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ANNALES DES MINES RÉALITÉS INDUSTRIELLES

AOÛT 2011 • PRIX : 23 € Un ingénieur d’exception : Georges Besse UN INGÉNIEUR

D’EXCEPTION :

GEORGES BESSE

UNE SÉRIE DES ANNALES

AOÛT 2011 DES ISSN 1148.7941 ISBN 978-2-7472-1848-1 MINES FONDÉES EN 1794

Publiées avec le soutien -:HSMHOH=WV]Y]V: du ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie 1-2 Edito:Edito 27/07/11 14:54 Page1

Éditorial

Pierre Couveinhes

l n’est pas courant que la série Réalités Industrielles dédie un de ses numéros à un indi- vidu particulier, fût-il un ingénieur d’exception et un grand capitaine d’industrie. IPour quelles raisons la figure de Georges Besse suscite-t-elle, encore aujourd’hui, une telle fascination ? Il y a, certes, le caractère exceptionnel de sa personnalité, qu’ont soulignée tous ceux qui l’ont côtoyé, sa profonde humanité et, bien sûr, le côté dramatique et absurde de son assassinat. Il s’y ajoute, me semble-t-il, un autre élément qui se dégage progressivement à la lecture des articles passionnants qui composent ce numéro : quelque chose comme la nostalgie d’un temps qui, bien évidemment, avait ses défauts, mais où notre pays savait régler efficacement des problèmes qu’il s’efforce en vain de maîtriser aujourd’hui. Le des- tin hors du commun de Georges Besse met cruellement en lumière les dysfonctionne- ments actuels par contraste avec une époque où, par exemple, l’ascenseur social fonc- tionnait bien, sans qu’il y eût besoin de discrimination dite positive ou d’autres disposi- tifs compliqués : le corps enseignant, tout simplement, savait déceler les élèves doués issus de milieux modestes, même au cœur de la profonde, savait les orienter vers des établissements adéquats, leur permettant d’entrer à l’Ecole Polytechnique s’ils avaient le goût du travail et confirmaient les espoirs mis en eux. Une époque où les entreprises industrielles étaient dirigées par des ingénieurs et (est-ce vraiment une coïncidence ?) savaient innover dans des technologies de pointe, pour les vendre en Allemagne et au Japon. Une époque où, pour développer sa société, un patron s’appuyait d’abord sur le bagage scientifique et technique qu’il avait acquis durant ses études, plutôt que sur des montages financiers alambiqués. Une époque, enfin, où les chefs d’entreprises recher- chaient opiniâtrement la rentabilité, mais avec en permanence à l’esprit l’intérêt national et celui des entreprises et des personnels dont ils avaient la charge, sans qu’il fût question d’enrichissement personnel. Certains me rétorqueront que ce n’est pas dans le passé qu’il faut rechercher les solutions pour l’avenir. Je réponds par avance : pourquoi avoir abandonné, au profit de solutions inefficaces, des méthodes qui fonctionnaient et continuent de faire le succès d’autres pays (la Chine, la Corée, l’Allemagne…) ? L’exemple de Georges Besse permettra-t-il de reve- nir sur des idées reçues ? Une fois encore, je citerai Cervantès : « … la vérité, dont la mère est l’histoire, émule du temps, dépôt des actions, témoin du passé, exemple et connais- sance du présent, avertissement de l’avenir ».

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L’idée de ce numéro des Annales des Mines est née à l’occasion de la préparation de la table ronde « Quelle politique industrielle pour la France dans l’Europe ? », organisée dans le cadre du colloque « 200 ans d’histoire du corps des Mines » (une synthèse est présentée en hors-dossier à la fin du présent numéro). Christian Marbach, président de cette table ronde, avait relevé que Georges Besse figurait dans la liste de « vingt représentants illustres des corps des ingénieurs des Mines et des ingénieurs des Télécommunications », établie à l’occasion de ce bicentenaire, de même qu’il avait été retenu, quelques années auparavant, parmi la vingtaine de polytechniciens remarquables du XXe siècle, lors de la célébration d’un autre bicentenaire, celui de l’Ecole Polytechnique. Dans la perspective du vingt-cinquième anniversaire de la disparition de Georges Besse, Christian Marbach avait entrepris de rassembler et de rédiger des éléments biographiques, en vue de leur publication dans le bulletin de la Sabix *, dont il était président d’honneur. Nous avons alors envisagé de co-publier ce travail dans les Annales des Mines. Je remercie vivement la Sabix d’avoir rendu possible ce projet, et son président Alexandre Moatti d’avoir accepté de rédiger un avant-propos à ce numéro. J’adresse aussi mes remerciements les plus chaleureux, pour leur assistance et leur soutien, à la famille de Georges Besse, à ses proches et à tous ceux qui ont bien voulu apporter leur témoignage irremplaçable, permettant de rendre si vivante cette esquisse de portrait.

* Société des amis de la bibliothèque de l’X, qui joue un rôle essentiel pour promouvoir une meilleure connais- sance de l’histoire de l’Ecole Polytechnique et des polytechniciens. Une présentation plus détaillée de cet orga- nisme figure dans la partie 3 de ce numéro.

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AOÛT 2011 - 23,00 € RÉALITÉS ISSN 1148-7941 INDUSTRIELLES UNE SÉRIE DES ANNALES DES MINES FONDÉES EN 1794

Rédaction 120, rue de Bercy - Télédoc 797 75572 Cedex 12 Tél. : 01 53 18 52 68 Fax : 01 53 18 52 72 http://www.annales.org Sommaire Pierre Couveinhes, rédacteur en chef Gérard Comby, secrétaire général de la série « Réalités Industrielles » Martine Huet, assistante de la rédaction Marcel Charbonnier, lecteur UN INGÉNIEUR D’EXCEPTION : GEORGES BESSE Comité de rédaction de la série « Réalités industrielles » : Michel Matheu, président, Pierre Amouyel, 1 Éditorial Grégoire Postel-Vinay, Pierre Couveinhes Claude Trink, Bruno Sauvalle Jean-Pierre Dardayrol Pierre Couveinhes 5 Avant-propos Maquette conçue par Alexandre Moatti Tribord Amure Iconographe Christine de Coninck Fabrication : Esquisse d’un portrait Marise Urbano - AGPA Editions 4, rue Camélinat 42000 Saint-Étienne Tél. : 04 77 43 26 70 7 Brève chronologie Fax : 04 77 41 85 04 e-mail : [email protected] Christian Marbach Abonnements et ventes Editions ESKA 8 La jeunesse d’un polytechnicien 12, rue du Quatre-Septembre 75002 Paris Christian Marbach Tél. : 01 42 86 55 65 Fax : 01 42 60 45 35 20 Un caractère ! Christian Marbach Directeur de la publication : Serge Kebabtchieff Editions ESKA SA au capital de 40 000 € 28 Le management selon Georges Besse Immatriculée au RC Paris 325 600 751 000 26 Christian Marbach Un bulletin d’abonnement est encarté dans ce numéro pages 119-120. 52 Georges Besse arrive chez PUK : lisons la presse ! Vente au numéro par correspondance Christian Marbach et disponible dans les librairies suivantes : Presses Universitaires de France - PARIS ; Guillaume - ROUEN ; Petit - LIMOGES ; Marque-page - LE CREUSOT ; 60 Georges Besse arrive chez : lisons les journaux ! Privat, Rive-gauche - PERPIGNAN ; Transparence Ginestet - ALBI ; Christian Marbach Forum - RENNES ; Mollat, Italique - BORDEAUX. Publicité J.-C. Michalon Témoignages sur Georges Besse directeur de la publicité Espace Conseil et Communication 2, rue Pierre de Ronsard 78200 Mantes-la-Jolie 69 Une leçon pour l’avenir ? Tél. : 01 30 33 93 57 Fax : 01 30 33 93 58 Raymond H. Lévy Table des annonceurs Annales des Mines : 2e, 3e et 4e de couverture 72 La nouvelle usine d’enrichissement d’uranium d’AREVA, digne héritière de la Illustration de couverture : vision industrielle de Georges Besse Georges Besse au Salon de l’Automobile de Paris, automne 1986. Luc Oursel © Coll. Fondation Georges Besse. D.R. 3-4 Sommaire:Sommaire 27/07/11 14:58 Page4

77 Georges Besse, grand ingénieur, grand chef d’entreprise, grand serviteur de l’Etat François de Wissocq

86 Deux portraits de Georges Besse Jacques Lesourne * In Memoriam : Georges Besse (1927-1986) * Extrait du livre Un homme de notre siècle

Annexes documentaires

91 Georges Besse, le bicentenaire de l’X et le bicentenaire du corps des Mines

97 La Fondation Georges Besse

99 La SABIX

101 Sources utilisées

HORS DOSSIER

106 Synthèse de la table ronde « Quelle politique industrielle pour la France dans l'Europe ? », table ronde tenue sous la présidence de Christian Marbach le 18 novembre 2010, lors du colloque « 200 ans d’histoire du corps des Mines » Franck Lirzin et Ludovic Weber

Le dossier est coordonné par Christian Marbach 5-6 Avant-propos:5-6 Avant-propos 27/07/11 15:05 Page5

Avant-Propos

par Alexandre MOATTI* GEORGES BESSE UN INGÉNIEUR D’EXCEPTION :

l est des événements suffisamment marquants nostructure », ingénieurs polytechniciens principale- pour que, longtemps après, l’on se remémore ment : associons à la mémoire de Besse celle de l’in- I encore l’instant et le lieu où la nouvelle nous a saisi génieur général René Audran (X1950), assassiné lui dans la banalité de notre quotidien, contrastant avec aussi devant son domicile en janvier 1985, et rappe- celle-ci. Chacun a ainsi, face à l’actualité, ses souvenirs lons la tentative d’assassinat faite en avril 1986 sur précis : la mort du Général de Gaulle en 1970, le 11 Guy Brana (1924-2010, X1943), ingénieur en chef de septembre 2001 à New-York,… L’assassinat de l’armement, ancien de Thomson-CSF et vice-prési- Georges Besse le 17 novembre 1986 fait partie, pour dent du CNPF. Cette idéologie visant, parfois avec beaucoup d’entre nous, de ces événements. passage à l’acte, une élite technique et industrielle pré- Cet acte était particulièrement frappant en ce sens tendument détentrice du pouvoir effectif, n’a été jus- qu’il touchait un homme peu médiatisé, un grand ser- qu’à présent que peu étudiée et mériterait de l’être – viteur de l’État, un meneur d’hommes, un ingénieur comme elle mérite réflexion, car elle reste d’actualité issu d’un milieu modeste qui, grâce aux écoles de la et s’est même répandue aujourd’hui, quoique édulco- République, avait pu atteindre de hautes responsabili- rée, dans des mouvances beaucoup plus larges. tés. Mais aussi un homme dont on sentait la franchi- Ce destin tragique et rare (un PDG de grande entre- se, le parler vrai – un Juste en quelque sorte : même s’il prise tué devant son domicile, au retour de sa journée ne connaissait pas personnellement Besse, chacun de de travail) a évidemment contribué à faire connaître nos concitoyens pouvait confusément sentir cela chez encore davantage le nom de Besse ; peut-être cepen- lui. dant a-t-il aussi empêché que l’on examinât avec plus Ce Juste est tombé sous les balles de tueuses barbares d’attention son parcours, les étapes de sa carrière, la – ce sont les termes utilisés à l’époque aussi bien par formation et la qualité de ses méthodes de manage- la presse que lors du procès. Et il est anormal qu’en- ment. C’est à ceci qu’est consacré l’essentiel du pré- core aujourd’hui lumière complète n’ait pas été faite sent numéro. sur les causes précises d’un tel acte. Le flot média- Le lecteur y trouvera une analyse précise des rares tra- tique, fort oublieux, ne nous renseigne guère à ce vaux effectivement consacrés à Georges Besse, dont sujet, voire évoque presque complaisamment la remi- un seul est public : le compte rendu du colloque de se en liberté conditionnelle récente (en 2008) d’une 1996 organisé par l’Institut d’Histoire de l’Industrie. des coupables. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si, au cours des années 1980, les terroristes d’Action Directe s’en sont pris, non à des hommes politiques, mais à ceux qu’ils * Ingénieur en chef des mines considéraient comme des représentants d’une « tech- Président de la SABIX

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Christian Marbach, président d’honneur de la X1948, La Jaune et La Rouge, février 2006). Ce cama- SABIX, a disposé de ce livre pour préparer ses articles, rade de promotion de Besse était sans doute brillant, comme des documents de qualité préparés par la mais fort peu adapté à la vie professionnelle et même Fondation Georges Besse. Il a surtout pu interroger sociale : il terminera sa vie sous les ponts, pauvre hère, un certain nombre de témoins ayant côtoyé Georges ayant toujours refusé de régulariser sa situation auprès Besse, et en particulier son épouse, Mme Françoise des caisses de retraite. Georges Besse, pourtant peu Besse, qui a accordé son soutien amical à notre entre- enclin à un favoritisme polytechnicien qui, à juste prise dès ses prémisses : qu’elle en soit ici particulière- titre, n’entrait pas dans ses conceptions, sut saisir la ment remerciée. Nous remercions aussi pour leurs tragédie humaine incarnée par Bilous. Il le tira d’une contributions François de Wissocq, qui aborde la car- situation difficile en lui proposant en 1976 un poste à rière nucléaire de Besse, Jacques Lesourne, son cama- la société USSI au sein du groupe Cogema. C’est aussi rade de promotion de l’X et des Mines, et enfin à ce type de geste exceptionnel – aux divers sens du Raymond Lévy, son successeur à la tête de Renault, terme – que l’on reconnaît humanisme et humanité. qui s’est penché sur certaines leçons que l’on pouvait Avec Christian Marbach, la SABIX est fière d’avoir tirer aujourd’hui de la vie et de l’action de Georges pris, en liaison avec la Fondation Georges Besse, l’ini- Besse. tiative du premier hommage à Georges Besse à l’occa- J’ajouterai pour ma part à cette riche documentation sion de ce 25ème anniversaire, et de voir le contenu de

UN INGÉNIEUR D’EXCEPTION : GEORGES BESSE un simple détail, mais significatif, happé à la lecture son Bulletin relayé dans un numéro des prestigieuses d’un hommage rendu à Oleg Bilous (1927-2004, et plus que bicentenaires Annales des mines.

© ALEXANDRE MOATTI Allée Georges Besse (Paris XIVe), au milieu du boulevard Edgar Quinet, où habitait Georges Besse.

6 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 7 Brève chronologie:7 Brève chronologie 27/07/11 15:05 Page7

BRÈVE CHRONOLOGIE

Georges BESSE ESQUISSE (1927-1986) D’UN PORTRAIT

Né le 25 décembre 1927 à Clermont-Ferrand (Puy-de- Dôme). Etudes au lycée Blaise Pascal de Clermont-Ferrand. Ancien élève de l’Ecole Polytechnique (X48). Ingénieur au corps des Mines. 1954-1955 : Ingénieur de fond dans les mines de fer de Bazailles, puis ingénieur à l’arrondissement minéralogique de Béthune. 1955-1958 : Commissariat à l’Energie Atomique : Adjoint au directeur indus- triel, chargé du développement de la séparation isotopique par dif- fusion gazeuse. Novembre 1958 à janvier 1985 : Directeur général, puis gérant (1965) de la Société USSI chargée par le CEA de la construction de l’usine de Pierrelatte. 1964-1973 : Directeur général du Groupement Atomique Alsacienne-Atlantique (GAAA, filiale d’Alcatel). © FRANÇOIS BIBAL Directeur général, puis président d’Alcatel jusqu’à sa fusion avec Portrait de Georges Besse quand il était prési- CIT. Directeur général adjoint de CIT-Alcatel. dent de Péchiney-Ugine-Kuhlmann. 1974-1976 : Président du directoire de la Société Eurodif chargée de la construc- tion de l’usine de Tricastin, devenue en 1988 « Usine Georges Besse ». 1976-1982 : Directeur général, puis président (1978) de la Compagnie Générale des Matières Nucléaires (COGEMA, fil- iale du CEA). Février 1982 à janvier 1985 : Administrateur général, puis président de Péchiney-Ugine-Kuhlman (PUK), avant d’en être le président d’hon- neur. 23 janvier 1985 : Président de la Régie Nationale des Usines Renault. Assassiné le 17 novembre 1986.

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La jeunesse d’un polytechnicien ESQUISSE C’est l’histoire d’un enfant. C’est l’histoire d’un enfant issu d’une famille modeste, doué, intelli- gent, encouragé dans ses études et qui réussit au concours d’entrée D’UN PORTRAIT à Polytechnique. Un parcours que certains ont pu à juste titre appeler un destin fran- çais. Oui : un destin français. Un très beau parcours, mais qui, pour les vingt premières années de formation, n’est pas tellement excep- tionnel dans notre pays : on peut trouver des similitudes entre les débuts de Georges Besse et les débuts de nombreux polytechni- ciens, avec le même ensemble d’ingrédients : une famille simple ; le repérage par un système enseignant capable d’évaluer et de sentir chez un gamin des qualités sortant de l’ordinaire ; des parents d’abord un peu craintifs devant l’inconnu, puis fiers et consentants à laisser leur rejeton poursuivre ses études, dès qu’ils auront appris que l’Ecole Polytechnique, où la formation sera gratuite, représente à la fois la certitude d’un beau métier et l’ouverture vers de nombreuses possibilités orientées d’abord vers le service de la collectivité.

par Christian MARBACH*

our beaucoup de polytechniciens, raconter les sément titré Les bons élèves et paru chez Denoël en premières années de la vie de Georges Besse jus- 1955, le romancier Jean Paulhac a plaisamment P qu’à Polytechnique et l’école d’application raconté ce parcours. Celui de Georges Besse. Celui de reviendrait un peu à se raconter soi-même. Il leur beaucoup de ses amis. Le mien aussi. serait aisé de se revoir studieusement assis dans une Mais avant de raconter l’arrivée sur la Montagne salle de « taupe » ou arpentant la cour du Lycée Saint- Sainte-Geneviève, il faut commencer par le début, Louis (dans les années 1950) pour attendre, stressé, le c’est-à-dire relater l’enfance d’un jeune garçon dont moment d’entrer dans une salle d’interrogation pour les capacités impressionnent suffisamment ses profes- l’oral du concours – ou encore, pour les bons élèves seurs pour que le proviseur du lycée Blaise Pascal provinciaux arrivant à l’X après leur succès, repenser à convoque ses parents, pour conseiller qu’il poursuive des cette surprenante prise contact avec Paris à partir de la rue Descartes (tout du moins, avant 1976, avant le * X 56, Membre de l’Académie des technologies, membre du conseil de transfert de l’Ecole à Palaiseau) : dans son livre, préci- surveillance de Lagardère SCA, président d’honneur de la Sabix.

8 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 8-19 Jeunessepolytechnicien:8-19polytechnicien27/07/1115:07Page9 ces lignessansréticenceaucune. que desmatériauxdéjàpublicsouconfiésàl’auteur de ferons, avec ladiscrétion quiconvientetenn’utilisant des premières annéesdeGeorges Besse ;nousle donner aulecteurunéclairagesurl’environnement Ou plutôt,remonter encore plusloin,pouressayer de jamais entenduparler (1). que peutêtre cetteEcole Polytechnique dontilsn’ont sent et,rentrés chezeux,cherchent dansledictionnaire ce Ses parents etGeorges setai- trer àl’Ecole Polytechnique. études dehautniveau ;ilajoutequ’il devrait viserd’en- ment la neigeoulespluiesquiapprovisionnent régulière- un climatsanstendresse leblancdensede apportant méritentlerespectvertigineuses, quandonlesgravit, avec sespuys rude, suffit denommerpourlaisserentendre unenature scènes estleurdécor:l’Auvergne. Une régionqu’il lamoinsconfidentielledecespremièresLa partie UNE RÉGION,ÉPOQUE,FAMILLE lé cetteorigineetlesAuvergnats, pasàdissimuler,il neparvenait aévidemmentrappe- épopée, etavec uneémotionque(pourrare fois) qui sedéroula commeledernierchanttragiqued’une Georges Besse lorsdecettecérémoniedesInvalides André Giraud, quiaprononcé l’éloge funèbre de ensuite àClermont-Ferrand. vacances chezsesgrands-parents, ouleramenait letrainquil’emmenaitpetites gares quedesservait en comité directeur dePUK,ilrappelaitlalistedes noncer :«unchouest»).Aux membres du qu’il n’acceptait paslegâchis:unsouest(pro- dirigeait, ilsavait renforcer sonaccentpourrappeler Devant lescadres etemployés desentreprises qu’il té. qu’elle correspondait dansunelargemesure àlavéri- cette rouerie étaitd’autant plus facileàpratiquer ment delarouerie àlaisserprospérer cetteimage,mais chage tranquilledecetteorigine.Il yavait évidem- comprit assezvitequ’il pouvait tirer profit del’affi- Une foisensituationderesponsabilité, Georges Besse d’avoir faituneexcellente esquissedesonportrait. un mot,celuid’Auvergnat, ilsavaient lacertitude Besse n’ont jamaisoubliéderappelercetteorigine:en dédiée àL’Auvergnat (encore unGeorges !)nefredonne unechanson Président delaRépubliqueouqueGeorges Brassens ve seslivres, queGeorges Pompidou nedevienne de l’Auvergne, celaaétévraiavant que Vialatte n’écri- encore plussignifiantquelefaitd’évoquer larégion Décrire unFrançais commeétantunAuvergnat, c’est le goûtdelaparole rare etquiconnaitceluidel’effort. tatives de désenclavement, unepopulationquiagardé jamais toutàfaitréduit,malgrélesinnombrablesten- ecâeudeud laFrance le châteaud’eau de qui, sansatteindre desaltitudes ; lesjournauxparlantdeGeorges ceux quit’ont connu , unisolement ont suédifieràlafoisdebelleséglisesromanes etune lave. Une ville oùl’on travaille, etdontles habitants comme unevillegrise,austère, sombre :couleur de me àcettevillequesespropres enfantsdécrivent Clermont-Ferrand. Je nesaispass’il trouvait duchar- Il nefaut pas,maintenant,oublierdeparler où ilsuffitd’appuyer surun bouton… parcours n’a rienàvoir avec unemontéeenascenseur Mines. L’ascenseur social-expression absurde, carce çais :collège,lycée, taupe,Polytechnique, puisles au termed’un algorithmetrèsspécifiquementfran- l’avait pasempêchédedevenir cequ’il étaitdevenu, confiées àdessous-traitants.C’étaitainsi,celane aujourd’hui, setrouvent souvent externaliséeset mais autravail manuel,seconsacrantàdestâchesqui, modestes fonctionnaires voués nonpasaubureau fois fonctionnaire etouvrier, danscette catégoriede de lignestéléphoniques,souvent enmontagne,àla ses origines).Lepère,rappelait certainement poseur que potager, étaitsoignéavec unetendresse quilui nécessité économique(plustard, lesien,plusfleuri exploité avec l’attention qu’il méritaitentantque pied deleurlogementClermont-Ferrand :ilétait prolongée danslejardinsion rurale, desesparents, au honte pourautant.Legrand-père paysan.Ladimen- modestie desafamille,maissansjamaisenavoir En public,Georges Besse nemettaitpasenavant la souffrance deshommes. l’émotion d’un hommeduMassif Central quiaconnula niques endommagéesparlaneige.Il évoquait celaavec les poteauxtélégraphiques pourréparer leslignes télépho- des petitesgens,desonpère, qui,enpleinhiver, montait Besse étaitissudupeuple.Il asouvent parlé delamisère raffiné. Non. Ecoutons Robert Galley (2):Georges le berceau poursemouvoir dansunmilieuparisien savoir oudepouvoir, niaisancenaturelle acquisedès les livres, immédiateàdesréseauxde niappartenance disponible dansunerichebibliothèqueoùs’entassent berceau, niéclatdelaculture échangéeenfamilleet Pour lui,nirichessed’un patrimoinematérielreçu au te àaucuncoupdepoucevenu desonentourage. homme solide,enexpliquantqu’il nedevait saréussi- simple était,àl’évidence, renforcer l’image d’un d’unefamilial. AjouterqueBesse sortait famille collègues oujournalistes:ladimensiondumilieu brossé partouslescommentateurs, amis, portrait-type On voit apparaître iciunesecondecaractéristiquedu travail obstiné,lavaleur deladignitéetdiscrétion. enseigné cequesignifiaientlaviemodeste,l’honneur du du terroir, etdesfleurs,danstafamillequit’a desfruits comme enfant,danscetteAuvergne oùtuasprislegoût l’entreprise. lorsd’un(2) Dans sonintervention colloquedel’Institut del’histoire de assassins deGeorges Besse. (1) Extrait delaplaidoirieMaître François Sarda lorsduprocès des RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011

9 CHRISTIAN MARBACH 8-19 Jeunesse polytechnicien:8-19 Jeunesse polytechnicien 27/07/11 15:07 Page10

entreprise bâtie sur des valeurs de sérieux et d’applica- près, il en a évidemment été témoin comme il le fut, tion, qui ne refusent ni les nouveautés technologiques après la Libération, de scènes de femmes tondues, une ni les compétitions internationales. Dans un court image qu’il n’oubliera jamais. texte d’hommage amical (3), Jacqueline Beytout a su rappeler à la fois l’origine modeste et rurale, et le genre d’hommes qui parfois surgissent de ces terri- UN ÉCOLIER D’ABORD ORDINAIRE toires pour y construire villes et industries : « Les pieds bien ancrés dans la glaise, il (Georges Besse) a la puis- sance des bâtisseurs de cathédrales ». Sans doute le travail scolaire fut-il un dérivatif par Et puis n’oublions pas ce qu’était le contexte histo- rapport à ce contexte historique lourd, et souvent ESQUISSE D’UN PORTRAIT rique des études du jeune Georges : l’avant-guerre, les angoissant. Le petit Georges vécut des années faciles à discussions politiques que son père ne fuyait pas, puis l’école primaire de son quartier, là où, quelques la guerre ; dès la déclaration de guerre, la présence, à années auparavant, le jeune Fernand Raynaud usa ses Clermont-Ferrand, de nombreux réfugiés alsaciens ; fonds de culotte. Mais ensuite, il ne se coula pas après la défaite, la mise en place du régime de Vichy immédiatement dans les habits pauvres mais soignés (un Vichy géographiquement tout proche) ; du bon lycéen, sérieux et travailleur. Car Georges se l’Occupation, avec une présence allemande massive à sentait mal à l’aise dans un univers plus bourgeois, partir de 1942 ; les informations plus ou moins fiables souvent plus cultivé, où il faisait figure d’enfant mal sur le front des opérations militaires en Europe : dégrossi et différent du milieu ambiant, celui des pro- comme des milliers d’enfants, Georges avait une carte fesseurs comme celui des élèves (4). A ce propos, sur son mur et, pendant quelque temps, il écrivit un Françoise Besse aime raconter l’épisode de la fuite journal de la guerre sur un cahier ; les procès poli- chez les grands-parents, le genre d’anecdote que l’on tiques, comme celui intenté à Pierre Mendès-France à pourrait lire chez Alphonse Daudet. Assez honteux de Clermont-Ferrand ; le traitement réservé aux Juifs ; les son livret scolaire et certain que ses parents n’aime- conversations sur le maquis, dont il savait que les pay- raient pas du tout les appréciations qu’ils y trouve- sans de sa famille le ravitaillaient ; les discussions sur raient, car elles risquaient de gêner son admission en le Service de Travail Obligatoire : à son âge de collé- seconde, Georges décide, sur un coup de tête, de se gien, Besse a connu et vu tout cela, il aurait pu être réfugier chez ses grands-parents, en Corrèze, histoire personnellement concerné, à une ou deux années de se mettre à distance des reproches ou des puni- tions. Sans doute n’était-il pas tout à fait certain d’avoir pris la bonne décision ! Croyait-il vraiment pouvoir se faire oublier un peu ? Ou cherchait-il, inconsciemment, à tester ses parents ? Eux, en tout cas, recevant le carnet de notes, n’hési- tent pas longtemps et font à leur tour une soixantaine de kilomètres à vélo pour retrouver leur enfant et lui faire la morale. Plus que par le sermon, sûrement argumenté et qu’il considérait comme mérité, le jeune Georges fut frappé par l’effort physique que ses parents avaient consenti. Le test avait été probant : ils vinrent expliquer au jeune fugueur les règles du jeu, la règle morale (que cela ne se faisait pas, qu’il fallait savoir affronter les conséquences de ses actes). Et aussi la règle du jeu professionnelle : seul le travail, avec sa sanction par de bonnes notes, le conduirait à un métier satisfaisant. Cette aventure fut plus qu’une historiette répétée plus tard avec délectation dans la famille, plus qu’un petit paragraphe insignifiant dans ce chapitre consacré au parcours initiatique. Ce fut une sorte de déclic précé- dant ou renforçant la prise d’une décision, celle de tra- vailler sans hésitation et, bientôt, avec plaisir. Le plai- sir de comprendre. Celui de comprendre vite, et

(3) Article paru dans Les Echos du 19 novembre 1986.

© COLL. FONDATION GEORGES BESSE. D.R (4) Reçu, encore enfant, dans une maison moins modeste que celle de ses parents, il avait été surpris et ébloui de contempler des plafonds tout Photo d’identité de Georges Besse enfant. blancs, lui qui ne connaissait que des intérieurs couverts de suie.

10 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 8-19 Jeunessepolytechnicien:8-19polytechnicien27/07/1115:07Page11 importants duPartiimportants Communiste :Pierre Juquin, qui proches, comme,parexemple, deuxfutursmembres au lycée descamaradesquiluisontrestés assez Un celui dumilieusocial,patrimoineetdesrevenus. de travailler pourseplacersurunautre terrainque ce devant lepouvoir del’argent, l’envie maissurtout Georges méfian- Besse, ilamenaàlafoisunecertaine sentiment peutconduire àdesrévoltes stériles;chez rêter sesétudes,làdevaient commencerlesmiennes.Ce :làpouvaient s’ar-et moiétionsdanslamêmeterminale une confidencedeGeorges Besse : chez Michelin. Laurent Fabius àcesujet, rapporte, le faceauxfilsdefamille,notablesoucadres de ment :toujourscetteconsciencedeladifférence socia- boncamarade,maisseliantdifficile- dent, réservé, peu d’amis, devraisamis.Il y esttoujoursresté pru- Au lycée Blaise Pascal deClermont-Ferrand, Besse eut années decollègeetlycée. du sentimentdegênequil’habitait, audébutdeses plaisir derendre sesparents heureux. Et ladiminution bonnes notes,desprix,tableauxd’honneur. Le souvent, plusvitequelesautres.parfois, Leplaisirdes Vue delacourd’honneur dulycée Blaise Pascal àClermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). postale. Carte , pourtant, unenuance:Besse aaussieu addendum, pourtant, François Michelin tivement née souslespréaux. être aussi(plustard) del’habileté, maiselleétaiteffec- cère avec cescamarades avec cescondisciples clermontois:lacamaraderiesin- restercomplot antifrançais;ilsutpourtant encontact secteur nucléaire oùl’obsédaient leséventualités de avait renforcée enprenant desresponsabilités dansle ment anticommuniste,affichaitcetteconvictionqu’il finances duParti. Georges Besse, quiétaitviscérale- Pion, qui,discrètement,s’occupa plustard des carrière quil’amena às’écarter delaligneduParti, et entra àNormale Lettres etconnutauseinduPCune Besse, donc,diraquece Delgado dontj’aiprésentélagenèseparailleurs. sous formedeboutade,onlelitdansl’entretien travailler avec l’esprit pluslibre. Georges Besse ledira Et maintenant,entaupe!Laguerre estfinie;onpeut ÉCOLES EN CLASSESPRÉPARATOIRES AUX GRANDES RÉALITÉS INDUSTRIELLES un peuspéciauxrelevait peut- bahut (Blaise Pascal) fabri- • AOÛT 2011 11 CHRISTIAN MARBACH 8-19 Jeunesse polytechnicien:8-19 Jeunesse polytechnicien 27/07/11 15:07 Page12

quait en ses classes préparatoires un reçu à l’X une rang serait formidablement amélioré lors des années année sur deux, et qu’il suffisait donc de viser la passées sur la Montagne Sainte-Geneviève). bonne année. Cela n’était pas si simple, et ce bon mot (Une parenthèse : on pourrait, à l’occasion de ce récit, n’est qu’un mot. D’abord, parce que les résultats de ce gloser sur les aléas de la sélection qui sert, en France, lycée, sans jouer dans la première catégorie des éta- à répartir les élèves entre les grandes écoles d’ingé- blissements parisiens, étaient tout à fait honorables (il nieurs. Les adversaires de ce système pourraient illus- n’y a pas que Louis-le-Grand, en France, il y a aussi trer leur position en expliquant que seule une faute de Clermont-Ferrand et Strasbourg !) ; ensuite, parce que signe avait empêché le jeune Georges d’être admis dès le parcours de Besse jusqu’à son admission à l’Ecole sa première tentative. Mais les avocats de la sélection Polytechnique y fut moins évident que l’on pourrait le par le mérite pourraient à bon droit poser cette ques- ESQUISSE D’UN PORTRAIT croire quand on connaît les capacités scientifiques tion : quel autre système aurait permis à un fils d’ou- dont il fera preuve dans la suite de sa carrière (5). vrier pauvre, sans recommandations, d’étudier en Car si Besse était certainement fier d’être entré à étant certain que sa seule formation lui permettrait de Polytechnique, il fut d’abord affreusement vexé d’y bénéficier des meilleurs enseignements de la avoir échoué au concours de 1947 en 3/2, c’est-à-dire République ? Un système qui présente une efficacité après sa première année de mathématiques spéciales. certaine, en faisant, d’un jeune garçon doué, un cadre Avec des notes moyennes, pas du tout honteuses, mais qui se sent redevable de cette promotion à l’égard de qui ne permettaient pas l’admissibilité (9,5 et 11,5 la Nation). pour les deux compositions de mathématiques ; 13 en (Une autre parenthèse : beaucoup d’anciens élèves de chimie ; 13 en physique, 8 en français, 3,5 en épure grandes écoles font mine d’avoir été dégoûtés par le (6). Quand il apprend cet échec, Georges se pose rythme des études en taupe. Pas Besse : cet effort d’ap- d’abord la question de savoir s’il va s’obstiner, ou non. prentissage (et même parfois, de bachotage) ne le Mais sa mère, avec beaucoup de bon sens, le lui impo- rebutera pas : il le poursuivra à l’X, et plus tard cer- se ; elle sent qu’il a parfaitement les moyens de passer tains témoins diront qu’il lui arrivait de relire ses cours de l’autre côté de la barre et, attentive aux modestes de taupe, pour le plaisir et parce qu’il considérait revenus de la famille, elle n’oublie pas non plus qu’en qu’ils constituaient le socle de ses connaissances scien- cas de réussite, Georges sera pris en charge par l’Etat. tifiques. Celles-ci n’étaient pas pour lui un simple Aussi (il le confiera plus tard à son épouse), Georges marchepied utile pour atteindre les places de direc- décide de se passer presque totalement de vacances. Il tion, mais un bagage plein de sel, même s’il n’en fera achète les divers ouvrages d’annales qui donnent le pas le seul contenu de son métier). texte des compositions proposées les années précé- dentes à tous les concours et des colles proposées aux oraux (aujourd’hui, nos petits-enfants les trouvent et A POLYTECHNIQUE les échangent sur Internet). Il les traite, sans excep- tion. « En reprenant la taupe, il était armé ». A vrai dire, les notes de l’admissibilité en 1948 ne sont pas Après une année de service militaire et de classes encore extraordinaires, mais largement suffisantes : 12 (pour Georges, les transmissions, à Montargis, puis à et 14,5 en maths, 10 en chimie, 16 en physique. Le Laval), direction : Paris, pour deux années d’école. français reste faible : 6,5 seulement. A ce propos, si Temps d’études, de camaraderies, de quelques retours Besse savait écrire avec précision des lettres claires et en famille, de quelques sorties de provincial assez fortes d’une page, avec d’ailleurs une très belle écritu- esseulé dans la capitale (je vois très bien ce que cela a re manuscrite (celle adressée aux Renault en 1985 est pu être). un exemple à citer et à développer, dont nous parle- On peut avoir sur ses années polytechniciennes des rons par ailleurs), il n’a jamais ou presque jamais eu témoignages : il reste heureusement encore assez de envie d’écrire autre chose, un article ou a fortiori un « cocons » de Besse pour raconter comment celui-ci se livre : Besse ne sera pas Auguste Detoeuf, même s’il lui fit une place parmi ses camarades. D’abord, sur le arrivera aussi d’inventer ou de raconter des histoires plan scolaire. Besse étudia et travailla avec ténacité ; savoureuses, et il ne sera jamais Marcel Demonque, dont beaucoup de pages de ses Textes et propos auraient pu refléter sa pensée sur l’entreprise et la société. Mais revenons au concours. Le total des notes à l’écrit (5) On lit cela dans l’entretien qu’il accorda, en tant que président de n’est certes pas connu du candidat avant l’oral, mais le Péchiney-Ugine-Kuhlmann, à un thésard qu’il accepta de recevoir : un sentiment qu’en a Georges lui permet d’entrevoir la entretien rare dans la carrière de Besse, un entretien ouvert, voire parfois primesautier. Cela est autant dû au jeune interviewer, Guy-Clarin suite du concours avec sérénité, et Besse déroule les Delgado, un thésard qui sut amener son illustre interlocuteur sur le ter- oraux avec des 15,5 et 15 en mathématiques, 17 en rain des confidences, qu’à un Besse fort détendu et tout heureux de se physique, 16 en chimie, 18 en anglais. Son rang d’en- « lâcher ». e trée est très bon : il est 45 . Sa mère avait eu bien rai- (6) Ces notes ont été recopiées dans le dossier d’élève de Georges Besse à son de le pousser (et elle ne savait pas encore que ce l’Ecole Polytechnique, que nous avons pu consulter grâce à l’autorisation de Madame Besse.

12 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 8-19 Jeunessepolytechnicien:8-19polytechnicien27/07/1115:07Page13 Lesourne, qui,entré8 Polytechnique, distancéseulementparJacques secondaprèslesdeuxannéesde Besse sortira notes leconduisantàunclassementexceptionnel : parer sesexamensavec sérieuxpouryobtenirdes d’avoir réussiàl’X sanstravailler ;ils’efforcera depré- contrairement ilnesevantera jamais àcertains, des Laissons làcetteintroduction àunchapitre nonécrit directions biendifférentes). parcours scolaires identiques,avant deprendre des la petitebourgeoisie,s’insérant dansdesformats et le milieudontétaitissuJacques serapprochait plusde carrière, d’enfances àpartir assezsemblables, mêmesi Georges etJacques, decaractère, d’intelligence etde différences, commelesressemblances, d’ailleurs, entre diguait. Il seraitévidemmenttentantdecreuser ces usines, ycomprisdanslesétudesetconseilsqu’il pro- mation dusavoir enmatières, infrastructures et dans l’écrit justeauseuildela transfor- etlevirtuel, bler etraisonner, enfinécrire, doncrestant souvent apprendre, comprendre, restituer etexpliquer, assem- ne contestajamaisl’exceptionnelle capacitéà Lesournefutundeces (Jacques rades trèsloinderrière. aux avant-postes pourlaisserensuitetoussescama- Album dephotosindividuelleslapromotion 1948.ÉditionsDarby, Paris, 1948-1949. : » Caricature représentant l’encadrement etlepersonnelenseignantdel’Ecole Polytechnique. Extrait d’un «albumpromo Vies parallèles de polytechniciens.Et revenons à e , se porta presque, seporta toutdesuite majors dont personne sens aiguduréalisme.L’étude théoriqueluisemblait qu’il appréhendait,carilcultivait enmêmetempsun chait pasàtraduire àtoutprixenconceptslesvérités ranger parmilesintellectuels.Pour lui,Besse necher- mais celanesignifiaitpas,àsonavis,quel’on doive le demment, Besse étaitexceptionnellement intelligent, ce stadequeLesournem’a lui-mêmerépété:évi- niciens, Jacques rédigeapourlejournaldesancienspolytech- cette revue, demêmequelanotice fie qu’elles aientétéreprises dansleprésent numéro de Besse. La qualité decesdeuxpages(176et177)justi- sées àl’X oùilévoque lavieet lecaractère deGeorges notamment danslechapitre consacréauxannéespas- Jacques Lesourneparleavec amitiédesoncamarade, deGeorges,siècle, écritevers 2000aprèslamort Dans salongue autobiographie,Un hommedansle sauf enfrançais(encore !). classement, aucunenoteen-dessousdelamoyenne, élèves assurés, entoutefindesecondeannée,leur en astronomie, unematière négligéeparles parfois !Bravo45, celacartonne !Aucune impasse,mêmepas multiplie des18et20parcoefficients34ou coefficients:alors,quandon mens générauxauxforts dans sescompositionsécritescommeexa- Besse. J’ai aussipuconsulterlesnotesqu’il aobtenues la Jaune etlaRouge RÉALITÉS INDUSTRIELLES . Retenons simplementà In memoriam • AOÛT 2011 que 13 CHRISTIAN MARBACH 8-19 Jeunessepolytechnicien:8-19polytechnicien27/07/1115:07Page14 14 ESQUISSE D’UN PORTRAIT clermontois yétantdécidémentpeunombreux !), à l’X, s’y trouvant ànouveau seul(lescondisciples tôt bourgeoisedulycée Blaise Pascal ;ilferademême appris às’insérer avec discrétiondanslajeunesseplu- blée dansunmondequ’il neconnaissaitpas. Il avait seul, vivant ànouveau cettedifficultéàseplacerd’em- Donc, Besse s’est pluàl’X, toutens’y sentantparfois dier lesproblèmes etpenser, autantilpréféraitfaire. te, ilfautdécideretfaire. Et autantBesse aimaitétu- nécessaire, l’analyse aussi,avec sesfinesses,maisensui- RÉALITÉS INDUSTRIELLES tables. Surlaphoto,onpourrait endoutertantnotreBesseparaît jouerleséquipierssympas ! taine, doncdecetteéquiperugby, mais,écritFrançois de Wissocq, l’undesesmembreslesplusredou- mices ducomportementmanagérialfuturdeBesse.C’est décidémentdifficiled’écrirel’histoire!Pas capi- capitanat en1948ou1950,impliquantautoriténaturelle etengagementpersonnel,jenesaisquellespré- On neprêtequ’auxriches ! A lasuited’autrescommentateursd’occasion,j’avais crutrouver dansuntel ballon… moins, maisc’estfaux.Notrecapitaine,c’étaitDubarry-Barbe, unpalois:tulevois, c’estluiquitientle cela àsoncapitaine.Capitaine???Maisnon,merépond Pierre.J’aidéjàentenducettefabledixfoisau Je remercie Pierredesonaccordpourmelaisserreproduirecettephotoetjeluiindique qu’ildoitbien tir deladroitebavardent aulieudeseconcentreravant lechoc :PierreDelaporteetGeorgesBesse. ou britanniques).Surl’image,touslesXsontàpeuprès sérieux,maisletroisièmeetquatrièmeàpar- ce genredecompétitioncontreSaint-Cyr, Salon,ouNavale,… oumêmecontreleséquivalents belges contre l’équipedesécolesdel’arméel’airSalonProvence (basketteur, j’aiparticipémoiaussià Polytechnique augarde-à-vous (ungarde-à-vous approximatif!),écoutantleshymnes avant unmatch Pierre Delaportem’afournicetteplaisantephotographie représentantl’équipederugby del’Ecole • AOÛT 2011 avait pratiquéàl’Association Sportive aléatoires. Or, enrugby, Besse étaitunexpert qu’il un groupe éventuellement élargipardesschicksals setrouvèrentdilection pourlerugby rassemblésdans :lesélèves ayantunepré- nées pardeschoixsportifs Ses premières amitiéssetrouvèrent d’abord détermi- légèreté qu’il yavait dansl’assurance debeaucoup. avant deserendre d’artifice etde comptedelapart d’eux, qu’il trouvait tellementàl’aise dansleurmilieu, lesjeunesparisienssûrs avec prudence observant © COLL.FONDATION GEORGESBESSE.D.R 8-19 Jeunesse polytechnicien:8-19 Jeunesse polytechnicien 27/07/11 15:07 Page15

