La Reine Hortense (1783-1837)
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PRÉSENCE DE L'HISTOIRE COLLECTION HISTORIQUE Dirigée par ANDRÉ CASTELOT DU MÊME AUTEUR CHEZ LE MÊME ÉDITEUR Le mari de la reine (Albert et Victoria). Le dernier amour de Talleyrand (La duchesse de Dino). CHEZ D'AUTRES ÉDITEURS Charles de Flahaut. Histoire des princes de Monaco. FRANÇOISE DE BERNARDY LA REINE HORTENSE (1783-1837) Mon beau-père est une comète dont nous ne sommes que la queue. LA REINE HORTENSE A MME CAMPAN C'est lui qui a fait ma vie. LA REINE HORTENSE A VALÉRIE MASUYER LIBRAIRIE ACADÉMIQUE PERRIN PARIS © LIBRAIRIE ACADÉMIQUE PERRIN, 1968 POUR NICOLE ET A LA MÉMOIRE DE GEORGES PREMIÈRE PARTIE ENFANCE ET JEUNESSE (1783-1801) I LA FILLE DE ROSE DE BEAUHARNAIS (1783-1795) L A Martinique 1778. La perle des îles du Vent est heureuse et paisible. Pourtant, le canon tonne sur de proches rivages et l'odeur de la poudre arrive jusqu'à ces îles bénies de Dieu. La France a signé le 6 février un traité d'alliance avec les Insur- gents d'Amérique, déclaré la guerre à l'Angleterre et l'amiral d'Estaing, le 13 avril, a quitté Toulon à la tête d'une escadre. Une atmosphère guerrière peu à peu s'installe tandis que se joue le destin de la future José- phine. Aux Trois-Ilets, petit bourg de quelques maisons, à qui trois îlots surgis à proximité du rivage ont donné son nom, au premier étage de la sucrerie où il habite avec les siens depuis qu'un ouragan a détruit, il y a douze ans, la grande maison de bois à vérandah, Joseph-Gas- pard Tascher de la Pagerie s'apprête à écrire au mar- quis de Beauharnais, l'amant de sa sœur Marie-Euphé- mie. Celle-ci a épousé en 1759 un sieur Renaudin qui se faisait appeler de Renaudin et qui était officier d'ordon- nance de Beauharnais, alors gouverneur des Antilles françaises. Mariage malheureux, sans doute du fait de la légèreté de la femme qui a suivi le gouverneur en France, quand celui-ci a quitté la Martinique deux ans plus tard. Depuis lors, Marie-Euphémie vit avec Beau- harnais et, Mme de Beauharnais étant morte en 1767, élève les jeunes François et Alexandre. Elle est d'ailleurs la marraine de ce dernier, né en 1760 et demeuré à la Martinique jusqu'en 1769, confié aux soins de Mme Tascher de la Pagerie. La plume d'oie court sur le papier. Ce 24 juin 1778, Joseph-Gaspard répond au marquis de Beauharnais qui lui a demandé pour Alexandre la main de sa deuxième fille, Catherine-Désirée. Mariage inespéré qu'explique seule la toute-puissante influence de Marie- Euphémie. Hélas, l'enfant est morte en octobre 1777. Qu'à cela ne tienne, il ne faut pas laisser échapper un si beau parti. Alors le père offre l'aînée, Rose, née en 1763. Elle « est très formée pour son âge... à lui don- ner dix-huit ans ». Son caractère est doux, elle « pince un peu la guitare » et elle a « une jolie voix, une belle peau, de beaux yeux et de beaux bras ». Les Beauharnais sont accommodants, ce qu'ils veu- lent c'est une Tascher de la Pagerie, et Alexandre n'a pas dû conserver grands souvenirs ni préférences quant à ses compagnes de jeu de naguère. L'échange est accep- té. Le 13 décembre 1779, à Noisy-le-Grand, Marie-Joseph- Rose Tascher de la Pagerie épouse Alexandre de Beau- harnais. Très vite cette union se révèle mal assortie. Pédant qui se veut philosophe, le mari s'ennuie et papillonne, la femme pleure. Un fils, Eugène, naît le 3 septembre 1781 et Alexandre bientôt part pour l'Italie. Il en revient le 25 juillet 1782, s'esquive de nouveau en septembre, vers les Antilles cette fois, sous le vague prétexte de faire aux Anglais une guerre qui s'achève. Il renoue là-bas une ancienne liaison avec Mme de la Touche de Longpré dont il a eu naguère un fils. Déci- dément, il est insensible au charme de Rose, l'ignorante petite créole ; il est aussi libertin, égoïste et brutal. Il veut reprendre une liberté qu'on ne lui dispute guère pourtant, et lorsqu'il apprend la naissance prématurée d'Hortense, le 10 avril 1783, il y voit le prétexte désiré. « Que penser de ce dernier enfant survenu après huit mois et quelques jours de mon retour d'Italie ? Je suis forcé de le prendre, mais j'en jure par le ciel qui m'éclai- re, il est d'un autre, c'est un sang étranger qui coule dans ses veines ! Il ignorera toujours ma honte, et, j'en fais encore le serment, il ne s'apercevra jamais, ni dans les soins de son éducation ni dans ceux de son éta- blissement, qu'il doit le jour à un adultère ; mais vous sentez combien