

NOTES

*. Je remercie F. Bocquentin, H. Khalaily et I. Milevski qui ont dirigé les fouilles de Beisamoun et Yiftahel. Je remercie également N. Goring Morris, D. Bar Yosef, François Valla et E. Telkes Klein pour leurs conseils et relectures. Enfin, je suis reconnaissante au Ministère des Affaires Étrangères (Bourse Lavoisier) d’avoir soutenu ma recherche lors de cette année 2008 ainsi qu’à la Care Archaeological Fundation d’avoir financé les fouilles de Beisamoun. 1. Au Levant sud, la Néolithisation comprend cinq étapes. Au Natoufien (13 000-9 600 cal BC), les hommes réduisent leur mobilité. Puis au Néolithique Précéramique A (PPNA : 9 600-8 700 cal BC), ils tentent les premières expériences agricoles. Au Néolithique Précéramique B (PPNB : 8 700-6 900 cal BC), ils s’initient à l’élevage. Au Néolithique Précéramique C, (PPNC : 6 900-6 500 cal BC), ils renforcent cette activité. Enfin, au Néolithique Céramique (PN : 6 500-5 000 cal BC), ils utilisent pour la première fois la céramique. 2. Office des Antiquités Israélien.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 25

3. Il est aussi possible que les lèvres se soient naturellement détachées du corps du coquillage et qu’elles aient été ramassées telles quelles sur le littoral.

RÉSUMÉS

En 2008, deux nouvelles lèvres de Cassidae ont été mises au jour sur deux sites néolithiques (Néolithique Précéramique B : PPNB) du Levant Sud : Beisamoun et Yiftahel. Il s’agit d’objets façonnés sur la lèvre externe de coquillages méditerranéens appelés Phalium granulatum. Des aménagements pour la suspension (perforations aux extrémités) laissent penser que ces objets ont été utilisés comme pendentifs ou qu’ils ont été cousus sur des vêtements ou des accessoires. Ces découvertes alimentent la discussion sur l’approvisionnement en matières premières mais aussi sur les parentés culturelles et les singularités de chaque site à cette époque. Si l’usage de lèvres de Cassidae est partagé par de nombreux sites PPNB, les modes de fabrication et de suspension ne sont pas strictement les mêmes sur tous. Ces variations reflètent-elles une évolution des modes de suspension dans le temps (au cours du PPNB moyen/récent) ? Ou révèlent-elles des choix « contemporains » distincts, qui contribueraient à définir l’identité propre de chaque site ? Après le Néolithique, l’usage des lèvres de Cassidae se poursuit aux Âges des métaux. À cette époque plus qu’au Néolithique, ces objets sont retrouvés dans des contextes funéraires. Il est difficile de savoir si cette situation résulte des méthodes de fouilles distinctes adoptées sur les sites néolithiques et sur ceux des Âges des métaux ou si elle est une réalité archéologique. Dans le second cas, on pourrait proposer que le sens donné aux lèvres de Cassidae, en partie reflété par le lieu de dépôt, a pu évoluer avec le temps.

Two more cassid lips for the PPNB Beisamoun and Yiftahel In 2008, two new cassid lips have been found on two Neolithic sites (Pre Pottery Neolithic B), in the Southern Levant: Beisamoun and Yiftahel. These objects are shaped on the external lip of shells coming from the Mediterranean Sea and called Phalium granulatum. Perforated on one or two sides, they might have been used as pendants or sewn on fabrics. These two discoveries bring new elements to discuss the supply with raw materials but also the cultural links and the peculiarities of each site during PPNB. If the use of cassid lips is shared by several sites of this period, the way of making and using them is not exactly the same everywhere. Do these variations reflect an evolution of the use with time (the duration of middle/late PPNB)? Or do they reveal “contemporaneous” distinct choices, which would contribute to define each site’s identity? After Neolithic, the use of cassid lips continues through Metal Ages. At this time, those objects are more often found in funeral contexts than during Neolithic. It is difficult to know if this situation results from different methods of excavations used for Neolithic and Metal Ages of if it is an archaeological reality. In the second case, one could suggest that the meaning given to cassid lips, partly reflected by their localization on site, could evolve through time.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 26

INDEX

Mots-clés : lèvre de Cassidae, Cassidae Keywords : Beisamoun, Cassid lip, PPNB, Yiftahel

AUTEUR

GAËLLE LE DOSSEUR

Gaëlle Le Dosseur travaille depuis plusieurs années sur le processus de Néolithisation au Levant et sur les profonds changements économiques, techniques, sociaux et conceptuels qui l’ont accompagné. Elle a choisi d’explorer ces phénomènes par le biais d’une activité qui a pu être négligée par la recherche : l’exploitation des matières dures animales. Elle a soutenu une thèse de doctorat sur ce sujet (décembre 2006) et poursuis sa recherche au Centre de recherche français à Jérusalem, dans le cadre d’un post-doctorat financé par la Bourse Lavoisier. Les premiers résultats de sa recherche ont été publiés dans plusieurs articles, en particulier : « La place de l’industrie osseuse dans la Néolithisation au Levant Sud », Paléorient, 34 : 1, p. 59-89, sous presse. « La spécialisation des tâches au début de la Néolithisation au Levant : l’exploitation des matières osseuses au Natoufien », Techniques et Cultures, 2006, 46-47, p. 105-138. « La fabrication et l’entretien des poinçons en os au Levant Sud : investissement technique et règles de production du Natoufien au Néolithique Précéramique B récent », In : Astruc L., Bon F., Léa V., Milcent P.-Y. et Philibert S. dir., Normes techniques et pratiques sociales, de la simplicité des outillages pré- et protohistoriques, Actes des XXVIèmes Rencontres internationales d’archéologie et d’histoire d’Antibes, 2006, Éditions APDCA, Antibes, p. 345-357. For many years, Gaëlle Le Dosseur have been working on the Neolithization process in the Levant and on the economical, technical, social and conceptual changes that have accompanied it. She chose to study those changes through one activity that is sometimes neglected by research: the exploitation of bone materials. She submitted in December 2006 a PhD on this subject. She is now continuing her research in the Centre de recherche français à Jérusalem, in the frame of a post- doctorate financed by the French Ministry of Foreign Affair (Bourse Lavoisier). The first results of her research have been published in several articles. (see above in the french part).

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 27

Hécatée d’Abdère et la « misanthropie » juive

Katell Berthelot

1 L’accusation de misanthropie est probablement, avec l’accusation d’athéisme, le seul stéréotype anti-juif spécifique que l’on trouve dans l’Antiquité gréco-romaine. D’autres stéréotypes circulaient, mais ils n’étaient pas appliqués exclusivement aux Juifs1. Alors que plusieurs historiens considèrent que l’accusation de misanthropie a des origines égyptiennes2 – à cause de la présence de mercenaires juifs aux côtés des conquérants perses puis grecs de l’Égypte, des événements qui se déroulèrent dans la colonie juive d’Éléphantine à la fin du Ve siècle av. n. è.3, et surtout du récit calomnieux que fait le prêtre égyptien Manéthon des origines du judaïsme –, il me semble que la notion même de misanthropie est grecque, et que cette accusation ne peut être comprise que dans un contexte culturel grec, du moins à l’origine, dans le cas d’Hécatée d’Abdère4, qui vécut à la fin du IVe siècle av. n. è. et fut le premier auteur à décrire le mode de vie juif comme misanthrope5. L’excursus d’Hécatée sur les Juifs (apud Diodore de Sicile, Bibliothèque historique XL.3) 2 La première partie du texte doit être citée intégralement : « 1. Comme une épidémie s’était déclarée en Égypte en des temps anciens, la plupart attribuèrent ce mal à une cause divine. En effet, une foule d’étrangers de toutes sortes vivait dans le pays, pratiquant des rites religieux et sacrificiels différents, et il s’en était suivi que les honneurs que les Égyptiens rendaient traditionnellement à leurs dieux étaient tombés en désuétude. 2. Les indigènes du pays en conclurent que leurs maux ne trouveraient de remède que s’ils renvoyaient les étrangers. Les étrangers furent donc chassés et les plus distingués et les plus actifs d’entre eux se rassemblèrent et, comme le disent certains, furent jetés en Grèce et en d’autres régions, ayant pour chefs des hommes dignes d’estime, parmi lesquels l’emportaient Danaos et Cadmos. Mais le plus grand nombre s’abattit sur le pays aujourd’hui appelé Judée, situé non loin de l’Égypte, et qui était totalement inhabité en ce temps-là. 3. Cette émigration avait pour chef le nommé Moïse, que distinguaient sa sagesse et sa vaillance. Ayant pris possession du pays, il y fonda diverses cités, dont celle qui est aujourd’hui la plus renommée, appelée Hiérosolyma. Il fonda aussi le sanctuaire qui est particulièrement vénéré d’eux et institua les cérémonies et les rites de leur culte et il légiféra pour tout ce qui

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 28

constituait les règles de leurs institutions. Il divisa aussi le peuple en tribus, au nombre de douze, chiffre tenu pour parfait et conforme au nombre des mois qui forment une année. 4. Il n’institua cependant aucune image de dieux, convaincu que la divinité n’avait pas forme humaine, mais que seul le ciel qui enveloppe la terre est divin et maître de toutes choses. Il établit des sacrifices différents de ceux des autres peuples, comme est différent tout leur genre de vie : en effet, à cause de leur expulsion, il introduisit une sorte de mode de vie misanthrope et inhospitalier (ajpavnqrwpovn tina kai; misovxenon bivon) (…) »6. 3 À l’origine, ce texte appartenait sans doute au traité ethnographique écrit par Hécatée sur l’Égypte, les Aigyptiaka. Le passage sur les Juifs constitue un excursus ethnographique court mais typique, qui inclut de nombreux topoi : l’expulsion des étrangers qui souillent le pays par leurs rites religieux inhabituels, la notion d’ ajpoikiva (« colonie ») et la présentation de Moïse en ktivsth" (« fondateur »), l’idée que les coutumes des Juifs diffèrent de celles des autres peuples, etc7. Dans l’ensemble, l’excursus loue Moïse et décrit les lois juives de manière plutôt positive, bien que « les plus actifs » parmi les étrangers soient ceux qui s’établissent en Grèce. Ce texte reflète clairement l’ethnocentrisme grec de son auteur8.

4 La plupart des spécialistes estiment qu’Hécatée dépend d’un récit égyptien qui présente les Juifs comme une bande de lépreux impurs, qui souillent le pays et sont finalement expulsés d’Égypte – une histoire que l’on rencontrerait dès le IIIe siècle av. n. è. chez Manéthon9. Les envahisseurs venus d’Asie qui souillent le pays et doivent être expulsés représente un motif littéraire bien connu dans la littérature égyptienne10. La question du moment à partir duquel cette histoire fut associée aux Juifs reste débattue11. Quoi qu’il en soit, à mon sens Hécatée ne dépend nullement de cette tradition égyptienne. Son excursus s’inspire principalement de sources grecques. Tout d’abord, il faut relever qu’au §1, ce sont les Égyptiens eux-mêmes qui se détournent de leurs rites religieux ancestraux, et que ce sont eux qui sont punis par les dieux et deviennent malades. Ensuite, les gens qui sont expulsés sont des étrangers12 et non des Égyptiens lépreux, comme le veulent les récits ultérieurs sur les Juifs. Enfin, les Juifs ne sont nullement accusés d’impiété, alors que c’est la caractéristique principale du récit de Manéthon. Ces différences ne sont pas de simples variations narratives, elles s’expliquent par l’influence d’une autre tradition littéraire, celle du discours ethnographique grec sur l’Égypte. 5 Le premier livre de la Bibliothèque historique de Diodore, qui traite de l’Égypte, dépend largement d’Hérodote, mais aussi des Aigyptiaka d’Hécatée. Diodore mentionne même Hécatée par son nom en I.46.813. La comparaison entre l’excursus d’Hécatée au livre XL et ce qui est écrit des Juifs et des Égyptiens au livre I devrait donc être éclairante. Or, en I.28.1-4, nous lisons : « (…) les Égyptiens déclarent (fasi) encore que c’est à la suite de ces événements que de très nombreuses colonies, parties d’Égypte, se sont répandues dans toute la terre habitée. À Babylone, par exemple, c’est Bélos, tenu pour le fils de Poséidon et de Libye, qui était à la tête des colons. (…) 2. Ils disent (levgousi) aussi que c’est Danaos, parti également de cette contrée, qui fonda la ville d’Argos, la plus ancienne peut-être de la Grèce. Quant au peuple des Colques, qui vivent au bord du Pont-Euxin, et des Juifs, placés entre l’Arabie et la Syrie, ils devraient également leur origine à des colons venus de chez eux. 3. C’est ce qui expliquerait que chez ces deux peuples une tradition fort ancienne établit la circoncision des jeunes garçons, usage qui vient d’Égypte. 4. Même les Athéniens, à les entendre (fasin), seraient une colonie de Saïs en Égypte, et de cette parenté ils tentent de fournir les preuves suivantes (…) »14.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 29

6 Ce passage, tout comme celui en I.55.5, qui traite aussi de l’origine égyptienne des Juifs et des Colques, est généralement attribué à Hécatée15 (bien que son nom ne soit pas mentionné ici). L’influence d’Hérodote est aussi clairement perceptible16. Si l’on compare ce texte à l’excursus du livre XL, on observe à la fois des convergences et des divergences. La différence principale est qu’au livre I, Danaos et les Juifs sont des colons égyptiens, tandis qu’au livre XL, ce sont des étrangers expulsés d’Égypte. Elle a conduit Daniel Schwartz à considérer que l’excursus du livre XL dépend en fait d’un ouvrage juif, une sorte de « Pseudo-Hécatée »17. Cependant, même au livre XL, l’émigration des étrangers est appelée apoikia (XL.3.3), le terme classique en grec pour désigner une colonie. Cela implique normalement que les colons appartiennent à la cité qu’ils quittent pour s’établir ailleurs. Il semble donc que même au livre XL, Hécatée soit influencé par le discours tenu par les Égyptiens. L’idée d’une colonisation égyptienne aux quatre coins du monde et d’une origine égyptienne de la civilisation humaine est foncièrement une revendication égyptienne, bien documentée par Hérodote18. Si l’on accepte l’hypothèse selon laquelle Hécatée est la source principale de Diodore dans le passage I.28.1-419, cela signifie qu’Hécatée se réfère au discours égyptien traditionnel, tout comme Hérodote l’avait fait avant lui. Q’il s’agisse d’un discours rapporté transparaît clairement dans l’usage des verbes levgousin et fasin (« ils disent »). Ces verbes indiquent en outre qu’Hécatée met à distance les affirmations égyptiennes. Par conséquent, il ne serait pas surprenant qu’il ait choisi de présenter sa propre version des faits à propos des origines des Juifs.

7 Les raisons conduisant à modifier le récit égyptien étaient nombreuses. Dans la mesure où ce récit mettait aussi en scène des Grecs, présentés comme d’origine égyptienne, il pouvait heurter la fierté grecque. Eschyle, par exemple, s’est élevé contre cette version de l’histoire. Dans les Suppliantes, les filles de Danaos, qui ont fui l’Égypte et se sont réfugiées à Argos, déclarent être d’ascendance grecque par leur père, lui-même descendant d’Epaphos, fils d’Io et de Zeus20. Plusieurs siècles après, Plutarque reproche encore à Hérodote d’avoir présenté Danaos et ses descendants comme des Égyptiens, et négligé la connection avec Epaphos et Io21. Lorsqu’Hécatée (au chapitre XL.3 de Diodore) modifie le récit égyptien sur Danaos et ses compagnons (et par la même occasion celui sur les Juifs), il se fait tout simplement l’écho d’idées grecques très répandues sur le lien entre Danaos et l’Égypte. Bien qu’il soit influencé par la description hérodotéenne de l’Égypte, comme le révèlent ses remarques sur les Colques22, Hécatée est sans doute plus critique qu’Hérodote vis-à-vis des discours égyptiens23, et semble avoir adopté le point de vue d’Eschyle (au moins en partie). En bref, les apparentes contradictions entre les deux passages de Diodore (I.28.1-4 et XL. 3.1-3) sont compréhensibles si l’on prend en considération l’écart qui existe entre les discours tenus par les Égyptiens et le point de vue grec sur ceux-ci24. 8 En outre, un autre topos grec est à l’œuvre dans l’excursus d’Hécatée sur les Juifs. L’expulsion des étrangers dont les rites ont perverti les indigènes et perturbé le culte traditionnel, expulsion désignée par le terme xenhlasiva (xenèlasia), s’explique par la référence à Sparte, omniprésente dans le texte. À l’exception d’un passage d’Eratosthène décrivant la xenhlasiva comme une pratique barbare (chez Strabon XVII.1.19), les mots xenhlasiva et xenhlatevw sont utilisés dans la littérature grecque principalement à propos de Sparte25. L’utilisation de ce terme montre par conséquent que la réaction des Égyptiens (face à la corruption de leurs mœurs

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 30

religieuses) est, aux yeux d’Hécatée, de type spartiate. L’excursus d’Hécatée est en fait saturé de références à des modèles grecs. 9 Néanmoins, une influence juive sur ce texte n’est peut-être pas tout à fait exclue. Hécatée rencontra probablement des Juifs à Alexandrie, et il entendit certainement parler de l’histoire de l’Exode. Selon la Bible, les Juifs étaient bel et bien des étrangers en Égypte, et la colère divine se déclencha contre les Égyptiens à cause d’Israël. De plus, tout comme dans le récit d’Hécatée, les Juifs ne souffrirent pas des plaies qui s’abattirent sur les Égyptiens. Bien sûr, il existe aussi des divergences importantes entre le récit biblique et l’excursus d’Hécatée : dans la Bible, la divinité en colère est le Dieu d’Israël, et non les divinités égyptiennes ; la colère de Dieu y est motivée par le refus du Pharaon de laisser les Hébreux quitter l’Égypte, et non par l’abandon des rites religieux égyptiens ; etc. Mais si Hécatée eut connaissance du récit biblique, il se peut qu’il ait réalisé qu’il existait des convergences entre ce récit et sa version « grécocentrée » de l’histoire26. 10 En résumé, une lecture attentive du livre I de la Bibliothèque historique de Diodore révèle qu’il ne contient aucune allusion aux traditions égyptiennes relatives aux lépreux impurs qui s’associent avec un envahisseur étranger pour souiller l’Égypte. Hécatée lui- même n’y a donc vraisemblablement pas fait référence, et peut-être même les ignorait- il. En ce qui concerne l’excursus au chapitre XL de Diodore, on est amené à conclure qu’il n’existe aucun lien entre celui-ci et les traditions égyptiennes attestées chez Manéthon. Hécatée mêle simplement des éléments issus des discours grecs sur l’Égypte, comme les Histoires d’Hérodote – qui se font l’écho de la revendication égyptienne d’être à l’origine de toutes les cultures –, mais aussi l’image grecque de l’Égypte comme pays inhospitalier et le lien entre Danaos et l’Égypte. Il se peut qu’il ait entendu parler de l’Exode biblique (après tout, il avait entendu parler de Moïse !), mais il n’est pas nécessaire de faire référence au récit biblique pour que sa version de la « sortie d’Égypte » soit intelligible. Cette conclusion rejoint celles formulées par Elias Bickerman dans un article consacré à l’analyse du discours grec sur « l’origine des peuples ». Ce discours tend à intégrer les peuples barbares dans un système grec d’ archaiologia, dans lequel le discours des autochtones sur leurs propres origines est remplacé par une interpretatio graeca27. 11 Mais si Hécatée n’est pas influencé par le discours égyptien sur les impurs et les envahisseurs asiatiques, d’où vient l’accusation de misantropie dirigée contre les Juifs ? Une autre explication est requise. Dans un premier temps, il importe d’analyser le propos d’Hécatée au §4 de manière plus approfondie. L’accusation de misanthropie formulée au §4 12 Bien que la perception des Juifs soit globablement positive dans l’excursus, la fin du §4 (qui n’est pas la fin de l’excursus lui-même) cède la place à une vision plus négative : « (…) comme conséquence de leur propre expulsion hors d’Égypte, (Moïse) introduisit une sorte de mode de vie misanthrope (apanthrôpos) et inhospitalier (misoxenos) »28. Apanthrôpos signifie littéralement « qui se détourne des autres hommes », et il est très souvent l’équivalent de misanthrôpos 29. De plus, le terme apanthrôpos apparaît pour la première fois dans la littérature grecque dans le Prométhée d’Eschyle (v.20), où l’on rencontre également pour la première fois le mot philanthrôpos (vv.7 et 28) (misanthrôpos, lui, n’apparaît qu’un peu plus tard). Une étude approfondie de ces termes montre que du Ve au IIIe siècle av. n. è. (au moins), c’est le mot apanthrôpos qui a été utilisé comme contraire de philanthrôpos, davantage que misanthrôpos, d’usage moins

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 31

répandu30. Quant au terme misoxenos, il semble qu’il apparaisse ici pour la première fois, et, mis à part deux textes juifs tardifs31, on le rencontre seulement deux fois dans la littérature grecque, uniquement chez Diodore (XXXIV/XXXV.1.3; XL.3.4), et toujours en rapport avec les Juifs. J’estime qu’il doit être compris comme le contraire de philoxenos, et donc traduit par « inhospitalier » (plutôt que par « hostile aux étrangers »). Le fait que la notion même de philanthrôpia ait un rapport avec l’hospitalité renforce cette interprétation32. 13 Plusieurs spécialistes ont noté qu’Hécatée tend à décrire les Juifs sous un jour spartiate33, et cela pourrait expliquer en partie pourquoi le mode de vie juif est décrit comme misanthrope34. Les Spartiates étaient réputés prompts à expulser les étrangers, et donc connus pour leur inhospitalité. La raison pour laquelle ils chassaient les étrangers résidait dans leur souci de préserver leurs lois et leurs coutumes ancestrales, que la présence de trop nombreux étrangers à Sparte aurait pu fragiliser. Les textes bibliques témoignent d’un raisonnement similaire : ils interdisent aux Hébreux de se marier avec les Cananéens, de peur qu’Israël ne devienne idolâtre à leur contact35. Selon le Deutéronome, Dieu ordonne même aux Hébreux de massacrer les Cananéens afin d’écarter tout danger de « contamination » idolâtre conduisant à l’abandon de la Loi donnée au Sinaï. Les livres allant de Juges à 2 Rois illustrent pour leur part ce que coûte à Israël le fait de se détourner de la Loi divine. Dans cette perspective, le parallèle entre Juifs et Spartiates pouvait avoir du sens, comme le prouve d’ailleurs le fait que Flavius Josèphe, dans son Contre Apion, justifie le « séparatisme » juif en invoquant l’exemple des Spartiates36. 14 Ainsi, la comparaison implicite entre Juifs et Spartiates à l’œuvre dans l’excursus d’Hécatée permet de comprendre ce que pouvait signifier « un mode de vie misanthrope et inhospitalier ». Mais un point continue à poser problème : en dépit de leur pratique de la xenèlasia, les Spartiates ne sont jamais accusés d’être un peuple misanthrope. Dans toute la littérature grecque, les Juifs sont en fait le seul peuple accusé de comportement misanthrope (misanthrôpos, apanthrôpos) et inhospitalier (misoxenos). Pourquoi une telle singularité ? Pour répondre à cette question, il est impératif d’analyser ce que signifiait la misanthropie dans un contexte grec. La misanthropie dans la culture grecque 15 Tout d’abord, il faut insister sur le lien étroit qui associe la misanthropie au théâtre, et en particulier à la comédie. Dans le Protagoras de Platon, lorsque le sophiste veut défendre l’idée selon laquelle la vertu peut être enseignée par l’éducation, il déclare : « Songe que de même, aujourd’hui, l’homme qui te paraît le plus injuste dans une société soumise à des lois serait encore un juste et un artiste en cette matière, si l’on avait à le comparer avec des hommes qui n’eussent ni éducation, ni tribunaux, ni lois, ni contrainte d’aucune sorte pour les forcer jamais à se soucier de la vertu, des hommes qui fussent de vrais sauvages (a[grioiv), comme ceux que le poète Phérécrate nous montrait l’autre année aux Lénéennes. Si tu tombais au milieu d’hommes de cette sorte, comme les misanthropes ( misavnqrwpoi) de la comédie au milieu de ce chœur, tu ne demanderais qu’à rencontrer Eurybate et Phrynondas et tu regretterais en gémissant la méchanceté des gens d’ici »37. 16 Les misanthropes, en l’occurrence, sont ceux qui ont fui la vie de la cité ; grande est leur déconvenue, puisque au lieu d’hommes vivant selon la nature au sens philosophique du terme, ils trouvent des sauvages redoutables. À travers cet exemple, c’est donc la loi de la cité qui est réhabilitée. Ce texte montre qu’à l’époque de Platon, les misanthropes étaient déjà des personnages mis en scène dans la comédie, et qu’ils

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 32

étaient dépeints comme méfiants vis-à-vis de leurs semblables (perçus comme pervertis et intrinsèquement mauvais), ainsi que vis-à-vis des lois de la cité (considérées comme artificielles et contraires aux lois de la nature). Par conséquent, ils se tenaient à l’écart de la vie de la cité.

17 Jacqueline de Romilly, dans son livre intitulé La douceur dans la pensée grecque, donne d’autres exemples de comédies faisant intervenir un ou plusieurs misanthrope(s) (dont les textes sont aujourd’hui perdus). L’une d’elle est une pièce de Diphilos intitulée Les Misanthropes38. Avant elle il faut toutefois signaler le Dyscolos de Ménandre, une de ses pièces les mieux préservées, et dont le titre alternatif était Le Misanthrope (Misanthrôpos ). Dans cette pièce, le misanthrope se nomme Cnémon, et bien qu’il vive à proximité d’un temple dédié à Pan et aux nymphes, il refuse de saluer les passants, de leur parler ou d’aider ceux qui sont perdus ou ont besoin d’un ustensile pour le sacrifice. Il vit presque complètement seul, avec sa fille et un vieux serviteur. Ménandre écrit de Cnémon qu’il est « un homme plein d’aversion pour la société des hommes (ajpavnqrwpov" ti" a[nqrwpo" sfovdra), bourru avec tout le monde (duvskolo" pro;" a{panta") et n’aimant pas la foule »39. 18 Certains spécialistes estiment que Ménandre s’est inspiré d’un misanthrope célèbre de l’Antiquité, appelé Timon40. Ce personnage apparaît dans le théâtre grec dès Aristophane. Bien que ce dernier n’utilise pas le mot apanthrôpos ou misanthrôpos, il présente clairement Timon comme un misanthrope, que ce soit dans les Oiseaux (v. 1549) ou dans le Lysistrata (vv.808ss). Dans la littérature grecque en général, à partir du Ve siècle av. n. è., Timon est le misanthrope par excellence. Les poètes alexandrins s’y réfèrent souvent, ainsi que l’attestent plusieurs épigrammes. Callimaque écrit par exemple : « Ô Timon, – car tu n’es plus – que hais-tu, les ténèbres ou la lumière ? Les ténèbres ; car vous êtes plus nombreux dans l’Hadès »41. L’association entre Timon et la misanthropie se retrouve par la suite chez Cicéron, Plutarque, Lucien, etc42. 19 Ainsi, à l’époque d’Hécatée, le misanthrope est un personnage de comédie. Il n’est pas anodin de constater que la popularité croissante dont jouit ce personnage à partir du IVe siècle (et le développement de la terminologie de type apanthrôpos, misanthrôpos, etc.) coïncide en quelque sorte avec la création de l’école péripatéticienne. Aristote n’a pas seulement écrit que l’être humain était un animal politique, il est aussi celui qui, le premier, a formulé de manière explicite l’idée que l’homme ressentait une amitié (philia) naturelle envers ses semblables, pour la seule raison qu’ils appartiennent à une même espèce : « (…) l’affection est, semble-t-il, un sentiment naturel du père pour sa progéniture et de celle-ci pour le père, non seulement chez l’homme mais encore chez les oiseaux et la plupart des animaux ; les membres d’une même espèce ressentent aussi une amitié mutuelle, principalement dans l’espèce humaine (kai; toi'" oJmoeqnevsi pro;" a[llhla, kai; mavlista toi'" ajnqrwvpoi"), et c’est pourquoi nous louons les hommes qui sont bienveillants envers les autres (o{qen tou;" flanqrwvpou" ejpainou'men). Même au cours de nos voyages au loin, nous pouvons constater à quel point l’homme ressent toujours de l’affinité et de l’amitié pour l’homme (wJ" oijkei'on a{pa" a[nqrwpo" ajnqrwvpw/ kai; fvlon) »43.

20 Théophraste, disciple et successeur d’Aristote à la tête du Lycée, élabora par la suite la notion d’oijkeiovth" (oikeiotès), c’est-à-dire de « parenté » universelle entre tous les humains, et nous savons par ses Caractères qu’il condamnait ces traits du misanthrope que sont le tempérament brutal (XV, aujqavdeia), ou mesquin (X,

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 33

mikrologiva), celui de l’homme chagrin (XVII, memyimoiriva) ainsi que l’homme défiant (XVIII, ajpistiva)44. Certains pensent que Ménandre fut influencé par Théophraste. Mais il s’agit plutôt d’un arrière-plan intellectuel commun, nourri dans une certaine mesure de philosophie péripatéticienne45. Les causes de la misanthropie 21 Il faut à présent poser la question : les misanthropes naissent-ils ainsi ? Et si la réponse est négative, quels sont alors les facteurs qui suscitent la misanthropie ? Dans le Phédon, Platon en propose une explication psychologique : « D’où vient en effet que s’insinue en nous la misanthropie ? De ce qu’on a mis en quelqu’un une robuste confiance, sans s’y connaître ; de ce qu’on admet chez l’homme en question une nature entièrement franche, saine, loyale ; puis de ce qu’un peu plus tard on en vient à découvrir qu’il est aussi pervers que déloyal, et derechef que c’est un autre homme ; quand on est maintes fois passé par cette épreuve, principalement par la faute de ceux qu’on pouvait considérer comme ses plus intimes et ses meilleurs amis, on finit, après tant et tant de froissements, par prendre en haine tout ce qui est homme, par estimer que rien de rien n’y est sain, sans exception »46. 22 Lorsque quelqu’un a été abusé par une personne à laquelle il vouait une confiance aveugle, et que cette expérience se répète, il devient misanthrope, c’est-à-dire qu’il évite la compagnie de ses semblables et les considère même avec horreur. Platon lui- même, après sa mauvaise expérience auprès du tyran Denys, écrit qu’il va devenir légèrement plus misanthrope47 !

23 Cette étiologie de la misanthropie se rencontre à maintes reprises dans la littérature grecque. Dans le Dyscolos de Ménandre, Cnémon n’est pas né misanthrope, il l’est devenu à cause de ses déceptions dans ses relations avec les autres, rapportées à la scène 5 de l’acte IV48. De même, Plutarque écrit dans sa Vie d’Antoine (69.7) que celui-ci « aimait et voulait imiter la vie de Timon, puisqu’il avait fait des expériences analogues aux siennes : victime lui-même de l’injustice et de l’ingratitude de ses amis, pour cette raison il avait pris en défiance et en haine l’humanité entière »49. Dans son ouvrage sur Timon, Lucien explique encore que Timon devint un misanthrope à cause de ses amis, qui le trahirent et ne lui rendirent jamais son argent. Étant redevenu riche par la grâce de Zeus, Timon déclare à propos de lui-même : « Et son nom favori sera « le Misanthrope », et sa manière d’être caractéristique sera la mauvaise humeur, la rudesse, la grossièreté, l’irascibilité et l’inhumanité (ajpanqrwpiva) »50. Cette étiologie constitue donc un aspect essentiel de la signification de la misanthropie dans le monde grec. Retour au texte d’Hécatée 24 Quelles sont les implications de ce qui précède pour la compréhension du texte d’Hécatée ? Avant tout, rappelons qu’il décrit le mode de vie juif comme « une sorte de mode de vie misanthrope et inhospitalier » (traduction justifiée par la présence du mot tivı). Cela montre qu’Hécatée lui-même éprouvait de l’étonnement face aux coutumes juives et, surtout, qu’il était conscient du caractère inadéquat du mot « misanthrope » pour décrire les mœurs de tout un peuple. Les textes précédents auront amplement montré que la misanthropie caractérise des individus, et non des peuples. Nous avons ici affaire à une image ou à une analogie. Regardez ce peuple qui se comporte comme le misanthrope des comédies ! 25 Les raisons qui ont conduit Hécatée à qualifier les Juifs de misanthropes peuvent être déduites de ce que nous connaissons des Juifs d’Alexandrie au début du IIIe siècle av. n.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 34

è., mais il faut d’abord rappeler les conclusions tirées des paragraphes précédents : le misanthrope n’est pas un étranger ; il est même probablement un citoyen (Cnémon par exemple est un citoyen). C’est le fait même qu’il ait sa place dans la cité et qu’il soit censé s’impliquer dans la vie sociale et politique, qui rend son attitude aussi étrange et répréhensible. 26 Si nous réfléchissons maintenant à la situation des Juifs à Alexandrie ou même en Égypte en général (là où Hécatée a pu les rencontrer ou entendre parler d’eux), un parallèle peut être tracé : parce qu’ils servirent dans les armées d’Alexandre et des Ptolémées, les Juifs furent en général considérés comme des Hellènes et non comme des Égyptiens, ce qui signifie qu’ils eurent part à certains privilèges des Hellènes51. Ils parlaient certainement le grec. Les auteurs grecs contemporains d’Hécatée, comme Mégasthène ou Cléarque de Soles, considéraient les Juifs comme un groupe de philosophes, de type grec. Cléarque, par exemple, rapporte une conversation imaginaire entre Aristote et un Juif que le philosophe dépeint comme ayant « l’âme d’un Grec »52. Mais, d’un autre côté, les lois mosaïques ne permettaient pas aux Juifs de manger la nourriture des non-Juifs, de contracter avec eux des unions matrimoniales ou de participer aux cérémonies religieuses païennes. Cela impliquait de se tenir à distance de la vie politique de la polis hellénistique, dont la vie était fondée sur des actes religieux à caractère civique, comme les sacrifices et les repas qui les accompagnaient. Les banquets publics ou privés étaient une caractéristique centrale de la vie dans une polis53. En restant fidèles aux lois mosaïques, les Juifs s’excluaient par conséquent de la vie sociale et politique de la polis, du moins dans une certaine mesure 54. Aux yeux des Grecs, ils se comportaient en quelque sorte comme des misanthropes. 27 L’explication qu’Hécatée donne de la misanthropie juive rappelle en fait très précisément ce qu’en disent Platon et les autres auteurs grecs. Hécatée écrit en effet : « (…) à cause de leur expulsion (hors d’Égypte), (Moïse) introduisit une sorte de mode de vie misanthrope et inhospitalier ». En d’autres termes, c’est parce qu’ils avaient souffert aux mains de leurs semblables dans le pays où ils étaient étrangers, que les Juifs (à la suite de Moïse) décidèrent de se tenir à l’écart des autres peuples. Cette explication correspond exactement à l’étiologie de la misanthropie décrite au §4. Conclusion 28 En conclusion, il faut insister sur le fait que la misanthropie diffère de la sauvagerie. Un misanthrope n’est pas un barbare, ni une personne extérieure à la civilisation grecque. De nombreux peuples barbares étaient considérés comme hostiles aux étrangers, et furent décrits comme tuant ou sacrifiant l’étranger de passage, ou encore pratiquant des expulsions. Au livre I de la Bibliothèque historique de Diodore, tout comme au livre XL (§3), les Égyptiens sont décrits comme expulsant des étrangers, une attitude qualifiée d’ axenia55. De manière très différente, le mode de vie juif est qualifié de misanthrope, parce que les Juifs faisaient partie de la communauté des Hellènes et étaient supposés participer dans une large mesure à la vie politique et sociale de celle-ci. Parce que les Juifs refusèrent le plus souvent d’entrer dans cette koinônia religieuse et politique (pour des raisons religieuses évidentes), leur attitude fut rapprochée par Hécatée de celle des misanthropes. Bien qu’étrange et inamicale, cette attitude misanthrope n’avait pourtant pas, aux yeux d’un auteur du IVe/IIIe siècle av. n. è. comme Hécatée, la connotation négative qu’elle allait revêtir à la fin du IIe siècle av. n. è., lorsque, dans un contexte politique très différent, le « séparatisme » juif serait interprété comme l’expression d’une véritable haine vis-à-vis des non-Juifs.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 35

29 Enfin, il me reste à souligner que cette interprétation de l’accusation de misanthropie nous permet de comprendre pourquoi d’autres peuples aux coutumes alimentaires étranges, ou pratiquant la circoncision (comme les Égyptiens eux-mêmes, dans une certaine mesure), ne furent pas qualifiés de misanthropes. Bien qu’étranges, leurs coutumes ne les empêchèrent pas de participer à la vie de la communauté des Hellènes lorsqu’ils en eurent l’opportunité. C’est pourquoi ils ne furent pas perçus de la même manière que les Juifs.

NOTES

1. See already I. Heinemann, « Antisemitismus », R.E. Suppl. V, 1931, col. 3-43 ; J. Isaac, Genèse de l’antisémitisme, Paris, Calmann-Lévy, 1956, p. 75 ; et plus récemment G. Bohak, « The Ibis and the Jewish Question: Ancient ‘Anti-Semitism’ in Historical Perspective », dans Jews and Gentiles in the Holy Land in the Days of the Second Temple, the Mishnah and the Talmud, éd. par M. Mor (et al.), Jerusalem, Yad Ben-Zvi Press, 2003, p. 27-43. L.H. Feldman écrit : « The main, most serious and most recurrent charge by intellectuals against Jews is that they hate Gentiles » (Jew and Gentile in the Ancient World: Attitudes and Interactions from Alexander to Justinian, Princeton, Princeton University Press, 1993, p. 125). Sur les préjugés ethniques dans le monde gréco-romain, cf. B. Isaac, The Invention of Racism in Classical Antiquity, Princeton, Princeton University Press, 2004. 2. Voir par exemple J. Yoyotte, « L’Égypte ancienne et les origines de l’antijudaïsme », Bulletin de la société E. Renan, RHR 163, 1963, p. 133-143 ; P. Schäfer, Judeophobia. Attitudes towards the Jews in the Ancient World, Cambridge – London, Harvard University Press, 1997, p. 167-169, qui nuance le propos en écrivant : « (…) one must reckon with the possibility that the xenophobia motif indeed belongs more to the Greek adaptation of the expulsion story than to its original Egyptian background » (p. 168). 3. Cf. A. Cowley, Aramaic Papyri of the Fifth Century B.C., Oxford, Clarendon Press, 1923 ; B. Porten et A. Yardeni, Textbook of Aramaic Documents from Ancient Egypt, Winona Lake, Eisenbrauns, 1986-1993, 3 vol. (cf. vol.1, p. 53-79). Voir aussi B. Porten, Archives from Elephantine. The Life of an Ancient Military Colony, Berkeley, University of California Press, 1968; J. Mélèze-Modrzejewski, Les Juifs d’Egypte de Ramsès II à Hadrien, Paris, PUF- Quadrige, 1997 (1e édition Paris, Errance, 1991), p. 56-67. 4. Sur Hécatée, cf. F. Jacoby, « Hekataios », R.E. VII.2, 1912, col. 2750-2751 ; O. Murray, « Hecataeus of Abdera and Pharaonic Kingship », JEA 56, 1970, p. 144-145 ; W. Spoerri, « Hekataios von Abdera », RAC 14, 1988, col.278-279 ; G. E. Sterling, Historiography and Self-Definition – Josephus, Luke-Acts and Apologetic Historiography, Leiden, Brill, 1992, p. 59-61, 74 ; B. Bar-Kochva, Pseudo-Hecataeus, « On the Jews ». Legitimizing the Jewish Diaspora, Berkeley, University of California Press, 1996, p. 7-43. 5. Pour une étude systématique de l’accusation de misanthropie, je me permets de renvoyer le lecteur à mon livre Philanthrôpia judaica. Le débat autour de la ‘misanthropie’ des lois juives dans l’Antiquité (Leiden, Brill, 2003, SJSJ 76).

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 36

6. Traduction d’après celle de C. Orrieux et É. Will dans Ioudaïsmos-Hellènismos. Essai sur le judaïsme judéen à l’époque hellénistique, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1986, p. 83-88. 7. Cf. W. Jaeger, « Greeks and Jews », Journal of Religion 18/2, 1938, p. 127-143 ; É. Will et Cl. Orrieux, Ioudaïsmos-Hellènismos, p. 83-93 ; B. Bar-Kochva, Pseudo-Hecataeus, « On the Jews », p. 22-26, 28, 30-35. 8. Comme l’avait justement souligné J. Mélèze-Modrzejewski dans « L’image du Juif dans la pensée grecque vers 300 avant notre ère », dans Greece and Rome in Eretz Israel. Collected Essays, éd. par A. Kasher, U. Rappaport et G. Fuks, Jerusalem, Yad Izhak Ben-Zvi – The Israel Exploration Society, 1990, p. 105-118. Voir aussi Schäfer, Judeophobia, p. 16 ; E. S. Gruen, « The Use and Abuse of the Exodus Story », dans Heritage and Hellenism, the Reinvention of Jewish Tradition, Berkeley, University of California Press, 1998, p. 51-53. 9. Sur la date de l’ouvrage d’Hécatée, voir O. Murray, « The Date of Hecataeus’ work on Egypt », JEA 59, 1973, p. 163-168, qui propose une datation avant 315 av. n. è. M. Stern, lui, suggère une datation après 305 (« The Chronological Sequence of the First References to Jews in Greek Literature », JEA 59, 1973, p. 159-163 ; GLAJJ 1, p. 8-9). B. Bar- Kokhva est lui aussi favorable à une date entre 306 et 301 (cf. Pseudo-Hecataeus On the Jews, p. 15-16). Sur les rapports entre Hécatée et Manéthon, voir infra. 10. Cf. Yoyotte, « L’Égypte ancienne et les origines de l’antijudaïsme » ; voir aussi l’analyse de J. Assmann, dans Moses the Egyptian. The Memory of Egypt in Western Monotheism, Cambridge – London, Harvard University Press, 1997, p. 25-34. 11. Selon Schäfer (et d’autres), le témoignage de Josèphe est sûr ; c’est Manéthon lui- même qui a écrit sur l’expulsion des Juifs hors d’Égypte, et non un auteur égyptien postérieur (généralement appelé Pseudo-Manéthon) ; par conséquent, l’association de l’histoire de l’expulsion avec l’anti-judaïsme daterait du début du IIIe siècle av. n. è. Mais la fiabilité du témoignage de Josèphe est sujette à caution. Cf. E. Meyer, Aegyptische Chronologie, Berlin, Verlag der Königl. Akademie, 1904, p. 71-79 ; M. Braun, History and Romance in Graeco-Oriental Literature, Oxford, Blackwell, 1938, p. 27 ; A. Momigliano, « Intorno al Contra Apione », dans Quinto contributo alla storia degli studi classici e del mondo antico, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 1975, p. 765-784 ; E. Bickerman, The Jews in the Greek Age, Cambridge – London, Harvard University Press, 1988, p. 224 ; C. Aziza, « L’utilisation polémique du récit de l’Exode chez les écrivains alexandrins », ANRW II. 20.1, 1987, p. 50 ; E. Gabba, « The Growth of Anti-Judaism or the Greek Attitude Towards the Jews », dans Cambridge History of Judaism, vol.2, éd. par W. D. Davies et al., Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 633 ; E. Gruen, « The Use and Abuse of the Exodus Story », p. 56-59. 12. Appelés successivement katoikouvntoi xevnoi, ajllofuvloi, ajlloeqnei'". 13. Sur ce point, voir A. Burton, Diodorus Siculus. Book I. A Commentary, Leiden, Brill, 1972 ; W. Spoerri, « Hekataios von Abdera », RAC 14, 1988, col. 279-280. 14. I.28.1-4, traduction d’Y. Vernière, éd. C.U.F., p. 66. 15. Cf. Jacoby, FGH III a, Kommentar, p. 75-87, et surtout p. 80-81 ; W. Jaeger, « Greeks and Jews », p. 137 ; E. Schwartz, Griechische Geschichtschreiber, Leipzig, Koehler & Amelang, 1957, p. 47 ; O. Murray, « Hecataeus of Abdera and Pharaonic Kingship », p. 145 et 152 ; B. Z. Wacholder, Eupolemus. A Study of Judaeo-Greek Literature, Cincinatti – New York, Hebrew Union College & Jewish Institute of Religion, 1974, p. 89 ; B. Bar- Kochva, Pseudo-Hecataeus, « On the Jews », p. 208-210. 16. Cf. Hérodote II.104.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 37

17. Cf. D. Schwartz, « Diodorus Siculus 40.3 – Hecataeus or Pseudo-Hecataeus? », dans Jews and Gentiles in the Holy Land in the Days of the Second Temple, the Mishnah and the Talmud, éd. par M. Mor et al., Jerusalem, Yad Ben-Zvi, 2003, p. 181-197. L’idée avait déjà été formulée par J. C. H. Lebram, « Der Idealstaat der Juden », dans Josephus-Studien. Untersuchungen zu Josephus, dem antiken Judentum und dem Neuen Testament, éd. par O. Betz, K. Haacker et M. Hengel, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1974, p. 233-253. 18. Cf. livre II, §§2, 4, 51, 54-58, 82, 109, 177, etc. 19. La prudence est de mise, car les commentateurs actuels de Diodore ont tendance à le considérer comme moins dépendant de ses sources qu’on ne le pensait auparavant. Voir par exemple l’introduction de François Chamoux dans la C.U.F., p. XXV-XXXII. Diodore, qui se rendit en Égypte, fut parfois critique vis-à-vis de ce qu’avaient rapporté ses prédécesseurs (voir par exemple I.69.7, où il critique Hérodote ; et aussi III.11.1-3, où il fait référence aux prêtres égyptiens avec lesquels il a parlé). De plus, Diodore utilisa plusieurs sources et les fusionna. En ce qui concerne son utilisation des textes d’Hécatée, Anne Burton écrit : « It is too easy to attribute to an author, the major part of whose work has been lost, passages for which an alternative source is not immediately apparent. Moreover, it cannot be ignored that certain passages may well have had their origins in authors considerably later than Hecataeus, and that Diodorus is himself responsible for others. It is safer then to conclude that in Book I Diodorus drew upon Agatharchides or Artemidorus for chs. 37-41 and possibly for part of chs. 30-36; while for the rest of the book he undoubtedly made some use of Hecataeus of Abdera, at the same time incorporating material from other widely different authors into the framework of his own construction » (Diodorus Siculus. Book I. A Commentary, p. 34). 20. Cf. Les Suppliantes 40-48 ; 277-323 ; 329-331; Prométhée enchaîné 567, 590, 850-856 ; Euripide, Les Phéniciennes 676-682 (pour Cadmos). Cf. « Epaphos », dans RE 5.2, 1905, col. 2708-2709 (à propos de sa généalogie), par Escher, et « Danaos », dans RE 4.2, 1901, col. 2094-2098, par Waser. Il existait différentes traditions sur Epaphos, Danaos et Cadmos, qui se contredisaient. Certains auteurs athéniens acceptaient l’idée d’une origine métissée ou complètement barbare de Danaos et Cadmos, qui, selon eux, s’opposait à la pure origine grecque des Athéniens (cf. Platon, Ménexène 245 d, et Isocrate, Hélène 67-68). 21. Cf. De la malignité d’Hérodote 857 e. 22. Comparer avec Hérodote II.104. Il pourrait aussi s’agir d’une influence hérodotéenne sur Diodore. Mais il est certain qu’Hécatée avait lu Hérodote. 23. Hérodote lui-même, en dépit de sa fascination pour l’Égypte, reste dans une certaine mesure critique (cf. II.2 et II.104). 24. Sur la perception grecque de l’Égypte, cf. Cl. Préaux, « La singularité de l’Égypte dans le monde gréco-romain », Chronique d’Égypte 49, 1950, p. 110-123 ; Fr. Hartog, « Les Grecs Égyptologues », Annales 5, 1986, p. 953-967 ; A. B. Lloyd, « Herodotus on Egyptians and Libyans », Entretiens Fondation Hardt XXXV, 1990, p. 215-253. 25. Cf. Platon (Protagoras 342 c, Lois 950 b et 953 e), Aristote (Politique 1272 b), Thucydide (I.144.2 et II.39.1-2), Xénophon (Constitution de Lacédémone XIV.4), Denys d’Halicarnasse (Ant. Rom. II.17.1), Plutarque (Vie de Lycurgue IX.4, Vie d’Agis X.3, Apophthegmata Laconica 226 d, 237 a, 238 d), Philostrate (Vie d’Apollonios de Tyane VI.20, Epistulae et dialexeis I.28), et la Suda, où, à la lettre x, on trouve xenhlatei'n, qui est expliqué exclusivement en référence à la pratique spartiate, avec une citation des Oiseaux d’Aristophane (1012). La

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 38

seule exception est Polybe IX.29.4, où le verbe est utilisé dans un contexte grec, mais pas spartiate. 26. Comme l’avait déjà suggéré I. Heinemann, « Hekataios », col.25 ; cf. aussi Troiani, Commento storico, p. 42. 27. Cf. E. Bickerman, « Origines Gentium », Classical Philology 47, 1952, p. 65-81 (republié dans Religions and Politics in the Hellenistic and Roman Periods, éd. par E. Gabba et M. Smith, Como, Edizioni New Press, 1985, p. 401-417). Je suis en désaccord avec D. Schwartz et E. Gruen, qui attribuent l’originalité du récit hécatéen à un auteur juif qui aurait réécrit l’histoire de l’Exode (même si je suis d’accord avec Gruen sur le fait que des Juifs ont, à l’occasion, réécrit leur passé de manière très créative). Je ne suis pas non plus convaincue par l’explication de D. Mendels (« Hecataeus of Abdera and a Jewish Patrios Politeia of the Persian Period (Diodorus Siculus 40.3) », ZAW 95/1, 1983, p. 96-110), pour qui les informations dont disposait Hécatée provenaient de cercles sacerdotaux judéens, vers la fin du IVe siècle ; cf. les remarques de Gruen à ce sujet dans ibid., p. 54, n. 46. Il est très probable qu’Hécatée eut des contacts avec des Juifs égyptiens, mais son excursus est intelligible en tant que tel, sans qu’il soit nécessaire de présupposer une forte influence juive du type de celle envisagée (de différentes manières) par Schwartz, Gruen et Mendels. 28. Le mot tis, que la plupart des traducteurs rapportent à apanthrôpos, se rattache plutôt à bios, « mode de vie ». 29. Cf. P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1968, vol.1, p. 90. 30. Cf. par exemple Ménandre, Dyscolos 6 ; cf. K. Berthelot, Philanthrôpia judaica, p. 72-77. 31. Sagesse de Salomon 19, 13 (appliqué aux Égyptiens) et Josèphe, Antiquités juives I.194 (en rapport avec les habitants de Sodome). 32. Voir par exemple Diodore V.33-38, en particulier V.34.1 (un des rares exemples de peuple barbare décrit comme philanthropôs). Cf. K. Berthelot, Philanthrôpia judaica, p. 44 et 47-52. 33. Cf. Jaeger, « Greeks and Jews », p. 142 ; Hengel, Judentum und Hellenismus, p. 465 (Judaism and Hellenism vol.1, p. 256) ; Murray, « Hecataeus of Abdera and Pharaonic Kingship », p. 158 ; Stern, GLAJJ 1, p. 32 ; Will et Orrieux, Ioudaïsmos-Hellènismos, p. 87 ; Mélèze-Modrzejewski, « L’image du Juif », p. 108-109 ; E. Gruen, « The Purported Jewish-Spartan Affiliation », dans Transitions to Empire. Essays in Greco-Roman History, 360-146 B.C., in Honor of E. Badian, éd. par R. W. Wallace & E. M. Harris, Norman – London, University of Oklahoma Press, 1997, p. 260 ; C. P. Jones, Kinship Diplomacy in the Ancient World, Cambridge – London, Harvard University Press, 1999, p. 73-79. 34. Cf. Hengel, Judentum und Hellenismus, p. 133-134 ; Murray, “Hecataeus of Abdera and Pharaonic Kingship”, p. 158 ; Bickerman, The Jews in the Greek Age, p. 18. 35. Voir entre autres Dt 7, 1-6. 36. Cf. Contre Apion II.258-261. Le caractère apologétique de l’argument est évident, mais la comparaison avec Sparte reste significative. 37. Protagoras 327 d, traduction d’A. Croiset, éd. C.U.F., p. 43. 38. Cf. La douceur dans la pensée grecque, Paris, Les Belles Lettres, 1979, p. 206 ; sur la pièce de Diphilos, datée d’environ 256 av. n. è., cf. E. Capps, « Misanthropoi or Philanthropoi », Hesperia 11/4, 1942, p. 325-328, et L. Robert, Bulletin Epigraphique 1938, n°54 et 1944, n°74. 39. Dyscolos 6-7, traduction de J.-M. Jacques, éd. C.U.F., p. 4-5. 40. Dyscolos 6-7, traduction de J.-M. Jacques, éd. C.U.F., p. 4-5.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 39

41. Anthologie Grecque VII.317, traduction d’A.-M. Desrousseaux (et al.), éd. C.U.F., p. 189. 42. Cf. Cicéron, Tusculanes IV.10.23-11.25 et IV.11.27 ; Plutarque, Vie d’Antoine LXX.8 ; Vie d’Alcibiade XVI.9 ; Vie d’Antoine LXIX.7 et LXX.2 ; Lucien, Timon, the Misanthrope, éd. par A. M. Harmon, LCL, 19686, vol.2, p. 326-393 ; Stobée, Anthologie III.10.53. 43. D’après la traduction de J. Tricot, Paris, Vrin, 1959, p. 382. 44. Cf. J. de Romilly, La douceur dans la pensée grecque, p. 199. 45. Cf. A. Barigazzi, « Il Dyscolos di Menandro o la commedia della solidarietà umana », Athenaeum 37, 1959, p. 184-195 ; F. Wehrli, « Menander und die Philosophie », Entretiens Fondation Hardt 16, 1970, p. 147-152 ; P. Grimal, « Térence et Aristote à propos de l’ Héautontimorouménos », Bulletin de l’Association Guillaume Budé 1979, p. 175-187. 46. Phédon 89 d, traduction de P. Vicaire, éd. C.U.F., p. 55. 47. Cf. Lettres 1, 309 b. 48. Voir en particulier vv.718-721. 49. Traduction de R. Flacelière et E. Chambry, éd. C.U.F., p. 169. 50. Ma traduction. 51. Cf. J. Mélèze-Modrzejewski, « Le statut des Hellènes dans l’Égypte Lagide : bilan et perspectives de recherches », REG 96, 1983, p. 241-268 ; id., Les Juifs d’Égypte, p. 107-120 ; J. Barclay, Jews in the Mediterranean Diaspora from Alexander to Trajan (323 BCE – 117 CCE), Edinburgh, T.&T. Clark, 1996, p. 20-34 ; E. Gruen, Diaspora. Jews amidst Greeks and Romans, Cambridge, Harvard University Press, 2002, p. 68-70. 52. Cf. Josèphe, Contre Apion I.180 ; B. Bar-Kochva, « The Wisdom of the Jew and the Wisdom of Aristotle », dans Internationales Josephus-Kolloquium Brüssel 1998 (MJSt 4), éd. par F. Siegert et J. U. Kalms, Münster, Lit, 1999, p. 241-250. 53. Sur l’importance des banquets dans la vie publique grecque, cf. P. Schmitt-Pantel, La cité au banquet, Rome, École Française de Rome (diffusion E. de Boccard), 1992. Sur les Juifs et les banquets, cf. S. R. Shimoff, « Banquets: The Limits of Hellenization », JSJ 27/4, 1996, p. 440-452. 54. Cf. les commentaires d’É. Will et Cl. Orrieux, à propos de la remarque d’Hécatée au §4 : « (…) il est bien évident que si les Juifs évitent le contact des goyim au point qu’un Grec du début du IIIe s. voit en eux des apanthrôpoi, des gens qui ‘se détournent du genre humain’, c’est à cause de la rigoureuse minutie des préceptes de la Loi, à cause, pourrait-on dire, du rempart de tabous que cette Loi avait dressé autour d’eux et que le contact avec les goyim risquait de les contraindre à enfreindre » (Ioudaïsmos-Hellènismos, p. 92). Cependant, comme le souligne E. Gruen, plusieurs sources témoignent que des Juifs prirent parfois part à la vie sociale et politique de leur cité, et même assumèrent des responsabilités politiques (cf. Diaspora, p. 68-70, 105-132, etc.). Mais nous ignorons s’ils continuèrent à observer les commandements de la Torah. Dosithéos fils de Drimilos, qui est mentionné dans les papyrus de Zénon comme secrétaire du roi, et qui devint prêtre du culte d’Alexandre et des Ptolémées sous Ptolémée III (en 223/222 av. n. è.), fut probablement considéré comme un apostat (cf. Mélèze-Modrzejewski, Les Juifs d’ Égypte, p. 82-90). Tiberius Julius Alexandre (le neveu de Philon), qui devint préfet d’ Égypte, et fut magister militum sous les ordres de Titus durant le siège de Jérusalem, ne semble pas avoir été un Juif observant (A. Terian le qualifie même d’apostat ; cf. Alexander, Paris, Cerf, 1988, p. 40). Le problème reste donc posé. Sur l’observance des lois alimentaires par les Juifs de l’Antiquité, cf. entre autres J. Barclay, Jews in the Mediterranean Diaspora, p. 434-437. 55. Cf. Diodore I.67.9-11.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 40

INDEX

Mots-clés : Hécatée, Abdère, judaïsme, misanthropie, stéréotypes antijuifs, époque hellénistique, Égypte

AUTEUR

KATELL BERTHELOT

Katell Berthelot, docteur en histoire des religions et anthropologie religieuse (Paris IV-Sorbonne, 2001), auteur de Philanthrôpia judaica. Le débat autour de la « misanthropie » des lois juives dans l’Antiquité (Leiden–Boston, Brill, 2003), L’« humanité de l’autre homme » dans la pensée juive ancienne (Leiden–Boston, Brill, 2004), et Le monothéisme peut-il être humaniste ? (Paris, Fayard, 2006), chargée de recherche au CNRS, est actuellement affectée au CRFJ.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 41

Prolégomènes à une histoire de la métallurgie du fer au Levant Sud

Sylvain Bauvais

1 Depuis sa découverte et son utilisation, le fer prend une place décisive dans l’histoire des peuples et des nations. La guerre, l’agriculture, l’artisanat puis l’industrie se trouvent irrémédiablement liés à ce matériau dont la domination et la possession deviennent rapidement des enjeux cruciaux. En dépit de ce constat, les chercheurs engagés dans des travaux sur l’histoire du fer au Proche-Orient se sont restreints jusqu’à présent à des problématiques basées sur l’introduction de ce nouveau matériau au cours de l’âge du Fer II. Pendant longtemps, ces recherches se sont notamment dirigées vers la confirmation des textes religieux bibliques et la relation entre l’arrivée des peuples de la mer (en particulier les Philistins) sur les côtes du Levant, et l’introduction des techniques sidérurgiques. Plus tard, des recherches se sont focalisées sur l’apparition de l’acier et sur la transition entre le fer et cet alliage fer/carbone. Si l’on compare avec les travaux conduits ces dernières années en Europe et notamment en France, nous pouvons d’ores et déjà déclarer que tout un pan de la recherche sur ce sujet est à remettre en question et même à balayer du revers de la manche.