Montferrandaise, dont il avait la licence. A Paris, sa de reconstruction dont j’ai été le modeste témoin en personnalité se révéla assez forte pour qu’il devienne voyant peu à peu déblayés les débris, bouchés les trous un des meneurs de l’équipe de l’X : certains de ses sur les routes, étayés les bâtiments branlants, effacés coéquipiers (comme Pierre Delaporte, X 49, qui les stigmates de cette défaite et de cette occupation, devint président d’EDF) s’en souviennent avec plaisir. déminés les lieux de conflits. Car je sais être en mesu- Second moyen de trouver et de fréquenter d’éventuels re d’apporter ma pierre, et plus que cela, à la remise en amis, le casert, c’est-à-dire la salle de travail partagée par marche du pays. Confusément, mais avec certitude, huit ou douze « cocons ». D’après François de Wissocq, Besse savait aussi, car ce concours lui en avait donné qui se renseigna avant d’en parler, Georges fut un cama- la preuve, que, faisant partie des meilleurs, il serait en rade agréable, n’hésitant pas à se montrer disponible pour position de solliciter une place de vraie responsabilité aider ses condisciples à préparer leurs examens généraux. parmi les ingénieurs de l’Etat, dont la mission était, CHRISTIAN MARBACH Troisième moyen, enfin (j’en ai aussi fait personnelle- précisément, de mettre en musique ces chantiers. ment l’expérience, plus tard) : la cour de la Montagne Sainte-Geneviève, où les provinciaux se retrouvaient pendant les week-ends quand ils ne sortaient pas, APRÈS POLYTECHNIQUE : LES MINES faute d’attaches parisiennes. Ainsi Georges devint-il, par exemple, proche de Jean-Pierre Chapon et d’autres compagnons de promenades dans les jardins Besse était fier d’avoir fait l’X, sans pour autant le du Luxembourg, ou de sorties dans les cinémas de la mettre en avant à tout bout de champ. Il était aussi rue Champollion. fier d’en être sorti dans un si bon rang, mais il n’a Sur Polytechnique, encore. Dans l’excellent DVD jamais considéré que cela lui donnait des droits per- consacré à Georges Besse (dont ce numéro parle par pétuels à réclamer les meilleures places. C’est ailleurs), Madame Besse raconte un épisode intéres- d’ailleurs cette réticence devant l’insistance de certains sant. Partant à Paris pour rejoindre l’Ecole de ses condisciples à toujours rappeler leur victoire Polytechnique où il vient d’être reçu, Georges Besse se aux sélections effectuées à vingt ans qui le laissera tou- regarde dans la vitre de son compartiment, dont la jours un peu à l’écart des institutions polytechni- qualité de miroir est accentuée par l’obscurité de la ciennes. Oh, certes, il ne rejetait pas la sélection par le nuit extérieure, et il se dit : « C’est maintenant que ma mérite, il témoignait par son seul exemple que le sys- vie commence… ». Belle scène à tourner dans un film, tème de repérage des petits gamins doués a du bon et avec une voix off, pendant que défilent des silhouettes apporte au pays des cadres d’exception, mais encore nocturnes de gares, de postes d’aiguillage, d’arbres, et fallait-il ensuite faire ses preuves sur le terrain, qui que le jeune héros est éventuellement bousculé par un attend de vous autre chose que les astucieuses résolu- autre voyageur à demi-endormi qui marche dans le tions d’équations biscornues. Il faut y démontrer sa couloir ! Mais scène avec sa part de vérité, car diffici- capacité de faire et sa volonté obstinée de poursuivre. le à inventer, et en même temps, somme toute, assez Georges Besse savait ce qu’il devait aux autres et ce étonnante, méritant du moins sa part de commentai- qu’il avait réalisé ; il continue imperturbablement sur re. Car Georges Besse est tout sauf un Rastignac pres- cette trajectoire de travail à l’X, puis aux Mines. Il y sé de monter à Paris, habité d’une ambition démesu- sera de nouveau considéré comme ayant une stature rée, pour y acquérir pouvoir ou fortune ! hors normes, Raymond Lévy dira de lui qu’au sein du « Ma vie commence aujourd’hui ! » Ces paroles ne veu- corps des Mines, il fut très vite repéré comme sortant lent pas non plus refuser ou rejeter ce que leur auteur de l’ordinaire… (expression à double sens, je m’en a été auparavant, un garçon pauvre, ni passer l’épon- aperçois, en l’utilisant… : mais, oui : il sortait bien de ge sur son milieu familial et son Auvergne natale : l’ordinaire, origine sociale, famille, province). nous avons bien vu qu’il ne les oublierait ni ne les Aux Mines, dont il suit les cours en étant logé au cacherait jamais. Ou encore se persuader soi-même pavillon de Cuba de la Cité universitaire, Besse se lie qu’il est temps de sortir de sa réserve naturelle et de sa davantage avec la petite dizaine d’ingénieurs-élèves de solitude : nous avons vu que Georges restera peu sa promotion : Lesourne, déjà cité, mais aussi expansif et peu liant pendant ses premiers mois à l’X. Capoulade, Andriot, Bès de Berc, Mathieu, Perthus, Non. Ils ne veulent pas non plus occulter un autre de Dominicis, Colas et d’autres encore, dont les noms commencement, essentiel dans sa vie, qu’il n’envisa- figurent, ou ont figuré dans le Who’s Who ? Il y étudie geait pas encore à cette époque, celui de la fondation des matières plus technologiques que purement scien- de sa propre famille avec Françoise : cet autre com- tifiques. Dans les réflexions sur ce cursus, on parle mencement aura lieu plus tard. S’il me faut expliciter d’école d’application. Les nouveaux acquis sont tantôt les sentiments ainsi exprimés, en tout cas le tenter, basés sur l’observation (cristallographie, géologie) et voici comment je pourrais les interpréter. Ma vie com- l’attention prudente portée à la nature (exploitation mence aujourd’hui, car je suis désormais certain de minière et tout ce qui l’accompagne en termes de pouvoir passer cette vie à construire quelque chose, à sécurité minière), tantôt sur le calcul thermodyna- fabriquer, à bâtir, à participer à ce gigantesque effort mique, ses équations et celles de la mécanique

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 15 8-19 Jeunessepolytechnicien:8-19polytechnicien27/07/1115:07Page16 16 ESQUISSE D’UN PORTRAIT RÉALITÉS INDUSTRIELLES demment consacréeàl’Auvergne. compétence enyassociantsesprofesseursetanciens, parlaprésentationd’unecartegéologique,…évi- pection etd’exploitationminièreàCogemacomme PUK, ilnousasembléjudicieuxderappeler cette carte géologique,qu’ildirigeade1940à1953.Besse, ingénieur desmines,ayant euàs’occuperdepros- un desesgrands anciens,EugèneRaguin(X1918).Celui-cijouaitalors unrôleessentielauservicedela A l’ÉcoledesMines,GeorgesBesseeutenparticulier à suivre descoursdegéologie, alorsdispenséspar Extrait d’undocumentpédagogiquedel’IUFMl’université deProvence. • AOÛT 2011 8-19 Jeunesse polytechnicien:8-19 Jeunesse polytechnicien 27/07/11 15:07 Page17

(sciences des machines, production et utilisation de rapport à l’Europe, en ces années d’après-guerre, était l’énergie). colossale et le dynamisme époustouflant, présent dans Lors d’un colloque organisé en 2010 à l’occasion du toutes les couches de la société. Et quant à l’ambition, bicentenaire du corps des Mines, un conférencier, elle peut être illustrée par cette anecdote (encore Jean-Marc Oury, fit remarquer, avec de nombreux une…). Dans une petite cafeteria, une cliente ayant exemples à l’appui, que les « mineurs » pouvaient sou- demandé à Georges et Jean-Noël d’où ils venaient, et vent être classés en fonction de deux dominantes, celle ayant reçu pour réponse : de France, leur demanda : de la mine ou celle des machines, toujours présentes c’est quoi, la France ? Et un voisin, un ancien G.I., de l’une et l’autre, mais dans des proportions variables lui répondre : c’est un petit pays vert. Besse le savait selon les différents métiers de l’ingénieur (7). Dans ses bien : il ne venait pas d’Auvergne pour rien et il études et ses stages, Besse eut l’occasion de bien sentir connaissait la couleur franche de son herbe bien arro- CHRISTIAN MARBACH le travail de la mine et ce qu’il supposait d’humilité sée, il savait que la France était un pays vert. Mais il technique de la part des responsables. Nous y revien- trouva cette réponse bien condescendante et elle le drons, à propos de son séjour à Bazailles. Mais il en confirma dans son ambition : aider à faire de son pays savait assez aussi pour suivre ou contrôler la qualité autre chose qu’un petit pays vert… des calculs scientifiques les plus ardus… sans pour L’aider à exister, à se placer aux premiers rangs dans un autant leur accorder en toute occasion une confiance certain nombre de domaines, être capable d’y traiter aveugle, car il les savait souvent effectués sur des pré- d’égal à égal avec les Américains comme avec les misses mal assurées. Parfois, les ingénieurs du corps Japonais ou les Allemands (dont il savait que la situa- des Mines ont du mal à se passionner pour les cours tion de vaincus était provisoire) et s’y faire respecter. de l’école du boulevard Saint-Michel ; en fait, ils piaf- Besse-san sera respecté au Japon, Georges (à prononcer fent d’impatience d’entrer dans la vie professionnelle ici à l’américaine) le sera aux Etats-Unis. Et il fera en proprement dite. Pour sa part, Besse sut accepter de se sorte que la France soit respectée dans tous les pays où familiariser avec ces matières et apprécia de pouvoir il aurait à œuvrer. Sa dimension de patriote français parcourir la France pour visiter de nombreuses mines (expression qu’utiliseront à son sujet Jacques Julliard ou usines (Jacques Lesourne a ainsi gardé un bon sou- comme Jean-Pierre Chevènement), intériorisée pen- venir d’une de ces tournées effectuées avec Andriot et dant les années de guerre, prit aussi, lors de ces miles lui). parcourus aux Etats-Unis, une dimension écono- Mais ce qui le passionna encore davantage que ces mique. nouvelles matières, c’est le voyage d’études qu’il effec- tua aux Etats-Unis. A l’époque, l’Ecole des Mines s’ef- forçait de conserver quelques crédits budgétaires pour BAZAILLES permettre aux ingénieurs-élèves de prendre contact avec des pays étrangers en les aidant à trouver des points de chute pleins d’enseignements : entreprises, Après les deux années d’école d’application, les ingé- universités, laboratoires, infrastructures, sans pour nieurs-élèves des Mines devenus ingénieurs se répar- autant leur interdire de découvrir des parcs nationaux tissent les postes correspondant à leur grade alors dis- bien placés sur leur trajet ni d’arpenter des villes à l’ar- ponibles dans l’administration. Cet exercice se fait en chitecture impressionnante. En 1961, j’ai moi-même général lors de conversations qui supposent ajuste- trouvé grand intérêt et, plus encore, bien du plaisir à ments et négociations, mais sans difficulté excessive organiser avec mon ami Yves Lesage une traversée des et, en cas de problème, ils s’en remettent au tirage au Etats-Unis dans les mêmes conditions ; je crois donc sort, plutôt qu’au classement de sortie. Il est toujours savoir ce qu’a pu ressentir Georges Besse en effectuant plaisant de constater que des carrières hors normes avec son camarade Jean-Noël Mathieu ce voyage ini- ont parfois tenu, à leurs débuts, au jet d’une pièce de tiatique exceptionnel. monnaie ! Autant que par l’aspect technique ou géographique du Ainsi, en octobre 1953, la feuille de route de Besse voyage (il s’amusait parfois à dessiner des cartes de l’envoie à Bazailles comme ingénieur dans une mine géographie), Besse fut frappé par les contacts humains qu’il put avoir (il parlait assez bien l’anglais pour ne pas hésiter à échanger et il avait déjà cette capacité à dialoguer sans gêne avec toutes sortes d’interlocu- (7) Selon Jean-Marc Oury, donner la priorité à la logique de la mine, c’est reconnaître humblement la force de la nature, la nécessité de l’ob- teurs. Son épouse m’en a parlé, comme elle le fait dans server, de l’étudier, de la traiter avec modestie et prudence. Donner la le DVD déjà mentionné). Georges fut, par exemple, priorité à la logique des machines, c’est affirmer la supériorité des raison- nements intellectuels, des théorèmes et des lois de la science, et construi- étonné par une certaine simplicité des rapports entre re des systèmes audacieux en se fondant sur des certitudes parfois très les personnes, en décalage avec ce qu’il connaissait de théoriques. Georges Besse a compris, lors de son séjour dans les mines, la nécessité de l’humilité devant les choses ; mais quand il eut à concevoir la vie française. Et il en revint avec une certitude et une usine de diffusion gazeuse, de séparation isotopique ou d’enrichisse- une ambition. La certitude, c’était la capacité écono- ment d’uranium, il sut pousser à bout les raisonnements théoriques pour mique et industrielle de l’Amérique, dont l’avance par prendre des risques technologiques majeurs.

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de fer. Besse a en effet demandé, et obtenu, de se fami- C’est aussi grâce à de telles expériences, si l’on accep- liariser avec le vrai travail des mineurs, avant d’aller te de les vivre sans hésitation, que l’on progresse dans effectuer ce que l’on appelait alors le service ordinaire la connaissance des autres, et aussi dans la sienne dans l’arrondissement minéralogique de Béthune. Parce propre. qu’il sait que ses fonctions à Béthune l’amèneront à effectuer des contrôles techniques et sociaux dans les mines, il tient à se mettre d’abord dans la position de LE REFUS D’UN SERVICE ORDINAIRE l’exploitant. Ce sera à Bazailles, dans le bassin de Longwy, à quinze kilomètres au Sud de Longwy. Il faut insister sur cet épisode, car il a beaucoup mar- Dernière étape de la période de formation : Béthune, ESQUISSE D’UN PORTRAIT qué Georges en le plaçant, pour la première fois, en donc. En ce temps-là, les nouveaux arrivés en arron- situation d’autorité et de responsabilité : emmener dissement minéralogique faisaient peu de développe- une équipe de mineurs arracher du minerai aux extré- ment économique auprès du préfet ; parfois, ils se mités d’une galerie souterraine, c’est autre chose que chargeaient d’un peu d’enseignement dans l’école d’encourager ses coéquipiers de rugby à pousser en d’ingénieurs locale ; mais, surtout, ils effectuaient des mêlée pendant les matchs !.... tâches administratives portant sur des sujets tech- Dans une interview donnée au Matin Magazine, niques. Ce fut pour certains la période initiatique Georges Besse fut interrogé sur cette séquence de sa intéressante pour apprendre les rouages de l’adminis- vie, et dira, de Bazailles (en tout cas, c’est ce que tration et de la vie régionale, et pour d’autres, perte de reprend le journaliste) que c’était un village sans espoir, temps et frustration : contrôle des appareils à pression, dont le malheur est d’avoir du fer en-dessous de lui (8). surveillance des mines, sécurité du travail,… Besse Ce n’est pas exact, en tout cas cela ne l’était pas en vivait ces activités avec impatience. Il n’a jamais déni- 1950 : j’habitais alors à Longwy et la présence de la gré la nécessité des tâches de régulation et de contrô- minette n’y était pas considérée comme un malheur. le auxquelles certains de ses amis consacreraient leur Elle était encore reconnue comme une chance pour la carrière, mais il n’en voulait pas pour lui. Parfois, on France et pour la Lorraine, même si on commençait à appelle le corps des ingénieurs des Mines un corps savoir (sans l’admettre) que le prix de revient du fer d’autorité : cette sorte d’autorité, même avec ses tâches importé était moins élevé, et que les aciéries devraient d’appui et de conseil aux entreprises qui accompa- peut-être quitter la Lorraine pour se déplacer vers les gnaient les décisions d’autorisation ou d’interdiction, côtes. Faisait-on déjà les cartes d’iso-coût que l’on ver- il n’en voulait pas. Il avait 27 ou 28 ans. Il voulait rait fleurir plus tard chez tous les transformateurs de faire, tenir les choses en main. Les jeunes créateurs matières premières et qui expliquaient aux respon- d’entreprise américains utilisent cette belle expres- sables de Péchiney – j’exagère à peine – que le trans- sion : to be hands on. Georges Besse se voulait « hands port depuis l’Australie jusqu’à Gardanne était moins on ». Il venait de tâter de la vraie vie des hommes de cher que celui des Baux-de-Provence vers ce même terrain. Comme ses camarades (j’y ai déjà fait allu- site ? En tout cas, pour le moment, Georges Besse ne sion), il savait ce que la conjoncture imposait : recons- fait pas ce type de calcul. Il décide de partager la vie truire le pays, et cette obligation était aussi une chan- des mineurs ; il refuse de passer son temps dans les ce exceptionnelle pour ceux qui avaient les moyens bureaux, à étudier les prix de revient. Il descend au intellectuels et le caractère pour l’affronter. fond, dès 3 heures du matin, jour après jour, et passe ses après-midis à l’atelier pour tester des matériels d’essai (Robert Dautray, qui pour sa part cumulera UN X SANS ORGUEIL SUPERFLU son expérience heureuse des Arts et Métiers avec celle de l’X (qu’il apprécia moins), me confirmera que Besse a toujours été intéressé par les machines, aimant Besse n’a jamais mis en avant sa qualité de polytech- en parler et les toucher, et qu’il sera toujours ravi d’en nicien, mais la presse l’a fait pour lui, obstinément, en bavarder avec des ingénieurs sortis des Arts et particulier pour souligner sa trajectoire de jeune fils Métiers). Une force de la nature, diront ses voisins de d’ouvrier parvenant à faire reconnaître son mérite mine, ouvriers ou cadres. Cette force et cette santé, dans un système de sélection intelligent et honnête. qui lui permirent aussi d’avaler, plus tard, les décalages Les journaux ont très vite vu le parti journalistique horaires sans perdre de temps en longues récupéra- qu’ils pouvaient en retirer dans une accroche, en pré- tions. Sûrement Georges sentira-t-il dès cette expé- sentant un destin français débutant dans la pauvreté rience initiale du commandement des hommes qu’il d’une maisonnette auvergnate pour continuer à la tête portait en lui les qualités d’un chef, la compétence et de chantiers pharaoniques voulus ou inaugurés par le la santé, l’écoute et le charisme. « C’est un bon, vous savez », aurait dit un des gars de son équipe : c’est le témoignage d’un ingénieur de Bazailles, donné à la plaquette de la Fondation Georges Besse de 1996. (8) Le Matin Magazine, 19 septembre 1981.

18 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 8-19 Jeunessepolytechnicien:8-19polytechnicien27/07/1115:07Page19 étape decettecarrière futdécidéeparsonappartenan- desacarrière. Leseulmomentoùune pas auservice desesentreprises, est trèsvitevenue, maisauservice mérite qu’une l’habileté réponsenégative. Certes, lui Mines ?Formulée decettemanière, laquestionne nistes, etpolytechniciensmembres ducorpsdes naires, journalistes,francs-maçons,cathos,commu- milieux desrelations utiles,entrepreneurs, fonction- de un hommederéseauxcultivant danstoutessortes polytechnicienne ?Et, plusgénéralement, Besse fut-il Alors, quereprésenta pourluilasoi-disantmafia allons larentabiliser, quitteàdiminuernoseffectifs… dediminuernoscoûts,etnous millions, ellenouspermet un contradicteur:Tu vois, cettepresse, ellevaut trois d’usine, Georges Besse selaissait-ilalleràapostropher discussions decertaines clarté danslaforte parfois, de lasociété,survieprofessionnelle. Tout auplus, cela sepassaitenprivé,nedébordait passurlavie n’avait pasdavantage droit aututoiement,oualors,si Monsieur Pache Renault, soncadet d’une dizained’années. Monsieur Chauvel… la mêmeapproche :ildonnaitduMonsieur. Alors, nellement, entête-à-tête. Toujours lemêmerespect et les autres cadres. Pas detutoiement,saufexception- traiter lesXquiétaientsoussesordres autrement que d’eux. Au demeurant,ilserefusait, enentreprise, à j’ai entendudesXdire qu’il étaitexigeantvis-à-vis attentif àpousserlacarrière desXplusjeunes;mais laborateurs deBesse, nonX,expliquerqu’il était aussi leurhonnêteté.Je n’ai pasentendud’anciens col- leurs preuves !Qu’ils montrent leursavoir-faire, mais étiquette, fût-elleornéed’un bicorne.Qu’ils fassent conduisit ànejamaisjugerlesgensd’après leurseule avec lesnotesdesconcoursscolaires. Cetteluciditéle pour Besse, laréussited’une vienesemesuraitpas toriaux desplusgrandesentreprises dupays.Aussi, général deGaulle, ouencore danslesbureaux direc- : Bernard Pache, ducorpsdesMines, Philippe Chauvel était, chez Bonjour son exemple contagieux)etd’organisateur. sasimplicité,soncourage,chaleur humaine,saclarté, et énergie etparsescapacitésdemeneurd’hommes (parsa déjà signaléparsonintelligenceexceptionnelle, parson CEA, àGeorges Besse, unjeunepolytechnicienqui s’était responsabilité duprojet futconfiée,pourcequiétaitdu tion deRobert Dautray, tiréedesesMémoires (9): parunecita- On mepermettra determinercetarticle personnalité. rait déjàconfianceparlaprofonde cohérence desa douteux. Apeinesaformationterminée,Besse inspi- dence, endehorsdetoutnépotismefamilialoupiston des individusdontlasélections’impose parsonévi- tèmes derepérage descadres àhautpotentiel,etilya football, lethéâtre oul’informatique, ilyadessys- mais dansn’importe quelmilieu,lamédecineoule minutes. On peutappelercelauneffetderéseau; Guillaumat leconvoqua, etl’embaucha enquelques naire àBéthuneetquiavait leprofil recherché. ordi-qualités deBesse, quivivait sansjoiesonservice Mines confirmaà son grandetrespecté parrainles savoir àGuillaumat, etl’équipe quigéraitlecorpsdes tés decaractère autantqued’intelligence. Ils lefirent camarade dontilsavaient appréciéàl’école lesquali- Bilous, quifutlecocon deBesse àl’X, pensèrent àleur per lafilière Xdel’Armement, ;certains etd’abord CEA, cherchait deshommesdequalitépourdévelop- nucléaire. Pierre Guillaumat, alorsadministrateurdu rage desacarrière, c’est-à-dire àsonarrivéedansle déménagement correspondit d’ailleurs auvraidémar- Béthune, quicorrespond Ce àlafindecetarticle. de datrice), cefutprécisémentlorsdesondépart ce àungroupe d’individus (uneétaped’ailleurs fon- 2007, page121. (9) Robert Dautray, Mémoires :du Vél’d’hiv àlabombe H RÉALITÉS INDUSTRIELLES , Odile Jacob, • AOÛT 2011 La 19 CHRISTIAN MARBACH 20-27 Marbach caractère:20-27 Marbach caractère 27/07/11 15:08 Page20

Un caractère

Après avoir invité notre lecteur à accompagner le jeune Georges Besse durant ses années d’initiation, nous allons essayer de dresser ESQUISSE de lui un portrait, avant d’aborder, dans une troisième partie, ses méthodes de management. A notre tour de proposer une sorte de triptyque. Ce portrait sera esquissé avec modestie ; j’ai tenté de

D’UN PORTRAIT relier entre elles toutes les informations que j’ai reçues de divers témoins. Cela, avec la prudence requise : Georges Besse était en effet discret et, comme tout un chacun, il a évolué avec le temps : les personnalités les plus affirmées changent, avec les années et les épreuves.

par Christian MARBACH*

ais essayons de découvrir plus avant ce de lui : « Il avait un sourire chaleureux, un sourire qui Georges Besse dont nous avons rappelé la ressemblait tant à celui d’un rural, celui d’un homme M jeunesse et la formation, quitte à revenir sur de la terre, qu’il aimait : celui d’un homme de ter- ces débuts et à nous répéter quelque peu (c’est rain ! » (1). d’ailleurs ce que font tous les biographes : toute des- C’est aussi dans son apparence physique que l’on per- cription de la vie d’un personnage célèbre (écrivain, cevait tout de suite une autre matière que celle d’un homme politique, saint ou entrepreneur) commence professeur d’université parisien, intellectuel, sec et élé- par un rappel de son milieu d’origine, du contexte géo- gant. Voici des expressions utilisées pour faire son por- graphique, social et familial dans lequel il a grandi). trait : un roc ; un homme de terrain ; avec la massivité Nous avons déjà mis l’accent sur ces origines ; l’im- du granit ; un bloc cohérent, qui en imposait. La fiche portant à noter, dans le cas de Georges Besse, est le fait matricule remplie en 1948 avec une neutralité négli- qu’il ne les a jamais reniées, qu’il ne s’est pas construit gente par les sous-officiers de l’Ecole Polytechnique contre elles ni en les occultant, mais en les assumant est pourtant d’une banalité plate : taille de 1,715 mètre dans leur totalité pour faire d’elles l’assise de sa per- (le jeune soldat qui tenait la toise, ou celui qui écrivait sonnalité. sous sa dictée, devait être bien distrait, ce jour-là : Ainsi n’y a-t-il pas un ami, pas un collaborateur, pas Besse mesurait un mètre quatre-vingt !), cheveux châ- un journaliste qui n’ait brodé sur son aspect physique tains, yeux bleus, front ordinaire, nez rectiligne, visage et sur la première impression qu’il produisait. ovale. Je n’ai pas relevé le poids (j’ai eu tort). Pas de Auvergnat, il l’était évidemment (nième mention de marques particulières. Et pourtant, il y avait d’autres cette origine, j’assume…). Terrien, rural, paysan ou choses à dire, sur son physique. Alors je me rattrape jardinier, proche de la terre, et pas de n’importe laquelle. Quand son épouse et lui décidèrent d’amé- nager une maison pour les week-ends pas trop loin de Paris, pour pouvoir y revenir assez vite en cas de * X 56, membre de l’Académie des technologies, membre du conseil de besoin, ils choisirent de s’installer en Touraine, près de surveillance de Lagardère SCA, président d’honneur de la Sabix. Loches, à Betz-le-Château. Le maire de ce village a dit (1) Cité par Maître François Sarda, dans sa plaidoirie du 13 janvier 1989.

20 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 20-27 Marbachcaractère:20-27caractère27/07/1115:08Page21 qui relevait delapersonnalitéprofonde de cequi CEA oudeRenault, maisBesse savait distinguerce de Bazailles qu’avec militantssyndicalistes du certains sera évidemmentplusfacileavec lesmineurslorrains detendresseplus humbles,«avec unesorte » toute savie,Besse sutregarder lesautres, dumoins les l’ambassadeur Georges-Henri Soutou rappelantque, sociale. Il nechangeraquedesituation».Ou encore, à sesorigines.Jamais decœurilnechangeraclasse ce ».Ou encore :«Georges Besse seratoujoursfidèle était leplussimpledesmilieuxpopulaires deprovin- etsamère tenaitleménage.Lemilieufamilial PTT naissance. Son père étaitunmonteurdelignesdes François Sarda :«Il n’avait reçu aucunprivilègede nales etsonaspectphysique.Ecoutons ànouveau étaient commeenconcordance avec sesracinesrégio- Les originesfamilialesetsocialesdeGeorges Besse vivacité et debonsens(2).» de franchiseetdesimplicité, homie etderudesse, un front immense ;ildonnaituneimpression debon- traits lourds, lescheveux tirésenarrière etdécouvrant avant, deux yeux rieursetglobuleuxdansunetêteaux lebustelégèrementmains derugbyman, penchéen te deGeorges Besse :massif, ossu,uncorpsetdes dans mamémoire :«Jamais jen’oublierai lasilhouet- bien àl’image gardée deBesse quej’ai, pourmapart, futrédigéeen 2000,maisquicorrespondqui, certes, en recopiant cettebelleformuledeJacques Lesourne, des volcans d’Auvergne postale) (Carte « Auvergnat, ill’était évidemment. Terrien, paysanoujardinier, rural, proche delaterre, etpasden’importe laquelle». . . Cela lui (même s’il luiarrivait defréquenterleSiècle), iln’ou- assassins. Peu intéressé parlessoiréesparisiennes faisait avec unerégularitéquifutexploitéeparses rentré àsondomicile,lesoir, pourvingtheures ;ille en s’accordant despériodesde repos. Il tenaitàêtre que letravail étaitplusefficacequandonseprotégeait une énergieextraordinaire. Celadit,ilétaitconscient de toutmétieretils’y employait, avec poursapart, rait queletravail, lavaleur travail, étaitunedesbases sansavoir regardéimportante lesdossiers.Il considé- lui quiseseraitvanté devenir présideruneréunion jamais euhontededéclarer avoir travaillé. Cen’est pas Georges Besse n’a jamaiseupeurdetravailler, etiln’a dutravail etdelavolontésonnelle futlefruit ». doué, etd’abord d’intelligence, maissaconquêteper- la résumerencitantdenouveau Sarda :«Il étaitné se ?J’airacontéplushautcetteinitiation;jeveux ici commis incontestédel’Etat etdel’industrie françai- enfant uniqued’une famillepauvre àcelledegrand Alors, commentpasse-t-ondecettesituationpetit du talentdejouerdesrôles(nousyreviendrons). tenait delaposture ;ilétaitd’ailleurs lui-mêmedoué Jacques Calvet ! Anquetil, Pompidou etGiscard ouencore… entre Georges Besse et contrastes, biendanslaveine del’humour français,entre Poulidor et (qu’il avait eul’occasion deglisseràl’intéressé) :onpouvait établirdes (2) Un desescollaborateurschezRenault decetteremarque mefitpart RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 Vue 21 CHRISTIAN MARBACH 20-27 Marbach caractère:20-27 Marbach caractère 27/07/11 15:08 Page22

bliait pas de consacrer du temps à ses amis. Il tenait à qualifiées de théâtrales, comme dites par un acteur de conserver ses week-ends pour sa famille et, selon cer- talent. Mais il est certain qu’à côté de ces faux empor- tains, il n’emportait pas trop de dossiers avec lui le tements joués (ou sur-joués), il y en eut aussi des vrais. vendredi soir (mais d’autres témoins relatent qu’il Les plus proches voisins de son bureau, à la Cogema revenait, le lundi, avec un grand nombre de notes ou chez Alcatel (4) comme chez Renault, ont parfois manuscrites pour ses collaborateurs !). Il voulait pou- entendu, malgré plusieurs cloisons, la forte voix du voir profiter de ses vacances, pour les mêmes raisons : patron crier (et même hurler) dans le téléphone, sans un besoin physique de s’aérer, une volonté affectueu- amabilité. Chez Péchiney, tous ses proches collabora- se de se consacrer à sa famille. La famille, une de ses teurs se souviennent l’avoir vu parcourir le couloir de valeurs, qu’il plaçait aussi au premier rang de ses son étage en affirmant bien fort, voulant être sûr ESQUISSE D’UN PORTRAIT convictions. d’être entendu : « Le premier qui me parle d’un inves- Georges Besse n’avait donc rien d’un monomaniaque tissement, je le flingue ! ». D’autres m’ont fait état de obsédé par sa tâche, ni a fortiori par les ressorts de discussions très difficiles, pendant lesquelles Georges l’ambition. Il avait plaisir à travailler, mais, certain Besse savait faire preuve d’une profonde mauvaise foi, que la vie avait d’autres dimensions, il savait aussi en par exemple avec son ami et patron André Giraud, apprécier les plaisirs simples, comme le jardinage, que mais en évitant de faire état de sa victoire, une fois la nous avons déjà évoqué, ou la bonne chère. décision arrachée et, même si Giraud avait tranché Notamment, les pâtisseries : j’ai entendu dire à plu- dans un autre sens, en appliquant la décision prise sieurs reprises par ses collaborateurs qu’il ne laissait à avec droiture et loyauté. De ses collaborateurs aussi, personne le soin de terminer les plats de mousse au Besse acceptait la contradiction si elle était raisonnée ; chocolat les plus volumineux. Et, amateur sans excès, il la préférait au silence lâche ou à la flagornerie miel- il ne refusait pas un verre. leuse. Mais ensuite, s’il avait souhaité de la droiture Patrick Faure m’a raconté à ce sujet les circonstances dans l’exposé des positions de chacun, il exigeait la de son arrivée chez Renault, au début de 1985. Pour même droiture dans la mise en application de ses une première prise de contact, il avait donné rendez- directives. vous à ses collaborateurs les plus proches pour le Je vais tenter d’aller un peu plus loin dans mes com- déjeuner, et ceux-ci étaient allés l’attendre en avance, mentaires sur les colères de Georges Besse, en rappe- pas très sûrs d’eux-mêmes et inquiets de ce premier lant que de nombreux témoins ont admiré sa capaci- face-à-face. L’un après l’autre, ils avaient (pour une té de sang-froid lorsque celui-ci était nécessaire. fois) refusé tout apéritif alcoolisé, histoire de rester Pokerface, par exemple, en négociation commerciale. plus sûrement sur leurs gardes, dans le cas où le nou- Lui-même a fait part de sa recette : « Quand on me veau patron aurait voulu les tester. Et voici Besse qui pose une question à laquelle je ne veux pas répondre, arrive. Au garçon, qui lui demande ce qu’il faut lui je regarde mon interlocuteur d’un œil torve et silen- servir, il répond, haut et clair : « Un porto, et un cieux ». J’ai, à propos de ces mimiques, un témoigna- grand ! ». Nombreux furent les directeurs et membres ge de première main. A un représentant syndical qui du comité exécutif ou du comité directeur qui inter- lui demandait lors d’une réunion officielle si l’entre- prétèrent cela comme une franche prise de pouvoir ! prise PUK allait vendre une de ses activités chimiques Le petit garçon timide et réservé qui, par prudence (dont on évoquait dans les couloirs le possible larga- (ou par modestie), ne se mélangeait pas avec ses ge), il sut répondre sans mentir et sans dire un mot. condisciples de lycée et ne se vantait guère, avait vrai- Regardant son vis-à-vis fixement en faisant une sorte ment pris de l’étoffe. Mais il était à la fois conscient de de grimace sévère, il écarta les bras et se mit à bouger sa propre valeur et dénué d’orgueil (3). Il s’était peu à les mains, comme on le fait avec la chanson « ainsi peu transformé en patron charismatique, avec parfois font, font, font les petites marionnettes » ! (5). un côté paterfamilias, sans coquetterie, sans affèterie. Alors, Besse : un homme serein, d’humeur toujours « J’avais parfois pour lui une sorte de respect filial », égale ? Ou un homme réactif, sachant se contrôler dira un de ses proches collaborateurs chez Renault, quand c’était indispensable, mais se laissant aller dans Philippe Chauvel. Il avait appris à être à l’aise. Avec une sphère moins publique et ne détestant pas jouer ses amis, bien sûr, qui tous racontent combien il savait de sa capacité d’emportement ? Ou encore, un faire preuve de convivialité et d’humour (« parfois homme passant de la discrétion un peu timide de sa caustique et cruel, terriblement corrosif », a écrit jeunesse à une sorte de liberté plus vive et spontanée, Gérard Bonneau). Avec ses collaborateurs, qui avant de s’habituer à contrôler soigneusement ses savaient apprécier ses compliments mais redoutaient ses colères (fausses ou vraies) et plus encore l’expres- sion silencieuse, mais peu discrète, de ses mécontente- (3) François Sarda. ments. Ah, les colères de Georges Besse ! Dans les premiers (4) Cité par Jacques Raiman dans l’ouvrage de l’Institut d’histoire de papiers qui ont été écrits après sa mort, les auteurs en l’industrie, p. 88. ont peu parlé, par respect. Ou bien alors, ils les ont (5) Cité par Richard Armand, conversation avec l’auteur.

22 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 20-27 Marbachcaractère:20-27caractère27/07/1115:08Page23 appel àunintermédiaire dehautrang,consentir cer dansdesgrandesmanœuvres diplomatiques,faire choses d’aplomb !»Lecasétaitsérieux:ilfallutselan- laborateur, enajoutant:«Aidez-moià remettre les Cogema. «Je mesuisplanté!»,avait-il ditàsoncol- conséquences pouvaient être dommageablespourla monté, ladiscussions’était trèsmalterminée etles demandes qu’il estimaitinjustifiées.Letonétait ments, quis’étaient transformésencolère, devant des pasréussiàcontrôlersessenti- masque. Il n’avait tien entête-à-tête,Georges Besse étaitressorti avec Decette sociétéavait l’entre- desintérêtsimportants. personnalité politiqued’un paysétrangerdanslequel etdebusiness,àunehaute le, àlafoisdecourtoisie lorsd’uneraconté unincidentsurvenu visiteofficiel- Un desesproches collaborateursdelaCogemam’a Besse etde sacapacitéàsedominer–sinécessaire. se d’un mûrissementdelapersonnalitéGeorges J’illustrerai avec deuxautres anecdotescettehypothè- ment àsescontradicteurs? une attaquepersonnelleetnejamaisdonnerunargu- opinions, maispournejamaisfaire deleuraffichage manifestations d’humeur, nonpaspourdissimulerses Georges Besse quandilétaitprésidentdeRenault. simpledansl’exposéplus souvent, uneclarté etuncontactfacileavec n’importe queltyped’interlocuteur ». « Georges Besse savait adopterdanslesconversations lestylequiluiparaissaitplusapproprié :celuidel’ours ou bourru le tions, lestylequiluiparaissaitplusapproprié, celui aussi (ouavait appris)àadopter, danslesconversa- appris) àseplacersurtouscesregistres, etilsavait même, ilycroyait »(6).Georges Besse savait (ouavait vaise foisiénormequ’on pouvait sedemandersi,lui- jouant l’avocat dudiable.«Parfois ilétaitd’une mau- laborateurs incluantlejeudelacontroverse, Besse sée, enpassantparl’échange d’arguments avec ses col- enlevée àladiscussiond’affaires maîtri- parfaitement sion étudiée.Du registre delaconversation amicaleet la rouerie. D’unvocabulaire àuneexpres- vert parfois colère) ausang-froid. De laspontanéitéaucalculetà De latendance àlacolère (oudelatentation l’“enkyster”, puisilfautrepartir »). pas. Il faut leminimisertantquefaire sepeut,ilfaut notée dansl’entretien Delgado :«L’échec, jen’aime (Cela merappellecettedéclarationdeGeorges Besse, compromettre. nombreux enapparence efforts sanspourautantrien Besse, p. 46. (6) CitéparGérard Bonneaudanslaplaquette de laFondation Georges RÉALITÉS INDUSTRIELLES © COLL.FONDATION GEORGESBESSE.D.R • AOÛT 2011 Portrait de Portrait , 23 CHRISTIAN MARBACH 20-27 Marbach caractère:20-27 Marbach caractère 27/07/11 15:08 Page24

de l’ours bourru (une comparaison zoologique et un mais le ministre et son directeur de cabinet ne veulent qualificatif que l’on retrouve souvent chez les com- pas le laisser tout seul et se mettent aussi à quatre mentateurs) ou, plus souvent, une clarté simple dans pattes. Ils ramassent les papiers, Besse les range en pre- l’exposé et un contact facile avec n’importe quel type nant tout son temps et en profite, mine de rien, mais d’interlocuteur. Assez curieusement, j’ai spontané- toujours à terre, pour faire passer ses messages sans ment pensé à lui en lisant cette remarque de Robert que ses interlocuteurs réagissent ! Doisneau sur Blaise Cendrars : « Il avait un tel poids Si ses amis font part de sa capacité de contrôle acqui- humain qu’il pouvait s’adresser à n’importe qui ». se pour les conversations professionnelles, ils n’ou- Et avec la manière ! Et voici ma seconde anecdote. blient pas de mentionner qu’il pouvait être direct, de Bien des années plus tard, alors chez Renault, Georges contact facile et spirituel, « de commerce agréable, ESQUISSE D’UN PORTRAIT Besse, accompagné de Patrick Faure, part rendre visi- avec une certaine gouaille, il était le contraire du Tout- te à Alain Madelin, ministre de l’Industrie. Il a des Paris » (7). Il ne détestait pas raconter des anecdotes demandes difficiles à lui présenter, ou des informa- tirées de ses rencontres ou user de petites paraboles, se tions gênantes à lui apporter : « Monsieur Faure, vous risquant même parfois à aller jusqu’aux limites du bon allez me rendre un service. A un moment donné dans goût et ne rejetant pas un vocabulaire dénué d’affète- la conversation, je vais laisser tomber tous mes dos- rie. Jean-Marie Soutou : « Il (Besse) retrouvait alors siers. Surtout ne vous précipitez pas pour me les des formules assez rudes pour qualifier les insuffi- ramasser ; laissez-moi faire ». Cette fois, il s’agit de sances de la capacité à comprendre de ceux qu’il s’ef- jouer une scène parfaitement maîtrisée, presque répé- forçait de convaincre. Il les désignait alors d’une épi- tée. Besse avait parfois des comportements de filou et des talents de comédien ! Besse fait effectivement glis- ser ses papiers de ses genoux, les documents s’épar- (7) Signalé par François Sarda, au cours de son interview radiodiffusée pillent, il se met à genoux pour les récupérer sans hâte du 18 novembre 1986.