je dois éviter un pareil malheur pour l'avenir. Prenez donc vos arrangements : jamais, jamais, je ne me mettrai dans le cas d'être encore abusé, et, comme vous seriez femme à en imposer au public si nous habitions sous le même toit, ayez la bonté de vous rendre au couvent, sitôt ma lettre reçue ; c'est mon der- nier mot et rien dans la nature entière n'est capable de me faire revenir (1)... » Par une suprême délicatesse, Alexandre confie cette diatribe à Mme de Longpré qui regagne la France en l'amantcompagnie l'est du assurément. beau Dillon (2). Le mari se veut trompé, Rose se retire à l'abbaye de Penthemont, le couvent de la bonne société. Elle y apprend le grand monde et l'art de séduire les hommes par sa grâce languide, l'har- monie de ses gestes et le son irrésistible de sa voix. Cependant, le vieux Beauharnais et Mme de Renaudin s'entremettent. Après quelques péripéties, une demande de séparation judiciaire déposée en décembre 1783 par Rose, l'enlèvement d'Eugène par son père en février (1) Quelque vingt-cinq ans plus tard, Louis Bonaparte formulera contre Hortense un semblable réquisitoire. Il paraît bien que pour la petite Beauharnais comme pour Louis-Napoléon les soupçons aient été injustifiés. (2) Devenue veuve, Mme de Longpré épousera Arthur Dillon; elle en aura une fille, Fanny. 1785, le 5 mars 1785 un arrangement à l'amiable inter- vient. Alexandre reconnaît ses torts, accepte Hortense pour sa fille et s'engage à servir à Rose une pension de 6 000 livres. Eugène sera remis à son père à l'âge de cinq ans. Tandis qu'Alexandre, profitant des amitiés nouées pen- dant la guerre d'Amérique avec « plusieurs sommités de la grande société », va partout à Paris mais se voit refuser les honneurs de la cour, Rose se réfugie à Fontai- nebleau auprès de son beau-père et de sa tante. Elle y suit, elle, les chasses royales, se lie avec les Mont- morin (1), le comte de Crenay, le duc de Lorge, le cheva- lier de Coigny, elle se lie aussi avec le marquis de Caulaincourt et sa femme. L'aîné des enfants de ce ménage, Armand, sera plus tard duc de Vicence et grand écuyer de Napoléon, Mme de Caulaincourt dame d'hon- neur d'Hortense et Auguste, le second fils, premier écuyer de Louis Bonaparte. Le 3 septembre 1786, Eugène est repris par son père et bientôt placé au collège d'Harcourt. Hortense, elle, a d'abord été mise en nourrice à Chelles, chez la mère Rousseau (2), mais elle est maintenant revenue auprès de sa mère et Alexandre, chaque semaine, reçoit des nouvelles de l'enfant. Il s'inquiète de sa santé. Le 20 mai 1787, Joséphine écrit à son père : « Eugène est de- puis quatre mois dans une pension à Paris. Ma lettre ne sera pas bien longue, étant occupée dans ce moment à soigner ma fille dont M. de Beauharnais a désiré l'inocu- lation. J'ai cru ne devoir pas résister, dans cette circons- tance, à la prière qu'il m'a faite. Jusqu'à présent je n'ai qu'à m'en louer, puisque l'enfant est aussi bien qu'on puisse le désirer. Elle fait ma consolation ; elle est charmante par la figure et le caractère... » (1) En 1792 et 1793, Rose s'efforcera de les sauver. Elle échouera pour le mari, victime de Septembre, réussira pour la femme. (2) Le frère de lait d'Hortense, Vincent Rousseau, deviendra plus tard son homme de confiance et lui restera attaché jusqu'à la fin de sa vie. Il mourra en 1842 à Arenenberg dont Louis-Napoléon l'a fait gardien. En juin 1788, soit pour cacher une grossesse illégi- time. — encore qu'on puisse penser que ce serait le der- nier endroit où aller — soit beaucoup plus probablement pour essayer d'obtenir de son père quelque argent, la vicomtesse de Beauharnais décide de partir pour la Martinique avec sa fille. Arrivée au Havre, logée chez un banquier — un cer- tain M. de Rougemont — par l'entremise d'une amie créole, Mme Hosten, Rose s'impatiente de devoir atten- dre quinze jours le vaisseau d'Etat pour les colonies. Elle décide, « malgré les remontrances de tout le monde », d'embarquer le 2 juillet sur le premier bâti- ment qui mette à la voile, le Sultan. Mauvaise inspi- ration, un coup de vent, au témoignage d'Hortense, pense les faire périr presque dans le port. La traversée est longue. Le 11 août seulement, le Sultan entre dans la rade de Fort-Royal et c'est pour l'enfant de cinq ans la merveilleuse découverte d'un pays enchanté. Exubérance de la nature, parfums pénétrants, douceur d'une vie alanguie au rythme berceur des hamacs et au doux murmure de la rivière Croc-Souris (1).