2 Pour les périodes plus récentes, rien n’a été encore entrepris, que ce soit dans une optique technologique ou dans une optique d’étude des réseaux commerciaux. 3 C’est pourquoi nous proposons la mise en place d’un travail de fond, d’un programme de recherche basé sur les acquis récents de la recherche française et européenne. Il conviendra ainsi de baser les investigations sur des études précises, des contextes datés, et surtout des références théoriques valides. 4 Le but sera de mettre en place une image plus réaliste de l’introduction de ce matériau au Levant (apparition locale, diffusion depuis la Perse, l’Anatolie, et la région méditerranéenne), et de structurer une chronologie des innovations en relation avec l’histoire des influences politiques et commerciales des différentes parties de la région. Pour cela nous devons prendre comme base de réflexion des données théoriques fiables et basées sur une réelle connaissance physico-chimique des procédés sidérurgiques.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 42

5 Enfin, le but de cette recherche sera de reconstituer l’évolution des relations commerciales et productives à l’intérieur de la région et vers les régions alentours (évolution des approvisionnements et des relations entre les producteurs, les commerçants et le pouvoir politique). 6 Cet article propose un premier tour d’horizon des connaissances acquises et des sujets à creuser dans l’avenir. Le minerai, le bois : entre contraintes environnementales et développement commercial 7 Les principales contraintes, dans l’implantation d’une industrie sidérurgique, sont géologiques et environnementales. Les conditions naturelles dictent le développement des premières phases de production (la réduction du minerai), mais l’organisation socio-économique permet par la suite de venir contrebalancer ces impératifs environnementaux (pour les phases de post-réduction ; la forge). La culture vient réguler la nature. 8 Si l’on considère un espace allant de Tripoli au Néguev et d’Amman à la mer Méditerranée, les gisements de minerai régionaux sont très irrégulièrement répartis, majoritairement en périphérie du territoire de la Palestine historique. Pour la région de Beyrouth, les textes historiques et les prospections attestent d’un potentiel sidérurgique. Toutefois, les données sont contradictoires quant à la richesse du minerai. Pour le géographe d’Afrique du Nord (Ceuta) Muhammad El-Idrisi, qui parcourut la région au cours de la première moitié du 12e siècle, un fer de très bonne qualité était produit à partir du minerai extrait des montagnes aux alentours de la ville (Jaubert, 1975). Toutefois, il nous informe que la production restait faible et orientée vers une consommation locale. Si nous faisons ensuite référence aux travaux de géologues actuels comme Einecke (Einecke, 1950) ou le rapport de l’ECWA de 1978, de nombreux gisements sont présents au sud de Beyrouth, mais leur composition est très faiblement concentrée en oxyde de fer. Par exemple, à Sidon (actuelle Saïda), un gisement encore exploité récemment contient environ 31 % mass d’oxyde de fer. Encore plus au sud, dans la région de Dahr el Baidar, des gisements d’hématite et de limonite apparaissent en couches imposantes (3 à 9 mètres) et contiennent une moyenne de 48 % mass d’oxyde de fer (Al-Amri, 2007). Dans le Liban sud, à Ras el- Maten, Rohrlich (Rohrlich et al. 1980) rapporte la présence de minéralisations plus concentrées (65-75 % mass) mais ne fait pas référence à la quantité de minerai exploitable. 9 Entre le lac de Tibériade et la Mer Rouge, des deux côtés de la vallée du Jourdain et de l’Arava, quelques occurrences de minerai sont présentes mais dans des concentrations réduites et des teneurs en oxyde de fer relativement faibles. Seules les montagnes d’Ajloun renferment une concentration importante, et jusqu’à présent, il s’agit des seuls indices d’exploitation locale du minerai au sud du lac de Tibériade (Coughenour, 1976). Il s’agit d’hématite à très forte concentration d’oxyde de fer (de 57 à 97 % de

Fe2O3) (Al-Amri, 2007). 10 Enfin, Rohrlich, au cours d’une prospection géologique en Israël (Rohrlich et al. 1980), a mis en évidence des zones potentiellement propices à une exploitation sidérurgique à l’ouest de la vallée du Jourdain et au pied du plateau du Golan (oolithes et grès ferrugineux). La concentration en oxyde de fer peut atteindre 73 % selon les échantillons prélevés mais les quantités restent faibles. Depuis la côte jusqu’à ces derniers gisements, aucune occurrence n’est attestée, et cela jusqu’au sud du Néguev.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 43

11 Dans ces conditions, il est visible que, selon les périodes, l’exploitation du minerai n’était pas à la portée de toutes les entités politiques de cette région. Des accords et des alliances commerciales ont ainsi été nécessaires à l’approvisionnement du fer métallique (issu de la réduction). Toutefois, si nous prenons comme référence l’exploitation du minerai de cuivre provenant du Sinaï et exploité par les Egyptiens antiques, il est envisageable que des expéditions aient été organisées afin d’aller chercher le minerai de fer à de très grandes distances et le ramener dans des zones qui en étaient dépourvues (Castel et al. 2008). 12 La deuxième contrainte inhérente à cette production est l’approvisionnement en combustible : bois et charbon de bois. Suivant les secteurs de la région, les conditions d’aridité sont elles aussi variables, et la présence de couvert forestier a pu être un facteur de développement de ces techniques. Toutefois, si l’on prend en compte un site de la taille de Timna, dans le désert du Néguev, et la quantité de métal produit au cours de l’âge du Bronze et du Fer, cette contrainte semble contournable par l’acheminement de matériau voire l’exploitation locale des maigres ressources. 13 La métallurgie du fer présente la caractéristique de pouvoir être divisée dans l’espace et dans le temps (Fluzin, 2002). Chaque phase de travail conduit à la formation (ou non) d’un produit semi-fini qui va pouvoir être stocké ou échangé. Pour les régions non- productrices (absence de réduction de minerai), l’acquisition de demi-produits (« lingots ») permet la poursuite de la chaîne opératoire. 14 Le territoire qui nous intéresse ici a fait l’objet de constantes conquêtes et occupations. Différentes formes de pouvoirs et de contrôles politiques ont été mises en place et le commerce du fer a dû suivre les aléas de ces conquêtes au gré des affinités géopolitiques et économiques. Il semble aujourd’hui nécessaire de cerner ces fluctuations dans l’organisation de la sidérurgie locale afin de comprendre le rôle de ce matériau et ses enjeux dans les sociétés du Levant. 15 La question des savoir-faire est également importante dans cette organisation car les conquêtes, les occupations et les relations commerciales ont favorisé le partage des connaissances techniques. Cela est vrai jusqu’à l’introduction du procédé sidérurgique indirect et surtout pour l’introduction des premiers objets en fer et des techniques nécessaires à leur production. Lorsque le fer entre dans l’histoire des techniques : par la petite porte ? 16 Comme nous venons de le voir, la chaîne opératoire en sidérurgie peut être complexe et se diviser en de multiples phases spatialement et chronologiquement distinctes. 17 Ces techniques nous sont parvenues grâce aux déchets de production et aux structures archéologiques, mais c’est l’ethnographie et l’expérimentation qui nous ont permis de les interpréter (Crew, 1991 ; Crew, Crew, 1994 ; Fluzin, 1995 ; Leroy et al., 2000 ; Urteaga et al., 2000)). Ces trente dernières années ont été en Europe le cadre d’avancées spectaculaires sur ce point et il est aujourd’hui possible d’affirmer un certain nombre de « lois » ou tout de moins de certitudes, et de gommer des idées reçues considérées comme acquises, en particulier dans des régions où cette recherche est restée en retrait des intérêts des archéologues. 18 Il faut notamment lutter impérativement contre une idée reçue qui s’est diffusée depuis les premières recherches sur le Levant et a implanté les fondations aujourd’hui vermoulues sur lesquelles la recherche se construit; elle ne peut tendre qu’à l’affaissement. Il s’agit d’une erreur fondamentale sur la compréhension de la

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 44

production primaire du fer, qui veut que le fer apparaisse avant l’acier. Non seulement cette assertion est fausse et sans fondement, mais elle se base sur des présupposés évolutionnistes. Ces réminiscences de théories passéistes ont entre autres conduit à s’interroger sur la raison du changement technologique et du remplacement du bronze par le fer sachant que ce dernier est plus ductile et par conséquent moins efficace. 19 Les connaissances acquises ces dernières années sur les techniques sidérurgiques nous permettent d’affirmer que la production, en réduction directe, d’une masse de fer doux nécessite une maîtrise parfaite des paramètres régissant le procédé. Ainsi, il est logique que les premières métallurgies du fer produisent un mélange hétérogène de fer et d’acier et que la production d’un fer doux homogène ne soit apparue qu’après une très grande maîtrise des procédés, et dans des buts très spécifiques. 20 Si l’analyse des premiers objets en fer ont effectivement révélé qu’ils étaient en majorité (et non en totalité) composés de fer et d’acier faiblement carburé (0,02 à 0,1 % de carbone), il semble y avoir de multiples autres explications que cette vision minimaliste. La première vient des contextes de découverte et de la typo-fonction des objets eux-mêmes. Il s’agit en majorité de découvertes en sépulture et d’objets de parure. Comme pour les autres métallurgies (et avec l’expérience qu’elles ont fourni au développement de la sidérurgie), la distinction des « qualités » de métal a dû être rapide. Les objets de parure ne nécessitant pas un matériau résistant, il était logique d’utiliser le moins « efficace » pour des fonctions non utilitaires. Une telle séparation est de plus très facile par fragmentation de la masse brute de métal directement après la réduction. Les exemples de la tombe 4 de Pella (Smith et al., 1984) (aux alentours de 1500 BC) et des sites de Taanach et de Tell Qiri (Stech-Wheeler et al., 1981) montrent bien que pour des objets utilitaires, l’acier est très tôt (voire dès le début) couramment utilisé. Ainsi, les premières spéculations sur cette évolution technique se sont vues confirmées, en raison d’une déformation des données, due au prisme constant qui trouble la vision des archéologues : celui des choix culturels, des dépôts en sépultures. Il convient à présent de s’interroger dans une optique typo-fonctionnelle et techno- fonctionnelle pour résoudre cette question de l’utilisation du fer et de l’acier. La seconde raison qui a pu orienter ces interprétations correspond aux lois physico- chimiques qui régissent ce matériau. Plus l’acier est chargé en carbone, plus il est soumis à une corrosion bien plus intense que le fer. Vous l’aurez compris, nous nous trouvons face à ce deuxième prisme déformant que tout archéologue doit prendre en compte : celui de la conservation du mobilier. 21 Il est ainsi important d’orienter les questionnements dans un sens autre que celui d’un bouleversement des réseaux commerciaux afin d’expliquer l’introduction du fer et le remplacement du bronze par ce dernier. Sa découverte suffit à elle seule pour expliquer ce développement. Il convient néanmoins de résoudre la question primordiale des conditions de sa découverte ou de son introduction dans la région. 22 La théorie traditionnelle, ou devrais-je dire traditionaliste, voudrait que le fer soit introduit par les Philistins aux 11-12e siècles BC. Bien entendu, cette théorie est issue de l’interprétation des textes bibliques et il ne convient pas de les prendre pour des faits historiques1 (Muhly, 1982). Cela n’est pas envisageable sur un plan théorique mais aussi et surtout au regard des données archéologiques sur le sujet. En effet, les plus anciens objets en fer remontent aux 15-12e siècles2 (Rothenberg, 1988) et ne peuvent être reliés aux changements culturels qui s’opèrent sur la côte méditerranéenne avec

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 45

l’implantation de la Pentapolis. Il faut alors chercher cette origine dans d’autres directions. 23 Le fer n’existe pas sous sa forme métallique dans la nature, seul le fer météoritique peut être directement travaillé et c’est d’ailleurs à partir de ce matériau que les premiers objets ont été confectionnés (depuis la fin du 3e millénaire) (Photos, 1989). Le minerai de fer (sous forme d’oxyde, d’hydroxyde, de sulfure ou de carbonate) est le 5e élément de la croûte terrestre, mais son utilisation en métallurgie dépend de sa concentration et de sa combinaison avec d’autres éléments. Dans la région, comme nous l’avons précisé dans le chapitre précédent, ces concentrations sont très variables. Toutefois, la présence d’hématite a suscité très tôt l’intérêt des communautés humaines. L’aspect très particulier mais surtout le poids et la résistance de l’hématite en a fait un matériau très tôt utilisé. Il est ainsi clair que ce dernier fait partie du bagage technologique des populations de cette région. Dès le chalcolithique, des objets en Hématite sont produits, pour la plupart des objets de parure ou des masses, dont les exemples les plus connus proviennent du dépôt de Nahal Mishmar en combinaison avec une grande quantité d’objets en cuivre produits à la cire perdue (Bar-Adon, 1980). Nous verrons par la suite l’importance de ce contexte commun. Comme autre exemple nous pouvons citer l’épave de Nevé Yam, au sud d’ sur la côte du Carmel, dont le mobilier datant du Bronze final comporte ce que l’archéologue en charge de la fouille interprète comme des poids d’hématite sous la forme de grains de blé (Galili, Sharvit, 1999). La cargaison comporte de plus 83 lingots de cuivre en forme de feuille (3 à 5 kg chacun). 24 Cette concomitance aurait pu être fortuite si, au cours de la même période, la présence de fer métallique dans certains objets en cuivre n’avait pas été attestée. 25 Au cours du Bronze final, en raison de la demande de plus en plus importante de cuivre, les gisements de minerai exploités ont changé. Les premiers niveaux plus riches en oxyde de cuivre ont été remplacés ou bien complétés par des niveaux plus profonds et moins riches. En raison de ce changement, les techniques de réduction ont évolué afin de produire davantage de métal avec un minerai plus pauvre. L’utilisation de l’oxyde de fer comme adjuvent est devenu courante afin de fluidifier la scorie et de libérer plus facilement le métal (Tylecote, Gilmour, 1986). 26 Les températures atteintes lors des expérimentations d’Ayn Soukhna (1400-1450°C) (Castel et al. , 2008), qui plus est en ventilation naturelle, confirment, comme le proposait Tylecote, qu’une grande partie de ces oxydes de fer peut être réduite. Cette théorie est également proposée pour de nombreuses autres régions d’Europe et du Proche-Orient pour lesquelles la présence de cuivres anciens riches de plus de 1 % de fer semble correspondre à ce cas de figure (Cooke, Aschenbrenne, 1975). Les analyses des déchets scoriacés de Timna et du Wadi Faynan montrent que ces derniers sont également très riches en billes de fer (Al-Amri, 2007). À l’inverse, certains objets en fer riches en cuivre auraient pu être des produits dérivés de la réduction du cuivre (Gale et al., 1990). Plusieurs exemples concrets viennent étayer cette théorie de l’apparition du fer depuis une évolution des techniques de réduction du cuivre. Des fragments de parure en fer datant des 14-12e siècles BC et découverts dans le temple de Timna appelé Hathora montrent une composition très exceptionnelle avec un taux de cuivre de près de 1wt. % ( Gale et al., 1990). Selon Alamri (Al-Amri, 2007), un fragment informe de métal originaire de Faynan se compose également d’un mélange de fer fortement phosphoreux et de billes de cuivre. Le phosphore viendrait du minerai de cuivre local (Hauptmann, 2000).

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 46

27 Pour finir, la morphologie des fourneaux de réduction de cuivre, les techniques de charges successives et les températures atteintes sont très similaires entre ces deux métallurgies. Il faudrait ainsi voir une lente évolution de l’utilisation des oxydes de fer jusqu’à ce que leur introduction dans les fourneaux de réduction de cuivre permette d’en extraire une masse métallique. Il faut toutefois garder à l’esprit que même si cette théorie est attirante, elle nécessite encore d’être confirmée par de nombreuses analyses. Tout comme pour la question du fer et de l’acier, prouver l’origine de la métallurgie du fer depuis la réduction du cuivre se heurte à des contraintes matérielles. En effet, les analyses archéométriques permettant d’apporter ces informations (métallographie et études chimiques) sont destructrices et il est rare de pouvoir les appliquer à des objets anciens et qui plus est uniques. Cette théorie comporte également une forte implication théorique : celle de l’émergence de la réduction du minerai de fer à travers les mêmes conditions et dans des lieux différents à une période presque identique. 28 Toujours est-il qu’un fossé sépare cette éventuelle découverte du fer et les indices archéologiques d’une véritable production. Hormis ces cas de figure particuliers, plusieurs sites ont été déclarés comme les plus anciens lieux de réduction du minerai de fer dans la région. Tout d’abord, examinons le site de Tel Yin’am au sud-ouest du lac de Tibériade. Les fouilles ont été conduites par Liebowitz au début des années 80 (Liebowitz, Folk, 1984). Il s’agit d’un site datant du 13e siècle avant J.C. mais, l’interprétation des structures comme des fours de réduction n’est pas convaincante, et les scories identifiées comme telles sont composées de moins de 5 % mass d’oxyde de fer et sont de composition argilo-sableuse (Rothenberg, 1983). L’interprétation la plus probable est une production de pigments de type ocre à l’aide d’oxyde de fer (Pigott, 2003). 29 Nous avons ensuite un site au Liban nommé Kamid el-Loz, datant également du 13e siècle et fouillé au cours des années 80. Les éléments entrant dans l’argumentation ne sont pas plus vraisemblables (fragments de fer, minerai et quelques grammes de scories verdâtres et bulleuses). Comme le propose Alexander Veldhuijzen (Veldhuijzen, Rehren, 2007), un contexte de rejet commun ne prouve en aucun cas leur liaison technologique. Les analyses de la scorie ont par ailleurs montré un taux de sulfure de cuivre important (Frisch et al., 1985). 30 Le site le plus convaincant, à la fois grâce aux données de terrain mais aussi grâce aux analyses réalisées, est le site de Tell Hammeh en Jordanie, dans la région des montagnes d’Ajlun, au bord de la vallée de la Zarqa (Veldhuijzen, 2003 ; Veldhuijzen, 2005 ; Veldhuijzen, Rehren, 2007). Ce dernier a été fouillé conjointement par une équipe de l’Université de Leiden (Hollande) et une équipe de l’Université de Yarmouk (Jordanie) entre 1996 et 2000. Les datations C14 font remonter cette activité au 10e siècle avant notre ère et correspondent aux datations les plus anciennes obtenues jusqu’à présent. Le mobilier récolté se compose de 700 kg de scories et de 350 fragments de tuyère. Toutefois, les traces de fourneaux restent très discutables. 31 Il faut ainsi attendre le 14e-12e siècle pour avoir les premières traces d’objets en fer dans la région, et le 10e siècle pour les traces les plus anciennes de réduction du minerai. Ce décalage ne concorde pas forcément avec une apparition locale des techniques de réduction du fer à partir de celles du cuivre, mais la faiblesse des informations à notre disposition ne réfute en aucun cas cette possibilité. Possibilité d’autant plus grande que la Vallée de la Zarqa et le Wadi Faynan sont très proches.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 47

La guerre du fer : le pouvoir, la force et la fécondité 32 Suite aux conditions d’apparition de ce métal ce pose celles de son introduction dans la société. Si l’on fait référence à l’introduction d’autres matériaux tels que l’or ou le cuivre et plus particulièrement à l’introduction de certaines techniques comme celle du tour de potier, un phénomène particulier de domination des élites semble intervenir (Roux, sous presse). 33 Pour le fer au Levant Sud, les données sont encore faibles sur ce point, mais il est important de remarquer que les premiers objets connus sont des armes, des objets de parures et des outils spécialisés. En outre ces objets ne sont connus qu’à travers la fouille des tombes les plus riches. Il est clair qu’à partir de l’âge du Fer I, ce matériau commence à détrôner le bronze pour un certain nombre d’ustensiles. 34 Nous avons parlé précédemment des théories expliquant le remplacement du bronze par le fer. C’est à cette période que les archéologues veulent voir intervenir le bouleversement des réseaux commerciaux régissant l’approvisionnement de l’étain, évolution qui aurait conduit à une nécessité d’abandonner le bronze. Cette impression d’un changement plutôt subi que voulu vient certainement de la lenteur avec laquelle le fer s’introduit dans la société, comme si la volonté était de conserver le bronze. Nous avons vu que l’acier intervient dès le début et qu’aucune raison d’efficacité n’entre en jeu. De plus, aucun indice de changement dans les réseaux d’échange de l’étain n’apparaît. Ces théories ne prennent en fait aucun compte des phénomènes économiques et sociologiques liés à l’introduction d’un tel matériau dans une société segmentée et fortement hiérarchisée comme celles du Levant à l’âge du Fer. Les élites sociales semblent dominer la consommation de ce matériau et cela pendant une période assez longue avant sa diffusion dans le reste de la société. Cette domination sur la consommation sous-entend très souvent une domination sur la production ou sur les réseaux d’échange. Toutefois, les données acquises sur les lieux de production font cruellement défaut aujourd’hui. Les premiers sites de forge connus dans le sud Levant ne vont pas au-delà du 9e siècle BC avec le site de Beth-Shemesh (9e siècle) (Veldhuijzen, Rehren, 2007), de Tel Dor (7e siècle) (Behar et al., 2007) et le site du Kotel à Jérusalem (7e siècle)3. Ces trois sites sont incontestablement importants et sont les résidences d’élites économiques et politiques. Toutefois, et à nouveau nous nous trouvons face à une déformation de l’information par la recherche, très peu de sites mineurs ont été fouillés dans la région. C’est pourquoi nous ne pouvons affirmer aujourd’hui qu’une telle activité ne se pratique que dans ce type de site. 35 En revanche, ce cas de figure se rapproche énormément de ce qui peut se passer au cours des 5 derniers siècles avant notre ère dans le nord de la France (Bauvais, 2007). Par chance, et en raison d’optiques différentes dans l’organisation de la recherche, un très grand nombre de sites sont connus dans cette région et il a été possible de dresser une évolution cohérente des relations entre producteur/production et pouvoir politique et économique. Ces deux régions sont d’autant plus proches qu’elles sont régies par les mêmes contraintes environnementales et par la même dépendance envers les réseaux d’échanges pour le développement d’une métallurgie locale. Il apparaît dans le nord du Bassin parisien qu’après un contrôle de la production et un monopole sur la consommation que les élites pouvaient avoir entre le 5e et le milieu du 3e siècle BC, la plus large diffusion du fer dans la société et une démocratisation des activités d'élaboration d'objets font perdre à ces derniers une partie de leur pouvoir. Ils conservent cependant au cours du dernier siècle avant la conquête romaine un contrôle

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 48

économique sur les activités sidérurgiques en concentrant les activités artisanales les plus spécialisées et les activités proto-industrielles dans les sites de rang hiérarchique élevé et en centralisant le commerce de la matière première brute dans les agglomérations. 36 Tout comme pour le nord de la France, le fer dans le Levant sud devient un matériau de consommation courante et le possible pouvoir des élites ne peut que s’être transformé. À partir du 7e-6e siècle, tous les champs de la société sont impliqués dans la consommation du fer. Ce dernier devient alors incontournable pour la guerre, l’agriculture et les productions artisanales. À partir de cette période, le recours aux échanges commerciaux pour l’obtention de ce métal n’est plus une raison de prestige ou de pouvoir, il devient un besoin crucial pour la force et la fécondité de la société toute entière. Le fer, son commerce et les contacts entre Orient et Occident 37 Nous voyons à présent toute l’importance des réseaux d’approvisionnement dans un tel contexte. La majorité du Levant sud a besoin d’intégrer un réseau de circulation de la matière première afin de subvenir à des besoins cruciaux. La matière première qui circule à cette époque n’est pas bien connue, il peut s’agir de demi-produits de différentes formes et de diverses qualités. La taille et la morphologie des demi-produits varient en fonction des masses brutes de fer initiales (issues de la réduction), de la quantité de travail d’épuration réalisée (première phase de travail en forge de la masse), de la nature du métal (fer/acier) et de la destination du produit. Ceci se traduit de fait par une valeur marchande graduée. C’est donc sous de multiples formes que le métal peut circuler et être commercialisé. Les demi-produits sont destinés à la transformation, au stockage et aux échanges, les différents contextes de découverte vont bien dans ce sens. Ils peuvent provenir de rejets d’ateliers, sous la forme de fragments découpés à chaud, de lieux de stockage ou « cache » de métallurgiste (dépôt de Durrenentzen – Bas Rhin4) ou de pertes accidentelles lors de transports commerciaux (Épaves des Saintes-Maries-de-la-Mer – Bouches-du-Rhône5 ; dragages de la Saône ou de l’Oise ; épaves découvertes au large de la côte du Carmel…). 38 L’artisan va donc acquérir ce métal sous une forme particulière (morphologie, propreté inclusionnaire, composition fer/carbone) suivant plusieurs critères : 39 suivant ses besoins (type d’objet à produire) ; suivant ses moyens (l’épuration donne une valeur ajoutée au métal, liée à la quantité de travail réclamé par l’activité) ; suivant ses compétences techniques (l’épuration nécessite un savoir-faire certain, surtout s’il s’agit d’un acier fortement carburé) ; suivant son accès aux différents réseaux d’échanges commerciaux. 40 Comme nous l’avons dit, peu de données archéologiques sont connues quant à la morphologie des demi-produits en circulation au cours des premières périodes d’implantation du fer dans la région. Deux termes dans la bible qualifient le fer : Barzel ‘ashot (Ezek 27 :19), Barzel mi-şafon (Jer 15 :12). Il semble important de faire référence à cette maigre information qui peut toutefois être à caractère historique. Elle peut nous permettre d’avoir une vision sur l’état de la matière en circulation aux premiers temps de la métallurgie du fer. Dan Levene et Beno Rothenberg (Leven, Rothenberg, 2001) ont tenté de clarifier ces termes mais se perdent en conjonctures et en interprétations linguistiques, tentant d’attribuer l’un à une masse grossièrement martelée et l’autre à un demi-produit sous forme de barre. Ce type d’interprétation est délicat et il semble

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 49

pour le moment suffisant de considérer que le métal circule sous des formes et/ou des états de compaction différents. Les études archéologiques pourront dans le futur apporter des réponses plus concrètes. 41 Durant l’antiquité, le commerce grec et romain a dû jouer un rôle important dans l’approvisionnement de la matière première, tant les productions sont importantes dans les deux métropoles. Nous voyons par ailleurs une augmentation des objets en fer au cours des 4e et 1er siècles BC. Toutefois, aucune investigation n’a été entreprise et il faut attendre l’époque Byzantine pour avoir des traces archéologiques de ce commerce. 42 En effet, pour cette période, les découvertes sont exceptionnelles. Cinq épaves sont connues sur la côte du Carmel (Galili, Sharvit, 1999). Celles dont les datations sont possibles grâce aux mobiliers qui leur sont liés sont d’origine Byzantine (4e-7e siècle AD). Les autres, en raison de rapprochements typologiques, semblent appartenir au même ensemble chronologique. C’est un total de près de 300 demi-produits qui est en cours d’étude. Dès à présent, nous pouvons affirmer qu’à cette période, au moins trois types de matière première circulaient. Des barres allongées d’une moyenne de 50 cm de longueur pour une épaisseur de 3 cm et un poids de 1,8 kg, des barres bipyramidées plus courtes et plus trapues (35 cm de long et 4,5 cm d’épaisseur) et dont le poids est plus important avec une moyenne de 2,2 kg et enfin de très nombreuses masses brutes de fer grossièrement martelées d’environ 35 à 45 cm de long pour 15 à 20 cm d’épaisseur et d’un poids moyen de 9 à 12 kg. 43 Ces cargaisons de demi-produits soulèvent plusieurs pistes d’investigation. Tout d’abord, le fait que dans une même épave les trois types soient présents indique qu’il ne s’agit pas d’une question d’évolution chronologique des formes mais bien que les trois types étaient commercés en même temps. Leur morphologie semble, de plus, indiquer un degré de compaction différent. Cette hypothèse doit être confirmée par les analyses métallographiques futures. Les prochaines investigations archéométriques devront également répondre à la question de leur origine. Sur ce point, deux autres hypothèses se dégagent. Ces différents types de demi-produit sont-ils issus d’une même chaîne opératoire plus ou moins avancée dans l’épuration du métal ? Cela signifierait qu’il s’agit bien de qualités différentes destinées à des emplois différents et dont la production et la commercialisation sont voulues ainsi. Ou bien s’agit-il de produits aux origines distinctes, regroupés dans une même épave par un marchand au cours de ses pérégrinations ? L’analyse des inclusions de scorie dans le métal permettra de dissocier ou de regrouper ces formes en fonction de leur signature chimique. Pour ce qui est de la définition géographique de leur origine, la question est bien plus délicate. Nous ne possédons pas de bases de données chimiques des différents gisements possibles, d’autant plus que leur origine géographique peut être très large et peut recouvrir tout le pourtour méditerranéen. La morphologie très particulière des demi-produits bipyramidés n’est pas sans rappeler des formes très connues pour l’âge du Fer européen et l’époque romaine. S’agirait-il d’une perduration morphologique de la tradition romaine de l’Empire Byzantin ou cela correspondrait-il davantage à une forme technique liée aux procédés d’épuration et à la forme initiale des masses brutes de fer ? L’origine serait peut-être à chercher dans les provinces byzantines nord- méditerranéennes. De plus, il faudra attendre des datations plus fines car les possibilités d’origines se restreignent en même temps que s’amenuisent les territoires de l’Empire. Ce travail est en cours, en collaboration avec Ehud Galili de l’Israeli Authority Antiquity.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 50

44 Au cours de la domination byzantine du Levant sud, la région bénéficie d’un accès à de nombreuses ressources pouvant provenir d’Afrique du nord, d’Europe du sud et d’Anatolie. Les productions de ces secteurs sont bien plus importantes que celles du Proche-Orient. Suite aux conquêtes des différents Califats (Abbassides et Fatimides) ces réseaux ont dû être bouleversés. Toutefois, il faut remonter jusqu’aux croisades pour avoir à nouveau des informations sur ce commerce. 45 C’est durant les croisades qu’une des rencontres les plus importantes se déroule. Il s’agit de la confrontation entre deux techniques de fabrication des épées, l’une d’origine européenne que l’on appelle le damas d’assemblage et l’autre d’origine orientale : le damas de cristallisation ou « vrai » damas. Même si des exemples sont aujourd’hui connus d’utilisation d’aciers damassés orientaux dans la fabrication d’un type spécial d’épée viking au 10e siècle (Williams, 2007 ) (épées marquées des signes +VLFBERH+T), il s’agit de deux techniques distinctes mais au but identique, celui de donner des propriétés mécaniques particulières au métal : flexibilité et résistance. 46 En Europe occidentale et dès l’Age du fer, les épées sont obtenues par un corroyage d’assemblage de feuilles plus ou moins aciérées (France-Lanord, 1964), que l’on nomme couramment « damas d’assemblage ». Les analyses d’armes mérovingiennes montrent également que des tranchants en acier sont rapportés par soudure (Salin, 1959). Cette structure procure aux épées une très grande qualité mécanique alliant dureté et souplesse. En revanche, très peu d’armes ont été analysées pour les périodes plus récentes du Moyen Age, et la qualité des épées croisées restent mal connue. En orient, de la péninsule arabique à l’Inde et à la Malaisie, une autre technique est mise en œuvre, dans un but identique. Le terme de « damas de cristallisation » illustre peu de la réelle origine de cette technique. C’est en fait au cours des croisades que les européens « découvrent » cette production et diffusent plus largement l’idée de son existence. À cette époque, Damas est un centre producteur important, ce qui explique le nom donné à cette technique par les francs. Toutefois, elle trouve son origine à des époques bien plus lointaines au sud de la péninsule indienne. Dans cette région, le terme couramment donné plus tard par les anglais est acier « wootz ». Les premières traces de cette production remontent au 3e siècle BC, sur le site mégalithique de Kodumanal au Tamil Nadu (premières traces de lieu de fabrication) et sur le site mégalithique d’Andhra Pradesh d’où le plus ancien fragment d’acier wootz à forte teneur en carbone (1,5 %) provient (Srinivasan, Ranganathan, 2004). 47 D’un point de vue technique, il s’agit d’un métal produit au creuset, à partir de différents fragments. Mélangés à diverses « mixtures » (recettes jalousement conservées), le métal est porté durant de nombreuses heures à sa température de liquéfaction (1500-1546°C). Il est ensuite refroidi très lentement afin d’obtenir une ségrégation du carbone pouvant aller jusqu’à la formation dendritique de ferrite et de cémentite. Il s’agit du vrai damas ou « damas de cristallisation » (Rāġib, Fluzin, 1997). Il est important d’insister sur l’aspect prestigieux de cette technique, tant la complexité des procédés (savoir-faire) et la durée de l’opération sont grandes. 48 Cette technique apparaît au Moyen-Orient aux alentours du 10e siècle, même si son commerce est bien antérieur, et se développe jusqu’à une énigmatique perte du procédé au milieu du 18e siècle. Il ne faut en revanche pas croire que l’ensemble des épées produites en Orient était de cette facture, d’autant que les écrits attestent de différentes qualités d’épées (Zakī, 1952). Dans ce contexte, nous pouvons nous demander quelle a pu être l’influence technique d’une tradition sur l’autre, mais

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 51

surtout, s’il y a eu contacts et échanges entre ces forgerons. Si l’on en croit le postulat de départ qu’émet a priori C. Gaier dans son article sur l’évolution de l’armement occidental entre le 12e et le 13 e siècle (Gaier, 1997), celui-ci n’a pas changé chez les francs pendant les croisades. Pourtant, la morphologie des armes peut être restée inchangée, mais leurs techniques d’obtention avoir évolué. Cela reste une piste à explorer à travers des analyses métallographiques. 49 Outre ces possibles contacts et échanges techniques, l’implantation franque au Levant renforce et développe un commerce lucratif entre la région et les villes européennes, en particulier les villes de la péninsule italienne. 50 Depuis le 9e siècle, le commerce des villes italiennes en Orient est florissant. Les marchands juifs jouent à cette période les intermédiaires entre les Vénitiens et l’Egypte, en particulier pour le commerce des armes. Ensuite, sous l’influence byzantine, les Vénitiens stoppent le commerce des armes avec les Sarrazins. À partir du 12e siècle, c’est Pise qui se charge d’un commerce du fer avec l’Egypte, mais en raison d’une pression du roi Latin de Jérusalem, les pisans perdent la protection des croisés tant que ce commerce perdure. Suite au IIIe concile de Latran en 1179, le pape Alexandre III interdit le commerce des armes, du fer et du bois vers les contrées d’Islam. Cette interdiction est répétée plusieurs fois au cours du 13e siècle et montre que cette clause papale n’a été que peu appliquée. Elle est une nouvelle fois proclamée en 1373 par le pape Grégoire XI. Il est parfaitement compréhensible que l’aspect extrêmement lucratif de ce commerce ait poussé les commerçants Génois et Vénitiens mais aussi Catalans et Provençaux à braver cet interdit. E. Ashtor (Ashtor, 1975), dans son étude sur les profits des marchands européens commerçant le fer avec le Levant au 15e siècle, prouve que ce métal devait être d’une certaine rareté dans la région. En effet, il nous informe que si l’on prend en compte les taxes et le coût du transport, le profit des commerçants était de près de 300 %. Cela étant, ce commerce se faisait discrètement et les informations textuelles sont rares. Nous savons toutefois que pour le début du 14e siècle, deux routes commerciales semblent être empruntées par les Vénitiens pour ce marché illicite. L’une passe par Ancône, la Crête, Constantinople et Tana. L’autre prend le même chemin jusqu’à la Crête et se dirige ensuite vers l’Aïas et Acre (Sprandel, 1970). Les données archéologiques peuvent ensuite nous permettre d’évaluer plus précisément l’importance de ce métal dans la consommation régionale. 51 Le commerce du fer dans l’Empire ottoman est quant à lui relativement bien documenté à partir 16e siècle grâce à la conservation des archives – elles n’ont pas été conservées pour le 14e et relativement peu pour le 15 e siècle. Toutefois, les connaissances que nous pouvons en avoir sont encore partielles car elles ne peuvent prendre en compte les importations illégales des principales cités italiennes qui bravent l’interdit papal en commerçant le fer avec les nations arabes, et ne sont par conséquent pas archivées. 52 Au cours du 15e siècle, la région de Bursa semble être une zone de production et un port d’exportation métallurgique (Inalcik, 1960). Le commerce s’opère principalement vers l’Egypte et la Syrie via des voies commerciales terrestres et maritimes. La voie terrestre passe par Antalya et dessert les terres levantines. La voie maritime est quant à elle plutôt portée sur les produits volumineux et pondéreux et doit davantage correspondre à ce que réclamait le commerce du fer. Ce trajet, nous informe Fatih Devri (Inalcik, 1954), est le plus court et peut être réalisé en moins d’une semaine jusqu’à Alexandrie. En revanche, la voie maritime ne sera réellement sûre qu’en 1522 après la conquête de

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 52

Rhodes et de Chypres par les Ottomans. Aucun texte ne fait toutefois référence à un commerce direct avec les côtes de la Palestine. Les principaux ports de commerce sont Alep et Alexandrie, et les ports de Jaffa et d’Acre ne sont pas mentionnés comme destinations directes d’un commerce depuis Bursa. 53 Les derniers siècles que nous venons de citer sont de plus le théâtre de deux grandes innovations, celle des armes à feu et du procédé d’obtention du fer en haut-fourneau. La réduction indirecte : une révolution manquée ? 54 Le 15e siècle voit en Europe l’apparition et le développement de la métallurgie indirecte en haut-fourneau. Très peu de données sont connues sur l’introduction de cette technique au Proche-Orient et il semble que seules trois industries de ce type se soient installées dans les provinces du nord de l’Empire ottoman, l’une à Demirköy- Samarkocuk sur les bords de la Mer Noire en Thrace turque, une autre au sud de Sofia (Samakov) en Bulgarie ottomane et la dernière à Pravişte à la jonction entre la Grèce, la Turquie et la Bulgarie actuelle (Danisman, 2007). Ces industries se développent à partir du 16e siècle et se seraient arrêtées à la fin du 19e (Danisman, 2007). Cet ensemble de hauts fourneaux semble être le seul suffisamment développé pour produire du fer et de la fonte à large échelle dans l’ensemble de l’empire ottoman. Toutefois, cette production est principalement dirigée vers les fonderies impériales de canon et son organisation, selon des décrets impériaux, semble être scrupuleusement dirigée par l’administration ottomane. L’extraction du minerai et la réduction en haut-fourneau revient à la population locale et à des entrepreneurs privés. Le métal produit est ensuite acquis par des fonderies impériales telle que la Fonderie de Canons Impériale ou l’Arsenal Impérial. Peu de ces productions devaient alors parvenir aux confins de l’Empire et encore moins dans un but de production civil. 55 Du côté européen, les productions s’accroissent de façon énorme et leur capacité à subvenir aux besoins proche-orientaux devient écrasante. 56 Ainsi, il convient de s’interroger sur l’introduction du métal de réduction indirecte sur les côtes Levantines à cette période, sur la proportion de produit européen et anatolien (réduction indirecte) et sur celle du métal de réduction directe encore très largement produit. Cela peut-être à ce stade de la recherche un point crucial pour la compréhension du commerce et de la production à cette période. 57 Durant la même période, les productions de canons ottomans en sont le résultat, le commerce des armes à feu et de la poudre se développe également entre l’Europe et l’Empire Ottoman. Au 14e et 15e siècle, les interdits papaux sont toujours valables mais le commerce très lucratif des armes se développe lui aussi (DeVries, 1996). Ce marché illicite se pratique en particulier depuis Dubrovnik, Florence, Avignon, Venise et Gêne. Ainsi, les Ottomans seront capables de s’équiper en armes modernes dès la fin du 14e siècle et seront complètement équipés sous les règnes des sultans Murad II en Mehmed II entre 1421 et 1481 (Bostan, 2000). 58 Au cours des 16e et 17e siècles, l’importance du commerce des armes diminue grâce aux fabriques impériales mais les Ottomans restent demandeurs des matières premières européennes qui leur font toujours défaut. 59 Au 18e siècle, le commerce international pratiqué dans les ports de Syrie du Sud comme Saïda, Haïfa, Acre et Jaffa est dominé par les Français. Les états annuels dressés par les consuls de France au Levant, au sujet du commerce dans leur juridiction, nous informent relativement peu sur les produits métalliques commercés. Depuis la

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 53

métropole, entre 1756 et 1787, seuls des produits manufacturés, comme des clous, sont cités. Quant à la matière première métallique, les barres de fer acheminées par les Français depuis Marseille semblent davantage provenir des pays d’Europe du nord (Panzac, 1990). Le dépouillement des archives sur les trois derniers siècles cités semble indispensable à la compréhension des échanges entre Orient et Occident à cette période. Les données archéologiques provenant des fouilles réalisées ces dernières années à Jaffa peuvent quant à elle nous apporter des informations complémentaires sur les techniques pratiquées et la matière première travaillée sur les côtes du Levant sud. 60 Deux ateliers de forge datant de la fin du 18e et du début du 19e siècle ont été fouillés en 2007 et 2008 par Yoav Arbel (Israeli Authority Antiquity). L’analyse archéométrique des déchets de production de ces deux ateliers nous informent sur une pratique systématique du recyclage des fragments et des objets métalliques usagés. Il s’agit d’un premier indice de la pénurie de métal pouvant avoir lieu dans cette région à cette période, ou du moins du prix très élevé de ce matériau. Des indices de pratique d’affinage de la fonte (décarburisation) semblent pouvoir nous montrer également que même si la production du fer en haut-fourneau n’est pas pratiquée dans le Levant, les techniques postérieures sont maîtrisées. Faut-il voir dans cet indice un commerce de métal sous la forme de barres de fonte (gueuzes) ? Ou s’agit-il encore d’une pratique de recyclage des produits en fonte pour une réutilisation en forge ? Les analyses sont en cours et permettront d’ouvrir de nouvelles perspectives dans la compréhension de ce commerce et de l’introduction des techniques métallurgiques modernes. 61 Toujours est-il que le Proche-Orient entre de façon très partielle dans la révolution technologique qu’est le haut-fourneau et le procédé indirect. Il est par ailleurs important de mettre en évidence le rôle qu’à pu jouer cette région dans les débouchées des industries européennes et par conséquent dans l’essor de ces nouvelles techniques. Les grands vainqueurs de ces relations déséquilibrées sont bel et bien les industries européennes et leurs marchands. Conclusion : comment se forger une histoire du fer ? 62 À ce jour, nous sommes encore loin de pouvoir proposer une histoire de la métallurgie du fer au Levant Sud. Toutefois, les avancées récentes réalisées en Europe sur le sujet sont un moteur pour ces recherches qui peuvent profiter d’ores et déjà d’acquis sérieux. 63 Cette présentation, comme nous l’avions annoncé en introduction, n’expose que les prémices et les premières réflexions sur la construction de l’histoire du fer au Levant sud. Un travail colossal reste à réaliser. 64 Une étude plus systématique des archives prenant le fer au centre des données, et non les chiffres globaux comme cela a pu être fait jusqu’à présent, permettrait d’identifier les origines et de chiffrer les transactions. Il s’agit d’une base de réflexion primordiale qui doit être mise en œuvre dès à présent. 65 Il faut également développer et multiplier les études de sites d’atelier et les analyses d’objet. Ce sont les seuls éléments permettant de comprendre les premiers temps de la métallurgie du fer et de compléter les données lacunaires provoquées par les marchés illicites. Ils permettront également de retracer les évolutions techniques trop souvent ignorées par les textes. Il s’agit de pratiquer des analyses archéométriques, tant métallographiques que chimiques. Les études des inclusions de scorie dans le métal devront alors être comparées à un corpus de données. Il faudra donc également

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 54

développer une base de données chimiques des minerais et des scories comme cela commence à être le cas pour le sud de la France et l’Italie (Thèse Stéphanie Leroy en cours ; Leroy et al., sous presse). Ces « signatures régionales » permettront dans le futur de tracer des provenances. 66 Enfin, il est nécessaire de former les archéologues de la région à la métallurgie du fer et surtout à l’intérêt d’une telle étude sur la compréhension des changements culturels et sociopolitiques. En Israël notamment, le développement de l’archéologie préventive est, tout comme en France, le cadre de très nombreuses découvertes dont certaines de très grande importance. Toutefois, et la loi est ici toujours valable, l’archéologie trouve en général ce que les archéologues cherchent. Une forte sensibilisation de ces derniers permettra un accroissement des données comme cela a pu être réalisé ces 10 dernières années par l’INRAP en France. 67 Un tel projet doit être réalisé conjointement entre archéologues, archéomètres, historiens et géologues. Seule une approche pluridisciplinaire pourrait avoir raison de cette tâche et la diffusion des savoirs en sera le vecteur principal. 68 Cette histoire unit de plus une région longtemps divisée et la recherche doit avoir aussi comme vocation de développer la bonne intelligence.

BIBLIOGRAPHIE

Y.A.S. Al-Amri 2007 The Role of the Iron Ore Deposit of Mugharet el-Wardeh/Jordan in the Development of the Use of Iron in Southern Bilad el-Sham. Thèse de doctorat à l’Université de Bochum, 184 p.

E. Ashtor 1975 Profits from trade with the Levant in the fifteenth century. Bulletin of the School of Oriental and African Studies, Université de Londres, Vol. 38, n° 2, p. 250-275.

P. Bar-Adon 1980 The cave of Treasure: The Finds from the Caves in Nahal-Mishmar. Jerusalem, Israel Exploration Society.

S. Bauvais 2007 Évolution de l’organisation des activités de post-réduction dans le Nord du Bassin Parisien au 2e Âge du fer : études multidisciplinaires de la chaîne opératoire en métallurgie du fer. Thèse de doctorat de l’Université de Technologie de Belfort-Montbéliard et de l’Université de Franche- Comté, 3 vol., 1369 p. 2008 Du prestige à la proto-industrie : évolution des pratiques sidérurgiques au second âge du Fer dans le nord du Bassin parisien (France). The Arkeotek Journal, Volume 2, n° 4.

S. Bauvais, P. Fluzin sous presse Archaeological and Archeometrical Approaches of the Chaîne Opératoire in Iron and Steelmaking: Methodology for a Regional Evolution Study. In V. Roux et S. Rosen (dir.) – Techniques and People: anthropological perspectives on technology in the archaeology of the proto-historic and early historic periods in the Southern Levant. Mémoires et Travaux, De Boccard.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 55

A. Behar, S. Shilstein, A. Gilboa, I. Sharon, S. Weiner 2007 Reconstructing the existence of a 7th century BCE smithy in Tel-Dor, Israel, by combined on-site XRF and FTIR analyses of sediments in a pit. Actes de la 2e conférence internationale « Archaeometallurgy in Europe 2007 », juin 2007, Grado et Aquileia (Italie), diffusion numérique.

I. Bostan 2000 La fonte de canons à la Fonderie Impériale d’Istanbul au début du XVIe siècle. Anatolia Moderna, Vol. 11, p. 171-182.

G. Castel, P. Taller et P. Fluzin 2008 La métallurgie du cuivre au temps des pharaons. Archéologia, n° 440, p. 62-71.

R.A. Coughenour 1976 Preliminary Report on the Exploration and Excavation of Mugharat el Wardeh and Abu Thawab. ADAJ XXI, Jordan Press Fondation, Amman, p. 71-78.

S. Cooke, S. Aschenbrenner 1975 The Occurrence of Metallic Iron in Ancient Copper. Journal of Field Archaeology, Vol. 2, n° 3, p. 251-266.

P.T. Craddock, N.D. Meeks 1987 Iron in Ancient Copper. Archaeometry, Vol. 29, n° 2, p. 187-204.

P. Crew 1991 The experimental production of prehistoric bar iron. Historical Metallurgy, vol. 25, n° 12, p. 21-36.

P. Crew, S. Crew 1994 The experimental production of bar iron. In M. Mangin (dir.) – La sidérurgie ancienne de l'Est de la France dans son contexte européen. Archéologie et archéométrie. Paris, Editions Les Belles Lettres, p. 175-176. (ALUB ; 536).

K.R. DeVries 1996 Gunpowder Weapons at the Siege of Constantinople, 1453. In Y. Lev (ed.) – War and Society in the Eastern Mediterranean, 7th-15th Centuries. Leiden, E.J. Brill, p. 343-362.

H.H.G. Danisman 2007 Ottoman Mining and Metal Working in the Balkans: Its Impact on Fire-Arms Technology of Southeast Europe (15th-17th centuries). Manchester, Foundation of Science Technology and Civilisation.

G. Einecke 1950 Die Eisenerzvorräte der Welt und der Anteil der Verbraucher- und Lieferländer an deren Verwertung. Stahleisen, Düsseldorf, 2 vol.