Trois paraboles selon Georges Besse La parabole des transferts de technologies (source : article de presse). Dans une des entreprises qu’il dirigea, Georges Besse voit arriver un jour une proposition de vente de technologies sensibles à un pays étranger. Il s’en étonne et demande des explications. Il s’entend dire : « Si on ne le fait pas, d’autres le feront ». Et Georges Besse de répondre : « Avec de tels raisonnements, on finit par coucher avec sa sœur ! » La parabole des crapauds (peut-être empruntée à Detoeuf et citée dans L’Action Automobile du 29 mars 1985) Deux fermiers suisses accompagnent à la foire la vache de l’un d’eux. Soudain, le propriétaire de la vache aperçoit un crapaud dans le fossé. « Si tu le manges », dit-il à son collègue, « je te donnerai ma vache ! » Le second attrape le crapaud et commence à le dévorer, mais cela lui soulève le cœur. Il tend la moitié du crapaud qui lui reste à l’autre paysan, en lui disant : « Si tu finis le crapaud, je te rends ta vache ». Le premier essaie, il arrive à ingurgiter le crapaud, malgré sa répulsion et il repart donc avec la vache. « Mais pourquoi diable », songent-ils l’un et l’autre, « avons-nous mangé ce crapaud ? » « Eh bien, c’est ainsi que se comportent des concurrents, dans l’automobile ou ailleurs, qui se font une guerre des prix aberrante », conclut Georges Besse. La parabole du curé et du petit moineau (racontée par un cadre supérieur de Renault, exposée par Besse lors d’une réunion de cadres, mais utilisée par lui à de multiples reprises, avec des variantes). Un curé se hâtait d’aller dire sa messe, quand il aperçut un moineau à terre, sautillant sans pouvoir voler, car il avait une aile cassée. Il le ramasse, le réchauffe dans sa main et se demande ce qu’aurait fait Saint François dans cette situation, avant de lui dire : « Mon pauvre petit, je n’ai pas le temps de m’occuper de toi, mais je reviendrai te soigner après la messe. En attendant, je te laisse au chaud… » Et il le posa dans une bouse de vache toute fraîche. L’oiseau s’y trouva bien, et il se mit à chanter… au point d’attirer l’attention d’un renard (variante : d’un aigle) qui passait, vint l’enlever et le dévora. Moralité I : « Les gens qui vous mettent dans la merde ne le font pas toujours avec de mauvaises inten- tions ». Moralité II : « Les gens qui vous en sortent ne le font pas toujours avec de bonnes intentions ». Moralité III, typiquement conforme à l’attitude bessienne en matière de communication et à la verdeur occasionnelle de son langage : « Quand on est dans la merde, on ferme sa gueule ! »

24 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 20-27 Marbach caractère:20-27 Marbach caractère 27/07/11 15:08 Page25

thète monosyllabique que l’usage si fréquent, même très attaché à la France. C’était un patriote (Jean- dans les relations humaines les plus chaleureuses, a Pierre Chevènement : « J’ai gardé de Georges Besse le empreinte d’une sorte d’indulgence affective… » (8). souvenir d’un homme énergique, généreux, chaleu- De Michel Fardeau : « Ses propos étaient souvent reux, animé avant tout par le souci du bien public et teintés d’un peu d’ironie, d’un peu de malice, ses yeux qui, pour moi, reste avant tout un républicain et un se plissaient un peu plus – mais sans jamais de patriote (13). Encore un portrait que l’auteur aimerait méchanceté, plutôt avec cette sorte de tendresse voir utilisé pour lui-même !) Laurent Fabius a défini qu’entraîne l’absence d’illusions sur les capacités cette attitude avec une belle formule : « S’il n’avait pas humaines ». De Michel Fardeau, encore : « La voix, la religion des nationalisations, il (Besse) en était une voix forte, un peu chantante, comme le sont les ardemment pratiquant » (14). voix de son coin du Massif Central, une voix chaleu- On connaît la devise de l’Ecole Polytechnique : « Pour CHRISTIAN MARBACH reuse, toujours au bord du sourire, une voix qu’ac- la Patrie, les Sciences et la Gloire ». Tout le monde compagne volontiers un plissement des paupières » comprendra que je la rappelle ici, même si je n’ai (9). Ou encore, de Claude Ayçoberry : « Il avait cette jamais entendu Georges Besse la prononcer. Mais il y gaieté qui, chez un homme, est une marque de la adhérait, sûrement, à condition d’englober dans les force ; la force, un des sept dons du Saint-Esprit » « Sciences », la technique et l’industrie, et à condition (10). de pouvoir sourire avec une sorte de tendresse en ter- Georges Besse savait être très sérieux, comme il savait minant par « la Gloire ». aussi ne pas se prendre au sérieux. Il était d’une droi- Mais il aurait été totalement sincère en parlant de la ture rare et d’une grande constance dans les buts qu’il Patrie. La France était pour lui une réalité. Il appré- se fixait, mais il savait user d’habiletés et de détours ciait que son système scolaire lui ait permis, à lui qui pour faire triompher ses idées et ses positions. « Je n’ai était issu d’une famille des plus modestes, d’apprendre pas beaucoup d’angoisses », confiait-il (11). Il était et d’avoir pu progresser. Sans parler de juste retour, il peu à peu devenu parfaitement conscient de ses qua- était donc à l’aise de travailler pour des établissements lités (et donc de sa supériorité), mais, à la différence d’Etat, au développement de techniques et de pro- de beaucoup d’hommes devenus importants pour duits français. Allant jusqu’à assumer sans état d’âme cause d’exceptionnelles qualités et de réussite, il ne que cette mission concernât, au début de sa carrière, l’affichait qu’avec retenue. le nucléaire militaire, et jusqu’à faire en sorte qu’une sorte d’équipe dormante, discrètement constituée au sein de son entreprise, travaille sur les paramètres du QUELLES ORIENTATIONS POLITIQUES ? nucléaire civil, histoire d’être prêt, si nécessaire ; et ce fut effectivement le cas, en 1974. Faire mieux que les Britanniques, se passer des autori- Capable de parler avec aisance de son métier ou de ses sations américaines, se montrer capable de vendre à entreprises, ou encore de commenter certains évène- des Allemands ou à des Japonais avant même d’avoir ments économiques, Georges Besse n’en était pas terminé les mises au point, voilà qui le remplissait de moins discret et réservé, voire « d’une pudeur excep- fierté, technique autant que nationale. Il n’attribuait tionnelle » (Robert Galley) sur certains traits de sa pas aux entreprises nationales des qualités supérieures personnalité. Nous allons néanmoins parler de ses à celles des entreprises privées. Il avait d’ailleurs accep- rapports avec la politique. té sans difficulté de pantoufler dans le groupe CGE A propos de ses relations avec l’Etat actionnaire et à qui, pour certains commentateurs de l’époque, repré- propos des nationalisations d’entreprises (sur les- sentait le capitalisme le plus privé qui soit. Il y resta quelles je reviendrai, bien évidemment, dans l’article cinq années, y menant à bien des missions que l’on consacré aux leçons de management), je dirai simple- ne cite pas assez souvent, car ses biographes ont ment ici que Besse n’a jamais été étiqueté comme un militant, ni de Droite, ni de Gauche. Tout au plus peut-on lire, ça et là, des allusions à l’empreinte plu- (8) Cité dans l’ouvrage de l’Institut d’Histoire de l’Industrie, p. 207. tôt de Gauche que lui auraient laissé son milieu fami- (9) Cité dans une Lettre de la Fondation Georges Besse, septembre lial, et en particulier son père, qui avait un certain 2005. goût pour les discussions politiques (12). Ou encore à l’influence de certains amis ou amies (10) Cité dans la plaquette de la Fondation Georges Besse, p. 49. issus du milieu de son épouse, Normale Sup’ : là enco- (11) Dans son entretien avec Guy-Clarin Delgado. re, cela vous colle une étiquette plutôt de Gauche que (12) Georges Besse a signalé assez souvent qu’il ne pouvait oublier que le de Droite. Mais je pose ces touches de couleur rose manque de moyens avait empêché son père d’être bien soigné, et qu’une avec une grande prudence, sans excès. En fait, Besse, société véritablement humaine ne pouvait accepter cela. qui n’était ni militant ni intrigant, s’affichait comme (13) Cité dans l’ouvrage de l’Institut d’Histoire de l’Industrie, p. 195. loyaliste face aux choix démocratiques du pays et des dirigeants que celui-ci avait élus. Et il était toujours (14) Cité dans l’ouvrage de l’Institut d’Histoire de l’Industrie, p. 199.

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davantage mis l’accent sur ses réussites d’acteur du construction demandait la paix, l’union, la collabora- nucléaire ou de redresseur d’entreprises nationales. Il tion de tous les hommes de bonne volonté ». savait quelles dérives menaçaient ces dernières, du fait (Le hasard des lectures m’a fait connaître les mots que de leurs employés, de leurs dirigeants, des hommes le pape Pie XI employa à ce sujet aux alentours de politiques chargés de représenter l’actionnaire et de 1930, devant un autre ingénieur des Mines, Henry Le leur fixer des objectifs. Mais il lui semblait tout natu- Châtelier : « C’est pratiquer la vertu de magnificence rel de les gérer au mieux, sans états d’âme s’il s’agissait que de se consacrer au développement de l’industrie d’en réduire les coûts, et ainsi d’assurer ou d’apporter pour fournir du travail à un nombre plus grand d’ou- au pays des actifs incontestables qui contribueraient à vriers » (15). son indépendance et à sa grandeur, pour l’honneur au Le Père Décogné aurait donc été heureux de voir ESQUISSE D’UN PORTRAIT drapeau français. C’est pour cela qu’il n’hésita jamais confirmé par certains amis de Georges Besse un com- à devenir un des acteurs majeurs du nucléaire en portement de chrétien de Gauche, attentif à la dimen- France, comme je l’ai déjà signalé, ou qu’il ne vit sion sociale de l’entreprise (ce qui dans son esprit n’a aucune raison de refuser une éventuelle nomination à jamais signifié laxisme ou manque d’autorité, ni la tête du groupe pétrolier d’Etat Elf-Aquitaine (il en d’ailleurs tentation d’un comportement paternaliste). fut fortement question, en 1980). C’est aussi pour Mais d’autres amis préfèrent rappeler ses sorties anti- cela qu’il n’hésita pas longtemps à accepter de prendre cléricales (attitude de type radical-socialiste du Massif les rênes de Péchiney-Ugine-Kuhlmann (PUK), puis Central ou du Sud-Ouest, ou expression de réticences celles de Renault, même s’il lui en coûta alors beau- plus profondes ?... La mention de ces commentaires à coup de quitter Péchiney, qu’il avait su comprendre, d’autres interlocuteurs a provoqué chez eux une réac- redresser et animer. Mais quand le Président ou le tion dubitative). Premier ministre de votre pays vous demandent cela, Plus importante, son aversion pour les contradictions vous n’avez pas le choix ! Fier, tout de même, d’avoir de certains militants syndicalistes CFDT, lors de ses été appelé… « Mais vous savez, ce n’était pas du responsabilités exercées dans le nucléaire : Besse n’hé- gâteau ! » sita pas à parler alors publiquement du « comporte- ment dévoyé d’un syndicat de défroqués ». Evidemment, il voulait d’abord mettre l’accent sur la UN CERTAIN HUMANISME situation paradoxale que vivaient des chercheurs tra- vaillant dans le nucléaire et refusant les conséquences civiles ou militaires de leurs recherches et de leur Il est facile de parler du patriotisme de Georges Besse, gagne-pain. Et il n’appréciait pas que l’on mette en mais il faut faire preuve de bien davantage de discré- avant des convictions de type religieux pour afficher tion si l’on veut aborder ses opinions religieuses ou ces positions, a fortiori si elles lui semblaient en philosophiques. Commençons par citer André contradiction avec les comportements réels. Giraud, lors de l’éloge funèbre de son ami : « Sur les Discret sur sa foi religieuse, Besse l’était tout autant sujets qui serrent le cœur, tu n’aimais pas beaucoup les sur ses conceptions philosophiques. D’abord parce mots ». Aussi, au sujet des opinions religieuses de que ces sujets ne l’attiraient pas : Georges Besse s’in- Georges Besse, devrons-nous nous contenter de rap- téressait davantage au cycle des saisons et des semailles peler des faits : son second prénom, Noël, donné à cet qu’à l’analyse des systèmes philosophiques. Mais il enfant né un 25 décembre (un signe ?), son mariage à laissait cependant transparaître une sorte d’optimisme l’église ; sa présence paternelle lors de chaque cérémo- à propos du progrès des sociétés humaines et de l’in- nie religieuse vécue par ses enfants au cours de leur fluence que les hommes de bonne volonté pouvaient jeunesse, sans oublier la décision prise par sa famille, avoir sur celles-ci : les propos du Père Décogné sur ce sans l’ombre d’une hésitation, d’une célébration de ses point sont en général conformes à tous les témoi- obsèques à l’église, avec une belle homélie du Père gnages. Besse avait beau être sûr de lui et de ses capa- Décogné, dont je pense utile de reprendre ici ce pas- cités, il lui fallait aussi cette sorte d’espérance, pour sage : accepter de se lancer dans des entreprises technologi- « Il est vrai qu’astreint à des tâches qui mobilisaient quement ou humainement aussi difficiles que celles chaque parcelle de son énergie, Georges Besse n’a qu’il accepta. Pessimiste, ou optimiste, Georges peut-être pas pensé à la rencontre avec Dieu, avec le Besse ? Je pencherai plutôt pour un optimisme atten- Père. Et qu’il n’avait pas l’habitude de lui parler… S’il tif et lucide : Besse croyait à l’avenir et voulait y est une vérité inscrite à chaque page de l’Evangile, contribuer. La vie valait d’autant plus la peine d’être c’est bien celle-ci : beaucoup d’hommes ou de femmes vécue, les défis méritaient d’autant plus d’être affron- apparemment loin de Dieu sont proches de lui. tés, et il s’y lança avec un appétit qui sut très vite ne Georges Besse était proche de l’Evangile dans la mesu- re où il a voulu participer à la construction d’un monde plus juste et plus fraternel. Et parce qu’il avait (15) Cité dans Un Amour bâti sur le roc, Charles et Geneviève Royer, conscience que ce monde n’est pas absurde, que sa Correspondance.

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pas oublier le discernement. Et cela le rendit heureux, primer sur l’architecture. Il était bluffé par New York habité comme il l’était d’un réel plaisir de vivre. (il l’avait été dès son première découverte de l’Amérique), mais il dira sa déception devant le quar- tier de La Défense, méprisant les architectes quand ils UN HOMME DE CULTURE ? ne savaient rien faire d’autre que « des boîtes à chaus- sures ». Il rappellera volontiers qu’il avait associé ingé- nieurs et architectes à la construction de la centrale de A part le travail, Georges Besse avait d’autres sujets Tricastin. Et il savait aussi affirmer que les usines qui d’intérêt : sa famille (nous l’avons déjà évoquée), le rassemblaient les hommes devaient s’efforcer d’être jardinage… mais : quid de la culture ? Evidemment aussi belles que des cathédrales. oui, si l’on accepte, pour une fois, de considérer que CHRISTIAN MARBACH le savoir scientifique, l’apprivoisement des consé- quences de la technique, la compréhension des réali- COMMENT CONCLURE ? tés industrielles représentent une culture aussi valable que la pesée des pensées kantiennes ou la familiarité avec les héros stendhaliens. Mais si l’on veut se limiter Je ne pense pas indispensable de rédiger une conclu- à la culture artistique et littéraire (j’ai bien dit : se sion de type littéraire après ces quelques pages d’im- limiter), je n’ai pas trouvé, chez les témoins que j’ai pressions sur des traits de caractère de Georges Besse. interrogés, de convergence très forte de leurs opinions La meilleure conclusion possible serait le rappel de ses sur la culture de Georges Besse. Pour les uns, Besse travaux, que le lecteur connaît par d’autres sources lisait très peu à l’époque où il faisait ses études (tout que les articles proposés ici. du moins, si l’on part du principe - inexact - que le Mais puisque j’en étais à parler de culture, je termine- fait de se plonger dans des cours de physique ne soit rai par une citation de l’empereur Marc-Aurèle par- pas de la « lecture ») et sa bibliothèque personnelle lit- lant, dans une de ses correspondances, de son prédé- téraire était vide avant que son épouse ne lui fasse cesseur Antonin (mais nous savons que les prendre conscience que ces lectures pouvaient aussi compliments faits par un personnage à un autre cor- être plaisantes. Dans l’interview que Maître Sarda respondent souvent à ceux que l’on aimerait recevoir donna au lendemain de la mort de Georges Besse, il soi-même !). Je tiens ce texte d’un ami, Pascal Faure, signala qu’il n’était pas rare de trouver Besse dans son Vice-président du Conseil général de l’industrie, de jardin, relisant ses cours de taupe ou de l’X, mais il l’énergie et des technologies (CGIET), qui l’a lu en croit pouvoir ajouter : et aussi Astérix, ou des livres guise de conclusion de son message de vœux pour d’histoire. J’ai appris de bonne source que l’on peut l’année 2011, pour évoquer la personnalité de Jean- ajouter d’autres types de livres, qu’il aimait. A côté des Jacques Dumont, Vice-Président délégué du CGIET, biographies historiques, les études de Fernand récemment parti pour occuper d’autres fonctions. Braudel sur les grandes civilisations le captivaient à un Je reprends ici intégralement cette citation, sans cher- point tel qu’il décida de les offrir en cadeau d’entre- cher à y gommer ce qui ne correspond pas du tout à prise à certains de ses partenaires de travail. Et les Georges Besse. Il ne sera cependant pas difficile de vacances, qui commençaient toujours par la lecture de relever ce que ces conseils avaient de bessien. quelques romans policiers, étaient aussi pour lui l’oc- « Conserve-toi simple, bon, intègre, sérieux, ami de la casion de relire le Journal de Jules Renard ou les justice, bienveillant, amical, mais résolu dans l’accom- romans de Zola, que des collaborateurs lui avaient plissement de tes devoirs. Vénère les dieux, viens en offerts dans la collection de La Pléiade (16). aide aux hommes. Sois en tout un disciple d’Antonin. Il faut donc lire avec certaines réserves, ou tout au Imite son énergie à agir conformément à la raison, sa moins avec des nuances, la remarque de Maître Sarda constante égalité de caractère, la sérénité de son visa- affirmant, à propos de Georges Besse, que « son ge, sa douceur, son dédain de la vaine gloire, son milieu, riche de valeurs humaines, n’était pas un ardeur au travail. milieu de culture ». Besse n’était pas du tout fermé aux Il n’abandonnait jamais un problème avant de l’avoir bonheurs culturels. Un exemple : quelques jours avant résolu et d’avoir décidé. sa mort, pour la Toussaint de 1986, Georges et son Il supportait les reproches injustes. Il n’avait de préci- épouse acceptèrent une invitation du ménage pitation en rien. Il repoussait la calomnie. Il étudiait Bonneau dans une résidence que ces amis possédaient avec attention les caractères et les actes. Il n’injuriait en Toscane. Ils y prirent du plaisir, Georges ne fut pas personne. Il n’était ni timide ni soupçonneux. Il se seulement amusé par les installations géothermiques contentait de peu pour lui-même…». de Larderello, mais plus encore intéressé par les mer- veilles de Sienne. Je peux ajouter que, s’il ne cherchait pas à parler de Proust et s’il ajoutait rarement à ses voyages professionnels un détour suggéré par une curiosité de nature culturelle, il ne refusait pas de s’ex- (16) Conversation de l’auteur avec Madame Besse.

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Le management selon Georges Besse ESQUISSE Au moment de donner un titre à ce texte, je me suis interrogé sur les termes à employer. Si j’ai utilisé le mot franglais de management plutôt que celui de gestion, ou de direction (plus vague) ou de D’UN PORTRAIT commandement (plus militaire), c’est évidemment pour associer au concept de gestion (qui suppose des qualités d’organisation) celui de leadership (encore de l’anglais !), qui suppose autorité, décision, présence et charisme. Le lecteur retrouvera ces différents aspects dans les pages qui suivent et il pourra à son tour répondre à la question que l’on peut se poser à propos de tous les patrons : quelle sorte de manager était Georges Besse ?

par Christian MARBACH*

oici donc quelques remarques sans prétention, cet ingénieur devenu vite décideur : d’abord le chan- illustrées par des paroles de témoins ou des tier, gros mais isolé, puis – épisode moins connu – V choses vécues dans les entreprises dirigées par une entreprise au sein d’une grosse structure privée et Georges Besse. Je rappelle d’abord que cette question ses réarrangements (1), ensuite une entreprise à créer était précisément le fil rouge du court questionnaire à partir d’une base partiellement existante (Cogema) envoyé à tous mes interlocuteurs avant les entretiens et, enfin, deux entreprises à redresser (PUK et que j’ai eus avec eux et que, sous une dénomination Renault). Cette succession va de pair avec l’évolution proche, déjà citée plus haut, celle de leadership, elle des divers métiers de manager : chef de projet, res- était le sujet de l’entretien que Besse accepta d’avoir ponsable de filiale bien encadré, patron. Ou encore, avec un jeune thésard (Guy-Clarin Delgado) en 1983 homme d’ingénierie, puis homme d’entreprise. Même ou 1984. Mais tout un chacun pourra comprendre sans jouer à l’analyste professionnel (il faudrait y que le portrait donné par une dizaine de témoins consacrer plus de temps et de sources), cela aurait explorant leurs souvenirs épars sur une trentaine d’an- aussi conduit à mettre l’accent sur les modifications nées nuance, à l’évidence, un autoportrait brossé à un du comportement, le mûrissement de la pensée, l’ap- instant donné d’une carrière. profondissement de certains thèmes. J’ai aussi hésité sur la forme à donner à mes Mais assez de précautions ! Le lecteur s’en apercevra remarques. J’ai d’abord été tenté par celle des Dix très vite : la mise en concordance de certains concepts Commandements, avant de m’apercevoir que Laurent du management avec l’action du manager se révèle Fabius les avait approchés à propos de Georges Besse au colloque de 1996 : j’y reviendrai. J’ai envisagé de dérouler le fil chronologique de l’histoire ; cela m’au- * X 56, Membre de l’Académie des technologies, membre du conseil de rait conduit à insister légitimement sur les domi- surveillance de Lagardère SCA, président d’honneur de la Sabix. nantes, à chaque époque de sa carrière, du métier de (1) IHI, intervention de Jacques Raiman, pp. 76- 82.

28 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 28-51 MarbachManagement:28-51Management27/07/1115:09Page29 n’aurait pasaimépasserdesheures àledécortiquer. tion trop théoriquedenotre sujet:Georges Besse remarques ettouteslesanecdotesdansuneprésenta- avec pragmatisme,sanschercher àinsérer toutesles simples etdesréactionsaffirmées.Lançons-nousdonc danslecasd’unartificielle chefquiprivilégiedesidées logique quepouvait représenter le faitdemettre en tête deRenault, souligneévidemmentlechocpsycho- Louis Schweitzer, quisuccéderaàBesse etLévyàla patrons, politiques,syndicats,employés, médias). orgueil dontladéclinaisonarrangeaittoutlemonde: exceptionnellequi seprétendaitpourtant (avec cet caractère nationaletmêmecocardier d’une entreprise qui plaisent.Il nes’agit plusdemettre enavant le gagner del’argent envendant desvoitures dequalité,et social étaitévidemmentdifférent :Notre métier, c’est de nier définissaitlavocation deRenault, dontl’objet cours deGeorges Besse, citelamanière dontceder- Mais LouisSchweitzer, dans leDVD consacréaupar- çais commesignal,préoccupationmaîtresse. donc politique.Lepays,ledrapeau.drapeaufran- Patrie. Son indépendancemilitaire, puisénergétique, fanterie :lebutdemonentreprise, c’estla servir Besse aurait répondu,avec lesourire, maissansfor- Eurodif, puisCogema)etdesamotivation, Georges tie duCommissariatàl’énergie atomique(CEA), à laquestiondel’objectif desonentreprise (unepar- programme nucléaire dontilétaitunacteuressentiel, occupations dumoment.Plongé dansl’ambition d’un tion del’évolution desesréflexions commedesespré- pose avec plus oumoinsd’acuité etyrépondenfonc- questions sontessentiellespourtoutpatron, quiseles Même siellesnel’empêchent pasdetravailler, ces tés nationales,revenaient-elles danssescommentaires ? généraux, comme re ?D’autres expressions rattachées àcetyped’objectifs L’expression approcher le problème dessous-traitants, desPME? elles dépassél’examen durôledesgrandes entreprises pour chacune decesétapes?Ses réflexionssurl’entreprise ont- Renault ?Quelles ontétésesobsessionsdemanagerlors différemment Eurodif, Alcatel, Cogema,Péchiney, communautés depersonnesàfaire vivre ?A-t-ilapproché quer avec exigencesdedélai,qualitéetcoût?Ou de grandeur ?Ou productrices debiensessentiels,àfabri- Indispensables àlaNation, pourdesraisons dedéfenseet hiérarchiser sesréflexionssurcesentreprises ? par cettesingularité.Commentpourrait-on résumerou avec sesactionnaires étémarquées ontdonccertainement prises, presque toutesnationalesoud’Etat. Ses relations Georges Besse aeularesponsabilité deplusieurs entre- Besse faceàl’Entreprise avec ungrandE: Voici quelqueslignesdemonquestionnementsur A QUOISERT L’ENTREPRISE ? politique industrielle aménagement duterritoire ou lui était-ellefamiliè- priori- dictature del’argent ;b) l’équilibre financierdel’entreprise :a) réponses superbementcontradictoires àlaquestionde Renault oudescadres deux duPC,etilsapportaient dans lesannées1980dessyndicalistesCGTde Objection, affirmaient prise :sinon,ellemeurt… gagner del’argent mation puisseétonner:aprèstout,cetobjectifde peut faire semblantdes’étonner quecetype d’affir- losange duNuméro Un desventes devoitures. On uniquement nourridel’idéologie CGTplaquéesurle avant unobjectiffinancierpourouvrierdeRenault un leader, maisjeneconnaispasdegrand nomde erreur fondamentale. Vous parlezdelanécessitéd’être prendre aumoinslevocabulaire desaboîte,c’est une avec force surcepoint:«Diriger uneboîtesanscom- qui datedesapériodePUK,Besse avait déjàinsisté donnée àGuy-Clarin Delgado,Dans soninterview ne voit pascequiva mal!» :«ChezRenault,propre on incapacité àlesdécrypter empreintes d’une opacitéquitenaitbeaucoupàsa informations quiluiarrivaient visibilité decertaines Lévy aprèslui,Besse pestaitd’ailleurs contre lepeude commencement desapériodeRenault, commelefera et lesréseauxdecirculation decesinformations.Au munauté detravail, avec sesmots(desinformations) une communautédelangagecohérente avec lacom- peuà toutes cesspécificationsquiconstruisent dans lesatelierscommelecontrôledegestion, employés danslasociété,lesabréviationsutilisées familiariser avec levocabulaire, lesacronymes etsigles pourse dispensés decetteétape),ilfitungros effort qui, yayantfaitleursclasses,étaientousecroyaient différenciait desesprédécesseursdanscetteentreprise Renault, conscientqu’il avait àapprendre (cequile encore lecas,pourl’essentiel, chezPUK.Mais chez tait salégitimitétechniqueetmanagériale;cefut mise aupoint.Personne –pasmêmelui!necontes- nieur, puisprogressant dansleurmaîtriselorsde comprendre lesprogrès grâceàsaformationd’ingé- et équipementsàmettre enœuvre, aptequ’il étaitàen Cogema, ilavait peuàcapitalisésurlesprocédés dans laconnaissanceduproduit. ChezEurodif ouàla de l’entreprise :ildoitimpérativement seplonger suppose unpatron quisoitfamilierdestechnologies devancer sesconcurrents. Pour Georges Besse, cela ler danssonproduit, poursatisfaire sesclientset appliqué, ilesttoujoursditquel’entreprise doitexcel- toutes lesgrandesoupetitesleçonsde Les entreprises nesontpasinterchangeables. Dans LE PRODUITETSAQUALITÉ (2) CitéparPatrick Faure, conversation avec l’auteur. est unenécessitépourtouteentre- RÉALITÉS INDUSTRIELLES l’Etat n’a qu’à payer ! (2). il fautrefuser la management • AOÛT 2011 29 CHRISTIAN MARBACH 28-51 Marbach Management:28-51 Marbach Management 27/07/11 15:09 Page30

l’industrie qui n’ait pas fait l’effort de comprendre… trise des composants ou des outils de fabrication… Comprendre ce qu’il y a dedans, comment ça fonc- Persuadé qu’un patron ne pouvait s’imposer dans tionne. Si vous ne le savez pas, vous ne savez rien ! ». n’importe quelle activité sous le prétexte qu’il était Très vite, il trouvera le moyen de s’approprier ce voca- diplômé d’une école de gestion, il était aussi convain- bulaire, en multipliant entretiens et visites, de préfé- cu, par le même type de raisonnement, qu’une entre- rence aux papiers. Les quelques cadres qui voulaient prise ne pouvait devenir excellente dans tous les bien reconnaître sa compétence d’expert en nucléaire métiers. Chez PUK, cela l’amena à se débarrasser de la ou en matière minière, mais qui se posaient la ques- chimie et des aciers spéciaux ; chez Renault, il refusa tion de sa capacité à comprendre ce qu’étaient une l’implication de l’entreprise dans les machines-outils automobile et sa fabrication ont été vite rassurés : et dans les composants, ce qui le conduisit à s’oppo- ESQUISSE D’UN PORTRAIT comme un vrai manager, Georges Besse savait ser, avec une obstination têtue, à des syndicats qui apprendre. Et pas seulement en lisant des papiers : déploraient que Renault abandonne à leur sort les « Le papier a un avantage pervers, c’est qu’il accepte salariés de tel ou tel sous-traitant plus ou moins inté- tout. Il arrive qu’une belle phrase dispense d’un temps gré dans le groupe. Pas de fuite en avant ! On élague, de réflexion » (3). Par exemple, il se pencha avec insis- jusqu’à abandonner un symbole très fort comme la tance sur les problèmes de qualité, dont il avait déjà Formule 1, dont Besse décida de se retirer sans nier le fait une priorité dans ses chantiers nucléaires, pour des caractère commercialement intéressant de cet engage- raisons cruciales de sécurité dans la production. Il ment. Mais en période de crise financière aigüe, il est était évidemment conscient que la qualité était aussi, plus important, pour des raisons de cohérence, d’af- chez Renault, un problème essentiel, compte tenu de firmer la primauté de l’équilibre financier et de la la nature du produit : l’automobile, et de la réputation chasse aux dépenses non indispensables que de pour- de légèreté qu’avait alors l’entreprise dans ce domaine. suivre des investissements aléatoires. Au lieu de se contenter des rapports généraux qu’on lui établissait sur ce sujet, il prit l’habitude d’empor- ter pendant ses week-ends les lettres de réclamations L’ARGENT. UN SOU EST UN SOU des clients, et, le lundi, il en traitait quelques-unes en comité de direction, mettant l’accent sur des progrès à faire, et en y revenant avec obstination, jour après Car, pour devenir une entreprise qui gagne de l’ar- jour : « Monsieur Untel, a-t-on avancé dans la solu- gent, il faut d’abord ne pas en perdre. Besse savait affi- tion du problème de… ? » Dans la foulée de l’analyse cher à ce sujet des idées simples : un franc est un des produits et des productions des usines, il sut com- franc, « un sou est un sou », prononcé avec gourman- prendre l’organisation de celles-ci, se rendre très vite dise : « un chou est un chou ». Comme l’a indiqué compte, par exemple, que Billancourt, avec son archi- François Sarda, « il était Auvergnat… non pas au sens tecture enclavée dans un site urbain, était devenu de l’avarice, mais de l’anti-gâchis ». Rien à voir avec totalement inadaptée à la production en flux tendu, et des manières de boutiquier, comme le caricaturaient mettre l’accent sur les différences des résultats entre des rivaux ou des jaloux. Convaincre ses collabora- usines : « Il faudra quand même qu’on m’explique un teurs qu’une entreprise ne peut pas être en pertes sur jour pourquoi, pour fabriquer la même voiture, deux le long terme (sinon, dirait Besse en martelant avec usines ont des résultats en qualité si différents ! » obstination cette évidence, qui honorera la feuille de (Il me semble juste de rappeler ici que la lutte pour la paie ?), c’est plus difficile dans certaines entreprises qualité était loin d’être terminée, à la fin 1986. Dans que dans d’autres, car parfois cela supposait un chan- son ouvrage sur Mes Années Renault, Louis Schweitzer gement de culture (5). On peut illustrer cela en souli- rappelle que c’est Raymond Lévy, en reprenant avec gnant l’attention continue de Besse à respecter et faire détermination ce challenge, qui fit faire à l’entreprise respecter des devis, lors de sa période de responsable le progrès décisif – fût-ce au prix d’un retard de six de chantiers nucléaires, mais aussi revenir à ce sujet mois imposé lors de la sortie d’un véhicule nouveau. sur le cas de Renault, en rappelant l’histoire de cette Et dans son livre sur Renault, Le culte du défi, Alain entreprise avec plus ou moins de nuances dans l’ex- Frèrejean donne les titres suivants aux deux chapitres pression. Dreyfus, grand seigneur fier d’afficher son consacrés aux présidences de Besse, puis de Lévy : Georges Besse, un patron, puis : Raymond Lévy, un homme de Qualité). On peut rapprocher cette volonté de maîtriser les (3) Interview Delgado. technologies et la connaissance des produits d’une (4) Propos tenus par Besse lors de son entretien avec Guy-Clarins entreprise de sa décision, chez PUK comme chez Delgado : « Faire le conglomérat avec Ugine-Kuhlmann, c’était une belle connerie ! » Renault, d’en simplifier le catalogue (4). Pas de diver- sification saugrenue, fût-elle habillée de grands mots : (5) Je retrouve cette préoccupation définie avec brutalité dans un article du journal Le Monde en date du 11 mars 2011 sur Antoine Gallimard. intégration en aval, recherche d’activités contra- Un salarié de son groupe s’exprimait ainsi : « Si la gestion auvergnate est cycliques, de synergies technologiques, complète maî- insupportable au jour le jour, elle a des vertus sur le long terme ».

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penchant social sans en assumer toutes les consé- voyer des notes de direction fixant des objectifs aux quences (l’Etat nous protègera) et évidemment aidé différentes unités ; il annonça qu’un tiers des postes par une conjoncture de croissance de la consomma- du siège seraient supprimés, ce qui émut beaucoup de tion, Renault restant le premier constructeur français services fonctionnels, qui accumulaient études et en nombre de voitures vendues ; puis Vernier-Palliez contrôles. Et quand Philippe Chauvel, directeur tech- essayant de redresser les comptes et, pour cette raison, nique, revenant avec lui d’une visite d’usine Renault vite contesté, sinon détesté. L’entreprise lui préfèrera où, de toute évidence, on pouvait réduire les prix de alors, pour quelques mois, Hanon, qui la fait de nou- revient, se permit de lui demander : « Sera-t-il dit que, veau rêver, lui propose de faire la course en tête, lui chez Renault, seules les usines doivent comprimer explique que ce qui compte, c’est de sentir les voitures leurs coûts ? », il s’entendit répondre : « Non, (parfois ça marche, comme avec la R25 ou l’Espace, Monsieur Chauvel, ce ne sera pas dit »... et de sévères CHRISTIAN MARBACH reçue et acceptée de Matra ; parfois ça ne marche pas, décisions d’économie furent prises aussi au siège de ou du moins pas tout de suite : la Supercinq). Boulogne. L’équilibre des données comptables et financières, que François de Wissocq cite cet aphorisme qui corres- « VP » avait essayé de mettre en avant, s’efface derriè- pond bien au style oral de Besse : « Je coiffe au bol, et re d’autres préoccupations et l’Etat actionnaire coupe tout ce qui dépasse» (7). Il rappelle aussi, avec demeure longtemps aveugle ou négligent. amusement, que Besse chiffrait les recettes en millions Brutale remise des montres à l’heure des évidences de francs, mais que, pour impressionner ses collabora- financières, fin 1984, et surtout lorsqu’arrive Besse : teurs, il parlait des dépenses en milliards de centimes ! un déficit s’accroissant chaque mois d’un milliard de Cela ne l’empêchait pas de savoir préparer ou réaliser francs, une telle situation ne peut quand même pas des investissements à long terme, nous y reviendrons. durer ! D’où les objectifs affichés dès le premier jour Mais il y a un temps pour tout, et avoir des moyens par le nouveau patron : une intransigeance dans l’exi- n’est jamais une excuse pour les gaspiller. A fortiori gence économique. Pour ses proches collaborateurs, quand on ne les a plus… vite convaincus, il paraphrase ce qu’il avait martelé En même temps qu’un manager doit peser sur les chez PUK : « Gérez l’argent de la société comme si coûts de revient, il lui faut souvent surveiller sa tréso- c’était le vôtre ». Aux syndicats, plus hésitants à accep- rerie : Georges Besse en fera l’expérience en réalisant ter un discours que l’on ne leur avait pas tenu avec des chantiers pharaoniques dont il surveillait le suivi, constance, faute de courage : « L’argent de la société, mais aussi en ayant la responsabilité de sociétés étran- c’est votre argent, c’est votre fiche de paie, c’est votre glées par une montagne de dettes sans cesse rehaussée gagne-pain ». Besse avait déjà adopté cette position au par des agios et de nouvelles pertes (cela devait lui rap- CEA puis chez PUK, avec le même entêtement à grat- peler les terrils du Nord, qu’il avait côtoyés lors de son ter, fût-ce dans des dépenses insignifiantes au regard passage à Béthune). des bilans. Décidant la suppression de nombreux Dans une intervention au Forum des professions finan- véhicules de fonction. Un sou est un sou. N’hésitant cières en janvier 1985, un des rares textes un peu mis pas une minute à se débarrasser de l’hélicoptère qui en forme que l’on trouve de lui – d’ailleurs, avouons- emmenait les cadres de Renault visiter des usines telles le, ce n’est pas un texte extraordinaire, du moins dans que Flins, à partir de l’héliport d’Issy situé à proximi- sa forme écrite et transcrite, il devait être bien plus té de Billancourt. Un sou est un sou. Envisageant, agréable de l’entendre que de le lire –, Georges Besse chez PUK, de fermer la cafeteria dans laquelle les précise l’ordre des actions qu’il a dû entreprendre pour employés du siège de la société venaient prendre leur remettre PUK sur les rails : « Une action immédiate, café et bavarder de tout et de rien – parfois, aussi, tout la résolution urgente de la crise de trésorerie ; une de même, de problèmes de l’entreprise ! Mais Besse action à court terme, la réduction des prix de revient ; avait fait le calcul qu’en nombre de minutes par jour une action à moyen terme, la sélection des activités et et par consommateur, cela représentait, au bout de leur réorientation ». L’ordre de ces facteurs ne résulte l’année, des milliers de francs ! Je crois que, sur ce pas de leur importance relative ; le respecter est tout sujet comme sur d’autres, il finit par accepter habile- simplement inévitable. ment de ne pas vraiment engager la bataille, fidèle à sa capacité de repérer avec pragmatisme que certains conflits ne devaient pas être déclarés (6). Qu’aurait-il dit en voyant aujourd’hui de nombreux cadres ou assistantes battre le trottoir devant les entreprises, pour y fumer leur indispensable cigarette ? Une telle anecdote montre d’ailleurs que Besse était préoccupé par les dépenses du siège comme par celles des centres de production. Quand il demanda, chez (6) J’ai lu, dans l’ouvrage de Frèrejean, qu’il reviendra sur ce sujet chez Renault, en limitant les heures d’ouverture des cafeterias. PUK, un réexamen drastique des coûts dans les usines, il ne se contenta pas, avec Bernard Pache, d’en- (7) IHI, p. 191.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 31 28-51 MarbachManagement:28-51Management27/07/1115:09Page32 32 ESQUISSE D’UN PORTRAIT Besse quej’aiinterrogés fontétatdel’incontestable intelligent etdécideur:touslescollaborateursde Nous savons tousquel’on peutaussiêtre àlafois être décideur». et àl’absurde :«Il nefautpasêtre intelligent,pour décisions ».Et ilpoussesaréponsejusqu’au paradoxe n’avaient pasassezd’inconscience pourprendre des cultés desdécisionsqu’ils neprenaient pas…Ils trop intelligents,c’est-à-dire qu’ils voyaient lesdiffi- veulent pasenassumerlaresponsabilité… Ils étaient chefs secontententdeproposer desdécisions,maisne ter, cequiestuneautre formed’évitement :« Trop de autour dupot,avant deselâcher. Et mêmed’en rajou- pencher latêteenfixantsoninterlocuteur, tourner der ?,onvoit d’abord Besse bredouiller, sansdoute interrogé sur lesujetdu laquelle jemesuisdéjàsouvent référé.Quand ilest Delgado phrases lesplusclaires desoninterview commander, d’autres quinel’ont pas.C’estunedes d’un PDGquis’affirme. Il yadesgensquiontenviede rière unedirection quiassumesesresponsabilités, et de lanécessitépouruneentreprise deserangerder- les composantes,Georges Besse avait uneclaire idée Sans théorisersurlerôledupatron etsansenanalyser deRenault internes avec lesoutiendePublicis.de lacampagne«Déterminés»,élaboréeparlesservices idées simples:unfrancestfranc,“un souestunsou’’, prononcé avec gourmandise:“un chouestunchou’’ ». « Pour devenir uneentreprise quigagnedel’argent, ilfautd’abord nepasenperdre. Besse savait afficheràcesujetdes LE RÔLEDUCHEF RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 leadership, ’s uiu lea- c’est quoiun , à de sonarrivéepremière qu’ils tousenco- larapportent collaborateurs seront tellementmarqués parlaliturgie très vite;àPUKcommechezRenault, ses(futurs) Besse savait aussiquel’image d’un chefseconstruit nécessaire. mouvoir avec uncouragetranquille,quandc’était qui enimposait,qu’il habillerdegaitéet savait parfois manœuvrier, la«vista». la puissancedetravail, lestalentsdestratège etde etlaforcedétermination d’âme, lasupérioritédel’esprit, dans notre chapitre intituléUn caractère capitaines,quenousavons déjàapprochées grands comme tantd’autres. D’abord, quifontles lesvertus saitaussianalysercequil’a subjugué,lui Ayçoberry de patrons obtiendraientunmeilleurscore queBesse. la qualitéetprésence vouer àson chef–encore que,sil’on voulait mesurer relève passeulementdel’admiration qu’un fan (8). L’accumulation desqualitésqu’il luireconnaît ne beau témoignage,sousletitre Retraitement àCogema,adonnésurcesujetuntrès Claude Ayçoberry, quifutdirecteur delabranche capacité qu’eut Georges Besse àprendre desdécisions. (8) Plaquette delaFondation Georges Besse, p. 49. des patrons àcetteaune,peu Le tout servi parunphysique Le toutservi © COLL.FONDATION GEORGESBESSE.D.R La marque delaforce : la froide Affiche peut 28-51 Marbach Management:28-51 Marbach Management 27/07/11 15:09 Page33

re spontanément, trente ans plus tard. Sa venue dans Mais voici une constante : quand Besse remodèle l’or- une petite voiture, sans chauffeur, mais avec sa secré- ganisation d’une entreprise, c’est toujours pour la sim- taire à ses côtés, la seule personne qu’il emmènera plifier. Il veut trouver les conditions d’un contact dans ses différents changements de poste. Le premier direct avec ses principaux collaborateurs et donc pou- contact en groupe. Dans un discours qu’il fera chez voir afficher clairement leurs responsabilités vis-à-vis PUK à l’occasion d’une remise de décoration, il dira de lui comme du personnel et des tiers. Il veut que avec modestie à propos de cette première réunion s’installe avec clarté une autorité lisible et soutenue. Il dans cette société « où j’étais surtout connu pour avoir le fit dans le nucléaire (USSI, Eurodif, Cogema). Il fit braconné sur les terres nucléaires de ce groupe. Je suis de même chez PUK, mettant tout de suite les choses arrivé, un matin de février, tout seul et pas plus rassu- au point vis-à-vis des syndicats : à son arrivée dans ré que cela. On m’a reçu et on m’a fait un amphi, en cette entreprise, certains représentants locaux du per- CHRISTIAN MARBACH bas, dans le sous-sol. Je suppose que personne n’était sonnel lui écrivirent pour demander audience et se tellement plus assuré que cela ». Je peux pourtant cor- plaindre du comportement d’un directeur d’usine riger cette déclaration, en faisant l’hypothèse que, si qui, selon eux, n’avait rien compris à la nouvelle règle des cadres de PUK s’interrogeaient, leur nouveau du jeu, telle qu’ils l’interprétaient selon le programme patron n’avait sans doute pas trop d’états d’âme ! de la gauche et compte tenu de la nationalisation de Pour la même scène, mais cette fois dans le décor de l’entreprise. Besse leur répondit immédiatement en Renault, trois ans plus tard, nous disposons non seu- indiquant que le directeur d’usine mis en cause était lement des témoignages de ses collaborateurs, mais le représentant de l’entreprise, qu’il avait toute sa aussi du texte de l’intervention que Besse a faite début confiance et que ce directeur avait pour responsabili- février, quatre pages sans concessions. Car si Besse a té de traiter le genre de sujet dont il était question une aptitude à jouer un rôle, à détendre l’atmosphère dans la lettre. Et, pour bien mettre les points sur les i, en racontant avec humour des historiettes chargées il fit parvenir sa réponse par l’intermédiaire du direc- d’une morale, il sait aussi afficher avec tranquillité un teur d’usine en question ! (10). Le nouveau patron diagnostic sévère : « Nous ne sommes pas seulement affichait clairement sa ligne d’action dans la rubrique en crise, c’est bien plus grave que cela, notre groupe « Comment affirmer son pouvoir » comme dans la est malade, notre groupe est malade (répété) ». Mais rubrique « Comment expliquer à des directeurs d’usi- aussi un appel à la mobilisation sans recherche stylis- ne que l’on compte sur eux et qu’on les soutiendra en tique excessive : « le redressement, c’est vous, et c’est cas de difficulté ». pas moi, hein ! ». (Restons quelques instants sur cet exercice de gestion qui pourrait être proposé au concours d’entrée à une grande école de management : un responsable syndi- L’ORGANIGRAMME cal vous écrit…, etc.… Je suis prêt à parier que beau- coup d’élèves auraient suggéré cette réponse évasive : je vais transmettre cette lettre à mon collaborateur le plus Le redressement, c’est vous ! Besse, qui n’arrêtera proche, ou, précautionneuse : je vais faire mon enquête, jamais d’associer les cadres (mais aussi l’ensemble du ou encore, plus ampoulée : à partir de ce jour, l’activi- personnel) aux résultats des entreprises qu’il dirige- té de l’entreprise va connaître un climat nouveau en ra… pardon, aux résultats que nous avons obtenus, en cohérence avec la nouveauté des temps et ma façon de est tellement certain qu’il ne se précipitera jamais gérer, ou de semblables circonlocutions et circonspec- pour modifier son état-major et, qu’a fortiori, il refu- tions. Besse n’a que faire de ces prudences subalternes. sera toujours d’arriver avec des hommes-liges merce- Il ne cherche même pas à se poser la question de la naires transférés d’une société à une autre. Au CEA, qualité du directeur, il ne voit pas pourquoi ses pré- il expliquait que, chez lui, « un organigramme, cela décesseurs auraient fait un mauvais choix, et s’écrit au crayon » (9). Mais, chez PUK, il conserve d’ailleurs, pour lui, aujourd’hui, le problème n’est pas son directeur général, Dézasars, et ses directeurs. Il là. Il aborde la question comme un de Gaulle aurait sait qu’il lui faut rassurer les cadres supérieurs, il joue abordé une question analogue pour un préfet, le l’homme tranquille. Et chez Renault, il fait d’abord représentant de l’Etat. Point barre, comme disent mine d’attendre plusieurs mois pour simplifier un aujourd’hui nos ados internautes.) organigramme chevelu... (son prédécesseur en chan- Chez Renault, interpellé de la même manière, Besse geait souvent et le surchargeait de cases et de flèches prend la même attitude, mais, sur ce terrain, la partie avec ou sans pointillés). Mais Besse s’est vite aperçu se joue pour lui avec le lourd handicap du passé : une que la situation trouvée en arrivant ne le met pas en habitude de contestation fréquente, une coutume de prise directe avec les responsables, du fait de la pré- sence d’un directeur du secteur automobile qui couvre 80 % de l’entreprise et, cette fois, il l’écarte (9) Entretien de Gérard Bonneau avec l’auteur. sans hésiter. Deux attitudes différentes : le pragma- tisme avant tout ! (10) Conversation de l’auteur avec Richard Armand.

