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Antiporno de Sion Sono Julien Fonfrède

L’année cinéma 2016 — Figures de résistance Numéro 180, décembre 2016, janvier 2017

URI : https://id.erudit.org/iderudit/84281ac

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Éditeur(s) 24/30 I/S

ISSN 0707-9389 (imprimé) 1923-5097 (numérique)

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Citer cet article Fonfrède, J. (2016). de Sion Sono. 24 images, (180), 34–34.

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SAFARI d’Ulrich Seidl lus récente proposition du réalisa- et propriétaires de pourvoiries justifier teur autrichien Ulrich Seidl, Safari leur passe-temps au nom du sport, de Pa été présenté comme un « film de la survie des espèces et du droit à faire vacances sur le meurtre [et sur] la nature comme bon leur semble. humaine ». Opiniâtres et médiocres, les En l’espace de 91 minutes, Seidl sujets de cette plongée dans l’univers du expose la logique de cet argumentaire tourisme de la chasse sur le continent visant à rendre héroïque un rituel qui ne africain brillent surtout par leur capa- converge que vers l’instant où les chas- cité à incarner la première moitié de la seurs font leur part du travail : trouver le description. meilleur angle pour se prendre en photo La claironnante scène d’ouverture, au cours de laquelle un avec « la pièce ». Le tout avant de laisser aux locaux le soin de personnage sonne le début de la chasse, donne à penser que faire de l’origami avec les dépouilles, pour les ramener au camp Seidl et son cameraman, Wolfgang Thaler, ont été engagés par des de base en camion. touristes allemands et autrichiens pour se greffer à leurs « boys », Le montage chevauche, par mimétisme, les efforts de mise le temps d’une escapade en Afrique du Sud et en Namibie. Le en scène déployés par les chasseurs lors de leurs séances photo. documentaire capture les bravades néocoloniales de personnages Cela concourt à une mise en abîme qui souligne le ridicule de dont la laideur cadrée renvoie à la composition ultra-symétrique ces pétulants snowbirds bavarois casqués de salacots. des plans. Le non-sens des affirmations de certains intervenants riva- Le choix des cadres (toujours frontaux et composés de manière lise par ailleurs de bouffonnerie avec les commentaires sur les à placer les sujets en pairs, parmi les trophées de chasse) s’ajoute « populations locales ». Alors qu’on aurait voulu voir ce vieux à la prise de son intrusive – bruits de ventre, éructations, ronfle- fond de racisme colonial enfoui plus profond que la fosse des ments – pour brosser un portrait qui peut paraître biaisé de Mariannes, chaque faciès porte la grimace de cet atavisme. Un prime abord. Néanmoins, au fur et à mesure que les personna- portrait si tranché qu’il s’avère difficile d’envisager ces touristes lités se révèlent durant les entrevues, ces recours esthétiques sous un autre angle que celui de trophées, qui a contrario des confortent notre a priori. On souffre d’entendre familles, couples bêtes, auraient mérité leur sort. – Ralph Elawani ANTIPORNO de Sion Sono ette année marque le retour influences majeures du « Roman attendu d’un célèbre et sulfureux Porno » à l’époque) et à La bête aveugle Clabel japonais nommé « Roman Porno », du chef-d’œuvre éponyme de Yasuzo créé dans les années 1970 par les studios Masumura. Il remet en question l’acte et disparu en 1988. Des films même de filmer la sexualité féminine. Il érotiques avec une scène de sexe à toutes choisit le théâtre expérimental pour se treize minutes et une complète liberté faire happening, performance artistique créative pour les cinéastes se prêtant au où la femme crachera sa rage de liberté jeu. Les plus grands du cinéma japonais au regard d’un monde pornographe. s’étant colletés à cette école de forma- Ici le sexe étouffe autant qu’il libère tion (de à Kiyoshi et le cinéma emprisonne autant qu’il Kurosawa, en passant par Noboru célèbre. Antiporno se termine sur une Tanaka ou Masaru Konuma), ce retour annoncé avait de quoi héroïne qui se traîne en rampant, détruite et déchue. Elle cherche faire saliver. une sortie qu’elle ne saurait trouver. Alors que nous, spectateurs, Tout aussi célèbre et sulfureux, Sion Sono livre ici un film sur des la trouverons facilement, dès l’apparition du générique. Le constat actrices. Ces femmes qui tournent un porno bordélique incarnent est fort. Là est le mâl(e). Que tremble maintenant celui qui venait en fait les réflexions anarchiques du cinéaste sur le film que se rincer l’œil. lui-même est en train de tourner et qu’il détruit sciemment par En filmant comme il peint (son deuxième métier), par couches le biais d’un processus narratif particulièrement élaboré. Ainsi, et dessins qui s’annihilent les uns après les autres, souillés perpé- Antiporno ne cesse de se mettre en abîme. Les personnages tuellement pour devenir un tableau qui jamais ne saurait être final, ­s’intervertissent. Rapidement, le spectateur se perd à comprendre Sion Sono montre que le processus (l’acte instantané de créer) est de quel film dans le film il est question. Car Antiporno, brillam- bien plus important que le résultat. S’apparentant à l’art du cut up ment, devient un film qui n’en est plus un. Il lie Le mépris à la façon Burroughs, son film est surtout une étonnante et ô combien Monica Vitti du Désert rouge (Godard et Antonioni sont deux pertinente réflexion sur le sexe au cinéma. – Julien Fonfrède

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