P. Fluzin 1995 Apport de l’archéométrie à la reconstitution de la chaîne opératoire des procédés sidérurgiques directs à partir des vestiges archéologiques ; intérêts des comparaisons ethnoarchéologiques. In G. Magnusson (ed.) – The importance of Ironmaking. Technical Innovation and Social Change, p. 56-64. 2002 La chaîne opératoire en sidérurgie : matériaux archéologiques et procédés. Apport des études métallographiques. In H. Bocoum (dir.) – Aux origines de la métallurgie du fer en Afrique. Une ancienneté méconnue. Paris : Editions UNESCO, Mémoire des peuples, 2002, p. 59-91.

A. France-Lanord 1964 La fabrication d’armes gauloises. Revues d’Histoire de la Sidérurgie, 5, p. 35-327.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 56

B. Frisch, G. Mansfeld et W.-R. Thiele 1985 Kamid El-Loz 6, Die Werkstatten Der Spatbronzezeitlichen Palaste. Bonn, Dr. Rudolf Habelt GMBH, Kamid el-Lôz. Saarbrücker Beiträge zur Altertumskunde, Band 33, 205 p.

C. Gaier 1997 L’évolution de l’armement individuel en Occident aux 12e et 13e siècle. Catalogue de l’exposition Les Croisades. L’orient et l’occident d’Urbain II à Saint-Louis 1096-1270. Milan, Electra, p. 183-214.

N.H. Gale, H.G. Bachmann, B. Rothenberg, Z. Stos-Gale, R.F. Tylecote 1990 The Adventitious Production of Iron in the Smelting of Copper. In B. Rothenberg (ed.) : Researches in Arabah 1959-1984, Vol. II: The Ancient Technology of Copper; Archaeology-Experiment- Theory. London, Institute for Archaeo-Metallurgical Studies, University College, p. 182-191.

E. Galili, Y. Sharvit 1999 Underwater Survey in the Mediterranean, 1992-1996. Hadashot Arkheologiyot – Excavations and Surveys in Israel, 19, p. 96.

A. Hauptmann 2000 Zur frühen Metallurgie des Kupfers in Fenan/Jordanien. Der Anschnitt, Beiheft 11, Bochum : Deutsches Bergbau-Museum.

H. Inalcik 1954 Fatih devri ùzerinde tetkikler ve vesikalar, Vol. I, Ankara, p. 36-37. 1960 Bursa and the Commerce of the Levant. Journal of the Economic and Social History of the Orient, Vol. 3, n° 2, p 131-147.

P.A. Jaubert 1975 Géographie d’Edrisi. Réédition de la version de 1836-1840, Philo press, Amsterdam, 2 vol., I, p. 355, II, p. 303-304, 319.

M. Leroy, P. Merluzzo, P. Fluzin, D. Leclère, M. Aubert et A. Ploquin 2000 La restitution des savoir-faire pour comprendre un procédé technique : l’apport de l’expérimentation en archéologie du fer. In P. Pétrequin, P. Fluzin, J. Thiriot et P. Benoit (dir.) – Arts du feu et productions artisanales. Antibes, Editions APDCA, p. 37-51.

S. Leroy, P. Dillmann, F. Teyregeol, M. Tizzoni, O. Codina, C. Verna et P. Fluzin sous presse Chemical Signature Determination for Ferrous Products Diffusion Studies. In B. Cech (ed.) – Ferrum Noricum – iron production and distribution 200 BC to AD 400. Actes du colloque

D. Leven, B. Rothenberg 2001 Early Evidence for Steelmaking in the Judaic Sources. The Jewish Quaternarly Review, New Series, Vol. 92, n° 1/2, p. 105-127.

H. Liebowitz, R.L. Folk 1984 The Dawn of iron smelting in Palestine: the Late Bronze Age smelting at Tel Yin’am, preliminary report. Journal of Field Archaeology, Vol. 11, p. 265-280.

J.D. Muhly 1982 How Iron Technology Changed the Ancient World And Gave the Philistines a Military Edge. Biblical Archaeology Review 8.6, p. 42-54.

D. Panzac 1990 Commerce et commerçants des ports du Liban et de Palestine (1756-1787). Revue des Mondes Musulmans et de la Méditerranée, Vol. 55, n° 1, p. 75-93. « Early Iron in Europe », Huttenberg, septembre 2008.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 57

E. Photos 1989 The Question of Meteoritic versus Smelted Nickel-Rich Iron: Archaeological Evidence and Experimental Results. World Archaeology, Vol. 20, n° 3, Archaeometallurgy, p. 403-421.

V.C. Pigott 2003 Iron and pyrotechnology at 13th century – Late Bronze Age – Tel Yin’am (Israel): a reinterpretation. In T. Stöllner, G. Steffens et J. Cierny (eds) – Man and Mining. Der Anschnitt, Beiheft 16, Bochum : Deutsches Bergbau-Museum, p. 365-375.

R. Pleiner 2000 Iron in Archaeology. Early European Bloomery Smelters. Archeologický ústav AV ČR, Prague, 400 p.

Y. Rāġib, P. Fluzin 1997 La fabrication des lames damassées en Orient. Journal of the Economic and Social History of the Orient, Leiden University, Vol. 40, n°1, p. 30-72.

V. Rohrlich, A. , E. Zohar 1980 Potential iron ores in the Lower Cretaceous of Israel and their origin. Israel Journal of Earth Sciences, Vol. 29, p. 73-80.

B. Rothenberg 1983 Corrections on Timna and Tel Yin’am in the Bulletin. Bulletin of the American Schools for Oriental Research, Vol. 252, p. 69-70.

B. Rothenberg 1988 Researches in Arabah 1959-1984, Vol. I: The Egyptian Temple at Timna. London Institute for Archaeo-Metallurgical Studies, University College, 317 p.

V. Roux sous presse Cultural transmission and evolutionary trajectory of technological systems: emergence and disappearance of the ceramic wheel fashioning in South Levant during the 4th millennium BC. In M. Stark, B. Bowser et L. Horne (eds) – Breaking Down Boundaries: Anthropological Approaches to Cultural Transmission and Material Culture in Memory of Carol Kramer. Arizona University Press.

E. Salin 1959 La civilisation Mérovingienne. Picard, Paris.

R.H. Smith, R. Maddin, J.D. Muhly et T. Stech 1984 Bronze Age Steel From Pella. Current Anthropology, Vol. 25, n° 2, p. 234-236.

R. Sprandel 1970 Le commerce du fer en Méditerranée orientale au Moyen âge. In M. Mollat (dir.) – Sociétés et compagnies de commerce en Orient et dans l’Océan Indien. Paris, SEVPEN, Bibliothèque générale de l’École Pratique des Hautes Études, section IV, p. 387-392.

S. Srinivasan, S. Ranganathan 2004 India's Legendary Wootz Steel: An advanced material of the ancient world. Bangalore, National Institute of Advanced Studies, Bangalore and Indian Institute of Science, 90 p.

T. Stech-Wheeler, J.D. Muhly, K.R. Maxwell-Hyslop et R. Maddin 1981 Iron in Taanach and Early Iron Metallurgy in the Eastern Mediterranean. American Journal of Archaeology, Vol. 85, n° 3, p. 245-268.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 58

R.F. Tylecote, B. Gilmour 1986 The Metallography of Early Ferrous Edge Tools and Edged Weapons. Londres, British Archaeological Review, International series 155, p. 164-165.

M. Urteaga, P. Crew, S. Crew, P. Fluzin, R. Herbach et P. Dillmann 2000 Restitution ethnoarchéologique et conduite des procédés. Forges d’Agorregi, Pays basque, Espagne. In P. Pétrequin, P. Fluzin, J. Thiriot, P. Benoit (dir.) : Arts du Feu et Productions Artisanales. Antibes, Editions APDCA, p. 53-72.

H.A. Veldhuijzen 2003 ‘Slagfun’ – a new tool for archaeometallurgy: development of an analytical (P)Ed-Xrf method for iron-rich materials. Papers from the Institute of Archaeology, Vol. 14, p. 102-18. 2005 Technical ceramics in early iron smelting: the role of ceramics in the early first millennium BC iron production at Tell Hammeh (Az-Zarqa), Jordan. In I. Prudencio, I. Dias et J.C. Waerenborgh (eds) : Understanding People through their Pottery: Proceedings of the 7th European Meeting on Ancient Ceramics (Emac ‘03). Lisbon, Instituto Portugues de Arqueologia (IPA), p. 294-302.

H.A. Veldhuijzen, T. Rehren 2007 Slags and the City: Early Iron Production at Tell Hammeh, Jordan, and Tel Beth-Shemesh, Israel. In S. La Niece, D.R. Hook et P.T. Craddock (eds) : Metals and Mines – Studies in Archaeometallurgy. Londres, Archetype, British Museum, p. 189-201.

A. Williams 2007 Hypereutectoid steel in Viking-age swords. Actes de la 2e conférence internationale « Archaeometallurgy in Europe 2007 », juin 2007, Grado et Aquileia (Italie), diffusion numérique.

A. Zakī

1952 Kindī: Al-suyūf wa ağnāsuhā. Bulletin of the faculty of Arts, Vol. 14, n° 2, p. 1-36.

NOTES

1. 1 Samuel 13:19 à propos de la prohibition de la fabrication d’objets métalliques qui pourraient servir à des fins militaires ; 1 Samuel 17:7 à propos de la lance de Goliath. 2. Temple d’Hatora à Timna. 3. Fouilles Shlomit Weisler (IAA), étude Bauvais en cours. 4. Étude Boukézoula, Bauvais en cours. 5. Étude Pages en cours.

RÉSUMÉS

La métallurgie du fer au Levant sud a été très peu étudiée, en dehors des premiers temps de son essor. Nous présentons dans cet article une sorte d’état des lieux des données disponibles sur cette métallurgie et sur les relations commerciales qu’elle a pu engendrer, depuis les premiers objets en fer jusqu’à l’Empire ottoman. Cette introduction souligne plus la tâche qu’il reste encore à accomplir plutôt qu’elle ne donne une vision claire de l’évolution des techniques et de

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 59

leur organisation au sein des différentes périodes. La région se caractérise par une distribution de gisements minéraux très irrégulière et de faible ampleur qui conduit très vite à une situation de dépendance envers les réseaux d’approvisionnement. Elle est également le théâtre d’une multitude de conquêtes militaires et d’occupations qui ont apporté leur lot d’innovations techniques mais aussi bouleversé les réseaux d’acquisition de la matière première en fonction des affinités géopolitiques.

The iron and steel metallurgy in the south Levant has been little studied apart its first period of development. A kind of overview is presented in this article, about data available on this metal industry and on the trade connections which it has been able to provoke, since the first iron objects until the Ottoman Empire. This introduction underlines most-of-all the task which it still remains to carry out rather than it gives a clear vision of the evolution of these techniques and of their organization within various periods. This region is characterized by a very irregular distribution of mineral deposits of a weak scale which leads very fast to a situation of dependence to networks of supplying. It is also the theater of a multitude of military conquests and occupations which brought their lot of technical innovations but also disrupt acquisition networks of the raw material according to their geopolitical kinship.

INDEX

Mots-clés : sidérurgie, Levant Sud, étude diachronique, artisanat, commerce, matière première, histoire des techniques Keywords : iron and steel industry, South Levant, diachronic study, crafts, networks of trade, raw material, history of techniques

AUTEUR

SYLVAIN BAUVAIS Sylvain Bauvais est un jeune chercheur actuellement Post-doctorant au Centre de recherche français de Jérusalem (CRFJ) en partenariat avec l’institut Weizmann de Rehovot et l’Université de Haïfa. Il est titulaire d’un doctorat d’Archéologie et d’Histoire Sociale à l’Université de Technologie de Belfort-Montbéliard (UTBM) et de l’Université de Franche-Comté, soutenu en septembre 2007 et intitulé : Évolution de l’organisation des activités de forge dans le nord du Bassin parisien au second âge du Fer – Études pluridisciplinaires de la chaîne opératoire en métallurgie du fer. Ses travaux de doctorat ont été financés par une Bourse de Docteur Ingénieur CNRS (BDI) avec partenariat entre le laboratoire « Métallurgies et Cultures » (UMR 5060 du CNRS) et l’Institut National de Recherche Archéologique Préventive (INRAP). Ses problématiques de recherche portent sur l’organisation de la métallurgie du fer en contexte de dépendance : les échanges et les dynamiques d’interactions entre techniques, société et environnement. Actuellement, il s’intéresse aux relations entre Orient et Occident au Moyen âge et à l’époque Moderne au Levant sud.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 60

André Blumel, un itinéraire sioniste à la croisée des chemins

François Lafon

1 Parmi les proches de Léon Blum, le parcours d’André Blum – qui modifia son nom en celui de Blumel1 – apparaît bien énigmatique. Après avoir été l’un des collaborateurs parmi les plus proches du président du Conseil durant le Front populaire, il se rapprocha du Parti communiste à la fin de la seconde guerre mondiale, à une époque où ce dernier vouait pourtant le leader socialiste aux gémonies2, sans toutefois rompre totalement avec sa mouvance d’origine3. Cependant, alors que Léon Blum ne pardonnait que rarement ce qu’il estimait être une trahison chez ses proches4, jamais il ne s’éleva contre André Blumel. Mieux, les deux hommes demeurèrent unis dans leur commun soutien à la cause sioniste. Leur rôle dans le combat pour la création de l’État d’Israël est avéré. Fort significativement, peu après la disparition de Léon Blum, André Blumel publia la brochure Léon Blum, Juif et sioniste5, dans laquelle, le premier, il soulignait l’ampleur décisive de cette dimension dans l’identité politique de son ami disparu6.

2 De ce rappel découle la légitimité du questionnement qui guide la présente réflexion : est-il possible de décrypter à travers les discontinuités consécutives à un triple engagement, pour le moins original et parfois (apparemment du moins) contradictoire, quelques tendances lourdes ? Si oui, aident-elles à caractériser tant le rapport complexe entre la gauche française et le sionisme que la relation entre Israël et la Diaspora7 ? C’est pourquoi, après un rappel général de l’engagement socialiste d’André Blumel, nous analyserons les principales étapes de son parcours sioniste, avant de nous intéresser – nous inspirant des méthodes de la micro-histoire8 – à deux incidents relatifs à sa présidence de la Fédération sioniste de France lorsque (en 1958 et en 1959) il en démissionna, tant il est vrai que ces « micro crises », certes mineures, nous ont semblé permettre de cerner des caractéristiques originales des relations entre le sionisme français et le centre israélien. De Léon Blum au « crypto-communisme » 3 André Blumel naquit en 1893. Il décéda en 1973. De la première phase de sa vie, il convient avant tout de retenir un parcours de militant et responsable socialiste9, même

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 61

s’il ne fut jamais élu à des scrutins nationaux10. Adhérent au Parti socialiste en 1908, il se positionna d’abord à la droite de celui-ci. Durant la première guerre mondiale, où il devint le secrétaire d’Albert Thomas et appartint à la tendance des « majoritaires » favorables à l’Union sacrée, il écrivit souvent dans la Guerre Sociale puis dans l‘Humanité 11. C’est à l’occasion de sa collaboration à ce dernier organe qu’il se rapprocha de son directeur politique, Pierre Renaudel, qui devait très fortement l’influencer jusqu’en 1934. Après la première guerre mondiale, il les suivit tant dans le refus de la révolution russe, puisqu’il participa en janvier 1920 à la création du courant dit de « La Vie Socialiste »12, qu’au Bureau International du Travail13 où il assista Albert Thomas jusqu’en 192214, ce qui d’ailleurs l’empêcha de participer aux débats du congrès de Tours où se joua la scission communiste. Après avoir démissionné du BIT en 1922, il reprit son militantisme au sein du Parti socialiste en soutenant une ligne de participation à un « cartel des gauches » qui associerait socialistes et radicaux. En ce sens, il se situait en opposition résolue à la ligne de la majorité du Parti socialiste qui, l’épisode du cartel des gauches en 1924 mis à part, refusait la participation gouvernementale15. Ainsi, proche des positions wilsoniennes, il collabora au journal L’Œuvre, puis au Quotidien et L’Europe nouvelle. Fort symboliquement à l’occasion du congrès du Parti socialiste qui débattit en mai 1931 à Tours de la symbolique question de la défense nationale, il soutint la déclaration de vingt-cinq parlementaires que lut à la tribune Pierre Renaudel pour protester contre l’adoption d’une résolution hostile à toute collaboration socialiste à la défense nationale. En 1932, à la suite du succès électoral des radicaux et de la SFIO, il prôna un gouvernement d’union entre les deux formations. De même, il s’afficha partisan d’une autonomie du groupe parlementaire – dont il avait été le secrétaire administratif entre 1924 et 192816 – par rapport au Parti. Sur ces deux points, il se situait donc en pleine logique des Néo socialistes. Cependant, au nom de l’unité de la SFIO, il refusa de les suivre lorsque ces derniers choisirent de quitter le Parti socialiste en 193317. 4 C’est à partir de ce moment qu’il se rapprocha politiquement de Léon Blum, qu’il connaissait de longue date18 et dont il était un collaborateur professionnel depuis son inscription au Barreau de Paris en 1926, voire l’avocat personnel19 dans le cadre de la procédure intentée contre L’Ami du Peuple en 1930. Dirigé par François Coty, cet organe venait de publier un article dénonçant « Le pétrolier Léon Blum, agent au Parlement des raffineurs ». Dans ce papier viscéralement antisémite, Blum était accusé d’avoir tenté d’être temporairement membre de la Commission des Finances à la seule fin de défendre les intérêts de la firme de raffinage dont il aurait été (ce qui s’avérait sans fondement, mais là n’était pas l’essentiel) l’avocat-conseil. Comme le note judicieusement Ilan Greilsammer20, il s’est agi du seul cas où Léon Blum a répondu directement à une des innombrables agressions antisémites dont il fut l’objet. Ainsi est attestée la forte relation de confiance entre Léon Blum et André Blumel, en dépit de leurs divergences politiques sur la question ministérielle. 5 Avec le rapprochement politique entre les deux hommes, dans lequel l’antifascisme tint après les événements du 6 février 1934 une place majeure, s’ouvrit une nouvelle phase dans l’engagement socialiste d’André Blumel. Il déchargea le président du groupe parlementaire socialiste en le suppléant dans de nombreuses commissions du Parti, ce qui explique pourquoi il demeura membre de la Commission Administrative Permanente du Parti socialiste de 1932 à 1939, ce qui était quelque peu paradoxal dans la mesure où il n’était soutenu par aucune fédération importante du Parti. Il ne dut bien souvent qu’à son statut de proche de Léon Blum d’obtenir cette responsabilité.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 62

Pour preuve de la fragilité structurelle de sa position, il suffit de se référer au congrès de mai 1936 qui suivit le succès électoral du Front populaire. Alors qu’André Blumel avait notamment participé aux négociations aboutissant à la conclusion du Pacte d’unité d’action entre socialistes et communistes conclu le 27 juillet 1934, puis au comité de coordination, enfin au Comité national d’entente entre les deux partis, et que Léon Blum s’apprêtait à en faire son directeur de Cabinet à l’Hôtel Matignon, il fut évincé par une commission des résolutions où les partisans de Paul Faure étaient majoritaires. Cependant, la réaction des congressistes entraîna la démission forcée du dernier élu paul-fauriste pour repêcher Blumel. Sa conception des relations avec le Parti communiste évolua profondément. Lui l’ancien anticommuniste de la Vie socialiste devint l’un des plus grands partisans de l’unité d’action au nom de l’antifascisme allant jusqu’à soutenir, ce qui fut accepté par le Parti socialiste SFIO en 1936, puis plus tard contesté21, l’adhésion des militants socialistes à des organisations antifascistes sous influence communiste. 6 Compte tenu de leur forte relation personnelle, Léon Blum lui confia l’importante fonction de directeur de Cabinet après la victoire électorale du Front populaire qu’il remplit aux dires de tous les témoins en jouant, à ce « poste de combat », un rôle plus important que nombre de ministres22. Demeurant à l’Hôtel Matignon, en liaison spéciale avec le domicile de Blum23, il le déchargea de nombreuses tâches tout en prenant part à toutes les délibérations. Soulignons au regard de son évolution ultérieure, qu’il se montra toujours solidaire des décisions prises à cette occasion, y compris sur le choix de la politique de non-intervention en Espagne, tant décriée par les communistes. 7 S’il ne fallait prendre qu’un symbole emblématique de son activité d’alors, il suffit de rappeler son attitude à Clichy lorsque André Blumel fut grièvement blessé dans la nuit du 16 au 17 mars 1937 en s’interposant entre militants du Front populaire et membres du Parti social français. Sur ces événements, Eric Nadaud note : « Cette expérience lui valut une forte notoriété dans et hors du Parti, pour longtemps, puisqu’il fut constamment et avant tout désigné après la guerre comme « le directeur de cabinet de Léon Blum » ». Et Nadaud ponctue fort justement : « Cependant, son omniprésence auprès de ce dernier, qui s’ajoutait à celle de Jules Moch, alimenta une virulente campagne antisémite de l’extrême droite contre la main mise supposée des Juifs sur la France »24. 8 L’évolution des menaces extérieures le conforta dans sa nouvelle approche des relations avec le Parti communiste. Convaincu que l’unité d’action, voire l’unité organique, s’avérait désormais indispensable à la lutte antifasciste, il s’opposa aux accords de Munich et, restant fidèle à Léon Blum, il s’éloigna du pacifisme majoritaire chez les amis du secrétaire général du Parti socialiste, Paul Faure. Lors du congrès de Nantes en 1939, il devint, avec Léon Blum et Louis Lévy, l’une de leur cible privilégiée, au fort relent d’antisémitisme25. 9 Après la débâcle, c’est sans surprise qu’André Blumel fut l’un des premiers socialistes résistants : en attestent ses contacts avec Léon Blum, puis avec André Le Troquer, André Philip ou encore Lucien Hussel. Alors qu’il se rendait, comme délégué par le Parti socialiste, auprès du général De Gaulle, il fut arrêté à Lisbonne en mars 1941. Livré par les autorités portugaises à celles de Vichy, Blumel fut alors astreint à résidence dans les Pyrénées-Orientales, avant d’être libéré en mars 1942. Il envisagea alors de rejoindre Léon Blum à Riom, mais à nouveau arrêté en août 1942 il demeura emprisonné jusqu’à

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 63

son évasion en mai 1944. À cette occasion, outre l’aide d’Edouard Depreux, il bénéficia de celle d’amitiés nouées pendant son incarcération avec d’anciens membres de la Cagoule, dont le docteur Henri Martin (auquel il délivra après la Libération des attestations26) et Roger Warin dit Wybot27 qu’il retrouva par la suite au ministère de l’Intérieur. Il fut en juillet 1944 envoyé à Londres afin de tenter, en vain, en liaison avec l’Agence Juive – et Haïm Weizmann – une initiative visant à libérer Léon Blum, alors déporté à Buchenwald28. Pourtant, sans rompre totalement avec la mouvance socialiste, son engagement s’orienta après la guerre dans la double direction du cryptocommunisme – illustrant pleinement le phénomène du « compagnon de route » – et du sionisme. Même si stricto sensu sa rupture avec la SFIO ne constitue pas le cœur de la présente réflexion, posons simplement qu’une certaine forme de rancœur envers Daniel Mayer29 est perceptible. Tout se passe comme si, pour ce dernier (qui, secrétaire général du Parti socialiste clandestin durant l’Occupation, aimait à se définir d’abord comme socialiste et Français résistant, la qualité de Juif n’arrivant qu’en troisième position), la proximité initiale d’André Blumel avec Léon Blum avait posé problème30. 10 Dans ces conditions, bien que directeur de Cabinet du ministre de l’Intérieur, l’atypique socialiste (et gaulliste31) Adrien Tixier, ce qui favorisa – nous y reviendrons – son combat sioniste, il s’éloigna progressivement de la SFIO, notamment en raison de son activité d’avocat32. 11 Le regard favorable que Blumel portait sur le rôle éminent joué par l’Union soviétique – et plus généralement parlant par les communistes33 – dans la victoire contre le nazisme caractérise une génération imprégnée par l’écho du canon de Stalingrad. Durant l’été 1945, il se prononça pour l’unité organique entre socialistes et communistes, alors que la SFIO refusait devant les exigences communistes et que le PCF rendit Blum – tout juste rentré de déportation – personnellement responsable de ce refus34 . 12 Néanmoins, il est un domaine, central pour notre réflexion, sur lequel André Blumel demeura proche de Léon Blum et de l’ensemble du Parti socialiste : il s’agit du combat pour la création de l’État d’Israël. Ainsi, à un moment décisif, André Blumel a été l’un des dirigeants les plus importants du sionisme français. Un acteur clef du Sionisme français 13 Président du Keren Kayemeth Leisraël de 1946 à 1949, co-fondateur et président en 1947 de l’Union sioniste de France, André Blumel devint secrétaire général puis président de la Fédération sioniste de France lorsqu’elle fut reconstituée en 1954. Son action, tout comme celle de Marc Jarblum, s’avéra particulièrement efficace entre 1946 et 1948. Refusant, comme Léon Blum, Edouard Depreux, Paul Ramadier et Jules Moch, la fermeture de la Palestine aux survivants des camps d’extermination, il participa pleinement au combat en faveur de l’immigration juive clandestine en Palestine, qui transitait en partie par la France. Le drame de l’Exodus35, dans lequel il joua un rôle d’intermédiaire de première importance entre les milieux gouvernementaux français – notamment socialistes – et le mouvement sioniste, l’illustre pleinement. À la demande d’Edouard Depreux, ministre de l’Intérieur dans le Gouvernement Ramadier, il fut envoyé auprès des rescapés juifs bloqués à Port-de-Bouc dont le gouvernement anglais exigeait le débarquement, avec les pleins pouvoirs pour les ravitailler et assurer le respect de leur volonté, ce qui permit aux réfugiés de rester à bord. À ce titre il disposait d’un coupe-file spécial délivré le 29 juillet 1947 par la Direction générale de la Sûreté Nationale lui permettant de « circuler sur toutes les voies dont l’accès est interdit au public ». Fort significativement, ce coupe-file ne portait pas de numéro de

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 64

carte d’identité mais la simple mention manuscrite certifiant que Blumel travaillait pour « le ministère de l’Intérieur ». De même, il participa avec Léon Blum et Marc Jarblum à l’important travail de pression déjà signalé qui compte parmi les facteurs qui déterminèrent la France à voter à l’ONU en faveur de la création de l’État d’Israël en dépit des hésitations de certains de ses diplomates, notamment Alexandre Parodi. Il fit notamment partie de la délégation du Crif qui rencontra le 20 avril 1948 le Président de la République Vincent Auriol pour obtenir le soutien de la France à la création d’un état juif36. Or, loin d’être acquis en dépit de l’adoption du plan de partage le 29 novembre 1947, cette création pouvait paraître remise en cause par les hésitations américaines, où en dépit du soutien affirmé du Président Truman, le secrétaire d’État Georges Marshall pesait de tout son poids pour modifier le cours des choses37. 14 À côté de ces activités officielles, il joua aussi un rôle clandestin au sein du Mossad, ce qui est attesté par une lettre de félicitation signée SM en date du 9 octobre 1947, remerciant au nom du « Quartier général de la Haganah en Palestine pour votre activité si courageuse et si intrépide lors de l’Affaire de l’Exodus ». Comme l’explicite une petite note d’accompagnement manuscrite SM représentaient en fait les initiales de Shaul Meyerov, le chef du Mossad depuis 1938, responsable de l’Alyah Beth 38, qui précisait : « Pour des raisons bien compréhensibles, j’ai signé la lettre ci-inclus avec mes initiales et non en toutes lettres ». Blumel avait d’ailleurs profité de son passage au Cabinet d’Adrien Tixier pour nouer des contacts avec la DST, lesquels s’avérèrent fortement utiles dans l’action clandestine pour favoriser l’émigration juive vers la Palestine. Il fut notamment très proche du patron de cette dernière, le gaulliste Roger Wybot –dont il devint l’avocat – et de son adjoint Stanislas Mangin. Il connaissait, nous l’avons vu, ces deux anciens Cagoulards depuis son emprisonnement durant l’Occupation. En outre, la présence d’Edouard Depreux, son plus proche ami depuis la Résistance, place Beauvau lui permit de continuer de bénéficier de l’aide de l’administration. Dès le mois de juin 1946, avec l’appui de Jules Moch, pour l’heure secrétaire général de la Présidence du Conseil, Daniel Mayer, pour quelques semaines encore secrétaire général de la SFIO, sans oublier celle de son homonyme René Mayer, député radical du Constantinois, il constitua l’armature du réseau de l’Alyah Beth en France. S’il se rendit tout à fait officiellement à plusieurs reprises en Palestine, et fit à chaque fois un compte-rendu au Quai d’Orsay, sous le pseudonyme de Farhi, Blumel travailla pour le Mossad et s’engagea à fond dans ce combat. L’historienne israélienne Idith Zerthal s’en fait l’écho dans son livre – au demeurant fort contestable – Des rescapés pour un État39 (à la suite de Jacques Derogy40) en signalant que l’émetteur principal du Mossad qui avait été préalablement saisi par la DST41, fut alors installé dans la maison de la mère de Blumel à Rueil- Malmaison. 15 Point n’est donc besoin d’insister. L’engagement sioniste est indéniable. De même l’action, officielle ou clandestine, est avérée. Ainsi, outre l’ancienneté et la profondeur de sa relation avec Léon Blum, l’on comprend mieux pourquoi le désaccord politique majeur entre les deux hommes ne déboucha pas sur une rupture personnelle. Cependant, force est aussi de constater que cet engagement se heurte apparemment au choix de Blumel de soutenir le camp soviétique lorsque, après le décisif appui apporté par l’Union Soviétique à la création de l’État d’Israël en 194842, et à la suite d’un nouveau retournement de Joseph Staline dans les années 1949-1950, les Soviétiques choisirent de s’opposer au jeune État. En ce sens, le respect de la chronologie s’avère nécessaire pour comprendre l’itinéraire de Blumel.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 65

16 Au même titre que la liste des responsabilités qu’il occupa dans les organisations sionistes est impressionnante, l’énumération de celles qu’il exerça en tant que « compagnon de route » dans diverses organisations proches du Parti communiste s’avère particulièrement éclairante. Président du MRAP lors de sa création le 22 mai 1949, il fut aussi membre influent des Combattants de la Liberté et de la Paix, fondé le 22 février 194843, après une initiative de Charles Tillon, et placé sous la direction d’Yves Farge dont Blumel était précisément l’avocat dans le procès dit du scandale des vins, où il n’hésita pas à justifier les accusations de corruption (sans fondement) portées par Farge contre Félix Gouin. Il fut aussi le seul avocat non encarté au Parti communiste à assurer la défense de Pierre Daix et des Lettres Françaises dans le procès Kravchenko 44. Dans sa plaidoirie, il n’hésita pas à affirmer que l’absence de barbelés dans les camps de Sibérie illustrait, selon lui, que ces derniers n’étaient en rien comparables au système concentrationnaire nazi. À la suite de cet épisode, il rejoignit en juin 1949 à l’initiative de Fernand Grenier le bureau national de l’Association France-URSS45. 17 Cependant, il quitta le MRAP, dans des circonstances sur lesquelles nous reviendrons, et participa en réaction en 1954 à la création du Cercle Bernard Lazare. En cette même année 1954, il fut nommé à la présidence de la Fédération sioniste de France. En avril 1957, cédant à l’amicale pression d’Edouard Depreux, alors président du groupe parlementaire socialiste, il revint brièvement à la SFIO, dont le soutien à Israël fut patent sous le Gouvernement Guy Mollet – et nullement limité à l’opération de Suez46. Cependant, le ralliement du secrétaire général de la SFIO au général De Gaulle entraîna un nouveau départ d’André Blumel en 195947. Au même moment, il éprouva des difficultés à concilier son cryptocommunisme et ses responsabilités à la Fédération sioniste de France. Parmi de nombreux exemples, il adressa à David Ben Gourion un rapport sur la situation des Juifs en République Démocratique Allemande en 196048 concluant en l’absence de la moindre forme d’antisémitisme dans ce pays. 18 Indubitablement, le parcours que nous venons de retracer s’avère atypique. Il révèle néanmoins une tendance lourde dans l’appréhension des relations entre personnalités de gauche dans la Diaspora et Israël et invite à s’interroger sur l’ombre portée par la question soviétique lors de sa présidence du MRAP. À ce sujet, il importe de rappeler d’abord l’initial – et déjà signalé – soutien inconditionnel de l’URSS et de Staline à la création de l’État d’Israël, à une époque d’ailleurs où des milieux influents aux États- Unis d’Amérique ne soutenaient pas la création de l’État d’Israël. Ce dernier point est notamment illustré par l’important conflit opposant le Président Harry Truman et le secrétaire d’État Georges Marshall. Ainsi, le 19 mars 1948, l’ambassadeur américain à l’ONU, Warren Austin, demanda la réunion d‘une session spéciale de l’Assemblée générale des Nations Unies afin de proposer, en remplacement du plan de partage approuvé le 29 novembre 1947, un plan dit de « tutelle »49. C’est par la presse que le Président Truman apprit la démarche de son ambassadeur, alors que la veille le président américain avait encore personnellement confirmé à Haïm Weizmann que les États Unis continuaient à soutenir le plan de partage et c’est peu dire qu’il n’apprécia guère. 19 Dans ces conditions, il importe de ne pas commettre d’anachronisme. Avant 1950, il n’y avait alors aucune contradiction à s’afficher sioniste et communiste. Mais, à l’épreuve de la culture politique de guerre froide (dénonçant le camp américain au nom de l’anti- impérialisme) et du virage dit « anticosmopolite » du régime stalinien -symbolisé notamment par le procès Slansky en 1952 en Tchécoslovaquie, puis par l’affaire dite

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 66

« des blouses blanches » en Union Soviétique en 1953, caractérisés tous deux par un indéniable caractère antisémite- cet équilibre initial se rompit. Cependant, le MRAP, loin de dénoncer ces procès, vit alors certains de ses membres défendre la politique soviétique. Parmi eux, émerge le cas emblématique du docteur Louis Le Guillant : ce psychiatre engagé, qui concevait la psychiatrie comme profondément enracinée dans la réalité sociale50, n’hésita pas, dans un article intitulé « Médecins criminels ou science pervertie » publié par la revue intellectuelle communiste la Nouvelle Critique en février 1953, à soutenir la thèse officielle soviétique. Loin d’être un cas isolé, les sympathies communistes conduisirent le MRAP en tant qu’organisation à s’écarter de son amitié originelle envers l’État d’Israël. 20 André Blumel fit alors partie des quelques responsables du MRAP à le quitter pour fonder en 1954 le Cercle Bernard Lazare, qui reprit bien souvent en France les positions du MAPAM51 israélien. 21 N’est-il pas significatif que Blumel s’éloigne temporairement de ses amis communistes sur une question dont l’impact sur la gauche israélienne est avéré ? Et qu’il revienne brièvement à la SFIO (de 1957 à 1959) pour manifester son accord avec sa politique de soutien à Israël ? 22 En effet, le procès Slansky se trouva directement à l’origine de l’éclatement du MAPAM dans la mesure où, outre le fait que la plupart des accusés étaient Juifs, deux Israéliens y furent accusés d’être des agents américains. Mordechaï Oren, l’une des figures marquantes de Hachomer Hatzaïr, présent à Prague en 1951, fut arrêté et condamné à 15 ans de détention52. De même, un agent de l’ambassade d’Israël, Shimon Orenstein, fut condamné à de la prison, avant d’être libéré quelques mois après. Cette affaire eut de profondes répercussions sur le MAPAM, qui avait quand même obtenu 19 sièges lors des élections pour la première Knesset. Elle fut à l’origine d’une part de la scission de la tendance Achdut Ha’avoda, qui refusa désormais tout alignement sur l’Union Soviétique, et d’autre part, à la suite de la crise de Hachomer Hatzaïr, du ralliement de Moshe Sneh, ancien chef d’État Major de la Haganah, au Parti communiste israélien. 23 Au-delà même des débats internes au MAPAM, la question soviétique avait été placée au centre de la campagne pour les élections à la deuxième Knesset du 30 juillet 1951 par David Ben Gourion en personne. Outre le virage évident de la politique soviétique vis-à- vis d’Israël, il s’interrogeait désormais en termes de valeurs fondatrices de l’État Juif, privilégiant le messianisme et la politique d’immigration au nom du nécessaire rassemblement des exilés comme en témoigne sa saisissante formule : « En qui devons- nous croire ? Pour qui devons-nous travailler ? Les travailleurs d’Israël devront en décider : le Kremlin, ou Jérusalem ? Toute la nation qui habite Sion doit décider : le Veau d’or ou le Messie »53. Ainsi « recontextualisée», l’importance de la question soviétique apparaît moins surprenante pour comprendre les premières années du jeune État d’Israël et les débats internes au sionisme français. 24 Ainsi, n’est-il donc pas significatif d’établir un parallèle entre la crise du MAPAM et la réaction d’André Blumel, qui s’avéra en tout point similaire à celle du mouvement Achdut Ha’avoda ? 25 Une autre série de résultats qui transparaît suite au décryptage de cet itinéraire touche à la chronologie de la perception de l’État d’Israël dans la mesure où la rupture définitive entre André Blumel et l’État d’Israël se situa avant la guerre des Six Jours. L’élément déclencheur en fut le procès Siniavsky-Daniel. En effet, ce fut en 1966 – et donc un an avant la guerre des Six Jours –, qu’André Blumel choisit de rompre avec les

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 67

autorités israéliennes par une lettre adressée le 31 juillet 1966 à Abba Eban. Dans cette correspondance, il reprochait au ministre des Affaires étrangères de l’État d’Israël une attitude qu’il jugeait anti-soviétique par principe, estimant, contre toute raison, que l’affaire Siniavsky-Daniel ne participait en rien d’un quelconque antisémitisme54. Il y estimait qu’Israël organise une « campagne frénétique contre l’Union Soviétique qui est accusée d’enchaîner et persécuter les Juifs » et d’en faire « la plus malheureuse nation parmi les 131 nations ou groupes ethniques de l’URSS ». Il reprochait à Abba Eban d’organiser une opération de propagande anti-soviétique propagée officiellement ou officieusement par Israël. Si ce dernier aspect apparaît bien caractéristique d’un nouveau mode de mobilisation encouragé par l’État d’Israël sur la question des Juifs d’Union Soviétique, il est évidemment impossible de souscrire à la pertinence des arguments développés par Blumel. Il reconnaissait certes qu’il existait un problème juif en Union Soviétique55 et que toute discrimination n’avait pas entièrement disparu. Mais, il n’hésitait pas à rapprocher la situation des Juifs d’Union Soviétique de celle des Juifs français, britanniques ou américains, ces grands États qu’il définissait comme étant les « plus antisémites au monde ». Autre « argument », il reprochait aux Israéliens à la fois « la poutre dans leurs yeux [qui les] empêche de voir comment sont traités les citoyens arabes d’Israël » et l’alignement sur la politique des Services Spéciaux Américains qui ne peuvent conduire qu’à « une effrayante guerre mondiale ». Si la logique de l’argumentation s’avère pour le moins spécieuse, il n’est pas entièrement négligeable de souligner ici que la chronologie classique doit être révisée. S’il est une vérité d’évidence que l’image d’Israël se renverse de manière particulièrement négative à l’issue de la guerre des Six Jours – la puissance opprimée présentée désormais comme « oppresseuse » –, il convient de constater qu’en ce qui concerne André Blumel, le terrain avait été préparé auparavant. Toutefois, après la guerre des Six Jours, il n’approuva ni les propositions de l’ONU ni l’orientation pro- arabe de la politique française. 26 Quoi qu’il en soit, comme point d’orgue de son engagement pro-communiste, il devint en 1970 président-délégué de l’Association France-URSS, dans laquelle il occupait des fonctions surtout honorifiques depuis le 3 mai 1959. Sous réserve d’inventaire, nous n’avons trouvé à partir de cette date aucune contestation de sa part des appréciations anti-israéliennes soviétiques ou communistes pourtant alors fort courantes. Les nombreuses visites qu’il effectua à ce titre en URSS le confortèrent dans son sentiment que le régime soviétique ne pratiquait pas une politique antisémite. C’est pourquoi les autorités soviétiques l’autorisèrent en janvier 1971, à la suite du procès de Leningrad, à assister à l’avenir – et à titre personnel – aux procès qui pourraient être intentés contre des Soviétiques de « nationalité juive ». 27 Nul doute donc que l’incontestable et important engagement sioniste de Blumel s’est situé à la croisée de chemins parfois difficilement compatibles. À la présidence de la Fédération Sioniste de France, dont il fut secrétaire général à compter du 15 janvier 1954, puis président à partir de 1955, les contradictions consécutives à la diversité de ces engagements débouchèrent sur une série de crises qui, au premier abord, peuvent sembler sans importance. Cependant, à bien y réfléchir, leur signification nous paraît doublement révélatrice à la fois de la complexité des relations entre sionisme et crypto- communisme, et de la relation entre Israël et Diaspora. Deux exemples de crises à la Fédération Sioniste de France sous la présidence d’André Blumel

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 68

28 Ainsi, en juin 1958, André Blumel démissionna brutalement de sa fonction de Président de la Fédération Sioniste de France. Il était en fait en désaccord avec la décision de l’Agence Juive de cesser la publication de son bulletin hebdomadaire en langue française La Semaine israélienne 56. Mais surtout il contestait la manière dont l’Agence Juive menait depuis Jérusalem une politique autonome sans tenir compte des desiderata de la Fédération. Ainsi à Marseille, sans avoir consulté la Fédération sioniste (ni d’ailleurs sa section locale) un envoyé de l’Agence juive, David Catarivas, avait fait imprimer et apposer dans l’ensemble des synagogues consistoriales des affiches, signées de la mention « Agence Juive, Marseille » 57, appelant les Juifs de France à émigrer en Israël. Au moment où le général De Gaulle revenait au pouvoir, la coïncidence apparaissait troublante et, pour tout dire, particulièrement malvenue. Le Consistoire central ayant demandé des explications à Blumel, ce dernier n’avait pas eu d’autre choix que de confesser qu’il ignorait tout de cette affaire. De plus, ce dernier jugeait certains termes utilisés par le représentant de l’Agence Juive pour le moins maladroits voire dangereux. Voyant donc son autorité de président de la Fédération Sioniste de France, qui était légalement et officiellement le représentant de l’Organisation sioniste, bafouée par l’Agence juive, elle même émanation de l’Organisation sioniste, il préférait démissionner58. Nul intérêt en apparence à ce petit conflit de compétence. 29 Néanmoins, pour résoudre la crise, il fallut non seulement que Nahum Goldmann, président de l’Organisation sioniste mondiale, se déplace à Paris pour une rencontre avec Blumel le 4 juillet 1958, mais encore, qu’avec Zvi Lurie – dirigeant du MAPAM, l’un des signataires de la déclaration d’indépendance de l’État d’Israël et responsable de l’Agence juive –, il invite André Blumel à participer à la séance de l’Exécutif sioniste à Jérusalem le 1er août 195859. Un tel égard à l’endroit de Blumel apparaît en lui-même particulièrement révélateur. Il résulte à l’évidence de son parcours de sioniste historique. Au cours de cette réunion, Blumel exposa longuement ses principaux arguments60. Il commença par rappeler que sous son impulsion, et malgré une grande faiblesse numérique61, la Fédération sioniste de France constituait un relais important dans « la vie juive française » puisqu’elle comprenait en son sein tout ce qui comptait dans la communauté juive de France62. Il souligna aussi ses relais dans l’administration française, notamment en ce qui concerne les demandes de naturalisation, précisant au passage : « Nous avons été beaucoup aidé par des fonctionnaires français juifs très haut placés ; membres de la Fédération ou même adhérents pendant et après la campagne du Sinaï. Nous avons des amitiés françaises non-juives, de sorte qu’à l’heure actuelle la Fédération peut agir de l’extrême-gauche à l’extrême-droite ». Posant pour principe que ce qui intéressait les 300 000 juifs de France métropolitaine63, sans oublier les Juifs du Maghreb, c’était Israël, il en déduisait la nécessité de maintenir un organe d’information sur Israël en langue française, d’autant qu’à défaut il ne demeurerait plus qu’une presse en Yiddish, langue maîtrisée par de moins en moins de Juifs français, sans compter les Juifs d’Afrique du Nord. En outre, il trouvait déséquilibré que « pour trois ou quatre cas d’alyah » un incident comme celui de Marseille ne conduise à « de sérieuses frictions avec le gouvernement français ». Voilà pourquoi il demandait que les jeux politiques internes à l’Agence juive, au lieu d’aboutir à la politique du fait accompli par l’Agence juive, ne fassent pas oublier la nécessité d’une coordination pour toute action touchant à la France entre la Fédération sioniste de France et l’Agence juive. Blumel mit donc à profit la crise qu’il avait sciemment ouverte pour en fait renforcer, du moins en apparence, ses positions, exigeant qu’à l’avenir les fonds distribués par la

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 69

Commission de la Culture de l’Agence Juive soient préalablement versés à la Fédération sioniste de France qui les redistribuerait64. 30 En apparence donc, André Blumel sortait considérablement renforcé puisqu’il obtenait l’application du principe qu’il avait formulé en ces termes : « La Fédération sioniste ne déclare certes pas la guerre à l’Exécutif : celui-ci doit aider la Fédération sioniste qui le représente de son mieux ». En conclusion des débats tant Zvi Lurie que Nahum Goldmann exprimèrent leur accord : « Maître Blumel est pour nous un grand atout, sans compliment. Nous faisons tout pour l’aider dans son travail ». Ayant obtenu ce qu’il désirait, Blumel leur répondait : « De mon mieux, je travaillerai pour Israël et en accord avec le Président de l’Exécutif de l’Organisation Sioniste Mondiale ». 31 Certes, cet épisode s’apparente à un épiphénomène. Cependant, par bien des aspects, il apparaît aussi constituer un bon stéréotype des relations entre le mouvement sioniste français et Israël, et vient rappeler le souci constant du premier à garder une certaine autonomie vis-à-vis du second. Comme l’avait écrit dès le 14 juin 1958 David Catarivas, représentant de l’Agence Juive en France et incriminé par Blumel dans l’incident de Marseille, à Max Beytan65 : «En fait, le Bureau de la Fédération est décidé à exploiter la crise Blumel au maximum et à essayer d’en tirer les plus grands avantages possibles sur le plan de la reconnaissance de l’autorité de la Fédération Sioniste en France par l’Exécutif et les Départements de l’Agence Juive »66. En fait, un tel conflit de compétence ne constituait pas une nouveauté dans l’histoire des relations entre les milieux sionistes de France et l’Agence Juive qui, depuis l’origine, tenait à asseoir son autorité sur le sionisme français en contrôlant directement les budgets sans passer par l’intermédiaire de la Fédération sioniste. Seule la personnalité d’André Blumel (ainsi que le parcours sioniste que nous avons rappelé) explique l’ampleur que revêtit cette crise en 1958. Force est d’ailleurs de constater qu’en dépit des promesses faites à Blumel en ces circonstances, la pratique de l’Agence Juive ne changea guère. 32 Moins d’un an plus tard, André Blumel démissionna à nouveau de la présidence de cette même Fédération sioniste. Cette seconde crise, cette fois, permet d’illustrer non plus seulement la relation entre le centre hiérosolomytain et la périphérie française, mais également un conflit interne mouvement sioniste français découlant de l’engagement pro communiste du président. 33 Le prétexte de l’affrontement résida dans l’organisation des cérémonies commémoratives du centenaire du grand écrivain de langue yiddish Sholem Aleikhem. Une première manifestation fut organisée, au Théâtre de la Renaissance le 10 mars 1959 en présence d’un vice président du Fonds Social Juif Unifié à l’appel de diverses associations juives proches des milieux sionistes français. André Blumel, qui – outre sa qualité de président de la Fédération sioniste – était membre de ce comité d’organisation, non seulement ne s’était pas rendu à cette manifestation mais, qui plus est, s’était ostensiblement déplacé à la salle de la Mutualité pour assister au meeting organisé à l’appel d’un second comité dirigé par le philosophe Jankelevitch (et dans les rangs duquel on comptait Louis Aragon, mais aussi François Mauriac et André Malraux). À cette occasion, l’hommage avait été introduit par une militante des Combattants de la Paix et des artistes venus d’URSS avaient évoqué l’œuvre de l’écrivain. Inutile de préciser qu’aux yeux de biens des observateurs cette seconde manifestation, honorée par la présence de l’ambassadeur soviétique, paraissait télécommandée par le Parti communiste.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 70

34 L’attitude de Blumel fut donc très largement débattue au sein des organisations juives françaises. Le groupe de gauche dit du Poale Zion Hitahdout en France (autrement dit la branche française du MAPAI67) s’opposa très vivement à lui. Son journal Unzer Wort dénonça « la participation spectaculaire du Président de la Fédération Sioniste aux festivités du centième anniversaire de la naissance de Sholem Aleikhem organisée par les communistes juifs dans le but d’effacer toute trace des crimes commis envers la culture et les écrivains juifs en URSS », précisant qu’ « elle (la participation) a provoqué chez les juifs une profonde amertume les blessant dans leur sentiment national, a porté atteinte à la cause sioniste et a introduit la confusion dans les esprits de ses militants ». Et de s’étonner en ces termes : « D’autant plus grande est la déception que (Blumel) n’a pas jugé nécessaire d’assister personnellement aux festivités organisées par tous les groupements sionistes et pro-israéliens dont la Fédération sioniste fait partie intégrante ». 35 André Blumel, après avoir proposé de démissionner (ce que le Bureau exécutif de la Fédération refusa le 15 avril 195968) réagit très vigoureusement à ces critiques. Il publia notamment dans La Tribune Sioniste de France un brûlot intitulé « Pas de Gauleiter en France ! »69 Non seulement il dénonçait l’exploitation, selon lui éhontée, de sa présence au meeting de la Mutualité, signalant au passage qu’il n’avait pas été invité à la manifestation du théâtre de la Renaissance70, mais encore il stigmatisait l’attitude du MAPAI en France dont le journal « est dirigé depuis peu par un « chelyah »71 envoyé d’Israël qui ne connaît pas un mot de français… qui ne connaît rien à la langue d’un pays où il prétend exercer un magistère politique de direction totale et qui a déjà manifesté des caractéristiques de Gauleiter dans la dernière campagne électorale ». Dans une lettre du 4 avril 1959 à Lurie, il avait déjà estimé que « le ‘chelyah’ est envoyé pour assurer la suprématie de son parti et démolir la Fédération Sioniste de France ». 36 Devant l’ampleur prise par la polémique, Zvi Lurie tenta de calmer le jeu tout en regrettant72 « que votre présence à une soirée commémorative et votre absence à l’autre pouvaient soulever des étonnements dans le public à l’égard d’une personnalité occupant une position d’une telle importance dans la vie publique ». Et Lurie de suggérer, comme en 1958, une visite de Nahum Goldmann pour résoudre la crise. 37 Dans cette affaire, Blumel reçut l’appui des sionistes-révisionnistes qui, dans l’organe Notre Drapeau73, dénoncèrent l’« hypocrisie » des représentants du MAPAI en France qu’ils accusèrent de vouloir, avec l’aide du Parti socialiste SFIO74, évincer Blumel de la direction de la Fédération Sioniste de France pour le remplacer à cette fonction par Jules Jefroykin75 qu’ils jugeaient bien « plus docile » pour n’être qu’un simple exécutant des ordres venus directement de la direction du MAPAI. Citons l’extrait le plus caractéristique : « Car enfin les opinions « progressistes » de Me Blumel ne sont un secret pour personne, surtout pas pour le Mapai qui en son temps avait fait élire Me Blumel à cette présidence dont il veut aujourd’hui le chasser. Me Blumel n’a jamais caché qu’il pensait pouvoir user de son influence, comme ami de l’URSS, en faveur des Juifs soviétiques. Les Sionistes-Révisionnistes de France n’ont jamais eu beaucoup d’illusion sur les résultats des efforts de Me Blumel. Mais il nous était d’autant plus difficile de critiquer Me Blumel dans ce domaine que toutes ses démarches en rapport avec l’URSS avaient été faites avec l’accord du gouvernement israélien ». Par ce soutien de la droite sioniste à un sioniste compagnon de route du Parti communiste, il est donc possible de symboliser la complexité du parcours d’André Blumel. Jules Jefroykin, qui avait ainsi été nommément accusé par les sionistes révisionnistes d’attiser le conflit

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 71

pour remplacer Blumel, avait démenti le 15 avril 1959 par une mise au point publiée dans La Terre Retrouvée, contribuant ainsi à désamorcer cette crise. Mais en juin 1960, suite au rejet par la Tribune Sioniste d’un éditorial qu’il avait consacré à son voyage en RDA, il démissionna définitivement de la Présidence tout en demeurant, jusqu’en 1962, membre du Comité Central de la Fédération. 38 Au terme de cette réflexion, quelques résultats se dégagent. Le cas Blumel vient opportunément rappeler que l’histoire des relations entre la France et Israël est pour partie régie par des liens personnels et que le poids des personnalités s’est souvent avéré décisif en ce domaine. Il illustre aussi la volonté des organisations sionistes françaises de toujours conserver une autonomie vis-à-vis du centre israélien, même si le tournant consécutif à la guerre des Six Jours et à la prise de position du général De Gaulle contribua à modifier cette situation. Pour complexe qu’il soit, ce parcours résulte d’une logique interne qui, pour être analysée, suppose le strict respect de la chronologie. Evidemment, tant du fait de son « compagnonnage de route » avec le Parti communiste que de sa proximité avérée avec des milieux résistants et militaires, incontestables antisémites des années trente devenus philo israéliens après le second conflit mondial, le parcours d’André Blumel ne peut pas se réduire à l’analyse d’un stéréotype et échappe à cette mode si présente dans la recherche historique de la « biographie collective ». Enfin, et peut-être surtout, à travers le prisme Blumel il est possible d’identifier dans la matrice des grands soutiens à la création de l’État d’Israël ceux issus de l’entourage de Léon Blum. En ce sens, avec André Blumel, comme avec Marc Jarblum, Edouard Depreux, Jules Moch, Vincent Auriol ou encore Daniel Mayer, le lien originel organique entre le socialisme français et le sionisme est établi. Voilà pourquoi, tout bien considéré, cette contribution à son décryptage nous a paru mériter le détour.