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faire appel d’innombrables décisions de gestion par la afficher des relations amicales, en mêlant les sphères voie syndicale, une tendance de la direction, quand professionnelles et privées. J’ai parlé par ailleurs de sa elle se sent faible ou veut la tranquillité à tout prix, à répugnance à utiliser le tutoiement, même avec des désavouer des décisions ou des sanctions prises plus polytechniciens de promotions très proches de la sien- bas dans l’organigramme, une consultation a priori ne. Il aurait aussi trouvé grotesque la pratique japo- des instances syndicales, même en dehors des obliga- naise poussant des membres d’une équipe de direction tions règlementaires, parfois donc une véritable ten- à vider ensemble d’innombrables coupes de saké dans dance à la cogestion : ce mot est souvent utilisé chez les bars de Ginza, jour après jour, au lieu de rentrer Renault à cette époque et recouvre bien des attitudes dans leurs familles. Capitaine, oui, capable d’être avec, et bien des renoncements. Aussi, le nouveau président mais la troisième mi-temps chère aux rugbymen est ESQUISSE D’UN PORTRAIT doit-il à la fois simplifier la ligne hiérarchique et réin- inutile en entreprise, ou alors seulement dans des cir- vestir les responsables d’une autorité qui, trop sou- constances très particulières, une ou deux fois par an, vent, n’a pas été protégée ou soutenue ; il va s’efforcer qui pouvaient être l’occasion de communications de replacer toutes les questions soulevées sur le ter- fortes ou plaisantes, mais qui ne modifiaient en rien le rain, là où il veut les voir traitées : l’entreprise et ses respect qu’on lui portait : Un patron extraordinaire. organes de décision, l’activité, le centre de coûts, l’usi- C’était un plaisir, de travailler avec lui… (12) ne, l’atelier. Facile à formuler ! Mais cela ne se fait Je reviendrai plus loin sur le problème des conseils qu’au prix d’une exigence de tous les instants. d’administration dans les entreprises nationales : il fal- lut bien du temps, aux représentants de l’Etat comme à ceux du personnel, pour accepter que les questions SES RELATIONS AVEC LES CADRES qui y étaient traitées soient bien celles qui correspon- dent au niveau du conseil, quand les uns voulaient Profitons de ces développements pour dire quelques régler par avance certains équilibres dans les bureaux mots des relations de Georges Besse avec ses cadres, en des ministères – cela se fait d’ailleurs toujours ! – et particulier avec ceux qui lui étaient les plus proches quand les autres se laissaient parfois aller à vouloir y dans l’organigramme de l’entreprise. évoquer des conflits de personnes très circonscrits. D’abord, il les rencontrait volontiers au travail, mais il Mais je veux parler maintenant du problème de l’ab- multipliait les entretiens en tête-à-tête, de préférence sentéisme. aux réunions en grand comité. Certes, il demandait à tenir des réunions de cadres quand il visitait des sites, mais il veillait à séparer la partie d’échanges généraux L’ABSENTÉISME de celle consacrée à l’examen de dossiers difficiles et a fortiori de l’énoncé de remontrances éventuelles. Il savait que l’on avait de meilleures informations en Il s’agit là d’un sujet dont il est politiquement incor- rencontrant les gens plutôt qu’en lisant des dossiers. rect de traiter : les journalistes sont capables d’en faire Un beau papier, on lui fait dire ce que l’on veut. Mais si une tonne sur les comportements pervers ou illégaux un papier peut être trompeur, un individu peut l’être de certains patrons, et ils n’ont pas tort, mais ils ne aussi. Besse détestait les menteurs, qui enjolivaient les parlent pratiquement jamais de l’absentéisme…, sauf choses ou lui cachaient les problèmes. Il n’aimait pas pour expliquer que chercher des noises à un employé plus les filandreux et les bavards. Il cherchait des pour une journée d’absence, dans une entreprise qui hommes avec de la personnalité, qui savaient éven- compte des milliers de salariés, ou qui distribue des tuellement lui résister en lui opposant de bons argu- dizaine de millions d’euros de dividendes, cela relève ments. A condition qu’une fois la décision prise, ils de la mesquinerie ! De même, pour beaucoup de com- fassent preuve d’obéissance, tout en disposant d’une mentateurs, il est notoirement scandaleux de la part certaine liberté dans les moyens à utiliser. des entreprises d’envoyer des inspecteurs pour vérifier (Je peux ajouter une nuance dans cet exposé. Quand l’état de santé des absents et la cohérence de leurs acti- Besse se laissait convaincre d’aller dans un sens qu’il vités éventuelles avec leur bulletin de santé. Les n’avait pas souhaité, mais conservait quelques réserves patrons eux-mêmes (comme d’ailleurs les ministres contre la décision qu’il avait endossée, on sentait bien confrontés au même problème avec les fonction- qu’il ruminait pendant longtemps ses interrogations naires) hésitent à rendre publiques les statistiques. Le avant de reconnaître que, tout compte fait, l’affaire comportement du nouveau PDG de Fiat, expliquant avait été bien menée (en cas de réussite)… ou, au publiquement, il y a de cela quelques mois, que son contraire, qu’il avait eu tort de l’engager (en cas entreprise ne pourrait pas être redressée tant que la d’échec). De toute façon, Un échec, je n’aime pas, c’est moitié des ouvriers du site de Turin se feraient porter très clair. Mais enfin, il faut « enkyster » l’échec, puis repartir !) (11). (11) Interview Delgado. Tout en recherchant une proximité professionnelle avec ses collaborateurs, Georges Besse ne tenait pas à (12) Conversation de l’auteur avec Gérard Bonneau.

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malades les jours de match de leur équipe de football voir comment Besse allait s’en sortir, titrèrent sur le bien-aimée (la Juventus), est une exception ! Renault calme et la vérité de ses réponses. L’épisode de la visi- n’avait pas de club de football à soutenir, mais son te de Flins est tout aussi connu, mais son importance taux d’absentéisme était tout aussi fort, Alain était bien plus grande, car il s’agissait de la visite d’un Frèrejean insiste sur ce point. L’absentéisme du lundi. ministre. Besse était accompagné par Edith Cresson et Celui lors des retours des congés (pour les ouvriers l’ambiance était tendue, les chaînes de télévision algériens et marocains, mais pas seulement). Et parmi étaient présentes avec leurs caméras, attendant (ou les nombreuses raisons de cet état de choses figurait espérant) l’incident. Lorsque Georges Besse fut pris à l’effet pervers d’une disposition favorable aux partie par des questionneurs peu courtois, il sut leur employés, le système Renault, qui, si je me souviens faire face, s’avancer vers eux de toute sa présence phy- bien, complétait le remboursement par la Sécurité sique, afficher clairement ses positions sans aucune CHRISTIAN MARBACH Sociale, dans des conditions dont j’ai oublié le détail : démagogie ni aucun faux-fuyant, puis il se paya le générosité qui pouvait pousser à des dérives. Et des luxe de s’avancer au milieu de ses contradicteurs, qui médecins malhonnêtes en profitaient, signant à la s’écartèrent sans que les cadres présents eussent à chaîne des certificats de maladie… aux portes même intervenir… suivi de la ministre trottinant dans ses de l’usine (13). chaussures à talon, dont le courage impressionna aussi Simplifier les organisations, faire passer auprès des les témoins de la scène ! cadres le message qu’ils seraient soutenus dans leurs Je ne voudrais pas laisser entendre, en reprenant ces décisions et l’affirmation de leur autorité. épisodes de la saga de Besse, que celui-ci était un Evidemment, les appuyer quand ils voudraient sanc- patron dur ou antisocial, car cela serait totalement tionner des absences injustifiées, mais plus encore des faux. D’abord, il ne pratiquait pas le management par actes de malveillance, des brutalités, des saccages de la terreur ; j’ai connu des patrons qui se sentaient obli- bureaux : je serai conduit à revenir sur l’épisode de la gés, pour afficher leur politique et leur autorité (et mise à sac de bureaux de cadres chez Renault. Ce n’est aussi pour cacher leurs hésitations ou leurs insuffi- pas parce que des actes inqualifiables n’étaient pas sances), de parler fort et de toujours trouver dans le punis, auparavant, qu’ils faisaient partie des avantages comportement de leurs subordonnés des sujets de acquis ! Prenant délibérément le parti du rétablisse- reproches, criés ou hurlés. Georges Besse savait faire ment de l’autorité, et d’une seule autorité, Besse a vite des reproches ; ils portaient sur des points précis et été apprécié par ses cadres, qui ont alors retrouvé étaient en général formulés, oralement ou par écrit, allant et confiance dans leur entreprise. directement à la personne en cause sans être diffusés à la foule. Nous reviendrons sur cette façon de procéder. Revenons d’abord sur ce constat de l’inévitabilité des PRÉSENCE ET CONFLITS conflits. Dans son entretien avec Delgado, quand on l’interroge sur ce qu’évoque pour lui le terme de Besse prit aussi systématiquement une autre décision : conflit, Georges Besse répond très directement : « Une être présent sur le terrain en visitant inlassablement les entreprise est toujours en conflit. Le mot conflit a été usines. Il ne faisait là que renouer avec des habitudes péjoré (14) en France, parce que conflit, c’est conflit prises dans ses postes précédents. C’était pour lui un social ou conflit d’idées ; la France adore cela, l’hysté- moyen indispensable de comprendre et de s’informer, rie verbale est un des sports nationaux. Mais une boîte mais aussi de s’affirmer. Là où certains de ses prédé- est fatalement en conflit avec ses concurrents, elle est cesseurs n’osaient plus aller, ou alors, m’a-t-on dit, ne fatalement en conflit avec ses employés, c’est même le faisaient qu’après avoir négocié avec la CGT la sain… On ne peut pas éviter le conflit, il existe, c’est liturgie du déplacement, le nouveau président se la nature même [des choses], c’est la vie… ». Mais montre, il parcourt les ateliers, salue les ouvriers, après cette leçon de choses, vient la leçon de manage- répond à ceux qui l’interrogent, même si c’est sur un ment : « Il y a des conflits que vous n’avez pas du tout ton peu amène. Besse était parfaitement conscient des risques qu’il prenait en mettant ainsi en scène des ren- contres au scénario non assuré ; mais il avait assez (13) J’hésitais sur la place à donner à ce difficile problème, lorsque j’ai entendu dans une émission radiophonique un reportage sur une sorte de confiance en lui pour s’y risquer et, très vite, l’entre- tableau d’honneur de l’absentéisme dans la fonction publique municipa- prise sut reconnaître dans son nouveau patron un le. Une grande ville du Sud avait été épinglée par un magazine à propos homme qui n’avait pas froid aux yeux. Besse avait déjà de son record : 44 jours d’absence en moyenne par an. Oui, vous avez bien lu, 44 jours d’absence, nous ne parlons évidemment pas ici des eu l’occasion de vivre ce type de situation dans le congés, mais bien des absences pour maladie… ou autres. Mais le plus nucléaire, mais il fut projeté sur le devant de la scène triste est à venir : interrogé, un responsable de la ville en question contes- tait ce chiffre en raison de son ancienneté et expliquait que le nombre chez Renault, dans ce rôle de patron qui assume. moyen de jours d’absence de ses employés n’était en fait que de 32, don- L’épisode des Champs-Elysées, où il fut à l’improviste nant ainsi l’impression de trouver tout à fait normal une situation où les cerné par des militants syndicalistes voulant le retenir employés de cette ville justifient de 32 jours d’absence en moyenne par an, en plus de leurs congés et autres jours de RTT. avant un conseil d’administration, est bien connu, car les journalistes, prévenus par les manifestants et venus (14) J’apprécie l’utilisation pertinente, mais rare, de ce verbe !

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 35 28-51 MarbachManagement:28-51Management27/07/1115:09Page36 36 ESQUISSE D’UN PORTRAIT de Georges Besse àl’usine Renault deFlins enoctobre 1985. le luxe des’avancer aumilieudesescontradicteurs,quis’écartèrent ». sansquelescadres présentseussentàintervenir toute saprésencephysique,afficherclairement sespositionssansaucunedémagogieniaucunfaux-fuyant,puisilsepaya ilsutleurfaire« LorsqueGeorges pardesquestionneurspeucourtois, Besse face,s’avancer futprisàpartie vers euxde même autermed’un affrontement dur? rester deshommesetfemmes, attentifauxsort Ou, toutautant,volonté d’un patron quisaittoujours ment unanimementsaluée. Victoire dessyndicats? ture d’usine accompagnéed’une politiquedereclasse- avec lepersonnel,avant deseconclure paruneferme- aussi unépisodequidonnalieuàuneoppositionforte ture del’usine de Tréfimétaux, àDives (Calvados), fut statut surlabaseduvolontariat. ChezPUK,laferme- convaincre 80%dupersonneld’adopter lenouveau Besse sutàlafoisgérer ladivergence devueset du personnelCEAsuiteàlacréationdesafiliale: Cogema, notammentlorsduchangementdestatut dureté conflitsauseinduCEAoudela decertains Bonneau, quifutDRHàlaCogema,asuraconter furent qu’un longchemintranquille.Gérard périodes précédentesdunucléaire oudePUKne pelée, maisceseraituneerreur d’imaginer queles Renault sousl’ère Besse mérited’être brièvement rap- L’histoire desdeuxgrandsconflitsqu’a connus deforce ». rapport intérêt àlesgagner, alorsilfautsavoir quelestvotre ser mûrir... De touteslesfaçons,conflits,vous avez intérêt àengager, ilyenaquevous avez intérêtàlais- RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 réalité oulégende,celafaitpeurauxdirections !La de moyens d’intimidation dénuésdetoutefioriture : militants, laprésenced’ouvriers n’hésitant pasàuser prédominancedela CGTet,parmiles avec uneforte treprise endanger. D’autre lecontextesocial, part, semble deschaînesdeRenault, mettaitvraimentl’en- usine, quifabriquaitdespiècesmécaniquespourl’en- lefaitquebloquercette deux atouts.D’unepart, rain d’un affrontement dur, carelleydisposaitde d’influence.perte Elle décidadefaire duMans leter- de ladirection del’entreprise, synonymepourellede CGT cherchait àcontrer larestauration del’autorité L’Humanité, commelerappelleSchweitzer –quela traiter lesconflits.Celui-cisentait–ilsuffisaitdelire est éclairantpouranalyserlaméthodedeBesse pour par nombre detémoinscommejournalistes(15) duconflitMans de1985,raconté Le décryptage LE CONFLITDUMANS que dansceluid’Alain Frèrejean. (15) Il estracontéendétailaussibiendansl’ouvrage deLouisSchweitzer © COLL.FONDATION GEORGESBESSE.D.R Visite 28-51 Marbach Management:28-51 Marbach Management 27/07/11 15:09 Page37

grève fut donc méthodiquement préparée pendant des valeurs ou à une éthique affichée dans une charte l’été 1985, puis déclenchée. Schweitzer : « Au fond, mise en place avec componction. Il aurait trouvé bien l’enjeu de cette grève était de savoir qui serait le hypocrites les discours de ces patrons vantant un jour patron ». la belle solidarité qui unissait tous les échelons de l’en- Georges Besse s’est alors révélé remarquable tacticien. treprise dans je ne sais quelle pyramide inversée, s’ex- Les portes de l’usine avaient été fermées avec des pliquant le lendemain que les écarts de salaires entre chaînes cadenassées, et des piquets de grève atten- ces mêmes échelons n’avaient pas à être discutés puis- daient munis de barres et de boulons les personnels qu’ils avaient approuvé eux-mêmes les leurs, et un qui essaieraient malgré tout de rejoindre leur poste. autre jour licenciant sans vergogne des groupes de Besse fit savoir que les ouvriers empêchés de travailler salariés sur l’autel d’une stratégie en complète contra- par la force seraient quand même payés : il leur suffi- diction avec celle qu’ils prônaient la veille. CHRISTIAN MARBACH sait de venir signer un registre de présence. Cette Savoir gérer une victoire est difficile. On pardonnera façon de procéder s’apparentait à un référendum, dis- à un rugbyman qui vient de marquer un superbe essai créditant habilement celui qui avait été ouvertement de lever les bras au ciel et même de tenter une cabrio- manipulé par les meneurs (16), et en confirmant un le (encore que ce geste de poids léger ne se fasse pas autre, effectué devant huissier : toute cette procédure trop au rugby), on ne le comprendrait pas d’un patron démontrait à l’évidence que la très grande majorité qui vient de briser une grève, même si celle-ci était (bientôt près de 80 % des ouvriers) préférait se décla- infondée et contestée par la majorité du personnel. La rer comme travailleurs en se désolidarisant ainsi du lettre adressée aux ouvriers après la grève du Mans me mouvement. En même temps, le préfet avait eu rappelle un épisode de l’histoire de la Suisse, qui met recours aux CRS et les avait fait approcher progressi- en scène une figure polytechnicienne d’exception, vement de l’usine, en laissant entendre l’imminence Guillaume-Henri Dufour. Cet X 1807, entré à l’Ecole d’une intervention. Pendant toute une nuit, il fit Polytechnique dans le cadre d’un accord qui avait tourner les camions des forces de l’ordre autour des ouvert les portes de l’école à des élèves issus de la assiégés volontaires. Au petit matin, découragés par Confédération helvétique, fut contraint de quitter la l’attitude de leurs collègues, qui délégitimait leur France et son armée après la chute du Premier action et sa violence, redoutant aussi, peut-être, un Empire. Il mena alors à Genève une brillante carrière dégagement par la force, les « jusqu’au-boutistes » de dans le service public comme bâtisseur, urbaniste, car- la CGT firent rouvrir les portes ; le mouvement cessa tographe, élu et militaire. C’est cette multitude de sans que la CGT eût obtenu quoi que ce soit. talents, comme son honnêteté incontestable et recon- Pour la presse, la victoire de Georges Besse avait été nue, qui lui valut d’être nommé à la tête des armées éclatante : pour reprendre l’expression de Louis de la Confédération pour réduire la sécession de Schweitzer, on savait désormais qui était le patron. quelques cantons. Il est difficile de résumer l’origine Mais celui-ci sut gérer sa victoire avec autant d’intelli- de cette Guerre du Sonderbund, qui avait des raisons gence qu’il en avait mis à l’emporter. Besse dit à ses religieuses, linguistiques et économiques. Comme collaborateurs : « on a fait un sans faute, mais, inutile Lincoln quelques années plus tard en Amérique, de s’en vanter ! ». Ayant appris la fin du mouvement Dufour voulait préserver l’unité nationale : il avait lors d’un dîner avec des amis, il avait déjà montré ses acquis la certitude que la Suisse, entourée de grands sentiments en refusant le champagne qu’on lui États ayant des appétits d’annexion, ne survivrait pas offrait : « On ne fête pas la fin d’une grève, même à une scission. Mais au lieu de lancer ses bataillons à d’une grève absurde. Ce soir, il y a des ouvriers sin- la curée, il sut manœuvrer avec intelligence, forçant cères qui ont perdu l’espoir ». Il savait que certains d’abord à s’incliner les cantons les plus faibles ou les ouvriers de Renault étaient à ce moment-là très tristes, moins résolus dans l’opposition, jouant ensuite de la cela ne le réjouissait pas et il s’en serait voulu d’affi- menace comme de la victoire dans quelques batailles cher une joie mal à propos tant par conviction que par courtes et maîtrisées, empêchant, avec un succès quasi habileté. Aussi décida-t-il de bien montrer à l’en- total, ses troupes de se livrer aux exactions habituelles semble du personnel que, désormais, tous devraient aux vainqueurs. Il obtint finalement la soumission des repartir au travail dans l’unité, et il envoya une lettre rebelles et la survie de la Suisse, avant de se retirer avec à chaque salarié de Renault pour leur affirmer : « Une la sagesse d’un Cincinnatus, sans vouloir capitaliser direction ne gagne pas contre son personnel. sur son titre de Pacificateur voté par les élus suisses. Ce Remettons-nous au travail ensemble ». que je veux souligner ici, c’est cette remarque qu’il fit Il n’y a pas de victoire contre les employés. (Georges après ses victoires, plus politiques (au meilleur sens du Besse reviendra souvent sur cette notion d’équipe, de communauté tendue vers un même but : la survie, puis le développement de l’entreprise). Il ne fera pas de discours exagérément utopique sur l’entreprise, communauté d’individus poussés à leur propre accomplissement grâce à je ne sais quelle adhésion à (16) Voir le livre d’Alain Frèrejean, p. 349.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 37 28-51 MarbachManagement:28-51Management27/07/1115:09Page38 38 ESQUISSE D’UN PORTRAIT logistiques etpolitiquesdu syndicatenFrance. On pour pouvoir utiliserRenault commeunedesbases sespositions dominanteset choix, pourconserver de laCGTcontinueraitàcontestersonautoritéetses sites. Ensuite, ilétaitpersuadéquel’aile laplusdure posait desréductionsd’emplois etdesfermetures de libre, puisdesbénéficeschezRenault, etquecelasup- devraient être encore consentispourramenerl’équi- normale. D’abord, énormes ilsavait quedesefforts Mans, quelasituationdel’entreprise étaitredevenue Georges Besse nes’imagina pas,aprèsl’affaire du Guillaume-Henri Dufour. Collectionparticulière. « Une figure polytechnicienned’exception :Guillaume-Henri Dufour ».Reproduction d’un médaillonreprésentant du Besse dans cetépisodeetdanscessentiments. faire autantd’efforts lesunsqueautres. Je retrouve queurs etvaincus, unefoisleconflitterminé,devaient celui d’être vainqueur ».Soulignant parlàquevain- plus grandmalheur, aprèsceluid’être vaincu, c’est terme) queguerrières :«Dans uneguerre civile,le LE CONFLITDEBILLANCOURT RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 y comprisdanslapresse, maispourlaCGT, déman- était enfaitcondamnéeàlafermeture. On enparlait, incompatibles avec uneproduction àfluxtendus, dues efficaces,avec leursétagesetcirculations trop anciennespourpouvoirconstructions être ren- graphie quil’empêchait desedévelopper etdansdes (17). L’usine deBillancourt, enferméedansunegéo- faire deschosesdifficiles,jeveux parler deslicenciements teur dusitedeBillancourt, etjesavais quejedevrais dation. Auroy avait éténomméàcetteépoquedirec- tous lesaspectsdelaviel’entreprise depuissafon- numéro 19 de Michel Auroy atrèsbienracontécetépisodedansle Besse, qui seprolongea d’ailleurs sousl’ère Lévy. donna l’occasion dusecondconflitmajeurdel’ère sait quec’est l’évolution dusitedeBillancourt qui Histoire, n°19,juillet2007. « Georges Besse, quelquessouvenirs restés trèsvivants »,dans (17) Pour le récitdecetépisode,lire l’article deMichel Auroy : Renault Histoire, unerevue consacréeà Renault 28-51 MarbachManagement:28-51Management27/07/1115:09Page39 trop. Il rassure Auroy, revient de sa maisondecam- position d’être sesadversaires) ontcommislafautede membres dupersonnelquiontsciemmentprisla violent qued’autres, Besse saitquesesadversaires (des de telsactespurvandalisme. Lorsd’un épisodeplus punité dontbénéficiaientprécédemmentlesauteurs croyaient protégés parleurstatut,ainsiquel’im- quise gangsters etdessyndicalistesàvisagedécouvert fois desmilitantscagouléscommedansfilmsde voies defaitenvers des cadres, letout,enutilisantàla vol dedossiersetbienspersonnels,menaces des actionsdecommando,avec saccagedebureaux, au pointdeperdre leursang-froid etdeselancerdans cales hésitantsurlaformeàdonnerl’affrontement, attentions personnelles.De l’autre, deséquipessyndi- manifeste sansarrêtsonsoutien,ycomprispardes une affaire concernanttoutelasociété,maisleur pas faire dechaqueinévitablepéripétie, ouvertement, mière ligneledirecteur dusiteetsescadres pourne qui, tactiquement,s’attache sanscesseàlaisserenpre- conflit. D’uncôté,l’équipe dirigeantederrière Besse Le texted’Auroy décritavec précisionlesacteursdu on n’a pasledroit demordre l’oreille !»(18). pousse !».Georges Besse ajoutait:«On pousse,mais respectant lesrèglesdujeu,àmillecommeXV:«on utilisant touteoccasionpourgagnerduterraintouten gement, maisc’est l’affirmation claire d’une volonté, boyante maximetirée d’un coursmagistraldemana- Cette expression «jepousse»n’est pasuneflam- mêlée. choisit latactiquedepousséecontinue,celle teler citant Malraux quidécritdeGaulle), Ou encore,unedemesfavorites, aussi cesformulestrouvéesailleursquedanslapresse : métallurgique Schweitzer (sansoublier, vingtansplustard,lesurnom donc envrac desexpressionsou exemple, expliquant quelessoldatsontbesoindemanierdes (pour sesouvriersdeBazaillessubjuguésparlapersonnalité dujeunestagiaire), patron nutifs, commepourLévy( Il semblebienquenon.Besse,c’estunpatronyme court,quisonnebien.Inutiledechercher desdimi- Georges Besseétait-ilaffublédesurnomsauseindesentreprises oùilaexercé ? puys etàsesstationsdevacances leurs écritspeuvent êtrelusaupremierdegré?) se àsoncompte. ouvrages dusaintsavoyard, maisjepensequel’expressionluiaurait pluetqu’ill’aurait sansdouterepri- tain delavéritébotaniquecetteaffirmationetjene crois pasqueGeorgesBesseaitétéunfamilierdes saint François deSales:«Lesrosiersproduisentd’aborddesépines,avant lesroses».Je nesuispascer- gement desentreprisesanalogiesavec cepasse-temps.Cetteexpressionmerappelle uneformulede journalistes expliquantqueBessecultivait desrosesdanssonjardinde Touraine ettrouvait danslemana- technicien de choc. Le docteur miracle. Besse la chance. Superbesse Superbesse chance. la Besse miracle. docteur Le choc. de technicien retrouvaient ainsilecomportementdeDémokos,dans prise dusecteurpétrolier).Maissilescollaborateurs secontentaientengénéral deparler la forteresse ouvrière Je choisismonterrain, etjepousse,pousse... , lesjournalistesjouaientàinventer dessurnoms,surtoutdanslapressehostileàsonaction.Ils La brute La , proposeaussiLaurentFabius avec intelligenceet mêmetendresse. (terme reprisparlesassassinslorsduprocès:journalistessavent-ils toujoursque était uncasusbelli.Besse RHL , lestroisinitialesdeRaymond HaïmLévy)ou ). Zorro. Le pompier volant. L’ingénieur de la République. République. la de L’ingénieur volant. pompier Le Zorro. ). le jardinier le épithètes, épithètes, L’homme de la réalité industrielle réalité la de L’homme . Je l’aimebeaucoup,carcetteexpression,utiliséepardes Le sanglier Le plus oumoinshomériques,cordiales.Par épithètes d’une denépotisme:ledossierestdifficile àjus- sorte nion publiquelesentimentqu’il s’agit deladéfense connu detous,l’attitude dusyndicatdonneàl’opi- Georges Marchais dulotetquecelaest faitpartie procédure delicenciement.Commelegendre de sont engagéesàlafoisuneactionjudiciaire etune elle revendique l’impunité pourceuxcontre lesquels violences commisesparunecentainedemanifestants, tection desdéléguéssyndicaux.Malgré lanature des La CGTdécidedesebattre surleterraindelapro- dées. cédures, convocations parvoie delettres recomman- recueillis, strictrespect desréglementationsetpro- indispensables :signatures pourlestémoignages ces faits,toutenveillant àprendre lesprécautions faute lourde contre nombre uncertain d’auteurs de plainte etlancelaprocédure delicenciementpour constituer unecirconstance atténuante.Renault porte d’être unresponsable syndicaloupolitiquenesaurait bénéficiant d’une protection statutaire ;mêmelefait tie nidesavantages acquis,nidesdroits dessalariés réunion décisive. Lesactesdebrigandagenefontpar- pas!),avant deprésiderune table ?Certainement –aurait-ilétéunaccro dupor- saliberté préserver Besse nevoulait pas detéléphonedanssavoiture pour mon hypothèse,jen’ai etjesaisque pasdecertitude, nature politiqueetinformel’appareil d’Etat (c’est quelquescoupsdefil pagne, donnecertainement (18) Conversation del’auteur avec Bernard Pache. la Guerre de Troie n’aura pas lieu pas n’aura Troie de Guerre la Moustache . Le destructeur de comédies de destructeur Le L’empereur. Le dégraisseur Le L’empereur. pour accroîtreleurfureuraucombat. Voici attribué auPDGd’unegrande entre- (amusante allusionàlachaîne des (Raymond Lévy), RÉALITÉS INDUSTRIELLES Loulou Loulou n ot eGalabru de sorte Une . Le videur. Le poly- Le videur. Le et (Jacques Raiman E.T. de Giraudoux, Et j’aimebien Un Monsieur Un Besse pour Louis • AOÛT 2011 ou du 39 CHRISTIAN MARBACH 28-51 MarbachManagement:28-51Management27/07/1115:09Page40 40 ESQUISSE D’UN PORTRAIT tégrations. présidence deLévy),enrefusant fermementlesréin- nitives prononcées parletribunal(cefutfaitsousla parmi lesdélits)et,unefoiscondamnationsdéfi- tout étudiantenpremière annéededroit classerait englobait curieusementparmicesdroits desactesque par l’épouse duPrésident delaRépublique(qui discours dela braves, ensachantnepasperdre sonsang-froid faceau ventions politiquessuggérantjenesaisquellepaixdes ce combatjusqu’au inter- bout,enrésistantàcertaines perdu d’avance. Encore fallait-ilqueladirection mène voies l’attention defait, avait détourné suruncombat en sefocalisantsursesmilitantsquiavaient commisdes pour reprendre lestermesdeSchweitzer, que comprendre leursmotivations. évident, Il estpourtant desesresponsablesroger certains del’époque pour un aussimauvais dossier. Il faudraitsansdouteinter- syndicat s’est, dansdetellescirconstances, crispésur A vraidire, jen’arrive pasàcomprendre pourquoi le réduire leseffectifs. rencontre paradoxalement moinsdedifficultéspour qui, pendantquelapresse brode surleroman desDix, plus dommageablepourlaCGTquedirection ri CGT quiatrouvé cetteexpression, faussemais (entre parenthèses, bravo pourlecommuniquantdela Billancourt choquants. L’affaire desDixde tifier etilestdéfenduavec desargumentssouvent RÉALITÉS INDUSTRIELLES sympathique) ;elleva durer longtemps,s’avérer Ligue desdroits del’Homme • AOÛT 2011 commence soutenue la CGT, a prio- la conditionouvrière, sansoublierjamaispourautant uniquement deparsonoriginesociale,étaitattentifà re personnelle.Je saisqueGeorges Besse, etpas ciellement provoquées, uneaffai- dont ilsfontparfois raître commelesvainqueurs deluttesréellesouartifi- contraintes, etd’autres quinecherchent qu’à appa- sier entenantcomptedesvaleurs, desréalitéset personnes capablesderechercher l’accord surundos- des syndicatscommedansceluidirigeants, décisions. Nous savons aussiqu’il ya,danslemonde vidus sontamenésàadapterleursattitudeset savons tous que,selonlescirconstances, touslesindi- pect mutuel,sanscacherlesaffrontements (19).Nous dont jedisposesurBesse), ilparlebeaucoupd’un res- d’autres (ainsiquej’aipulelire danslesdocuments aucolloquede1996et,comme son intervention Fridenson adéveloppé cetteanalyseavec acuitédans conflit l’attitude deBesse face auxsyndicats.Patrick il nesauraitêtre questionderésumeràcetype managériaux deGeorges Besse,comportements mais indispensablepour mettreparu l’accent surcertains La présentationrésuméedecesdeuxépisodesm’a BESSE ETLESSYNDICATS Journal (juillet1985). Articles duNouvel (juin1985)etdel’Auto- Observateur danslapressedes surnoms,surtout hostileàsonaction.» de Besse ou dupatron, lesjournalistesjouaientàinventer « Si lescollaborateurssecontentaientengénéraldeparler (19) Livre IHI,pp. 113etsq. 28-51 Marbach Management:28-51 Marbach Management 27/07/11 15:09 Page41

les préalables économiques de l’équilibre d’une entre- S’appuyant évidemment sur sa hiérarchie, il essayait prise. parfois de mettre par ce biais les syndicats en porte-à- A propos des syndicats, il me revient cette notation de faux. Pour convaincre les employés du CEA appelés à Schweitzer évoquant Besse : il n’y avait aucune trace rejoindre la Cogema que c’était un bon choix, il sut d’anti-syndicalisme en lui. Je la nuancerai en indiquant faire le forcing et multiplier les contacts directs. Chez de nouveau que, pour Besse, la vie de l’entreprise ne Renault, comme nous l’avons déjà vu, il prit l’initiati- pouvait pas se dérouler sans conflits. Il fallait donc ve d’écrire des lettres au personnel et souvent, il se accepter cette évidence en s’efforçant d’en limiter le montra, dans les ateliers et les bureaux d’études, tou- nombre, puis d’engager et de traiter ces conflits de la jours prêt à discuter avec les employés. Quand on manière la plus correcte, selon des règles du jeu nor- l’apostrophait lors d’une visite d’usine, il s’arrêtait, males. Mais il savait aussi réagir sans timidité quand s’approchait, répondait assez fort pour que les voisins CHRISTIAN MARBACH ces règles du jeu et le dialogue nécessaire étaient entendent son point de vue. Son comportement : on oubliés. Soit, il faut des syndicats, et ceux-ci font par- écoute, on répond, on tient son poste, on ne fuit pas. tie de l’entreprise ; on ne peut pas rechercher l’adhé- Il s’attachera aussi à réaliser des opérations de com- sion du personnel sans gérer au mieux les relations munication directe, avec des campagnes d’affichage. sociales avec des partenaires…que l’on ne choisit pas. Et lors de sa période nucléaire, il organisa des voyages Côté CEA ou Cogema, Besse avait apprécié l’élan qui de tous les employés du siège vers les usines pour poussait les équipes à mener avec succès des chantiers qu’ils partagent la fierté des réalisations de leur grou- colossaux, mais il était loin d’apprécier tous les jours pe. les relations avec les syndicats de chercheurs, les grosses Dans ses communications collectives, il utilisait des têtes, auxquelles il reprochait, à l’occasion, des contra- arguments et des images simples. De Renault, il dira dictions, ou avec la CFDT qu’il ne comprenait pas : tout de suite : « Renault est un avion surchargé, qui a de réels bâtisseurs du nucléaire, mais refusant les du mal à voler ». Pour se présenter, il faisait le petit conséquences de leurs travaux ! soldat modeste et discipliné : « Je n’ai pas demandé à (Besse, qui avait assez de mémoire pour ne rien venir. Mais quand le Premier ministre vous demande oublier, gardera rancune à certains de ses opposants de vous mettre au service de la France, on ne refuse d’alors, au point de prétendre parfois qu’il avait été pas ». (Il n’avait évidemment rien demandé, il aurait appelé à la présidence de PUK parce que les syndicats certainement préféré continuer son travail chez de la Cogema avaient obtenu qu’il soit écarté de cette Péchiney, mais ayant accepté une mission qu’il savait société !) difficile, il prenait naturellement la posture qui lui Côté PUK, les discussions ont surtout porté sur les assurerait le soutien de ses collaborateurs). Et puis, il suppressions d’effectifs ou les cessions d’activités. Les sut aussi dire immédiatement que les problèmes de personnes que j’ai interrogées (dans le cadre d’un son- l’entreprise devaient se régler chez elle, et pas sur la dage très limité, plus que d’une enquête exhaustive !) place publique. n’ont pas gardé le souvenir ou voulu évoquer de dis- Cette stratégie du silence à l’extérieur, il la pratiqua putes avec les syndicats autres que normales ou logiques, dès son entrée dans le nucléaire, pour des raisons évi- mais sans mesurer par des chiffres cette normalité ! dentes. Le nucléaire militaire n’est pas un objet qui se Besse, en étant particulièrement attentif au traitement dévoile en toute transparence, et le nucléaire civil est des fermetures de sites, savait, en quelque sorte, refer- parfois difficile à expliquer. Pour Besse, les enjeux mer proprement les dossiers ; on lui en sut gré. nationaux, stratégiques, économiques et technolo- Besse s’efforça aussi, chez PUK, d’avoir de bonnes giques du nucléaire étaient trop essentiels pour que relations avec Force Ouvrière ; il connaissait assez bien l’opinion ou la concurrence puissent impunément son secrétaire général, André Bergeron, un homme être témoins de disputes dialectiques internes. Chez chez lequel il retrouvait quelques caractéristiques de PUK, Besse persistera dans cette politique de retenue son propre père, et il sut lui faire passer des messages ; et demandera aussi à ses collaborateurs le silence. Mais d’ailleurs, il essaya toujours d’ajouter aux relations ce sera encore plus vrai chez Renault. Il saura prendre syndicales entretenues au niveau de son entreprise des à partie son encadrement, lors d’une fête du groupe au contacts directs ou indirects avec les états-majors Pavillon Baltard insistant auprès d’eux sur le fait que nationaux, même avec la CGT au plus fort des crises Renault lui faisait parfois penser à un coq qui pousse vécues chez Renault. des cocoricos, oubliant qu’il a ses pieds dans le fumier. Il saura d’autant plus obtenir le silence chez ses colla- borateurs, mettre une palissade autour du chantier (20), COMMUNICATION INTERNE qu’il sera lui-même extrêmement avare de ses propos à l’extérieur, refusant pendant des mois de recevoir des En même temps, Besse voulut continuellement être journalistes ou de se rendre sur les plateaux de télévi- en prise directe avec le personnel, considérant que la voie syndicale n’avait aucune raison d’être la seule pour informer, débattre, rechercher l’adhésion. (20) Louis Schweitzer, dans le DVD de la Fondation Georges Besse.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 41 28-51 MarbachManagement:28-51Management27/07/1115:09Page42 42 ESQUISSE D’UN PORTRAIT Renault. les bureaux d’études, toujoursprêtàdiscuteravec lesemployés. » « ChezRenault, Georges Besse pritl’initiative d’écrire deslettres aupersonneletsouvent, ilsemontra,dans les atelierse RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 Lettre manuscrite adressée parGeorges Besse auxagentsde © COLL.FONDATION GEORGESBESSE.D.R t 28-51 Marbach Management:28-51 Marbach Management 27/07/11 15:09 Page43

sion : « Je n’ai rien à dire. Laissez-moi du temps, lais- eux : des chacals ! Mais cette attitude s’adoucira un sez-moi travailler en silence ». A la télévision, quand peu, vers la fin de sa période Cogema. Question d’op- on lui fera remarquer un an plus tard : « Vous êtes portunité : il connaît mieux certaines plumes et se met devenu un patron star en vous taisant », il répondra à les apprécier. Questions d’environnement person- simplement : « Je n’avais rien à dire ». nel : des amis, qu’il a d’abord connus dans l’entoura- Evidemment, il lui faudra composer avec cette volon- ge « Normale Sup’ » de son épouse, l’aident à se posi- té de silence. Renault n’est pas le CEA, la société vend tionner dans ce milieu. Il s’aperçoit aussi que, tout des voitures, elle doit les montrer et expliquer qu’elles compte fait, cela peut être amusant de se prêter à cette sont belles ! Mais Georges Besse refuse les autres mes- gymnastique du dialogue ou de l’escarmouche verba- sages, il ne les autorisera que lorsqu’il sentira l’entre- le. Question de juste retour aussi : après tout, les jour- prise sauvée. nalistes le traitent plutôt bien et ils sont sensibles à son CHRISTIAN MARBACH Alors, l’heure venue, c’est avec détermination qu’il se style bourru, mais direct et sincère. Un style qu’il per- lancera dans une campagne à la fois interne et exter- fectionne, donc, avec une sorte de gourmandise. ne, placardant son slogan Déterminés sur les murs des L’arrivée de Besse chez Péchiney montre qu’il a gagné ateliers comme dans les pages des quotidiens. La cam- cette partie ; tous les commentaires sont louangeurs, pagne « Déterminés », élaborée avec les services le portrait qui est fait du nouveau patron de PUK est internes de Renault placés sous l’autorité de Patrick plus que positif (ce point sera largement développé Faure et avec le soutien de Publicis, publicitaire en dans l’article suivant). Même lorsque Besse explique quelque sorte historique du groupe, sut décliner cette qu’il ne va pas s’exprimer tant qu’il n’aura pas fait le volonté: tour du dossier, cette attitude est plutôt approuvée par Déterminés à consolider la place de Renault comme la la presse, qui lui sait gré de son discernement. première marque française. Déterminés à faire des voi- L’arrivée chez Renault est, médiatiquement, nette- tures toujours plus belles, plus sûres, confortables, ment moins facile (ici encore, je renvoie, pour les brillantes. Déterminés à nous imposer par une extrême détails, à l’article consacré à cette période de sa vie). rigueur de gestion, à retrouver le profit. Déterminés à Les hésitations du gouvernement devant les difficultés réussir. de Renault, puis la méthode maladroite utilisée pour renvoyer Bernard Hanon, ne plaisent pas à de nom- breux organes de presse (qu’ils soient de droite ou GEORGES BESSE FACE AUX MÉDIAS proches des communistes) qui profitent des circons- tances pour attaquer le gouvernement. Que Besse soit un bon choix n’est pas contesté, sauf par ceux qui Quelques mots encore, quitte à me répéter, pour pré- voient en lui un dégraisseur et trouvent des arguments senter l’attitude de Georges Besse face aux médias, pour l’attaquer sur ce terrain en rappelant des étapes disons sa manière de les gérer. Première étape, le antérieures de sa carrière où il a réduit des effectifs. La nucléaire. Une industrie dont il faut à nouveau rappe- tactique du silence est par ailleurs moins bien accep- ler la tradition de secret. Georges Besse parle peu ; cela tée dans la mesure où, pour des raisons évidentes, lui convient, et son premier poste ne le conduit pas le politiques et culturelles, Renault jouit dans l’opinion moins du monde à forcer sa nature. Au demeurant la publique d’une visibilité nettement supérieure à celle structure nationale de Cogema le dispensera de gérer de PUK. La CGT et L’Humanité se mettent très vite un des grands pans de la communication d’entreprise, à attaquer l’action de Besse et essaient sans cesse de le volet financier. mettre le dossier Renault sur la place publique et poli- Mais, peu à peu, ne serait-ce que pour répondre aux tique par des manifestations de toute sorte, par les- écologistes, dont l’organisation et l’audience croissent, quelles ils espèrent conserver l’initiative. Certains il faudra s’exprimer sur le retraitement et sur le site de journaux aimeraient alors voir Besse prendre la paro- La Hague. L’état-major du CEA et de Cogema, le. comme les pouvoirs publics, poussent Besse à s’expri- Gérard Bonneau qui fut à ses côtés chez Cogema fait mer : il a été, en quelque sorte, sommé de cultiver ses cette remarque pertinente : avec Renault, Besse est deve- relations avec la presse pour rendre le nucléaire nu un personnage public. Il a dû forcer sa nature (21). aimable. Il le fait sans plaisir et, d’ailleurs, il refuse Une telle attitude de réserve ne l’empêche pas, en telle d’entretenir dans l’entreprise un staff de communi- ou telle occasion, d’accepter un dialogue approfondi cants. Sans aller jusqu’à un mépris de la presse (parfois avec un journaliste. L’exemple de sa rencontre avec un exposé en privé par son ami André Giraud), Besse journaliste de l’Action Automobile et touristique, à juge à cette époque les journalistes trop rapides sur des l’occasion du Salon de l’automobile de Genève, méri- sujets difficiles, souvent incompétents, peu sérieux, te d’être détaillé, car cette rencontre est marquée par trop sensibles à l’influence de quelques relations par- ticulières, et aussi incapables ou peu désireux de reproduire fidèlement les messages qu’ils reçoivent. Parfois, il aura des mots durs pour certains d’entre (21) Conversation avec l’auteur.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 43 28-51 Marbach Management:28-51 Marbach Management 27/07/11 15:09 Page44

la simplicité. Edouard Seidler rencontre fortuitement comme dans son comportement. Par sa formation, Georges Besse à l’aéroport, une rencontre dont le par la nature des postes qu’il a occupés, Besse est un journaliste raconte les circonstances avec humour : « Il ingénieur. Sans aucun mépris pour les autres corps de avait dit qu’il ne rencontrerait pas un journaliste avant métier, il estime que c’est aux ingénieurs qu’il appar- cinq mois, et le voilà donc, ce matin, anonyme dans tient de gérer et orienter l’activité des entreprises son manteau gris, une petite valise noire à bout de industrielles, qu’il s’agisse de mener à bien des projets bras. Qui ça ? Mais oui, c’est bien sûr, l’homme invi- plus ou moins complexes ou de diriger l’entreprise. sible en personne, celui qui a été au centre de toutes Pour lui, un bon ingénieur doit savoir gérer l’interac- les conversations au Salon mais que personne n’a aper- tion entre la théorie et le réel, pour préparer l’action çu, Georges Besse…Chance, scoop, et voilà que bat et la réussir. Il doit faire preuve de lucidité dans l’ana- ESQUISSE D’UN PORTRAIT plus fort mon cœur de journaliste, je l’intercepte dans lyse : celle des faits, celle du but à atteindre, mais aussi la salle d’attente et je me présente... » celle des rapports de force, des appuis nécessaires. Il Et l’article de l’Action Automobile et touristique se doit aussi savoir faire preuve de décision et bien s’in- poursuit, et on y lit que dans une conversation ami- tégrer dans le milieu de travail : Besse constate que la cale Besse sait se laisser aller, plaisante avec Seidler qui moitié des cadres n’y parviennent pas pleinement : ce lui montre un titre de Libération : Renault révise ses n’est pas faute d’intelligence, mais de caractère. Et il comptes à la Besse, parle des voitures, des camions, du ajoutera toujours, avec modestie et histoire de toucher Salon qu’il a parcouru la nuit pour ne pas être déran- du bois : il faut aussi de la chance. gé par les visiteurs et les journalistes, se lance dans des Donc, un excellent ingénieur et fier de se présenter anecdotes, et ainsi de suite. Pour un journaliste, le comme tel. Cette définition supposait dans son esprit pied ! la compétence, acquise dans les écoles comme sur le A l’été 1986, il est clair que la majorité de la presse qui terrain, mais aussi l’authenticité : accepter la vérité du était favorable au Besse de PUK lui est redevenue terrain. On trouve ce genre de personnes dans les favorable ; elle peut mesurer les progrès qu’il a faits à mines, l’ingénierie ou la mécanique, des activités qu’il la tête de Renault dans le domaine de la restauration a connues et pratiquées, mais aussi dans les travaux de l’autorité, de la qualité des produits, de la maîtrise publics ou l’offshore. J’ai été un constructeur toute ma des coûts, de l’élagage d’activités secondaires ou vie, dira-t-il. inadéquates dans le contexte économique et psycho- Les étapes de son parcours d’ingénieur sont assez logique qui est celui de Renault à l’époque. Mais par faciles à identifier. Un ingénieur chef de projets, en ailleurs, l’opposition de la presse d’extrême gauche ne charge de projets toujours plus ambitieux, aux faiblit pas, malgré les (ou à cause des) revers subis par constantes de temps différentes, puis un patron de la CGT, et certains journaux ne modèrent pas l’ou- filiale, un chef d’entreprise. Un ingénieur devenant trance de leurs propos. manager, à l’image d’André Citroën plutôt que de Pierre Guillaumat. On pourrait dire, avec Lesourne, qu’il a été comme transfiguré ou transformé (soyons COMMENT DONC DÉFINIR GEORGES BESSE pédant : au sens géométrique du terme) lorsqu’il s’est EN TANT QUE MANAGER ? trouvé en position de patron (22). Besse devint très vite un constructeur, car il fut très vite en position de chef de projet. Cela commença par A la plupart de mes interlocuteurs rencontrés dans le des projets qu’on lui proposa sans qu’il eût à en dis- cadre de mon enquête j’ai posé la question suivante : cuter le bien-fondé ; mais déjà il voyait suffisamment comment définiriez-vous Besse ? Un gestionnaire ? loin pour ajouter à l’activité de constructeur celle de Un stratège ? Un manager professionnel capable, en préparation de l’avenir, mettant en place des équipes mercenaire haut de gamme, de passer d’une activité à dormantes pour être prêt, le moment venu, à d’autres l’autre, du nucléaire à l’aluminium ou à l’automobile, développements. Il continuera par des opérations plus et appliquant à ces secteurs différents les mêmes complexes, auxquels il apportera des contributions recettes comme prétendaient le faire, il y a une ving- personnelles décisives : des intégrations d’activités taine d’années, les patrons de conglomérats assis dans chez Alcatel, la conduite de chantiers de taille excep- leur data room ? Ou encore, un gestionnaire bien tionnelle dans le nucléaire, l’entreprise Cogema à informé de théories savantes et anxieux de ne pas rater créer à partir d’un organisme de recherche et, enfin, le dernier outil de gestion élaboré ? des entreprises à redresser. Je reprends cette énuméra- (Jacques Lesourne, que j’interroge en tant que spécia- tion pour en souligner à nouveau la belle progression. liste de ce sujet, me répond en souriant : « Oh non, Certes, elle aurait pu se prolonger ailleurs, par Besse, ce n’est pas Beffa ou Collomb ! Je lui répondis : exemple par la présidence du groupe Elf (hypothèse Cela peut nous rassurer, il y a donc plusieurs façons de envisagée par certains et sur laquelle Besse eut des devenir de bons patrons ! ») La première réponse qui fait l’unanimité est celle-ci : Besse fut d’abord un ingénieur. Dans son cursus, (22) Conversation avec l’auteur.