NOTES

1. Par décret paru au journal Officiel le 27 septembre 1936. En fait André Blum utilisa le pseudonyme de Blumel à partir de 1915 pour éviter toute confusion avec un homonyme, journaliste comme lui et critique d’art. Ce pseudonyme lui permit aussi de se distinguer de Léon Blum. Malgré l’anachronisme pour la période antérieure, nous utiliserons systématiquement le nom de Blumel. 2. Sans même revenir sur les procès instruits contre Léon Blum par les communistes au début du second conflit mondial – dont témoigne, entre autres, l’article de Maurice Thorez (au fort relent d’antisémitisme) « Léon Blum tel qu’il est » (paru notamment dans une traduction en allemand le 16 février 1940 dans le journal communiste du KPD Die Welt) – Blum fut jugé, dès son retour de Buchenwald, par l’appareil du Parti communiste responsable du refus socialiste de l’unité organique entre socialistes et communistes en mai 1945. Cette thèse a été reprise dans l’ouvrage (d’ailleurs pour le moins médiocre) de Daniel Blume, Roger Bourderon, et Jean Burles Histoire du Réformisme en France depuis 1920, T 2, Éditions sociales, 1976. Dans la rhétorique communiste de guerre froide, sa mission en vue de l’obtention d’une aide économique

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 72

des États-Unis au printemps 1946 (accord du 28 mai 1946 signé par James F. Byrnes d’une part et Léon Blum et Jean Monnet d’autre part, qui liquidait pour partie la dette française après la seconde guerre mondiale tout en accordant diverses aides financières et livraison de produits de premières nécessités) contribua à le faire désigner comme le prototype de l’ « agent américain » avant même que la culture de guerre froide ne s’étende en France. 3. Il revint à la SFIO de 1957 à 1959. 4. Le cas de Georges Monnet est emblématique. 5. Blum mourut le 30 mars 1950. La brochure parut en 1952. 6. Pour une première approche de la dimension sioniste chez Léon Blum, nous renvoyons à Ilan Greilsammer, Blum, Flammarion, 1996. Se référer aussi à sa conférence disponible sur le site www.akadem.org, « Léon Blum, l’antisémitisme et le sionisme », colloque du Cercle Léon Blum, 17 mai 2006. Rappelons également la disparition d’un de ses frères dans la Shoah. René Blum avait été arrêté le 12 décembre 1941 et déporté à Auschwitz par le convoi numéro 36 le 23 septembre 1942. D’après les témoignages recueillis par Léon Blum en 1945, un SS avait réceptionné « le Juif René Blum » dès l’arrivée du convoi et mis dans une voiture. De là, il fut conduit à la cour du crématoire numéro 1, où il fut déshabillé et brûlé vif avec les cadavres sortis des chambres à gaz. 7. Pour reprendre la formulation du colloque qu’a organisé l’Université Paul Valéry de Montpellier, « Les relations Israël-Diaspora à travers l’histoire », 29-30 mai 2008. 8. L’on se référera en priorité à Carlo Ginzburg et Carlo Poni, « La micro-histoire », Le Débat, décembre 1981. 9. Pour une présentation plus complète de l’itinéraire socialiste d’André Blumel, se reporter à la notice rédigée par Eric Nadaud pour le CD ROM du Dictionnaire biographique Mouvement ouvrier Mouvement social, Période 1940-1968 (dir. : Claude Pennetier), tome 2. Se reporter, pour comprendre l’engagement socialiste de Blumel, à son article, « André Blumel socialiste (1893-1973) », Recherche Socialiste, n° 39-40, 2007. 10. En dépit de deux candidatures aux élections législatives de 1928 et 1932 dans les Deux-Sèvres (2e circonscription de Niort) et d’une candidature au conseil d’arrondissement du 2e canton de Niort en 1928 et 1934. Il fut néanmoins élu conseiller municipal à l’occasion d’une élection municipale partielle en octobre 1932 sur une liste d’Union des gauches qui regroupait socialistes et radicaux. 11. Il tint la rubrique parlementaire dans l’organe de Gustave Hervé en 1914 et 1915, puis dans l’organe du Parti socialiste à compter de 1916. 12. Structuré autour du journal du même nom, ce groupement se donnait pour but d’œuvrer, contre les partisans de la IIIe Internationale, au maintien des partis socialistes au sein de la IIe Internationale, et de défendre la valeur de la valeur de la démocratie et de la défense nationale pour les socialistes. 13. Bien que refusant la notion de participation ministérielle après la première guerre mondiale, les socialistes accordèrent à Albert Thomas une autorisation exceptionnelle pour qu’il exerce ses fonctions comme directeur du Bureau International du Travail nouvellement créé. 14. Au BIT, André Blumel occupa la fonction de chef des Informations. 15. Affirmée clairement pour les élections de 1919 (motion Bracke refusant toute alliance électorale), cette ligne constitua l’alpha et l’oméga de la position du Parti socialiste en dépit de la distinction que Léon Blum commença à introduire entre exercice et prise du pouvoir à partir de 1926, complétée face à la menace du fascisme par la notion d’occupation défensive du pouvoir. Ce refus de la participation

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 73

ministérielle fut particulièrement perceptible dans la lutte contre les Néos-socialistes dont la figure de proue était Marcel Déat. Il constitue la base de l’alliance entre le secrétaire général de la SFIO, Paul Faure, et le président du groupe parlementaire socialiste, Léon Blum. 16. En 1928, sur proposition de Léon Blum (qui présida, en alternance avec Vincent Auriol, le groupe parlementaire), il fut remplacé par Marcel Déat, qui (tout comme Léon Blum, avait été battu dans sa circonscription parisienne) venait de perdre son siège de député de la Haute-Marne. 17. L’on parle habituellement de l’exclusion des Néos-socialistes. Nous récusons ce terme, les Néos n’ayant pas été à proprement parler exclus, mais s’étant placés par leur refus d’appliquer les décisions adoptées par le Conseil National de la SFIO en dehors de cette dernière. Se référer à François Lafon, Guy Mollet, itinéraire d’un socialiste controversé, Fayard, 2006, p. 93 et sq. 18. En fait, depuis que Blum avait été le chef de Cabinet de Marcel Sembat durant l’Union sacrée. 19. OURS, fonds Blumel, 14 APO 5 dossier Léon Blum. 20. Ilan Greilsammer, Blum, op. cité. p. 295 et 296. 21. Ainsi lors du congrès de Nantes en 1939, il fut battu sur le vote demandant le maintien de l’autorisation accordée en 1936. 22. Se reporter, par exemple, à Edouard Depreux, Souvenirs d’un militant, Fayard, 1972, p. 100. 23. Léon Blum demeurait Quai de Bourbon, et il travaillait souvent à son domicile. 24. Eric Nadaud, « André Blumel Socialiste », paru dans Recherche Socialiste, déjà cité. 25. Sur la nature de la crise du Parti socialiste entre les Accords de Munich et la défaite de 1940 et la part de l’antisémitisme au sein du Parti socialiste, qui, outre Blumel, visa directement Léon Blum, se référer à Guy Mollet, itinéraire d’un socialiste controversé, op. cité, notamment les pages 132-139 consacrées à une figure caractéristique de l’antisémitisme pacifiste, Ludovic Zoretti. 26. OURS, Archives Blumel, 14 APO 5, dossier Henri Martin. 27. Se reporter à Simon Epstein, Un paradoxe français, Antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance, Albin Michel, 2008. Epstein souligne que Blumel se lia aussi à Stanislas Mangin et à Georges Loustaunau-Lacau, qui comme Wybot venaient des milieux les plus antisémites avant la guerre. Soulignons que tout comme Stanislas Mangin était le fils du général Mangin, Louis Mangin, qui fut (avec Abel Thomas) le conseiller de Maurice Bourgès, Maunoury qui négocia l’alliance israélienne en 1956, était également apparenté au général Mangin. 28. Weizmann avait en effet envisagé de tenter de racheter Léon Blum avec lequel il était fort lié depuis la fin de la première guerre mondiale et qu’il avait engagé dans la cause sioniste. Ce fut d’ailleurs en hommage à la déportation de Léon Blum à Buchenwald que fut fondé le Kfar Blum en novembre 1943. 29. Blumel refusa, malgré sa proximité avec Léon Blum, d’adhérer à la Société des Amis de Léon Blum en raison du rôle qu’y jouait Daniel Mayer. 30. Au cours d’un des nombreux entretiens qu’il nous avait accordés dans le cadre de nos recherches sur Guy Mollet, l’adjoint de Daniel Mayer, Robert Verdier avait reconnu que la direction du Parti socialiste clandestin n’avait même pas informé Blumel de la date du retour de Blum de Buchenwald. Et Verdier posait que Daniel Mayer avait utilisé l’absence de Blumel jusqu’en septembre 1944, pour cause de captivité puis de mission à Londres, pour écarter l’ancien directeur de Cabinet de Blum.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 74

31. Cette catégorie est importante. On peut y rattacher Alain Savary et André Philip, ce qui n’empêchera pas nombre de ces socialistes gaullistes de s’opposer par la suite à la démarche politique qu’ils jugèrent structurellement antirépublicaine du général de Gaulle sous la IVe République puis en 1958. 32. Il fut notamment l’avocat d’Yves Farge contre Félix Gouin dans l’affaire dite du « scandale des vins ». Nous y reviendrons. 33. Ces derniers l’instrumentalisèrent efficacement en gommant toute l’ambiguïté de l’attitude de certains de leurs dirigeants et de la période qui avait suivi le pacte germano-soviétique. 34. Se reporter à la note n° 2. 35. Nous renvoyons aux archives Abraham Polonski disponibles aux archives de la Haganah (musée de la Haganah, Tel Aviv) dont Brice Vincent, qui travaille sur l’Alyah de France dans la période considérée (et que nous tenons à remercier pour son aide), nous a signalé l’importance. 36. Outre André Blumel et Marc Jarblum (autre proche de Léon Blum), la délégation était composée du président du Crif, Léon Meiss, de Guy de Rothschild et d’Eugène Weill. 37. Nous y reviendrons. 38. Par opposition à l’Alyah classique, le terme d’Alyah Beth s’applique à l’immigration clandestine. On peut distinguer trois grandes phases : de 1936 à 1939, lorsque les Britanniques limitèrent drastiquement l’immigration juive en Palestine à la suite de la révolte arabe ; durant la seconde guerre mondiale ; enfin, de 1946 à 1947. C’est de cette dernière phase qu’il est ici question. 39. Idith Zertal, Des rescapés pour un État. La politique sioniste d’immigration clandestine en Palestine 1945-1948, Calmann Lévy, 2000, Dans ce livre, elle critique ce qu’elle estime être l’instrumentalisation de la question des réfugiés par le Mossad pour n’y voir que la marque du cynisme de la direction sioniste. C’est volontairement que nous n’aborderons pas ce point dans le présent développement. Cependant nous tenons à signaler que nous trouvons son analyse pour le moins réductrice, voire tendancieuse en ce qu’elle sous-estime systématiquement la volonté des rescapés de la Shoah de gagner la Palestine, et attendons avec impatience le résultat des travaux de Brice Vincent sur ce sujet. Se reporter également à Catherine Nicault, « L’utopie sioniste du « nouveau Juif » et la jeunesse juive dans la France de l’après-guerre. Contribution à l’histoire de l’ Alyah française », Les Cahiers de la Shoah, 2001/1, n° 5. 40. 100 000 Juifs à la mer, Paris, Stock, 1973. 41. Sur la mise en place plus générale de ce réseau, se reporter à la thèse de Frédérique Schillo, « Les relations franco-israéliennes de 1946 à 1959 », IEP, 2008, p. 44 et sq. Après la saisie de l’émetteur du Mossad et l’arrestation de quatre de ses opérateurs, Blumel demanda Roger Wybot d’arranger cette affaire et de faire transférer l’émetteur dans la maison de sa mère à la condition que les télégrammes en hébreu soient traduits en français et transmis aux Renseignements généraux. Se reporter à Des rescapés pour un État, déjà cité, p. 96. 42. Exprimé par le grand discours d’Andréi Gromyko à l’ONU (où de fait l’Union soviétique disposait de 3 voix, avec celles de l’Ukraine et de la Biélorussie), ce soutien n’avait rien à voir avec une posture philantropique. La diplomatie soviétique estimait qu’il était opportun de soutenir les Juifs dans leur combat pour un État dans la mesure où les Juifs allaient contribuer à chasser les Britanniques du Proche-Orient. Les fournitures d’armes à la Haganah par l’intermédiaire de la Tchécoslovaquie furent

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 75

effectives en mars 1948 et jouèrent un rôle décisif dans les victoires juives du mois d’avril 1948. 43. Sans oublier le Comité Juif contre le réarmement de l’Allemagne fondé en octobre 1953 dont il prit la présidence. 44. Réfugié aux États-Unis à compter de 1941, Victor Kravchenko publia son témoignage sur les camps soviétiques dans J’ai choisi la liberté, éd. Self, 1949. Il fut alors accusé par les Lettres françaises de désinformation et qualifié par elles d’« agent américain ». Il porta donc plainte. Au cours du procès qu’il gagna il fit notamment citer comme témoin Margarete Buber-Neumann, la veuve du leader communiste allemand repenti, Heinz Neumann, elle-même envoyée au goulag. Conséquence du Pacte germano-soviétique, elle fut livrée par les Soviétiques aux Nazis qui la déportèrent. Elle survécut et son expérience aida à plaider l’étroite similarité entre le régime soviétique et le régime nazi. Kravchenko l’emporta en avril 1949 et il reçut une somme symbolique pour la diffamation. 45. Dont il démissionna en février 1953, étant la seule personnalité de ce bureau à n’avoir pas reçu de visa pour un voyage en Union soviétique. 46. Nous nous permettons de renvoyer à François Lafon, Guy Mollet, itinéraire d’un socialiste controversé, op. cité, p. 553 et sq. 47. Autant son retour à la SFIO s’expliquait par ses liens avec Edouard Depreux, qui était demeuré président du groupe parlementaire socialiste en 1956 en dépit de son opposition avec des pans importants de l’action du Gouvernement Guy Mollet, autant en 1958 Edouard Depreux quitta également la SFIO à la suite du ralliement de Guy Mollet au général de Gaulle pour rejoindre le Parti Socialiste Autonome. 48. Voyage du 9 avril au 16 avril 1960, Archives de l’OURS, 14 APO 5. Il adressa également à David Ben Gourion une note sur la situation des Juifs d’Union Soviétique. 49. L’une des explications de ce retournement américain tient sans doute au fait que le mois de mars 1948 est caractérisé par de nombreuses victoires arabes, notamment sur le contrôle de l’accès à Jérusalem (notamment au défilé de Shar Ha Gay), dans la guerre qui a débuté dès le vote du plan de partage. En mars 1948, y compris dans les milieux juifs, de nombreuses voix se font alors entendre pour demander un report du plan de partage. Envers et contre tout David Ben Gourion maintient le cap qu’il s’est fixé de proclamer l’État Juif à la date annoncée du 14 mai 1948. 50. Ce dont témoignent ses recherches sur l’influence des conditions de travail à la SNCF sur le comportement psychique des cheminots. Se reporter à la réédition de son livre Le drame humain du travail, Essai de psychopathologie du travail, édition supervisée par Louis Clot, ERES, 2006. 51. Fondé en janvier 1948 par la fusion des mouvements Hachomer Hatzaïret (La jeune garde) et Achdut Ha’avod (Unité du travail, qui avait quitté le MAPAI en 1944, sous la direction d’Ygal Allon), le MAPAM (Mifleget HaPoalim haMehuedet – Parti unifié des Ouvriers)) fut la deuxième force politique israéliennes lors des premières élections israéliennes. Il constituait également l’aile gauche du mouvement Kibbutz avec sa fédération des kibbutzim Artzi. 52. Il ne fut libéré qu’en 1956. 53. David Ben Gourion, Hazon ve derekh (Vision et Chemin), MAPAI, Tel-Aviv, 1951, p. 199. Sur le débat sur l’Union soviétique, outre la biographie de Michael Bar-Zohar, Ben Gourion, Fayard, 1986, se reporter à Avraham Avi-Haï, Ben Gourion, bâtisseur d’État, Albin Michel, 1988 et à Laurent Rucker, Staline, Israël et les Juifs, PUF, 2001.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 76

54. Lettre du 31 juillet 1966, Archives Blumel, CZA Z6 2166, Jérusalem. Cette lettre fut également publiée par Presse Nouvelle Hebdomadaire, organe de l’Union des Juifs pour la résistance et l’entraide à laquelle il avait adhéré en 1962 et qu’il coprésida à compter de 1965 avec Charles Lederman et Vladimir Jankelevitch. 55. Dans ses archives (disponibles aux CZA à Jérusalem – dossiers Z6 1953 et Z6 1959 – ou à l’OURS à Paris), se trouvent des dossiers tendant à démontrer l’absence de persécution antisémite tant en URSS que dans les pays satellites. S’y trouve également le double d‘un rapport qu’il avait directement adressé à David Ben Gourion, déniant l’existence du moindre antisémitisme en RDA (OURS 14 APO 5). 56. Dans la Tribune Sioniste du 30 mai 1958, il s’interrogeait en ces termes : « Les Arabes vont-ils gagner une bataille ?... Elle [La Semaine Israélienne] est pour nous Français notre source quasi exclusive d’Israël… Nous ne pouvons pas nous contenter de recevoir des nouvelles d’Israël exclusivement par le bulletin édité à Paris par les pays arabes. En cette année du 10e anniversaire d’Israël, ce serait une grande victoire arabe ! ». Le 6 juin 1958, il écrivait après l’annonce officielle de la fin de la parution : « Je ne m’attendais certes pas à ce que la conclusion des fêtes du 10e anniversaire soit, par le fait de l’Agence juive, la rupture des liens intellectuels avec la Diaspora de langue française et la France elle-même ». 57. Cette appellation n’existait pas légalement. 58. Il est vrai que Blumel semble souvent gérer sa présidence la démission à la main. 59. Initialement, pour résoudre cette crise, Goldmann et Lurie avaient invité Blumel à Jérusalem pour participer le 8 juillet aux commémorations de la mort de Théodor Herzl. 60. Nous nous fondons essentiellement sur le procès-verbal de cette réunion (CZA, Z6 1359, Archives Blumel), que nous confrontons à une lettre confidentielle (sans date, expédiée à Lurie par David Catarivas). De l’exposé de Blumel tel qu’il ressort du procès- verbal nous ne retenons ici que ce qui concerne stricto sensu la crise interne de relations entre la Fédération sioniste de France et l’Agence Juive. C’est volontairement que nous ne nous intéressons pas à la partie de politique générale dans laquelle Blumel analyse le retour au pouvoir du général de Gaulle et que nous n’abordons pas ici les jeux de pouvoir internes à l’Agence juive entre divers partis politiques israéliens. 61. Regroupant tous les partis sionistes « des Révisionnistes au MAPAM », la Fédération ne comptait selon ses dires que 903 membres individuels. 62. « Nous avons maintenant à la Fédération les plus grands noms du judaïsme français, Edmond de Rothschild, Léon Meiss, le professeur Mandelbaum et le professeur V. Jankélévitch respectivement du Collège de France et de la Sorbonne, Raoul Meyer, qui est le propriétaire des Galeries Lafayette ». 63. Ce qu’il comparait avec la faiblesse numérique du Consistoire : « Le Consistoire qui compte 5000 personnes est content quand il a 900 votants ! ». 64. « Cette Commission distribue des sommes considérables à des organisations juives en France. Nous demandons que ces sommes passent par l’intermédiaire du trésorier de la Fédération sioniste. Quand la Fédération les distribuera, cela augmentera notre pénétration parmi les organismes juifs en France ». 65. Max Beytan était l’un des adjoints de Zvi Lurie à l’Agence Juive à Jérusalem. 66. Et David Catarivas précisait également : « Il va de soi que la question de mon remplaçant se pose avec encore plus d’acuité que précédemment… Il faudra surtout que les chefs des partis politiques donnent des instructions très précises à leurs partis en France d’avoir à soutenir les projets de réorganisation de la Fédération sur la base des

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 77

adhésions individuelles alors que jusqu’à présent ils ont saboté tous les efforts en ce sens ». 67. Le MAPAI, acronyme de Miflagat Poalei Erez Israel (Parti des Travailleurs d’Israël), fondé en 1930, sous la direction de David Ben Gourion et Haïm Arlozoroff est l’ancêtre du Parti travailliste. Il a été la formation dominante du Yishuv puis de l’État d’Israël jusqu’aux élections de 1977. 68. À l’unanimité moins la voix du représentant du MAPAI en France. 69. Il convient de ne pas prendre ce terme au pied de la lettre. En effet il est souvent utilisé par Blumel, et plutôt qu’une allusion au nazisme, le terme de Gauleiter vise à dénoncer la présence d’un contrôleur politique. 70. Il utilisa le même argument dans la lettre qu’il adressa à Zvi Lurie le 20 avril 1959. 71. On peut traduire littéralement ce terme hébraïque par « envoyé ». En fait, ici, le terme approprié pour traduire serait « représentant ». 72. Lettre à Blumel du 14 avril 1959, CZA, Z6 1359. 73. Notre Drapeau, numéro du 9 avril 1959. 74. Ce dernier en la circonstance aurait, selon les sionistes révisionnistes, cherché à faire payer à Blumel son nouveau départ de la SFIO. 75. Né en Russie en 1911, Jules Jefroykin, figure importante de la résistance juive, était plus proche des milieux sionistes socialistes. Il dirigeait l’organe sioniste La Terre retrouvée.

RÉSUMÉS

Cet article envisage à travers l’itinéraire sioniste d’André Blumel les relations entre la gauche française et l’État d’Israël. Proche de Léon Blum, dont il fut directeur de Cabinet durant le Front populaire, mais se rapprochant progressivement des communistes, Blumel demeura jusqu’en 1966 une figure clefs des milieux sionistes français. Conciliant divers engagements – pourtant apparemment contradictoires – son parcours permet de comprendre la complexité des liens et des conflits qui caractérisèrent cette relation.

André Blumel, a French zionist This paper is dedicated to André Blumel. Despite of his close ties with Léon Blum, Blumel was also involved after the Second World War in the communist circles. However he was indisputably one of the most eminent advocates of the Zionist cause, before and after the creation of the State of Israel. Despite of his political contradictions, his route allows a better understanding of the complex Franco Israeli relations. André Blumel’s long career in the Socialist Party lasted from 1914 to 1939. He had close ties with Léon Blum who, as leader of the Popular Front government, nominated Blumel as his Chief Advisor and also chose him as his defense lawyer in the only case of anti-Semitism which Blum thought fit to bring before the courts. Blumel moved closer to Communism during the Second World War, under the banner of anti-fascism, becoming a noted Communist sympathizer. That was how he came to be the defense lawyer of Pierre Daix, the Editor of the Communist review Les lettres françaises, in the lawsuit against Kravchenko. The common commitment of Blumel and Blum to the Zionist cause prevented this major political

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 78

divergence from leading to a split between the two men. Blumel was indisputably one of the most active advocates of the Israeli cause, both before and after the creation of the State of Israel. He became the President of the KKL-JNF and of the French Zionist Federation, and he also played a key role in organizing the immigration of Jewish refugees, as shown by his response to the crisis of the Exodus: he mobilized all his contacts in the Ministry of the Interior where he had been Principal Private Secretary to Adrien Tixier and where Edouard Depreux worked, a close friend from the days of the Resistance. Blumel’s itinerary sheds light on Léon Blum and his circle (Marc Jarblum, Jules Moch and Edouard Depreux) in their struggle for the creation of the State of Israel, and suggests that this group was one of the most significant sources of support for the Zionist cause in France. Whereas, between 1946 and 1949, Blumel’s crypto-communism did not conflict with his Zionism (due to the USSR’s crucial backing of the creation of the State of Israel), Stalin’s declared anti- semitism as from the beginning of the 1950s radically changed the situation. In a similar move to that of the Israeli Left, and particularly the MAPAM, after the traumatic Slansky trial in Czechoslovakia (in which two Israelis were convicted and most of the Czech Jewish Communist leaders were executed), Blumel distanced himself temporarily from Communism and created the Cercle Bernard Lazare. In the eyes of Israel, his knowledge of Communist circles still singled him out as a good intermediary on the issue of Soviet Jewry. MAPAI sympathizers in the Jewish Agency nonetheless attacked Blumel, as President of the French Zionist Federation, for his close ties with Communist circles, causing a series of crises within the French organization, particularly in 1958 and 1959. The key cause of these conflicts was the Jewish Agency’s attempt, from its headquarters in Jerusalem, to maintain control of Zionist activity in France, whereas Blumel wanted to be given a totally free rein. Nahum Goldman, the President of the World Zionist Organization, was called in to adjudicate and, in the light of the significant role Blumel had played between 1945 and 1949, Goldman ruled systematically in Blumel's favour. Blumel was additionally supported by revisionist Zionists within French Zionist movements (as a way of expressing their opposition to the MAPAI). Despite this support, Blumel finally broke publicly with the Israeli political establishment, even before the 6-Day War, in an open letter addressed to the Minister of Foreign Affairs, Abba Eban, in 1966. He went on to devote his energies to the France-USSR Society, as its President.

INDEX

Mots-clés : relations entre socialisme et sionisme, relations entre communisme et sionisme, Blum (Léon), relations entre Israël et la Diaspora, relations franco-israéliennes, Fédération sioniste de France, KKL, Alyah Beth Keywords : Relations between Socialism and Zionism, Relations between Communism and Zionism, Relations between Israel and the Diaspora, Franco-Israeli relations, The French Zionist Federation, The KKL-JNF

AUTEUR

FRANÇOIS LAFON François Lafon est maître de Conférences à l’Université de Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Histoire contemporaine). Il est accueilli en délégation au CRFJ depuis le 1er septembre 2007. Ses thèmes de recherche sont le socialisme français, les relations entre la gauche

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 79

française et Israël. Auteur de Guy Mollet, itinéraire d’un socialiste controversé, Fayard 2006

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 80

À la recherche d’un temps perdu La (re)construction identitaire de la diaspora tcherkesse d’Israël

Eleonore Merza

Juifs palestiniens et Arabes israéliens ? 1 Janvier 2008, à quelques mois seulement des commémorations du soixantième anniversaire de la création de l’État qu’Israël s’apprête à célébrer avec faste, le chef d'orchestre israélo-argentin, et pianiste de renommée internationale, Daniel Baremboïm, co-fondateur avec Edward Saïd du « West-Eastern Divan Orchestra » en 1999, est fait citoyen d'honneur à Ramallah, pour son action en faveur du rapprochement israélo-arabe et accepte un passeport palestinien, devenant ainsi le premier israélien de confession juive à posséder les deux nationalités.

2 Lorsqu'il déclare que c'est un grand honneur pour lui de se voir octroyer ce passeport, nombreuses sont les réactions hostiles dans la sphère politique et dans l'opinion publique israélienne1. Yakov Margi, représentant du parti Shass 2 à la Knesset appelle le gouvernement israélien à rendre caduque la nationalité israélienne de Daniel Baremboïm et déclare à propos de ce dernier : […] il est embarrassant pour le pays qu’une personne comme lui possède encore la nationalité israélienne […] je suis certain qu’aux yeux des Israéliens, il a perdu l’autorité morale qui lui accordait le droit d’être israélien […]. Dans le courrier des lecteurs du journal Haaretz, plutôt marqué à gauche, certains invitent même le « nouveau » citoyen palestinien à quitter le territoire national israélien pour s'installer en Cisjordanie ou sur la Bande de Gaza. 3 Le mois suivant, en mars 2008, Ghaleb Majadle, membre de la Knesset mais surtout premier Arabe musulman à accéder à un poste de ministre3 déclenche une tempête médiatico-politique en déclarant à un des principaux quotidiens israéliens qu’il refuse de chanter la Hatikva, l’hymne national4, à la Knesset car il considère que cette dernière a été « écrite pour les Juifs seulement » et que « les Arabes ne sont pas d’humeur à chanter en ce moment »5. Pour marquer le respect qu’il doit, en tant que ministre d’État, à la loi israélienne, Ghaleb Majadle se lève lorsque l’hymne national retentit mais refuse de chanter des paroles qui ne s’adressent, selon lui, qu’à une partie distincte de la population et dans lesquelles, en tant que citoyen arabe musulman israélien, il ne peut se reconnaître6.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 81

4 Les partis religieux, la droite et l’extrême droite israéliennes vont immédiatement réagir pour couper court au renouveau d’un vieux débat qui traverse l’État d’Israël depuis sa création et qui, à ce jour, n’a toujours pas été tranché : la distinction entre citoyenneté et pratique religieuse en Israël. En d’autres termes, Israël doit-il être l’État des juifs, l’État juif ou l’État des tous ses habitants ? 5 Arieh Eldad, de la coalition Ichud Leumi-Mafdal déclare alors qu’un individu qui refuse de chanter l’hymne national, et qui ne s’y reconnaît pas, ne doit pas se voir confier une fonction ministérielle. Le député de la Knesset Zevulun Orlev, du même parti, demande des excuses publiques pour ce qu’il considère être « une violation claire du serment ministériel garantissant la loyauté à l’État d’Israël et à ses lois ». 6 Certains demandent même sa démission pure et simple, d'autres vont encore plus loin en proposant le « transfert »7 à l’Autorité Palestinienne de ce citoyen jusque-là relativement intégré à la sphère politique publique israélienne. 7 Un « droit d’être israélien » pour Yakov Margi, une « violation (…) de la loyauté à l’État d’Israël et à ses lois » pour Zevulun Orlev : le débat reste entier, les frontières sont floues et la guerre des mots fait rage. 8 Ces deux évènements – mineurs au regard du contexte général mais qui sont pourtant devenus de véritables affaires d’état – cités en remarques introductives démontrent bien à quel point les questions de citoyenneté, d’ethnicité et le rapport du politique au religieux restent sensibles et épineuses dans l'espace israélo-palestinien. Ni juif, ni arabe : les paradoxes de la définition identitaire tcherkesse dans l’espace israélo-palestinien 9 Israéliens mais pas juifs, musulmans mais pas arabes, comment les Tcherkesses d’Israël pourraient-ils trouver leur place face aux deux entités identitaires qui se disputent, sans laisser beaucoup d’espace vacant, la légitimité d’une présence et dont les histoires, les catastrophes et les douleurs se confrontent et rivalisent plutôt que de s’admettre mutuellement et de se comprendre ? « Traîtres » pour les uns, « citoyens de seconde zone » pour les autres, les catégorisations à l’œuvre provoquent des mécanismes excluant bien problématiques pour la diaspora en Israël. Les concepts de nationalité ou d’appartenance religieuse, pourtant communément appliqués dans l’espace israélo- palestinien, ne suffisent pas à définir cette population qui, à la lisière de toutes ces frontières, a fini par bâtir les siennes, bien fragiles. 10 D’un côté, il y a les [Juifs] religieux qui méprisent les laïcs qui eux ne comprennent pas les ultra orthodoxes… les [Juifs] ashkénazes considèrent les Sépharades comme de moins bons Juifs qu’eux parce qu’ils ont longtemps habité avec les Arabes, tandis que ces derniers disent la même chose des Juifs d’Ethiopie… De l’autre côté, y’a les Arabes, les musulmans qui ne se mélangent pas aux Chrétiens, y’a les Palestiniens aussi, ceux de Gaza qui envient ceux de Cisjordanie… et puis y’a les Bédouins aussi… comment pourrions-nous trouver notre place dans ce pays ? Nous ne nous faisons pas beaucoup d’illusion, nous devons nous débrouiller tous seuls, entre nous. 11 Ce que me confiait ainsi un habitant de Rihanya lors de mon dernier séjour au village8, met en relief plusieurs éléments utiles à notre réflexion. 12 Tout d’abord, celui que les problèmes d’identité, de frontières, de hiérarchisation et de domination, sont l’apanage « des autres », à savoir les Juifs ou les Arabes : les problèmes de définition identitaire ne s’appliquent donc pas à leur communauté et les

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 82

discriminations n’y ont pas lieu en son sein. Les autres peuvent bien se déchirer, la communauté reste unie et solidaire. 13 Ensuite, celui indiscutable, que la diaspora tcherkesse d’Israël peine à trouver sa place au sein d’un État où les frontières, tant physiques que symboliques, se ressentent à tous niveaux. Un espace déjà fort circonscrit au sein duquel les délimitations sont pourtant partout. Des délimitations géographiques d’abord, une terre sur laquelle on rencontre très vite, et inéluctablement, un obstacle, un check point, une frontière. Des délimitations psychologiques ensuite, dans un espace en guerre où il faut choisir son camp. Ces citoyens israéliens, en marge des deux grandes entités arabe et juive, et se sentent profondément exclus. Du Caucase à Israël : une histoire de la migration tcherkesse dans les reconfigurations territoriales 14 À la fin de la guerre qui oppose la Russie tsariste à l’Empire ottoman, et après plus de soixante années de combat entre les peuples du Nord Caucase et les russes, en 18649 sonne pour les Tcherkesses l'heure de la défaite et d'un choix douloureux : accepter de prêter allégeance au tsar Nicolas Ier et être chassés de leurs terres pour s'installer là où les Russes les y contraindraient, ou choisir un exode sans retour et se fixer loin des frontières de l'empire russe. 15 La fixation de cette dispersion perdure puisque cette population déplacée vit, aujourd’hui encore, pour ses quatre cinquièmes en diaspora, principalement en Russie, en Turquie, en Jordanie et en Syrie10. 16 En raison des liens confessionnels qui unissaient Tcherkesses et Turcs d’une part11, et de la présence, d’autre part, de nombreux Turcs d'origine tcherkesse en Turquie12, ces derniers choisirent les chemins de l'exode et de la dispersion dans un Empire ottoman aux frontières aussi floues que démesurées. 17 L’essentiel des Tcherkesses s’installent dans les régions qui deviendront la Turquie, la Syrie et la Jordanie, quelques milliers d’entre eux débarquent pourtant en Palestine, par le port de Césarée, en 1880 après avoir passé près de dix années à la frontière gréco- bulgare. 18 À leur arrivée, le sultan ottoman leur impose de s’installer dans trois villages : Kfar Kama, Rihanya et Kinneret-Cerkesz. Ce dernier, situé en zone marécageuse, fut touché par de lourdes épidémies qui contraignirent les survivants à migrer vers les deux autres villages. Les Tcherkesses durent également s'éloigner des grandes villes : leurs habitants refusèrent l’installation de ces nouveaux arrivants, et envoyèrent des pétitions au gouverneur turc, comme ce fut, par exemple, le cas à Naplouse. 19 La diaspora tcherkesse d’Israël a quantitativement très peu évolué puisqu’on estime qu’il y a entre 3 et 4 000 Tcherkesses sur l’actuel territoire israélien, et elle est restée spatialement confinée aux deux villages d’arrivée (Kfar Kama et Rihanya). 20 Près de mille Tcherkesses de la tribu Abzakh vivent à Rihanya, dans le district de Safed, à la frontière libanaise. Il s’agit d’un village mixte composé de 75 % de Tcherkesses et de 25 % d’arabes musulmans. 21 Quelque deux mille cinq cents Tcherkesses de la tribu Chapsough résident à Kfar Kama, en Galilée inférieure, à une dizaine de kilomètres de la ville d’Afula, sur la route qui relie Nazareth à Tibériade. Ce village est intégralement habité par des Tcherkesses mais surtout, fait remarquable, par une très large majorité de Chapsough.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 83

22 En Israël, la répartition spatiale des Tcherkesses répond donc avant tout à l’appartenance tribale et l’expression de la tribu d’origine demeure – au sein de la communauté tcherkesse globale – le vecteur premier de revendication identitaire. Cette affirmation tribale prend tout son sens lorsqu’un individu se présente, il a coutume d’ajouter à son nom celui de sa tribu d’origine familiale. En cas de mariage entre deux Tcherkesses de deux tribus différentes, la tribu d’appartenance du père sera celle qui servira à définir un individu. 23 Insister sur l’appartenance et la répartition tribale de cette diaspora numériquement très faible est nécessaire, non seulement, pour appréhender les mécanismes de sa construction identitaire mais également pour éclairer les différentes formes de représentations du groupe tant au sein de la sphère d’appartenance ethnique qu’à l’extérieur de l’espace communautaire, tant dans la société israélienne qu’arabe. Druzes et Tcherkesses perçus comme un ensemble homogène et bien distinct des Arabes 24 À ce jour l'État d'Israël reconnaît l’existence de trois nationalités (leom) : juive, arabe et druze. 25 Les Druzes et les Tcherkesses sont les deux communautés non-juives impliquées dans le processus de défense nationale13, elle sont généralement présentées conjointement, dans les discours officiels et assimilées par l’opinion publique. 26 Au titre d’une « loyauté » sans faille à l’État, idée principalement alimentée par la participation obligatoire des hommes des deux communautés à l’armée nationale mais surtout grâce à une distance consciemment entretenue avec la cause palestinienne et au prisme d’une revendication active de la citoyenneté israélienne, les Tcherkesses et les Druzes bénéficient d’un traitement particulier et bien différent de celui réservé aux populations arabes du pays, tant dans la politique de gestion des villages que dans la reconnaissance de leurs spécificités culturelles et religieuses. 27 La Knesset a, à titre exemple, adopté un budget spécifique pour le développement des infrastructures de ces deux communautés, et quelques quatre cent quarante-sept millions de shekels ont été alloués aux différentes municipalités concernées pour la période 2006-2009. Ce chiffre est à comparer au budget de treize à quatorze millions de shekels voté pour le développement de projets de trente-quatre localités non-juives du nord du pays pour l’année 2007. 28 D’un point de vue symbolique, le traitement particulier assigné à ces populations par l’État d’Israël passe aussi par l’importance que les représentants politiques israéliens accordent aux journées culturelles ou aux divers festivals organisés par les villages. La présence, visible et revendiquée, d’officiels israéliens à la moindre festivité folklorique, transforme chacune de ces occasions en un théâtre de remerciements et de mises en scène savamment orchestrées apportant un éclairage saisissant sur les rapports entretenus par les leaders des communautés druzes et tcherkesses et l’État d’Israël. 29 Il est également intéressant de noter que sur les soixante-deux lobbies officiels de la dix-septième Knesset (2006), il en existe un qui concerne spécifiquement la défense des intérêts tcherkesses et druzes, présentés encore une fois, comme un ensemble cohérent aux intérêts semblables. Ce lobby, présidé par le Druze Majalli Whbee, est composé de vingt-cinq membres de tout l’échiquier politique israélien, y compris deux députés du parti Ysrael Beitenou dont le leader, Avigdor Liberman, appelait, en mai 2006, à l'exécution des députés arabes israéliens en contact avec le Hamas ou ayant célébré la

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 84

Naqba (« la catastrophe » qui commémore l’expulsion des Palestiniens) et non Yom Ha’Atsmaout (fête de l'indépendance israélienne). L’investissement au sein de ce lobby de deux députés d’un parti défendant des théories ouvertement racistes est particulièrement symptomatique de la très nette distinction opérée entre l’ensemble « druze et tcherkesse » perçu comme groupe homogène et la population arabe. 30 Or, si les Druzes forment 9 % de la population totale israélienne14, avec une population estimée à environ 120 000 individus, et s’ils bénéficient d’une représentation effective sur la scène politique grâce à des députés et même à un ministre15, le cas des Tcherkesses est sensiblement différent puisqu’ils ne représentent qu’une toute petite communauté de quelque 3 500 individus, qui n'ont d’autre représentativité politique que celle des dirigeants de leurs villages. Il n’y a ni député, ni ministre tcherkesse : leur représentation politique reste absolument locale et n’a aucune envergure nationale. 31 Kfar Kama a officiellement reçu l’appellation de conseil municipal en 195016 car le village comporte plus de 2 000 habitants. La population de Rihanya est numériquement trop faible17 pour disposer de son propre conseil municipal, le village est donc regroupé avec huit villages communautaires (yishouv kehilati)18, un kibboutz19, treize moshavim20 et un village druze21 sous l’égide du conseil régional de Merom Ha Galil. Chaque comité local dispose d’un nombre de représentants proportionnel à la taille de sa population au Conseil Régional. 32 Les Tcherkesses ne constituent donc, pour l’État d’Israël, ni un enjeu majeur, ni une force électorale à attirer. En conséquence, les Tcherkesses, parce qu’ils continuent d’être constamment assimilés aux Druzes, ne jouissent d’aucune reconnaissance officielle de leur particularisme. 33 La conséquence immédiate de cette absence de reconnaissance en tant que groupe possédant une culture et une pratique religieuse distinctes des Druzes se traduit par une relative méconnaissance du public juif israélien. Les Israéliens, quand ils connaissent le terme même de « Tcherkesse », souvent pour en avoir rencontré lors de leur service militaire, les assimilent – encore une fois – aux Druzes et les considèrent comme une secte au mode de vie et à la culture à part. Un monde inconnu tellement à part qu’il nourrit un certain nombre de fantasmes et que dans un questionnaire distribué à une cinquantaine de Juifs israéliens de Tel-Aviv, de Jérusalem et de Haïfa, à la question à quelle religion appartiennent les Tcherkesses ?, certains, sans la moindre hésitation, ont répondu « Tcherkesse ». Ainsi, ces « valeureux » Tcherkesses qui participent à l’effort de guerre et à la défense du pays, cette minorité si « loyale » en opposition à la figure de l’Arabe israélien potentiellement « dangereux » pour l’État d’Israël22 ne sauraient partager, fût-ce, une religion avec l’ennemi. Les Tcherkesses d’Israël font leurs ces représentations israéliennes, insistent largement sur leur différence avec les Arabes israéliens, évitent de marquer publiquement un soutien à la cause palestinienne et ont construit leur identité au miroir de la société israélienne. Une construction identitaire en double distinction à l’ « Autre » 34 Les privilèges consentis à cette population par l’État, ne cessent d’alimenter un creuset qui a un double effet. 35 Cette loyauté est considérée comme un acte de trahison par les Arabes du pays pour qui les Tcherkesses23 sont des traîtres à l’Umma, et sont donc exclus de la communauté des croyants, censée pourtant transcender les nationalités et les gouvernements.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 85

36 L’inscription dans l’espace socio-politique israélien où l’absence de constitution écrite pousse le citoyen à se définir de façon confessionnelle, ainsi qu’un contexte de réaction aux autres musulmans face à qui il était urgent de légitimer son identité religieuse, ont poussé les Tcherkesses d’Israël à modifier nettement la conception de leur propre identité. Désormais, cette dernière se construit surtout autour d’une pratique traditionaliste et rigoriste de l’Islam assez différente de celles observables dans les autres diasporas du Proche-Orient. 37 Dans leurs pratiques quotidiennes au Nord-Caucase24, région dont ils sont originaires, si les Tcherkesses respectent les principales célébrations comme le jeûne du Ramadan, très peu d’entre eux pratiquent les cinq prières quotidiennes et rares sont les jeunes femmes voilées. Dans la plupart des villes caucasiennes du nord-ouest, il n’existe que très peu de mosquées. À titre d’exemple, la ville de Maïkop, pourtant capitale de la république Adyghée, ne possède qu’une seule mosquée, construite – seulement – en 2001. 38 Traditionnellement, c’est l’« Adiga khabza », un code d’honneur transmis oralement qui réglementait le comportement des Tcherkesses et régulait les normes sociales. Ce code de conduite s’articule autour du respect de l’aîné considéré comme un guide, qui instruit les plus jeunes de l’égalité absolue des genres, du partage et de l’entraide, et de l’art de se dominer et de se contenir en société. En aucun cas, ce n’est la religion qui régule initialement la conduite des Tcherkesses. 39 Contrairement aux diasporas établies dans le reste du Proche-Orient25, l’Islam est au cœur de la définition identitaire des Tcherkesses d’Israël. Leur pratique religieuse particulièrement poussée et ostentatoire peut s’expliquer par deux éléments principaux. Le premier demeure, sans conteste, l’inscription de cette diaspora dans l’espace socio-politique israélo-palestinien, renforcé, il est vrai, par l’affirmation du caractère religieux du conflit largement défendu par les propagandes de guerre tant israélienne que palestinienne, l’affirmation d’une prédominance de deux religions majoritaires. Cette pratique religieuse ne pourrait, ensuite, être dissociée du contexte de réislamisation qui débute en Israël dans les années soixante-dix et qui a conduit les populations concernées à marquer plus clairement leur appartenance religieuse comme vecteur identitaire. Le second facteur relève du schéma classique de construction identitaire face à l’altérité. L’originalité de la diaspora tcherkesse d’Israël réside dans une construction en double distinction à l’Autre : l’Autre du pays bien sur, qu’il soit Juif ou Arabe, mais aussi et surtout l’Autre Tcherkesse du Proche-Orient en face de qui il faut légitimer sa présence sur un territoire israélien considéré comme hostile ou ennemi par ses voisins. En effet, en 1948, à la création de l’État d’Israël, les Tcherkesses – alors de Palestine mandataire – ne migrèrent pas vers la Syrie ou la Jordanie limitrophes comme on aurait pu l’attendre, mais firent le choix de rester au sein des frontières du nouvel État et d’embrasser pleinement la citoyenneté israélienne en prêtant allégeance au pays. C’est l’affirmation de cette pratique religieuse particulière qu’ont choisie ces derniers comme la preuve irréfutable d’une bonne « tcherkessité ». Ainsi, il s’agit pour les Tcherkesses d’Israël d’être plus Tcherkesse que les autres Tcherkesses et plus musulman que les autres musulmans. Être un bon Tcherkesse en Israël c’est donc être un bon musulman et être un bon musulman garantit le fait d’être un bon Tcherkesse. 40 Les Tcherkesses d’Israël prétendent être les garants des traditions du Caucase, y compris en ce qui concerne cette pratique religieuse. Or, initialement les Tcherkesses

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 86

croyaient en un large panthéon de divinités, représentant principalement les forces de la nature et de l’agriculture, tels que« Hana Gusha » le dieu de la pluie, « Shagbala » celui du tonnerre, « Pshtzia » celui de la foudre, « Miztaha » celui des forêts, « Tlafsh » celui du fer ou bien encore « Wazramas » celui de la beauté. Ils furent convertis, avec l’ensemble des peuples du Caucase, au Christianisme au VIe siècle, puis à l’Islam à la fin du XVIIIe siècle26. Cette construction va être ensuite intériorisée : ainsi, naît une « nouvelle tradition ». L’import-export identitaire : établir un pont symbolique entre les sociétés d’origine et d’accueil 41 C’est en référence à une terre d’origine sacralisée, renforcée par la figure traumatique de l’exode contraint, que les Tcherkesses d’Israël ont construit leur définition identitaire. Les références à la « mère-patrie » sont prédominantes dans les discours destinés tant à la communauté elle-même qu’à l’extérieur. Les échanges entre les villages et le Caucase (en particulier la république Adyghée) sont de plus en plus nombreux depuis la chute du bloc soviétique. Dès 1991, Kfar Kama a envoyé une délégation en visite à la toute nouvelle république, à peine émancipée de l’Union Soviétique mais qui conserve un statut de « République autonome rattachée à la Fédération de Russie », les étudiants se rendent en « pèlerinage » sur la terre de leurs ancêtres, les villages reçoivent des officiels de Maïkop qui inaugurent les musées et assistent à diverses célébrations, des musiciens tcherkesses du Caucase, invités à se produire lors des festivals annuels de Kfar Kama et de Rihanya, sont chaleureusement reçus, acclamés et érigés au rang de véritables stars internationales. Les plateformes d’échange et sites de rencontres communautaires fleurissent sur internet, le Caucase est la destination à la mode des voyages de noce, des anniversaires de mariage ou représente encore un cadeau idéal pour célébrer la fin des études d’un enfant de la famille. 42 La possession d’un objet venant du Caucase fait la fierté du chef de famille : une figurine représentant un cavalier ou une danseuse, un accordéon gravé sur une miniature de bois, une imitation de sabre ancien, une horloge peinte du drapeaux tcherkesse vert avec ses douze étoiles représentant les douze tribus tcherkesses et ses trois flèches représentant les trois républiques du Nord Caucase dans lesquelles les Tcherkesses de la région résident, ou bien encore une modeste photographie ou carte postale des montagnes du Caucase. Ramenés de voyage par la famille elle-même ou par un proche, ces objets sont des cadeaux très appréciés, sont expressément mis en valeur et trouvent leur place dans la pièce de réception la plus exposée au regard du visiteur. Certains habitants créent même de petits musées personnels, dans une cave ou dans une pièce spécialement aménagée pour l’occasion, rivalisant de nouveautés, faisant la « chasse » aux raretés, comparant les objets en leur possession, accumulant coupures de presses et photographies : la construction de la mémoire collective revêt l’allure d’une concurrence des mémoires matérielles. Si ces objets ne sont que des marqueurs stéréotypés d’une culture mise en scène, une mère de famille particulièrement fière de posséder un tableau représentant un couple en habits traditionnels devant une montagne confiait : c’est comme s’il y avait un bout de Caucase chez nous . Importer en Israël un tel objet du Caucase permet à son possesseur d’établir un pont symbolique entre « ses » deux terres, celle d’origine et celle d’accueil. 43 Les références au Caucase sont également prédominantes dans l’auto-présentation de la communauté à la société israélienne. Les deux villages se sont lentement ouverts au

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 87

tourisme, un tourisme « folklorique » attirant essentiellement un public juif israélien habitant dans la région. Des conférences sont organisées par un enseignant du village à la retraite, retraçant l’histoire générale des tcherkesses, une présentation du Caucase à l’aide de carte et de photographies, l’histoire de la dispersion qui trouve une forte résonance chez le public juif, l’installation au Proche-Orient et enfin l’intégration, présentée comme totalement réussie, des Tcherkesses à la société israélienne avec une accentuation particulière sur la loyauté de la communauté et la participation volontaire au service obligatoire. 44 Insister à tel point sur les références au Caucase, terre d’origine et « mère-patrie », inoubliable à jamais, trouve également une résonance positive chez les touristes juifs : les Tcherkesses ne revendiquent ni leur terre, ni une Palestine historique, leur terre est ailleurs et surtout lointaine. 45 Le voisin devient touriste et hôte, un érudit local le guide à travers le village : il visite le musée où sont présentées des cartes du Caucase et de l’exil, traduites en hébreu ; il peut voir des maisons restaurées dans un style « traditionnel » tcherkesse, ou encore goûter une nourriture tcherkesse, ou perçue comme telle, qu’il mange sur place ou emporte à domicile. À son tour, il exporte alors ce qu’il considère être un « bout de village tcherkesse » dans la société israélienne. 46 Cependant, ces références géographiques dépassent rarement le cadre discursif, si certains Tcherkesses d’Israël développent des partenariats professionnels avec le Caucase, quelques-uns y font même régulièrement des allers et retours, cette pratique reste encore très peu développée. Une poignée d’entre eux a quitté Israël pour s’installer dans le Caucase, et même si le discours de retour au pays reste associé au projet de vie (généralement pas pour soi mais pour les générations à venir), il n’existe pas de projet collectif de retour au Caucase des Tcherkesses en diaspora. Lorsque ce projet se concrétise, il demeure le fait de trajectoires individuelles : la majorité des Tcherkesses d’Israël affirment qu’ils ne quitteraient pour rien au monde le village qu’ils considèrent comme le lieu de l’expression la plus aboutie de leur tcherkessité. La construction d’un « entre-soi » ou comment s’extraire symboliquement du contexte géopolitique 47 Face à l’absence de reconnaissance de leur particularisme et leur position délicate de musulmans « au service de l’État d’Israël », les Tcherkesses vont, peu à peu, s'extraire symboliquement du contexte géo-politique. Cette « minorité dans la minorité », celle-là même qui ne peut se reconnaître dans aucun des deux grands groupes dominants mais qui cherche également à se distinguer de la « troisième voie » incarnée par les Druzes, a fini par mettre en scène sa propre construction identitaire. À cette fin, les Tcherkesses ont bâti, à l’instar de la société israélienne toute entière, leurs propres frontières spatio-temporelles. 48 Frontières spatiales d'abord, qui marquent la délimitation effective et physique du village. Le village devient le « territoire » tcherkesse, considéré même par certains villageois comme un « embryon d’État-nation » idéal, symbole d’un entre-soi rassurant et protecteur, garant de l’expression totale d’une identité tcherkesse reconstruite en son sein, qu’on gère comme bon nous semble et dont la légitimité n’est remise en cause par aucun regard extérieur. 49 En Israël, être Tcherkesse, c’est avant tout être Tcherkesse au village : Je suis né au village, j’ai grandi au village, je me suis mariée au village, j’ai élevé mes enfants au village, je travaille au village et je mourrai au village […] le village, c’est chez moi

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 88

déclarent souvent les interlocuteurs lorsqu’on les interroge sur l’importance d’habiter au village ou d’y revenir après des études à Haïfa, Jérusalem ou Beer Sheva. Le fonctionnement en vase clos du village est perçu comme un rempart d’abord contre le danger immédiat de l’environnement et d’autre part contre l’assimilation, crainte principale de cette minuscule communauté. 50 Les frontières du village marquent la séparation matérielle avec les voisins juifs pour Kfar Kama et arabes pour Rihanya. 51 Ici, je me sens comme un membre du clan, pas comme à Nazareth où j’ai grandi […] là-bas je ne me suis jamais sentie chez moi… parce que nous n’étions pas qu’entre nous… nous étions avec les Arabes déclarait une des rares habitantes de Kfar Kama élevée à l’extérieur du village et qui a ressentie le besoin de s’y installer à la naissance de son premier enfant27. 52 Le village permet d’affirmer cette spécificité tcherkesse tellement désirée et que l’État d’Israël tarde tant à reconnaître et à officialiser. 53 Le fonctionnement autarcique finit même par être intériorisé comme condition sine qua non de la survie culturelle : Ici, nous sommes entre nous, avec la même éducation, nous sommes tous des Tcherkesses, nous parlons notre langue maternelle, nous sommes tous de bons musulmans (…) nous sommes un village islamique28, tout le monde se comprend, personne nous juge… Nous pouvons conserver nos traditions et vivre comme dans le Caucase déclarait encore une autre villageoise. 54 Ici personne ne nous juge, vivre comme dans le Caucase, la terminologie utilisée est sans équivoque : la référence à la terre d’origine et son souvenir sont toujours vifs et les Tcherkesses sont las de ne pas trouver leur place dans la société israélo-palestinienne, blessés d’être considérés comme traîtres à une cause qui n’est historiquement pas la leur, offensés d’être considérés comme des citoyens de seconde zone dans un pays qu'ils habitent pourtant depuis 1880, qu’ils ont vu naître et qu'ils ont contribué à défendre et à construire. 55 Alors, les Tcherkesses ont cessé de vivre dans l’espace israélo-palestinien, ils se contentent désormais de vivre au village. 56 Une minorité invisible dans la minorité, construisant une identité qui ne correspond qu’à leur situation particulière, puisant dans la mythologie d’un peuple héroïque de guerriers courageux, loyaux, fiers et droits, comme pour contrebalancer le jugement de leurs « frères » qui les rejettent, et tentant, sans cesse, de ressusciter un Caucase fantasmé, vieux de cent cinquante ans et qui n’existe plus que par la transmission des souvenirs. Le Caucase reste le dernier reliquat de l’époque d’avant l’exil et la dispersion, mais qui reste encore porteur d’espoir et qui demeure, surtout, le dernier souvenir de l’avant catastrophe, avant que ne sonnent l’exil et la dispersion.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 89

NOTES

1. Daniel Baremboïm avait déjà subi un appel au boycott de la part de la commission culturelle de la Knesset pour avoir fait jouer, pour la première fois en Israël, un opéra de Richard Wagner, dont la figure est associée, pour nombre d’israéliens, à l’horreur de l’antisémitisme allemand. 2. Le Shass (acronyme de Shisha Sedarim) est un parti politique israélien séfarade et religieux ultra-orthodoxe créé en 1984. Il est dirigé par un conseil de sages dominé par le rabbin Ovadia Yossef, son chef politique est Eli Yishaï. D’un point de vue constitutionnel, le Shass défend le principe selon lequel l’État d’Israël est l’État du peuple juif et s’oppose à la création d’un état laïc. 3. Nommé le 10 janvier 2007 au poste de ministre de la culture, des sciences et des sports par le chef du parti travailliste Amir Peretz. 4. Entretien accordé au journal Yediot Aharonot le 9 mars 2007. 5. Bien sûr que je ne chanterai pas l’hymne dans sa forme actuelle. Mais avant de parler de symboles, je voudrais parler d’égalité des chances pour mes enfants. C’est plus important que mon fils ait la possibilité d’acheter une maison, de vivre dans la dignité… les Arabes ne sont pas d’humeur à chanter en ce moment […]. 6. Les paroles de la Hatikva sont généralement traduites par : Aussi longtemps qu'en nos cœurs, vibrera l'âme juive, et tournée vers l'Orient, aspirera à Sion, notre espoir n'est pas vain, espérance bimillénaire, d'être un peuple libre sur notre terre, le Pays de Sion et Jérusalem. 7. Ce sera le cas, en particulier, d’Avigdor Liberman qui dirige Ysrael Beitenou, parti russophone nationaliste qu’il a fondé et qui se caractérise par une ligne très dure vis-à- vis des Arabes, et des Palestiniens en particulier. Il prône, notamment, le « transfert » des Arabes d’Israël vers les Territoires palestiniens, et est considéré comme un parti « faucon » prônant ouvertement le conflit. 8. Entretien mené avec madame S.G à Rihanya le 19 mai 2008. 9. On estime que les premiers accrochages entre russes et caucasiens (sous l’autorité du Cheikh Chamil) eurent lieu en 1785 et que la dernière bataille livrée par un groupe Oubykh est datée de 1864. 10. Respectivement, 2 millions, 1 million, 60 000 et 30 000. 11. L'expansion de l'Islam dans le Nord Caucase au XIXe siècle avait donné au sultan une légitimité religieuse comme « Commandeur des croyants ». 12. En raison des pratiques esclavagistes nombreuses furent les épouses et mères tcherkesses de sultans et un grand nombre de garçons tcherkesses fut vendu pour ses qualités guerrières pendant plus d'un siècle auparavant. 13. Les hommes des deux communautés sont soumis au service militaire obligatoire, cette obligation qui ne s’adresse à aucun autre musulman de l’espace israélo- palestinien, s’est faite à la demande des chefs de villages (dès 1948 pour les Tcherkesses). 14. Bureau des statistiques, Jérusalem, Israël, 2007. 15. Majalli Whbee a été élu à la 16e Knesset en 2003 sur la liste du Likoud. En mars 2005 il est nommé vice-président du cabinet d’ Sharon alors Premier ministre et devient le vice-ministre chargé de l’éducation, de la culture et des sports en juin 2006. Quand Ariel Sharon quitte le Likoud, il fonde avec lui le parti Kadima et est élu à 17e Knesset en

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 90

2006. Il assume le poste de vice-président de la Knesset. En octobre 2007, il rejoint le cabinet d’Ehud Olmert en tant que vice-ministre des Affaires étrangères. 16. Kfar Kama est la première localité non juive a avoir été reconnue comme « conseil municipal » par l’État d’Israël. En 2003, on dénombrait 144 conseils locaux en Israël. local הצעומ «et anglais » = תימוקמ » Nous préfèrerons ici traduire les termes hébreux council » par « conseil municipal » ou « municipalité » plutôt que par « conseils locaux ». 17. À peu près 1 000 habitants à ce jour. 18. Amuka, Bar Yochai, , , Kalanit, Kfar Hananya, et Or HaGanuz 19. . 20. Alma, , , , Dalton, Hazon, , Kfar Hoshen, Kfar Shamai, Meron, , et . 21. Ein el-Asad. 22. L’utilisation de ces termes en italique est empruntée à différents interlocuteurs que j’ai pu rencontrer ou ont été relevés dans les questionnaires et ne saurait, en aucun cas, révéler un parti pris ou un jugement de valeur de ma part sur ces différentes populations ni prétendre qualifier l’opinion de la population israélienne dans son ensemble. 23. Les Druzes – dont la doctrine secrète s’appuie, entre autres, sur la croyance en la métempsycose, et l’incorporation d’éléments de l’Islam ou de la philosophie grecque – rejettent la charia et les obligations qui en découlent. Ils sont considérés comme des hérétiques, par la plupart des musulmans, tant sunnites que chi’ites, et estiment être les seuls à professer le tawhid (c’est-à-dire l’unité divine) dans toute sa rigueur et se proclament muwahiddun (les unitaires). Ils ne subissent donc pas les mêmes reproches que ceux adressés aux Tcherkesses considérés comme des musulmans « traditionnels » sunnites. 24. Terme générique utilisé ici pour désigner les trois républiques du Nord Caucase où ils sont dispersés, à savoir les républiques Adyghée, Kabardino-Balkare et Karatchaevo- Tcherkesse. 25. Comme cela est, par exemple, le cas, en Jordanie et en Syrie. Dans leur très grande majorité, les Tcherkesses de ces deux pays se définiront comme « tcherkesses » avant de se présenter comme « musulmans ». 26. L’islam est la religion majoritaire dans le Nord Caucase, mais n’arrive que tardivement chez les Tcherkesses (XVIe siècle) et ce n’est qu’au début du XVIIIe siècle que la majorité des princes se convertissent, entraînant avec eux leurs sujets. 27. Entretien mené avec madame L.H à Kfar Kama en avril 2006. 28. L’emploi du terme « islamique » et non celui de « musulman », utilisé par cette interlocutrice, est tout à fait éclairant sur le brouillage des termes utilisés et le glissement sémantique de ces derniers dans le discours tcherkesse en Israël.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 91

RÉSUMÉS

Les Tcherkesses d’Israël – dont la population est estimée à 4 000 personnes – sont répartis entre les deux villages de Kfar Kama et de Rihanya. Le cas de cette population d’Israël représente un exemple unique de population musulmane non- arabe (mais caucasienne), qui revendique une citoyenne israélienne active et qui, contrairement à ce qu’une telle conjoncture pourrait laisser supposer, conserve divers éléments culturels traditionnels très prégnants tout en bénéficiant d’une intégration citoyenne indiscutable. Israéliens mais pas juifs, musulmans mais pas arabes, comment les Tcherkesses d’Israël pourraient-ils trouver leur place face aux deux entités identitaires qui se disputent, sans laisser beaucoup d’espace vacant, la légitimité d’une présence et dont les histoires, les catastrophes et les douleurs se confrontent ? « Traîtres » et « musulmans au service du sionisme » pour les uns, « citoyens de seconde zone » pour les autres, les concepts de nationalité ou de religion pourtant communément appliqués, ne suffisent pas à définir cette population, mal connue du public israélien. Constamment assimilés aux Druzes du pays (seule autre population non-juive qui partage une implication dans le processus de défense nationale), et alors qu’ils cherchent justement à faire reconnaître leur spécificité culturelle et religieuse, les Tcherkesses, à la lisière de toutes les frontières identitaires qui se disputent l’espace israélo-palestinien, ont fini par bâtir les leurs, bien fragiles, entre nostalgie d’un Caucase perdu et reconfigurations identitaires.

INDEX

Mots-clés : Tcherkesse(s), diaspora, reconfigurations identitaires, Islam en Israël, endogamie, mémoire collective, mythification, citoyenneté, pratiques religieuses

AUTEUR

ELEONORE MERZA Eléonore Merza est doctorante en anthropologie à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales de Paris, sous la direction de Jean-François Gossiaux (IIAC-LAIOS). Rattachée au Laboratoire d’Anthropologie des Institutions et des Organisations Sociales de l’Institut Interdisciplinaire d’Anthropolgie du Contemporain (unité mixte CNRS-EHESS), elle a bénéficié de deux bourses au CRFJ en 2007 et 2008 pour étudier les mécanismes de construction identitaire en diaspora dans les deux villages tcherkesses d’Israël (Kfar Kama et Rihanya). [email protected]

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 92

Des « mouvements pacifistes » aux « mouvements anti-occupation » israéliens Matériau pour une réflexion sur les mobilisations contre l’occupation de 1967 à nos jours

Karine Lamarche

1 Fin août 2008, les journaux du monde entier annonçaient la mort d’Abie Nathan, usant pour le décrire de qualificatifs aussi élogieux que « père du pacifisme israélien », « militant infatigable du rapprochement israélo-arabe », « pionnier », « champion » ou encore « héros de la paix ». L’homme, né en Perse en 1927, s’était rendu célèbre par sa tentative de visite au président égyptien Nasser en 1966, par ses rencontres avec Yasser Arafat à une époque où celles-ci étaient prohibées et surtout par la création d’une radio pirate « La voix de la paix » qui avait émis depuis les eaux internationales pendant une vingtaine d’années. Un hommage quasi-unanime lui fut rendu par les dirigeants israéliens de même que par le représentant de l’Autorité palestinienne. Mais dans le « camp de la paix », très peu fut dit ou écrit sur celui que l’on présentait pourtant volontiers comme le père du pacifisme israélien. Ce décalage entre l’hommage politique rendu à Abie Nathan et l’apparente indifférence de ceux qui constituent aujourd’hui la force vive de l’opposition à l’occupation peut s’expliquer assez facilement, semble-t-il, par l’individualisme de son engagement qui apparut souvent plus romantique que politique et auquel il mit fin avec Oslo, convaincu que son rêve de paix avait enfin abouti. Or les mobilisations qui émergèrent à partir des années 2000 se distinguent des précédentes et témoignent - comme nous le verrons dans les pages à venir - d’un nouvel âge du militantisme israélien qui de « pacifiste » est devenu « anti-occupation ».

2 La plupart des recherches académiques sur la question datent des années 901 et on trouve de ce fait peu de matériau scientifique portant sur la période post-2000, à l’exception de quelques articles2. L’un des points communs de ces travaux est d’analyser le « mouvement pour la paix » israélien au prisme d’une opposition modérés/radicaux. Les premiers, soucieux pour la sécurité à long terme de leur pays et inquiets du risque de corruption morale lié à l’occupation, défendraient la paix dans

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 93

l’intérêt d’Israël. Les seconds, préoccupés principalement par le sort des Palestiniens, s’opposeraient à l’occupation en tant que telle, sans nécessairement chercher à convaincre leurs compatriotes que l’évacuation des territoires leur apportera la sécurité qu’ils espèrent. Dans le premier cas, l’engagement se présente donc comme une preuve de patriotisme et les références au sionisme sont souvent mobilisées alors que dans le second, il s’inscrit dans une tradition plus internationaliste de défense des droits de l’homme, d’opposition au colonialisme, de solidarité avec les peuples en lutte pour leur auto-détermination, et véhicule potentiellement un message post- voire antisioniste. Cette dichotomie présente, selon nous, plusieurs limites notamment dues au fait qu’elle occulte souvent l’importance du travail d’étiquetage mis en place par les différents acteurs en jeu (alliés, opposants, etc.) et fait de la radicalité - ou de la modération - une caractéristique essentielle et absolue de certains groupes. Il nous semble donc important de la replacer dans une perspective dynamique à même de rendre compte des ressorts à l’œuvre dans la structuration du « camp de la paix » et dans les processus d’étiquetage de ses différents acteurs. Cet article suivra un déroulement chronologique et aura à cœur de montrer, à travers une présentation non-exhaustive d’organisations et de groupes opposés à l’occupation, que s’il existait un mouvement de masse susceptible d’influencer l’opinion publique et de faire pression sur les instances décisionnelles jusqu’à la période d’Oslo, celui-ci s’est totalement effondré en 2000, laissant place à un ensemble de groupes pour le moins hétérogène. Cette caractéristique n’est pas inédite et Tamar Hermann notait déjà à propos des années 90 que le « mouvement pacifiste » était « un agrégat fortement décentralisé d’organisations de tailles différentes, [ayant des] vues sur le monde, et des buts assez divers, qui ont habituellement développé des programmes idéologiques et stratégiques indépendamment les uns des autres »3. Mais avec la seconde Intifada, il devient d’autant plus vrai que c’est « en fonction de projets, de définitions de la situation et de visées tactiques disparates que des individus convergent vers ce qu’ils se représentent plus ou moins à tort comme une ‘même’ cause » pour reprendre les critiques que Lilian Mathieu formule à propos de l’idée que les actions collectives seraient le résultat de fins partagées4. Nous verrons que si le mouvement Shalom Ah’shav (« La paix maintenant »5), peut servir en quelques sortes de baromètre pour mesurer la santé du mouvement de masse, cela ne suffit pas à prouver la pertinence de cette opposition modérés/radicaux. 3 La première partie sera consacrée aux années succédant la conquête des territoires palestiniens, caractérisées par des mobilisations pacifistes à caractère sécuritaire mais aussi par la première initiative de protestation israélo-palestinienne conjointe. Dans un second temps, nous examinerons la période clé de la première Intifada qui fut marquée par l’émergence de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme ainsi que par des initiatives plus subversives de questionnement autour de l’impact de l’occupation sur la société israélienne. Oslo sera présenté comme un moment charnière puisque le projet de paix pour lequel s’était battu le camp pacifiste sembla sur le point d’aboutir pour finalement échouer radicalement et marquer l’effondrement du mouvement pacifiste de masse. Enfin, nous aborderons la seconde Intifada, en s’interrogeant sur ce qu’il reste de l’opposition modérés/radicaux et plus précisément sur ce qui est souvent annoncé, à cette période, comme une radicalisation des mobilisations contre l’occupation.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 94

Shalom Ah’shav et le « Comité de solidarité avec Bir Zeit », deux approches de l’engagement pour la paix

4 Bien qu’il ait existé des initiatives de rapprochement judéo-arabe ainsi que des organisations pacifistes de nombreuses années avant la guerre des Six Jours, notamment l’association Brit Shalom (« Alliance de la paix ») qui prônait, dans les années 20, la création d’un État binational, nous avons fait le choix de commencer notre exploration après 1967 puisque ce sont les mobilisations contre l’occupation qui nous intéressent plus particulièrement ici. Cette date, qui marqua la victoire d’Israël sur les pays arabes, constitua un tournant sans précédent dans l’histoire du pays, puisqu’elle lui permit de multiplier par quatre sa superficie6 mais le rendit également responsable de plus d’un million de civils supplémentaires, pour la plupart palestiniens. L’espoir et la joie suscités dans la population israélienne par cette conquête furent énormes, certains y voyant une possible réalisation du Grand Israël7, et d’autres, une majorité à l’époque, l’appréhendant comme un moyen de négocier la paix avec des voisins hostiles. Rapidement, les premiers, poussés par l’idéologie messianique, entreprirent de peupler les territoires de colonies juives, encouragés à partir de 1977 par le gouvernement Likoud tandis que les seconds s’organisaient pour demander un échange des territoires contre la paix et dénoncer les entreprises de colonisation mettant en danger cette solution. Parmi ces initiatives, on trouve notamment le « Mouvement pour la Paix et la Sécurité » (Hatnoua Leshalom vebitah’on), que Mordechai Bar On identifie comme le premier mouvement pacifiste du pays8, Oz VeShalom (« Force et Paix ») groupe d’universitaires religieux, ou encore le « Conseil Israélien pour la Paix israélo-palestinienne », sorte de think-tank, dont les fondateurs développèrent des relations avec des leaders de l’OLP.

5 Mais l’âge d’or du mouvement pacifiste israélien commença véritablement en 1978, lorsqu’un groupe de trois cent quarante-huit officiers réservistes adressa une lettre au gouvernement pour lui demander de cesser l’occupation des territoires. Cette initiative se voulait, dans le contexte des négociations israélo-égyptiennes, un avertissement au gouvernement Begin : « une politique gouvernementale qui conduirait à la domination de plus d’un million d’Arabes affaiblirait probablement le caractère démocratique juif de l’État et rendrait difficile notre identification avec la voie [choisie par] l’État d’Israël »9. La campagne qui suivit permit de récolter près de dix mille signatures et marqua la naissance de ce qui devint l’un des plus importants mouvements pacifistes israéliens, en terme d’effectifs et d’impact : Shalom Ah’chav. En septembre de la même année, à la veille de la visite de Begin à Camp David, environ cent mille Israéliens défilèrent sous cette bannière et l’influence que ce mouvement extra-parlementaire eut sur l’aboutissement des négociations fut une première dans l’histoire politique d’Israël. Il est intéressant de noter que ce premier succès de Shalom Ah’chav, qui l’encouragea à se maintenir sur la scène politique, avait bien peu à voir avec la question palestinienne. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le groupe décida de recentrer son action sur la question de la colonisation et si son premier engagement après les Accords de Camp David fut contre le Gush Emunim (« Bloc de la Foi » 10). Contrairement à des formations politiques de l’extrême-gauche telles que le Parti communiste israélien, le Matzpen (« Boussole »)11 ou le petit parti SHELI (acronyme de Shalom le’Israel, « Paix pour Israël ») qui insistaient sur la centralité de la question palestinienne dans la résolution du conflit et sur la nécessité de parler avec l’OLP, Shalom Ah’shav parlait surtout de paix

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 95

avec les pays arabes voisins et évitait ainsi de se pencher sur des aspects plus controversés de la situation12. 6 En novembre 1981, l’Université Bir Zeit située près de Ramallah fut le théâtre de manifestations contre la création de l’Administration Civile13. En réponse à cette vague de protestations, l’armée décida de fermer l’université pendant deux mois. Des contacts existaient depuis une dizaine d’années entre certains enseignants palestiniens et des militants israéliens de gauche, qui formèrent un comité de soutien avec Bir Zeit et s’introduisirent, trois jours après la fermeture, dans l’enceinte de l’université pour y tenir une cérémonie symbolique de réouverture. Une lutte conjointe s’organisa progressivement entre Israéliens et Palestiniens avec notamment des manifestations à Ramallah, où l’armée utilisa des gaz lacrymogènes – une première à l’encontre de manifestants juifs – et où des dizaines de participants furent arrêtés. L’attention des médias se révéla importante principalement en raison du caractère totalement nouveau des protestations. Jamais auparavant Palestiniens et Israéliens n’avaient manifesté sous une même bannière et les contacts entre les deux populations étaient restés extrêmement limités. Pendant les quatre années qui suivirent, le comité organisa des dizaines d’autres manifestations et actions de sensibilisation en Israël. 7 Bien qu’aucun parti ne fut officiellement lié au comité, celui-ci comptait de nombreux membres du parti communiste, du parti SHELI, certains sionistes de gauche, ainsi que des militants du Matzpen, ce qui en fit, pendant un temps, « la combinaison la plus large et la plus unifiée de forces jamais rassemblées à gauche de Shalom Ah’shav » 14. Daniel Amit, figure centrale du comité, aurait déclaré un jour à ce propos : « Nous avons besoin des communistes pour leur nombre, des antisionistes pour leur activisme, et des sionistes de gauche pour leur légitimité »15. Cette mixité politique constitua, il semble, une des caractéristiques les plus surprenantes du comité, et un de ses atouts majeurs pour mobiliser des militants venus d’horizons différents. Pour la première fois, la dénonciation de l’occupation et des conditions humanitaires qu’elle engendrait en Cisjordanie et à Gaza n’était plus la seule affaire des anti- ou des non sionistes. Shalom Ah’shav et le « Comité de solidarité avec Bir Zeit » joignirent leurs efforts à certaines périodes, notamment suite aux confrontations sanglantes de février et mars 1982. Il semble que le premier ne pouvait plus se contenter, en tant que mouvement pacifiste, de demander un retrait des territoires sans prêter attention aux initiatives nouvelles établissant une résistance sur le terrain avec des Palestiniens. Les liens établis entre Bir Zeit et certains sionistes de gauche proches ou membres de Shalom Ah’shav contribuèrent sûrement à pousser l’organisation vers ce qui peut être considéré comme une radicalisation. 8 Le 5 juin 1982, Israël lança l’opération « Paix en Galilée » et envahit le Liban dans le but d’éradiquer l’OLP qui y avait trouvé refuge. Le « Comité de solidarité avec Bir Zeit » décida de se transformer en « Comité contre la guerre au Liban » et lança le 26 juin 1982, un appel à une mobilisation nationale contre la guerre. Les vingt mille Israéliens qui répondirent présent montrèrent à quel point l’opposition avait dépassé les cercles de militants dévoués qui se mobilisaient régulièrement autour de Bir Zeit. Shalom Ah’shav prit également position contre la guerre et lança, début juillet, un appel à manifester qui rassembla plus de cent mille participants. Mais, pour garder sa popularité, le mouvement continua, selon Tamar Hermann à « manifester son allégeance aux valeurs collectives centrales et [à] conserver un caractère légal »16. Cela passait par exemple par un désaccord de principe avec l’objection de conscience et avec

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 96

le fait de critiquer ouvertement l’armée comme le faisait alors le mouvement Yesh Gvul (« Il y a une frontière/limite »), créé pour soutenir les soldats refusant de servir au Liban, puis plus tard dans les territoires occupés. Ce mouvement devint d’ailleurs à cette période l’un des principaux « concurrents » de Shalom Ah’shav. 9 La guerre du Liban fut une période de mobilisation sans précédent en Israël17 qui marqua de façon décisive l’histoire militante du pays et cela pour plusieurs raisons. C’était tout d’abord la première fois qu’un réel mouvement de masse émergeait. En septembre 1982, le massacre perpétré par les Phalangistes à Sabra et Chatila avec le soutien de l’armée israélienne amena une foule de quatre cent mille personnes dans la rue, ce qui représentait à l’époque presque 10 % de la population du pays. Parmi les manifestants, un large nombre n’avait jamais participé à une telle protestation. Cette affluence s’explique tout d’abord par le fait que la guerre du Liban constituant la première guerre « choisie »18 d’Israël, elle ne recueillit pas de consensus national et fut d’emblée plus critiquée que les précédentes. De plus, c’était la première fois depuis la guerre d’Indépendance que des soldats, appelés et réservistes, étaient confrontés à la population civile « ennemie », pour une large part des femmes et des enfants. L’empreinte de cette guerre sur l’histoire du militantisme israélien s’explique également par le rôle qu’elle joua dans la prise de conscience, par les Palestiniens, de l’existence d’un « camp de la paix » en Israël. Bien qu’ils aient pu être irrités de constater le pouvoir de mobilisation de cette guerre comparé à celui de leur propre occupation qui durait pourtant depuis plus de quinze ans, ils découvrirent que les Israéliens opposés à leur gouvernement étaient potentiellement nombreux, ce qui contribua certainement à faciliter les collaborations qui virent le jour pendant la première Intifada.

La première Intifada et le développement du militantisme anti-occupation

10 Avec le déclenchement de la première Intifada, en décembre 1987, de nombreuses organisations firent leur apparition en Israël pour exprimer le refus des violences commises par l’armée et manifester la solidarité avec les Palestiniens, ce que se refusait à faire clairement Shalom Ah’shav. Kaminer estime à une trentaine le nombre d’organisations qui, deux mois après le début du soulèvement, avaient pris un rôle actif dans la protestation contre la répression de l’Intifada19. Avishai Margalit affirme de son côté que quarante-six groupes pouvaient, en 1988, « être considérés comme plus radicaux que Shalom Ah’shav »20 et Naomi Chazan avance, elle, le chiffre de cent soixante-dix groupes distincts en 1989 dans le camp de la paix21. Mordechai Bar-On, dans son étude sur le mouvement Shalom Ah’shav, critique ces estimations et précise que la plupart des organisations de paix existant pendant la décennie 80 étaient des groupes de coexistence dont le but était d’améliorer les relations entre Israéliens juifs et arabes22. Quoi qu’il en soit, la première Intifada a constitué un tournant incontestable dans l’histoire du mouvement anti-occupation en Israël et s’est caractérisée d’une part par l’apparition de nombreuses organisations de défense des droits de l’homme que nous ne détaillerons pas ici23 et par celle de groupes de protestation tels que ceux que nous allons évoquer à présent.

11 Les groupes Daï La’Kibush (« Halte à l’occupation ») et The 21 st Year (« La 21 e année ») furent probablement parmi les plus représentatifs de cette catégorie. Le premier

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 97

apparut en juin 1987, à l’initiative d’intellectuels de la gauche non- ou antisioniste (parti communiste, SHASI – Gauche socialiste israélienne, ligue communiste révolutionnaire, etc.). Il fut le groupe le plus dynamique pendant la première année de l’Intifada malgré des effectifs restreints et le fait qu’il ne devint jamais une organisation formelle. Son répertoire d’actions allait de l’organisation de veillées devant la résidence du Premier Ministre à celle de visites en territoires palestiniens, en passant par la distribution de brochures politiques, l’écriture de pétitions, et des manifestations en Israël. L’une des caractéristiques les plus marquantes du groupe fut de permettre le développement de contacts des deux côtés de la ligne verte grâce aux visites dans les villages et aux rencontres avec des militants palestiniens. Chaque semaine, un à deux bus d’Israéliens se rendaient dans les territoires pour visiter villages et camps de réfugiés. Des rencontres étaient également organisées au domicile de militants, et des Palestiniens étaient invités à parler de leur vie sous occupation. Kaminer note que « la taille et la profondeur des contacts israélo-palestiniens étaient sans précédent et devinrent une nouvelle caractéristique remarquable de l’activité de protestation »24. 12 Le 4 juin 1988, lors d’une manifestation à l’occasion du vingt et unième anniversaire de l’occupation plusieurs centaines de manifestants défilèrent sous la bannière d’une nouvelle organisation, The 21st Year . Celle-ci se distinguait particulièrement par la publication d’un manifeste intitulé « Convention pour la lutte contre l’occupation » (Amanah leMa’avak neged ha’Kibush), principalement rédigé par Hanan Hever, et Adi Ophir, destiné à montrer que l’occupation avait de sérieuses conséquences sur la société israélienne et sur divers aspects de la vie en Israël parmi lesquels l’économie, le droit, la culture, la manière de parler, l’éducation, etc. Il rejetait les formes traditionnelles de protestation arguant qu’elles aussi étaient entachées par l’occupation : « Les modèles de protestation acceptables contre l’occupation sont circonscrits par le consensus et les moyens sont limités aux frontières dans lesquels les enferme le ‘système d’occupation’… le bel Israélien tire, pleure, proteste et continue à collaborer avec le système d’occupation »25. Cette phrase visait assez clairement Shalom Ah’shav (dont Adi Ophir avait, pendant un temps, fait partie) qui, tout en rejetant fermement l’objection de conscience ou même le refus sélectif26, critiquait en effet les actions menées par l’armée dans les territoires palestiniens. Ses militants étaient souvent raillés, dans les rangs des autres groupes, pour être des soldats loyaux pendant leurs périodes de réserve et manifester ensuite, une fois revenus à la vie civile, contre le type d’actions qu’ils avaient été amenés à conduire dans les territoires. Les partisans de la « Convention » appelaient au contraire à ce que les Israéliens opposés à l’occupation soient prêts à « payer un prix personnel » pour leur engagement. Ils reçurent des soutiens étonnamment nombreux de la part d’intellectuels, d’académiciens et d’étudiants, et au printemps 1988, ils annoncèrent dans un tract avoir recueilli mille deux cent cinquante signatures. Ses membres s’employèrent alors à proposer des applications pratiques aux engagements énoncés dans le document de départ. Par exemple, le 25 mai 1989, The 21st Year organisa un rassemblement de solidarité avec des Palestiniens dont les maisons devaient être démolies, près de Qalqilya. Vingt-sept militants furent arrêtés pour « incitation à la rébellion » et l’un des policiers qui témoigna devant la cour déclara : « De nombreux Israéliens de tous bords politiques ont pris l’habitude d’entrer dans les territoires et de prendre la loi entre leurs mains. (…) Le fait que des Juifs d’Israël viennent assister l’Intifada et contribuent à la détérioration rapide de la situation en Samarie constitue un crime grave »27. Ces paroles témoignent du défi que constituait la protestation conjointe à l’époque.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 98

Néanmoins, le groupe qui se proposait de développer la désobéissance civile et de « payer un prix personnel » cessa ses activités assez vite après cette action qui avait pourtant constitué un indéniable succès médiatique. 13 Shalom Ah’shav critiqua à cette époque la tendance de la gauche à organiser des activités qui visaient surtout à « défouler » les militants mais qui, de par leur taille, ne pouvaient pas influencer le public israélien. Il organisa sa première manifestation à peine deux semaines après le début de l’Intifada et celle-ci rassembla environ mille cinq cents participants, bien peu en comparaison aux protestations liées à la guerre du Liban mais beaucoup plus que ce que les petits groupes étaient capables de faire en joignant leurs efforts. Reuven Kaminer rapporte que l’une des tactiques de ces derniers pour concurrencer Shalom Ah’shav était d’organiser des manifestations indépendantes avant celles du grand mouvement et de le rejoindre ensuite sous une bannière et avec des slogans spécifiques. C’était là une occasion de distribuer des tracts pour tenter d’attirer de nouvelles recrues, ce qui ne plaisait pas toujours aux organisateurs mais ne provoqua jamais de réels affrontements28. Daï La’Kibush et The 21 st Year, malgré leur marginalité politique et leur public restreint, ont ainsi contribué à remettre en question l’hégémonie de Shalom Ah’shav dans le mouvement pacifiste israélien. Bien que le message de celui-ci resta à peu de choses près le même avant et après la seconde Intifada, le mouvement commença en effet à lier des contacts avec des Palestiniens29 et à organiser des visites en Cisjordanie, chose qui aurait été inenvisageable quelques années plus tôt. 14 La première Intifada fut donc une période de changements notables dans les mobilisations israéliennes contre l'occupation. À la différence des années succédant la conquête des territoires, principalement caractérisées par des initiatives visant à l'instauration de frontières sûres, et à celles de la guerre du Liban orientée vers le retrait des troupes israéliennes de ce pays, la protestation désignait clairement l'occupation, et critiquait le gouvernement pour les actes commis dans la répression de la révolte palestinienne. Fin 1992, les mesures coercitives menées par Yizhak Rabin, alors Premier Ministre, contre la population des territoires occupés, amenèrent des militants israéliens à installer une « tente de protestation » devant le bureau de ce dernier, à Jérusalem. Ils critiquaient les groupes pacifistes de l’époque pour leur manque d’opposition au gouvernement et ils décidèrent de former, sous l’impulsion du militant de longue date Uri Avnery30, Gush Shalom (« Bloc de la Paix ») qu’ils voulaient « peacer than Peace Now »31.

Oslo, l’amer passage du militantisme au dialogue

15 La signature de la Déclaration de principes de reconnaissance mutuelle Israël/OLP en 1993 marqua l’entrée du mouvement anti-occupation israélien dans une nouvelle phase qui allait, en quelques années, bouleverser sa structuration toute entière. La poignée de mains entre Yasser Arafat et Yitzhak Rabin devant la Maison Blanche suscita un espoir immense chez un grand nombre d’Israéliens et de Palestiniens. Après des années d’affrontements, l’établissement d’une paix durable entre les deux peuples n’avait jamais semblé aussi proche et soudainement, et pendant quelques mois, une atmosphère propice au dialogue s’installa véhiculant l’idée que les deux côtés devaient apprendre à vivre ensemble. On assista ainsi à une explosion de ce que Rabinowitz

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 99

nomme ironiquement « l’industrie du dialogue »32 et des sommes d’argent énormes données par les gouvernements étrangers servirent à financer ce genre d’initiatives.

16 Les militants qui avaient été engagés avant Oslo dans la dénonciation de la répression à l'Intifada, dans les groupes de défense des droits de l'homme, ou même dans les manifestations de Shalom Ah'shav, furent les grands invisibles de cette période, ce qui témoigne des efforts faits, au niveau étatique, pour marginaliser le « mouvement pour la paix » et le dissocier du « processus de paix ». Tamar Hermann relate qu'en juillet 1994, lorsqu’Yitzhak Rabin alla signer la déclaration à Washington, il emmena douze Israéliens avec lui rappelant les douze tribus d’Israël et censés symboliser la diversité israélienne. Il y avait parmi eux une mère endeuillée, un ancien soldat combattant, une victime d’attentat, etc. mais aucun représentant du camp de la paix, ce qui selon elle, « illustre la situation intensément frustrante dans laquelle le mouvement s’est trouvé après le lancement du processus d’Oslo : les décideurs israéliens officiels avaient adopté exactement l’agenda pour lequel le mouvement s’était battu pendant des années (…). Or, ils n’ont donné au mouvement aucun rôle dans ce processus »33. Cela peut contribuer à expliquer l’inertie dans laquelle se sont trouvés nombre d’initiatives militantes à cette période. 17 Par ailleurs, bien peu de ceux qui avaient participé à des protestations contre l'occupation ou à des actions de solidarité avec les Palestiniens se retrouvaient dans l'esprit des projets de coexistence valorisés à l’époque, qui étaient fortement empreints de sionisme, se voulaient « apolitiques » et laissaient pour cela de côté toutes les sources potentielles de tensions – en fait les questions de fond susceptibles de faire échouer les accords (question des réfugiés, statut de Jérusalem, etc.) – pour ne s’intéresser qu’à la vie quotidienne, la culture, les traditions, etc.34 L’engagement « pacifiste » était donc passé, entre la première Intifada et la période d’Oslo, d'un militantisme dénonçant la situation politique et les problèmes spécifiques rencontrés par la population arabe des territoires occupés (la torture ; la destruction de maisons ; la difficulté d’accès aux soins, etc.) à des initiatives visant à promouvoir la réconciliation entre Israéliens et Palestiniens dans la perspective d’un avenir commun, sous-entendant ainsi que les injustices précédemment combattues avaient été abolies. Or, les années qui suivirent les accords d’Oslo furent très difficiles, particulièrement pour les Palestiniens vivant dans les territoires occupés. La Cisjordanie et Gaza furent divisés en zones, des checkpoints militaires apparurent et un système de permis fut mis en place pour contrôler les déplacements de millions de civils palestiniens35. On fit venir des centaines de milliers de travailleurs étrangers en Israël pour remplacer progressivement les Palestiniens employés dans le bâtiment, dans les champs, dans les services, ce qui provoqua une augmentation sans précédent du chômage dans les territoires occupés. 18 De plus, des événements dramatiques vinrent dégrader encore la situation. Le 25 février 1994, Baruch Goldstein, un colon de Kyriat Arba, entra dans le caveau des Patriarches à Hébron et massacra vingt-neuf musulmans en prière. Cette tragédie aurait pu être l'occasion pour le gouvernement israélien d’évacuer les colons de Hébron, chose qu’il cherchait à faire depuis leur installation, mais au lieu de cela Yitzhak Rabin, alors Premier Ministre, prit la décision de mettre la population palestinienne sous couvre-feu « pour éviter les représailles ». Cette décision ne fit que renforcer l’ambiguïté israélienne sur la question de la colonisation, dont l’abandon n’était certes pas stipulé comme condition dans les accords d’Oslo mais qui aurait pu

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 100

sembler un préalable nécessaire à l’instauration d’une « paix juste, durable et globale ». Au contraire, entre 1993 et 2001, la population juive dans les territoires (hors Jérusalem) passa de 110 000 à 213 00036. Le 4 novembre 1995, Yitzhak Rabin fut assassiné par un militant d’extrême-droite religieux et en 1996, Benyamin Netanyahou fut élu Premier Ministre sur le slogan « Bibi37 est bon pour les Juifs ». Le nombre d’attentats contre la population juive augmenta à cette période considérablement, de même que la répression israélienne dans les territoires38. Trois ans après la signature des accords d'Oslo, la paix s'effritait de jour en jour et avec elle le mouvement pacifiste. Le sommet de Camp David en juillet acheva d’enterrer tout espoir. En adoptant le discours de Barak désignant Arafat comme seul responsable de l’échec des négociations, la majorité des Israéliens tint ce dernier coupable d’avoir préféré la guerre à la paix. Plusieurs témoignages, notamment ceux de personnalités ayant participé au sommet, ont depuis remis en question la vision des « offres généreuses » rejetées par le leader palestinien39 mais celle-ci est demeurée solidement ancrée parmi la population israélienne. Il n’est pas étonnant, dans ce contexte, que le soulèvement populaire palestinien qui débuta à l’automne 2000 fut vécu par nombre d’entre eux comme une trahison, comme un rejet de la paix et même comme une remise en question du droit d’Israël à exister. La gauche jusque-là favorable aux compromis et au dialogue ne fut pas épargnée par cette tendance et sa déception vis-à-vis des Palestiniens sembla d’autant plus forte que ses espoirs de parvenir enfin à la paix avaient été grands au moment d’Oslo. Du côté palestinien, la rancune due au sentiment d’être désignés comme uniques responsables de l'échec du processus, ne cessa d'augmenter à l'égard de ceux qui leur avaient fait croire en la paix. Ce n'est qu'avec la seconde Intifada que les mobilisations contre l’occupation reprirent mais le mouvement de masse, celui qui avait été capable de mobiliser des centaines de milliers d'Israéliens une quinzaine d’années plus tôt, était mort et enterré.

La seconde Intifada, de nouvelles formes d’engagement ?

19 La seconde Intifada se caractérisa plus qu’aucune autre période du conflit israélo- palestinien par des transgressions mutuelles : attentats suicide de terroristes palestiniens sur le sol israélien et répression (invasions de villes, couvre-feux, bouclages, etc.) menés par Tsahal dans les territoires occupés. L’une des conséquences les plus immédiates de cette situation fut le développement, côté israélien, d’une peur sans précédent : emmener les enfants à l’école, aller faire les courses, ou sortir au restaurant devinrent des activités génératrices d’angoisses car parfois il ne se passait pas une semaine sans qu’une bombe n’explose. Un autre des effets de cette situation fut de réduire quasiment à néant le peu de contacts qui existait jusque là entre Arabes et Juifs : parmi les seconds, ceux qui avaient l’habitude de se rendre dans les territoires cessèrent leurs visites ; les employés palestiniens se virent restreindre voire enlever les possibilités de passage en Israël et la plupart des projets de coexistence sombrèrent dans l’oubli. Shalom Ah’shav, pour sa part, resta longtemps silencieux. Au fil des années, l’organisation était devenue, plus qu’un mouvement militant, un organe d’expertise d’une colonisation qui n’avait eu de cesse de gagner du terrain pendant toute la décennie précédente40. Ses activités sur le terrain se sont faites de plus en plus restreintes que ce soit en Israël, où la dernière mobilisation de masse remonte aux

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 101

manifestations pour le désengagement de Gaza en 2005, ou dans les territoires où le groupe n’organise plus guère que quelques visites.

20 Devant l’étanchéité de la frontière mentale qui s’érigeait entre Palestiniens et Israéliens, des militants juifs et arabes israéliens décidèrent de créer le groupe Ta’ayush (« coopération » en arabe) pour apporter une réponse politique à une situation humanitaire qui se détériorait de jour en jour. Les habitants des territoires occupés subissaient à cette période couvre-feux, bouclages et incursions de l'armée à répétition, et le groupe organisa ainsi des convois de nourriture, de vêtements, de couvertures ou de médicaments, auxquels participèrent régulièrement des centaines d'Israéliens. Chaque activité nécessitait une coordination de plusieurs semaines avec les représentants des villages concernés de manière à assurer la sécurité des volontaires. En ce début de seconde Intifada, en effet, il n’était absolument pas évident pour des militants juifs de se rendre en Cisjordanie et le véritable aboutissement de Ta’ayush fut de permettre ces passages vers un autre côté que tout désignait à l’époque comme le mal absolu et de politiser ainsi par ce biais des personnes au départ plus sensibles à l'aspect humanitaire des actions proposées qu’à leur dimension politique. Les confrontations avec l'armée, qui tentait souvent d'empêcher l'arrivée des militants jusqu'au village, ainsi que la simple rencontre avec des Palestiniens désireux de les accueillir, furent en effet à l'origine de questionnements idéologiques profonds chez de nombreux participants qui s’en trouvèrent radicalisés par rapport à leurs positions initiales. 21 Lorsque l’idée de construire une barrière destinée à séparer physiquement Israël des Palestiniens fut mise en application41 par le gouvernement Sharon en 2003, peu de militants mesuraient encore l’impact qu’aurait cet ouvrage sur la configuration de la région et la place qu’il prendrait dans le champ anti-occupation. Le tracé resta inconnu plusieurs mois après l’annonce de la construction, puisque le gouvernement israélien ne le publia officiellement qu’en 2004, et il leur fut longtemps difficile d’appréhender mentalement un tel bouleversement écologique mais surtout politique. En avril 2003, alors que le village de Mash’a faisait face à la confiscation progressive de ses terres par la construction de la barrière, deux tentes furent installées pour permettre à ceux qui le désiraient (Palestiniens, Israéliens et internationaux) de venir s’informer sur le mur et de préparer ensemble les futures actions de protestation. À partir de juillet 2003, les premières manifestations conjointes furent menées dans ce même village puis elles se propagèrent à d’autres, touchés eux aussi par la barrière. Les Israéliens y participant furent rapidement appelés les « Anarchistes contre le mur » par les médias en raison de l’appartenance de certains d’entre eux, les plus remarquables, au milieu alternatif punk, queer, et antispéciste de Tel-Aviv. Ce groupe est l’un des plus petits qu’ait jamais compté la scène militante israélienne mais il est aussi aujourd’hui l’un des plus actifs et celui qui attire l’attention régulière des médias. En plus de prendre part aux manifestations organisées par les Palestiniens42, les Anarchistes se joignent en effet parfois à eux pour des actions directes non-violentes (blocage de routes interdites aux habitants arabes des territoires occupés ; démontages de structures de bétons placées par l’armée à l’entrée d’un village et destinés à en bloquer l’accès, etc.) et organisent également des activités à l’intérieur d’Israël, destinées à sensibiliser, souvent de manière provocante, le public sur la question de l’occupation (collages d’affiches de nuit ; distribution de documents politiques ; véloruptions43, etc.). Ils donnent donc de nombreuses occasions de faire parler d’eux, la plupart du temps sur un mode hostile

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 102

qui n’est pas pour leur déplaire, contrairement à d’autres groupes à la recherche permanente de légitimité. 22 Leur répertoire d’actions a par ailleurs un potentiel de visibilité d’autant plus élevé qu’il donne lieu à des confrontations souvent violentes avec l’armée et la police israéliennes. L’une des raisons d’être de la présence d’Israéliens dans les manifestations contre la barrière est en effet aussi de servir de boucliers humains pour éviter que les forces de l’ordre n’utilisent les moyens de répression destinés aux seuls Palestiniens (notamment les balles réelles). Ils sont néanmoins confrontés à des tirs de gaz lacrymogènes, de grenades assourdissantes et de balles en caoutchouc, les dernières ayant déjà causé de nombreuses blessures sérieuses, ainsi qu’au risque d’arrestation et de condamnation pénale. Les manifestants utilisent donc leur corps comme un instrument de lutte pour résister physiquement, enfreindre des interdictions mais aussi comme un outil dénonciation de la violence légitime exercée par l’adversaire, qui est ici l’armée israélienne : le nombre de blessés, la gravité des blessures, la violence de la répression sont autant de preuves de la brutalité du régime d’occupation que les manifestants brandissent. 23 La dépacification qui a caractérisé les mobilisations des « Anarchistes » et, dans une moindre mesure, de Ta’ayush, est souvent analysée comme la preuve d’une radicalisation des militants de la seconde Intifada qui seraient de moins en moins nombreux mais de plus en plus déterminés et violents. Si le fait que les effectifs soient en diminution constante semble difficilement contestable, il m’apparaît néanmoins important de nuancer la seconde affirmation. Tout d’abord parce que les deux éléments sont liés : moins il y a de protestations, plus celles-ci se doivent de prendre un caractère sensationnel pour espérer trouver un écho. La disparition du mouvement de masse et l’inertie dans laquelle s’est trouvé le camp de la paix ont ainsi contribué au développement de modes d’action plus subversifs et plus transgressifs. De plus, le degré de provocation et de combativité des actions menées est à replacer dans le contexte des années 2000, lui-même caractérisé par une forte militarisation du conflit et par une tendance à la criminalisation des initiatives de résistances conjointes, non plus sur un plan légal comme ce fut le cas entre 1986 et 1993, mais sur un plan stratégique44. Sans aller jusqu’à affirmer que la radicalité des protestations et des acteurs mobilisés est proportionnelle à la violence de la répression, on peut tout de même supposer qu’une dynamique de réciprocité n’est pas à négliger dans l’analyse de l’évolution du militantisme israélien. 24 Par ailleurs, toutes les initiatives militantes de la seconde Intifada – et elles furent relativement nombreuses – n’ont pas développé ces formes de protestation inspirées des registres de l’action directe non-violente et de la désobéissance civile. Certains groupes ont même tenté de maintenir une position relativement consensuelle, en s’appuyant sur des cadres culturellement résonants pour reprendre la terminologie de Snow et Benford45. Ainsi Machsom Watch (mélange de l’hébreu machsom : barrage et de l’anglais watch : observer), créé par des femmes pour surveiller le comportement des soldats aux checkpoints, mobilise un discours sur la défense des droits de l’homme susceptible d’être entendu d’un point de vue plus humanitaire que politique. Ha’Ometz Lesarev (« Le courage de refuser ») groupe de Refuzniks qui, de 2002 à 2005, se chargea de collecter les signatures d’Israéliens refusant de servir dans les territoires occupés, insistait sur le profond sionisme de ses membres, sur leur attachement à l’armée israélienne et leur croyance dans sa moralité. Enfin Shovrim Shtika(« Briser le silence »)

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 103

est une organisation qui recueille, depuis 2005, des témoignages de soldats ayant servi pendant la seconde Intifada dans les territoires occupés sans toutefois appeler au refus et qui tente d’alerter, par le biais de tours, sur la situation humanitaire catastrophique des Palestiniens vivant dans le secteur H246 d’Hébron. Ces trois groupes ont fait l’objet de critiques de la part d’autres militants anti-occupation qui leur reprochaient souvent leur manque de coopération avec les Palestiniens, ainsi qu’un certain machisme et un attachement aux valeurs militaires pour les deux derniers. Quand à Machsom Watch, composé exclusivement de femmes, on lui reprocha de chercher à « humaniser les checkpoints » au lieu d’en combattre l’existence. 25 Il semble intéressant de noter que ces trois organisations donnèrent chacune naissance à de nouvelles initiatives militantes. D’anciens membres d’Ha’Ometz Lesarev s’associèrent à des Palestiniens qui avaient lutté pour leur libération nationale pour créer en 2005 le groupe des « Combattants pour la paix ». Proches au départ d’un groupe de dialogue, ils ont rapidement participé et même organisé des activités de solidarité dans les territoires occupés. Du côté de Shovrim Shtika, on a pu constater la création, par quelques membres, d’un petit groupe ad hoc, Bnei Avraham (« Les fils d’Abraham ») dans le but d’organiser des actions de terrain avec les Palestiniens. Celui- ci est extrêmement restreint dans ses effectifs comme dans ses activités mais il témoigne encore une fois d’une volonté de dépasser la séparation imposée entre Israéliens et Palestiniens. Enfin, Machsom Watch a connu un développement inverse puisque certaines de ses militantes furent à l’origine de la naissance d’une organisation institutionnalisée : Yesh Din (« Il y a une justice »). Comprenant des volontaires mais aussi une équipe de professionnels spécialisés, cette ONG se charge d’aider les Palestiniens des territoires à lutter sur le plan légal contre les injustices et les violations des droits de l’homme dont ils sont victimes. Bien que la coopération ne soit pas aussi horizontale que dans le cas des « Combattants pour la paix » par exemple, le grand changement entre Machsom Watch et Yesh Din a été de passer des checkpoints où les volontaires sont en position d’observatrices aux villages, où ils/elles sont accueillis en hôtes par les Palestiniens dont ils viennent recueillir les témoignages. C’est donc à la période où la volonté de séparation atteint son paroxysme avec la construction d’un mur/barrière que les contacts entre Israéliens et Palestiniens engagés à des degrés divers contre l’occupation semblent être devenus l’un des éléments centraux de la lutte.

Conclusion

26 Début novembre 2008, on pouvait lire dans un article du quotidien Ha’aretz que l’armée israélienne avait demandé à la police et au ShinBet47 de lui fournir des informations sur les militants de gauche se rendant dans les territoires occupés et accusés de « perturber la paix de la région en menant des activités violentes ». Jusqu’à présent, parmi les Juifs israéliens, seuls les activistes d’extrême-droite suspectés de planifier des attentats avaient été l’objet de telles mesures. Le parallèle est intéressant en cela que la violence dont on accuse les opposants à l’occupation n’a rien de comparable avec celle dont se sont montrés capables leurs rivaux, mais surtout car celle-ci ne porte pas nécessairement sur leurs actions les plus génératrices de violence48. Des activités comme les récoltes d’olive en territoires occupés ou les tours à Hébron sont aussi désignées comme subversives et dangereuses. Au mois de mai dernier, un officier de

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 104

police de cette ville avait ainsi décrit les militants de Bnei Avraham et de Shovrim Shtika comme « plus dangereux que leurs opposants de droite » ajoutant qu’il s’agissait de « loups déguisés en brebis ». Ces exemples sont révélateurs de la manière dont les activités d’opposition à l’occupation et la coopération avec les Palestiniens ont pu être criminalisées ces dernières années. Cela nous amène à dire que la radicalisation prêtée à ces groupes est avant tout le fait d’un travail de labellisation mené par les autorités étatiques ainsi que le produit d’un rapport de force de plus en plus difficile avec l’armée et la police, rendant les répertoires d’actions d’autant plus transgressifs.