44 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 28-51 MarbachManagement:28-51Management27/07/1115:09Page45 l’entreprise. Développant peuàunedimension au soinextrêmedudétailetchantierlavisionde postes cequ’il aapprisdanslesprécédents.Ajoutant responsabilités etenutilisantdanssesnouveaux facettes dumétierdepatron enprogressant dansses ingénieur devenant patron, apprenant lesdiverses sible). Mais sacarrière estcohérente avec celled’un d’un posteministériel(cequejecrois moinsplau- en place)ou,commepourGiraud, parl’occupation sut convaincre Valéry Giscard d’Estaing delegarder conversations introductives… maisAlbinChalandon (Georges Besse).». mutuelle quin’empêchait pasleséclats:l’union delavolonté stratégique(AndréGiraud) etdelacapacitéàréaliser « letandemAndréGiraud –Georges Besse étaitexceptionnel, unbinômecomplémentaire œuvrantdansuneconfiance Cérémonie deremise delamédailled’officier delaLégiond’honneur àGeorges Besse parAndré Giraud. Je nesaispascequ’il retint denoséchangessurla patron del’Anvar etancienresponsable deSofinnova. c’était alorsmondomainedetravail, entantque jour àdéjeunerchezPUKpourparlerinnovation : nel. J’aipeuconnuGeorges Besse, maisilm’invita un Je untémoignageperson- peuxàcepropos apporter ments essentielspourmieuxlestraiter. plifier lesproblèmes, c’est-à-dire d’en extraire lesélé- Retenant desesexpérienceslesoucitoujourssim- ner descollectivitéstoujoursplusnombreuses. humaine quiluipermettradecommanderetd’entraî- RÉALITÉS INDUSTRIELLES © COLL.FONDATION GEORGESBESSE.D.R • AOÛT 2011 45 CHRISTIAN MARBACH 28-51 Marbach Management:28-51 Marbach Management 27/07/11 15:09 Page46

manière de conduire les recherches et les développe- pe (je le reconnais, cette charge contre les marchands ments stratégiques de PUK, mais je me souviens d’études et de diagnostics est sans nuances, mais elle d’être sorti de ce déjeuner avec l’impression d’avoir me semble pouvoir refléter l’opinion de Georges compris avec clarté les défis majeurs auxquels est Besse, qui était pourtant par ailleurs expert pour uti- confronté un producteur d’aluminium. J’aurai beau liser des sociétés d’ingénierie bien contrôlées). Nul être un excellent patron, disait en gros Georges Besse, besoin non plus de demander des états complexes avec si je ne contrôle pas les prix de l’électricité et si je des centaines de paramètres : quelques chiffres-clés dépends trop des cours mondiaux de l’aluminium, je suffisaient, si l’on s’était bien entendu sur leur signifi- n’arriverai à rien. cation. On sait que la vie de Péchiney fut une longue quête Est-ce à cette époque que certains chefs d’entreprise ESQUISSE D’UN PORTRAIT d’une l’électricité bon marché. Après la nationalisa- s’étaient entichés de cette maxime de gestion traduite tion de la production électrique en 1945 (qui se révé- par l’appétissant KISS, Keep it simple and stupid ? Je ne la extrêmement coûteuse pour le groupe et était enco- m’en souviens plus, mais pour Besse simplifier les pro- re, à l’époque de Besse, perçue en interne comme une blèmes et les solutions était tout sauf stupide. spoliation), Péchiney se sent étranglé par le monopo- En tout cas, c’est bien vers cette époque qu’un livre de le d’EDF. Besse obtiendra quelques arrangements à la considérations sur le management devint un best-sel- marge, avec par exemple l’usufruit d’une tranche de ler, traduit en 37 langues et vendu à 13 millions centrale électrique et quelques réductions de tarif. A exemplaires : le manager minute, en version originale : l’occasion de la construction de Dunkerque, plus tard, The one minute manager. Les auteurs en étaient de nouveaux contrats de vente seront signés avec EDF. Spencer Johnson et Kenneth Blanchard, celui-ci étant Et, surtout, le groupe installera des usines à l’étranger, d’ailleurs le créateur et l’animateur d’une société de au Canada, en étroite collaboration avec Hydro conseils qui porte son nom et est spécialisée dans la Québec. gestion et le développement personnel. Auteur proli- On se pose parfois la question : Georges Besse fut-il fique, il devint célèbre avec son livre culte sur le mana- un stratège ? Parfois, on répond Non, réservant par ger minute, que je lus dès sa sortie en France en 1987. exemple à Pierre Guillaumat ou à André Giraud cette Mais sa première édition américaine datait de 1982 et qualification pour le développement de la filière fran- circula très vite en France. Je ne sais pas si Georges çaise du nucléaire. Et il est vrai qu’ils jouèrent les pre- Besse a eu connaissance de cet ouvrage (Madame miers rôles dans ce secteur. Mais Besse sut largement Besse n’en a pour sa part gardé aucun souvenir), ou si contribuer à la vision du groupe et à sa transformation on appela son attention sur certains extraits, mais je en mettant en place Cogema. Et chez Renault, c’est trouve des traits communs chez Besse, le Besse d’avant seulement quand il entrevit la sortie des difficultés 1982 comme celui d’après, et chez le manager idéal qu’il envisagea de lancer des études stratégiques préa- que présente Blanchard… au point de me demander lables à des mouvements ambitieux : la première qui, parmi les collaborateurs de Besse, fit connaître ses réunion de travail de son comité directeur sur ce sujet méthodes à Blanchard ! avait été fixée au 19 novembre 1986. Georges Besse Pour ceux de mes lecteurs qui ne connaissent pas ce fut assassiné le 18. bref opuscule (les mauvais esprits avaient parlé à pro- pos de sa minceur du livre-minute), ou l’ont oublié, ou mieux encore en appliquent les recettes en croyant MANAGER DANS LA SIMPLICITÉ les avoir mises au point eux-mêmes, je rappelle les trois règles de base du manager minute qui ,dans le livre, sont expliquées à un jeune visiteur par le mana- Georges Besse avait des idées simples sur la vocation ger ou ses collaborateurs : savoir définir des objectifs de l’entreprise ; il en avait aussi sur le management. minute ; savoir faire des compliments minute ; et Les divers points traités plus haut à propos de l’entre- savoir exprimer des reproches minute. prise, de ses finances, des relations avec les cadres, des Définir des objectifs minute, c’est-à-dire des objectifs problèmes d’autorité et des organigrammes ramènent que l’on peut résumer sur une feuille de papier de for- tous à cette constatation : Georges Besse recherchait la mat ordinaire sans tricher, sans utiliser une police de simplicité. Un seul patron, une seule hiérarchie, un caractère nécessitant une loupe : pas plus de 250 seul métier, une seule collectivité. Il cherchait à sim- mots, on peut lire et comprendre la page en une plifier les problèmes à traiter, à simplifier les solutions minute. Un tel comportement est évidemment bes- à leur apporter, à simplifier les relations entre services sien, et Besse le pratiqua dès qu’il eut à occuper des et personnes pour les pousser à se consacrer à l’essen- fonctions de chef de projet ou de chantier. Cela ne tiel. Point n’était alors besoin de théories savantes de signifie pas seulement que l’on n’aime pas écrire des gestion. Encore moins de recourir à des sociétés de tartines (nous avons déjà souligné la répugnance de conseils ou d’études vous vendant très cher une pré- Besse pour les exercices d’écriture superflus) ; cela sentation à l’orthographe et à la syntaxe douteuses suppose surtout que l’on sache où l’on veut aller, et après avoir fait perdre des heures à des cadres du grou- que l’on ramène à des définitions simples les objectifs

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à atteindre et les paramètres qui les mesurent. Même l’on compte sur lui, qu’il y arrivera. Blanchard va jus- chose s’il s’agit d’explorer des voies nouvelles. Cela qu’à ritualiser les deux étapes de la réprimande-minu- suppose aussi que le patron sache faire confiance à ses te : on passe un savon, on passe la pommade, et le tout subordonnés en les laissant responsables des moyens à prend une minute en insérant au milieu quelques ins- employer. Fixer des objectifs minute nécessite claire- tants de lourd silence ! Et puis, on passe à autre ment de la considération pour la ligne hiérarchique, et chose… tout en surveillant la suite avec soin. on sait que Besse faisait aussi de cette attitude un Comme dans toutes ses actions, Georges Besse ne impératif. Les responsables de division comme les lâchait pas prise une fois qu’il avait envoyé une lettre directeurs d’usine en témoignaient, et en en tiraient demandant une action correctrice. Il regardait sur ses fierté et satisfactions. fiches de tableau de bord si l’on avait effectivement Savoir exprimer des compliments minute. Autrement porté remède aux insuffisances constatées. Il revenait CHRISTIAN MARBACH dit, savoir dire à un subordonné, qui a atteint ses sans cesse sur le terrain. Le manager minute sait délé- objectifs ou qui a simplement eu une heureuse initia- guer, mais il n’arrête pas de vérifier ! tive dans le cadre de sa mission, que l’on apprécie ses Richard Armand, qui travailla avec Besse chez PUK, a résultats ou ses tentatives, et le faire vite. Tout de suite. témoigné de l’une de ces lettres manuscrites. Un jour, Dans la minute. Par exemple, après une visite dans Besse avait accompagné un ministre au Japon et fut une usine qui s’est bien passée. A la conclusion d’un surpris de l’ignorance de ce ministre à propos d’une projet mené à son terme. A la fin d’un conflit maîtri- activité prometteuse de PUK. Dès son retour, il sé avec intelligence. Au temps de sa période nucléaire, envoya une lettre de reproches à Armand dont dépen- Besse écrivait déjà à ses collaborateurs, mais il fit de dait cette activité : « Le ministre ignore tout de notre cette pratique un outil de management qui a marqué activité de pierres synthétiques, nous nous certains de ses collaborateurs. Philippe Chauvel, qui a débrouillons vraiment comme des manches ! » Ce qui accompagné son patron dans de nombreuses visites frappa Armand, ce n’était pas le reproche : effective- d’usines Renault, selon une liturgie dont il parle enco- ment, il était regrettable que le groupe ne parle pas re avec émotion, m’a montré de très nombreuses davantage d’une activité qui le mettait en valeur ! lettres envoyées par Besse à ses collaborateurs, écrites Mais la formulation collective, cette précaution de de sa belle écriture et formulées avec simplicité : féli- style qui utilisait le nous, était finalement d’une habi- citations, demandes d’informations, insistance pour le délicatesse. Comme le commente Armand : des actions. Le manager minute sait faire savoir ce « Inutile de dire que j’ai immédiatement transformé la qu’il a apprécié. Il le fait très vite : et parfois le subor- première personne du pluriel de la lettre en seconde donné n’en revient pas de voir le patron tellement au personne du singulier ! » (23). courant de ses progrès ! Le manager minute aime par- Il serait vraiment amusant de chercher, dans le com- fois surprendre le collaborateur quand celui-ci fait portement de Georges Besse, ce qui le rapproche du bien son travail : inutile d’attendre la fin de l’exercice manager minute à la sauce blanchardienne. comptable et la liturgie de l’évaluation annuelle. Il sait Evidemment, le soin mis à fixer à son collaborateur (et aussi dire très vite ce qu’il faut améliorer. Blanchard, avec lui) des objectifs précis, puis de le laisser libre des dans son ouvrage, insiste sur l’attitude à adopter lors décisions à prendre pour les atteindre. Mais Blanchard des remontrances, écrites ou orales : ne pas terroriser oublie de dire qu’un manager ne peut exceller dans la en menaçant le coupable de ses foudres, mais bien fixation des objectifs que s’il a une connaissance inti- expliquer que si l’on n’est pas satisfait, mais alors pas me de son métier : cela, Besse en était persuadé. du tout satisfait, d’une erreur commise, on garde Ensuite, le comportement qui consiste à rester proche néanmoins sa confiance à son collaborateur car l’on de ses adjoints, pour savoir où ils en sont, leur dire sait qu’il peut faire mieux. Voilà qui est plus difficile « bravo » (Vous avez fait un sans faute) ou « attention » que de distiller des compliments ! Il est plus difficile (Je ne comprends pas pourquoi on n’a toujours pas réglé pour un entraineur de garder cette retenue devant un ce problème que nous estimons primordial). Enfin gardien qui a fait une faute de main stupide que de (Blanchard met l’accent sur ce point à la fin de son dire instantanément bravo à un attaquant pour un but livre), une attention extrême et prioritaire portée aux marqué avec adresse ! Entre nous, je sais que les individus, leur formation, leur motivation, leur capa- reproches de Georges Besse, parlés ou mimés, man- cité à progresser, à devenir des gagnants (winners !), à quaient parfois de la modération prônée par agir en équipe : la nôtre, Nous. Oui, on peut aujour- Blanchard ; mais je sais aussi que Besse, après avoir d’hui ironiser sur cette approche du management, réalisé qu’il avait exagéré, savait faire le geste qui rame- quand on voit comment l’évolution des critères de nait les choses à une dimension raisonnable. L’utilisation des réprimandes-minute demande donc une grande pondération. La lucidité pour dire vite, et clairement, là où le comportement du collaborateur a été déficient. Mais aussi témoigner une grande (23) Cité par Richard Armand dans l’ouvrage de l’Institut d’Histoire de confiance dans l’individu, pour pouvoir lui dire que l’Entreprise, p. 109.

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jugement des entreprises, à l’extérieur comme à l’inté- unanimement louée sur la place de Paris. Mais je sais rieur, conduit beaucoup de managers, comme de que Besse sut beaucoup apprendre de ce patron, en cadres les mieux intentionnés, à cultiver le culte du particulier dans le domaine de la négociation inter- scepticisme et de l’opportunité. Mais cela n’empêche nationale. Et cela le servit plus tard, dans le nucléaire pas de méditer sur des modèles, et comme le jeune où il sut accompagner et parfois gérer les orientations visiteur qui va consulter le Grand Manager Minute, de Giraud (Iran, Japon), comme chez PUK ou de répéter cette expression reprise dans le livre de Renault. Blanchard en analysant le management selon Besse : Avec Giraud, on arrive à une toute autre sorte de rela- Quel sacré type ! tion. Les deux hommes étaient à peu près du même âge, avaient eu la même formation, et une telle proxi- ESQUISSE D’UN PORTRAIT mité n’était pas forcément synonyme d’harmonie rela- RELATIONS AVEC SES CHEFS tionnelle compte tenu de leur forte personnalité res- pective. Mais le travail en commun se fit dans la durée, au cours d’une longue coexistence, en compli- Beaucoup de patrons, même s’ils sont dotés de la per- cité sur des objectifs à long terme comme sur des déci- sonnalité intégrant tous les chromosomes du chef, sions prises au jour le jour… même si cette conniven- savent tirer profit des leçons apprises de leurs supé- ce n’empêchait pas des discussions souvent vives qui rieurs. Quid de Georges Besse ? La liste de ses patrons pouvaient se terminer, pour Besse, par ces mots qui est vite faite. Il passa trop peu de temps à Béthune exprimaient à la fois ses réserves et sa loyauté : C’est toi pour que son ingénieur en chef puisse avoir une quel- le patron ! C’est sans doute d’abord à lui que pensait conque influence sur son comportement, étant tout Besse quand il expliqua un jour : J’ai dû être un subor- de suite sollicité par Pierre Guillaumat pour prendre donné insupportable ! Pour Jacquelin Ramé, témoin en charge la préparation et la construction de la cen- journalier de cette collaboration, le tandem André trale de Pierrelatte en bénéficiant d’une très large Giraud – Georges Besse était exceptionnel, un binô- autonomie. Ensuite, c’est Richard Baumgartner qui me complémentaire œuvrant dans une confiance l’invita à rejoindre le groupe CGE avant qu’André mutuelle qui n’empêchait pas les éclats : l’union de la Giraud ne le rappelle dans le nucléaire... et que le gou- volonté stratégique (André Giraud) et de la capacité à vernement ne lui confie le redressement d’entreprises réaliser (Georges Besse). Mais si Giraud était un nationales. patron pour Besse, il n’était pas un modèle. Pierre Guillaumat a toujours impressionné mon mari, Guillaumat et Baumgartner étaient, eux, des modèles. par son charisme, son sens de l’Etat, aigu ; son pragma- (J’ai dû être un subordonné insupportable. Quand un tisme. Par ces mots, Françoise Besse définit aussi son chef comme Besse parle de ses relations avec ses chefs, mari. Guillaumat correspondait à l’idéal profession- du temps où il n’en était pas un, il laisse aussi entendre nel que Besse était en train de se forger pour lui- ce qu’il attend de ses collaborateurs. Soyez francs et même, il incarnait ce qu’il espérait devenir. Il dira directs pour me donner votre avis). plus tard en public à Guillaumat avoir basculé dans le Remarquons au passage que Georges Besse n’a pas été nucléaire après un entretien de cinq minutes dans nommé à la tête du CEA et de la Cogema pour des son bureau, sans l’avoir voulu : « J’étais à la fois raisons politiques : au demeurant, les seules raisons amusé et un peu furieux ! Je ne me croyais pas spé- politiques ne suffiraient pas pour occuper un tel cialement timide, mais je suis resté sans voix devant poste, le sens de l’Etat porté par des pouvoirs publics la volonté que vous représentiez » (Il y a eu aussi bien de tendances politiques opposées l’empêcherait. des collaborateurs de Besse restés sans voix devant la Quand il fut nommé à la tête de PUK, était-ce pour volonté qu’il représentait !). Mais derrière ces mots, il des raisons politiques ? Rien ne permet de le dire. faut voir l’admiration devant un incontestable modè- Georges Besse a toujours affiché son loyalisme vis-à- le, un sentiment que de nombreux ingénieurs des vis de l’Etat, et donc du résultat d’élections démocra- Mines ont partagé face à Guillaumat, et une réelle tiques. Etait-il de gauche ? Inutile de répondre à cette reconnaissance pour quelqu’un qui sut le repérer et question. Quand Mitterrand et Fabius se trouvèrent lui donner sa chance. confrontés au problème Renault, ils savaient qu’il fal- (Quand Besse fut promu au rang de commandeur lait diminuer les effectifs ; valait-il mieux pour eux dans l’Ordre national du Mérite, il demanda à nommer à cet effet un PDG catalogué de gauche ou Guillaumat de lui remettre cette décoration : de tels de droite ? Ils savaient aussi que ce serait l’occasion de gestes ont toujours une signification en témoignant conflits avec la CGT et le PC, et ils n’en étaient sans d’affinités plus encore que d’habiletés. Et quand doute pas malheureux… à condition de gagner. Mais Guillaumat apprit devant sa télévision l’assassinat de dans de telles conditions, c’est plus la personnalité du Besse, il se mit à pleurer en criant : Oh non, pas lui !). patron qui comptait que son étiquette. Pour Louis J’ai plus de mal à commenter les sentiments de Schweitzer, alors directeur de cabinet à Matignon, il Georges Besse face à Richard Baumgartner, que je n’y avait qu’un homme pour redresser Renault, Georges n’ai pas connu et dont l’action n’était pas toujours Besse.

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se faire violence (c’est le moins que l’on puisse dire), RELATIONS AVEC L’ETAT et il acquit assez vite bien des réflexes des patrons du privé. Besse aurait-il su faire de même ? Raymond Ce que Besse partageait certainement avec Lévy n’en est pas persuadé ; il considère que Besse Guillaumat et Giraud, c’était le sens de l’Etat, et il put n’était pas un dirigeant traditionnel d’entreprise pri- le prouver tout au long de sa carrière. Il sut servir vée et préférait sans ambigüité le service de l’Etat (25). l’Etat actionnaire en gérant son patrimoine avec Besse cultivait le patriotisme industriel et avait renfor- sérieux et honnêteté. Fabius : « Si Besse n’avait pas la cé ses convictions dans le nucléaire, qui lui semblait religion des nationalisations, il en était ardemment apporter l’indépendance énergétique (la même obser- pratiquant » (24). Sa relation avec des actionnaires vation vaut pour le secteur pétrolier, où il aurait aussi n’est donc pas celle d’un patron du CAC 40, mais pu œuvrer) et la puissance militaire. Pour l’aluminium CHRISTIAN MARBACH celle d’un responsable d’entreprise nationale encadré et l’automobile, c’est d’abord l’aspect financier et la par un statut spécifique. L’Etat était son seul action- remise en ordre qui lui semblaient essentiels, mais cela naire, mais négocier avec lui n’est pas toujours facile, ne l’empêchait pas d’y voir planté le drapeau de son car il joue bien d’autres rôles que celui de simple pays. Question intéressante, bien qu’un peu vaine : actionnaire. Besse sut le faire avec habileté ; on peut quels auraient été son comportement et son désir dans l’illustrer par des anecdotes ou des exemples, mais un système plus mondialisé, libéralisé ? Se serait-il c’est surtout la continuité de son action qui en coulé dedans avec toute la maîtrise qui pouvait être la témoigne. sienne, ou aurait-il cherché à trouver des fonctions Au demeurant, il était persuadé de la légitimité de privilégiant le service de l’Etat et/ou de l’Europe ? l’action de l’Etat dans le domaine nucléaire comme (une Europe dont il appréciait qu’elle ait apporté la plus généralement de son rôle de garant du bien paix sur le continent, mais avec laquelle, en tant que public. Besse était clairement un patriote, un républi- patron, il tenait à garder ses distances.) cain (expressions utilisées par Jean-Pierre Chevènement) et croyait à l’Etat. Mais cela n’interdit pas de l’informer avec habileté et d’obtenir son sou- LES DIX COMMANDEMENTS SELON FABIUS. tien. Besse habile ? Certes. Habile avec le personnel au tra- vers de la vérité du discours et de la cohérence des Dans sa belle intervention au colloque historique de actes. Habile avec le pouvoir dont il était proche par 1996, Laurent Fabius s’essaya à définir les dix com- obligation. Habile dans sa familiarité avec l’appareil mandements du management selon Besse. Les voici de l’Etat : connaissant l’envie de reconnaissance des (26) : fonctionnaires et des membres de cabinet, il n’hésitait – Améliorer la qualité ; pas à aller les voir pour un problème qu’ils avaient à – Simplifier l’organisation ; traiter, même si leur positionnement était subalterne. – Moderniser l’appareil de production ; Et il savait où s’informer, où convaincre. – Recentrer les activités car il n’y a aucune plus-value à Dans l’entretien Delgado, Besse affirme pourtant haut l’incohérence ; et fort : L’industrie n’est pas un problème politique. Il en – Mais développer les produits ; était certainement persuadé pour Péchiney ou – Sacrifier le prestigieux car on ne pavoise pas lorsque Renault, s’écartant dans ce dernier cas de tous ceux l’on perd de l’argent ; qui auraient voulu continuer à privilégier la dimen- – Chercher des alliances ; sion politique du dossier, mais il ne le pensait évi- – Diminuer les dettes et supprimer les incinérateurs à demment pas pour le nucléaire. Et, dans toutes ses cash flow (ces gaspillages qui le mettaient en colère) ; positions, il sut demander à l’appareil d’Etat de l’ai- – Considérer le progrès social, l’innovation technologique der : les ambassadeurs et les services de la France à et le résultat économique comme un seul et même indi- l’étranger ; le Trésor et les pseudo-procédés de défai- cateur ; sance étatique pour reprendre les activités sorties des – Enfin, redonner une identité à l’entreprise. périmètres de PUK et (un peu) de Renault ; les pro- Je partage à peu près toutes ces convictions et consta- cédures sociales de retraite anticipée pour traiter sans tations, tout en ayant insisté dans ma propre analyse drames excessifs les suppressions d’emploi ; les outils sur les unes plutôt que sur les autres, mais je pense que d’aménagement du territoire pour inciter à l’implan- Besse aurait levé les yeux au ciel en entendant afficher tation de nouvelles activités là où celles des groupes qu’il dirigeait s’effaçaient. Un bon manager a aussi l’habileté de transférer à d’autres certaines charges. A l’inverse, aurait-il su privatiser ? Un Schweitzer, (24) Cité dans l’ouvrage de l’Institut de l’Histoire de l’Industrie, p. 197. après avoir servi un gouvernement socialiste avec une (25) Conversation avec l’auteur. totale adhésion personnelle, puis une entreprise natio- nale, a privatisé cette dernière... sans sembler vraiment (26) Livre IHI, p. 199.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 49 28-51 MarbachManagement:28-51Management27/07/1115:09Page50 50 ESQUISSE D’UN PORTRAIT enfants :c’est auXIX des loisirsouvriers,ouencore desécolespourleurs Etre social,cen’est passepréoccuperdulogementou Pour Besse, cetteexplicationtenaitàlaconjoncture. une explicationdetexte! tion en1996,quesonaffirmationméritaitaumoins objectifs devait savoir, quandilfitcettecommunica- une lettre fixantàHanon précisémentlesmêmes 1984, quelquesmoisavant d’appeler Besse ausecours, sans hiérarchisation. Mais Fabius, quiavait signéen nalisées en1982selancedanscesvœuxpieuxaffichés aux nouveaux PDGdesentreprises fraîchementnatio- mique !Passe encore quelalettre demissionremise social, l’innovation technologiqueetlerésultatécono- mixte (avec unseuletmêmeindicateur!),leprogrès dans unmêmeélan,autitre duneuvièmeobjectif RÉALITÉS INDUSTRIELLES pour multiplierpardixouvingtsarémunération. dité maladive sanssedépartirpourautantd’unearrogancetranquille surcesujet,profitédesprivatisations sonnelle. Maisjesuisaussiprêtàparierqu’iln’aurait pas,commetantd’autrespatronssaisisparuneavi- moins. Demême,ilavait demandé,enentrant chez Renault,une mait desresponsabilitésénormes,paiemoinsqu’unefilialed’Alcatel;s’illedisait,ill’acceptaitnéan- comme tropsouvent aujourd’hui.Certes,iltrouvait anormalqueCogema,entreprised’Etat,oùilassu- prises, maisdesonopinionsurcequedevait êtrelejustesalairepourundirigeant:toutsaufdélirant gent. Je neparlepasicidesaconstanteattentionàlamaîtrisedescoûtsetauxgaspillagesdanslesentre- En appendiceauxnotationsquiprécèdent,jevais évoquer brièvement lerapport deGeorgesBesse àl’ar- Georges Besseetlesalaire desPDG tain ;etmême,ilaurait suimprimeràlaparfoisdérisoireliturgiedes d’entreprise d’Etatetqu’ilsavait comparerauxconcurrents,ilaurait suprivatiser, j’en suisàpeuprèscer- de critèresfinanciers.MaispourRenault,qu’ilessayait desoustraire àsonstatutparfoisirresponsable pour lepays etsasécurité.Jamais iln’aurait laissélenucléairesefrotterauxrisquesetàladomination condition qu’ilnes’agissepasd’uneentrepriseagissantdansunsecteurconsidérait commevital comment ilaurait procédé.Pour mapart,jesuisprêtàparierqu’ilaurait réponduparl’affirmative, à nous nesauronsjamaissiBesseaurait acceptédeprivatiser uneentreprised’Etatet,dansl’affirmative, se demandercequ’auraient faitlesindividus dansdessituationsqu’ilsn’ontpaseuàconnaître. Aussi, • AOÛT 2011 e siècle quedespatrons endos- un patron socialdanstelleoucirconstance ? quoi, unpatron social?Et commentpeutetdoitagir patron social?Il faudrait d’abord répondre :c’est comme desautres. Alaquestion:Besse fut-ilun la cohérence nécessaire desuns auxcomportements de cettetaille).Une foisdeplus,onpeutdiscourirsur (comme ilesthabituelaujourd’hui, pourunesociété ration égaleà200foisleSMIC,voire davantage le SMICquepourunpatron percevant unerémuné- époque, danscetyped’entreprise) étaitégaleà20fois de tenirpourunpatron dontlarémunération(àcette ouvriers deRenault, undiscoursqu’il étaitplusfacile reste viable!C’estcediscoursqu’il tiendraaux être social,c’était d’abord s’assurer quel’entreprise àdescitésidéales.Pourréfléchissant parfois Besse, saient cetypedeproblèmes maltraitésparl’Etat en retraite-chapeau road shows road . Ilesttoujoursvain de une tonalitétrèsper- 28-51 MarbachManagement:28-51Management27/07/1115:09Page51 juste dedirequedansbiendescas,leschoses semirentpeuàd’aplomb,que Ce pointdelaconfidentialitén’estévoqué iciqueparce queBesseeutàengérerdesdérives. Maisilest bien lesconsultersurdossiersimportants! gument delalégitimitéélective :sinousavons àrépondredenosactesdevant nosélecteurs,ilnousfaut qu’on nelecroit.Caràl’argumentdeconfidentialiténécessaire,laCGTmiseencauseréponditparl’ar- électeurs. Besses’yemploya chez Renault,déclenchant unequerelleintéressante,moinsfacileàjuger suivre lavoie juridiquelorsquedesreprésentantsdupersonnelsemirentàdiffuserdossiersleurs laissa entendrequ’ilenusait,cequiétaitunesortededissuasiondouce.D’autresencoretentèrent d’identifier le(oules)destinataire(s)indélicat(s):GeorgesBessesutuserdecestratagème, oudumoins saient desmarqueurs,apposantsurchaque exemplairedistribuédessignesdistinctifsdevant permettre tribuaient aucundossier:jepourrais citerdesnoms…D’autres,espérant suivre lesfuitesàlatrace, lais- Pour s’assurerdelaconfidentialitédesadministrateurs, chaque PDGtestaitdesméthodes.Certainsnedis- certains cas,ledevoir desadministrateurs étaitdesetaire. personnel queleconseild’administration neseconfondaitpasavec lecomitéd’entrepriseetque,dans ner lesétatsd’âmedesP.Q., encultivant leuramicalecomplicité. Savoir convaincre lesreprésentantsdu de s’assurerquetouslesfonctionnairesétaientbieninforméscesarbitrages préalables.Savoir démi- régler paranticipationlesrelationsavec l’Etat,enintervenant souvent auniveau ministériel,sansoublier teur danscertainesentreprises(27),etl’acteur-président dansd’autres,desétablissementspublics.Savoir Pour chaque PDG,gérersonconseilfutunexercice d’ungenreparticulier. J’enfusletémoin-administra- ministration nesoitfermementinvité àleproposeraugouvernement pournomination. PDG :carlefuturpressentipargouvernement faisaitpartiedesP.Q. avant queleconseil d’ad- firent pasd’effortsdémesuréspourêtresystématiquementprésentset/ouutiles.Sauf,biensûr, le de leurcontributionleconseil;d’autres,aucontraire, s’apercevant trèsvitedeleurpeud’influence,ne présence, certainsdecesacteursconsciencieuxsedonnaientdumalpourétudierlesdossiersetéclairer alliances technologiques), lesbonnesmanièresetaffinitéspolitiques.Mêmeenl’absencedejetons conflits d’intérêt!),celledestechnologies misesenœuvre(pouvant parfoisdéboucher surd’heureuses mées parlegouvernement selondescritèresmêlantlaconnaissancedusecteur(maisattentionaux personnelle detenirleconseild’administration del’entreprise publiquequ’il dirigeait. (27) Sans vouloir donnerplusd’explications, jepeuxdire quelesprésidentsGandois, Gomez, Haberer etLévyavaientmanière chacunune très blèmes posésparcetteloiselimitèrentbientôt,avec desvariantes, auxseulsétablissementspublics. et qu’avec lesprivatisations decertainesentreprisesnationaleset lafinéconomiqued’autres,lespro- exista assezsouvent, quandl’intelligencedessituationssutêtrecomprise etvécuepartoutlemonde… ral àl’und’entreeuxlesoindedonner Du côtédesfonctionnaires,nommésàpartirduvivier desdirecteursd’administration etlaissantengéné- nouveau système. après propositionduconseild’administration, ils’agitalorsdeprendresesmarquesetd’apprivoiser le cun desnouveaux administrateurs, etenpremierlieupourlespatronsnommésConseildesministres général sixreprésentantsdel’Etat,dupersonneletpersonnalitésqualifiées.Pour cha- tion tripartitesdanslesentreprisesnationalesetétablissementspublics.Cesconseilsréunissaienten Avec laloidedémocratisation dusecteurpublicde1982furentmisenplace des conseilsd’administra- Relations deGeorgesBesseavec lesconseilsd’administration Quant aux points inscritsàl’ordredujour, aurisqued’oubliertouteexigencedediscrétion. du ressortdecelui-ci.Etcelapouvait aussiparfoislespousseràprendretémointoutlepersonnelde cela pouvait aussilesinciteràévoquer auseinduconseildes problèmesoudesconflitsquin’étaientpas Cela leurdonnaitunereprésentativité évidenteetdesresponsabilitésàl’égarddeleursélecteurs.Mais Du côtédupersonnel,lesreprésentantsétaientélusparsalariés,etnondésignéssyndicats. la questionveille avec leurministreoul’Elysée,aucoursd’undiner! PDG soulignerlecaractère inopportundesquestionsposées,danslamesureoùlui-mêmeavait évoqué auraient dûêtreréglésbienavant ;ouencoreparfois,hélas,d’avoir ladésagréablesurprised’entendrele la miseaujour, devant témoins,dedésaccordsentredépartementsministériels,desqui relayer lapositiondeleurtutelleousignalercelleministère-cequin’évitaitpaspourautant personnalités qualifiées personnalités , évidemmentviteaffubléesdusobriquetdeP.Q., ellesétaientnom- tempo , laprésenceauxconseilsétaitsouvent unefaçonde RÉALITÉS INDUSTRIELLES l’affectio societatis l’affectio • AOÛT 2011 51 CHRISTIAN MARBACH 52-59 Marbach PUK:52-59 Marbach PUK 27/07/11 15:10 Page52

Georges Besse arrive chez PUK : lisons la presse* ! ESQUISSE Ce texte a été rédigé à partir de la lecture d’un dossier comprenant tous les articles de presse parus la semaine qui a suivi les nomina- tions par le gouvernement, en 1982, des futurs PDG des entreprises D’UN PORTRAIT nouvellement nationalisées. Il s’agit donc d’une sorte d’exercice à figures imposées : écrire un texte de nature historique en n’utilisant que les articles de journaux de cette semaine particulière pour dres- ser le portrait de Georges Besse, tel que la presse le voyait à ce moment-là. Evidemment, cette règle du jeu n’a pas été respectée à la lettre. Je connais en effet trop de choses sur les acteurs et sur les événements de cette époque pour m’effacer tout à fait derrière les écrits des journalistes et je n’ai pas pu oublier, en écrivant, tous les com- mentaires que m’ont faits des personnes interrogées par ailleurs sur le Georges Besse d’alors. Je n’ai pas non plus oublié ce qui s’est passé plus tard : l’historien, même non professionnel, a sur le journaliste des quotidiens de 1982 l’avantage de connaître la suite des événements ! J’ai pourtant essayé, dans les lignes qui suivent, de bien marquer, par exemple typogra- phiquement, ce qui est effectivement de la plume des journalistes et ce qui relève du commen taire.

par Christian MARBACH**

8 février 1982 : l’Etat nomme les futurs prési- entreprises sidérurgiques relevant déjà de l’Etat pour dents des entreprises qui viennent d’être natio- cause de difficultés gravissimes, cinq groupes indus- 1 nalisées. François Mitterrand a en effet signé, le triels privés supplémentaires appartiennent désormais 11 février 1982, l’acte de promulgation de la loi de à 100 % à la puissance publique. Et il s’agit de dési- nationalisation qui faisait partie de son programme de gner leurs responsables. candidat à l’élection présidentielle. Malgré des escar- mouches parlementaires, la saisine du Conseil consti- tutionnel, des discussions médiatiques, des interven- * Dans cet article, les citations de journaux sont présentées « entre guille- tions variées, des tribunes libres (et d’autres qui le mets », les titres étant donnés en caractères gras. furent bien moins), c’est donc fait : en plus des entre- ** X 56, membre de l’Académie des technologies, membre du conseil de prises industrielles du secteur de l’énergie et des deux surveillance de Lagardère SCA, président d’honneur de la Sabix.