27 Par ailleurs, force est de constater que les revendications des militants anti-occupation se sont heurtées, ces dernières années, à une hostilité croissante qu’il serait intéressant d’analyser plus que nous n’avons pu le faire ici à la lumière de ce que Koopmans et Statham nomment la « structure des opportunités discursive »49. Cette expression, inspirée des travaux sur la « structure des opportunités politiques »50, désigne les représentations culturelles dominantes avec lesquelles les revendications d’un mouvement social doivent entrer en résonance pour espérer gagner visibilité et légitimité dans l’espace public. Ainsi, à une période comme la seconde Intifada où presque tous les Israéliens ont été touchés de près ou de loin par le terrorisme, ont vécu dans la peur pour eux-mêmes ou pour leurs proches, puis ont constaté avec soulagement une baisse significative des attentats suicide, coïncidant avec la construction de la barrière de séparation51, la structure des opportunités discursives était très peu favorable à des cadrages évacuant la question de la sécurité au profit d’une opposition de principe avec l’idée de séparation. Ce facteur doit donc être pris en considération pour comprendre la radicalisation dont ont été accusés les militants de gauche. 28 Le mouvement anti-occupation pourrait être schématisé sous la forme de trois cercles concentriques, le premier représentant le petit noyau de militants très actifs (ceux qui se mobilisent chaque semaine), le second celui des militants potentiellement mobilisables pour des occasions ponctuelles et le troisième celui des sympathisants à la cause qui ne militent pas ou plus activement sauf de manière exceptionnelle (ex : pendant la seconde guerre du Liban ou pour les commémorations de l’occupation). Les effectifs de ces trois cercles sont difficiles à chiffrer, d’autant que beaucoup de militants sont multipositionnés52, c’est-à-dire qu’ils gravitent autour de plusieurs groupes et que leurs degrés d’engagement ne sont pas forcément comparables. Ce qui semble néanmoins clair c’est qu’ils ont considérablement diminué pendant et après la période d’Oslo, en particulier dans les deux cercles des « occasionnellement » et « exceptionnellement mobilisables ». En effet, là où les mobilisations contre la première guerre du Liban étaient parvenues à rassembler jusqu’à plusieurs centaines de milliers de personnes, celles qui ont accompagné la seconde à l’été 2006 atteignirent difficilement les quelques milliers de manifestants. Parallèlement, les militants appartenant au petit noyau le plus actif sont plus mobilisés aujourd’hui que jamais. Si les manifestations contre le mur amènent rarement plus de quelques dizaines d’Israéliens, elles se renouvellent néanmoins toutes les semaines, parfois plusieurs fois et en différents lieux. L’« évaporation » du mouvement pacifiste de masse a ainsi donné d’autant plus de visibilité aux mobilisations ayant une dimension subversives et provocatrices de part leurs revendications, leurs répertoires d’actions, mais aussi et surtout de part une coopération de terrain affichée et revendiquée avec des partenaires palestiniens.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 105

NOTES

1. Notamment Reuven Kaminer. 1996. The Politics of Protest. The Israeli Peace Movement and the Palestinian Intifada. Brighton: Sussex Academic Press – Mordechai Bar-On. 1996. In pursuit of Peace. A history of the Israeli peace movement. Washington DC: United States Institute of Peace Press ; ainsi que les travaux de Tamar Hermann. 2. On peut citer par exemple : Daniel Dor. “Is there anything we might call dissent in Israel? And if there is, why isn’t there?” Critical Inquiry. Vol. 32. N° 2. Winter 2006 - Neve Gordon. « The Israeli Peace Camp in Dark Times ». Peace Review. Vol 15. N° 1. Mars 2003 – Paul Kessler « The Ongoing struggle of the Israeli Peace Camp » European Judaism. Vol. 35. 2002 – Ofira Seliktar. “Tenured Radicals” in Israel: From New Zionism to Political Activism”. Israel Affairs. Vol. 11, Issue 4. Oct. 2005. 3. Tamar Hermann. « The Sour Taste of Success. The Israeli Peace Movement. 1967-1998 ». In Benjamin Gidron, Stanley Katz, Yeheskel Hasenfeld. (Ed.) 2002. Mobilizing for Peace. Conflict Resolution in Northern Ireland, South Africa and Israel/Palestine. New York: Oxford University Press. p. 96. 4. Lilian Mathieu. 2004. Comment lutter ? Sociologie et mouvements sociaux. Paris : Textuel. p. 19. 5. Nous avons pris le parti de donner les noms des groupes et mouvements dans leur langue originale (l’hébreu sauf précision contraire) avec traduction entre parenthèses, sauf lorsqu’ils désignent les militants eux-mêmes (ex : les « Rabbins pour les droits de l’homme » ; les « Anarchistes contre le mur »), ou l’organisation (ex : « Le Mouvement pour la Paix et la Sécurité » ; « Le comité public contre la torture », etc.) auquel cas on utilisera des guillemets. 6. Israël conquit la Cisjordanie, la bande de Gaza, Jérusalem est, le Sinaï ainsi que le plateau du Golan. Le Sinaï fut rendu à l’Egypte suite à un traité de paix signé en 1979 et la bande de Gaza évacuée en août 2005. 7. C’est-à-dire la terre d’Israël dans ses frontières bibliques, comprenant toute la Palestine mandataire et même au-delà. 8. Mordechai Bar-On. 1996.Op. cit, p. 60. 9. Lettre des Officiers publiée en mars 1978 et consultée sur le site de Shalom Ah’shav le 20 août 2008. URL: http://www.peacenow.org.il/site/he/peace.asp?pi=43&docid=62 10. Ce mouvement est apparu suite à la conquête des territoires palestiniens (bien qu’il n’ait été fondé formellement qu’en 1974 par le rabbin Kook) pour promouvoir l’établissement de colonies juives sur tout le territoire contrôlé par Israël. Pour plus de précisions, se reporter à Ian S. Lustick 1988. For the Land and the Lord. Jewish Fundamentalism in Israel.Council of Foreign Relations Press. 11. Petit parti israélien antisioniste apparu dans les années 70 d’une scission avec le parti Communiste. 12. Dans un document non daté cité par Reuven Kaminer que l’auteur identifie comme écrit aux alentours de mars 1980, on peut même lire : « La Paix Maintenant n’a jamais demandé un retour aux frontières de 67 ni la création d’un État palestinien. Le principal intérêt du mouvement est la sécurité de l’État d’Israël ». Reuven Kaminer. 1996. Op. cit., p. 24. 13. Une nouvelle division de l’armée israélienne chargée de s’occuper de certains aspects administratifs de l’occupation. 14. Reuven Kaminer. Op. cit., p. 34. 15. Propos rapportés par Michel Warschawski dans un texte paru à l’occasion du décès de Daniel Amit : « Architect of Unity: Daniel Amit (1938-2007) ». 7 novembre 2007. 16. Tamar Hermann. 2002. Op. cit., p. 101.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 106

17. Nous ne détaillerons pas les mouvements formés à l’occasion de la guerre du Liban, les revendications concernant un retrait des troupes israéliennes de ce pays et non pas des territoires occupés bien que, souvent, les deux furent liées. 18. Par opposition aux guerres dans lesquelles Israël fut attaquée et pour lesquelles on a coutume d’utiliser l’expression Ein Breh’a (« Il n’y a pas le choix »). 19. Reuven Kaminer. 1996. Op. cit., p. 47. 20. Avishai Margalit. 1998. Views in Review: Politics and Culture in the State of the Jews. New York : Farrar, Straus and Giroux. p. 157. 21. Naomi Chazan. 1991. Op. cit., p. 153. 22. Mordechai Bar-On. 1996. Op. cit., p. 183. 23. Il s’agit notamment de Ha’Moked (« Le centre d’appel ») organisation de défense des droits de l’homme fondée en 1988 pour venir en aide aux Palestiniens victimes de violation des droits de l’homme ; B’Tselem, créée en 1989 pour devenir le « Centre israélien d’information pour les droits de l’homme dans les territoires occupés » ; les « Médecins pour les droits de l’homme » (1989) ; ICAHD (« Comité israélien contre la démolition de maisons ») ; ou encore les « Rabbins pour les droits de l’homme » (1988). Notons que ces deux derniers groupes, classés ici parmi les organisations de défense des droits de l’homme se distinguent par le fait qu’elles organisent également des actions de désobéissance civile faisant appel à des volontaires de l’extérieur. 24. Reuven Kaminer. Op. cit., p. 52. 25. Traduction de la version en hébreu de la « Convention ». 26. Le refus sélectif renvoie au fait d’accepter de servir uniquement à l’intérieur des frontières reconnues d’Israël (et non au-delà de la Ligne verte ou au sud Liban). 27. Michael Rotem. « In Jail. Anti-occupation protesters stay in custody ». Article paru le 29 mai 1989 dans un journal anglophone non-identifié (archives scannées sur www.israeli-left- archive.org). 28. Reuven Kaminer. 1996. Op. cit., p. 224. Note n° 1. 29. Notamment Fayçal Husseini, qui fut placé suite à cette rencontre en détention administrative ce qui poussa Shalom Ah’shav à se mobiliser en faveur de sa libération. En général, Shalom Ah'shav se lia avec des leaders politiques palestiniens, du Fatah principalement mais développa peu d’autres contacts. 30. Éditorialiste de l’hebdomadaire HaOlam HaZeh (« Ce monde-ci ») de 1953 à 1993, et député à la Knesset de 1965 à 1973 puis de 1979 à 1981. 31. Site internet du Gush Shalom. URL : http://zope.gush-shalom.org/home/en/about/ general_info. Consultée le 28 août 2008. 32. Dany Rabinowitz. “Natives with jackets and degrees: Othering, objectification and the role of in the co-existence field in Israel”. Social Anthropology. 2000. Vol. 9. No 1, p. 65-80. 33. Tamar Hermann. Op. cit., p. 94-95. 34. Dany Rabinowitz. 2001. Op. cit., p. 77. 35. Cf. Blandine Destremau. « Fragmentation territoriale et problème d’intégration : le cas palestinien ». In Luc Cambrezy, Joël Bonnemaison et Laurence Quinty-Bourgeois. 1999. La nation et le territoire. Paris : L’Harmattan. 36. Alain Dieckhoff et Rémy Leveau. 2003. Israéliens et Palestiniens. La guerre en partage. Paris : Balland. p. 9. 37. Surnom de Benyamin Netanyahou en Israël. 38. Entre 1993 et 2000, 171 civils israéliens furent victimes d’attentats. Pendant la même période, 385 civils palestiniens furent tués par l’armée israélienne. Cf. Sylvain Cypel. Op. cit., p. 233. 39. Notamment Robert Malley qui était à l’époque l’un des organisateurs américains du sommet. Celui-ci a publié plusieurs articles dénonçant l’unilatéralité des accusations. Voir notamment un article écrit avec Hussein Agha. « Camp David : the Tragedy of Errors ». The New York Review of Books. August 2001. Vol. 48. N° 13. Voir également les analyses de Charles Enderlin décrivant le

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 107

déroulement des négociations : Charles Enderlin. 2002. Le rêve brisé : Histoire de l’échec du processus de paix, 1995-2002. Paris : Fayard. 40. Il a ainsi mis en place un « projet de surveillance des colonies » pour recenser les colonies existantes, en expansion et les avant-postes illégaux. 41. Cette idée avait été évoquée en premier lieu par les travaillistes dans les années 90. 42. À certaines périodes, ce sont deux voire trois manifestations palestiniennes par semaine auxquelles se joignent des « Anarchistes contre le mur » (parfois une poignée d'entre eux) et cela sans compter les autres activités militantes. Cette capacité de mobilisation s’explique par le fait que ces militants appartiennent souvent à des milieux à fort « potentiel de temps libre », comparables à ceux décrits par Mac Carthy et Zald pour « les professionnels de la contestation ». John D. McCarthy et Mayer N. Zald. “Resource Mobilization and Social Movements: A Partial Theory”. American Journal of Sociology. 1977. Vol. 82. N° 6. p. 1212-1241. 43. Traduction française de l’expression anglaise « critical mass », qui désigne un rassemblement important de cyclistes en centre ville, destiné à ralentir fortement la circulation et véhiculant parfois un message politique. 44. L’usage de la « zone militaire fermée » pour interdire la présence d’une certaine catégorie de personnes dans une zone donnée date certes des années 50 mais il a été fortement répandu pendant la seconde Intifada pour contrôler et tenter d’empêcher les actions rassemblant des Israéliens et des Palestiniens. 45. David A. Snow et Robert D. Benford. 1988. “Ideology, Frame Resonance and Participant Mobilization”. International Social Movement Research. Vol. 1. p. 197-217. 46. La plus grande partie d’Hébron (H1) est sous administration palestinienne, comme toutes les autres villes de Cisjordanie depuis Oslo. La seconde partie (H2) où vivent environ huit cents colons protégés par l’armée et la police ainsi que près de trente mille Palestinien est sous contrôle israélien. 47. Les services secrets intérieurs. 48. Comme les manifestations contre la barrière, violentes du point de vue de la répression de Tsahal mais également des incidents survenant en aval comme les jets de pierre auxquels se livrent souvent les jeunes des villages. 49. Ruud Koopmans et Paul Statham. 2000. Challenging Immigration and Ethnic Relation Politics: Comparative European Perspective. Oxford: Oxford University Press. 50. Cf. les travaux de Sydney Tarrow (1994) et de Hanspeter Kriesi (1995). 51. Nous ne postulons pas ici un rapport de causalité direct entre la baisse des attentats suicides et la construction de la barrière. Nous constatons juste que pour la plupart des Israéliens les deux phénomènes sont liés. 52. Pour reprendre une expression utilisée notamment dans une étude sur les militants alter- mondialistes. Cf. Olivier Fillieule et. alii. « L’altermondialisme en réseaux. Trajectoires militantes, multipositionnalité et formes de l’engagement ; les participants du contre-sommet du G8 d’Evian » In Politix. Dossier « Militants de l’altermondialisation ». 2004. Vol 17, p. 68.

RÉSUMÉS

Dès les années suivant la conquête des territoires palestiniens par Israël lors de la guerre des Six jours de 1967, des groupes militants ont commencé à se mobiliser, dans ce pays, pour mettre en

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 108

garde contre les dangers de l’occupation sur le long terme et pour appeler à échanger les territoires nouvellement conquis contre des frontières sûres. Parmi eux, le plus connu est probablement Shalom Ah’shav (« La paix maintenant »), fondé en 1978 par des officiers réservistes pour influencer les négociations de paix entre l’Egypte et Israël. Souvent présenté comme le représentant le plus légitime du « camp de la paix » israélien, ce mouvement est pourtant loin de recueillir l’adhésion de tous ceux qui se mobilisent contre l’occupation, notamment depuis le déclenchement de la seconde Intifada. Cette période a en effet constitué, comme cet article le montrera, un moment de rupture dans l’histoire des mouvements pacifistes israéliens, amenant des formes de protestation plus subversives à se développer au sein de nouveaux groupes militants, tandis que le mouvement de masse qui avait existé jusqu’alors se disloquait. Elle a par ailleurs contribué à raviver l’opposition modérés/radicaux, souvent présentée comme principale ligne de fracture d’un camp de la paix qui serait divisé entre d’un côté des pacifistes patriotes, inquiets du risque de corruption morale lié à l’occupation et de l’autre des militants non- voire antisionistes préoccupés principalement par le sort des Palestiniens. Nous verrons ici que cette dichotomie modérés/radicaux présente des limites de taille et qu’elle ne peut s’envisager que dans une perspective structurelle et dynamique. Ainsi, nous montrerons que la radicalisation prêtée à de nombreux militants et initiatives de la seconde Intifada est avant tout le fait d’un travail de labellisation mené par les autorités étatiques et par les médias, ainsi que le produit d’un rapport de force sur le terrain de plus en plus difficile avec les représentants de l’ordre, contribuant à rendre les répertoires d’actions d’autant plus transgressifs. Cet article présentera divers groupes et organisations qui ont contribué à écrire l’histoire du mouvement pacifiste israélien, de manière non-exhaustive et suivant un développement chronologique. La première partie sera consacrée aux années succédant la conquête des territoires palestiniens, caractérisées par des mobilisations pacifistes à caractère sécuritaire (« le Mouvement pour la paix et la sécurité », Oz Ve’Shalom, « la Paix Maintenant », etc.) mais aussi par la première initiative de protestation israélo-palestinienne conjointe (le « Comité de solidarité avec l’Université Bir Zeit »). Dans un second temps, nous examinerons la période des années 80 marquée par la guerre du Liban puis par la première Intifada, et qui vit l’émergence d’un mouvement pacifiste de masse. Celui-ci se caractérisa notamment par l’apparition de nombreuses organisations créées dans le but de défendre les droits de l’homme (HaMoked, les « Rabbins pour les droits de l’homme », ICAHD, B’Tselem, etc.), mais aussi de groupes dénonçant, de manière plus ou moins subversive, l’occupation et ses conséquences sur la société israélienne (Daï La’Kibush, The 21st Year, les « Femmes en Noir », etc.). Oslo constitue évidemment un moment charnière pour le camp de la paix israélien puisque le projet pour lequel celui-ci s’était mobilisé sembla sur le point d’aboutir pour finalement échouer radicalement. Suite à l’espoir suscité par les négociations entre le gouvernement israélien et l’OLP, la dégradation très rapide de la situation sur le terrain (assassinat d’Yitzhak Rabin, massacre commis par Baruch Goldstein à Hébron, intensification de la colonisation, bouclages répétés en Cisjordanie, reprise des attentats- suicides, etc.) provoqua une déception amère des deux côtés. Lorsque, en juillet 2000, Ehud Barak revint de Camp David en déclarant qu’Arafat avait rejeté la paix qui lui était proposée puis lorsqu’éclata la seconde Intifada quelques mois plus tard, le mouvement pacifiste acheva de s’effondrer. Il fallut attendre quelques mois pour qu’apparaissent de nouveaux groupes dénonçant la violence de la répression israélienne. Nous aborderons cette dernière partie à travers la présentation de certains d’entre eux (Ta’ayush, Machsom Watch, les « Anarchistes contre le mur », Shovrim Shtika, les « Combattants pour la paix », Bnei Avraham) qui, au-delà de leurs différences, ont comme caractéristique de s’être heurtés, ces dernières années, à l’hostilité croissante d’une majorité de la population israélienne. Nous montrerons également que la disparition du mouvement de masse a contribué au développement de répertoires d’actions mettant en avant la coopération de terrain avec des partenaires palestiniens, et amenant ainsi

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 109

plus fréquemment les militants engagés à des confrontations avec les détenteurs du monopole de la violence légitime.

From“peace movement” to “anti-occupation mobilizations” in Israel Materials for a reflection about activism against the occupation since 1967 to this day. Since the years following the conquest of Palestinian territories by Israel in its 1967 "Six Day" War, activist groups have repeatedly formed in this country and warned of the dangers harbored by long-term occupation, calling out to give up the newly conquered territories in return for secure borders. Among them, the best-known is probably “Peace Now”, founded in 1978 by reserves officers in order to influence the peace negotiations then taking place between Egypt and Israel. Although it is often presented as the most legitimate representative of Israel's so- called 'peace camp', many Israelis involved against the occupation don’t identify with its positions, especially since the outbreak of the Second Intifada. As this article shows, this period actually generated about a rupture in the history of the Israeli anti-occupationmobilizations, introducing forms of more subversive protest by new activist formations, while the more massive movement that existed until then all but disappeared. It has, moreover, contributed to reinforce the existing opposition of moderates versus radicals, often presented as a principal dividing line within the peace camp, separating patriotic 'peaceniks' on the one hand, concerned with the risk of moral corruption associated with long-term occupation, and on the other hand non- or even anti-Zionistactivists principally concerned with the fate of the Palestinians. We shall see here that this 'moderates vs. radicals' dichotomy is unsatisfactory and that it cannot be regarded other than in a structural and dynamic perspective. Thus, we shall show that the radicalization ascribed to many activists and initiatives during the Second Intifada years is, first and foremost, an act of labeling on the part of state authorities and the media, but also the result of the actual relations on the ground with the law enforcers, that become more and more problematic and contribute to the escalation in the use of force. This article presents various groups and organizations that have contributed to the history of the Israeli peace movement, non-exhaustively and in chronological sequence. The first part will be devoted to the years immediately following the occupation of Palestinian territories, characterized by more security-minded trends of action (“The Movement for Peace and Security”, Oz Ve'Shalom, “Peace Now”, etc.), but also the beginnings of joint Israeli-Palestinian protest (“The Committee of Solidarity with Bir Zeit University”). The second period to be examined is that of the 1980s, marked by the Lebanon War and, subsequently, the First Intifada, witnessing the emergence of a peace mass-movement. This was characterized notably by the appearance of several organizations created for the defense of human rights (HaMoked, “Rabbis for Human Rights”, ICAHD, B'Tselem etc.), but also groups more or less subversively denouncing the occupation and its consequences within Israeli society (Dai La'Kibush, “The Twenty-First Year”, “Women in Black”, etc.). The Oslo Accords period constitutes a decisive moment for the Israeli peace camp, for the goal towards which it had been committed seemed about to be realized but eventually failed completely. Hope kindled by negotiations between the Israeli government and the PLO, was followed by rapid decline on the ground (the assassination of Yitzhak Rabin, the massacre perpetrated by Baruch Goldstein in Hebron, the intensification of Israel's colonization project, repeated closures of the West Bank, suicide bombings etc.), generating deep and bitter disappointment on both sides. When, in July 2000, Ehud Barak came back from Camp David and announced that Arafat had rejected peace which was offered to him, and several months later the Second Intifada broke out, the collapse of the peace movement was complete.Several months had to pass until new groups would appear on the scene, denouncing the Israel violent reaction. We shall tackle this last part by presenting several of them (Ta'ayush, Machsom Watch, “Anarchists Against the Wall”, Shovrim Shtika, “Combatants for Peace”, Bnei Avraham) who, in spite of their difference, share to have encountered a growing hostility amidst

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 110

the majority of the Israeli population. We shall also show that the disappearance of the mass- movement contributed to the development of repertoires of contentious actionsthat promote cooperation on the ground with Palestinian partners, thus frequently placing activists in confrontation with the law enforcers.

INDEX

Mots-clés : Pacifistes, camp de la paix, militants israéliens, mouvement anti-occupation Keywords : Peace camp, Israeli activists, anti-occupation movement, pacifists

AUTEUR

KARINE LAMARCHE

Karine Lamarche est doctorante en sciences sociales à l’École Normale Supérieure et à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, et membre du Centre Maurice Halbwachs. Elle prépare une thèse sous la direction de Michel Offerlé, portant sur les mobilisations d’Israéliens contre l’occupation pendant la seconde Intifada. Elle a reçu une bourse de trois mois au CRFJ en 2006 et elle est actuellement ATER à l’Université Lille III.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 111

Entre exotisme et nostalgie Florentin : globalisation d’un quartier « authentique »

Caroline Rozenholc

Florentin : un ailleurs dans la ville 1 Au début des années 1990, la municipalité de Tel-Aviv Jaffa, sollicitée par un groupe d’habitants de Florentin, décide d’investir dans ce quartier. Florentin est alors un des quartiers les plus pauvres de la ville et, comme l’ensemble de la zone administrative sud, dans un état de forte dégradation1. À Florentin, cette dégradation est encore renforcée par la présence de petites industries, souvent illégales et polluantes, installées dans des appartements réaménagés à cet effet2. La municipalité perçoit pourtant le potentiel du quartier et tente d’inverser des tendances qui, en trente ans, auront vidé Florentin de près de la moitié de sa population3. De 1992 à 1995, près de 4,5 millions de dollars seront donc injectés dans une importante campagne de communication et de revitalisation4 : publicité, pavage de rues et rénovations de bâtiments, création d’un centre communautaire, aide au logement, etc. Les réhabilitations réussies des quartiers de Neve Tseddek et de Sheinkin5 encouragent la municipalité à « remettre Florentin sur la carte »6. Pourtant, en 1996, une crise économique qui touche de plein fouet l’immobilier met un terme à ces aménagements, et le souffle retombe.

2 En 1997, le réalisateur israélien Eytan Fox – plus connu aujourd’hui pour son film « The Bubble » – innove avec une chronique télévisée de la jeunesse israélienne7 : « Florentin »8. Durant trois années, cette série, avec le quartier en toile de fond, va obtenir une audience nationale. Et son succès va consacrer Florentin comme un espace « à part », en le faisant émerger de plusieurs décennies de marginalisation comme le quartier le plus connu de Tel-Aviv9. Paré d’une aura d’urbanité et d’exotisme, Florentin devient emblématique d’une certaine culture israélienne : celle d’une génération qui tout en étant ancrée dans la réalité du pays se projette au-delà de ses frontières. Et en un saut d’échelles10 inattendu, Florentin devient Soho ou East Village ; le générique de la série – Khaï be Florentin – ne dit-il pas « j’habite à Florentin et rêve de New York City » ? Ce lieu, au moment où il devient plus largement signifiant, devient donc également « porteur d’autre chose que de lui-même »11. Ainsi, produit par ces

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 112

circulations de sens, le label « Florentin » est créé et Florentin, plus qu’un emplacement, devient une « déclaration d’intention »12. Réflexion ancrée dans un quartier en mouvement 3 Florentin : quartier bohème13, quartier pauvre, quartier industriel et industrieux mais quartier de loisirs aussi… Florentin est un espace à « entrées » multiples ; tour à tour central, espace tampon entre deux entités distinctes et imbriquées14, ou marginal – quoi que toujours à quelques minutes du boulevard Rothschild et de la rue Allenby –, aujourd’hui quartier effervescent, animé d’une fièvre immobilière rythmée par les transformations qu’impulsent les investisseurs15. Ainsi, alors qu’à présent ce sont les changements qui sont les plus visibles, les traces déposées par chaque époque, chaque vague de populations ayant traversé cet espace, ne sont pas moins présentes. Certaines n’apparaissant d’ailleurs qu’avec les mutations en cours, quand s’ouvrent des interstices dévoilant des pans oubliés de l’histoire du quartier16. Florentin est donc un lieu, une scène, ou le théâtre d’enjeux sans cesse renouvelés. À toutes ces dimensions, il faut encore ajouter celle du « regard extérieur » puisque ce quartier fait aussi sens pour ceux qui n’y résident pas ; les téléspectateurs, les utilisateurs réguliers ou occasionnels venant des quartiers Nord ou de Jaffa. Regards aussi de ceux qui y travaillent et qui contribuent à « identifier-édifier »17 Florentin. 4 Devant cette multiplicité, et à défaut de pouvoir en immobiliser la réalité18 ou d’embrasser l’ensemble des problématiques que celle-ci suggère, il faut, pour l’appréhender, fragmenter cet espace19. Dans cet article, c’est donc surtout de « l’entité Florentin » dont il sera question. Et du sens que cette entité prend comme quartier, comme espace de vie et comme ancrage d’une communauté ; mais aussi comme communauté ancrée territorialement, puisque « les concepts de communauté et de quartier sont souvent synonymes »20. C’est si vrai que l’intérêt théorique de la notion de quartier fait écho, dans le cas de Florentin, et plus généralement de Tel-Aviv, au développement même de la ville. Créée comme un quartier21 celle-ci agglomère et rassemble22 en effet progressivement des « voisinages » qui, pour certains, la précèdent et sont issus le plus souvent de vagues d’immigrations liées à une population ou à une origine géographique spécifique23. Le quartier est donc l’espace de la circulation et de proximité, de la communauté d’origine et de destins parfois quand, en hébreu, le mot de quartier fait plutôt appel à la notion de voisinage24 qu’à celle de portion de ville25. L’analyse, resserrée autour de cette problématique, permet alors de poursuivre – à l’échelle du lieu de vie – la réflexion sur l’agencement individuel et collectif des composantes identitaires et spatiales. Quand le quartier est lieu d’ancrage, de la pratique spatiale, de la représentation de l’espace26 mais aussi celui du mouvement et des circulations. Comment donc aborder cette question de lieux identifiés et d’identification aux lieux quand, justement, l’idée de leur disparition au profit de l’émergence de « non-lieux »27, de la dissolution des territoires imprègne profondément nos cadres de pensée ? 5 En s’appuyant sur une discussion des notions de quartiers et de voisinage comme entité ou « portion de vie collective découpée dans l’ensemble de l’agglomération » (MacKenzie, 1921), cet article souhaite contribuer au débat sur l’articulation social/ spatial dans la mondialisation. Dans ce sens, un travail de terrain de plusieurs années à Florentin semble indiquer une troisième voix, médiane, entre celle qu’expriment les tenants de la fin des territoires, placés du côté des hyper-mobilités et des réseaux, et celle de l’ancrage local comme composante indispensable du rapport à l’espace

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 113

(Feloneau, Marchand et Fleur-Bahi, 2005)28. En effet, en s’appuyant sur des entretiens29 développés autour des notions géographiques de quartiers-lieux de vie, des formes d’enracinement contemporain se dessinent qui englobent les dimensions spatiales et temporelles, idéelles et relationnelles. Des espaces comme Florentin indiquent la mise en présence « d’époques » plutôt que leur succession, et la démultiplication du sens du lieu, ouvert mais contenu dans des « limites » flexibles. La question de l’atmosphère propre à certains lieux joue en plein dans la réalité d’espaces de vie, ici et maintenant, qui se trouvent d’autant plus matérialisés qu’ils se doublent d’ailleurs, ou « d’antériorité », dans lesquels se projeter. Le lieu significatif serait donc aujourd’hui celui qui à la capacité d’évoquer d’autres lieux, et à contenir ces « autres » du lieu. Nous réfléchirons donc aux lieux comme à des espaces signifiants et signifiés30, et qui fonctionnent comme caisses de résonance des différentes échelles de sens. Florentin fait-il quartier ? 6 Mais si le quartier renvoie à un espace autant qu’à une population31, quel espace Florentin constitue-t-il aujourd’hui ? Son atmosphère, faite de profondeur historique, de dynamisme économique et culturel et d’un tissu urbain dégradé, participe de son identification comme entité distincte. Radicalement différent, Florentin se démarque des quartiers Nord de la ville mais aussi, et c’est plus surprenant, des quartiers qui lui sont adjacents, Shapira ou Neve Sheanan. Là encore, une autre architecture, une autre population. Florentin semble donc se dresser entre Tel-Aviv et Jaffa, dans un espace incertain et pourtant délimité. Comment alors expliquer ce quartier, les télescopages qui s’y produisent, en termes d’activités et de population ? 7 Le présent de ce quartier ne se « comprend pleinement que resitué dans son épaisseur temporelle – autrement dit en tenant compte des différents « temps sociaux » dont il est partie prenante »32. En particulier parce que Florentin aura été longtemps un quartier juif de Jaffa, une frontière ou un front, une zone d’entre-deux dans tous les cas ; peut-être même un « espace tiers »33. Nous tenterons donc une « géohistoire » de Florentin pour réinscrire un des quartiers les plus divers et les plus cosmopolites d’Israël, un des quartiers de la ville noire34, dans la ville. L’y replacer amène à une meilleure appréhension de sa valeur urbaine, en même temps qu’elle enrichit l’histoire nationale35 d’espaces encore tenus à l’écart de l’historiographie de Tel-Aviv. Cela étant, et alors que Florentin est un quartier clairement délimité par de grands axes routiers (les rues Salame, Ha’alyah, Yaffo, Elifelet), une navigation dans les documents d’archives met en évidence des ruptures à l’intérieur même de cet espace. Qu’est-ce à dire ? À la lecture des documents d’archive, Florentin se révèle comme un assemblage de plusieurs quartiers, construits à des époques et dans des contextes différents. Qui, s’ils constituent aujourd’hui un tout, sont de fait véritablement « à cheval » sur deux plans d’urbanismes. Comment alors poser la question du « quartier » dans ce quartier qui n’en est pas un ? Comment penser un quartier divisé en plusieurs plans d’urbanisme ? Un quartier qui a avalé une frontière entre deux municipalités dont la conquête de l’une par l’autre continue d’influencer leur destin commun.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 114

Figure 1

À gauche : Florentin encadré sur un extrait de carte de Tel-Aviv, échelle fgurée 788 m (source : Municipalité de Tel-Aviv). À droite : Merkaz Mishari, Shrunat Volovelsky et Florentin : les trois quartiers qui constituent aujourd’hui Florentin. La ligne noire fgure la frontière entre les municipalités de Tel- Aviv et de Jaffa jusqu’en 1950. De fait, et bien que construit à Jaffa, Merkaz Mishari est régi par le plan TABA 44 de Tel-Aviv. Les quartiers Volovelsky et Florentin sont, eux, régis par le plan B Yaffo. Carte : C. Rozenholc (source : archives de la municipalité de Tel-Aviv ; carte au 1:1250, Survey of Palestine, 1934, révisé en 1936, carte district du Sud – sous-district de Jaffa, feuille 125-160 7 D)

8 Avant de « faire quartier », Florentin se constitue donc au cours de « moments », de conjonctions économiques et historiques, en commençant par la construction de Merkaz Mishari, littéralement le « centre commercial ». Merkaz Mishari constitue la partie nord de Florentin et sa construction même va, sans que cela ne soit perceptible aujourd’hui, à la fois découler d’évènements historiques majeurs et relever d’une décision politique décisive. En effet, jusqu’à la création de Merkaz Mishari, Tel-Aviv est une banlieue résidentielle. Et ce n’est qu’avec la construction du centre commercial qu’elle entame un tournant vers son indépendance. Cette transformation fait suite aux émeutes arabes qui éclatent à Jaffa en 1921 et dont l’une des conséquences presque immédiates est l’obtention de l’autonomie pour la jeune ville. Ce nouveau statut ne peut toutefois être entériné que par la déconnexion économique de Jaffa et, la même année, des commerçants juifs vont acheter une parcelle où développer commerces et de production, indépendamment de la ville arabe. Souhaitant maximiser leur achat, ces commerçants, constitués en association, s’installent à Jaffa pour échapper à la réglementation par trop contraignante de Tel-Aviv. Sans craindre le paradoxe de développer l’autonomie de la ville juive depuis Jaffa, Merkaz Mishari est donc construit en dehors des limites administratives de Tel-Aviv. Ce « détail » historique continue de porter à conséquence puisque dans ce quartier résidentiel toujours « spécial », selon l’appellation du plan d’aménagement de 1938, il n’y a ni espace public, ni jardin. Autre situation exceptionnelle : la municipalité, pas plus que le gouvernement, ne possède de terrain sur l’ensemble de la zone36. Les terrains sont restés privés, ce qui continue de freiner les aménagements municipaux.

9 Avec le développement de cette nouvelle entité, Tel-Aviv n’est plus un quartier résidentiel dont les activités économiques se déroulent à Jaffa mais une ville en voie d’autonomisation. Merkaz Mishari participe donc du changement de « nature » de Tel- Aviv, en même temps qu’il en accompagne la redéfinition « physique ». Construit en dehors de Tel-Aviv, Merkaz Mishari est très vite absorbé par celle-ci. Et alors que la ville tend à se développer vers le Nord, la construction et l’intégration de Merkaz Mishari est une avancée vers le Sud. En 1923, la frontière ne suit plus la ligne de chemin

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 115

de fer Jaffa-Jérusalem mais reprend le tracé sud de Merkaz Mishari. Cette frontière sera réaffirmée par les autorités du Mandat britannique en 1927 et demeurera la limite officielle jusqu’aux années 1950. En 1930, la construction de Merkaz Mishari est achevée. 10 Plus au Sud, le quartier Florentin, qui donnera son nom à l’ensemble du quartier, est construit par des entrepreneurs grecs originaires de Salonique. Si l’histoire précise du quartier n’est pas encore établie, il semble bien qu’à la fin des années 1920, David Florentin, fonctionnaire et propriétaire du journal sioniste El Avenir quitte Salonique 37, sa ville natale, pour la Palestine. Arrivé en 1926, il prend la tête de la communauté sépharade de Jaffa. En 1927, son fils, Salomon Florentin, associé à l’entrepreneur David Abarbanel, amorce la construction du quartier. Les documents existants38 indiquent que l’achat des parcelles sur lesquelles va se construire Florentin date de la fin des années 1920 et plus précisément de 1928. Les achats se poursuivent sur quelques années, jusqu’en 1935. Ces acquisitions progressives laissent supposer qu’il n’y a pas eu, dans un premier temps, de plan d’ensemble du quartier. Dans tous les cas, le quartier a bien été pensé comme un lieu où logements bon marché et ateliers se partagent les bâtiments. Un quartier où les migrants originaires des Balkans, et en particulier de Salonique, trouveraient à se loger facilement, en évitant toute spéculation foncière. Cette structure initiale – des logements familiaux et des ateliers –, comme ce « noyau pionnier », perdure aujourd’hui. Et dans cette partie du quartier, comme à Merkaz Mishari, les premiers étages sont occupés par des commerces ou des ateliers, alors que les étages supérieurs sont des logements.

Figure 2

Florentin 2008, au fond la tour Shalom

11 Florentin est constitué d’un troisième espace : Shkhunat Wolowelsky. Ce quartier est désigné aujourd’hui sous le nom de « zone industrielle ». Il se situe à l’Ouest du quartier et abrite des ateliers de charpentiers, de ferronniers et des garages. Mais aussi, depuis

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 116

quelques années, des habitations, quand certains de ces locaux ont trouvé un second souffle dans leur aménagement en lofts, par exemple. Si cette zone, largement industrielle, est par conséquent un peu à l’écart, c’est peut-être pourtant là que vont se jouer les transformations les plus radicales de l’ensemble du quartier. En effet, plusieurs projets immobiliers massifs semblent devoir bientôt s’y développer. Alors que la municipalité est chargée d’une planification d’ensemble, l’occupation du sol, ou plutôt l’organisation complexe de la propriété foncière, oriente cet espace vers une fragmentation en différents plans d’urbanisme et cinq projets distincts sont en voie d’être acceptés. En effet, cet espace de neuf hectares39 est constitué de plusieurs parcelles régies par un système de copropriété40. Le développement en revient à ses propriétaires, ce qui laisse le champ libre à diverses projections et à l’inquiétude des habitants et des usagers : It is and I think that actually the change that is about to take place in the infrastructure of the area is going to be, I think, devastating for artists. (…) well, all the area around here was sold recently to a property development company – Africa Israel – and it’s going to be built over so a lot of the things that we see around are not going to exist anymore 41.

Figure 3

« Africa-Israel42 en chemin pour détruire Florentin 1927-2008 » [Africa-Israel ba derekh laaros Florentin 1927-2008], Florentin, 2008

12 Finalement, on peut dire que Florentin a une histoire, mais qu’il en raconte plusieurs43. Toutes forment les différentes facettes d’une même réalité : celle d’un quartier, un espace de vie, inséré dans un contexte plus vaste et changeant. Mais dont le rythme de transformations s’est, récemment, radicalement accéléré. Florentin est donc un espace mouvant, inscrit dans un espace plus étendu, lui-même en transition, la ville globale de Tel-Aviv44. L’incursion dans les documents d’archives aura permis de mettre à jour à quel point les découpages administratifs qui nous semblent naturels sont, en réalité, le produit d’une histoire longue au cours de laquelle l’organisation administrative produit du territoire (Topalov, 2002)45. Elle aura aussi permis de mettre à jour et d’éclaircir certaines particularités signifiantes du quartier. Le quartier comme une unité d’analyse pertinente ?

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 117

13 La morphologie du quartier, l’héritage géographique et historique de ce lieu, continue de produire des effets. Mais quel sens revêt le quartier aujourd’hui pour ceux qui le parcourent et le vivent ? Et à l’heure de la mondialisation, des circulations accrues, des mobilités rapides, l’ancrage dans l’espace de vie physique fait-il toujours sens ? Comment ? Dans une société qui fonctionne en réseaux, est-on attaché à son lieu de vie, à son lieu d’habitation46 ? La proximité entre habitants et commerçants, la « vie de quartier », ne relève-t-elle plus que du « mythe nostalgique »47 ou du dogme48 ? À toutes ces questions, le « rôle de classement et les effets de réputation liés au fait d’habiter dans tel ou tel quartier »49 répondent déjà. Quand la position occupée dans l’espace urbain exprime toujours la position occupée dans la société, ou la manière dont on souhaite s’y projeter. En 2008, il n’est toujours pas « indifférent d’habiter là plutôt qu’ailleurs »50. Et en ce sens – commun – Florentin est toujours significatif et sa « mauvaise » réputation ne s’est pas encore dissipée51. Pourtant, ceux qui ont choisi récemment de s’installer dans le quartier mobilisent des valeurs autrement positives. Florentin n’est plus le quartier pauvre, mais le quartier de la communauté, d’une certaine authenticité, de la petite Israël d’avant, plus simple et plus intime, moins aliénant que le reste de la ville52. Il est aussi, en dépit de sa situation géographique, un espace de forte centralité : « Tout Tel-Aviv vient ici ! C’est central, comme si c’est en train de devenir terriblement central (…) Ici… on produit les médias. S’il y a un film, on vient filmer ici, un reportage, il filme dans ce café, si quelqu’un veut faire une interview avec un acteur… c’est ici. Tu vois les médias tout le temps ici. Ils font partie du quartier. (…) Bon l’emplacement géographique, non, c’est au sud. C’est pas central, c’est loin (…) mais en fait, c’est pas le cas, pas du tout. Mais c’est ça qui a l’air étrange à Florentin. Florentin est tellement de côté et en même temps c’est le centre de Tel-Aviv. Il y a quelque chose de pas du tout logique, et vrai là-dedans »53. 14 À la question donc de savoir si les individus sont « affranchis de leurs ancrages territoriaux »54, la réponse doit être mesurée. Et l’histoire même de la constitution du quartier y ajoute peut-être en complexité. On peut dans ce contexte-là, d’ailleurs, reposer la question de « ce qui donne consistance au quartier et le structure : sa morphologie, son histoire, les solidarités sociales, les pratiques de ses habitants, les espaces publics, ses limites géographiques, son organisation politique et institutionnelle ? »55. Tenter une réponse, et à la manière de Castells56, ce sont les limites du quartier et l’insertion de celui-ci dans le cadre urbain qui se dessinent. Un survol des littératures anglo-saxonne et française fournit à ce sujet des éclairages que l’on peut mettre en regard de ce que disent les différents acteurs du quartier ; des acteurs qui expriment leurs rapports au quartier « de façon multiple, en se différenciant selon les groupes sociaux, les générations, les histoires individuelles et les parcours géographiques »57. Mais c’est aussi dans ce que l’on peut observer au quotidien que se trouvent des éléments de réponse, et des traces de l’investissement des espaces publics, des espaces de vie. Et comme à Florentin la vie s’organise plutôt dans la rue qu’autour des équipements et des espaces publics58 – manquants –, la rue devient le lieu de l’expérience commune et de la sociabilité. C’est un des vecteurs majeurs de l’investissement affectif du quartier59 et qui parfois échappe au vu des transformations en cours : « J’en ai plus [de lieux importants dans le quartier] ! J’en ai eu, mais plus maintenant ! Avant je pouvais descendre au jardin [la rue piétonne], je pouvais me reposer. Si il y a un changement… oui il y a un changement, maintenant il y a des alcooliques par exemple. Avant, il y a quatre cinq ans il n’y en avait pas. Quoi, j’ai

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 118

élevé mes enfants ici, ils descendaient au jardin [la rue piétonne] ! Et maintenant je ne les laisse jamais. Pas une seule fois. Simplement je viens, je les emmène en autobus, on va au centre commercial. J’ai peur. C’était quoi, simplement un quartier normal. Maintenant, c’est comme si on m’avait volé ma rue »60.

Figure 4

« Je me bats pour le futur de Florentin » [Ani nelkham al atid Florentin]. Florentin 2008

15 Et l’on pourrait dire du quartier, comme Sylvie Mazzella de la rue, qu’il est une entité historique que traverse une hétérogénéité de destins sociaux, révélée « à travers une attention à la multiplicité des temps et des acteurs »61. Ceci est certes vrai de Florentin et les concepts de traces, de sédimentation, de reliques sont les mieux à même de dire cette réalité dont on perçoit, parfois fugacement, la profondeur historique et l’enchevêtrement. Des destins sociaux aux populations, et du quartier au quartier- milieu ensuite il n’y a qu’un pas. Puisque si l’on en croit J-Y. Authier, les propriétés du « quartier-milieu » sont liées à sa morphologie, sa localisation, son histoire et son image, ses ressources commerciales, mais aussi aux caractéristiques sociales des personnes qui composent le quartier et à leur répartition à l’intérieur du quartier62.

16 Dans ce sens, l’approche humanistique voit dans la notion de quartier, un lieu défini par l’identité de ses habitants dont découlent des relations entre les habitants et leur environnement63. L’approche instrumentale se focalise, quant à elle, sur les mécanismes de production. Le quartier est un système – ou un organisme spécialisé (Le Corbusier, 1947) – fonctionnant dans le cadre d’une entité structurellement ordonnée : la ville (Smithson and Smithson, 1970)64. Le courant inspiré de l’École de Chicago s’inscrit dans cette dernière proposition puisque le quartier y est analysé « par ses caractéristiques et sa position au sein de la ville »65. Si cette idée de quartier comme système n’est pas obsolète, elle n’est pourtant envisageable que si l’on révise le modèle du lieu suggéré par Relph comme « entité close refuge aux forces globalisantes »66. Le lieu et le quartier ne peuvent être significatifs qu’inscrits dans un monde ouvert. Alors que Relph définissait les dimensions du lieu (la communauté, le sens symbolique, la

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 119

« choréographie » qui s’y déroule, le paysage) comme constitutives de l’authenticité de celui-ci, comme source du sentiment d’appartenance et d’inclusion, I. Schnell67 propose d’envisager l’articulation de ces dimensions comme productrice de l’atmosphère du lieu. L’atmosphère, notion peut-être vague et pourtant heuristique, serait donc la nouvelle « vérité » des lieux. 17 L’approche phénoménologique, finalement, met l’accent sur le quartier comme « phénomène urbain unique » dont le sens dérive de sa fonction résidentielle. C’est dans l’unité « quartier » qu’est inscrite le « savoir et la conscience du lieu »68. La continuité et la permanence qui en découlent fixent le sens du quartier dans la mémoire collective69. Ajoutons ici que dans le cas de Florentin, c’est un événement exogène (la série télévisée) qui a contribué à inscrire le quartier dans certaines mémoires collectives. Avec Kallus et Law-Yone, on voit que l’approche phénoménologique se concentre sur le quartier comme entité culturelle plutôt que comme construction sociale issue de la proximité physique. Finalement, ce n’est ni l’usage que l’on en fait, ni son organisation qui donne au quartier son essence mais le sens attaché à des lieux particuliers à travers les expériences et les histoires individuelles70. Le quartier n’est pas uniquement un lieu de l’action humaine – une organisation sociale ou une unité physique – mais c’est aussi l’expression de la vie urbaine71. « Habiter » est en quelque sorte constitutif de l’être humain lui-même [Bachelard, 1957] puisque chacun cherche à « habiter » et mobilise des ressources qui lui sont propres, pour conférer au lieu où il réside un sens et une finalité sur lesquels s’appuyer et se développer72. 18 Première conclusion intermédiaire : le quartier s’appréhende au mieux au travers des individus qui participent de son existence et de la relation qu’ils entretiennent avec cet espace : leur territoire. Les pratiques et les représentations des individus sont alors centrales et il s’agit d’analyser le sens donné au quartier : « l’identification du quartier et au quartier »73. Le quartier est un espace vécu, l’espace intime du quotidien. Il diffère donc d’un individu à l’autre. Et c’est bien la dimension symbolique de l’espace qui rend cohérent l’espace vécu de chacun74. Pourtant, cette approche par le territoire « suppose plus qu’une appropriation individuelle. Pour définir un quartier, il faut que celui-ci acquière « une signification collective »75. L’entrée par le territoire remet donc sur l’ouvrage la question des « limites » et des délimitations. L’interrogation devient : comment délimiter un quartier, et comment donner sens à ses limites alors que le quartier s’inscrit dans un ensemble bien plus vaste (la ville) ; des ensembles plus vastes (le monde) ? Cette notion d’abord un peu anodine de quartier formule en réalité un « véritable défi géographique dans son identification » (H. Lefebvre, 1967)76. Le quartier, forme d’organisation de l’espace et du temps de la ville, point de passage entre l’espace géométrique et l’espace social (Lefebvre, 1967)77, nous invite, à l’heure de la mondialisation, à une réflexion sur la question de l’articulation entre identité et espace, du lien proximité spatiale/proximité sociale et de l’articulation des deux. Le « quartier » renvoie à la fois aux questions de mobilités78 et d’identités, et de leur intersection : le lieu. Le quartier, un lieu de sens dans la mondialisation 19 Le lieu est une des notions fondamentales de la géographie, mais que devient-il dans la mondialisation ? Est-il, l’arène des pratiques quotidiennes et de productions de structures sociales qui le dépassent79 ? Les lieux sont-ils des entités fermées et protectrices ou des « intersections » ouvertes80 ? Retenant la deuxième proposition, la

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 120

symbolisation par « un nom, une identité, une permanence, une raison d’être, une relation particulière avec certaines valeurs et significations » est l’un des facteurs de différenciation de l’espace en lieux81. Ce sont d’ailleurs les paysages constitués du tissu urbain, et de son architecture, qui « donnent aux membres de la communauté un sens de continuité temporelle au sein d’une localité limitée »82. Dans ce sens, à Florentin, « la netteté des contours se conjugue avec une originalité architecturale aisément perceptible »83. Si « les contours de cet espace de proximité »84 varient d’une personne à l’autre, à Florentin, ils dépendent fortement de l’âge et du parcours de vie, mais aussi des motivations sous-jacentes à l’installation dans le quartier. Ainsi, les entretiens révèlent la question des limites avec une grande richesse. Si pour certains « Florentin est entouré de murs »85, pour d’autres c’est un espace ouvert et illimité ; « comme quand tu te promènes dans la nature »86. Le quartier est donc une « figure à géométrie variable »87 dont les grands axes ne sont d’ailleurs pas toujours les plus significatifs : I think for me ah… there is no significant street. It’s ah… it’s usually intersections actually. Cause it’s like Florentin – Stern – and Washington are very, very vibrant intersections. Interesting enough it was also like that historically 88. 20 Intersections vibrantes, atmosphère particulière et inclusive semblent constituer le génie de ce lieu dont on dit volontiers qu’il est coloré et vivant ; sans pouvoir toujours en « démêler » les contenus : Venturing into the Florentin Quarter is like entering a melting pot. Old and new converge into one with jumbled ease, providing a sense of curiosity. The neighbourhood’s character may be a complex one, but it clearly speaks for itself 89. It's a great place, especially for young people (…) I love the atmosphere, and the color’. At first, though, it's difficult to pick out Florentin's robust charm 90. 21 Si enfin, la plupart des habitants interrogés évoquent l’atmosphère particulière du quartier – éventuellement celle d’hier – à quel champ sémantique cette notion renvoie- t-elle? Pour Net (2000)91 l’atmosphère est la mise en relation, ou l’exposition à un autre monde de sens, sans pour autant devoir quitter la communauté de sens original. L’atmosphère d’un lieu est donc faite d’imagination et de transport, vers d’autres lieux, des lieux autres, exotiques, et donc, des lieux de possibles. Pour Schnell l’atmosphère est une mise en tension, basée sur la nostalgie de lieux du passé ou sur des attentes futures92. Mais l’atmosphère d’un quartier – et cela se vérifie à Florentin, quartier industriel et commerçant – dépend de ses commerces puisque l’attachement au quartier passe, principalement, par des habitudes de consommation qui « définissent un certain style de vie »93. À Florentin, la diffusion des pratiques de consommation, comme résultante des mouvements de la gentrification et de la mondialisation, s’opère comme « repli » sur des goûts simples : cuisine « maison », valeurs et simplicité du petit Israël déjà évoqué, des relations ; quand partout ailleurs, tout s’achète dans les grandes surfaces. Nous ferrons, par conséquent, nôtre l’analyse que fait Schnell de la rue Sheinkin comme contexte de formation des identités et de la consommation94. Ces deux aspects du lieu sont « une réponse locale à la globalisation » en ce qu’ils s’opposent à la consommation de masse et à la production intensive. À Florentin, nombre d’interlocuteurs évoquent les épiceries locales comme lieux significatifs de leur vie de quartier. Par ailleurs, Schnell rappelle que Sheinkin est un lieu israélien qui renforce le débat sur l’identité israélienne, « en devenant un noyau d’une identité qui représente l’ouverture au monde global »95. Et si cette redéfinition de l’identité passe par l’extérieur et les références importées ou « visitées », on peut alors noter que plusieurs interlocuteurs interrogés sur les différentes populations du quartier évoquent les

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 121

« réfugiés d’Inde » ; ces jeunes israéliens qui après un long séjour en Inde, le plus souvent effectué après leur service militaire, mais pas toujours, viennent s’installer à Tel-Aviv, et en priorité à Florentin : I guess everybody sees it in a different way. Ah… who lives there? (…) There is really interesting mixture of people in this, in Florentin, but mostly young people (…) ah… maybe… what’s a bit different from the centre of Tel Aviv is, I mean about the people, they are a little more… ah… I need a good word in English… ah not hippies (…) Ok, maybe like ex… you know many Israelis, almost every Israeli went to India and East Asia and I think more ex… Indian visitors, travellers live here than other place. Maybe I mean, they look, there’s this new Indian restaurant here “Sav kutch Milaga” which is like really, they are really trying to create an Indian environment like, like travellers remember from India and it really does look like an Indian, an Israeli place in India in New Delhi or whatever. And it’s so, it really fits the neighbourhood 96. I think, more free. Like for example if you live in Diezengoff you won’t go down with your sweat shirt, you’ll think about it twice. But here no!!! No problem. Because it’s more homey (…) I don’t know exactly how to describe it. Hum… more easy going. The atmosphere is more like… traveling in India 97. Gentrification, exotisme et mondialisation : articulation du quartier à différentes échelles 22 La gentrification serait alors le vecteur d’un réancrage local, voire national, en même temps que la projection vers d’autres espaces de sens ; New-York et Delhi ou Goa pour ce qui relèverait du mode de vie. Ces nouveaux contenus, dont l’atmosphère imprègne les lieux, sont justement ceux que Relph (1976) définit comme inauthentiques puisque le sens du lieu se trouble d’un ailleurs. Pourtant « l’atmosphère est peut-être la réponse la plus authentique à la réalité de la globalisation »98. À Florentin, l’atmosphère du lieu est certainement aussi constituée d’un autre temps, d’une autre époque avec les petites échoppes de cordonniers, les coiffeurs, les cantines et les épiceries. Tous ces lieux, toutes ces activités, tous ces produits, semblent nous parvenir, à travers le filtre d’une production mondialisée à grande échelle. Par contre, ces commerces inscrivent certainement le quartier et ses habitants dans la continuité d’une classe laborieuse, et qui rappelle un temps peut-être plus collectif, voire collectiviste, si l’on pense à l’expérience des kibboutzim si fortement ancrée dans l’éthos israélien : The landmark it is more the scale! (…) Things are small. You know here they do things differently. So… the small businesses, the streets themselves, maybe. Also the balconies; on the streets (…) Ah… this is… very characteristic of the neighbourhood also… ha, because the windows are so closeyou’re part of a community. And you can, you have ah… you can talk across the street – from one window to the other – which is not really so possible even if the road was just a little bit wider99. 23 Finalement, si « les individus n’habitent pas et ne cohabitent pas de la même manière selon le quartier où ils résident »100, à Florentin, tant l’architecture que la composition sociale et commerciale influencent considérablement les rapports au quotidien. Dans le débat entre tenants des nouvelles échelles de l’identité socio-spatiale, qui seraient du côté de la « démultiplication des lieux pratiqués » et des mobilités, extension et tenants d’un ancrage territorial inscrit dans le temps – ou non – et qui constituerait toujours une dimension importante du rapport à l’espace [Feloneau, Marchand et Fleur-Bahi, 2005]101, des lieux comme Florentin indique une troisième voie. Celle de l’articulation « d’époques » – plutôt que de leur succession – et de la démultiplication des lieux pratiqués qui sont aussi ancrages territoriaux. C’est peut-être justement en s’autorisant à articuler les échelles d’analyse que l’on appréhende le mieux les significations multiples dont se parent les lieux ; lieux ancrés – lieux de projections. Dans ce sens, les

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 122

parcours touristiques que la Municipalité de Tel-Aviv propose depuis quelques années à Florentin, sont significatifs. En effet, deux visites sont organisées dans le quartier, chacune, de part et d’autre de l’ancienne frontière ! La première, « le réveil de Florentin » propose « la visite de l’un des vieux quartiers de Tel-Aviv qui ces derniers années est un plein renouveau. Les nouveaux immigrants vivent côte à côte avec les plus anciens, les étudiants et les artistes, les religieux et les séculiers. Un véritable melting-pot de la société israélienne. Le tour inclut une visite du musée du LEHI102 ». La seconde « Goûts et couleurs au Sud Tel-Aviv » propose un « tour de dégustation à travers les rues du Sud Tel-Aviv, à travers les allées et les étals du marché Levinsky. Un tour entre les sacs d’épices odorantes, une usine de massepain, un kiosque à soda, un petit bourekas turc et plus ». Dans les deux cas, la mise en scène du quartier est la proposition faite aux visiteurs de se plonger l’espace d’un instant ! dans un lieu atypique, quoi que mémoriel, significatif et représentatif d’une temporalité bientôt disparue : celle des temps pionniers et incertains, mais héroïques et hauts en couleurs.

24 Florentin – « exotique » oui ! Mais « pas romantique »103 – inscrit, pour reprendre les termes de C. Bordes Benayoun, des référents spatiaux lointains au cœur même de la proximité urbaine104. Proximité et étrangeté se mêlent au moment où le proche procède d’un regard interprétatif, où sont traquées les traces d’autres vies possibles, voire d’existences pittoresques105. Cet « ailleurs social et historique » constitue très certainement un des moteurs de l’investissement, du réinvestissement de lieux tels Florentin. Et force est de dire que Florentin est souvent qualifié par l’emploi d’autres lieux : c’est un quartier qui serait plus européen que le reste de Tel-Aviv, Florentin serait une enclave du petit Israël disparu, Florentin est bien évidemment New-York, du côté de Brooklyn ou du Lower East Side. Cette liste non exhaustive des manières de qualifier Florentin par l’ailleurs dessine en filigranes l’idée d’exotisme. Apparaît alors en creux la question de la gentrification comme processus. Concurrentiel entre groupes d’acteurs qui, probablement moins consciemment que spontanément, « cherchent à imposer une définition du lieu conforme à leurs intérêts »106.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 123

Figure 5

Les bulldozers sont en chemin [Ha’buldozerim baderekh] – Florentin 1927-2008. Florentin, 2008

25 En conclusion, alors que la gentrification, comme souvent la mondialisation, est perçue comme facteur d’abrasion de l’identité, par des modes de consommation uniformes, il semblerait qu’elle puisse aussi être « mise en scène de l’identité et lutte pour la définition des lieux », c’est-à-dire de leur identité. L’intérêt que suscite les quartiers anciens, et dont le potentiel se lit dans leur dégradation même « s’inscrit dans une exaltation de la valeur d’ancienneté (associée à l’histoire, à l’authenticité) qui marque un moment de la culture occidentale »107 et s’instaure peut-être « à l’échelle locale dans le lien des habitants à leur quartier »108. Ce lien, dont nombre des personnes interrogées se font l’écho à Florentin, ressort aussi d’un instant où bars branchés et clubs underground côtoient les petits commerces en voie de disparition dans le reste de la ville. Les nouveaux habitants du quartier semblent apprécier la profondeur historique que ces présences rendent visible, en même tant qu’elles transmettent « des réminiscences d’une sociabilité passée et idéalisée »109. Mais la réalité sociale est en mouvement perpétuel et si « seul le bulldozer et le cocktail Molotov » peuvent changer l’espace existant110 alors les années à venir devraient donner raison à Henry Lefebvre, penseur de la production de l’espace. Quand Florentin après avoir longtemps été, conjonction de facteurs multiples et de revers de fortunes divers, le lieu de la création d’un espace autre, annonce aujourd’hui la création d’un autre espace.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 124

NOTES

1. « The southern parts of Tel Aviv are the poorest ones, housing, often in slumlike buildings, tens of thousands of immigrants, mostly form Afro-Asian countries, who streamed to Tel Aviv en masse in the early 1950s », article « Tel Aviv-Jaffa », Encyclopedia Judaica Jerusalem, Jerusalem, Keter Publishing House Ltd, 1972, vol. 15, pp. 916-925, p. 917. 2. Ensuite, entre 1990 et 1995, 600 appartements utilisés comme lieux de stockage ou de commerces sont reconvertis pour un usage résidentiel, voir N. Carmon, « Three generations of urban renewal policies: analysis and policy implications », Geoforum, 1999, n° 30, pp. 145-158. 3. En 1972 le quartier compte 7 123 habitants ; en 1990 il n’en compte plus que 3 150, T. Eres, Revitalization in the Central City. The Case of Florentin in Tel-Aviv – Jaffa, Thesis, Technion, Haifa, 1996, p. 88. 4. Sur les questions de revitalisation urbaine voir N. Carmon, op. cit. 5. Neve Tseddek – le premier quartier juif hors les murs de Jaffa – et la rue Sheinkin sont deux « hauts-lieux » de la Tel-Aviv d’aujourd’hui. Pourtant l’un et l’autre n’ont acquis ce statut que durant la dernière décennie. 6. Entretien avec la responsable de la planification urbaine de la municipalité de Tel- Aviv Jaffa, novembre 2005. 7. « Florentene explores the intersection of national politics and private lives; it’s less a drama than a chronicle of urban Israeli culture », R. L. Stein, « Spatial Fantasies. Israeli Popular Culture after Oslo », Middle East Report, 2000, n°216, pp. 36-38, p. 37. 8. « Florentin » est diffusée de 1997 à 2000 sur la première chaîne commerciale du pays. Eytan Fox réalise les deux premières saisons ; Arik Rothstein, la troisième. 9. « In 1997, Eytan Fox launched the Israeli TV drama Florentin, which followed the lives of young Tel Avivians living in the area before and after the Rabin assassination. It was then that Florentin achieved its cult-like status », R. Attias, « Florentin: A day in the hood - not your ordinary reality show », Haaretz.com, 1 octobre 2008. 10. « external forces may act in and between several spatial scales at the same time (…), they may jump and bend among different scales », Smith (2004), cité par I. Schnell, « Shenkin as a Place in the Globalizing City of Tel Aviv », GeoJournal, 2007, vol. 69, n° 4, pp. 257-269, p. 5. 11. J. Monnet, « La symbolique des lieux : pour une géographie des relations entre espace, pouvoir et identité », Cybergeo, article 56, URL : http://www.cybergeo.eu/ index5316.html. 12. « The Florentin Quarter, in the heart of Tel Aviv, is one of the most exciting parts of Israel’s non-stop city (…) Florentin is more than just a location. It is a statement », URL: http://www.florentin.com/today.htm. 13. « Florentene is a portrait of bohemian Tel Aviv in the 1990s », R. L. Stein., op. cit., p. 37. 14. Florentin est sous la juridiction de la municipalité de Jaffa jusqu’à la conquête de cette dernière par les forces armées juives en 1948. À la suite de cette conquête, une fusion est opérée entre les municipalités de Tel-Aviv et de Jaffa le 24 avril 1949 ; et la municipalité de Jaffa en tant que telle disparaît. Suite à ce remaniement, Florentin devient un quartier de Tel-Aviv. Sur la « situation géographique » de Florentin, voir C. Rozenholc « De la frontière à la marge : Florentin. Explorations géographiques d’un

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 125

quartier historique », Tsafon, 2008, n° 55, « Les cent premières années de Tel-Aviv : 1909-2009 ». 15. Ces opérations se déroulent dans un espace qui est déjà le plus dense de Tel-Aviv en terme de bâti et de population puisque contrairement au reste de la ville, et planifié en dehors de la zone urbaine de Tel-Aviv, Florentin est construit en façade continue, sans espaces verts ni lieux publics. 16. La construction de deux bâtiments rue Abarbanel a, par exemple, fait apparaître une maison arabe qui servait aux ouvriers agricoles puis, plus tard, de maison d’été à ses riches propriétaires. 17. B. Allen, F. Guérin-Pace, A-L. Humain-Lamoure, S. Lehman-Frisch et T. Ramadier, « Le quartier, un lieu investi, Introduction », in J-Y. Authier, M-H. Bacqué et F. Guérin- Pace (dir.), Le quartier. Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, Paris, Ed. La Découverte, coll. Recherches, 2007, pp. 101-104, p. 102. 18. « Il est impossible d’immobiliser l’urbain », H. Lefebvre, La production de l’espace, Paris, Ed. Anthropos, Coll. Ethnosociologie, 2000, 4e édition, p. 445 19. Tout en gardant à l’esprit la mise en garde de Lefebvre contre la « fragmentation » de l’espace social qui « sépare ce qui s’implique, disjoint ce qui s’articule », op. cit., p. 25. 20. N. Carmon, « Who Needs Neighborhood Policy? », Policy Studies Journal, 1987, vol. 16, n° 2, pp. 263-268, p. 263. 21. Le quartier Achuzat Bait est fondé à Jaffa en 1909. Un an après sa création, ce quartier est rebaptisé « Tel-Aviv ». En 2009, Tel-Aviv fêtera donc son premier centenaire. 22. « Les quartiers anciens (Nevé Tseddeq, une partie de Nevé Shalom, Ohel Moshé, Kerem ha-Temanim et d’autres encore) furent réunis à Tel-Aviv en 1923, après des négociations qui durèrent près de deux ans », Y. Shavit, Tel Aviv. Naissance d’une ville, 1909-1936, Paris, Ed. Albin Michel, Coll. Présences du judaïsme, p. 43. 23. On est ici très proche de l’analyse que font les tenants de l’École de Chicago des quartiers ou « aires naturelles ». 24. Le mot shkhuna vient de shakhen : le voisin. 25. En 1921, R. MacKenzie consacre un article à la question du « voisinage » : l’une « de nos plus vieilles institutions sociales », remise au goût des débats sur les questions urbaines… des années 20 ! MacKenzie attribue deux significations à « voisinage » : celle de proximité physique par rapport à un repère donné et celle de « familiarité de relations » entre gens vivant à proximité, « Le voisinage. Une étude de la vie locale à Colombus, Ohio », in Y. Grafmeyer et I. Joseph (trad.) (2004), L’école de Chicago. Naissance de l’écologie urbaine, Lonrai, Ed. Aubier, coll. RES, série « Champ urbain » (1e édition 1979), pp. 213-254, p. 235. 26. H. Lefebvre, op. cit. 27. Des non-lieux interchangeables et équivalents, sur cette question voir Marc Augé, Non-lieux. Pour une anthropologie de la surmodernité, Paris, Seuil, coll. « La librairie du XXe siècle », 1992. 28. B. Allen, op. cit., p. 139. 29. Des entretiens ont été menés à Florentin, et plus largement, à Tel-Aviv entre 2005 et 2008. Des extraits de ces entretiens (en anglais et en hébreu) sont cités dans ce texte (en anglais ou en français). 30. I. Schnell, op. cit. 31. S. Tissot « Sociologie urbaine et politique de la ville : retour sur une rencontre autour des ‘quartiers d’exil’ », in J-Y. Authier, M-H. Bacqué et F. Guérin-Pace (dir.), Le

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 126

quartier. Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, Paris, Ed. La Découverte, coll. Recherches, 2007, pp. 65-74, p. 69. 32. J-L. Piveteau, Temps du territoire. Continuités et ruptures dans la relation de l’homme à l’espace, Genève, Ed. Zoé, 1995, p. 224 33. E. Soja, Thirdspace. Journeys to Los Angeles and Other Real-and-Imagined Places, Oxford, Blackwell, 1996. 34. L’architecte israélien Sharon Rotbard a, le premier, formulé cette idée de la ville noire pour qualifier les quartiers du sud de Tel-Aviv – Neve Sha’anan, Florentin, Ha’tikva, Ezra et Shapira – et Jaffa, en opposition à la « ville blanche » inscrite au patrimoine de l’humanité depuis 2003. 35. S. Rotbard, « White lies, white city », Territories, builders, warriors and other mythologies, Rotterdam, Witte de With, 1986, pp. 26-40. pp. 32 et 35 36. À l’exception du terrain sur lequel est construit l’école Dorianov. L’école Dorianov est fermée depuis une vingtaine d’années et la municipalité a mis ce bâtiment à la disposition d’artistes en 1989. Le lieu fonctionne comme centre d’art (ateliers, galerie) et depuis trois ans également comme centre communautaire. 37. Salonique est le foyer d’une des plus importantes communautés juives de l’Empire ottoman. Au moment de la révolution jeune-turque, l’enthousiasme que ce centre suscite est tel que des sionistes comme le futur Premier Ministre d’Israël, David Ben Gourion et, Izhak Ben-Zvi, le futur Président d’Israël ou encore Moshe Sharet, le futur Ministre des Affaires étrangères, viennent y étudier, E. Benbassa, Une diaspora sépharade en transition (Istanbul, 19e-20e siècle), Paris, Éditions du Cerf, 1993, pp. 81 et 94. 38. TAMA, DOC 8-14, H. Rabin, [ha’shrunot ha’ivriout vemeabak atsmaoutan]. 39. 90 dunams. Le dunam – unité de mesure héritée de l’Empire ottoman – est l’unité de mesure utilisée en Israël. 40. Le système « musha » est issu de la régulation ottomane ; chaque propriétaire détient une part d’une parcelle collective. 41. Extrait d’un entretien avec la responsable du centre d’art de Florentin (septembre 2008). Dans le présent article, les extraits d’entretiens retranscrits en français sont issus d’entretiens en hébreu. Les extraits en anglais sont issus d’entretiens en anglais. 42. « Africa-Israel » est une compagnie israélienne d’investissements immobiliers. 43. Le quartier « raconte » à qui prend le temps de lire les traces laissées par différentes « histoires », périodes. 44. Voir N. Alfasi and T. Fenster, « A tale of two cities: Jerusalem and Tel-Aviv in an age of globalization », Cities, 2005, vol. 22, n° 5, pp. 351-363. 45. Y. Grafmeyer, « Le quartier des sociologues », in J-Y. Authier, M-H. Bacqué et F. Guérin-Pace (dir.), Le quartier. Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, Paris, Ed. La Découverte, coll. Recherches, 2007, pp. 21-31, p. 22. 46. Issacs, 1948: « people do not necessarily live where they dwell », cité par R. Kallus. et H. Law-Yone, « What is a neighbourhood? The structure and function of an idea », Environment and Planning B: Planning and Design, 2000, n° 27, pp. 815–826, p. 818. 47. J-Y. Authier, M-H. Bacqué et F. Guérin-Pace, op. cit., p. 8. 48. « Le collectif, ce dogme très ancien du fonctionnalisme qui voudrait que « comme les habitants d’un quartier ont quelque chose en commun, ils doivent, nécessairement, avoir beaucoup de choses en commun », Gourdon J-L., « La rue comme forme », in J. Brody (dir), La rue, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, 2005, pp. 21-31, p. 24-25.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 127

49. J-Y. Authier, M-H. Bacqué et F. Guérin-Pace « Introduction », in J-Y. Authier, M-H. Bacqué et F. Guérin-Pace (dir.), Le quartier. Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, Paris, Ed. La Découverte, coll. Recherches, 2007, pp. 7-11, p. 7. 50. M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot, « L’espace urbain comme expression symbolique de l’espace social », in S. Ostrowetsky (Ed.), Sociologues en ville, L’Harmattan, Paris, 1996, pp. 155-160, p. 157. 51. « Quand je suis ici, je n’ai pas de problème, je sais que tout le monde est comme moi. Mais quand je vois les dames du nord, bien habillées, tu vois que ça n’est pas la même chose. Des fois, j’ai honte de dire que je suis de Florentin. » S., 50 ans, habite à Florentin depuis 25 ans (2008). « Je ne veux pas avoir peur dans mon propre quartier, mais ce sont mes frères qui ont attiré mon attention là-dessus (…) Certains de mes amis aiment bien me rendre visite mais ils ne viendraient jamais habiter ici », S., 30 ans, habite Florentin depuis un an (2008). 52. Ces qualificatifs sont tirés d’entretiens réalisés depuis 2005 avant des habitants de Florentin. 53. O., 40 ans, habite avec sa fille de 8 ans à Florentin depuis 6 ans (2008). 54. J-Y. Authier, M-H. Bacqué et F. Guérin-Pace, op. cit., p. 7. 55. J-Y. Authier, M-H. Bacqué et F. Guérin-Pace, op. cit., p. 10. 56. M. Castells, « Les milieux sociaux urbains », La question urbaine, Paris, François Maspéro, coll. Fondations, 1981. 57. J-Y. Authier, M-H. Bacqué et F. Guérin-Pace, op. cit. p. 11. 58. J-Y. Authier, M-H. Bacqué et F. Guérin-Pace, op. cit., p. 9. 59. S. Lehman-Frisch et G. Capron « Le sentiment de quartier en milieu gentrifié : de San Francisco à Bogota », in J-Y. Authier, M-H. Bacqué et F. Guérin-Pace (dir.), Le quartier. Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, Paris, Ed. La Découverte, coll. Recherches, 2007, pp. 116-126, p. 123. 60. R. travaille dans une laverie automatique. Elle a 41 ans et vit dans le quartier depuis 20 ans. 61. In S. Mazzella, « Effets de quartier… à l’échelle de la rue », in J-Y. Authier, M-H. Bacqué et F. Guérin-Pace (dir.), Le quartier. Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, Paris, Ed. La Découverte, coll. Recherches, 2007, pp. 229-241, p. 229. 62. J-Y. Authier, « La question des “effets de quartier” en France. Variations contextuelles et processus de socialisation », in J-Y. Authier, M-H. Bacqué et F. Guérin- Pace (dir.), Le quartier. Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, Paris, Ed. La Découverte, coll. Recherches, 2007, pp. 206-216, p. 209. 63. R. Kallus. et H. Law-Yone., op. cit., p. 820. 64. R. Kallus. et H. Law-Yone., op. cit., p. 822. 65. A-L. Humain-Lamoure, « Le quartier comme objet en géographie », in J-Y. Authier, M-H. Bacqué et F. Guérin-Pace (dir.), Le quartier. Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, Paris, Ed. La Découverte, coll. Recherches, 2007, pp. 41-51, p. 44. 66. E. Relph, Place and placelessness, Pion ltd., London, 1976. 67. I. Schnell, op. cit. 68. R. Kallus. et H. Law-Yone., op. cit., p. 823. 69. R. Kallus. et H. Law-Yone., op. cit., p. 815. 70. R. Kallus. et H. Law-Yone., op. cit., p. 823. 71. R. Kallus. et H. Law-Yone., op. cit., p. 824. 72. B. Allen (2007), « Le quartier à l’articulation d’enjeux spatiaux temporels », in J-Y. Authier, M-H. Bacqué et F. Guérin-Pace (dir.), Le quartier. Enjeux scientifiques, actions

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 128

politiques et pratiques sociales, Paris, Ed. La Découverte, coll. Recherches, pp. 139-150, pp. 140-141. 73. A-L. Humain-Lamoure, op. cit., pp. 45-46. 74. J.Monnet, op. cit., p. 3. 75. A-L. Humain-Lamoure, op. cit., p. 46-47. 76. H. Lefebvre (1967), cité par A-L. Humain-Lamoure, op. cit., p. 51. 77. H. Lefebvre (1967), cité par A-L. Humain-Lamoure, op. cit., p. 51. 78. Selon J-Y. Authier, Y. Fijalkow et P. Philifert, il est en effet nécessaire d’associer l’« objet quartier » et l’analyse des trajectoires et des mobilités des habitants. « Le quartier : construction savante, constructions politiques. Introduction » in J-Y. Authier, M-H. Bacqué et F. Guérin-Pace (dir.), Le quartier. Enjeux scientifiques, actions politiques et pratiques sociales, Paris, Ed. La Découverte, coll. Recherches, 2007, pp. 15-19, p 16. 79. I. Schnell, op. cit., p. 3. 80. I. Schnell, op. cit., p. 1, faisant respectivement référence à Relph (1976) et Harvey (2000) ; Massey (2002) et Smith (2003). 81. J. Monnet, op. cit., pp. 2-3. 82. I. Schnell, op. cit., p. 3-4. 83. Y. Grafmeyer, op. cit., p. 22. 84. Y. Grafmeyer, op. cit., p. 25. 85. « Florentin is surrounded by ‘walls’. It is like surrounded by ‘walls’. Now it has changed but before if you wanted to see me, you had to come to Florentin. I was never going out of the ‘walls’», Entretien avec N. (2008). Elle habite à Florentin depuis quatre ans. 86. Extrait d’un entretien avec T. (2008), habite à Florentin depuis un an. 87. Benoît-Guilbot (1982) cité par Y. Grafmeyer, op. cit., p. 26. 88. Extrait d’un entretien avec L. (2008), activiste et résidente de Florentin. 89. R. Spitz, « The Florentin Quarter: A Tel Aviv Neighborhood not to be missed! », http://www.arzaworld.com/news/archive/2006/04/the_florentin_q.html, 2006. 90. D. Sekel et D. Haas, « Florentin Flavour », The Jerusalem Report, April 2, 1998, http:// www.florentin.com/press1.htm. 91. cité par I. Schnell, op. cit., p. 12. 92. I. Schnell, op. cit., p. 12. 93. S. Lehman-Frisch et G. Capron, op. cit., p. 120. 94. À Florentin, le caractère traditionnellement commerçant – meubles, épices, lampes, jouets – se doublent d’une nouvelle activité économique : galeries d’art, clubs et cafés. 95. I. Schnell, op. cit., p. 18. 96. Extrait d’un entretien avec O., juin 2006. 97. Extrait d’un entretien avec M., mai 2006. 98. I. Schnell op. cit., p. 12-13. 99. Extrait d’un entretien avec L., 2008. 100. J-Y. Authier, op. cit., p. 208. 101. B. Allen, op. cit., p. 139. 102. Le musée du « Lehi » – acronyme de « combattants pour la liberté d’Israël » – retrace l’histoire de cette faction armée juive et sioniste qui, durant quelques années, se mobilise contre le Mandat Britannique en Palestine. Stern, le fondateur de ce groupe, est assassiné par les forces britanniques alors qu’il se cachait à Florentin, dans la maison aujourd’hui transformée en musée et qui se situe dans la rue qui porte son nom, la rue Stern.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 129

103. Daber Sheni, 7 mai 1996. 104. C. Bordes-Benayoun, « De la rue ethnique au vaste monde », in J. Brody (dir.), La rue, Toulouse, Presses Universitaires du Mirail, Toulouse, 2005, pp. 281-293, p. 282. 105. L. Matthey, « Si proche, si loin ! Penser les processus urbains à partir des modèles de la géographie du tourisme ? », Articulo.ch – revue de sciences humaines, 2007. 106. J. Franquesa, « Une valeur foncière d’avenir : l’identité. Le cas du centre historique de Palma (Mallorca, Espagne) », in L’homme et la société, 2007, vol. 3, n° 165, pp. 45-64, p. 45. 107. A. Bourdin, « Gentrification : un « concept » à déconstruire », Espaces et sociétés, 2008, vol. 1-2, n° 132, pp. 23-37, p. 23. 108. S. Lehman-Frisch et G. Capron, op. cit., p. 116. 109. S. Lehman-Frisch et G. Capron, op. cit., p. 121. 110. H. Lefebvre, op. cit, p. 75.

RÉSUMÉS

En 1992, la municipalité de Tel-Aviv Jaffa, sollicitée par un groupe d’habitants, décide d’investir dans le quartier de Florentin. Florentin est alors un des quartiers les plus pauvres de la ville et témoigne, comme l’ensemble de la zone administrative sud, d’un état de forte dégradation. En quelques décennies, le quartier aura en effet été littéralement déserté par sa population, laissant vacants des centaines de logements progressivement investis par de petites industries. Le potentiel du quartier est pourtant évident – architecture unique et forte densité commerciale – et les réhabilitations réussies des quartiers de Neve Tseddek et de Sheinkin encouragent les autorités à « remettre Florentin sur la carte ». Cinq ans plus tard, Eytan Fox – plus connu aujourd’hui pour son film « The Bubble » – prend le quartier comme toile de fond pour réaliser une chronique de la jeunesse israélienne : « Florentin ». Pendant trois ans, cette série télévisée va obtenir une audience nationale confirmée par une rediffusion récente. Florentin est alors consacré comme un espace « à part » et devient emblématique d’une urbanité alternative. Paré d’une aura d’exotisme, renforcée par la présence de nombreux migrants africains, Florentin devient ainsi le lieu d’une certaine culture israélienne : celle d’une génération ouverte à l’altérité et qui, tout en étant ancrée dans la réalité du pays, se projette au-delà de ses frontières. Mêlant sens et temporalités, une conjoncture particulière fait donc émerger Florentin comme un label ; vivre à Florentin devient une véritable « déclaration d’intention ». En transition vers une gentrification évidente, comment ce quartier, longtemps marginalisée et qui n’est inclus dans les limites administratives de Tel-Aviv que depuis les années 50, en est venu à former une entité à part entière au sein de l’agglomération et à promouvoir l’identité globalisée de la ville ? Pour répondre à cette question, et pour contribuer à celle plus vaste de l’attachement au lieu dans la mondialisation, Florentin sert d’ancrage à une réflexion sur le quartier qui permet d’alimenter, entretiens et observations à l’appui, le débat entre tenants de l’hyper-mobilité et des nons-lieux et ceux d’une territorialité au fondement de la géographie et de l’urbanité. Florentin, espace complexe et stimulant, et dont on peut multiplier les « entrées », semble alors indiquer une troisième voie ; celle d’un lieu défini et ouvert où s’articulent, sans s’effacer, des temporalités et des perceptions du lieu distincts et propres, même si parfois partagées, à chacun.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 130

Florentin between exoticism and nostalgia. Globalization of an 'authentic' neighborhood At the beginning of the 90s, the Municipality of Tel-Aviv, approached by a small group of inhabitants of Florentin neighborhood, decides to invest in it. Florentin, at the time, is one of the poorest areas of the city and alike the whole South of Tel-Aviv, it is in an advanced state of deterioration. Over the last twenty years, buildings had fallen apart and all the population who had opportunities to leave the neighborhood found better dwellings. At the time, the potential of the neighborhood is nevertheless clear to the authorities – due to its peculiar architecture and the interesting mixture of residential and commercial activities – and the successful rehabilitations of both Neve Tseddek (the first Jewish neighborhood out the walls of the ancient Jaffa) and Sheinkin street (today a very hype place to hang out) stimulate the Municipality to “put Florentin back on the map”. This is a radical step as for few decades Florentin remained very much at the margins of the city, in between Tel-Aviv and Jaffa, only loosing population and gaining in polluting activities, such as small industries and manufactures. After few years of drastic investments, and due to an economical crisis, all initiatives remain pending. In 1997, the Israeli film director Eytan Fox – today known for his movie “The Bubble” depicting the in-a- bubble-like life in Tel-Aviv, detached from the ongoing conflict in the region – innovates by producing on the first commercial channel of Israel a serial depicting the Israeli youth: “Florentin”. This chronicle obtains, over three years, a national audience turning Florentin into the most known neighborhood of the country. Florentin is pictured as the space of an alternative urbanity. And it does become, exotic and different, the emblem of a certain way of life, of a certain Israeli young culture. The culture of a youth that is both very much anchored and connected to its place, to the country, but is simultaneously setting itself free and projecting itself over the national borders, all the way to New York or Goa, Soho, Lower East Side and so on. Produced by a circulation of meaning, “Florentin” turns into a label and happens to become more than a place. Florentin becomes a statement. How then, as a multiple entries space, marginalized and more recently gentrified, Florentin became to be considered a distinct entity among the globalized agglomeration of Tel-Aviv? To answer this question, and wishing to contribute to the ongoing debate between globalization as hyper-mobility, networks and non-places and globalization as inducing a new territoriality, even if still considered a condition sine qua non of geography and life in the city, and place as significant and defined, loaded with specific atmospheres. Florentin, a complex space made of many layers of history and meaning, shows a third path and demonstrates to be a defined but open place, where different temporalities and scales articulate more than they supplant one another. If this is true, it is also subject to changes as the place is changing fast and new gentrified population setting in the neighborhood are weighting much in the definition of the identity of the place. This moment is then, to the joy of the researcher, presenting the particularities of transitions in action.

INDEX

Keywords : Tel-Aviv, place, identity, globalization, urban changes, exoticism, neighborhood Mots-clés : quartier, identité, lieu, mondialisation, exotisme, transformations urbaines

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 131

AUTEUR

CAROLINE ROZENHOLC Caroline Rozenholc est doctorante au laboratoire Migrinter (CNRS–Université de Poitiers), chargée de cours (à l'Université de Poitiers). Elle poursuit actuellement ses recherches sur les questions d’identité et d’espace, dans le cadre de sa thèse de géographie intitulée « Florentin : un lieu dans la mondialisation. Analyse des transformations socio-urbaines d’un quartier sud de Tel-Aviv (2005-2008) » sous la direction de W. Berthomière et d’E. Ma Mung. En 2008, elle a publié « De la frontière à la marge. Florentin : explorations géographiques d’un quartier historique » dans le numéro 55 de la revue Tsafon, consacré aux « cent premières années de Tel-Aviv » et (avec William Berthomière) « ‘Qui n’a pas rêvé, en flânant sur le boulevard des villes, d’un monde qui (…) débuterait avec les intentions ?’ : La rue comme figuration de formes ‘d’être au monde’ (sud Tel-Aviv, 2005-2008) », http://halshs.archives- ouvertes.fr/halshs-00344665/fr/. Caroline Rozenholc is a PhD student at Migrinter (CNRS-University of Poitiers). Her PhD project, under the supervision of W. Berthomière and E. Ma Mung, addresses the questions of identity and place, in times of globalization. It is entitled “Florentin: a place in the globalization. Analysis of the socio-urban transformations of a neighborhood of South Tel-Aviv (2005-2008)”. On this matter, she has recently published “From the border to the margin. Florentin: geographical explorations of an historical neighborhood”, Tsafon, “The first 100 years of Tel-Aviv”, 2008, n°55 and (with W. Berthomière), “‘Who didn’t dream, hanging round the boulevards of the city, of a world which (…) would start with the intentions?. The street as a figuration of the ways of being ‘to the world’ (South Tel-Aviv, 2005-2008)”, http://halshs.archives-ouvertes.fr/ halshs-00344665/fr/

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 132

English Translations

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 133

Editorial

Sophie Kessler-Mesguich

1 As I pen this first editorial as director of the French Research Center of Jerusalem (CRFJ), I would first of all like to express my delight and pride at assuming this position. The French Research Center of Jerusalem is today a lively hub of multi-disciplinary research in the social sciences (archaeology, history, philosophy, linguistics, musicology, anthropology, study of religion, political science and more). Thanks to collaboration between French and Israeli researchers, it has great potential to develop even further. Since September 2008, I have had the distinct pleasure of working with a dynamic team of engineers, technicians, assigned researchers, visiting teacher- researchers, doctoral and post-doctoral students. I thank them for all of their quality work in their respective disciplines. My gratitude also extends to my predecessor, Pierre de Miroschedji. With his rigor, tenacity and sound judgment that all who have worked with him have come to recognize, he has established and roundly developed during the four years of his mandate, an ambitious scientific program for the CRFJ, while maintaining it as an integral part of the international network of French Research Centers.

2 The unique French presence in Jerusalem is one rooted in history. The complexity of France’s administrative and diplomatic presence in the city is a reflection of the ever- present tension marked by Jerusalem’s beautiful historical sites and diverse populace. I hope that those who come to work at the CRFJ in future will continue to appreciate this complexity, particularly in relatively unexplored domains like comparative literature, cinema, economics, education, the cognitive sciences and others. 3 I can appreciate that in the current climate, when the state must tighten its purse strings, the operation of a center like the CRFJ constitutes a significant effort for our CNRS and MAEE patrons. During this difficult situation, which is being felt throughout the world, it is up to us to convince them that such an effort is necessary. The assistance provided by our patrons enables continued cooperation with researchers in a country whose scientific prowess is almost unrivalled. This activity is essential to developing French influence and language. Ongoing exchanges with our Israeli colleagues demonstrate the importance of such a dialogue and its utility. In this vein, I would like to thank France’s Ambassador to Israel, Mr. Jean-Michel Casa as well as

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 134

Cultural and Cooperation Counselor Mr. Tobie Nathan for their welcome and support. I would also like to thank the SCAC in Tel Aviv for its services. Current budgetary restrictions do not bode well for grants earmarked for doctoral and post-doctoral researchers. Because I attach such great importance to our educational mission, beginning this year, I have taken it upon myself to secure outside sources of funding by means of cultural sponsorship. 4 I am committed to ensuring that our work becomes better known, both among specialists as well as the general public. Our public activities have proven highly popular, indicating a need for further developing them. Our monthly conferences are always a success. The start of a new course on Israeli history (eight three-hour sessions) has in short order drawn to the Center a regular, and entirely new, clientele. Courses on Islam, the history of the Hebrew language as well as others are being planned for the coming months. We continue to organize seminars that allow researchers to both present their findings and facilitate collaboration with Israeli partners, something which is so necessary to scientific inquiry. Such seminars typically lead into CRFJ- organized workshops or symposia in cooperation with Israeli universities and research institutions. 5 With reference to our publications, in 2008, CNRS Éditions produced a new, four- volume spread consisting of a two-tome work by D. Trimbur and R. Aaronsohn (De Bonaparte à Balfour, la France, l’Europe occidentale et la Palestine, 1799-1917 1, 2001 edition reprint and De Balfour à Ben-Gourion, les puissances européennes et la Palestine, 1917-1948 2). It also features a case study by J-M. Joubert devoted to Yeshayahu Leibowitz (Leibowitz, une pensée de la religion 3) and De la mémoire de la Shoah dans le monde juif 4 by F. Ouzan and D. Michman. Other publications are in the works for 2009 both by CNRS Éditions as well as de Boccard – the latter in the form of an entirely new collection entitled Archéologie et sciences de l’Antiquité : mémoires et travaux 5. 6 Finally, we continue to publish our online Bulletin, a bilingual, annual update reflecting the diversity of work by CRFJ-associated and sponsored researchers. Bulletin is put on the Internet by Marjolaine Barazani whom I thank for her contribution to increasing the visibility and value of CRFJ research. Also to be found on our website, www.crfj.org, is detailed information regarding researchers, Center activities and publications. 7 Scientific rigor, ongoing development and increased visibility of the CRFJ: these are the objectives to which I will dedicate all of my energies for the duration of my term in Jerusalem.

NOTES

1. Bonaparte to Balfour : France, Western Europe and Palestine 1799-1917 2. Balfour to Ben Gurion : European Powers and Palestine 1917-1948 3. Leibowitz : Thoughts on Religion 4. Memory of the Holocaust in the Jewish World 5. Archaeology and Science in Antquity : dissertations and research

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 135

AUTHOR

SOPHIE KESSLER-MESGUICH

Director of the French Research Center of Jerusalem (CRFJ)

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 136

Hecataeus of Abdera and Jewish ‘misanthropy’

Katell Berthelot

1 The accusation of misanthropy directed against the Jews in Antiquity is probably the only specific anti-Jewish bias to be found in the Greco-Roman world, together with the accusation of atheism. Other charges may be considered stereotypes that were applied to other peoples as well.1 While many scholars have thought that the accusation of misanthrôpia first came from Egyptian writers who were hostile to Jews2 – because of the association of Jews with the Persian and Greek conquerors of Egypt, of the events that took place in the military colony at Elephantine at the end of the 5th century BCE,3 and above all of Manetho’s slanderous account of Jewish origins, as known to us through Josephus’ Against Apion –, I would like to argue that the very idea of misanthrôpia is a Greek notion, and that the accusation of misanthropy levelled against the Jews can only be understood in a Greek cultural context, at least originally, as in the case of Hecataeus of Abdera,4 who wrote at the end of the 4th century BCE and was the first writer to describe the Jewish way of life as misanthropic.5 Hecataeus’ excursus (apud Diodorus Siculus, Bibliotheca Historica 40.3) 2 The first part of the text deserves to be quoted in its entirety: “1. When in ancient times a pestilence arose in Egypt, the common people ascribed their troubles to the workings of a divine agency; for indeed with many strangers of all sorts dwelling in their midst and practising different rites of religion and sacrifice, their own traditional observances in honour of the gods had fallen into disuse. 2. Hence the natives of the land surmised that unless they removed the foreigners, their troubles would never be resolved. At once, therefore, the aliens were driven from the country, and the most outstanding and active among them banded together and, as some say, were cast ashore in Greece and certain other regions; their leaders were notable men, chief among them being Danaus and Cadmus. But the greater number were driven into what is now called Judaea, which is not far distant from Egypt and was at that time utterly uninhabited. 3. The colony was headed by a man called Moses, outstanding both for his wisdom and for his courage. On taking possession of the land he founded, beside other cities, one that is now the most renowned of all, called Jerusalem. In addition he established the temple that they hold in chief veneration, instituted their forms of worship and

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 137

ritual, drew up their laws and ordered their political institutions. He also divided them into twelve tribes, since this is regarded as the most perfect number and corresponds to the number of months that make up a year. 4. But he had no images whatsoever of the gods made for them, being of the opinion that God is not in human form; rather the Heaven that surrounds the earth is alone divine, and rules the universe. The sacrifices that he established differ from those of other nations, as does their way of living, for as a result of their own expulsion from Egypt he introduced a kind of misanthropic and inhospitable way of life (ajpavnqrwpovn tina kai; misovxenon bivon) (…).”6 3 Originally, this text may have belonged to Hecataeus’ ethnographical treatise on Egypt, the Aigyptiaka. The passage on the Jews is itself a short but typical ethnographical excursus, that includes a lot of well-known topoi such as the expulsion of foreigners who are defiling the country because of their foreign religious practices, the notion of ajpoikiva (“colony”) and the description of Moses as a ktivsth" (“founder”), the idea that the customs of the Jews differ from those of other nations, and so on.7 On the whole, the excursus praises Moses and is a rather positive account of Jewish history and laws, although it should be underlined that “the most outstanding and active men” among the foreigners are those who settle in Greece. The text displays a clearly Greek, ethnocentric vision of the world.8

4 Most scholars consider Hecataeus to depend on an Egyptian story that presents the Jews as a band of impious lepers who defiled the country and were finally expelled from Egypt – a story that would be found slightly later on in Manetho –.9 The idea that invaders or intruders from an Asian background poluted the country, that they somehow carried a disease and had to be expelled is a well-known literary motif in Egyptian literature.10 The question of when exactly it was applied to Jews is still debated.11 In any case, I would like to argue that Hecataeus is in no way dependent on this Egyptian tradition. In my opinion, his excursus inspires itself mainly from Greek sources. First, one should note that according to §1, it is the Egyptians who did not keep the ancestral religious rites, and they are the ones who are punished by the gods and who become sick. Second, the people expelled are clearly described as foreigners,12 not as Egyptian lepers, as the later anti-Jewish story would have it. Third, the Jews are not accused of impiety at all, whereas this is the most prominent feature in Manetho’s account. These discrepancies are not simply variants, they are to be explained by the influence of a different literary tradition, the Greek ethnographic discourse on Egypt. 5 The first book of Diodorus’ Bibliotheca Historica, which deals with Egypt, is said to depend heavily on Herodotus, but also on Hecataeus’ Aigyptiaka. Diodorus even mentions Hecataeus by name in 1.46.8.13 A comparison between the excursus in book 40 and what is written about Jews and Egypt in book 1 may thus be illuminating. In 1.28.1-4, one reads: “Now the Egyptians say (fasi) that also after these events a great number of colonies (ajpoikiva") were spread from Egypt over all the inhabited world. To Babylon, for instance, colonists were led by Belus, who was held to be the son of Poseidon and Libya (…) 2. They say (levgousi) also that those who set forth with Danaus, likewise from Egypt, settled what is practically the oldest city of Greece, Argos, and that the nation of the Colchi in Pontus and that of the Jews, which lies between Arabia and Syria, were founded as colonies by certain emigrants from their country (oijkivsai tina;" oJrmhqevnta" par∆ eJautw'n). 3. And this is the reason why it is a long-established institution among these two peoples to circumcise their male children, the custom having been brought over from Egypt. 4.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 138

Even the Athenians, they say (fasin), are colonists from Saïs in Egypt, and they undertake to offer proofs of such a relationship (…).”14 6 This passage, as well as 1.55.5, which also deals with the Egyptian origin of Jews and Colchi, is generally attributed to Hecataeus,15 although he is not mentioned by name in this context. A clear Herodotean influence is discernible too.16 It shares many common features with the story in book 40, but also reveals some differences. The main discrepancy is that Danaos and the Jews are presented in book 1 as Egyptian settlers, whereas in book 40, they are foreigners expelled from Egypt. It has led Daniel Schwartz to consider that Diodorus’ account in book 40 actually depends on a Jewish work, another “Pseudo-Hecataeus”.17 But even in book 40, the emigration of the foreigners is called ajpoikiva (40.3.3), which is a classical term in Greek to designate a colony. It normally implies that those who depart in order to settle in a new place belong to the city which they are leaving. Thus, it seems that even in book 40, Hecataeus’ account is still influenced by the story told by “the Egyptians.” The whole idea of Egyptians settling all over the world and being the very root of all civilizations is, in fact, a well- known Egyptian claim, frequently referred to by Herodotus.18 If we accept the hypothesis that Hecataeus is Diodorus’ main source in 1.28.1-4,19 it means that Hecataeus quoted this typical Egyptian discourse at some point in his work, just as Herodotus did. The fact that we are dealing with a quotation is clearly shown by the verbs levgousin and fasin. But these verbs simultaneously indicate that Hecataeus distances himself from the Egyptian assertions. Thus, there would be nothing surprising if, while dealing with the Jews, he had chosen to present his own version of the connection between Egypt and the Jews. The reasons for modifying the Egyptian account were numerous. In so far as it implied Greeks too, who were presented as stemming from an Egyptian background, it hurted Greek “national” pride. Aeschylus, for instance, found it offensive. In the Suppliant Maidens, he has the daughters of Danaos – who have fled from Egypt to Argos – claim to be of Greek ancestry through their father, who is himself a descendant of Epaphos, son of Io and Zeus.20 Several centuries later, Plutarch still blames Herodotus for having presented Danaos and his descendants as Egyptians, and forgotten Epaphos and Io.21 When Hecataeus (according to Diodorus 40.3) modifies the Egyptian account of the origins of Danaos and his companions (and secondarily of the Jews), he simply echoes the more widespread Greek understanding of the link between Danaos and Egypt. Although he is influenced by the Herodotean description of Egypt, as the remarks about the Colchi make clear,22 he may have been more critical than Herodotus of the Egyptian sayings,23 and have sided with Aeschylus (at least to a certain extent). In sum, the apparent contradictions between the two passages in Diodorus (1.28.1-4 and 40.3.1-3) are perfectly understandable when the difference between the Egyptian sayings and the Greek point of view about them is properly taken into account.24

7 Moreover, another Greek topos seems to play a role in Hecataeus’ excursus. The very expulsion of foreigners whose rites have influenced the natives and disturbed the legal order and the traditional cult – in other words, whose foreign customs have interferred with the ancestral laws of the natives –, an expulsion characterized as xenhlasiva (xenèlasia), may be explained by the reference to Sparta that pervades the text. Apart from an opinion ascribed to Eratosthenes, according to whom xenhlasiva is a barbarian practice (see Strabo 17.1.19), xenhlasiva (or the corresponding verb, xenhlatevw) is used in Greek literature mainly concerning Spartians.25 Thus, the use of the term shows that the reaction of the Egyptians to the corruption of their ancestral

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 139

laws is understood by Hecataeus as something analogical to the Spartan way of dealing with foreigners, and shows the pervasiveness of the references to Greek models and narratives in Hecataeus’ text. 8 Still, a Jewish influence on Hecataeus’ excursus is not to be completely excluded. He probably met Jews in Alexandria, and may have heard of the Biblical story of the Exodus. According to the Biblical account, Jews were indeed foreigners in Egypt, and the divine anger against the Egyptians arose because of them. Moreover, just as in Hecataeus’ account, the Jews were spared the plagues that afflicted the Egyptians. Of course, there are also many discrepancies between the Biblical story and the account in Diodorus 40.3.1-3: in the Bible, the god who became angry was the God of Israel, not the Egyptian divinities; his anger was motivated by Pharaoh’s refusal to let the Hebrews leave Egypt, not by the disruption of the Egyptian religious rites; and so on. But if Hecataeus heard about the Biblical story, he might have realized that it shared common features with his “graecocentric” scenario.26 9 To sum up, a close reading of the first book of Diodorus’ Bibliotheca Historica shows that it contains no hints of the Egyptian traditions that deal with impure lepers who join foreign invaders and desecrate Egypt. Thus, it is probable that Hecataeus nowhere referred to these stories, and he may even have ignored them completely. As far as the narrative in book 40 is concerned, I am led to conclude that there is no connection at all between Hecataeus’ account and the Egyptian traditions later to be found in Manetho. Hecataeus simply combined Greek traditions about Egypt, such as Herodotus’ Histories – who already echo the Egyptian claim to be the origin of humankind and of all other cultures –, the Greek image of Egypt as an inhospitable country, and the connection between Danaos and Egypt. He might have heard of the Biblical story of the Exodus (after all, he heard about Moses!), but his version of the departure from Egypt can also be understood without presupposing a reference to the Biblical account. This conclusion reflects what Elias Bickerman showed in an important article on the Greek discourse about “the origins of peoples.” This discourse is characterized by a tendency to integrate all barbarian peoples into a Greek system of archaiologia, where the discourse of the autochthons on their own origins is disqualified and replaced by the interpretatio graeca.27 10 But if Hecataeus was not aware of, or at least not influenced by the Egyptian stories concerning the lepers and the foreign invaders, where does the accusation of Jewish misanthropy come from? A different kind of explanation is required. As a first step, let us now analyze Hecataeus’ sentence in §4 more closely. The accusation of misanthropy formulated in §4 11 Although the perception of the Jews in the excursus is generally positive, a slightly more negative tone is to be noticed at the end of §4 (which is not the end of the excursus itself): “(…) as a result of their own expulsion from Egypt, he (Moses) introduced a kind of misanthropic (apanthrôpos) and inhospitable (misoxenos) way of life.”28 Apanthrôpos literally means “one who turns away from men / from the society of human beings,” and in many cases it is the equivalent of misanthrôpos.29 Moreover, the term apanthrôpos appears for the first time in Greek literature in Aeschylus’ Prometheus (v.20), where one also finds for the first time the term philanthrôpos (vv.7 and 28) (whereas misanthrôpos appears a little later). And a careful study of these terms shows that from the 5th to the 3d century BCE at least the term apanthrôpos functioned as the opposite of philanthrôpos much more than misanthrôpos, whose use was more limited. 30

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 140

As for the term misoxenos, it seems to have been coined here for the first time, and apart from two late Jewish texts,31 one finds it only twice in Greek literature, in both cases in Diodorus’ work (34/35.1.3; 40.3.4), and in connection to the Jews. I think that it should be understood as the contrary of philoxenos, as “inhospitable” (versus the stronger translation “hostile to foreigners”). One of the reasons for translating it in such a way is that philanthrôpia itself has to do with hospitality.32 12 Several scholars have underlined that Hecataeus tends to describe the Jews in a “Spartan light”,33 and this may be a first clue to explain why the Jewish way of life is described as misanthropic.34 As mentioned above, Spartans were renowned for their practice of expelling foreigners, and thus for their inhospitable mentality and customs. The reason why they expelled foreigners was their concern for the respect of their ancestral laws, that could have been altered if too many foreigners were to stay in the city of Sparta and the surrounding territory. The same reasoning is at work in the Hebrew Bible, where the Israelites are forbidden to intermarry with the Canaanites because they could be driven to idolatry.35 According to Deuteronomy, the Hebrews are even commanded to exterminate the seven nations of Canaan, so that the danger be eradicated, and the Law of God not forsaken. The books from Judges to 2 Kings, on the contrary, illustrate the disasters brought by the corruption of the Israelites and their kings, who did not remain faithful to the Mosaic Law. From this point of view, the parallel between Jews and Spartans could make sense, as was obvious to Josephus himself, who, in the Against Apion, justifies Jewish “separatism” by invoking the Spartan example.36 13 Thus, the implicit comparison between Jews and Spartans that pervades the text helps us to understand what Hecataeus means by “a kind of misanthropic and inhospitable way of life.” But the Spartans are never accused of being a misanthropic people. The Jews are actually the only people or nation ever accused of being misanthropic (misanthrôpos , apanthrôpos) and inhospitable (misoxenos) in the whole corpus of Greek literature. Why is that so? In order to answer this question, one needs to understand what misanthropy meant in Greek culture. Misanthropy in Greek culture 14 One should first underline the connection between misanthropy and theater, especially comedy. In Plato’s Protagoras, when the sophist wants to defend the idea that virtue can be taught through education, he says: “(…) you must regard any man who appears to you the most unjust person ever reared among human laws and society as a just man and a craftsman of justice, if he had to stand comparison with people who lacked education and law courts and laws and any constant compulsion to the pursuit of virtue, but were a kind of wild folk (a[grioiv) such as Pherecrates the poet brought on the scene at last year’s Lenaeum. Sure enough, if you found yourself among such people, as did the misanthropes (misavnqrwpoi) among his chorus, you would be very glad to meet with Eurybatus and Phrynondas, and would bewail yourself with longing for the wickedness of the people here”.37 15 The misanthropes are those who have run away from the life in the polis. But instead of finding men who live a philosophical life by following the law of nature, they meet frightening savage people. Thus, through the comedy, the law of the city is being rehabilitated. From this text one learns that at the time of Plato, misanthropes were already comedy characters, and that they were seen as people who mistrusted their fellow human beings (probably considered perverted and thus intrinsically bad) but

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 141

also the laws of the city (considered artificial, and opposed to the law of nature), and, as a consequence, tended to set themselves apart from the life of the city.