52 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 52-59 MarbachPUK:52-59PUK27/07/1115:10Page53 Rhône-Poulenc, deSaint-Gobain et de Thomson fut d’Electricité, dePéchiney-Ugine-Kuhlmann, de le 18février1982àlatêtedeCompagnieGénérale cueil faitparlapresse auxcinqresponsables nommés décisions, desesbonssentimentsàleurégard), l’ac- d’entre euxsedisaient encore assurés,laveille des unseuldesprésidents, alors quecertains à conserver banques, pourlesquellesJacques Delors neréussitpas avec lenettoyage intégralquiprévalut dansles déjà enplace(unedécisionquicontrastaitfortement maintenir deuxprésidentsdesociétésindustrielles convaincre François Mitterrand qu’il convenait de Comme, parailleurs,Pierre Dreyfus avait réussià à créerdesleurres qu’à peserlescapacitésdechacun. laissant entendre, leministre s’était davantage attaché qu’en recevant denombreuses personnalitésetenle rant »,La Vie Française, 22février).Elles montraient Georges Besse). («Legouvernement s’est voulu rassu- moins trois surlescinqprononcées (dontcellede Elles semblaientraisonnables,voire évidentes,pourau ment. («Ouf !»,confieuncadre dePUKauPoint). général accueilliesfavorablement ouavec soulage- ministre del’Industrie, Pierre Dreyfus, furent en trielles »décidéesparl’Elysée surlaproposition du re financière, autantlescinqnominations«indus- tante desimpétrantsqu’à leurscompétencesenmatiè- nombre dejournalistesdavantage àlacapacitémili- avec surprise, sinonavec sarcasmes, etattribuéespar des nominationsàlatêtedebanquesfurent accueillies cependant d’en résumerl’essentiel. Autant certaines difficiles etcontestés,ilconvient des arbitragesparfois Président delaRépubliqueetlegouvernement après cice d’évaluation desdécisions prisesalorsparle été contrôlée…)niselancertoutdesuitedansl’exer- gresse, desépisodesdontonespère quelavéracitéa févrierva-t-il raconter, allé- nonsansunecertaine 20 par lemenu(ainsi,LeNouvel du Observateur journauxessaientdereconstituer1982) quecertains cents etdeuxcentcinquante…»,LePoint, 22février (« Des candidats,ilyeneut,assurément:entre deux Sans entrer dansledétailduballetdesprétendants prendre lesrênes. sur leshommesetfemmesquiseraientappelésàen d’une vision?),niqu’elle sesoitégalementinterrogée une vraiestratégie,oubiendansl’attente désespérée étaient-elles enbonneforme?En quasi-faillite?Avec tives desdiverses sociétésencause(celles-ci naliser ?», autourdelaquestion «Pourquoiment couvert natio- non seulementsurledébatfondamentaldéjàlarge- n’était doncpasétonnantquelapresse sesoitpenchée quarantaine depostesétaientalorsàpourvoir. Il celles dusecteurénergétique.Faisons l’addition :une tionnement detoutescesentreprises, ainsiquede que laloidenationalisationfixaitlesrèglesfonc- propriété dequelquesdizainesbanquesprivées,et souviendront àl’Etat quelamêmeloiavait apporté la Les familiersdel’histoire del’économie françaisese mais égalementsurlessituationsrespec- quante-quatre ans,cepolytechnicien(entré49 cable. Décisionréfléchie,prise,riennel’arrête. Acin- Imperturbable. Georges Besse esttoutaussiimpla- « cité : palme d’or decefestival, parsonstyleetsaperspica- que jeverrais bienfigurer parmilescandidatsàla desEchos (18février) Commençons parunarticle etd’enarticles citerdesextraits. Voici venu lemomentdeparcourir ensembleces extraordinaire surlapersonnalitédeGeorges Besse. té detonbienvenue, ainsiqued’une unitédevues lecture demondossierpresse témoigned’une liber- semaines quiprécédèrent cesnominations.Mais la avaient échafaudés etdistillésavec soinpendantles rédiger etdephotocopier, ou(pourquoi pas?)qu’ils més (quandceux-ciendisposaient)s’étaient hâtésde ceux queles«communicants»desprésidentsnom- dossiers depresse préparésparlesministères, ousur nalités nommées.D’autres ontpus’appuyer surles unerelationparfois, personnelleavec unedesperson- propres dossiers,leursréseauxdeconnaissances,voire, spécialistes dusecteuravaient évidemmentleurs De quelles sources disposaientlesjournalistes?Les et PUK(quelsproblèmes va-t-il yrencontrer ?) la Cogema(quellesyfurent sacarrière etsonœuvre ?) suels. Cesécritsconcernentd’abord Besse, maisaussi pour cequiconcerneleshebdomadaires etlesmen- février 1982danslesquotidiens,oujusqu’au 5mars presse entre decetteépoque,parus le18et25 de desarticles cette questionuniquementàpartir bien voulu meconfier. J’aidoncessayéderépondre à par Péchineyàcetteoccasion,queMadame Besse a voir travailler surle dossierdepresse completpréparé (Comme jel’ai déjà souligné,j’aieulachancedepou- jusqu’alors leprésidentdelaCogema? occasion, dunouveau patron dePUK,quiavait été lapressemaintenant :quelportrait fit-elleàcette à latêtedePUK.C’estcequoijevais m’intéresser fait parlapresse àGeorges Besse, aprèssanomination d’ensemble pourcomprendre latonalitédel’accueil Il étaitnécessaire dedresser enpréambulecetableau Besse, nuln’en doute). disons toutdesuitequ’en cequiconcerne Georges de cesentreprises. Nous yreviendrons plusloin,mais leurnominationàlatête accueil flatteuret(surtout) Poulenc) justifiaientcet etAlainGomez (Thomson) Fauroux (Saint-Gobain), Jean Gandois (Rhône- Kuhlmann), Jean-Pierre Brunet (CGE),Roger les bilansdeGeorges Besse (Péchiney-Ugine- (Aujourd’hui, en2011,ilseraitintéressant devoir si Mitterrand. économique desdébutsdupremier septennat lisations ou,plusglobalement,opposésàlapolitique positif, mêmedansdesjournauxhostilesauxnationa- sorti 2 sorti poursuit enrésumantlesresponsabilités deBesse dans grands travaux, del’intérêt national…»Et l’article Georges Besse. Un bâtisseur. e ) estdelaracedesbâtisseurs.L’homme des RÉALITÉS INDUSTRIELLES • Un roc. Un AOÛT 2011 e et 53 CHRISTIAN MARBACH 52-59 MarbachPUK:52-59PUK27/07/1115:10Page54 54 ESQUISSE D’UN PORTRAIT les administrateurs généraux nouvellement nommés. Article duNouvel Economiste du8mars 1982. septennat Mitterrand ».Le23février1982,Pierre Mauroy posentsurleperron etsongouvernement del’hôtel Matignon avec des journauxhostilesauxnationalisationsou,plusglobalement, opposésàlapolitiqueéconomiquedesdébutsdupremier d’Electricité, dePéchiney-Ugine-Kuhlmann, deRhône-Poulenc, deSaint-Gobain etde Thomson futpositif, mêmedans « L’accueil faitparlapresse auxcinqresponsables nommésle18février1982àlatêtedeCompagnieGénérale sérieux del’aluminium. Du punch,delarondeur et pas être unenfantdechœur, danslemondetrès tés pourprésiderauxdestinéesdePUK.Carilnefaut international desmatières premières. Autant dequali- mécanique desusinesetauxsubtilitésdumarché le nucléaire, avant deconclure :«Il estrompu àla RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 se cache derrière les initiales de la signature (J.J.), le se cachederrière lesinitiales delasignature (J.J.), l’analyse commedanslestyle.Sans mêmesavoir qui journalistessaventOui, être certains excellents dans républicain ». Clermontois n’en manquepas.Non plusquedesens de lafroideur devant lesgrandesbatailles,ce 52-59 MarbachPUK:52-59PUK27/07/1115:10Page55 double jeudemots».Le encore :«ChezPUK,onl’appelait Monsieur X, aucorpsdesMines.son appartenance Pour LePoint, fait mentiondesaformationpolytechnicienneet Presque duMonde partout, à Valeurs Actuelles, ilsera les Echos. reprendre lesdiverses caractéristiquesévoquées dans ou moinsdenuances,lesautres vont articles à PUK.Au demeurant,nousallonsvoir qu’avec plus raison, mêmes’il nesaitpasencore ceque Besse fera lecteur aenviedefaire ;ilaura confianceàceportrait nuclear industry ».L’Expansionnuclear industry lequalifiede and heplayed akeyrole indeveloping thecountry’s prestigious engineeringschool,theEcole Polytechnique, The sonofalaborer, Mr. Besse isagraduate ofFrance’s “PUK goestoGeorges Besse, whopreviously ran Cogema. (que de pertes !)àsonsuccesseur.(que depertes Il s’est attachéàfaire précédentes, alorsqu’il auraitpulaissercettecorvée de PUKàlami-janvier, commeillefaisait lesannées rer jusqu’à plussoif. Il atenuàprésenterlescomptes à modifierlesstatutsdesonentreprise pourydemeu- sans avoir cherché, commetantd’autres responsables, d’ailleurs, ilavait presque atteint l’âge dela retraite serait paslepatron d’une entreprise nationaliséeet, pour nepasêtre souligné.Il avait toujoursditqu’il ne vail desonsuccesseur. Cetyped’attitude esttrop rare Philippe demanièreThomas estparti àfaciliterle tra- (Il n’est pasinutileàcepropos dementionnerque roses ». février),«cegrandbâtisseuraimecultiver les Pour LeNouvel Economiste aussi, (22 ?”». truc Comment ?Quand ?Çacoûtecombien,votre genre àdire, quandonluisoumetundossier: de lacampagne,doncunhommeduconcret. Du comme ondit.Mais aussisimple,vrai.“Un homme décalages horaires, ilneconnaîtpas”. Apoigne, puissance detravail !Lui quivoyage, croyez-moi, les sa force, dit admiratifundesescollaborateurs.Quelle puissante carrure impressionne. “Son charisme,c’est Touraine, ilalui-mêmefaitbeaucoupdechoses.Sa heures perdues. Dans samaisondecampagne, en Auvergnat massif, unpeuourset…bricoleuràses policé,ennemi del’informationprudent, succède un rent contraire :«Au grandbourgeoisparisien,retenu, facile defaire sil’on unportrait disposedesonappa- aussi surlecontrastedespersonnalités,carilestplus M. Philippe Thomas ».LePoint (22février)jouelui PDG vadesonprédécesseur, trancher avec laréserve l’humour, histoire depréciser:«Lestyledunouveau rondeur la métaphore duroc traits desoncaractère,La miseenavant decertains et de «pilierdanslesjuniorsl’AS Montferrandaise ». Matin (17février)ajoute queBesse aoccupéleposte ouvrière »(LeNouvel Economiste, 22février).Le le :«Auvergnat, ilestnéen1927dansunefamille mention desonorigineprovinciale familia- etparfois nicien dechoc.Sera égalementreprise enbouclela et aupunch , LeNouvel Economiste ajoute sont égalementfréquentes.Ala New York Times en rajoute: polytech- de ler lescitations,ilconvient aussidenoterque,fort réussite »(22février).Sans qu’il soitutiled’accumu- Economiste, «sil’on ceseradéjàune réduitlespertes, nuits blanchesetdufilàretordre ». Pour LeNouvel (18 février),lachimiedePUKva rations nouveaux patrons aigus que Besse estnommé« février).En titre, LeMatin (18février) indique 16 (LeQuotidien deParis, spéciaux etdelachimie» avec lesdéficits enregistrés danslessecteursdesaciers « rodé aux problèmes dematières premières » le. Pour LeMatin (17février),«Besse estunfonceur, re, latonalitégénéraleestclaire :oui,celaseradiffici- toire desoupesersonaptitudeàlesaffronter. Làenco- souvent la nature desdifficultésquil’attendent, his- Au dunouvel arrivant, portrait lapresse associetrès sion totaledecetteéquipeàl’ensemble desesvues). d’êtrecertain payélargementenretour paruneadhé- de vuesavec l’équipe dirigeante dePUKsurcedossier, argument, uneautre logique,celledelacommunauté Besse privilégia avec pragmatismeethabiletéunautre guer labranchenon-aluminiumchezPUK.Mais Cogema, cequifiniraparsefaire, etaussipouréla- rassembler touteslesactivitésdelafilière chez Evidemment, ilyavait desargumentssolidespour d’abord, lapositiondesanouvelle maison. deux desupposerqueBesse nedéfendraitpas, pensée dunouveau patron dePUK,ilétaitplushasar- possible conflitdedoctrine(sinond’intérêt) dansla moins. S’ilétaitjudicieuxdemettre l’accent surun perspicaces,parfois (Les journalistessontparfois mars). étaitleprésident» (L’Expansion,ironie dusort, 5/18 rait être rachetéeparlaCogema,dontGeorges Besse, taire (pourPUK),saseuleactivitébénéficiaire pour- durementparfois avec PUK:«Handicap supplémen- collaborateurs deBesse àCogema,quinégociaient s’amusent, commed’ailleurs lefirent toutdesuiteles ceux dePUK,etlesplusattentifss’interrogent ou convergences entrecertaines lemétierdeCogemaet entre luietGiraud. Lesjournauxfontaussiétatde la communautédevuesentre Besse etGuillaumat ou Les Echos ouLeMonde, c’est l’occasion derevenir sur Besse “isnicknamedMrUranium” Matin (17février). Pour leFinancial Times nucléaire, «n’en déplaiseauxécologistes»,préciseLe nomination, parlentdesonincontestableréussite dans l’exposé dela carrière deGeorges Besse avant sa Evidemment, mêmelesplusconcis touslesarticles, dans unemaisoncommePUKqued’autres…). de saprésidence(c’était sansdouteplusfacileàfaire tourne etquel’ordre règnejusqu’à ladernière minute des cadres loyalistes, quelamaison ilafaitensorte directeur, pourluisouhaiterlabienvenue. Et, aidépar l’ouverture delaréuniond’accueil deBesse aucomité une tâchedifficileattendlefuturPDGdePUK, .Et faisantlalistedes« ». auxquelles ilseraconfronté. Pour LesEchos », LeMatin insistesurles RÉALITÉS INDUSTRIELLES pour réglerdesproblèmes canards boiteuxdes « luiprocurer des (18 février).Pour • , Georges AOÛT 2011 restructu- . Mais 55 CHRISTIAN MARBACH 52-59 Marbach PUK:52-59 Marbach PUK 27/07/11 15:10 Page56

répond sans nuances en titrant à propos de la récep- tion des PDG par le Premier ministre : « Et les PDG roses firent leur entrée à Matignon » (24 février). Plusieurs journaux insistent sur le rôle que jouait au CERES un proche de Jean-Pierre Chevènement, Alain Gomez, « une étoile (montante) du socialisme », pour L’Expansion, allant parfois jusqu’à affirmer que c’était d’abord cette qualité qui avait motivé sa nomi- nation. Mais Valeurs Actuelles (22 février) sait donner la parole à l’ancien ministre des Finances de Valéry ESQUISSE D’UN PORTRAIT Giscard d’Estaing, Jean-Pierre Fourcade : « Je donne acte au gouvernement que la nomination des diri- geants des entreprises nationalisées s’est orientée plu- tôt vers des hommes compétents que [vers] des hommes de parti ». En tout état de cause, pas un seul article ne parle d’allégeance politique au sujet de Georges Besse. Certains d’entre eux se plaisent plutôt à rappeler son « sens républicain » (Les Echos, 18 février, déjà cité). Mais si, visiblement, personne ne peut affirmer que Georges Besse a été nommé pour des raisons poli- tiques, il n’est pas interdit de se demander quelles furent ses réactions à la lecture des textes instituant une gouvernance spécifique pour ces groupes, ainsi qu’à la réception de la lettre de mission qui fut adres- sée aux nouveaux PDG des entreprises fraîchement nationalisées. Pour ce qui est de la gouvernance, pré- cisée dans la loi sur la démocratisation du secteur public, la presse n’en parle pas beaucoup à l’occasion des nominations ; nous avons, de notre côté, abordé ce point dans le chapitre consacré au management « Au portrait du nouvel arrivant, la presse associe très sou- selon Georges Besse. Mais on ne s’étonnera pas de lire vent la nature des difficultés qui l’attendent, histoire de dans La Vie Française, dès le 22 février, cette ques- soupeser son aptitude à les affronter ». tion : « La conception participative des relations sociales, visant à instaurer une nouvelle citoyenneté dans l’entreprise, est-elle compatible avec l’autonomie honnêtement, beaucoup de journaux signalent que de gestion dont se voient doter, par ailleurs, les nou- Philippe Thomas avait préparé certaines opérations de veaux PDG ? » cession et affirment que celles-ci avaient parfois été Un autre problème non entrevu par la presse de cette bloquées par les pouvoirs publics. Cela permet à un période est celui des relations entre les entreprises journaliste de poser cette question : « Le nouveau nationales et leurs administrations « de tutelle », sou- PDG saura-t-il être plus convaincant ? », ou encore cieuses de garder prise sur elles. Georges Besse, habi- d’affirmer : « Georges Besse sera peut-être mieux placé tué dans le nucléaire à gérer une connivence avec les que son prédécesseur pour négocier avec EDF une pouvoirs publics sans rien céder de ses prérogatives, ne révision des tarifs d’électricité » (Le Point, 22 février). se souciait sans doute pas de ces éventuelles difficul- Et aussi pour faire appel à des augmentations de capi- tés, mais il en a rencontrées. Je retrouve une mention tal de la part de l’Etat : beaucoup de journaux font de de ce problème dans un article nettement postérieur, cette recapitalisation une conséquence somme toute de La Croix (30 juin 1983), qui revient sur son carac- bienvenue des nationalisations : « Georges Besse tère et sur ses méthodes : « Ainsi, touche après touche, saura-t-il éviter le démantèlement de l’empire tout en car la discrétion, pour ne pas dire le secret est de le réconciliant avec le profit ? » (Le Matin, 17 février). rigueur chez PUK, la stratégie de Georges Besse appa- Compte tenu du contexte politique de l’époque, il est raît au grand jour. Dénuée d’aventurisme, elle est impossible d’occulter une question que certains jour- marquée, au contraire, d’un solide pragmatisme. naux posent à propos des nominations du 18 février Jusque dans les négociations avec le ministère de 1982 : le gouvernement a-t-il fait ses choix en tenant l’Industrie et de la Recherche ». compte des opinions politiques des futurs présidents ? (Je rappelle en passant que c’est ce problème des pré- Et si oui, quid des opinions politiques de Georges tentions dirigistes de l’Etat qui entraînera la démis- Besse ? A cette question, Le Quotidien de Paris sion de Jean-Pierre Chevènement du ministère de

56 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 52-59 MarbachPUK:52-59PUK27/07/1115:10Page57 dont laconvergence apparaîtàbeaucoup irréalisable: moudre auxjournalistes,tantelleaffichedesobjectifs mission duPremier ministre quiva donnerdugrainà Mais àlafindefévrier1982,c’est lalettre surtout de geait). pas vrai,maisqueBesse laissaitdire, car Julliard en1985,ajoutantquecen’était sansdoute resté muet,c’est entout cascequ’écrira Jacques auraient vidéleursac;Georges Besse n’y seraitpas Président convives delaRépubliqueoùcertains initiés ontbeaucoupparléd’un déjeunerchezle relayaienttives, qui parfois cellesdessyndicats;les de PDGexcédésadministra- pardesinterventions parlesplaintes démission auraitétécauséeenpartie l’Industrie oùilavait succédéàPierre Dreyfus ;cette tiques desfutursprésidents?». à propos desnominationsdu18février1982:legouvernement a-t-ilfaitseschoixentenantcomptedesopinionspoli- « Comptetenuducontextepolitiquedel’époque, ilestimpossibled’occulter journauxposent unequestionquecertains cela l’arran- un maître ès-nationalisations,et,pourceux quidou- nepeuxpasrésisterauplaisirinnocentdeciterici (Je me quiétaitlesien:«onverra bien!…» février), Georges Besse adûsedire, avec lepragmatis- propos dePierre Mauroy citésparLeFigaro (24 début d’une grandeaventure dontildispose.Mais,degré deliberté commec’est « route nidesefaire préciserquelestexactementle permet dedonnersonsentimentsurcettefeuille plois. Acemoment,aucundesnouveaux PDGnese constructif, àl’écoute delabase,etcréationd’em- tables devotre réussite»),maisaussidialoguesocial « Parce quevous êtesresponsables, vous êtescomp- (Le Monde du25févrierciteainsiPierre Mauroy : rentabilité etefficacité,grâceàl’autonomie déclarée RÉALITÉS INDUSTRIELLES », pourreprendre les • AOÛT 2011 le 57 CHRISTIAN MARBACH 52-59 Marbach PUK:52-59 Marbach PUK 27/07/11 15:10 Page58

teraient de ma citation, je les renvoie au Nouvel J’ai aussi promis de revenir, au fil de cet essai, sur la Economiste du 8 mars 1982. On y voit une photo- contribution des quatre autres PDG nommés en graphie du jeune Alain Minc, accompagné de nom- février 1982, eux aussi de « la promotion breuses citations qui lui sont attribuées. En voici Mitterrand » (Valeurs Actuelles, 22 février). En quelques-unes : « Les nouveaux saint-simoniens sont d’autres termes, le Président de la République, son socialistes. Passionnés d’industrie, formés à l’ombre Premier ministre, Pierre Mauroy, et Pierre Dreyfus des grands corps de l’Etat, ils croient aux vertus du ont-ils eu la main aussi heureuse que dans le cas de modèle français de nationalisation. Un modèle effica- Georges Besse, avec les nominations de Brunet, ce parce qu’il repose sur le principe d’autonomie des Fauroux, Gandois et Gomez (dont je cite ici les noms états-majors. Partout où les entreprises nationales sont dans l’ordre alphabétique) ? Une première réponse ESQUISSE D’UN PORTRAIT soumises à la dictature des bureaux, c’est le désastre. s’impose : sauf dans le cas d’Alain Gomez, la durée La nationalisation fonctionne quand on laisse carte pendant laquelle ils sont restés à leur poste a été très blanche aux bâtisseurs d’empires »…). brève, et peu de professeurs de management verraient En conclusion de cet exercice digne d’Arcimboldo, d’un bon œil une rotation aussi rapide. consistant à fabriquer un portrait de Georges Besse Le premier partant fut Jean Gandois. Maintenu à la en février 1982 à partir de multiples pièces d’une présidence de Rhône-Poulenc en février 1982 malgré multitude de portraits esquissés par des journalistes, de nombreuses oppositions, il la quittera au bout de je vais aborder ici une grande question, celle du quelques mois en expliquant qu’il lui est impossible caractère positif (ou négatif) des nationalisations. Il de travailler face aux contraintes de tous types que serait en effet lâche de ne pas en dire un mot, même font peser sur lui le gouvernement et l’administration. si cet article n’a pas du tout cet objectif. Mais Besse A la question : « Quelle sera mon autonomie ? », défi- lui-même s’est évidemment posé cette question, et il nie par L’Expansion du 5 mars comme « le grand n’a jamais cessé de se la poser, chez PUK, comme souci des PDG de la relève », il aura répondu de lui- auparavant chez Cogema, entreprise publique, même : insuffisante. Remplacé par Loïc Le Floch- comme plus tard chez Renault. Pour effectuer cette Prigent, qui avait été le directeur de cabinet de Pierre évaluation, il convient d’abandonner tout a priori Dreyfus, Jean Gandois fut alors considéré à cette occa- politique et savoir faire des calculs : l’Etat a presque sion comme une victime de la gauche et il sut capita- toujours réalisé des plus-values quand il a plus tard liser sur cette étiquette pendant une traversée du re-privatisé ces entreprises, mais il ne faut pas oublier désert qui le vit assumer des responsabilités dans la qu’il les avait presque toujours recapitalisées (je parle sidérurgie belge… avant de revenir à la tête de PUK ici des « vraies » recapitalisations, et pas des partici- et y remplacer en 1986 Bernard Pache qui, pour sa pations croisées entre entreprises en difficulté, part, s’était avec sagesse inscrit dans les pas de Besse. comme celles effectuées entre le Crédit Lyonnais et Il n’est pas dans les objectifs de cet article de raconter Thomson). Aussi la sagesse recommanderait-elle l’histoire de Péchiney sous les différents successeurs de d’examiner ces entreprises séparément. Pour PUK, et Besse, mais il n’est pas interdit de souligner à ce pro- grâce à Georges Besse, la réponse est claire : la natio- pos que la vie des entreprises est une chose fragile ! nalisation a permis de sauver cette entreprise de la Voilà une société à peine sortie des difficultés où faillite, parce qu’elle s’est accompagnée d’une recapi- l’avaient menée des erreurs stratégiques, intelligem- talisation massive et d’une réorganisation énergique ment recentrée et remise d’aplomb grâce à l’action de menée par un patron de qualité, que l’Etat sut laisser Besse et de Pache, qui déséquilibre tout de suite son travailler et aider. bilan en achetant au prix fort le groupe Triangle Cette remarque, qui reprend des points de vue que j’ai (société américaine cotée spécialisée dans l’emballage déjà abordés, me conduit à une autre observation. A métallique), tout en réalisant un autre investissement la lecture attentive de la bonne centaine d’articles de très coûteux à Dunkerque, pour renforcer sa position presse dressant le portrait de Georges Besse en février dans l’aluminium. Et, hélas pour son image, l’achat de 1982, je ne peux que constater une quasi-unanimité Triangle, dont très peu de personnes étaient informées des commentateurs. Qu’ils soient favorables ou non à chez PUK, fut accompagné d’épisodes fâcheux, à la la politique économique de François Mitterrand, les suite d’indiscrétions commises dans un cabinet minis- journalistes font lucidement état des difficultés de tériel. Ce délit d’initiés jeta le discrédit non seulement PUK, sans d’ailleurs accabler ses prédécesseurs de sur les quasi-fonctionnaires impliqués et sur quelques reproches exagérés ; et ils estiment, sans aucune faus- affairistes, mais aussi sur une entreprise et sur des per- se note, que, grâce à ses compétences, à son caractère sonnalités qui n’y avaient aucune responsabilité. et à son expérience, Georges Besse est l’homme de la Présentée par Jean Gandois comme logique et créatri- situation. Alors, sur ce dossier particulier, et dans le ce de valeur, l’acquisition de Triangle fut considérée cas de Georges Besse, pourquoi ne pas dire du bien par son successeur comme une aventure ruineuse à des journalistes ? Comme j’ajoute ma signature aux solder par appartements, mais au plus vite ; ce qu’il leurs pour présenter ici une ébauche de portrait de fit… avant de tenter, sans succès, une fusion avec Georges Besse, je ne peux que les remercier ! d’autres groupes du secteur de l’aluminium.

58 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 52-59 MarbachPUK:52-59PUK27/07/1115:10Page59 par unprésident,commelesgouvernements de l’impression d’avoir étéintelligemmentmanœuvrée Voilà aumoinsunesuitedenominationsquidonne nomination deJean-Louis Beffa àlatêtedugroupe. l’ENA, en1986,ilsutfaire avec la coïncidercedépart Fauroux. Quittant Saint-Gobain pourprésider Continuons cepanoramaenévoquant Roger appréciait lavision. peuvent échouer despatrons donttoutlemonde des entreprises, etsurlamanière dérisoire parfois dont etsurlesfragilitésdelavie pher surlesincertitudes sur sonpersonnel:onpourrait,ànouveau, philoso- ties etdepleurer sursesactionnaires, sursescadres et ressant deraconterl’histoire deCGEaprèscespéripé- véritable exécutifdugroupe ».Ici encore, ilseraitinté- mondial delaCGE,Georges Pébereau devenant le diplomate Jean-Pierre Brunet devenant l’ambassadeur prévu :«Une desrôlesapparaitdéjà,le répartition 1982. Ainsi,L’Usine Nouvelle (25février)l’avait Beaucoup dejournalistesavaient faitcetteanalyseen comme levraipatron dugroupe dutempsdeBrunet. et étaitconsidérédansbeaucoupdebureaux parisiens fonction deDGsouslaprésidenced’Ambroise Roux depuis longtemps.Pébereau avait déjàoccupécette Georges Pébereau, quienétaitledirecteur général te, en1984,sonbureau deprésidentlaCGEà presque soixante-trois anslaisseraàl’âge desaretrai- Jean-Pierre Brunet, nomméalorsqu’il étaitâgéde te etqueméritel’action desonpatron. rer durablementàuneentreprise l’avenir qu’elle méri- être :ilnesuffitpasdel’action d’un patron pourassu- La leçon–évidente-àtirer decettehistoire pourrait Besse ? te. Tout çapour?Qu’en auraitpenséGeorges conduisit àdisparaître entantqu’entité indépendan- Finalement, Péchineyfitl’objet d’une OPA quila en 1982surent reconnaître chezluitoutescesqualités. Les journalistesquifirent deGeorges Besse leportrait chance !» dence, queBesse aimaitàrépéter:«Il fautaussidela évidences auxquelles onpeutajoutercetteautre évi- cières solides,un stratégie nonaventureuse etassisesurdesbasesfinan- aux produits, lediscernementdansladéfinitiond’une unegrande attentionauxmarchés et mais, surtout, face aucontexte,del’habileté faceauxactionnaires, l’examen attentifduréeletunehumilitéconstante crivant detouteévidencedansladurée.Il suppose que letravail depatron estunmétierdifficile,s’ins- bonnes recettes. Il estsimplementutilepourrappeler notes pouravoir bienoumalappliquédesoi-disant signaler ceuxquimériteraientdebonnesoumauvaises l’énoncé dethéorèmes demanagement,ni de PUKetBesse n’a paspourobjetdeconduire à trouvés en1982dansunesituationcomparableàcelle Ce bref examendesociétésetdirigeantsquisesont plus Thomson. :noussavons tousque cruels Thomson, luiaussi,n’est confirmé parladroite. pouvoir dedroite, renommé parlagauche,ànouveau avoir éténomméparlagauche,puismaintenule torze ans!De touslesprésidentsroses Thomson, quiprésidaàsesdestinéespendantqua- Gomez, recordman delongévitéàlatête poser laquestionenexaminantlebiland’Alain Les historiensdel’histoire industriellepourront se Mais lacontinuitésuffit-elle pourgarantirlesuccès? tégie sanstrop derévolutions. heureuse etlongueprésence,toutenadaptantsastra- l’alternance. Celui-ci putinscrire sonactiondansune nomination deBeffa nefutpasremise encauseavec 1985 et1986,degauchepuisdroite, puisquela leadership RÉALITÉS INDUSTRIELLES And so, what?Ne soyons pas de patron. Cesontlàdes , ilfutleseulà a fortiori • AOÛT 2011 de 59 CHRISTIAN MARBACH 60-68 Marbach journaux:60-68 Marbach journaux 27/07/11 15:10 Page60

Georges Besse arrive chez Renault :

ESQUISSE lisons les journaux* !

Mon article précédent, écrit à partir de la presse de la semaine sui- D’UN PORTRAIT vant la nomination de Georges Besse portait sur son arrivée chez PUK. Je peux le résumer ici en notant que les journalistes, lors de cette semaine, présentent Besse comme un homme qui convient parfaitement à PUK à la fois du fait de son expérience et de sa compétence, et compte tenu des métiers de la société à redresser. J’ajoute que, certes, le débat sur l’opportunité des nationalisations n’est pas clos en février 1982 et qu’une partie de la presse n’oublie pas d’en critiquer le principe, mais cela ne l’empêche pas de souligner que, les choses étant ce qu’elles sont et le patron de l’époque ayant fait savoir qu’il ne voulait pas demeurer à son poste après une nationalisation, Besse est un très bon choix pour PUK. L’arrivée de Georges Besse chez Renault se fait dans des conditions très différentes…

par Christian MARBACH**

ertes, il faut le rappeler, la Régie Renault – car de Pierre Dreyfus au ministère de l’Industrie est tel est alors son nom – est nationalisée depuis comme un rappel : l’Etat socialiste rend hommage au C la Seconde Guerre mondiale et personne ne modèle Renault, qu’il mettra souvent en avant pour conteste à l’Etat le droit de nommer son président. justifier l’extension du secteur public industriel. Aussi, à Pierre Lefaucheux, puis à Pierre Dreyfus (qui Tout pourrait donc bien se passer, pour Renault assumera cette responsabilité de 1955 à 1975), succé- comme pour Hanon… Mais, à partir de 1983 ou deront deux hommes issus de Renault, Bernard 1984, tout se passe mal. Le président de l’entreprise Vernier-Palliez, puis Bernard Hanon. La nomination s’en rend compte, mais il n’arrive pas à faire adopter de ce dernier n’a pas posé de problème particulier ; elle a été considérée comme inscrite dans une sorte de tradition non écrite selon laquelle il faut être du sérail * Dans cet article, les citations de journaux sont présentées « entre guille- pour comprendre la culture Renault, pour s’entendre mets », les titres étant donnés en caractères gras. avec son personnel et la CGT, et pour gérer les rela- ** X 56, membre de l’Académie des technologies, membre du conseil de tions avec l’Etat actionnaire. De plus, la nomination surveillance de Lagardère SCA, président d’honneur de la Sabix.

60 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 60-68 Marbachjournaux:60-68journaux27/07/1115:10Page61 mières présentéesparHanon estimationsdepertes Le Canard Enchaîné (9janvier)expliquequelespre- de9milliardsce descomptes1984enperte defrancs. Libération,dèsle6janvier,cipiter sondépart. annon- pression surBernard Hanon, etpeut-être mêmeàpré- clair quelesdéclarationsd’Edith Cresson visentàfaire Mais revenons àRenault. Pour ilest lesobservateurs, laient contesterseschoixetrestructurations. geables, auxsyndicatsdePUK,quandceux-civou- s’opposer avec succès,maissansconflitstrop domma- mêmes raisonsdecoûtl’énergie etn’hésitant pasà tarifs d’électricité, investissant auQuébec pourles sonnée ettenace,négociantavec EDFunebaissedes obtenu l’accord desatutelleàcoupd’obstination rai- activités déficitaires ounonprioritaires aprèsavoir chezPUK,vendanteffectué untravail des important Georges Besse etrappelerque,de1982à1985,ila presse ;ilfautlecompléterparquelquesmotssur est nécessaire sil’on veut comprendre ledossierde Ce résumétrop rapidedecequ’est Renault fin1984 une cohérence retrouvée. revendications delaCGTsurtouslesterrainsavec ser auxchoixgouvernementaux etilpeutappuyer les Parti Communisteneressent-il plus degêneàs’oppo- comprend plusdeministres communistes.Aussi le moins laxisteenmatière dedépensespubliquesne qui affichedésormaislanécessitéd’une politique Cresson s’est installéeàl’Industrie. Legouvernement, l’Industrie (aprèsDreyfus etChevènement)Edith placé parLaurent Fabius, précédemmentministre de Mauroy aquittéMatignon àl’été 1984pourêtre rem- Rappelons aussilecontextegouvernemental. Pierre tionnaire ». dire quel’Etat assumerasansfaiblirsonrôled’ac- tion financière etauxaidesdel’Etat, etjepeuxvous impératif deredressement deRenault estliéàsasitua- de 15000,pourlessureffectifs. «Enfin, letroisième productivité avec les concurrents, ellelancelechiffre re leseffectifs».S’appuyantsurdescomparaisonsde Ensuite, ilestnécessaire, malheureusement, derédui- pas toutàfaitlecasjusqu’à unepériode récente. suffisamment l’entreprise autourd’elle, cequin’était premier àremobiliser estqueladirection parvienne de Renault estconditionné partrois impératifs.Le trielle le 5janvier1985,soustitre « qu’elledans uneinterview donneàL’Usine Nouvelle, accorder leursviolonssurlesmesures àprendre. Ainsi, gnostic surl’état delaRégie,maisilspeinentencore à et leministère del’Industrie fontconverger leurdia- de trèsviteleregretter. Peu àpeu,l’Elysée, Matignon duire Bernard Hanon àlaprésidencedugroupe, avant procéder. Al’été 1985,ildécidenéanmoinsderecon- par lecomprendre etils’interroge surlamanière de moins enprésentable,legouvernement finit votent contre. s’accumulent, Lespertes lebilanestde taires, cartouslessyndicats,entraînésparlaCGT, volon- par lepersonnelunplande10000départs », Edith Cresson expliqueque«leredressement Mon actionindus- table janvier), quititre :«Renault :undéficit insuppor- Ce diagnosticfinancierestconfirméparLeFigaro (18 ber dansletrou trompe pas:«LepédégédeRenault risque detom- appréciations flatteusessursagestion, Finances Pierre Bérégovoy, quivientd’énoncer des laisse entendre qu’il seraprotégé parleministre des muté unevingtainedecadres il supérieurs».Certes, managériales deHanon qui,envingtmois,«aviréou et enfinà9.Lejournalestsévère surlesméthodes étaient de4,1milliards avant depasserà6,4,puis7, hc». C’estlatraductionultra-rapidedepetite choc a acceptéhier. LaRégiehériteainsid’un patron de la successiondeBernard Hanon àGeorges Besse qui « vier quetombeladécisiondugouvernement : Pour legrandpublic,c’est parLeMatin du19-20jan- (18janvier). voque l’inquiétude » affirme :«LapetitephrasesurlaRégieRenault pro- ouraisondeplus.LeQuotidien naux. N’importe, demanièrepas rapporté identiquedanstouslesjour- Leverdict présidentieln’est dans lesprochains jours». grave problème Renault auquelilfaudrarépondre Le Président delaRépubliqueyaffirme:«Il yaun télévision, histoire desuggérer qu’il achoisi soncamp. concerne l’Olympe, illuiarrive mêmedes’inviter àla blement responsables deleurfutur?En cequi ceux-ci sont-ilslesjouetsdesdieuxouvérita- humains, etlesdisputesentre humainssurterre : àquelques àréserver moins aimablementsurlesort les dieuxdel’Olympe, Zeus etHéradevisantplus ou grecque présentantenalternancelesdiscussionsentre scène àl’autre, etl’on secroirait dansunetragédie ses cadres etlessyndicats.Lesjournauxpassentd’une sont, d’un côté,lesministres, et,del’autre, Hanon, Dans ce premier acte,lespersonnagesimportants lue delaCGT». àl’oppositionde tellesdécisions,onseheurterait réso- ne sontpasunaccidentdeparcours. Si onallaitvers déclarations duministre duRedéploiement industriel lourdes menacessurlessalariésetleuremploi.Les poindre conseilsetsuggestionsquifontpeserde tout licenciement.Et laCGT demenacer:«On voit le tauxde2%!),avant (sanssurprise)des’opposer à assumer Renault (et lejournaldetrouver intolérable appelait l’Américain, quedoit lecoûtdesemprunts ment auxEtats-Unis chersàBernard Hanon quel’on Elysées »),lesmilliards investis àl’étranger etspéciale- Renault («Nous descendrons ensemblelesChamps- mêle, lespromesses deMitterrand auxouvriersde doit recréer sabasenationale l’histoire récentedeRenault (sousletitre «Renault feux etL’Humanité du18janvierrevient surtoute Aussi, laCGTcommence-t-elleàpréparer descontre- semaines pourpréparer unplanderedressement croient pouvoir laisser àBernard Hanon «Trois à comblerd’urgence Renault changedepatron. Laurent Fabius aoffert » et parLeMatin (delamêmedate):« ». RÉALITÉS INDUSTRIELLES ». LesEchos dumêmejour ») enrappelant,pêle- mais ilnes’y • AOÛT 2011 Un trou Un ». 61 CHRISTIAN MARBACH 60-68 Marbach journaux:60-68 Marbach journaux 27/07/11 15:10 Page62

phrase prononcée par François Mitterrand : “Renault Pour autant, fallait-il remplacer Hanon ? Assez curieu- pose un grave problème qu’il faudra résoudre dans les sement, seule L’Humanité conteste le principe de jours qui viennent’’ ». cette décision, reprenant (comme Le Figaro) la phra- Le lundi 21, toute la presse reprend l’information, se du secrétaire général de la CGT, Henri Krasucki : parfois en soulignant que la décision finale n’est pas « Ce n’est pas un problème d’homme ». Mais les tout à fait prise (la séquence formelle suppose une autres journaux brodent à peu près tous sur le même décision de nomination de Besse comme administra- registre : peut-être Hanon n’est-il pas (ou plus) l’hom- teur, une délibération du conseil d’administration le me de la situation. Cela devait arriver, mais le premier proposant comme président, une décision en Conseil fautif est le gouvernement, qui s’est conduit comme des ministres acceptant cette proposition, un décret un actionnaire négligent et incohérent, et qui, pour ESQUISSE D’UN PORTRAIT enfin ; assez curieusement, peu de journaux précisent s’en sortir, se comporte comme un goujat en licen- cette séquence, mais on la trouve détaillée dans… ciant Hanon comme il le fait. Le dossier Renault four- L’Equipe). Mais il est clair pour tout le monde que les nit aux journaux antigouvernementaux une matière jeux sont faits. L’autorité de Bernard Hanon, déjà plus de choix pour dénoncer les contradictions du pouvoir. qu’écornée par ses échecs et le rejet de son plan, dont Celui-ci n’avait-il pas confirmé et renommé Hanon il a pris acte sans insister, est devenue insignifiante. quelques mois auparavant, en juillet 1984 ? On savait L’analyse des articles de presse de la semaine montre déjà que les comptes 1984 allaient être atroces. Alors, des journaux traitant de tous les sujets enchevêtrés : Hanon : un bouc émissaire ? Pour France-Soir, oui, il la situation difficile de Renault et parfois les condi- joue ce rôle. « Pour une raison simple. Le principal tions de son redressement, les formules de départ de responsable de la crise actuelle de Renault est le gou- Bernard Hanon, les résultats du travail de Georges vernement lui-même. Les fameuses avancées sociales, Besse chez PUK et, évidemment, le portrait du pro- les contraintes inhérentes à son rôle de laboratoire bable nouveau président. social ont imposé à l’entreprise des charges qui ne Contrairement à ce qui s’est passé lors de l’arrivée de pouvaient que compromettre ses chances dans la com- Besse à PUK, quand la quasi-unanimité des journaux pétition internationale » (21 janvier). Les Echos attri- a estimé que PUK, en difficulté, avait bien de la chan- buent au gouvernement un « manque de sang-froid ». ce de voir arriver un homme comme Besse et que le Le Journal des Finances titre : « Incohérences : gouvernement avait fait preuve de discernement, la Bernard Hanon, confirmé il y a huit mois, limogé tonalité de la presse est, en ce 21 janvier 1985, nette- aujourd’hui » (24 avril). Le Figaro, sous la plume de ment plus nuancée. Sur l’action du gouvernement. Pierre Zapalski, publie un papier argumenté titré Sur les conditions d’un redressement de Renault. Sur « Question de méthode » et tire à boulets rouges sur l’accueil fait à Besse. le gouvernement, qui se comporte comme un club Voyons ces points, en notant que l’orientation poli- sportif changeant d’entraîneur quand l’équipe perd. tique des journaux ne suffit pas à expliquer la variété « Bernard Hanon sera chassé si l’on en croit les des commentaires. rumeurs, en l’absence de tout commentaire et de D’abord, beaucoup de journaux rappellent que démenti du gouvernement. Tel un porteur de germes, Renault n’est pas une entreprise comme les autres. Si, il sera exclu de la horde, banni de la tribu. C’est la loi en 1982, PUK n’était qu’une des entreprises fraîche- des clans dans les sociétés faibles, il suffit de désigner ment nationalisées, et si, donc, le cas PUK était un cas le fautif ; on charge ensuite ses épaules des maux pas- parmi d’autres, traité en même temps que de nom- sés, contemporains, et, pourquoi pas, futurs… Si, en breuses entreprises industrielles et financières, souvent agissant de la sorte, le gouvernement croit assurer son plus médiatiques, Renault a encore en 1985 l’image rôle d’actionnaire, on doit comprendre qu’il est expé- d’une société exceptionnelle, que d’ailleurs Louis ditif en besogne et peu regardant sur ses devoirs… » Dreyfus présentait en 1982 comme exemplaire dans Et le journal, qui avait d’abord évoqué la possibilité tous les sens du terme. Seulement voilà : « Vitrine des d’une solution honorable (laissant Hanon en place nationalisations, Renault en est devenue l’anti-modè- pour quelques mois), de poursuivre dans cette voie, le » (Le Matin, 21 janvier). En tout cas, elle reste « le dans cet article mais aussi dans bien d’autres qui vont plus grand théâtre de France » (L’Echo de la Bourse, suivre : Le Figaro a trouvé dans ces hésitations gou- qui dit citer Pierre Dreyfus, 24 janvier). Mais « un vernementales une occasion de plus de critiquer le symbole a vécu, il s’agit d’en refaire une entreprise » pouvoir. (L’Expansion, février). En lisant cette presse, on retrouve certains sentiments Pourquoi ? A cause de sa situation catastrophique : de l’époque. Un PDG dont personne ne pouvait « Ses finances sont au bord du gouffre » (France-Soir, défendre ni ne défendait le bilan financier (même si, 21 janvier), « La Régie est en pleine crise sociale, psy- plus tard, les analystes lui reconnaîtront une certaine chologique et financière » (Le Quotidien, 21 janvier). vision en matière de produit automobile) devient une Le Herald Tribune parle de « recorded losses », avec ces victime par les seules circonstances de son départ. On mêmes chiffres que toute la presse assène : au moins met en avant le fait que la fuite du Matin annonçant 9 milliards de francs de pertes en 1984. son licenciement lui avait été apprise alors qu’il était à

62 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 60-68 Marbachjournaux:60-68journaux27/07/1115:10Page63 4 heures dumatinetqu’il que l’un desescollaborateursleréveille alorsqu’il est New York (LeJournal duDimanche nousinforme d’un patron dechoc’’. patron. Laurent Fabius lasuccessiondeBernard aoffert Hanon àGeorges Besse quiaacceptéhier. LaRégiehériteainsi Pour legrandpublic,c’est parLeMatin du19-20janvierquetombeladécisiongouvernement :“Renault changede On litlesmotsderégicide Communiste, nes’arrête pasunefoisBesse enplace. gouvernement pourladroite commepourleParti bien qu’elle estl’excellent moyen des’en prendre au attitude dedéfenseBernard Hanon, dontonsait tion danslespires conditions».Curieusement, cette janvier :«Bernard Hanon-Georges Besse, latransi- aider sonsuccesseur. CommeledisentLes Echos le 23 d’un victimisé,nesontpasfaitespour portrait sortant entendu, cescirconstances, le siellesenjolivent parfois Quotidien :«Lapurgedébute»(21février).Bien mier decharrette »(Libération,22février)ouLe OuObservateur). encore «LePDGdeRenault :pre- qu’on licenciâtainsiunO.S.»(LeNouvel ouvrier quelessyndicatsn’auraient jamais accepté « Avec quifaisaitdire unebrutalité àunreprésentant (Herald Tribune (20janvier). Limogé.«Fired encaisse lechoc!...» nement vous limoge.Un silence.Bernard Hanon pas innocente–dusommeiljuste,… ), « Guillotined! »(TheEconomist) dort –l’imagedort quisuitn’est (Auto-Hebdo, 5février), « Legouver- ! » . sous lestitres suivants : me providentiel »(LeMatin, 20janvier),présenté tains candidatspossibles.Ceseradonc«Besse, l’hom- au moinsévitédevoir soupeséesleschancesdecer- de circuler danslapresse. En fait,l’article duMatin a Peu denomsremplaçants possiblesonteuletemps que Hanon aenvoyée àchaqueemployé. cide », l’astucieuseavec de«Régie- parfois orthographe Observateur), Observateur), Matin), npubur,qipéèelato aprl (La quipréfèreun peubourru, l’action àlaparole » Retour surl’homme, d’abord. «CesolideLimousin, tions d’effectifs massives. sauvé PUK;pourd’autres, cefutauprixderéduc- en moinsdetrois anschezPUK.Pour ila certains, oubliée désormais)queparlesrésultatsqu’il aobtenus moins parsonépopéedanslenucléaire (presque que l’on mettaitenavant en1982,maisillustrées de Renault estdécritavec lecaractère etlesqualités drés rappelantquiestGeorges Besse, lenouveau PDG d’informationle corpsdesarticles oudanslesenca- « Un bâtisseur» on saluelabelletonalitédelettre dedépart « Lepompiervolant » « Un hommeàpoigne» (La Vie Française). Que cesoitdans RÉALITÉS INDUSTRIELLES « Un managerdechoc» (France-Soir), (Le Nouvel • AOÛT 2011 (Le 63 CHRISTIAN MARBACH 60-68 Marbach journaux:60-68 Marbach journaux 27/07/11 15:10 Page64