16 Jacqueline de Romilly, in a book intitled La douceur dans la pensée grecque, gives other examples of comedies involving one or several misanthropic characters, whose texts are now lost. One of them is a play by Diphilos intitled The Misanthropes. 38 Before this one, however, one finds the Dyskolos, one of Menander’s fairly well-preserved plays, an alternative title of which was The Misanthrope ( Misanthrôpos). In the Dyskolos the misanthrope is called Knemon, and although he lives in the proximity of a shrine dedicated to Pan and the Nymphs, he refuses to greet people who pass by, to talk with them or to help those who are lost or need something for the sacrifice. He lives completely alone except for the company of his daughter and an old servant. As Menander writes, Knemon is “a hermit of a man (ajpavnqrwpov" ti" a[nqrwpo" sfovdra), peevish to everybody (duvskolo" pro;" a{panta"), loathing crowds.”39 17 Some scholars think that Menander may have been inspired by a well-known misanthropic character in Antiquity, called Timon.40 We have evidence for the existence of this character in the theater as early as Aristophanes. Although he does not use the word apanthrôpos or misanthrôpos, Aristophanes clearly presents Timon as a misanthrope, be it in the Birds (v.1549) or in the Lysistrata (vv.808ss). In literature in general, from the 5th century BCE until late Antiquity, Timon is always referred to as a misanthrope. Alexandrian poets were very fond of this character, as several epigrams show. Callimacus for example writes: “Timon (for you are no more), which is hateful to thee – Darkness or Light? The Darkness, for there are more of you in Hades.”41 The association of Timon with misanthropy can also be found later on in Cicero, Plutarch, Lucian, and so on.42 18 So at the time of Hecataeus, the misanthrope was a well-known comedy character. Interestingly enough, the increasing attention given to this character from the fourth century onwards, with the parallel development of the adequate terminology (apanthrôpos, misanthrôpos and so on), coincides in a way with the creation of the Peripatetic school. Now Aristotle did not only write that humans were political animals, but also – and he seems to be the first philosopher to formulate this idea explicitly – that there is a natural friendship, philia, between human beings, just because they belong to the same specie: “And the affection of parents for offspring and of offspring for parents seems to be a natural instinct, not only in man but also in birds and in most animals; as also is friendship between members of the same species; and this is especially strong in the human race; for which reason we praise those who love their fellow men (tou;" flanqrwvpou"). Even when travelling abroad one can observe that a natural affinity and friendship exist between man and man universally (wJ" oijkei'on a{pa" a[nqrwpo" ajnqrwvpw/ kai; fvlon).”43 19 Aristotle’s disciple, Theophrastus, further elaborated the notion of oijkeiovth" (oikeiotès) or kinship between human beings,44 and we know from his Characters that he condemned surliness (XV, aujqavdeia), penuriousness (X, mikrologiva), querulousness (XVII, memyimoiriva) and distrustfulness (XVIII, ajpistiva). Nearly all these traits characterize the misanthrope to a certain extent. Actually, many scholars have gone so far as to consider that Menander was influenced by Theophrastus. But one should rather speak of a common intellectual background, which may have been influenced to a certain extent by Peripatetic philosophy.45 Why people are misanthropic

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 142

20 Now we need to ask ourselves the question: were people born misanthropes? If not, then how and why did they become misanthropes? In the Phaedo, Plato gives a nice psychological explanation of misanthropy: “(…) misanthropy (misanqrwpiva) arises from trusting someone implicitly without sufficient knowledge. You think the man is perfectly true and sound and trustworthy, and afterwards you find him base and false. Then you have the same experience with another person. By the time this has happened to a man a good many times, especially if it happens among those whom he might regard as his nearest and dearest friends, he ends by being in continual quarrels and by hating everybody and thinking there is nothing sound in anyone at all.”46 21 When somebody who strongly trusted another person has been deceived by that person, and when this bad experience reproduces itself, he or she becomes a misanthrope, somebody who avoids the company of others and tends to abhor his or her fellow human beings. Plato himself, having been very disappointed by Dionysus the tyrant, writes that he is going to become slightly misanthropic!47

22 This etiology of misanthropy can be found again and again in Greek literature. In Menander’s Dyskolos, Knemon is not born a misanthrope, he has become such because he has been disappointed by human beings, as scene 5 in act 4 makes clear.48 Plutarch writes in his Life of Antony that Antony “was contentedly imitating the life of Timon, since, indeed, his experiences had been like Timon’s; for he himself also had been wronged and treated with ingratitude by his friends, and therefore hated and distrusted all mankind.”49 Lucian too, in his work on Timon, explains that Timon became a misanthrope because he was betrayed by friends to whom he had lent money, and who did not return it to him. After having become rich again thanks to Zeus’ intervention, Timon speaks about himself in the following way: “His favourite name shall be ‘the Misanthrope,’ and his characteristic traits shall be testiness, acerbity, rudeness, wrathfulness and inhumanity (ajpanqrwpiva).”50 This etiology seems to belong to the very significance of misanthropy in the Greek world. Back to Hecataeus’ text 23 What are the implications of all this for the understanding of Hecataeus’ text? First, one should pay attention to the fact that Hecataeus describes the Jewish way of life as “a kind of misanthropic and inhospitable way of life” (because of the Greek word tiv" used in this sentence). This shows that Hecataeus himself was somehow surprised by the Jewish behaviour and aware of how strange it was to speak of a whole people as behaving in a misanthropic way. As I have said and as the above-mentioned texts should have made clear, misanthropy always characterizes individuals, not a people as a whole. So what we have here is an image, or if you prefer, an analogy. Look at these people who behave like the misanthrope of the comedies! 24 The reasons why Hecataeus saw the Jews as behaving like misanthropes can be guessed from what we know of Jews in Alexandria at the beginning of the 3d century BCE and what we have understood about misanthropy through the texts mentioned above. The misanthrope is not a foreigner; he is even probably a citizen (Knemon for example is a citizen). It is the very fact that he has a place in the city, and that he is supposed to be involved in its social and political life, which makes his attitude so strange and reprehensible. 25 Now if we think about Jews in Alexandria or even in Egypt in general (where Hecataeus might have met them, or where at least he heard about them), a parallel can be drawn:

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 143

because they served in Alexander’s armies and the Ptolemies’ armies in general, the Jews were considered Hellenes, not Egyptians, which meant that they shared in (at least some of) the privileges of the Hellenes.51 They certainly spoke Greek. Greek writers who were contemporaries of Hecataeus, such as Megasthenes or Clearchus of Soli, considered the Jews a philosophical group, very Greek indeed. Clearchus for example reports an imaginary conversation between Aristotle and a Jew, whom Aristotle describes as having “the soul of a Greek.”52 But on the other hand, the Mosaic laws did not allow Jews to eat the food of the non-Jews, to intermarry or to partake in pagan religious ceremonies. This meant that they had to stay away from the political life of the Greek polis, since that life was based on civic religious acts such as sacrifices and ritual meals. Banquets, be they public or private, were a very central feature of social life in a polis.53 So by remaining faithful to their laws, Jews excluded themselves from the social and political life of the polis, at least to a certain extent. 54 In the eyes of a Greek, they somehow behaved like the misanthropes. 26 Actually, Hecataeus’ explanation of Jewish misanthropy reminds us of what Plato and others wrote on that subject. Hecataeus writes: “(…) as a result of their own expulsion from Egypt (Moses) introduced a way of life which was somewhat misanthropic and inhospitable.” In other words, because they suffered at the hand of their fellow human beings in whose country they were hosts, the Jews (following Moses) decided to avoid intercourse with other peoples. This explanation corresponds to the traditional Greek etiology of misanthropy (as shown in §4). Conclusion 27 In conclusion, one must insist on the fact that misanthropy differs from savagery. A misanthrope is not a barbarian or a non-civilized person. Many barbarian peoples were considered hostile to foreigners, eventually engaging in such practices as killing or sacrificing strangers, or at least expelling them. In the first book of Diodorus’ Bibliotheca Historica, as well as in 40.3, we read about the Egyptian practice of expelling foreigners, an attitude described as axenia.55 In a very different way, Jews are said to have misanthropic customs, because they were already considered part of the community of the Hellenes, and were expected to take part in at least some aspects of its cultic and social life. Because the Jews, for religious reasons, refused to enter into this religious and political koinônia, they were perceived by Hecataeus as behaving like misanthropes. Although their attitude was considered strange and not very nice, in the eyes of a fourth/third century Greek writer like Hecataeus it was not yet as reprehensible as it happened to be at the end of the 2nd century BCE, when, in a completely different political context, Jewish separatism was understood as an expression of deep hatred against all non-Jews. 28 Finally, I wish to underline that this interpretation of the accusation of misanthropy in Hecataeus’ text allows us to understand why other peoples who had strange dietary laws or practiced circumcision (such as the Egyptians themselves, to a certain extent) were not accused of being misanthropic peoples. Although they had peculiar customs, these customs did not prevent them from participating in the life of the Greek community, when they had the opportunity to do so. As a consequence, they would not have been perceived the way the Jews were.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 144

NOTES

1. See already I. Heinemann, “Antisemitismus”, R.E. Suppl. V, 1931, col. 3-43; J. Isaac, Genèse de l'antisémitisme, Paris, Calmann-Lévy, 1956, p. 75; and more recently G. Bohak, “The Ibis and the Jewish Question: Ancient ‘Anti-Semitism’ in Historical Perspective”, in Jews and Gentiles in the Holy Land in the Days of the Second Temple, the Mishnah and the Talmud, ed. by M. Mor (et al.), Jerusalem, Yad Ben-Zvi Press, 2003, p. 27-43. L. H. Feldman writes: “The main, most serious and most recurrent charge by intellectuals against Jews is that they hate Gentiles” (Jew and Gentile in the Ancient World: Attitudes and Interactions from Alexander to Justinian, Princeton, Princeton University Press, 1993, p. 125). On ethnic stereotypes in the Greco-Roman world, see now B. Isaac, The Invention of Racism in Classical Antiquity, Princeton, Princeton University Press, 2004. 2. See for example J. Yoyotte, “L’Egypte ancienne et les origines de l’antijudaïsme”, Bulletin de la société E. Renan, RHR 163, 1963, p. 133-143; and more recently P. Schäfer, Judeophobia. Attitudes towards the Jews in the Ancient World, Cambridge – London, Harvard University Press, 1997, p. 167-169, who nuances this view, since he writes that: “(…) one must reckon with the possibility that the xenophobia motif indeed belongs more to the Greek adaptation of the expulsion story than to its original Egyptian background” (p. 168). 3. See the standard edition of the papyri pertaining to this crisis, by A. Cowley, Aramaic Papyri of the Fifth Century B.C., Oxford, Clarendon Press, 1923 ; B. Porten and A. Yardeni, Textbook of Aramaic Documents from Ancient Egypt, Winona Lake, Eisenbrauns, 1986-1993, 3 vol. (see vol.1, p. 53-79). See also B. Porten, Archives from Elephantine. The Life of an Ancient Military Colony, Berkeley, University of California Press, 1968; J. Mélèze- Modrzejewski, Les Juifs d’Egypte de Ramsès II à Hadrien, Paris, PUF-Quadrige, 1997 (first edition Paris, Errance, 1991; english translation The Jews of Egypt: From Ramses II to Emperor Hadrian, Philadelphia – Jerusalem, Jewish Publication Society, 1995), p. 56-67. 4. On Hecataeus, see F. Jacoby, “Hekataios”, R.E. VII.2, 1912, col. 2750-2751; O. Murray, “Hecataeus of Abdera and Pharaonic Kingship”, JEA 56, 1970, p. 144-145; W. Spoerri, “Hekataios von Abdera”, RAC 14, 1988, col.278-279; G. E. Sterling, Historiography and Self- Definition – Josephus, Luke-Acts and Apologetic Historiography, Leiden, Brill, 1992, p. 59-61, 74; B. Bar-Kochva, Pseudo-Hecataeus, “On the Jews”. Legitimizing the Jewish Diaspora, Berkeley, University of California Press, 1996, p. 7-43. 5. For a comprehensive study of the accusation of misanthropy, see my book Philanthrôpia judaica. Le débat autour de la ‘misanthropie’ des lois juives dans l’Antiquité (Leiden, Brill, 2003, SJSJ 76). 6. Translation by F. R. Walton, LCL, 1967, p. 281-283, slightly modified. 7. See W. Jaeger, “Greeks and Jews”, Journal of Religion 18/2, 1938, p. 127-143; E. Will and Cl. Orrieux, Ioudaïsmos-Hellènismos. Essai sur le judaïsme judéen à l'époque hellénistique, Nancy, Presses Universitaires de Nancy, 1986, p. 83-93; Bar-Kochva, Pseudo-Hecataeus, “On the Jews”, p. 22-26, 28, 30-35. G. E. Sterling considers that Hecataeus’ excursus belongs both to ethnography and apologetic historiography (see Historiography and Self- Definition, p. 74-75). 8. As already underlined by J. Mélèze-Modrzejewski in “L’image du Juif dans la pensée grecque vers 300 avant notre ère”, in Greece and Rome in Eretz Israel. Collected Essays, ed. by A. Kasher, U. Rappaport and G. Fuks, Jerusalem, Yad Izhak Ben-Zvi – The Israel

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 145

Exploration Society, 1990, p. 105-118. See also Schäfer, Judeophobia, p. 16 ; E. S. Gruen, “The Use and Abuse of the Exodus Story”, in Heritage and Hellenism, the Reinvention of Jewish Tradition, Berkeley, University of California Press, 1998, p. 51-53. 9. On the date of Hecataeus’ work, see O. Murray, “The Date of Hecataeus’ work on Egypt”, JEA 59, 1973, p. 163-168, who proposes a date before 315 BCE. See also the different opinion of M. Stern, who suggests a date after 305 (“The Chronological Sequence of the First References to Jews in Greek Literature”, JEA 59, 1973, p. 159-163; GLAJJ 1, p. 8-9). B. Bar-Kokhva also favors a date between 306 and 301 BCE (see Pseudo- Hecataeus On the Jews, p. 15-16). On the relationship between Hecataeus’ work and Manetho’s, see below. 10. See Yoyotte, “L’Egypte ancienne et les origines de l’antijudaïsme” (quoted n.2); see also the analysis by J. Assmann, in Moses the Egyptian. The Memory of Egypt in Western Monotheism, Cambridge – London, Harvard University Press, 1997, p. 25-34. 11. According to Schäfer (as well as other scholars), Josephus’ account is reliable; it is Manetho himself who wrote about the expulsion of Jews from Egypt, not a later Egyptian writer (generally called pseudo-Manetho); as a consequence, the merging of the expulsion story and the hostility towards the Jews would date at least from the beginning of the third century BCE. But the reliability of Josephus’ account is still a debated issue. See E. Meyer, Aegyptische Chronologie, Berlin, Verlag der Königl. Akademie, 1904, p. 71-79; M. Braun, History and Romance in Graeco-Oriental Literature, Oxford, Blackwell, 1938, p. 27; A. Momigliano, “Intorno al Contra Apione”, in Quinto contributo alla storia degli studi classici e del mondo antico, Rome, Edizioni di storia e letteratura, 1975, p. 765-784; E. Bickerman, The Jews in the Greek Age, Cambridge – London, Harvard University Press, 1988, p. 224; C. Aziza, “L’utilisation polémique du récit de l’Exode chez les écrivains alexandrins”, ANRW II.20.1, 1987, p. 50; E. Gabba, “The Growth of Anti-Judaism or the Greek Attitude Towards the Jews”, in Cambridge History of Judaism, vol.2, ed. by W. D. Davies et al., Cambridge, Cambridge University Press, 1989, p. 633; E. Gruen, “The Use and Abuse of the Exodus Story”, p. 56-59. 12. Successively named katoikouvntoi xevnoi, ajllofuvloi, ajlloeqnei'". 13. On this issue, see A. Burton, Diodorus Siculus. Book I. A Commentary, Leiden, Brill, 1972; W. Spoerri, “Hekataios von Abdera”, RAC 14, 1988, col. 279-280. 14. 1.28.1-4, translation by C. H. Oldfather, LCL, 1960, p. 91. 15. See Jacoby, FGH III a, Kommentar, p. 75-87, above all p. 80-81; W. Jaeger, “Greeks and Jews”, p. 137; E. Schwartz, Griechische Geschichtschreiber, Leipzig, Koehler & Amelang, 1957, p. 47; O. Murray, “Hecataeus of Abdera and Pharaonic Kingship”, p. 145 and 152 ; B. Z. Wacholder, Eupolemus. A Study of Judaeo-Greek Literature, Cincinatti – New York, Hebrew Union College & Jewish Institute of Religion, 1974, p. 89; B. Bar-Kochva, Pseudo- Hecataeus, “On the Jews”, p. 208-210. 16. See Herodotus 2.104, and the remarks below. 17. See D. Schwartz, “Diodorus Siculus 40.3 – Hecataeus or Pseudo-Hecataeus?”, in Jews and Gentiles in the Holy Land in the Days of the Second Temple, the Mishnah and the Talmud, ed. by M. Mor et al., Jerusalem, Yad Ben-Zvi, 2003, p. 181-197. The idea was already formulated by J. C. H. Lebram, “Der Idealstaat der Juden”, in Josephus-Studien. Untersuchungen zu Josephus, dem antiken Judentum und dem Neuen Testament, ed. by O. Betz, K. Haacker and M. Hengel, Göttingen, Vandenhoeck & Ruprecht, 1974, p. 233-253. 18. See Book 2, §§2, 4, 51, 54-58, 82, 109, 177 etc., where the Egyptian origin of many customs and inventions is stated.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 146

19. Cautiousness is required, since contemporary commentators of Diodorus’ work tend to consider him less dependent on his sources than was previously thought. See for example the introduction to the French edition of Diodorus’ Book 1 in C.U.F., by François Chamoux, p. XXV-XXXII. Diodorus, who travelled himself to Egypt, was sometimes critical of what other Greek writers reported about this land (see for example 1.69.7, where he criticizes Herodotus; and also 3.11.1-3, where he mentions the Egyptian priests with whom he talked during his visit in Egypt). Moreover, Diodorus used several sources, not just one, and certainly mingled them. Concerning his use of Hecataeus’ work, Anne Burton writes: “It is too easy to attribute to an author, the major part of whose work has been lost, passages for which an alternative source is not immediately apparent. Moreover, it cannot be ignored that certain passages may well have had their origins in authors considerably later than Hecataeus, and that Diodorus is himself responsible for others. It is safer then to conclude that in Book I Diodorus drew upon Agatharchides or Artemidorus for chs. 37-41 and possibly for part of chs. 30-36; while for the rest of the book he undoubtedly made some use of Hecataeus of Abdera, at the same time incorporating material from other widely different authors into the framework of his own construction” (Diodorus Siculus. Book I. A Commentary, p. 34). 20. See Aeschylus, Suppliants 40-48; 277-323; 329-331; Prometheus Bound 567, 590, 850-856; Euripides, Phoenician Maidens 676-682 (concerning Cadmos). Cf. “Epaphos”, in RE 5.2, 1905, col. 2708-2709 (that deal with his genealogy), by Escher, and “Danaos”, in RE 4.2, 1901, col. 2094-2098, by Waser. There were different traditions on Epaphos, Danaos and Cadmos, which contradicted each other. Some Athenian writers accepted the idea of a mixed or a fully barbarian origin for Danaos and Cadmos, that, according to them, contrasted with the purely Greek origin of the Athenians (see for example Plato, Menexenus 245 d, and Isocrates, Helen 67-68). 21. See On the Malice of Herodotus 857 e. 22. Compare with Herodotus 2.104. Obviously, it could also be an Herodotean influence on Diodorus. But it is obvious that Hecataeus had read Herodotus too, so that an Herodotean influence on Hecataeus is probable as well. 23. But Herodotus himself, even if somehow fascinated by Egypt, remained critical to a certain extent (see for example 2.2, and also the way he expresses himself on his work in 2.104). 24. On the Greek perceptions of Egypt, see Cl. Préaux, “La singularité de l’Égypte dans le monde gréco-romain”, Chronique d’Égypte 49, 1950, p. 110-123; Fr. Hartog, “Les Grecs Egyptologues”, Annales 5, 1986, p. 953-967; A. B. Lloyd, “Herodotus on Egyptians and Libyans”, Entretiens Fondation Hardt XXXV, 1990, p. 215-253. 25. See Plato (Protagoras 342 c, Laws 950 b and 953 e), Aristotle (Politics 1272 b), Thucydides (1.144.2 and 2.39.1-2), Xenophon (Constitution of Lacedaemon 14.4), Dionysos of Halicarnassus (Ant. Rom. 2.17.1), Plutarch (Life of Lycurgus 9.4, Life of Agis 10.3, Apophthegmata Laconica 226 d, 237 a, 238 d), Philostratus (Life of Apollonius of Tyana 6.20, Epistulae et dialexeis 1.28), and the Suda, where, at x, one finds xenhlatei'n, which is explained exclusively by reference to the Spartan practice, with a quotation from Aristophanes’ Birds (1012). One exception is Polybius 9.29.4, where the verb is used in a non-Spartan (but Greek) context. 26. As already suggested by I. Heinemann, “Hekataios”, col.25; see also Troiani, Commento storico, p. 42.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 147

27. Cf. E. Bickerman, “Origines Gentium”, Classical Philology 47, 1952, p. 65-81 (republished in Religions and Politics in the Hellenistic and Roman Periods, ed. by E. Gabba and M. Smith, Como, Edizioni New Press, 1985, p. 401-417). I disagree with both D. Schwartz and E. Gruen, who attribute the originality of Hecataeus’ account to a Jewish author or to a Jewish reshaping of the Exodus story (even if I agree with Gruen that Jews occasionally refashioned their own past in the most creative way). I am not convinced either by the explanation put forward by D. Mendels (“Hecataeus of Abdera and a Jewish Patrios Politeia of the Persian Period (Diodorus Siculus 40.3)”, ZAW 95/1, 1983, p. 96-110), according to whom Hecataeus’ information came from Jewish priestly circles in the late 4th century BCE; see the remarks by E. Gruen in ibid., p. 54, n.46. It seems quite obvious that Hecataeus had contacts with Egyptian Jews, but his account is understandable without presupposing a strong Jewish influence of the kind advocated (in different ways) by Schwartz, Gruen and Mendels. 28. The word tis, which most translators link to apanthrôpos, more probably refers to bios, “way of life”. 29. Cf. P. Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue grecque, Paris, Klincksieck, 1968, vol.1, p. 90. 30. See for example Menander, Dyskolos 6; cf. K. Berthelot, Philanthrôpia judaica, p. 72-77. 31. Wisdom 19:13 (where it is applied to the Egyptians) and Josephus, Jewish Antiquities 1.194 (in connection with the Sodomites). 32. See for example Diodorus 5.33-38, especially 5.34.1 (one of the very few examples of a barbarian people described as philanthropôs). Cf. K. Berthelot, Philanthrôpia judaica, p. 44 and 47-52. 33. Cf. Jaeger, “Greeks and Jews”, p. 142; Hengel, Judentum und Hellenismus, p. 465 (Judaism and Hellenism vol.1, p. 256); Murray, “Hecataeus of Abdera and Pharaonic Kingship”, p. 158 ; Stern, GLAJJ 1, p. 32; Will and Orrieux, Ioudaïsmos-Hellènismos, p. 87; Mélèze-Modrzejewski, “L’image du Juif”, p. 108-109; E. Gruen, “The Purported Jewish- Spartan Affiliation”, in Transitions to Empire. Essays in Greco-Roman History, 360-146 B.C., in Honor of E. Badian, ed. by R. W. Wallace & E. M. Harris, Norman – London, University of Oklahoma Press, 1997, p. 260; C. P. Jones, Kinship Diplomacy in the Ancient World, Cambridge – London, Harvard University Press, 1999, p. 73-79. 34. Cf. Hengel, Judentum und Hellenismus, p. 133-134; Murray, “Hecataeus of Abdera and Pharaonic Kingship”, p. 158; Bickerman, The Jews in the Greek Age, p. 18. 35. See for example Deuteronomy 7:1-6. 36. See Against Apion 2.258-261. The apologetic character of the argument is obvious, but the comparison with Sparta remains significant. 37. Protagoras 327 d, translation by W. R. M. Lamb, LCL, p. 149. 38. See La douceur dans la pensée grecque, Paris, Les Belles Lettres, 1979, p. 206; on Diphilos’ play, dated around 256 BCE, see also E. Capps, “Misanthropoi or Philanthropoi”, Hesperia 11/4, 1942, p. 325-328, and L. Robert, Bulletin Epigraphique 1938, n°54 et 1944, n°74. 39. Dyskolos vv.6-7, translation by W. G. Arnott, LCL, p. 185. 40. See W. Schmid, “Menanders Dyskolos und die Timonlegende”, RhM N.S. 102, 1959, p. 157-182. 41. Callimacus, Epigrams 5, translation by A. W. Mair, LCL, p. 141. 42. See Cicero, Tusculan Disputations 4.10.23-11.25 and 4.11.27; Plutarch, Life of Antony 70.8; Life of Alcibiades 16.9; Life of Antony 69.7 and 70.2; Lucian, Timon, the Misanthrope, ed. by A. M. Harmon, LCL, 19686, vol.2, p.326-393; Stobaeus, Anthology 3.10.53.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 148

43. Nicomachean Ethics 8.1, 1155 a, translation by H. Rackham, LCL, p. 451-453. 44. See Porphyry, De Abstinentia 2.22.1-3 and 3.25.1-4. 45. See A. Barigazzi, “Il Dyscolos di Menandro o la commedia della solidarietà umana”, Athenaeum 37, 1959, p.184-195; F. Wehrli, “Menander und die Philosophie”, Entretiens Fondation Hardt 16, 1970, p.147-152; P. Grimal, “Térence et Aristote à propos de l’«Héautontimorouménos»”, Bulletin de l’Association Guillaume Budé 1979, p.175-187. 46. Phaedo 89 d, translation by H. North Fowler, LCL, p. 309-311. 47. See Letters 1, 309 b. 48. See in particular vv.718-721. 49. Life of Antony 69.4, translation B. Perrin, LCL, p. 297. 50. Timon, or the Misanthrope, §44, translation by A. M. Harmon, LCL. 51. See J. Mélèze-Modrzejewski, “Le statut des Hellènes dans l’Egypte Lagide : bilan et perspectives de recherches”, REG 96, 1983, p. 241-268; id., Les Juifs d’Egypte, p. 107-120; J. Barclay, Jews in the Mediterranean Diaspora from Alexander to Trajan (323 BCE – 117 CCE), Edinburgh, T.&T. Clark, 1996, p. 20-34; E. Gruen, Diaspora. Jews amidst Greeks and Romans, Cambridge, Harvard University Press, 2002, p. 68-70. 52. See Josephus, Against Apion 1.180; B. Bar-Kochva, “The Wisdom of the Jew and the Wisdom of Aristotle”, in Internationales Josephus-Kolloquium Brüssel 1998 (MJSt 4), ed. by F. Siegert and J. U. Kalms, Münster, Lit, 1999, p. 241-250. 53. On the importance of banquets in Greek public life, see P. Schmitt-Pantel, La cité au banquet, Rome, Ecole Française de Rome (diffusion E. de Boccard), 1992. On Jews and banquets, see S. R. Shimoff, “Banquets: The Limits of Hellenization”, JSJ 27/4, 1996, p. 440-452. 54. See the comment by E. Will and Cl. Orrieux, concerning Hecataeus’remark in §4: “(…) il est bien évident que si les Juifs évitent le contact des goyim au point qu’un Grec du début du IIIe s. voit en eux des apanthrôpoi, des gens qui ‘se détournent du genre humain’, c’est à cause de la rigoureuse minutie des préceptes de la Loi, à cause, pourrait-on dire, du rempart de tabous que cette Loi avait dressé autour d’eux et que le contact avec les goyim risquait de les contraindre à enfreindre” (Ioudaïsmos-Hellènismos, p. 92). However, as underlined by E. Gruen, we have several testimonies concerning Jews who took part in the socio-political life of the polis in which they lived, and even took upon themselves political responsibilities (cf. Diaspora, p. 68-70, 105-132, etc.). What we do not know is whether they managed to keep observing the commandments faithfully. Dositheos son of Drimilos, who is mentioned in the Zeno papyri as secretary to the king, and even became a priest of the cult of Alexander and the Ptolemies under Ptolemy III (in 223/222 BCE), was probably considered an “apostate” (see Mélèze- Modrzejewski, Les Juifs d’Egypte, p. 82-90). Tiberius Julius Alexander (Philo’s nephew), who became prefect of Egypt, and magister militum under Titus during the siege of Jerusalem, does not seem to have been an observant Jew (A. Terian even calls him an apostate, cf. Alexander, Paris, Cerf, 1988, p. 40). So the problem remains, and it must have been crucial in social relationships too. On Jewish observance of the dietary laws, see for example J. Barclay, Jews in the Mediterranean Diaspora, p. 434-437. 55. See Diodorus 1.67.9-11.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 149

ABSTRACTS

This article shows that the first text accusing the Jews of misanthropy (Hecataeus of Abdera, quoted by Diodorus) can only be properly understood if one keeps in mind the Greek origin of this notion, as well as its meaning in Greek literature, particularly theatre.

INDEX

Keywords: Hecataeus of Abdera, Judaism, misanthropy, anti-Jewish stereotypes, Egypt, Hellenistic period

AUTHOR

KATELL BERTHELOT Katell Berthelot, doctor in History of Religions from the University of Paris 4 - Sorbonne (2001), has published Philanthrôpia judaica. Le débat autour de la “misanthropie” des lois juives dans l’Antiquité (Leiden – Boston: Brill, 2003), L’ “humanité de l’autre homme” dans la pensée juive ancienne (Leiden – Boston: Brill, 2004), and Le monothéisme peut-il être humaniste ? (Paris: Fayard, 2006). She is a permanent researcher at the CNRS / CRFJ, and works on the history of Judaism in the Hellenistic and Roman period.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 150

In search of a lost time (Re) construction of identity in the Circassian diaspora in Israel

Eleonore Merza

Palestinian Jews and Israeli Arabs? 1 In January 2008, few months before the commemorations of the sixtieth anniversary of the establishment of the State that Israel is preparing to celebrate with pomp, the Israeli-Argentinian conductor and internationally well-known pianist, Daniel Baremboim, co-founder with Edward Said of the West-Eastern Divan Orchestra in 1999, was made honorary citizen in Ramallah, for his efforts to bring Israelis and Arabs closer and was given a Palestinian passport, becoming the first Israeli Jew to get both nationalities.

2 When he said that it was a great honor for him to be granted this passport, many hostile reactions in the political arena and in Israeli public opinion were heard1. Yakov Margi, representating the Shas party2 in the Knesset asked the Israeli government to declare obsolete the Israeli citizenship of Daniel Baremboim and said about him: “(...) it is embarrassing for the country that a person like him still has an Israeli citizenship (...) I am sure that in the eyes of Israelis, he lost the moral authority that gave him the right to be an Israeli (...)”. In the readers’ letters to the editor of the newspaper Haaretz, rather left- wing, some even call the “new” Palestinian citizen to leave the Israeli national territory to settle in the West Bank or Gaza Strip. 3 During the following month, in March 2008, Ghaleb Majadle, a member of the Knesset, and above all the first Arab Muslim to acceed to a post of minister3, triggers a political and media storm by declaring to one of the most important Israeli newspaper that he refuses to sing the Hatikva, the national anthem4, at the Knesset because he believes that it is “written for Jews only” and that “the Arabs are not in mood to sing at this time.”5 To mark the respect he must assure, as minister of State, to the Israeli law, Ghaleb Majadle stands up when the national anthem sounds but refuses to sing the words that are addressed, according to him, to a separate part of the population and which, as a Muslim Arab citizen of Israel, he can not identify with6. 4 The religious parties, the Israeli right and right wing responded immediately to cut short the revival of an old debate that the State of Israel has faced since its creation

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 151

and, which from today, has not yet been decided: the disctinction between citizenship and religious practice in Israel. In other words, must Israel be the Jews’ state, the Jewish state or the state of all its inhabitants? 5 Arieh Eldad, from the Ichud Leumi-Mafdal’s coalition declared then that an individual who refuses to sing the national anthem, and who does not recognize himself in it, should not be given a ministerial function. MK7 Zevulun Orlev, from the same party, asked for public apologies for what he considers “a clear violation of the ministerial oath which guarantees loyalty to the State of Israel and its laws.” 6 Some even ask for his resignation outright, others go further by proposing the “transfer”8 to the Palestinian Authority of this citizen hitherto relatively integrated into the Israeli political public sphere. 7 A “right of being an Israeli” for Yakov Margi, a “breach (...) of loyalty to the State of Israel and its laws” for Zevulun Orlev: the debate remains unresolved, the boundaries are blurred and the war of words is raging. 8 These two events, which seem minor under the general context, but have become a real matter of state, cited in remarks illustrate how issues of citizenship, ethnicity and the link between religious and politics remains sensitive and thorny in the Israeli- Palestinian space. Neither Jews, nor Arabs: the paradoxes of the Circassian identitary definition in the Israeli-Palestinian space 9 Israelis but not Jews, Muslims but not Arabs, how Circassians of Israel could find their right place facing the two identitary titans competing, without leaving much space vacant, the legitimacy of a presence and whose stories, disasters and pains confront and compete rather than admit and understand each other? “Traitors” for some, “second-class citizens” for others, categorizations at work provoke excluding mechanisms for the diaspora in Israel. The concepts of nationality or religious affiliation, yet commonly applied in the Israeli-Palestinian space, are not efficient enough to define this population which, at the edge of all these borders, eventually built its own ones, although fragile. 10 “On the one hand are the (Jews) religious who despise seculars who do not understand ultra- Orthodox Jews ... (Jews) the Ashkenazi consider the Sephardic as less good Jews that they are because they have been living for a long time with Arabs, and the Sephardic say the same about Jews from Ethiopia ... On the other hand, there are Arabs, Muslims do not mix with Christians, there are also Palestinians, those in Gaza who envy those of the West Bank ... and then there are also the Bedouins ... how could we find our right place in this country? We have no great illusions, we must do all alone, by and between ourselves” 11 That is what told me a resident of Rihanya during my last visit to the village9, highlights several elements in our thoughts. 12 First, that the problems of identity, borders, hierarchy and domination, are the prerogative “of others,” namely the Jews or the Arabs: the problems of defining identity do not apply to their community and discrimination has no place. Others may well tear each others, the community remains united and solidary. 13 Then, the indisputable fact that the Circassian diaspora of Israel is struggling to find its place in a state where the borders, both physical and symbolic, are felt at all levels. An already very limited space in which boundaries are everywhere. Geographical boundaries first of a land on which, an obstacle, a check point, a border is quickly and

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 152

inevitably met. Psychological delimitations then, in a geopolitical space at war where a camp must be chosen. These Israeli citizens, apart from two major Jewish and Arab entities, feel deeply excluded. From Caucasus to Israel: a story of the Circassian migration through the territorial reconfigurations 14 At the end of the war between Tsarist Russia and the Ottoman Empire, and after more than sixty years of fighting between the peoples of North Caucasus and Russia, 186410 for Circassians sounds the hour of defeat and painful choice: agree to pay allegiance to Tsar Nicolas Ist and be evicted from their land to settle where the Russians would force them, or choose an exodus with no return and set far from the borders of the Russian Empire. 15 The setting of this dispersion has persisted until now since four fifths of this displaced population still lives, even today, in diaspora, mainly in Russia, Turkey, Jordan and Syria11. 16 Because of denominational ties that united Circassians and Turks on the one hand12, and the presence, on the other hand, of many Turks originally Circassians in Turkey13, they chose the path of exodus and dispersion in an Ottoman Empire whose borders are as unclear as excessive. 17 Most of the Circassians settled in the regions which would become Turkey, Jordan and Syria, several thousands of them landed in Palestine, through harbor in 1880 after spending nearly ten years at the Greek-Bulgarian border. 18 Upon arrival, the Ottoman Sultan forced them to settle in three villages, which are called Kfar Kama, Rihanya and Cerkesz Kinneret. The latter, located in a swampy area, was hit by severe epidemics that forced the survivors to migrate to the other two villages. Circassians had, as well, to move away from big cities because their inhabitants refused to install these newcomers, and sent petitions to the Governor of Turkey, as it was the case in Nablus for example. 19 The Circassian diaspora of Israel quantitatively changed very little since they are estimated to be between 3000 and 4000 Circassians in the current Israeli territory, and it has remained spatially confined to the two villages where they had settled on arrival (Kfar Kama and Rihanya). Nearly one thousand Circassians from the Abzakh tribe live in Rihanya, in the district of Safed, i.e at the Lebanese border. It is a mixed village in which twenty-five percent of the total population are Arab Muslims. 20 Some two thousands five hundreds Circassians from the Chapsough tribe reside in Kfar Kama in Lower Galilee, about ten kilometers away from the city of Afula on the road from Nazareth to . This village is exclusively inhabited by Circassians but, remarkably, by an overwhelming majority of Chapsough people. 21 In Israel, the spatial distribution of Circassians therefore primarily depends on the tribe they belong to and the expression of the tribe of origin remains the major factor of identity in the global Circassian community. This tribal assertion makes sense when a person defines himself : it is usual to add the name of the tribe of origin to the family name. In case of a marriage between two Circassians from different tribes, the tribal affiliation of the father will be used to identify an individual. 22 Insisting on the tribal membership and distribution in this numerically very small diaspora is necessary not only to understand the mechanisms of its identity but also to shed light on the different forms of representations of the group both within the

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 153

sphere of ethnicity and outside the space community, both in Israeli and Arabic societies. When the Druzes and the Circassians are perceived as a homogeneous whole and clearly seperate from the Arabs 23 Today the State of Israel recognizes the existence of three nationalities (leom): Jewish, Arab and Druze. 24 Druzes and Circassians are the two non-Jewish communities involved in the process of national defense14, they are usually presented together, in official speeches as well as in the public opinion. 25 Under the cover of unwavering “loyalty” to the State, which is an idea mainly fed by the compulsory participation of men from both communities to the national army but, above all, by the distance consciously kept with the Palestinian cause and through the prism of an active claim of the Israeli citizenship, Druzes and Circassians are given a special treatment which is very different from the one reserved to the Arabic populations of the country, both in the political management of the villages and in the recognition of their cultural and religious specificites. 26 The Knesset, for example, has adopted a specific budget for the development of the substructures of these two communities, and some four hundred forty seven million shekels have been allocated to the different municipalities concerned from 2006 to 2009. In comparison, a budget from thirteen to fourteen million shekels has been voted for the development of thirty-four non-Jewish communities in the north of the country in the year 2007. 27 From a symbolic point of view, the special treatment given to these populations by the State of Israel also goes through the importance Israeli politicians grant the cultural days or various festivals organized by the villages. The visible and claimed presence of Israeli officials at the slightest folk festival transforms each occasion into a theater of thanks and cleverly organized performances providing a striking lightning on the relationship between the community leaders and the State of Israel. 28 It is also interesting to note that out of the sixty two official lobbies of the seventeenth Knesset (2006), one specifically concerns the defense of the Circassian and Druze interests, presented once more, as a coherent whole with similar interests. This lobby, chaired by the Druze Majalli Whbee, is composed of twenty-five members of the whole Israeli political spectrum, including two members of the Ysrael Beitenou party, the leader of which is Avigdor Liberman, who called in May 2006, for the execution of the Israeli Arab representatives who had either been in contact with Hamas or had celebrated the Naqba (the “catastrophe” commemorating the expulsion of Palestinians) instead of commemorating Yom Ha'atsmaout (celebrations of Israel’s independence). The investment in that lobby of two members of a party advocating openly racist theories is particularly symptomatic of the very clear distinction made in Israel between Druzes and Circassians, perceived as an homogenous whole, and Arabs. 29 But if Druzes represent 9 % of the overall Israeli population15, estimated around 120,000 individuals, and if they have an effective representation on the political scene by members of Parliament and even a minister16, the case is significantly different for Circassians since they represent a very small community of 3,500 people spread over two villages and since they have no other representation than political leaders of their villages. There are no Circassian members of Parliament nor ministers: their political

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 154

representation is exclusively local and not national. (This will play, among other things, an important part in the Israeli popular ignorance about Circassians.) 30 Kfar Kama officially received the designation of “” in 195017 because the village is inhabited by more than 2,000 people. Rihanya is numerically too small to obtain its own Local Council18, the village is included with eight community villages19 (Yishouv Kehilat), one kibbutz20, thirteen moshavim21 and one Druze village22, under the auspices of the Regional Council of Merom Ha Galil. Each one headed by a which sends a number of representatives proportionally to the size of its population to the Regional Council. 31 The Circassians are therefore for the State of Israel, neither a major stake nor an electoral force to attract. Accordingly, Circassians, because they keep on being constantly classed as Druze, have no official recognition of their specific character. 32 The immediate consequence of this lack of recognition as a specific group with a culture and religious practice apart from the Druzes’ones is translated into a relative unfamiliarity of the Jewish Israeli public. The Israelis, when they know the very term “Circassians,” often after having met one of them during their military service, assimilate them – once again – to Druzes and consider them as a cult with its own lifestyle and a culture aside. An unknown world which feeds numerous fantasies, in a questionnaire distributed to about fifty Israeli Jews in Tel Aviv, Jerusalem and Haifa, to the question “to which religion do the Circassians belong to?”, some, without the slightest hesitation, replied “Circassian”. Thus, it’s as if these “brave” Circassians involved in the war effort and in the state’s defense, as if this so “fair” minority in opposition to the figure of the Israeli Arab potentially seen as “dangerous” for the State of Israel23, could not share anything, even a religion, with the enemy. The Circassians of Israel have made their own the Israeli representations, widely insisting on their difference with Israeli Arabs, refraining from publicly expressing support to the Palestinian cause. They have built their identity through the mirror of the Israeli society. An identity built in a double distinction to otherness 33 The privileges granted by the state to these two populations, continue to feed a ditch from which is ensued a double effect. 34 This loyalty is considered as an act of betrayal by the Arabs of the country for whom Circassians are traitors to the Umma24, and are therefore excluded from the community of believers, however, supposed to transcend nationalities and governments. 35 The inclusion in the Israeli socio-political space where the non-written constitution urges citizens to define themselves by faith, and in response to other Muslims in front of whom it was urgent to legitimize its religious identity, led Circassians of Israel to adopt a net shift in their own conception of their identity. From now on, this latter is mainly built around a traditionalist and a rigorous practice of Islam, quite different from the practices that can be observed in the other diasporas in the Middle-East. 36 In their daily practices in the North Caucasus25, the area where they are initially from, if Circassians observe the main Muslim celebrations, as the Ramadan fast, very few of them practice the five daily prayers and few young women are veiled. 37 In most cities in this region, there are only very few mosques, for example, the city of Maikop, however capital of the Adygha Republic, has only one mosque, built very recently in 2001.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 155

38 Traditionally, it is the “Adygha Khabza”, a code of honor orally transmitted, which controled the conduct of Circassians and regulated social norms. This code of conduct revolves around respect for the elder, seen as a guide that instructs the youngest, around gender equality, sharing and mutual help, and around the art of dominating yourself and behaving in society. In any case, religion originally regulates the conduct of Circassians. 39 Unlike other diasporas established in the rest of the Middle East26, Islam is the heart of the identitary definition of the Circassians of Israel. This particularly thrust and ostentatious religious practice can be explained by two main elements. The first is, undoubtedly, the inclusion of the diaspora in the socio-political Israeli-Palestinian space strengthened by the affirmation of the religious nature of the conflict largely defended by the war propaganda both Israeli and Palestinian and the assertion of a predominance of two major religions. These religious practices can not be seperated from the context of reislamisation that began in Israel in the seventies and which conducted the concerned populations to mark more clearly their religious belongig as an identitary vector. The second factor is the classic pattern of identitary construction in front of otherness. The originality of the Circassian diaspora of Israel is that this construction is built in a double distinction to the Other: the Other of the country of course, whether Jewish or Arab, but especially the Other Cirassians in the Middle-East in front of whom must be legitimized its presence on a territory oftenly considered hostile or as an enemy by its neighbors. Indeed, in 1948, when the State of Israel was created, Circassians of Palestine did not migrate to neighboring Syria or Jordan as one might have expected. They made the choice to stay within the borders of the new state and embrace full Israeli citizenship by paying allegiance to the country. The assertion of that acute religious practice was chosen by them as a proof of their good “Circassian- ness”. Thus, for Circassians in Israel, it seems like they have to be more Circassians than other Circassians and more Muslims than other Muslims. Therefore, being a good Circassian in Israel is being a good Muslim, and being a good Muslim guarantees the fact of being a good Circassian. 40 The Circassians of Israel claim to be the guarantors of the Caucasian traditions, including by respecting this religious practice. But initially Circassians believed in a large pantheon of divinities, mainly representing the forces of nature and agriculture, such as “Hana Gush” the god of rain, “Shagbala” the one of thunder, “Pshtzia” the one of lightning, “Miztaha” the one of forests, “Tlafsh” the one of iron as well as “Wazramas” the one of beauty. They were converted to Christianity, like all the peoples of Caucasus, in the sixth century27, and to Islam in the late eighteenth century. This construction will be then internalized: thus was born a “new tradition”. Identitary import-export: building a bridge between the society of origin and the one of destination 41 That is in reference to a land of origin made sacred, reinforced by the traumatic figure of the forced exodus that Circassians of Israel have built their identitary definition. References to the “motherland” are predominant in the speeches inside the community itself and outside. Trades between villages and the Caucasus (especially with Adygha Republic) are becoming more and more frequent since the fall of the Soviet Union. From 1991, Kfar Kama sent a delegation to visit the new republic, barely emancipated from the Soviet Union but which obtained a status of “autonomous republic linked to the Russian Federation”. Students go on “pilgrimages” on the land of their ancestors,

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 156

villages receive official delegations from Maikop to inaugurate museums and to attend various celebrations. Circassian musicians from Caucasus are invited to perform during the annual festivals of Kfar Kama and Rihanya and are warmly welcomed, cheered and erected to the level of real international stars. Exchange platforms and community meeting websites flourish on the web and Caucasus is the popular destination for honeymoons, wedding anniversaries or can be a perfect gift to celebrate the graduation of a child of the family. 42 Owning an object from the Caucasus makes the head of family proud: it can be a figurine representing a jumper or a dancer, an accordion engraved on a piece of wood, an imitation of an ancient saber, a clock painted in the colors of the Circassian green flag with its twelve stars representing the twelve tribes and three arrows for the three North Caucasus republics where Circassians come from, or even a small photography or a postcard of the Caucasus’ mountains. Bought during a travel by the family itself or by a relative or friend, these very popular gifts are specifically highlighted and find their place in the reception room with the greatest exposure in terms of visitors. Some people even create small personnal museums, in a cellar or in a room specially designed for the occasion, competing with the others for the newest item, “hunting” for rarities, comparing the objects in their possession, accumulating clippings and photographs: the construction of the collective memory takes the pattern of a competition between material memories. 43 If these objects are only stereotyped markers of a culture in representation, a mother particularly proud to own a painting of a couple in traditional clothes standing in front of a mountain confided: “It is as if there were a piece of Caucasus at home”. To import from Caucasus such an object in Israel enables its possessor to establish a symbolic bridge between “its” two lands, the origins’ one and the welcoming one. 44 References to the Caucasus are also prevalent in the self-presentation of the community in the Israeli society. The two villages slowly opened themselves to tourism, a “folk” tourism attracting a mainly Jewish Israeli audience living around. Conferences are organized by a retired teacher from the village, recounting a general history of Circassians, presenting Caucasus with maps and photographs. He also tells the story of dispersion which has a strong resonance among the Jewish public, the story of the settling in the Middle-East and Circassians’ integration in the Israeli society, described as totally successful. A particular emphasis is made on the loyalty of the community and the voluntary participation in compulsory service. 45 Insisting so much on references to Caucasus, as the land of origins and as the “homeland” forever unforgettable, also has a positive resonance among Jewish tourists: the Circassians do not claim their territory, nor a historical Palestine, their land is elsewhere and is particularly faraway. 46 The neighbor becomes tourist who becomes host and will be guided through the village by a local scholar, he will visit the museum where maps of the Caucasus and exile are translated into hebrew, restored houses in a “traditional” style, the Circassian restaurant in which he will be able to discover and buy Circassian food, or perceived as such, that he will be able to take home. It’s his turn to export what one considers as a “piece of the Circassian village” in the Israeli society. 47 However, these geographical references rarely exceed the discursive framework, while some of Israeli Circassians develop professional partnerships with the Caucasus, some are even regularly back but this practice is still very scarce. A bunch of them left Israel

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 157

and settled in Caucasus, and even if the speech of returning back home remains associated with the life-project (usually not for himself but for future generations), there is no collective project to return there for the whole diaspora. When this happens, it is only the result of individual paths: the majority of the Israeli Circassians say they do not want to leave the village they consider as the place of the highest expression of their “Circassian-ness”. Living between oneself or how to get out of the geo political context symbolically 48 In view of a lack of recognition of their particularity and against their position of Muslims “in the service of the State of Israel”, the Circassians are, step by step, getting symbolically out of geo-political context. This “minority within the minority”, unable to recognize itself within any of the two dominant groups but which also seeks to distinguish from the “third way” embodied by Druzes, eventually began to stage its own identitary construction. To this end, Circassians built, like the entire Israeli society, their own spatio-temporal borders. 49 Spatial borders first, marking the effective and physical demarcation of the village. The village becomes the Circassian “territory”, regarded even by some villagers as an ideal “embryo of Nation-State”, a symbol of a reassuring and protector place. The village represents the guarantee of a total expression of the Circassian identity they rebuilt inside this space, and whose legitimacy is not questioned by any external review. 50 In Israel, being a Circassian is above all being a Circassian in the village: “I was born in the village, I grew up in the village, I got married in the village, I raised my children in the village, I work in village and I will die in the village (...) the village is my home” often say interlocutors when asked about the importance of living in the village or coming back there after studying in Haifa, Jerusalem or Beer Sheva. The village, cut off from the world, is seen as a bulwark against the environment and the danger of assimilation, the main fear of this tiny community. 51 The boundaries of the village mark the material separation with the Jewish neighboring for Kfar Kama and the Arab’s one for Rihanya. “Here, I feel like a member of the clan, unlike in Nazareth where I grew up (...) there I never felt at home... because we were not between us... we were with the Arabs” said one of the few residents of Kfar Kama that has been raised outside the village and who felt the need to come back while her first child was born28. 52 The village allows Circassians to assert their so desired specificity, the one that the State of Israel is so slow to recognize and formalize. 53 The autarkic working has eventually been internalized as a sine qua non condition of cultural survival: “Here we are between us, with the same education, we are all Circassians, we speak our language, we are all good Muslims (...) We are an Islamic29 village, everyone understands everyone, we’re not judged by anyone ... We can keep our traditions and live as in Caucasus” said another villager. 54 “Here we’re not judged by anyone”, “living as in Caucasus”, the terminology used is unequivocal: the reference to the land of origin and its memory is still alive and Circassians are tired of not finding their place in the Israeli-Palestinian society, injured to be regarded as traitors to a cause which is not historically theirs, offended to be considered as second class citizens in a place they inhabit yet since 1880, a country they have seen the birth and have helped to build and protect. 55 Then the Circassians have stopped living in the Israeli-Palestinian space, now they contented themselves with living in the village.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 158

56 An invisible minority in the minority, building an identity that only matches its particular situation, refering to the mythology of an heroic people of warriors, brave, loyal, proud and upright, as if it was the way to counterbalance the judgment of their “brothers” who reject them, and constantly try to revive an one hundred fifty years dreamt Caucasus that no longer exists than elsewhere beside handed down memories. A Caucasus which remains above all, the last remainders of a valued time, the one before the disaster, before exile and dispersion.

NOTES

1. Daniel Baremboïm already had to face a call for boycott against him from the cultural commission of the Knesset for having made play, for the first time in Israel, an opera by Richard Wagner symbolizing for many Israelis the german antisemitism horror. 2. The Shass Party (acronym for Shisha Sedarim) is a Sephardic ultra orthodox Israeli political party created in 1984. It is chaired by a wise men council dominated by Rabbi Ovadia Yossef, the political leader is Eli Yishaï. From a constitutional point of view, the Shass Party defends the idea that Israel is the State of the Jewish people and is opposed to the creation of a secular state. 3. Nominated on January 10th 2007 as Minister of Culture, Sciences and Sports by the Labor Party’s leader Amir Peretz. 4. Interview given in Yediot Aharonot on March 9th 2007. 5. “Obviously, I won’t sing the anthem in its actual shape. But before talking about symbols, I would like to talk about equal chances for my children. It is more important if my son was enable to buy a house to live with dignity… Arabs are not in the mood for singing at the moment”. 6. The lyrics of Hatikva are generally translated by: “As long as in the heart, within, A Jewish soul still yearns, And onward, towards the ends of the east, An eye still gazes toward Zion, Our hope is not yet lost, The hope of two thousands years, To be a free people in our land, The land of Zion and Jerusalem.” 7. MK i.e. Knesset Member. 8. It will be the case, in particular, of Avigdor Liberman who’s leading Ysrael Beitenou, Russian-speaking nationalist party he founded that can be caracterized by a very strong Policy against Arabs and especially against Palestinians. He advocates the “transfer” of Israeli Arabs to Palestinian Territories, and that is considered as an openly belligerant party. 9. Interview done in Rihanya on May 2008. 10. The first clashes between Russians and Caucasians are dated around 1785 (under the authority of Cheikh Chamil) and that the last battle was led by an Oubykh group in 1864. 11. Respectively two million, one million, 60,000 and 30,000. 12. The expansion of Islam in Nothern Caucasus during the XIXth century gave the Sultan a Religious legitimacy as “Believers’ Leader”.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 159

13. Due to the proslavery behaviors, a lot of Sultans’ wives and mothers were Circassian, and a lot of Circassian boys were sold for their warrior qualities during more than a century. 14. Men from the two communities are to do the compulsory militarian service, this requirement is not asked to any other Muslim of the Israeli-Palestinian space. It was a request from the villages’ leaders (as soon as 1948 for the Circassians). 15. The Central Bureau of Statistics, Jerusalem, Israel, 2007. 16. Majalli Whbee was elected Representative at the 16th Knesset in 2003 for the Likoud. In March 2005, he has been nominated VP of PM Ariel Sharon’s personal staff, and therefore became Vice-Minister in charge of Education, Culture and Sports in June 2006. When Ariel Sharon leaves the Likoud, he co-founds with him Kadima and is elected Representative at the 17th Knesset in 2006. He becomes VP of the Knesset. In October 2007, he joins Ehud Olmert’s personal staff as Vice-Minister of Foreign Affairs. 17. Kfar Kama is the first non-Jewish locality that has been recognized as “Local Council” by the State of Israel. In 2003, there were 144 Local Councils in Israel. 18. Around 1000 inhabitants nowadays. 19. Amuka, Bar Yochai, Birya, Inbar, Kalanit, Kfar Hananya, Livnim and Or HaGanuz. 20. Parod. 21. Alma, Amirim, Avivim, Dalton, Dovev, Hazon, Kerem Ben Zimra, Kfar Hoshen, Kfar Shamai, Meron, Shefer, Shezor and Tefahot. 22. Ein el-Asad. 23. The use of the terms in quotes is taken from different interlocutors I met or has been taken from questionaires distributed, and would not –in any case- reveal my own opinion or judgment on these different populations and could not qualify the opinion of the whole Israeli population. 24. Druzes – whom secret doctrine, is based, among others things, on the belief of the metempsychosis, and the incorporation of elements from Islam or from Greek philosophy – reject the charia and the obligations associated. They are considered as heretics, by the majority of Muslims either Sunni or Shiite. Druzes believed they are the only ones to profess rigorously the tawhid (that is to say the divine unit) and considered themselves muwahiddun (the unitarians). They don’t face the same critics than Circassians considered as traditional Sunni Muslims. 25. Generical term used here to point out the three Nothern-Caucasian Republics where they are spread, that is to say : the Adygha Republic, the Kabardino-Balkarian Republic, the Karatchaevo-Tcherkessian Republic. 26. As, for instance, in Jordan and in Syria. In their great majority, Circassians from these two countries will define themselves as Circassians first before considering themselves as Muslims. 27. Islam is the main religion in Northern-Caucasus, but it’s lonly in the early XVIIIth century that the majority of Circassian Princes converted to Islam dragging their subjects. 28. Interview done in Kfar Kama in April 2006. 29. The use of “Islamic” and not of “Muslim”, by this interviewee, puts the spot on on the blur around terms used and the semantic shift in the Circassian speech in Israel.

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008 160

ABSTRACTS

Circassians in Israel – whose population is estimated at 4,000 people – are divided between the two villages of Kfar Kama (Lower Galilee, district of Tiberias) and Rihanya (Lebanese border, district of Safed). This population is a unique example of a non-Arab (but Caucasian) Muslim group which claims an active Israeli citizenship and who, contrary to such a situation might imply, retains traditional cultural elements very meaningful while enjoying an indisputable civic integration. Israelis but not Jews, Muslims but not Arabs, how Circassians of Israel could find their right place facing the two identitary entities competing, without leaving much space vacant, the legitimacy of a presence and whose stories, disasters and pains confront and compete rather than admit and understand each other? “Traitors” and “Muslims in the service of Zionism” for some, “second- class citizens” for others, categorizations at work provoke excluding mechanisms for Circassians. The concepts of nationality or religious affiliation, yet commonly applied in the Israeli- Palestinian space, are not efficient enough to define this “minority within the minority”, unable to recognize itself within any of the two dominant groups but which also seeks to distinguish from the “third way” embodied by Druzes. Circassians of Israel, at the edge of all these borders, eventually built its own ones, although fragile, between nostalgia for a lost Caucasus and identitary reconfigurations.

INDEX

Mots-clés: diaspora Keywords: Circassian(s), identitary reconfigurations, Islam in Israel, endogamy, collective memory mythification, citizenship, religious practices

AUTHOR

ELEONORE MERZA Eléonore Merza is a PhD candidate in anthropology at the École des Hautes Études en Sciences Sociales (Paris, France). Her thesis, under the direction of Professor Jean- François Gossiaux (IIAC-LAIOS research centers: EHESS-CNRS) deals with the Circassian diaspora of Israel (Kfar Kama and Rihanya) and focuses ont the links between Muslim cultural identity and Israeli citizenship. She has received two grants from the French Research Center of Jerusalem in 2007 and 2008. [email protected]

Bulletin du Centre de recherche français à Jérusalem, 19 | 2008