Vie Française, numéro du 28 janvier au 3 février). Il faudrait citer tout le papier de Julliard, car il conti- « Issu d’un milieu ouvrier, cet homme est l’illustration nue logiquement cette analyse en annonçant que « le vivante de la réussite à la force du poignet, laissant les face-à-face avec la CGT ne manquera pas d’intérêt. états d’âme aux naïfs et aux rêveurs. Bardé de Celle-ci, partagée entre le violent désir d’infliger une diplômes, Polytechnique et les Mines, il a toujours défaite au gouvernement socialiste et la prudence que refusé de confier l’avenir au hasard » (Le Quotidien, lui inspire le souci de sauvegarder sa “forteresse 21 janvier). « Ennemi de l’esbroufe, volontiers secret, ouvrière’’, n’a pas encore arrêté sa tactique ». méfiant à l’égard des grands mots auxquels il préfère En tout cas, la CGT a déjà décidé de donner de Besse les grands remèdes » (Le Nouvel Observateur). une image négative. Elle, et les journaux qui lui sont « Comme les vrais habiles, Georges Besse dissimule proches, n’ont pour cela qu’à reprendre les commen- ESQUISSE D’UN PORTRAIT son habileté derrière des dehors rugueux, qui lui sont, taires sur ce que fit Besse chez PUK pendant sa prési- au demeurant, naturels. Sa forte stature, sa franchise dence, en changeant quelques verbes. Pour Le brutale font fleurir sur son passage le stéréotype de Quotidien, « Il a sauvé Péchiney en deux ans ». Pour l’Auvergnat autoritaire ». Le Matin, « manager de choc, il n’hésite pas à trancher Jacques Julliard, qui, à titre personnel, connait bien dans le vif : fermeture d’usines en France, réduction Georges Besse, continue son excellent portrait par une d’effectifs... ». Pour cela, « il ne fallait pas être un analyse de son rapport à l’argent : « Car, s’il est un enfant de chœur » (La Vie Française). Et le Herald point où le nouveau patron de Renault se révèle Tribune dit la même chose : “He has a reputation of conforme à la mythologie de son Auvergne natale, being pragmatic and tough, particularly regarding cut- c’est bien dans son rapport à l’argent… Il ne déteste ting back workers and executives in seeking what the rien tant que le gaspillage et le laisser-aller. Il voit dans senior government described Saturday as “profitability le laxisme financier la cause de l’injustice sociale et and modernization”, which is what Renault needs above dénonce dans les démagogues des inconscients crimi- all” (21 janvier). Sans surprise, ces résultats ont une nels : les pires des bourreaux, disait Péguy, sont les autre signification, pour L’Humanité, qui titre ainsi bourreaux mous. Patron social à sa manière, il profes- son portrait : « Profession : dégraisseur ». Le quoti- se que la seule façon de mériter cette épithète est de dien communiste dénonce « les “exploits’’ de M. Besse gagner assez d’argent pour pouvoir ensuite le distri- chez Péchiney », et cite Roland Leroy, qui prétend que buer ». « nommer Besse à la tête de Renault, c’est indiquer clairement qu’il s’agit de porter de nouveaux coups à l’industrie automobile française et à l’emploi ». L’Humanité continue et détaille : « A la tête du grou- pe PUK, Georges Besse s’est surtout caractérisé par sa conception de la “rentabilité’’ calquée sur les desidera- ta du marché international des capitaux ». Le journal ne cessera jamais de tenter le rapprochement concep- tuel entre Georges Besse et le grand capital : ce thème nourrira bien des animosités contre un homme qui était tout sauf un mercenaire de la finance internatio- nale. Dès l’arrivée de Besse chez Renault, presque toute la presse a donc décidé de mettre en scène le match qui va l’opposer à la CGT. Par exemple, dans Les Echos, dès le 21 janvier : « Mauvaise nouvelle pour la CGT ». Ou dans France-Soir : « Renault : le nouveau patron face à la CGT ». Pour cela, beaucoup d’articles n’hésitent pas à caricaturer. Sous la plume de Dominique Jamet, Le Quotidien titre : « La déclara- tion de guerre ». Certes, on apprend à la fin de l’ar- ticle que le journaliste veut parler de la guerre entre la gauche archaïque et la gauche moderne, mais, quand même, Jamet est assez intelligent pour savoir que ce titre sera compris autrement ! En juin 1985, après avoir titré son article « Le sanglier de Billancourt », Le Nouvel Observateur rappelle que « dans les cou- loirs de la Régie, certains l’appellent “la Brute’’ … » « Dès l’arrivée de Besse chez Renault, presque toute la pres- mais nuance : « Pourtant, c’est en douceur que ce se a décidé de mettre en scène le match qui va l’opposer à polytechnicien auvergnat a toujours su négocier les la CGT». suppressions d’emplois ». Là encore, le journal écrit en

64 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 60-68 Marbachjournaux:60-68journaux27/07/1115:10Page65 titres, pourlemêmejour, rienquetrois ! alarmistes. le journalmultiplielesarticles Voici trois jour, ellerevient surlaméthodeBesse. Le22février, Très vite,L’Humanité, n’a plusd’hésitation. Chaque puni, Renault ouBesse ? Renault commeune punition»(24janvier).Qui est tiser enannonçantqueBesse est«parachutéchez laquelle cejournaladopteuneautre façondedrama- sus lacanien,cettephrasedeL’Echo delaBoursedans peux, demoncôté,lire, commes’il s’agissait d’un lap- tout lemonde,quecettefinestunsacrifice.Aussi, je je connaislasuitedel’histoire. Et jesaisdéjà,comme surBesse, parce articles que depuis quej’ailucertains en périodedeguerre etd’occupation, metrouble l’on apuseposerpour destextescollaborationnistes ?Cettequestion,que pire encore) contre unhomme beaucoup nourriront, àcettelecture, uneaversion (ou de comprendre leurstextesauseconddegré?Et que rendent-ils comptequeleurslecteurssontincapables journalistesse écrivains, certains :certains est brutale l’article seveut plusexplicatif, maislaviolencedutitre Besse :patron etvideur »…De nouveau, lecorps de titre, presque haineux,dèsle21janvier: Libération usedumêmeprocédé, catégoriquedansle grand sonreproche, etlenuanceenpetitscaractères. de l’autoritédes soient degauche oudedroite.Danscertainspays, cediscoursdecondamnationextra-juridique s’habille doués :letalentn’excuseenrienlesappelsàlahaine etaumeurtresignésdebellesplumes,qu’elles Le langagepublicn’estjamaisinnocent.Niceluidesjournalistes,niécrivains, surtouts’ilssont un «ennemidelaclasseouvrière». est éclairante surcesujet;elleaévidemmentpuinfluencerdesespritsdésireuxeuxaussidecombattre tains groupesetquifutensuiterelayée pardesmédias.Laconsultationarticlesdepressel’époque pagne d’oppositionviolente,parfoishaineuse,quifutmenéecontreluiparcertainsindividus ouparcer- de savoir silechoix deBessecommeunedespremièresciblesnedevait pasquelquechose àlacam- classe exploitée».Peu importelaformulationderevendication :jemesuistoujours posélaquestion tentative derésoudrecertainescontradictions dusystèmecapitalisteparuneatomisationextrêmedela menté ;illesera encorelorsduprocès.Lesassassinsvoulaient atteindreunhomme«coupabled’une journée detravail paruncommandod’Actiondirecte.Cettefois,lecrimeétaitsigné,revendiqué, argu- Dix ansplustard,en1986,c’estGeorgesBessequitombait,devant sondomicile,attenduàlafind’une quilibré influencéparceclimathostileauCréditLyonnais. siège socialdelabanque,surletrottoir. Ilfutconvenu dedirequ’ils’agissaitlàl’œuvred’undésé- nuances ouvérifications.Le14mai1976,sonprésidentJacques Chaineétaitassassinédevant l’entréedu ficultés d’entreprisesetdeparticuliers.Unepartielapresserelayait cesaccusations,parfoissans tains hommespolitiquescommecellesdesyndicatsdésignaientcettebanqueresponsabledesdif- En 1976,leCréditLyonnais sortaitd’unepériodedecrise:difficultés,grèves dures.Lesattaquesdecer- Je suisfrappé paruncertainparallélisme entrel’assassinatdeJacques ChaineetceluideRogerBesse. De Jacques ChaineàGeorgesBesse d’un Petit Larousse! peuvent avoir pourdeslecteurs n’encomprenantlestermesqu’autravers desdéfinitionsélémentaires semblant denel’attribuerqu’àvos confrères,relisezvos textesenvous demandantquelleinfluenceils Amis journalistesquiaimezcondamnerlemeurtremédiatique, jevous enconjure :quandvous faites pe deSarah Palin elle-même,quis’empressa,aprèsl’attentat, d’enlever cetappel aumeurtredesonsite! soulignée en2010lorsdelatentative d’assassinatd’unecandidatedémocrate… etreconnueparl’équi- émettre unmessageencoreplusclair!Cetteinitiative deSarah Palin oudesesconseillersfutd’ailleurs la photod’unadversaire politiqueaucentred’unecibledestandtir, avec unfusilàlunette àcôté,pour Internet oules blogs fatwas aux jurisprudencesencorebalbutiantes:iln’estévidemment pasneutredemontrer à prétextereligieux.Dansd’autres,aujourd’hui,auxjournaux s’ajoutentlessites « Renault à « Georges gent à tort etàtraversgent àtort chez Renault ?Pas question.Ici onnedépensepasl’ar- revendiquaient, ilrépondit:“Vous voulez faire comme CGT danslegroupe… Aux ouvriersdePéchineyqui caché unevolonté délibéréederéduire lerôledela dans lachimieetdecasserCGT…Il n’a jamais paux objectifs(deGeorges Besse) ontétédetailler titre : vigilance s’impose ». la fourrière ?»,«Inquiétude danslesusines»,«La ce queBesse pensaitdesconflits,inévitablesmais signalédanslechapitre consacréaumanagement (J’ai pare ». est indispensablefaceàl’épreuve deforce quisepré- « Tout faire pourêtre prêts.Lamobilisationgénérale cogner vite et fort ». cogner viteetfort Renault signifieque legouvernement achoiside hésiter, contre l’attaque. L’arrivée deBesse chez bulaire guerrier:«Lefront communs’impose, sans le journaldesonnerl’appel auxarmesavec unvoca- »enréduisantleseffectifs.Etpas allédemainmorte raconte aussiquechezPUK,«effectivement, iln’y est Rouge (le25janvier) évoque «Besse deprofil » aux salariésdelaRégie…» dirigeais Renault, ça nesepasserait pascommeça’’. « Avis auxsalariés » Plus tard, enmars,Rouge écrira Le 24avril,onpeutlire sousle RÉALITÉS INDUSTRIELLES ’’ . Et pourêtre plusclair : «ChezPUK,sesprinci- • AOÛT 2011 “Si je Avis et : 65 CHRISTIAN MARBACH 60-68 Marbach journaux:60-68 Marbach journaux 27/07/11 15:10 Page66

qu’il faut traiter selon des règles du jeu ; il est évident avec profusion et confusion. On a surinvesti. La sur- qu’un vocabulaire de caserne donne une autre tonali- capacité révèle l’incapacité… té aux conflits… surtout quand ils n’existent pas Georges Besse manie surtout le sécateur. Il arpente encore). son parc. Il élimine les végétaux qui végètent, les Lutte Ouvrière (28 août) annonce des licenciements excroissances douteuses et coûteuses. Il tranche chez Renault et a trouvé dans l’actualité océanienne parmi les branches. Il émonde. L’émondage favorise un argument d’un nouveau type : « C’est toute la clas- la croissance : le dictionnaire l’affirme, tout le monde se ouvrière qu’on veut rendre malléable… On peut le sait… sauf quelques dirigeants insouciants. Les payer, nourrir, vêtir et transporter 6 000 gendarmes à managers font-ils le ménage ? Georges Besse s’y l’autre bout de la terre, en Nouvelle-Calédonie, sans emploie ». ESQUISSE D’UN PORTRAIT que cela perturbe l’économie… mais à la Régie Plus loin, Guérithault poursuit son portrait du bon Renault, 5 000 travailleurs seraient devenus pire dirigeant sur un registre que l’on peut indifféremment qu’inutiles, nuisibles, et traités comme tels. rapprocher de La Fontaine, La Bruyère ou Saint Mitterrand veut démontrer à la bourgeoisie française Mathieu, et dans des formulations qui mériteraient qu’il saura être ferme contre les travailleurs ». Et Vie d’être proposées comme sujets de commentaires dans Ouvrière renchérit : « Visa pour la casse » (24 juin). les écoles de gestion : « Sous le soleil et sous l’orage, le Le Quotidien répond à ces charges dans son édition bon jardinier garde le sourire ; il travaille et attend la du 22 février. Il rappelle d’abord sa sensibilité poli- récolte. Besse sait habiller de bonhomie sa rigueur, et tique : « Derrière ce bouleversement se profile l’échec accueillir avec humour les caprices de la fortune. Il des socialistes dans la gestion de la plus prestigieuse connaît le prix du temps. Il a besoin de quelques des entreprises nationales ». Puis, il enchaîne : « Il est années, et de tranquillité ». des critiques, qui, dans les circonstances actuelles On sait, hélas, comment ce temps lui fut compté. deviennent des compliments. “Profession : dégrais- Revenons au début de 1985. Les jours passent. seur’’, titrait hier l’Humanité. Georges Besse n’a Renault « est dans l’attente d’un électrochoc » (Le jamais eu la réputation de travailler dans la dentelle. Monde, 21 janvier) Mais la presse est frustrée : voici La méthode Besse est aussi la manière forte. Mais c’est un patron qui ne frétille pas d’aise quand on l’invite elle qui a permis à Péchiney de revenir de plus de sur les plateaux, et qui refuse toute interview (au 4,5 milliards de francs de pertes en 1982 à plus de risque évident de laisser le monopole de la parole à ses 500 millions de bénéfices en 1984 ». Et le journal adversaires). ajoute, le même jour : « Le nouveau PDG accueilli par Dès février, la CGT laisse entendre que sa période de un tir de barrage syndical ». réflexion et d’attente est terminée. Personne n’est sur- Encore quelques citations concernant Besse. D’abord, pris : elle passe à l’offensive. Elle essaie d’utiliser le celles qui sont plutôt positives et favorables : « Besse dossier Moskvitch, un projet de joint-venture avec une la Chance » (Les Echos, 21 janvier) ; « Super-Besse est entreprise d’Etat soviétique négocié en grande partie arrivé » (Toutes les Nouvelles des Hauts-de-Seine, par un de ses propres cadres (sans doute avec l’accord 30 janvier) ; « Zorro est arrivé… Ceux qui l’ont de Bernard Hanon ou d’un membre de la direction, approché, ces quinze derniers jours, sont unanimes, il mais Alain Frèrejean attribue cette initiative à la seule est solide, il bouffe du dossier à hautes doses » (Auto- CGT). Besse est en train d’écarter cet investissement Hebdo, février) ; « Un homme tout en muscles, grand à cause de son caractère déficitaire et parce qu’il ne et solide Auvergnat, qui sait sourire mais a horreur de tient pas à s’alourdir dans le domaine des machines- perdre son temps. “Rien ne semble l’effrayer’’, dit l’un outils. Evidemment, solidarité prolétarienne oblige, la de ceux qu’il a rencontrés parmi les premiers » (Action CGT va regretter les 5 000 emplois perdus (mais où automobile et touristique, 28 février). a-t-elle bien pu trouver ce chiffre ?) et les 7 milliards Ensuite, celles qui nuancent : « Un bâtisseur, disent les de chiffre d’affaires (même question) (Les Echos, uns ; un monomaniaque, disent les autres » (Le 7 mars). Pour Le Monde, Besse ne fait que mettre en Nouvel Observateur, juin 1985). Dans un excellent place une politique simple : « Il est temps d’en finir portrait de juillet 1985, l’Auto-Journal développe, avec la cogestion de la CGT chez Renault » (8 mars). sous la plume alerte de Gilles Guérithault, la compa- Et, pour le même journal, « le conflit Moskvitch n’est raison du jardinier, que, décidément, nous trouvons à pas pour déplaire à Besse, dont l’une des tâches doses répétées dans ce numéro. « Le jardinier de majeures est bien de rétablir l’autorité de la direction » Boulogne. Jardinier ? Acceptera-t-il cette qualifica- (12 mars). Le chapitre Moskvitch, qui est parfois tion, cette qualité ? Je le crois. A sa tâche écrasante, il décrit comme un symbole du climat des relations apporte l’attention et la passion, la conscience et la franco-soviétiques, voit la CGT s’arc-bouter : « Nous patience propres à cette profession rustique et magni- vous prévenons : la CGT n’acceptera pas une telle fique. Mais attention : Georges Besse cultive, outre décision. Avec les salariés, nous ne laisserons pas l’humour et le bon sens, des terres et des variétés éga- faire » (L’Humanité, 11 mars). En vain. Ajourné sine lement singulières. Il ne plante pas (il n’aime d’ailleurs die, le dossier franco-russe de machines-outils ! pas les plans, trop rigides) ; on a trop planté avant lui, Frèrejean ajoute dans son livre (mais je n’ai pas retrou-

66 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 60-68 Marbachjournaux:60-68journaux27/07/1115:10Page67 2 octobre). Leconflitestbienlà;lapresse qui (21 Actuelles, «Besse estbien l’anti-Hanon » viennent auMans etàBillancourt. Pour Valeurs trée, desconflitsbeaucoupmoinsanecdotiquessur- voitures dansunentrepôt deforce. ouvert Dèsla ren- cinquantaine desyndicalistesayant“emprunté’’ des vestissement dusiègedesChamps-Elysées parune l’épreuve deforce »écritLeFigaro, àpropos del’in- (Libération).«LaCGTveut pouvoir cégétiste» d’autres, lepatron sonne«l’ouverture delachasseau fait leménage du « naux sefélicitentquepourlaRégiesoitvenue l’heure ments duconseild’administration. Si jour- certains contre lesadministrateurspourdivulgationdedocu- par desmilitantsdelaCGT, delaplaintedéposée du matérielentre deuxsitesdel’entreprise etbloqué Elysées, d’un cadre emmuré,d’un traindéménageant relève lesépisodesduPDGinterpellésurChamps- incidents ouescarmouchesquisuivront. Lapresse nonce duplanderéductiond’effectifs enjuin,etles Mais leconflitsedurcira bienplusencore avec l’an- Ahbon? cette décision». recule :«On vous prévient,laCGTn’acceptera pas voir qu’il nesuffitplusdemenacerpourqueBesse humilier unambassadeur).LaCGTva vites’aperce- leçon auxsyndicats,maisilétaittrop habilepour prends pas:àmonavisBesse voulait donnerune ménagement, l’ambassadeur d’URSS…» necom- (Je vé celadanslapresse) :«Accompagné sans àlaporte dépouillement » (LeMidi Libre, 16juillet),pour » (Le Monde, 12juillet):« Besse pas touteslesclés.Une entreprise commeRenault est Une parenthèse, pourévoquer unfacteurdontjen’ai sonnage ». ce quicorrespond visiblementmieuxauprofil duper- n’ont pasdecespudeursl’ont surnommél’empereur, comme unpessimisteactif. Ceuxquileconnaissentet Georges Besse, 58 ans ettoutessesdents,sedéfinit tion del’autorité rappelant unpeul’adjudant-chef, massif rappelantunpeuRaymondBarre, uneconcep- gnard ? octobre) :« (21 Tonalité forcément différente dansL’Humanité concessions àquiconque». oserait tenterlesauvetage delaRégiesansfaire de vernement enfintrop heureux d’avoir trouvé celuiqui Avec leconsentementetsoutienfinancierd’un gou- public. accumulés aufildesansparmissiondeservice langues asoulagélaRégied’un maximumdefardeaux de paysanauvergnat, quiadore jouerlesmauvaises cetingénieurdesMinesbranches mortes, auxallures Libération… Fidèle àsonimaged’élagueur de mythe qu’avait acquiseRenault depuisla Georges Besse aura suffipourdétruire lavaleur de les hommes-clésde1985:«Un andeprésidence Monde du24décembre sedoitdeplacerBesse parmi Le la Régieen1985pardeuxderniersportraits. Terminons cettelecture d’un gros dossierdepresse sur hésitation. maissans nages delapièceassume,sansforfanterie, l’avait prévuadugrainàmoudre. Et l’un desperson- Un styled’auvergnat unphysique bourru, Georges Besse :empereur ougro- RÉALITÉS INDUSTRIELLES © COLL.FONDATION GEORGESBESSE.D.R • AOÛT 2011 67 CHRISTIAN MARBACH 60-68 Marbachjournaux:60-68journaux27/07/1115:10Page68 68 ESQUISSE D’UN PORTRAIT bué :onn’a pasbesoind’avoir accumuléd’excel- gement). Une campagneàlaquelleBesse acontri- « Déterminés»(signaléedansl’article surlemana- cette campagneàlafoisinterneetexterne: lence. Lemeilleurexemple, sousl’ère Besse, enaété seul cadre desproduits dontilfallaitvanter l’excel- des politiquesdecommunicationquiontdébordé le contrat globalavec Publicis, asumettre enœuvre queRenault,Il parson estcertain enparticulier messages concernantleursproduits ouleurspatrons. bien organiséspourfaire passerdemanière positive les souvent, quandleursresponsables sontbons,assez communication d’entreprises commeRenault sont depressearticles lesconcernant.Etde quelesservices peuvent pesersurla tonalité decertains importants entendresent parfois quelesclientspublicitaires posé delapresse, descommentateurspessimisteslais- analyses surlepouvoirjournaux. Dans sup- certaines un desplusgros pourvoyeurs depublicitépourles RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 vez être fiers. dues parunesociétéefficaceetdigne,dontvous pou- désiraient revoir :cesvoitures etven- sontconstruites tures »)etcequeclients,ouvriers,partenaires taires («nousvous proposons debellesetbonnesvoi- tion entre cequeprétendaientcesmessagespublici- parce qu’il apermisqu’il yait,denouveau, adéqua- pas àcausedelapublicitépayéeparl’entreprise ;c’est tateurs poursonactionàlatêtedeRenault, cen’est Besse aétélouéparlagrandemajoritédescommen- lent tousauxpremières loges,jenelecrois pas.Si immense avec desmillionsdespectateursquiseveu- la flagornerie?Dans lecasdeRenault, cethéâtre quirelèveraientsociété etdesonpatron desarticles de publi-rédactionnel, peut-ilfaire éclore surlavied’une àlabonneplace,etmêmeaiderdiffuserdu encarts, Mais siunbudget de publicitépeutpayer debeaux mots quiportent. lentes notesenépreuve poursentirles dedissertation 69-71 Levy:69-71 Levy 27/07/11 15:11 Page69

Une leçon pour l’avenir ?

Raymond H. Lévy a pris la suite de Georges Besse à la tête de Renault, après l’assassinat de ce dernier. Il s’efforce, dans cet article, de tirer les leçons de la vie et de l’action d’une personnalité excep- tionnelle – ou, plus simplement, d’un « homme », au sens le plus

fort de ce mot. TÉMOIGNAGES

par Raymond H. LÉVY* SUR GEORGES BESSE

undi 17 novembre 1986 : à Bruxelles, où nous devrais-je dire : de cette richesse ? –, par une entrepri- avons élu domicile du fait de mes fonctions dans se que sa gestion promettait alors à la faillite et qui, de L la sidérurgie wallonne, ma femme et moi regar- fait, eût été en faillite si son actionnaire n’eût pas été dons un film à la télévision lorsque, à 20 h 30, vient l’Etat. Une entreprise à laquelle il convenait d’abord s’afficher, en surimpression au bas de l’écran, l’annon- de rappeler sa véritable raison d’être : offrir à ses ce de l’assassinat, à Paris, du président de la Régie clients des voitures de qualité, produits du travail d’un Renault. personnel compétent engagé au service du seul intérêt Georges Besse et moi entretenions, de longue date, de l’entreprise, et confirmer par ses résultats sa recon- des relations amicales. En 1980, le ministre de naissance matérielle envers ses actionnaires, en l’oc- l’Industrie, André Giraud, avait un moment cru pou- currence l’Etat, c’est-à-dire les contribuables. voir obtenir le remplacement d’Albin Chalandon, à la A ceux qui ne comprenaient pas ce que devait être cet tête d’Elf Aquitaine, par Georges Besse auquel, dans engagement, le nouveau patron allait faire réaliser leur le même projet, je devais succéder à la tête de erreur en obtenant, lors de la grève du Mans à l’au- Cogema ; d’où, entre nous, un certain nombre de ren- tomne 1985, l’appui des non-grévistes qu’une action dez-vous au cours desquels Georges Besse me présen- violente empêchait alors de travailler, et en sanction- tait et m’expliquait Cogema, à l’inoubliable façon nant par un licenciement, à l’été 1986, dix meneurs d’un gros propriétaire terrien faisant le tour de ses tré- fiers d’avoir peint à Billancourt les lettres SS sur les sors, tandis que je lui décrivais dans le détail l’entre- vêtements de leurs cadres. Qui ne se souvient des prise qu’il devait être appelé à diriger. démonstrations publiques des « dix de Billancourt », La suite ne fut pas tout à fait celle qu’André Giraud parfois soutenus politiquement en haut lieu, et dont avait prévue, et c’est en tant que chefs d’entreprises Renault ne fut libéré qu’après plus de trois ans de pro- publiques parachutés en février 1982 que nous cédures judiciaires ? devions nous retrouver par la suite à intervalles régu- Tout a été dit dans les pages qui précèdent sur le liers. Et c’est le président de Renault que je rencontrai redressement engagé par Renault dès 1985 et sur un dans les premiers mois de 1985. Je le vois encore, espoir qu’illustre mieux que tout discours la photo m’introduisant dans son bureau et me le présentant, que nous avons tous en mémoire, prise au Salon de d’un geste large, par ce seul mot : « Voilà ! », expri- mant parfaitement son sentiment devant l’argent * X46, président d’honneur de Renault, vice-président honoraire du dépensé pour un équipement de cette qualité – Conseil général des Mines.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 69 69-71 Levy:69-71 Levy 27/07/11 15:11 Page70 TÉMOIGNAGES SUR GEORGES BESSE TÉMOIGNAGES

© COLL. FONDATION GEORGES BESSE. D.R « Une masse de jeunes enfants emplit un « Espace », avec, au milieu d’eux, Georges Besse tenant le volant : le pilote garant, pour tous ces jeunes, de l’avenir symbolisé par cette voiture, alors la seule de son espèce sur le marché européen ». Salon de l’Automobile de Paris, automne 1986.

l’Automobile de Paris à l’automne de 1986 : une Je tirerai la première du récit d’un incident que cha- masse de jeunes enfants emplissant un « Espace », cun aura pu lire dans les pages précédentes de ce pressant au milieu d’eux Georges Besse au volant : le numéro, et que j’appellerai l’incident du carnet sco- pilote garant, pour tous ces jeunes, de l’avenir symbo- laire. Je veux parler de l’importance, que je qualifie- lisé par cette voiture, alors la seule de son espèce sur le rai d’inconditionnelle, qui s’attache au parcours sco- marché européen. laire. Un mois après cette date tragique du lundi On ne dira jamais assez que c’est dans ce parcours, 17 novembre 1986, j’étais appelé à recueillir les pre- pour de multiples raisons physiologiques et psycholo- miers fruits de ce redressement et à en conduire la giques, et parce qu’il offre au jeune une occasion de suite – une perte largement réduite en 1986, un pre- développement intellectuel et moral qu’il ne retrouve- mier résultat positif dès 1987 –, hanté comme je ra plus jamais par la suite, que se forge sa personnali- l’étais par l’engagement qui devait être le mien devant té et que se constituent ce que, dans un vocabulaire tous les « Renault » : ne décevoir à aucun prix l’espé- moderne, on pourrait nommer ses « fichiers » et ses rance que, à travers la simplicité de ses énoncés – un « logiciels », en bref les atouts qu’il pourra faire valoir franc est un franc – et la force de son autorité, dans sa vie professionnelle comme, aussi, dans sa vie Georges Besse avait su ouvrir aux dizaines de milliers tout court. de travailleurs sans doute conscients, pour la plupart, Les enseignants, depuis l’école maternelle jusqu’aux que l’entreprise dont dépendait leur vie professionnel- classes terminales, sont certainement conscients de le venait de frôler une catastrophe mortelle. leur responsabilité ; les parents doivent aussi la com- D’un obscur engagement scolaire dans l’Auvergne prendre ; tous ensemble, parents, enseignants, et res- profonde au sauvetage de la première entreprise auto- ponsables des programmes et des parcours, doivent en mobile française, quelles leçons pouvons-nous tirer de permanence être pénétrés de l’importance vitale, pour la vie et l’action d’une personnalité, je dirai simple- chacun, de tirer de ces années, sans faiblesse aucune, ment d’un « homme », au sens le plus fort de ce mot ? le meilleur parti possible. Je dis sans faiblesse aucune, Je souhaiterais pour ma part en retenir trois. car je ne connais pas de constat plus désolant pour nos

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jeunes, comme pour notre pays tout entier, que La comparaison, actuellement quotidienne dans la l’énoncé des lacunes de certains à l’issue du cycle pri- presse, entre la situation économique de notre voisin maire, ou l’énumération des échecs qui suivent la fin d’outre-Rhin et la nôtre, nous rappelle sans cesse ce du parcours secondaire. que devraient être nos progrès en la matière. Et que Notre pays est en droit d’exiger, de ceux qui conçoi- penser quand nous voyons chaque jour sur nos écrans vent et gèrent l’Education nationale, que leurs efforts une marque d’automobiles fonder sa publicité sur des soient entièrement consacrés, sans dérive « pédagogis- qualités citées, une par une, comme allemandes, sinon te » aucune, à faire des jeunes qui leur sont confiés des que la rigueur ne passe pas, aujourd’hui encore, têtes « bien faites » mais aussi « bien pleines », afin comme notre qualité première ? qu’ils puissent tirer le meilleur parti de leur vie après La rigueur : Georges Besse aurait-il pu lancer comme il H. LÉVY RAYMOND leur sortie du système scolaire. Ce qui précède vaut, l’a fait le redressement de Renault sans cette qualité-là ? naturellement, pour les études supérieures, dans quel- Enfin, j’aimerais mettre en avant la nécessité pour qu’environnement qu’elles soient conduites. chacun, dans sa vie personnelle, mais aussi dans sa vie Sans ce parcours scolaire, sans la rigueur avec laquelle professionnelle et plus encore à des postes de respon- il lui a été imposé, il n’y aurait pas eu le Georges Besse sabilité, de faire preuve de « caractère ». que nous avons connu. A l’appui du sens que je souhaite que l’on entende par La seconde leçon est celle du respect de la « règle » ce mot, le grand dictionnaire Robert donne la citation dans le comportement personnel, loin de ce que j’ap- suivante de Chateaubriand : « Madame Rolland avait pellerai la tentation de la facilité. du caractère plutôt que du génie : le premier peut Il m’a été rapporté que l’une des premières décisions donner le second, le second ne peut donner le pre- du nouveau dirigeant de Renault avait été de suppri- mier ». mer la moitié des éclairages, à l’esthétique certaine- Georges Besse avait du « caractère ». Nul ne doute de ment flatteuse mais largement superflue, des couloirs ce qu’étaient ses facultés intellectuelles – le génie, du siège social. Il s’agit, bien évidemment, d’un geste dont parle Chateaubriand –, mais elles auraient été symbolique, à rapprocher de cette affiche placardée peu de chose, elles n’auraient pas fait de lui le chef partout sur les lieux de travail : « un franc est un d’entreprise exceptionnel dont il a démontré la capa- franc ». Chacun de nous, dans sa vie quotidienne, est cité, sans ce « caractère » que d’aucuns – et parfois confronté à cette tentation de la facilité ; y céder dans l’Etat lui-même – tolèrent mal chez leurs subordon- sa vie personnelle peut déjà comporter des consé- nés, mais dont nous savons bien qu’il est la condition quences fâcheuses, mais s’y abandonner sur les lieux nécessaire du succès, dans toutes les circonstances, et, où ceux qui vous ont fait confiance attendent de vous au premier chef, dans les circonstances difficiles. que vous mettiez au service de votre tâche le meilleur Telles sont les leçons que j’aimerais tirer de la vie qui de vous-même traduit une faiblesse grave, et sans vient de nous être rappelée. Telles sont les questions aucun doute blâmable. que j’aimerais me poser si j’avais, dans une position Le mot « règle » comme, dit autrement, le mot aujourd’hui imaginaire, à choisir pour une entreprise, « rigueur », peuvent parfois faire sourire. Les faiblesses et tout particulièrement pour une entreprise se trou- financières de certains pays européens, sans nécessai- vant dans la situation extrême qui était celle de rement oublier le nôtre, doivent nous rappeler au Renault en 1985, un dirigeant de la qualité de sérieux que ces mots nous imposent. Georges Besse.

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La nouvelle usine d’enrichissement d’uranium d’AREVA,

TÉMOIGNAGES digne héritière de la vision industrielle SUR GEORGES BESSE de Georges Besse

AREVA a donné à sa nouvelle usine d’enrichissement d’uranium le nom de Georges Besse, qui fut l’une des grandes figures du programme nucléaire français. Une nouvelle usine qui fait appel aux technologies les plus performantes (comme la centrifugation) et qui s’inscrit dans une démarche de développe- ment durable.

par Luc OURSEL*

eorges Besse présida aux destinées de En 1988, COGEMA a souhaité rendre hommage à quelques unes des plus belles entreprises son ancien dirigeant en attribuant son nom à l’usine G industrielles françaises. Dans le domaine de d’EURODIF, une société qu’il avait fondée en 1973 l’énergie atomique, il fut président du directoire de la et dont AREVA est l’actionnaire majoritaire. Ces ins- société EURODIF, directeur général puis président- tallations où l’uranium est enrichi par la technique directeur général de COGEMA, dont les activités se dite de diffusion gazeuse répondent depuis 1979, sur trouvent regroupées aujourd’hui au sein d’AREVA. le marché international, aux besoins des producteurs Ces importantes responsabilités exercées au sein des d’électricité à partir de l’énergie nucléaire, à commen- entreprises du secteur nucléaire conjuguées au travail cer par EDF. qu’il a effectué pour le CEA, notamment sur le projet Pour maintenir son avance et préparer l’avenir, de développement de la séparation isotopique par dif- AREVA a décidé il y a une dizaine d’années de moder- fusion gazeuse, font de Georges Besse l’une des niser son outil industriel d’enrichissement de l’ura- grandes figures du programme nucléaire français dont les bienfaits se font ressentir depuis plus de trois décennies. * Président du Directoire d’AREVA.

72 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 72-76 Oursel:72-76Oursel27/07/1115:11Page73 EDF. AREVA etdeproduction d’électricité nucléaire par tion decombustible,d’assainissement assuréespar nium, d’enrichissement, dedéfluoration,fabrica- se trouvent réunieslesactivitésdeconversion d’ura- 1960 surcecomplexe industrieluniqueenEurope, où Tricastin. L’industrie nucléaire estprésentedepuis tion, legroupe avoulu rester fidèleausitedu Pour l’implantation desanouvelle unitédeproduc- teinte delacapaciténominalel’usine. cascades decentrifugeuseschaquemoisjusqu’à l’at- deplusieurs cédé utilisé,autoriselamiseenservice ceux existants.En effet,lecaractère modulaire dupro- équipements prendront progressivement lerelais de meilleures conditionssocialespossibles,lesnouveaux et depermettre d’effectuer latransitiondansles Afin d’assurer lacontinuitédeslivraisonsauxclients durable. sumer saresponsabilité enmatière dedéveloppement auxquels doit satisfaire touteentreprise soucieused’as- vivacité de laconcurrence, niauxcritères écologiques répondre niauxcritères économiquesimposésparla nepouvaitannées debonsetloyauxplus services stituer àl’usine actuellequi,aprèsplusdetrente triels deladécennieenFrance. Il estappeléàsesub- jet estl’un investissements indus- desplusimportants nium. D’uncoûtglobalde3milliards d’euros, cepro- Vue d’ensemble dusite Tricastin. AREVA, établissementdePierrelatte, France. les dirigeantsd’AREVA ontvoulu quelanouvelle aussi àladimensionhumainedel’industrie nucléaire, Fidèles àl’histoire industrielled’une région,fidèles site du Tricastin, France. Usine Georges Besse II,inauguréele14décembre 2010, RÉALITÉS INDUSTRIELLES © AREVA ,TAILLAT JEAN−MARIE © AREVA ,PETITOTNICOLAS • AOÛT 2011 73 LUC OURSEL 72-76 Oursel:72-76 Oursel 27/07/11 15:11 Page74

usine prenne le nom de Georges Besse II. Quoi de Le modèle de centrifugeuse TC12 développé par ETC plus légitime au-delà du devoir de mémoire, tant la offre les meilleures garanties en termes de compétiti- décision stratégique de construire cette usine procède vité, d’économie d’énergie, de fiabilité technique et de la vision qui anima le capitaine d’industrie tout au d’impacts environnementaux. Pour pouvoir en doter long de sa carrière hélas trop tôt interrompue dans les l’usine Georges Besse II, AREVA a signé, le conditions dramatiques que l’on sait. Une vision que 24 novembre 2003, un accord avec URENCO en vue Jacques Lesourne, autre grande figure de l’industrie de prendre une participation de 50 % dans ETC qui française, économiste de renommée mondiale, a conçoit et fabrique ces équipements. Par ailleurs, exprimé dans un éloge posthume à son ami : « Il depuis le 3 juillet 2006, AREVA dispose du droit n’avait pas eu besoin de manuel pour comprendre que d’utilisation de la technologie de centrifugation pour la gamme des activités d’un groupe industriel n’est pas sa mise en œuvre dans l’usine Georges Besse II. une donnée pour l’éternité, mais doit être adaptée en La finalisation de l’accord a dû satisfaire à deux condi- permanence en fonction du potentiel de chaque élé- tions suspensives préalables à son entrée en vigueur. ment du portefeuille ». La première, liée à la situation du marché, a été levée TÉMOIGNAGES SUR GEORGES BESSE TÉMOIGNAGES Mus par la même démarche intellectuelle, les succes- le 6 octobre 2004, la Commission européenne ayant seurs de Georges Besse ont ainsi compris que l’activi- considéré que la concurrence sur le marché de l’enri- té d’enrichissement, un élément majeur dans le porte- chissement entre URENCO et AREVA n’était pas feuille de l’offre intégrée d’AREVA, devait s’adapter remise en cause. La seconde a été remplie le 3 juillet sans tarder à son marché. Hautement concurrentiel, 2006, à l’issue d’un processus diplomatique (le traité celui-ci se caractérise par une recherche constante de de Cardiff) entre la France, les Pays-Bas, le Royaume- compétitivité, de fiabilité et de flexibilité. En particu- Uni et l’Allemagne. lier, la voracité en énergie de l’usine d’EURODIF - Au final, toutes les parties ont eu gain de cause. elle est en France le plus gros consommateur d’électri- AREVA et URENCO restent concurrents dans la cité -, lui interdisait de répondre aux critères com- vente de services d’enrichissement tandis qu’ETC, merciaux, industriels et environnementaux d’aujour- bailleur du procédé de centrifugation, demeure le seul d’hui. propriétaire de la technologie et la met au service de ses clients, parmi lesquels figure AREVA. ET France (ETF), filiale d’ETC implantée sur le site du Tricastin, LA CENTRIFUGATION, UNE TECHNOLOGIE est, quant à elle, en charge de l’installation des centri- TRÈS PERFORMANTE fugeuses et de leur mise en service. Quatre grands acteurs détiennent 95 % des capacités totales installées de production d’uranium enrichi. Ils UNE USINE TRÈS RESPECTUEUSE utilisent deux procédés à l’échelle industrielle. D’une DE L’ENVIRONNEMENT part, la diffusion gazeuse utilisée depuis plus de tren- te ans par AREVA dans l’usine Georges Besse et par USEC aux États-Unis et, d’autre part, la centrifuga- Les performances environnementales de l’usine tion utilisée par URENCO avec une technologie Georges Besse II n’ont rien à envier à ses perfor- éprouvée depuis 1992 au Royaume-Uni, en mances industrielles. Conçue, dès l’origine, dans l’es- Allemagne et aux Pays-Bas, ainsi que par ROSATOM prit du développement durable, son impact est enco- en Russie, CNNC en Chine et JNFL au Japon. C’est re plus faible que celui de sa devancière, l’usine cette technologie avancée qu’AREVA a retenu pour Georges Besse I d’EURODIF. l’usine Georges Besse II et, à terme, pour sa petite Parmi ses caractéristiques les plus remarquables, la sœur américaine d’Eagle Rock (Idaho). centrifugation s’illustre par sa sobriété en énergie avec Les progrès réalisés à la fin des années 1980, dans le une consommation d’électricité cinquante fois infé- domaine de la résistance des matériaux en fibre de car- rieure à celle de la diffusion gazeuse. Autre avantage bone, ont permis à la centrifugation d’être considérée majeur, son procédé ne nécessite pas de prélèvement comme la technologie de référence en matière d’enri- d’eau dans le Rhône pour le refroidissement. Si l’on chissement de l’uranium. Ce procédé consiste à faire ajoute que la hauteur des bâtiments est deux fois tourner à très haute vitesse un bol cylindrique dans moins importante que celle de l’usine actuelle et que lequel est introduit de l’uranium sous forme gazeuse, le fonctionnement des machines n’entraîne aucune l’hexafluorure d’uranium (UF6). Sous l’effet de la nuisance sonore, on peut légitimement considérer que force centrifuge, les molécules les plus lourdes de l’usine Georges Besse II constitue un modèle d’inté- l’UF6 (U238) se concentrent à la périphérie tandis que gration dans le paysage et dans l’environnement. les plus légères (U235) migrent vers le centre. Cette Fortes de telles avancées, les nouvelles installations étape élémentaire de séparation des molécules est d’enrichissement d’uranium d’AREVA s’inscrivent répétée au sein d’un ensemble de centrifugeuses mises pleinement dans la démarche de progrès continu et de en série, appelé « cascades ». développement durable poursuivie par le Groupe.

74 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 72-76 Oursel:72-76Oursel27/07/1115:11Page75 le pourles1200salariésquecompteEURODIF. tions va permettre degérer aumieuxlaquestionsocia- De progressive même,l’entrée enservice desinstalla- entre 2012et2016,AREVA aconstituédesstocks. de sesclientsetassurer unetransitionsansproblème du marché. Pour être enmesure defournirl’ensemble jusqu’à 11millionsd’UTS, enfonctiondel’évolution 7,5 millionsd’UTS (1),avec uneextensionpossible ment correspondant àunecapacitédeproduction de AREVA estconstituéededeuxunitésd’enrichisse- La nouvelle usined’enrichissement dugroupe Nucléaire (ASN). aux prescriptions techniquesdel’Autorité deSûreté explosions, ontétéprisencompte,conformément séismes, inondations,chutesd’avions, incendies, L’ensemble desrisques,ycompris ceuxinhérents aux l’usine Georges Besse IIuntrèshautniveau desûreté. intrinsèques duprocédé decentrifugation,confèrent à œuvre etlefonctionnementsousvide,caractéristiques De même,lesfaiblesquantitésdematières misesen UNE USINEMODULAIRE Site deGeorges Besse IISud Unité 1,septembre 2010. équipes àl’entrée dans laphased’exploitation del’usi- charge delamaîtrised’ouvrage. Afindepréparer les du démarragedel’exploitation et27personnesen tait prèsde143personnesenchargelapréparation l’usine Georges Besse II.Fin 2009,l’entreprise comp- le d’AREVA, estlemaître d’ouvrage etl’exploitant de La Société d’Enrichissement du Tricastin filia- (SET), de lapremière cascadedel’unité. fonctionnement opérationnelavec lamiseenrotation celle dePierrelatte. Fin 2009,l’usine estentréeen commune deBollène,laseconde(unitéNord) sur La première unité(unitéSud) estimplantéesurla fugeuses. regroupés l’ensemble deshallsdecascadescentri- d’uranium (UF6), ainsi quelesmodulesoùseront tion, d’alimentation etdesoutiragel’hexafluorure (CUB), desannexes pourlesfonctionsdepurifica- ment abritantlesbureaux etlasalledecommande lier d’assemblage des centrifugeuses(CAB),unbâti- Chaque unitéd’enrichissement comprendra unate- vices d’enrichissement. (1) L’Unité de Travail deSéparation(UTS) estl’unité demesure desser- RÉALITÉS INDUSTRIELLES © AREVA ,PETITOTNICOLAS • AOÛT 2011 75 LUC OURSEL 72-76 Oursel:72-76Oursel27/07/1115:11Page76 76 TÉMOIGNAGES SUR GEORGES BESSE reste trèsprésentedanslegroupe AREVA. hommes commeGeorges Besse, dontlamémoire réputation. Une réputationquidoitbeaucoupàdes d’un nouveau fleuron industrielàlahauteurdesa se entêteetàl’industrie nucléaire françaisedesedoter l’enrichissement mondial, decontinueràfaire lacour- à AREVA, dumarché quidétientenviron de lequart Ces installationsdehautetechnologievont permettre l’électricien coréen KHNP pouruntotalde10%. GDF Suez, lessociétésjaponaisesKansaietSojitz et SET accueillesixpartenaires danssoncapital,dont les UTS produites parl’usine), lasociétéholding d’AREVA (actionnaire majoritaire quicommercialise SET aurauneffectifde450salariés.Aux côtés ploitation complètedel’usine Georges Besse II,la nisées depuis2004.Àl’horizon 2016,enphased’ex- cours théoriquesettravaux engroupes, ontétéorga- ne, denombreuses sessionsdeformation,intégrant RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 de la matière utilisabledanslesréacteursnucléaires. en uranium235(autourde4%)pourobtenirune L’enrichissement consisteà augmenterlaconcentration l’uranium 235estle seulàlibérer del’énergie parfission. 235 (0,7%).Peu abondantdansl’uranium naturel, appelés isotopes:l’uranium 238(99,3%)etl’uranium atomes trèssemblables,différenciables parleurmasse, L’uranium estunmétalcomposé principalementdedeux l’enrichissement. prend plusieursétapesindustriellesdontcellede sion, ildoitfaire l’objet d’un cycle d’opérations quicom- cité. Pour qu’il puissefournirlachaleurnécessaire parfis- comme combustiblenucléaire pourproduire del’électri- Le mineraid’uranium n’est pasdirectement utilisable DANS LECYCLEDUCOMBUSTIBLENUCLÉAIRE L’ENRICHISSEMENT DEL’URANIUM 77-85 Wissocq:77-85 Wissocq 27/07/11 15:12 Page77

Georges Besse, grand ingénieur, grand chef d’entreprise,

grand serviteur de l’Etat* TÉMOIGNAGES

François de Wissocq, qui succéda à Georges Besse à la présidence SUR GEORGES BESSE de la Cogema, eut l’occasion de préparer en 1993 un exposé sur la carrière de son prédécesseur. Il se trouve que ce travail portait prin- cipalement sur son passage dans le nucléaire, ce qui est somme toute logique : c’est là que Georges Besse passa l’essentiel de sa carrière et c’est le domaine que François de Wissocq eut à approfondir par lui- même, au sein des services des ministères chargés de l’Industrie et de l’Energie, puis à la Cogema. Les textes de Christian Marbach ne portant pas spécialement sur ce domaine, il a semblé utile de fournir aux lecteurs de ce numéro l’éclairage apporté à ce niveau par François de Wissocq. Ce dernier a volontiers accepté que nous publiions son texte, qu’il avait déjà fourni à l’Institut d’Histoire de l’Industrie, pour la rédaction du livre consacré à Georges Besse. Rappelons par ailleurs que cette contribution date de 1993 et que, très probablement, elle pourrait être enrichie aujourd’hui par des témoi- gnages ou des textes d’archives devenus disponibles depuis lors.

par François de WISSOCQ**

* Ce texte est celui d’une conférence prononcée par François de Wissocq à l’Ecole d’ingénieurs de Tours en 1993.

** Ingénieur général des Mines honoraire.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 77 77-85 Wissocq:77-85Wissocq27/07/1115:12Page78 78 TÉMOIGNAGES SUR GEORGES BESSE N 21 novembre 1986, auxInvalides. sera poursuivie»,disait-ilaucoursdelacérémoniedu français avait porté enpremierfrançais avait porté lieusurlafilière àura- De 1945audébutdesannées1970,l’effort nucléaire des circonstances qu’il mefautsituer. et rejoint leCommissariatàl’Energie Atomique, dans second, choisitd’être ingénieurauCorpsdesMines, 1948, être reçu àl’Ecole Polytechnique. Il ensort donnée safamilleetlesécolespubliquesqu’il apu,en c’est grâceàlaseuleforce del’éducation queluiont les pluspersonnelsdesavie,saufpourrappelerque Clermont-Ferrand. Nous n’évoquerons paslesaspects Georges Noël Besse estnéle25décembre 1927à Edmond HervéetFrançois de Wissocq (4 Visite d’Edmond Hervé,secrétaire d’Etat àl’Energie, àCogemaen1982.On reconnaît dedroite àgauche:Georges Besse, DES PREMIÈRES ANNÉES JUSQU’ÀPIERRELATTE RÉALITÉS INDUSTRIELLES est fière detoi,tonactionestenmarche, elle nos sentiments:«Georges Besse, leFrance ul mieuxqu’André Giraud n’a suexprimer • AOÛT 2011 e à partir deladroite). à partir Dreyfus etOleg Bilous. Il leurfautun chefdeprojet motion deGeorges Besse :Pierre Plurien, Gaspard central despoudres comprend trois camaradesdepro- cadre, lapetiteéquipequitravaille auLaboratoire On s’attaque de1952;dansce doncausujetàpartir électriques. cléaires depuissancedestinésauxgrandsréseaux voie dugraphite-gazpourdesréacteursélectronu- du temps,serévéleraaussipluséconomiquequela les dimensionsd’un sous-marin.Cettevoie, aufil avec desréacteursdontlataillesoitcompatibleavec stade thermonucléaire etpourproduire del’énergie on verra ensuite qu’elle estnécessaire pourpasserau caines utiliséesauJapon estissuedecettevoie, dont l’uranium enrichi.L’une desdeuxarmesaméri- qu’il nefautpasêtre absentdel’autre filière, cellede du Commissariatàl’Energie Atomique pensent Mais responsables trèstôt,certains delaDéfenseet par lespilesGdeMarcoule. gaz deChinonouSaint-Laurent-des-Eaux, enpassant nium naturel, delapileZoé auxréacteursàgraphite- © COLL.FONDATION GEORGESBESSE.D.R 77-85 Wissocq:77-85 Wissocq 27/07/11 15:12 Page79

et, unanimes, ils vont penser à lui parce qu’il est la fi- s’étaient finalement concentrés sur la «diffusion gure la plus populaire de la promotion. gazeuse», un procédé qui nécessitait d’énormes usines Réputé pour son énorme puissance de travail, il était et s’avérait gros consommateur d’électricité. Pour tout plus connu encore de ses camarades pour sa disponi- document, l’on disposait d’un article de Sciences et Vie bilité, pour la simplicité avec laquelle il les aidait à se et d’un rapport américain de 1947. préparer aux examens généraux de l’école, en leur Il faut donc, en pratique, tout découvrir, expéri- faisant comprendre de façon lumineuse ce qui leur menter, mettre au point, des principes du procédé avait échappé. Bon scientifique, certes, mais déjà jusqu’aux pilotes et à la réalisation. Le travail sera meneur d’hommes puisque, volontaire pour l’équipe organisé autour de trois axes principaux : de rugby nouvellement créée, il en est l’un des parti - – Les «barrières», c’est-à-dire les filtres à travers cipants les plus redoutables. lesquels à chaque passage du fluide, l’hexafluorure Plurien, Dreyfus, Bilous se sont donc choisi Besse d’uranium, un infime enrichissement sera obtenu. Il WISSOCQ FRANÇOIS DE comme capitaine. C’est Bilous qui l’appelle à faudra longtemps pour choisir la solution la plus Béthune, le convainc plus ou moins à venir aux ren- fiable et performante : elle ne sera arrêtée qu’entre seignements. Il se retrouve alors dans le bureau de 1961 et 1964, pour Pierrelatte ; Pierre Guillaumat, administrateur général du CEA, et – Les compresseurs, absolue merveille technique dans il est recruté avant d’avoir eu le temps de discuter. Il le cas du centre de Pierrelatte, où certaines machines, dira lui-même, en 1985, lorsque Pierre Guillaumat lui mises en pièce à l’origine, ont atteint 200 000 heures remettra sa cravate de commandeur de l’Ordre de fonctionnement ; un moteur d’automobile fonc- national du Mérite : tionne quelques milliers d’heures seulement ! « J’ai basculé dans le nucléaire, sans l’avoir voulu vrai- – Enfin, autre défi technologique, le fluide lui-même, ment ; j’étais à la fois amusé et un peu furieux. Je ne me corrosif et dangereux, et dont des années de fonction- croyais pas spécialement timide, mais j’étais resté sans nement dans la centrale de Pierrelatte, puis Eurodif, voix devant la volonté que vous représentiez ». auront montré qu’il a été totalement maîtrisé. La tâche à accomplir est incroyable. On savait, en Le directeur industriel du CEA, Pierre Taranger, savait France, au début des années 1950, que divers tirer le meilleur d’une équipe plutôt «bouillonnante». procédés étaient possibles, mais que les Américains Ayant créé la société Ussi, qui fédérait six grandes

© COLL. FONDATION GEORGES BESSE. D.R A Pierrelatte, le 6 novembre 1967, le général de Gaulle dira que de telles réalisations “permettent de montrer et de pré- senter ce que vaut un peuple, ce qu’il vaut dans son temps, ce qu’il sait faire, ce qu’il veut faire’’. Visite du général de Gaulle (2e à droite) à l’usine militaire de Pierrelatte le 6 novembre 1967. Georges Besse est le 2e à gauche, debout, penché et attentif.

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entreprises françaises pour assurer l’architecture retards pris pour la fourniture des combustibles néces- industrielle et la construction du projet, avec Richard saires à la force de frappe. G3A va contribuer à la réso- Baumgartner à sa tête, il en confia la direction géné- lution de ce problème en dessinant des machines rale à Georges Besse. Le calendrier très tendu fixé par sophistiquées de déchargement du combustible irra- le Président de la République, impliquait que l’on dié ; il faut aussi inscrire à son palmarès le réacteur à prenne le risque de lancer les études et une partie de haut flux de Grenoble, les réacteurs à eau lourde la construction avant que les choix définitifs ne soient «Célestins», à Marcoule (qui portent encore la marque faits sur des composants essentiels, tels que les bar- de Georges Besse), et «Rapsodie» à partir duquel se rières : c’était une énorme difficulté. développera la filière des réacteurs à neutrons rapides. La construction a commencé en 1960 : la première Le directeur scientifique et technique de G3A à des quatre usines de Pierrelatte a produit en janvier l’époque, André Ertaud, raconte qu’il avait été frappé 1965 et le dernier groupe est entré en service en avril par la simplicité de relation de Georges Besse, direc- 1967 ; le général de Gaulle, à Pierrelatte, le teur général à 36 ans : 6 novembre 1967, dira que de telles réalisations « per- « Je sais que je suis jeune, mais ça me passera », s’excu- TÉMOIGNAGES SUR GEORGES BESSE TÉMOIGNAGES mettent de montrer et de présenter ce que vaut un se-t-il au cours de leur premier entretien. Cela ne lui peuple, ce qu’il vaut dans son temps, ce qu’il sait faire, a pas vraiment passé. ce qu’il veut faire ». Il ne pouvait y avoir de meilleur En 1968, Richard Baumgartner confie à Georges éloge aux ingénieurs et serviteurs de l’Etat qu’étaient Besse la présidence d’Alcatel, qui, comme G3A et Georges Besse et ses équipes. Alsthom, était issue de l’ancienne Société Alsacienne Deux exemples situeront son approche de tels sujets. de Constructions Mécaniques, mais Alcatel fusionne Très tôt, il chiffre le projet. Il y a dans les archives de peu après avec la CIT, sous la présidence d’Ambroise l’enrichissement, une note de sa plume de 1956 (il a Roux et la direction générale de Georges Pébereau. vingt-huit ans !) donnant un premier ordre de gran- Georges Besse devient alors directeur général adjoint deur des performances d’une usine, de son coût, de du nouvel ensemble, en charge des activités méca- ses besoins en électricité, significatifs au regard de la niques, qui comprennent, entre autres, des ateliers de production française ; les ordres de grandeur donnés mécanique fine à Annecy ; il va diversifier ces ateliers au général de Gaulle, deux ans plus tard, par le CEA, en implantant sur le même site la partie mécanique de resteront très voisins de ces chiffres là. la production des combustibles des réacteurs gaz gra- Et déjà, quel sens des responsabilités vis-à-vis de ses phite. Ceci est l’amorce d’une société, la SICN collaborateurs ! Au printemps de 1956, le budget de (Société Industrielle de Combustible Nucléaire), qu’il l’Etat est morose, les études des ingénieurs des prendra soin d’acquérir dix ans plus tard, lorsqu’il sera Poudres, en plein démarrage, risquent d’être stoppées aux rênes de Cogema. net. Georges Besse réunit ses camarades, au café de la Sans doute cette époque a-t-elle enrichi son expérien- Marine, quai Henri IV, dont ils étaient familiers, leur ce en le mettant au contact de l’industrie mécanique explique la situation, envisage avec eux un reclasse- et de la gestion d’importants ensembles de production ment, qui fut heureusement progressif. Car quelques (CIT-Alcatel comptait plus de dix mille personnes). mois plus tard, l’échec de l’opération militaire de Nul doute qu’il en ait tiré parti chez Cogema, Suez, lié notamment aux menaces nucléaires dont la Pechiney et Renault. De même, la gestion financière France et la Grande-Bretagne furent l’objet, conduisit propre au groupe d’Ambroise Roux a contribué à sa le gouvernement de Guy Mollet à donner l’ordre de maîtrise de la lecture des bilans, à son goût pour de reprendre, toutes affaires cessantes, ces développe- solides provisions et à son expérience des acquisitions ments nucléaires. et des fusions ; à vrai dire, en bon enfant du Puy-de- Dôme, il considérait déjà l’état de la trésorerie comme le véritable juge de paix. C’est un langage que l’on n’a pas oublié ensuite chez Cogema, Pechiney, ou Renault. DE PIERRELATTE À EURODIF : G3A, ALCATEL, Georges Besse diversifie CIT-Alcatel, tout d’abord CIT-ALCATEL en industrialisant le procédé laser, dont la découver- te scientifique est récente : 1960 ; un prix Nobel est En 1964, les travaux de Pierrelatte approchent de leur attribué en 1964, les laboratoires français y tra- fin. Richard Baumgartner, qui a apprécié Georges vaillent et Georges Besse, en pionnier, lance les pre- Besse au sein d’Ussi l’oriente vers G3A (Groupement mières applications industrielles, pour les besoins du Atomique Alsacienne Atlantique), puis vers Alcatel. CEA, en particulier la «fusion», pour la télémétrie et G3A, société d’ingénierie d’environ trois cents per- pour des équipements de productique (soudure, sonnes, a accompli des performances remarquables, coupe, etc.). II crée aussi, selon un concept entière- en particulier à Marcoule où elle fut appréciée de ment nouveau, la Générale de Services Pierre Guillaumat. Georges Besse en prend la direc- Informatiques (GSI), devenue aujourd’hui un grou- tion générale alors que l’Elysée est fort mécontent des pe européen de services informatiques de quelque

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© COLL. FONDATION GEORGES BESSE. D.R Vue aérienne de l’usine Eurodif (aujourd’hui usine Georges Besse I).

trois mille personnes. La principale difficulté, dans en attendant de nouveaux programmes, qui vont ce métier nouveau, résidait dans la perfection de venir avec Eurodif. l’exécution. Pour le traitement informatique de la La genèse d’Eurodif contient deux chapitres : une paie ou la facturation de ses clients, on doit, comme grande bataille politique et économique ; puis une pour le nucléaire, aller vers le zéro défaut ; il y fallait réalisation qui est un modèle de management. Si le caractère exigeant et le sens du concret de Georges Georges Besse a eu le premier rôle dans cette phase-ci, Besse, qu’il manifeste aussi à la tête de la Compagnie il a été, avec Michel Pecqueur, un des précieux Générale d’Automatisme où, entre autres choses, il seconds d’André Giraud pour la phase précédente. met au point les matériels de lecture des cartes Au début des années 1970, il apparaît, en France magnétiques, en particulier pour l’accès au métro. comme à l’étranger, que la filière à eau légère a gagné Pour le compte de la Société Générale, il dirige la la partie et que les besoins en uranium enrichi vont réalisation des premiers distributeurs automatiques aller croissant. Mais où le faire enrichir ? de billets de banque, Bancomat : cela ne se passe pas Essentiellement aux Etats-Unis, un peu en URSS. Les sans quelques problèmes, ni quelques «rognes» de sa Américains utiliseront cette position dominante jus- part et, comme pour Pierrelatte où le procédé avait qu’à l’extrême limite, en particulier pour faire obstacle été testé par des pilotes, Georges Besse prend la pré- à toute réalisation qui leur soit extérieure. En Europe, caution d’essayer ces machines... cette fois, avec de les intérêts sont divergents ; il y a querelle de procédé faux billets obligeamment prêtés par la Banque de entre la diffusion gazeuse et l’ultracentrifugation France. réputée plus flexible et moins lourde en investisse- ment. André Giraud va donc mener sa bataille, tant exté- EURODIF rieure qu’intérieure, après avoir arrêté sa stratégie avec une clairvoyance extrême dès le 23 novembre 1970. Elle consistera à se trouver des alliés fidèles en On a peine à croire qu’un même homme ait pu faire Belgique, en Italie et en Espagne, et à présenter des tout cela ; et pourtant, au début des années 1970, tout propositions attrayantes par rapport aux offres améri- en œuvrant à CIT-Alcatel, il aide aussi Ussi à survivre caines aux moments cruciaux de la compétition, avec

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l’appui des autorités françaises, et en tout premier lieu s’est révélée à l’usage être flexible techniquement, et de Georges Pompidou. Ainsi naît Eurodif, en avril résistante financièrement. Il a été possible, dans les 1972, groupement d’intérêt économique entre entités années 1980, de faire face aux défaillances de certains nucléaires des pays intéressés, présidé initialement par clients, les Iraniens en particulier, et de répondre aux Michel Pecqueur et géré par Georges Besse. Cette besoins de «modulations» d’électricité en France, tout structure permettra au CEA, en mars 1973, de en remboursant les dettes comme il était prévu. Il est contrer les exigences américaines ; et surtout d’être vrai que pour ce qui concerne l’Iran, Eurodif put bien prêt pour la décision finale de construire l’usine défendre ses intérêts et, après plus de dix ans de lorsque la guerre du Kippour et l’embargo pétrolier bataille juridique, les faire prévaloir grâce aux actions conduisent le gouvernement de Pierre Messmer à lan- juridiques vigoureuses que Georges Besse avait enga- cer une grande politique énergétique. Le 23 novembre gées dès 1979. 1973, le gouvernement annonce à l’Assemblée natio- Ajoutons que, commercialement, Georges Besse avait nale que la construction de l’usine sera réalisée pour su convaincre les clients les plus prudents du monde, mise en production en 1979. Le pari sera tenu, mais les électriciens japonais, de faire confiance à Eurodif et TÉMOIGNAGES SUR GEORGES BESSE TÉMOIGNAGES il faut souligner que s’il a pu être pris - et gagné -, c’est de passer commande dès 1974 de livraisons représen- parce que Georges Besse était lui-même parfaitement tant 10 % de la capacité d’Eurodif, à effectuer de prêt à la fin de 1973. L’expérience acquise à 1979 à 1989. Nous avons pu, depuis, élargir la clien- Pierrelatte, le talent de Georges Besse, le maintien tèle, en Europe, aux Etats-Unis et en Extrême-Orient. d’une compétence à Ussi : autant d’atouts qui don- C’est cela, la technologie qui réussit. naient à André Giraud une main gagnante. A comp- ter du 1er janvier 1974, les études de détail vont s’en- gager à un rythme accéléré, les effectifs d’Ussi COGEMA remontent à cinq cents personnes et l’ingénierie va travailler ferme pendant deux ans, avant de dérouler la phase de construction proprement dite, menée de Comment Georges Besse peut-il conduire simultané- façon extrêmement rapide à compter de 1976. Pour ment, autant de grandes affaires ? Car, le projet situer quelques ordres de grandeur, l’usine est capable Eurodif à peine engagé, il doit s’impliquer dans d’alimenter une centaine de réacteurs de 1 000 MW, l’autre volet stratégique d’André Giraud, la création et l’échelle du projet, avec les réacteurs d’EDF asso- de la Compagnie générale des matières nucléaires, ciés, se compare à celle du tunnel sous la Manche. Le Cogema. 9 avril 1979, le premier conteneur d’uranium enrichi Au fil du temps, le CEA s’était constitué un potentiel peut être livré, en présence de Raymond Barre, et le industriel considérable : mines d’uranium en France programme est donc tenu, en délais, mais aussi en et à l’étranger, usines de Pierrelatte, de Marcoule, de coût. L’achèvement des quatre usines se poursuivra La Hague, participation dans Eurodif. L’idée d’en jusqu’au printemps 1982, où les 1 400 étages sont en faire une société existait depuis la fin des années 1960, fonctionnement et la pleine capacité atteinte. et sans doute eût-elle pris corps plus tôt si le «direc- La perfection avec laquelle ce programme se déroule teur des productions» de l’équipe, Jacques Mabile, contraste avec les difficultés qu’a rencontrées la réali- n’avait trouvé la mort dans un accident d’avion, le sation de Pierrelatte. Pourquoi ? A Pierrelatte, il a fallu 21 janvier 1971. André Giraud reprend ce projet pour mener en même temps les dernières études sur les gérer ces activités dans le cadre d’une société anony- composants, les tests sur pilote, la réalisation de l’usi- me, selon les pratiques de l’industrie, différentes de ne. Pour Eurodif tout, ou presque, était connu au celles d’un établissement public de recherche et de 1er janvier 1974. développement tel que le CEA. L’entreprise ainsi créée D’autre part, la nécessité de faire avancer en parallèle peut devenir un acteur majeur du cycle du combus- le procédé et la construction de l’usine avait conduit, tible nucléaire sur la scène internationale et mobiliser pour Pierrelatte, à une grande complexité de la maî- des financements auxquels le CEA ne pouvait accéder. trise d’ouvrage au CEA, dont Georges Besse avait Dès l’origine, la possibilité d’ouvrir le capital à des mesuré les inconvénients. Rien de tout cela pour intérêts privés est ouverte – et elle s’est matérialisée Eurodif où une même main, la sienne, tient une maî- récemment avec l’entrée de Total au capital de trise d’ouvrage, d’ailleurs limitée à quelques personnes Cogema. La société est créée le 19 janvier 1976 et elle de haute qualité, et une équipe d’ingénieurs puissan- reçoit les apports du CEA en juillet 1976. Georges te, chez Ussi. Besse en est, à l’origine, directeur général sous la pré- Avec Eurodif, Georges Besse a réalisé un grand projet ; sidence d’André Giraud, puis devient président direc- il en a fait aussi une belle affaire industrielle, grâce au teur général en 1978. montage financier de contrats irrévocables négociés L’opération ne va pas de soi. Car l’un des effets du avec les actionnaires, qui étaient aussi les clients. transfert des personnels du CEA à Cogema est de leur Cette immense machine, conçue pour fonctionner à faire perdre le statut propre à l’établissement public, longueur d’année au voisinage de sa pleine capacité, pour entrer dans le cadre des conventions collectives

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de l’Union des Industries métallurgiques et minières reprendre par Cogema la société Saint-Gobain (UIMM). De grandes grèves se déroulent à la Hague Nucléaire (SGN) qui avait bâti Marcoule et la pre- et à Marcoule, en 1976 et jusqu’au début de 1977. mière usine de La Hague, et où se trouvaient les com- Georges Besse paiera de sa personne, avec André pétences en matière de retraitement. Epaulée par Ussi, Giraud et le directeur du personnel, Gérard Bonneau, Technip et Technicatome, elle a pu se porter à la et obtiendra, au terme de ces conflits, un bilan d’ad- dimension du projet en mobilisant plus de trois mille hésion des personnels CEA au «statut» de la Cogema personnes d’ingénierie et elle est devenue l’une des qui a dépassé 80 %. Ce succès est aussi un bon choix, toutes premières sociétés d’ingénierie françaises. pour les personnels, dont il m’a paru évident, quelques années plus tard, qu’ils ne regrettaient pas de l’avoir exercé. C’est aujourd’hui un exemple, pour les PECHINEY grandes transformations que le secteur public devra WISSOCQ FRANÇOIS DE accomplir. Gérard Bonneau nous rapporte que vis-à-vis des syn- Nous quittons Cogema pour Pechiney où Georges dicats, qui pourtant ne le ménageaient pas, Georges Besse vient d’être nommé président-directeur général, Besse disait : «Ne leur mentez jamais. Pas de faux sem- sur la proposition de Pierre Dreyfus, alors ministre de blant. Pas de fausses promesses. Dites-leur la vérité, l’Industrie. même si elle est dure». Nous le verrons appliquer les J’y suis arrivé un matin de février, raconte-t-il, tout seul mêmes principes chez Pechiney et chez Renault. Dans et pas plus rassuré que cela. On m’a reçu, on m’a fait un les domaines autres que l’enrichissement de l’ura- amphi, en bas, dans les sous-sols. Je suppose que personne nium, Georges Besse organise la stratégie de Cogema n’était réellement plus rassuré que moi. La confiance, selon trois objectifs fondamentaux : pourtant, va s’établir rapidement. a) maîtriser la production d’uranium naturel, dont les Pechiney a de grands problèmes : deux milliards de prix s’envolaient en 1976. La bataille fut âpre, mais perte en 1981, dix milliards de francs de dettes à long son action et celle de ses successeurs font de Cogema, terme, de lourdes charges financières. En outre, la en 1993, le premier producteur mondial ; société est sous le choc de la nationalisation qui vient b) obtenir le combustible à partir de l’hexafluorure d’intervenir. Georges Besse, qui avait du respect pour d’uranium enrichi. Il a fallu beaucoup de talent à la qualité des hommes de l’entreprise, a réussi une Georges Besse pour engager de difficiles négociations transition sans traumatisme, facilitée par l’éthique de avec les deux autres acteurs Framatome et Pechiney. son prédécesseur, Philippe Thomas, et l’aide du direc- Elles ont abouti, en 1992, à faire de Cogema et teur général, Desazars de Montgailhard. Framatome les leaders en ce domaine ; Il obtient des résultats spectaculaires : dès 1984, la c) mettre en œuvre le retraitement des combustibles situation nette redevient supérieure aux dettes, un après leur utilisation dans les réacteurs. Les principes profit de plus de cinq cents millions de francs est du procédé sont simples : on sépare les composants constaté, de grands investissements (cinq milliards) réutilisables et les déchets, qui seront conditionnés et sont financés par la marge brute d’autofinancement et stockés en fonction de leur radioactivité et de leur le produit de cessions heureusement négociées. A la durée de vie. Mais la mise en œuvre s’avère très com- base de ce «nouveau départ», on trouve notamment plexe en raison des conditions hostiles où l’on doit deux actions : travailler : installations inadaptées initialement à ces – La cession de la chimie de Pechiney, a été réalisée au combustibles très irradiés, nouvelles techniques à 1er janvier 1983 dans le cadre de la réorganisation de mettre au point, problèmes mécaniques inédits. la chimie française et s’est traduite par un allégement Georges Besse a mené à Cogema, avec Claude des pertes et de l’endettement. Plus généralement, le Ayçoberry, la tâche ingrate de maîtriser chacune des bilan a été restructuré à travers les désinvestissements, difficultés, et cela, dans un climat nouveau où l’opi- et avec le concours de l’Etat. nion publique se faisait beaucoup plus exigeante vis- – Le jour de son entrée à Pechiney, Georges Besse, qui à-vis des activités nucléaires. se souvenait d’Eurodif, s’était penché sur le prix du Compte tenu des problèmes des années 1976-82, il courant d’EDF, matière première de l’aluminium pro- fallait avoir une confiance fondamentale dans son duit en France. Parallèlement à la restructuration de savoir-faire pour lancer en même temps le grand pro- l’outil de production, il va mener une grande négo- jet d’extension de La Hague : deux usines nouvelles ciation au terme de laquelle il obtient un droit d’usa- UP3 et UP2-800, un investissement de l’ordre de cin- ge d’une partie de centrale nucléaire et dispose désor- quante milliards de nos francs, pour satisfaire les mais de courant à un coût en ligne avec le prix de besoins d’électriciens japonais, allemands, belges et, revient hors charges de capital. bien sûr, d’EDF. A partir de là, Pechiney pouvait reprendre une straté- Je dois souligner que pour mener un investissement gie offensive, tout d’abord dans sa branche alumi- d’une pareille ampleur, Georges Besse a, comme tou- nium où, pour la production, la priorité était donnée jours, raisonné en homme d’ingénierie, en faisant au Cameroun, à l’Australie et au Québec, avec retrait

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parallèle de l’Espagne et des Etats-Unis. De forts La première année a donc été consacrée à prendre la investissements dans la transformation de l’alumi- société en main, à colmater les voies d’eau, à pleine- nium ouvraient la voie à l’absolution ultérieure du ment exercer l’autorité de la direction générale, sans groupe vers l’emballage. concéder de terrain aux organisations syndicales ni Le reclassement de la branche cuivre était organisé, en aux pouvoirs publics, dont les relations directes même temps que les positions de Pechiney dans le avaient, dans le passé, sérieusement interféré avec les nucléaire étaient consolidées par un président qui responsabilités de la direction. était bien placé pour reconstruire les rapports avec L’épreuve de vérité a été la grande grève du Mans, d’oc- Cogema et Framatome. Quelques années plus tard, tobre/novembre 1985 où il a montré qu’il ne lâcherait Georges Besse écrivait : pas et prouvé qu’une minorité ne pouvait dicter sa loi ; Nous avons fait du beau travail ensemble. Etre capable le conflit s’est donc terminé sans concession. en plein milieu d’une crise profonde, de se remettre en Mais il connaît le coût de ce combat pour ceux qui cause et de reposer les bases de sa propre industrie, être l’ont mené et il comprend leur désarroi à son issue. Il capable d’être assez iconoclaste pour toucher à ce qui a refusera le champagne que ses amis lui offrent, le der- TÉMOIGNAGES SUR GEORGES BESSE TÉMOIGNAGES fait la gloire et la fortune de Pechiney est la preuve d’une nier soir, pour fêter l’événement. Et, le lendemain, il très grande classe. Le fait que cette équipe l’ait entrepris fera afficher dans les usines une note dont le thème toute seule est le signe d’une très grande rigueur. était : Une direction ne gagne pas contre son personnel. Remettons-nous au travail ensemble. Aujourd’hui, en 1993, et bien qu’il ait réduit les effec- RENAULT tifs et bloqué les salaires pendant deux ans, vous trou- verez toujours sa photo dans les bureaux de Renault. On est venu chercher Georges Besse pour l’enrichisse- Il est l’homme qui a remis l’organisation en ordre, qui ment, en 1955, puis pour G3A, Alcatel, Eurodif, l’a tournée vers de grandes ambitions. Cogema, Pechiney. On l’appelle au secours le 25 jan- La suite de l’histoire a montré, avec Raymond H. vier 1985, date à laquelle le gouvernement lui confie Lévy, que c’est ainsi qu’il fallait mener Renault, qui la présidence de Renault qui vient d’enregistrer des a atteint les objectifs que lui assignait Georges pertes considérables. La société est en état de choc : Besse. Georges Besse ne cherche pas à la rassurer, bien au Puis-je, en achevant cet exposé, méditer quelques ins- contraire, fidèle à sa fondamentale droiture vis-à-vis tants encore avec vous sur l’homme que fut Georges de ses collaborateurs. Mais il sait très vite se faire Besse et sur son œuvre. connaître, «passer» par son langage direct, sa simplici- L’on a vu, depuis quarante ans, se réaliser de grands té bourrue, et par sa «présence» physique, symbole programmes technologiques. Certains ont volé vite, d’énergie et de maîtrise de soi. mais se sont « posés court », faute que le mariage entre Il est venu très tôt dans les usines, où la direction ne la technique et l’économique ait été strictement établi, s’aventurait plus guère. Là, on comprend que le vrai et que la direction du projet ait été suffisamment patron, ce ne sont pas les organisations syndicales, qui rigoureuse. Par comparaison, l’œuvre de Georges vont défendre leur «forteresse» au cours de l’année Besse nous apparaît formidable, puisqu’elle dure et 1985, mais lui et, avec lui, la hiérarchie de la société à continue de se développer : les contrats d’Eurodif avec qui il a redonné ses responsabilités. les Japonais ont été étendus jusqu’à 2005 ; la Cogema Déjà, à son arrivée à Pechiney, devant les lettres syn- s’ouvre au capital privé, et plus précisément à un par- dicales demandant l’ouverture de négociations à son tenariat avec Total dont je puis témoigner qu’il avait niveau sur les questions particulières touchant tel ou été envisagé dès la fin des années 1970 ; la diversifica- tel site, il répondait qu’il y avait un directeur d’usine, tion de Pechiney s’est faite sur des bases préparées par qui avait son entière confiance^ en charge de traiter la Georges Besse ; le succès de Renault, son image de question posée. Ainsi ressoude-t-on une équipe. qualité sont le fruit de la continuité qui s’est établie Chez Renault, on garde un grand souvenir de sa visi- entre les présidents exceptionnels qu’ont été Georges te à Flins, peu après son arrivée. D’une travée voisine, Besse et Raymond H. Lévy. des représentants syndicaux l’interpellent ; il va vers C’est donc d’une œuvre bien vivante qu’il s’agit. eux, devant les télévisions qui espèrent un incident et, Un autre trait frappe : Georges Besse n’a jamais rien calmement, discute, explique ce que coûtent les équi- brigué ; on est venu le chercher : ses camarades et pements avec lesquels on travaille, qu’il va falloir Pierre Guillaumat, en 1955 ; Richard Baumgartner, gagner de quoi les payer, et qu’il améliorera donc la dix ans plus tard ; André Giraud, par deux fois, pour productivité. Il y consacre quinze minutes puis dit, Eurodif, puis Cogema ; Pierre Dreyfus pour tranquillement, qu’il a fini maintenant. Il s’en va sans Pechiney ; le gouvernement pour Renault. Et l’on encombre. reste étonné, au sens plein du terme, du contraste Son courage physique, sa volonté de dialogue sans entre la dimension de ce qu’il a, chaque fois, réalisé et langue de bois, ont profondément marqué les person- sa quasi solitude au début de ces grandes missions où nels de Renault. il avait bien peu de munitions entre les mains.

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Il était animé d’une profonde exigence morale, vis-à- restera convaincu qu’il faut, comme aux Etats-Unis, vis de lui-même, vis-à-vis des autres. Il savait l’impor- lutter pour s’imposer... et saura toute sa vie dessiner de tance des détails, il savait que rien ne s’arrange sans mémoire des cartes de géographie. effort. Il s’impliquait donc, personnellement, à fond, Georges Besse était et demeure l’un des industriels mais il excellait en même temps à «jauger» les français les plus respectés au Japon, mais aussi en hommes, à les motiver et obtenir d’eux le maximum Grande-Bretagne et en Afrique, comme en a témoi- par des directives précises et une grande disponibilité gné la présence de ses amis nigériens à la cérémonie pour le dialogue. des Invalides de novembre 1986. Les questions ne restaient jamais sans réponse et, par- Georges Besse, qui savait combien gagner un peu tout où il est passé, l’on se souvient de ses notes, dif- d’argent est difficile, avait la plus grande vigilance vis- fusées le lundi matin et préparées pendant le week- à-vis de ce qui coûte. Il défendait les sous, les petits end, où chacun trouvait la ligne qu’il allait devoir sous de son entreprise – fût-ce face au CEA et à André WISSOCQ FRANÇOIS DE suivre. Quant on est aussi proche des hommes et atte- Giraud ! – ; pour lui, les recettes se chiffraient en mil- lé à la même tâche, on ne s’embarrasse ni des inutiles lions de francs, les achats en milliards de centimes : ni des paresseux et encore moins des courtisans et des cela impressionne et invite à l’économie. Et il gérait carriéristes professionnels, qu’il méprisait : « Je coiffe ses affaires en se concentrant d’abord sur la situation au bol, et coupe tout ce qui dépasse », disait-il en arri- de leur trésorerie, sachant bien qu’il n’y a de liberté vant dans une entreprise où il y avait quelques redon- d’entreprendre que si l’on en a les moyens. dances. De ce grand patron, qui était nécessairement rude, Trois autres aspects de sa personnalité nous retiennent ceux qui l’ont bien connu et servi se plaisent à souli- encore. gner la générosité de cœur. Il était profondément juste Sa vision des problèmes était internationale, mondia- et respectait les personnes. Il montrait la plus grande le même. Sans doute, l’élève du lycée de Clermont- fidélité en amitié, allant jusqu’à ne pas manquer un Ferrand n’avait-il guère quitté l’Auvergne avant de déjeuner avec ses anciens collègues du «Quai «monter» à Paris pour le concours de l’Ecole Henri IV», trente ans après, au moment où la grande Polytechnique, mais, à la fin de ses deux années d’éco- grève de Renault au Mans battait son plein. Peu le, il avait fait avec quelques camarades un long voya- d’hommes sont capables de réunir cette fidélité et ge à travers les Etats-Unis et il en revint en ayant cette maîtrise de soi. mesuré la dimension de l’économie américaine et, à Il est peu d’hommes, aussi, dont la mémoire suscite l’inverse, l’échelle modeste de la France de 1951. Il une telle vénération parmi ceux qui les ont entourés.

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IN MEMORIAM : Georges Besse (1927-1986)

TÉMOIGNAGES Cet In memoriam a été écrit par Jacques Lesourne peu après l’as- sassinat de Georges Besse, son camarade de promotion (X1948) et ami. Il a été publié dans le numéro d’août-septembre 1987 de La

SUR GEORGES BESSE Jaune et la Rouge, la revue des anciens élèves de l’Ecole Polytechnique. Ce texte est reproduit avec l’aimable autorisation de cette revue et de l’auteur.

par Jacques LESOURNE*

© COLL. FONDATION GEORGES BESSE. D.R © COLL. FONDATION GEORGES BESSE. D.R Georges Besse en tenue de Polytechnicien. Jacques Lesourne en tenue de Polytechnicien.

* Ingénieur général des Mines honoraire, membre de l’académie des technologies – président de Futuribles International.

86 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 86-88 LesourneInmemoriam:86-88memoriam27/07/1115:12Page87 I montre mieuxquelanécessité,lorsquel’on parlede Cet équilibre danslesrelations avec leréel,rienne situ ations complexes etnouvelles ? signifie lebonsenslorsquel’on estconfronté àdes sens, auraitditGeorges Besse parmodestie,maisque D’où unesûreté dejugementpeucommune.Du bon jamais distraire parl’attraction desjeuxintellectuels. interpréter envuedel’action, etquineselaissait crète, pénétrante,apteàchoisirlesfaitsmajeurs, gence. Une intelligencedesêtres etdeschoses,con- Le troisième desessecrets étaitceluidesonintelli- fondamental del’accessoire. tout momentcapabledeséparer, quantaux valeurs, le etleurmasqueleréel,carilsesentaità gie decertains il pasdufatrasdecasconsciencequiépuisel’éner plus droits quej’aiejamaisconnus,nes’embarrassait- vie l’amenait àpoursuivre. Aussi, cethomme,l’un des propre auxmultiplesobjectifsintermédiaires quela l’essentiel, autantilsegardait d’attacher unevaleur Mais autantGeorges Besse étaitinébranlablesur naître lefrein del’inhibition. tait d’agir sansêtre parl’adversité écartelé etsanscon- puisait sasécuritéetlaforce tranquillequiluipermet l’honnêteté, laresponsabilité, l’amitié. C’estlàqu’il corrosion, unSurmoi devaleurs simples.Lavérité, Il yavait enluiunnoyau dense,inaltérableàtoute Le secret decetéquilibre ?Je pensequ’il étaittriple. avec leréel. tout chezGeorges Besse l’équilibre danslesrelations l’environnement, carlaréalité profonde étaitavant évoque aux actions de une résistancepassive etbrute Besse sasolidité etsacontinuité.Non, sileterme intérieure »quidonnaitàlapersonnalitédeGeorges si cetteexpression désignelamatière dela«statue « Un hommedegranit»aécritJacques Julliard. Oui, même decetteunicité. l’avenir estdechercher àfaire comprendre latexture témoignage quesesamissedoivent deléguerà homme avait quelquechosed’unique etleseul Or,fonctions etlescirconstances desamort. cet l’homme derrière auradisparu lasuccessiondeses Mais alorsl’essentiel risqued’être àjamaisperdu, car entière. marginaux pourtenterd’atteindre lasociététout centreront surlesymbolechoisiparunepoignéede ceux delatristeaventure duterrorisme, quisecon- secteur publicdeladeuxièmemoitiéduXX salueront aupassagel’un du desgrandsconstructeurs ceux del’économie etdel’industrie françaises,qui subsistera plusquechezdeuxgroupes d’historiens, à sedissoudre. Dans deuxoutrois décennies,ilne les atteigne–sonsouvenir continueraàs’estomper et intacte samémoire jusqu’à àleurtour, cequelamort, du cercle desafamilleetsesamisquigarderont processus quiferaqu’au fildesannées–endehors balles destueusesetdéjàs’est amorcé l’inexorable yahuitmois,Georges Besse esttombésousles l e siècle, et - - dans lesdernières heures dumarchandage, ilavait, donnés. Je levois encore meracontantcomment, repreneurs lesconditionsdecessiondessecteursaban- essentiels, toutennégociantdurement avec les ses actifs,iln’hésita pasàlerecentrer sursesmétiers Péchiney affaibliparl’étendue etl’hétérogénéité de des nationalisationsde1982,ilhéritad’un groupe Lorsqu’auchaque élémentduportefeuille. lendemain adaptée enpermanencefonctiondupotentielde n’est pasunedonnéepourl’éternité, maisdoitêtre que lagammedesactivitésd’un groupe industriel Il n’avait paseubesoindemanuelpourcomprendre duite avec souplesseetfermeté? 1986 sousl’effet d’une diminutiondupersonnelcon- spectaculaire delaproductivité deRenault en1985et Comment nepasgarder enmémoire leredressement fectif avec honnêteté,ténacitéetpragmatisme. t-il toujoursabordé lesproblèmes deréductionsd’ef- ensacrifier.sauver des emploisilfautparfois Aussi a- produit à lachaînenotre société,ilsavait quepour A l’opposé desmarchands d’illusions, cetteespèce que ou laconsommationdesressources. d’économisé uneépargnedansletravail deshommes était unrevenu supplémentaire àdistribuer, unfranc du profit et n’oubliant jamaisqu’un francdegagné traintes, acceptantcommeuneévidencelanécessité De lavieindustrielle, ilaassumélaplénitudedescon- de laRégiequileconnaissaientàpeine. Besse furent souvent ceuxd’humbles collaborateurs les messagesplusémouvants quereçut Françoise que véhiculaitletam-tamintérieur. Et, aprèssamort, d’une usineoud’un atelier, ouàtravers lesmessages ble dupersonnellesentaitd’instinct, lorsdelavisite chez leshommesassoiffésdepouvoir. Cela,l’ensem- venait semêleraucunetracedecesadismesifréquent meté vis-à-visdesindividusquiavaient failli,ne sphère decultelapersonnalité.De même,àsafer- des PDGetquirend étouffanteautourd’eux l’atmo- personne cenarcissisme exacerbésicommunàbien groupes démoralisés.Et ill’a faitsansqu’émane desa enthousiastes etremettre surledroit chemindes toujours prêtàaider. Aussi a-t-ilpucréerdeséquipes travailleur, stable,capablededonnersaconfianceet Renault. Un patron duretexigeant.Mais unpatron a commandées,d’Ussi àlaCogema,dePéchiney Il aétélepatron incontesté detoutesleséquipesqu’il ses convictionsprofondes. car ilfutvrai,avec desmotssimplesquiexprimaient pour redresser l’image delaRégie.Et ilpassa l’écran, vint letempsdusalondel’Auto àalleraucharbon Pourtant, iln’a pashésité,lorsqu’à l’automne de1986 tête deRenault pour devenir unevedette desmédias. il eûttrouvé indignedeprofiter desesfonctionsàla Il n’aimait lamodeet pasleclinquant,superficiel, l’ami. Que l’évocationportée. concerneledirigeantou lui, dequalifierchaqueproposition pourenlimiterla RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 87 JACQUES LESOURNE 86-88 LesourneInmemoriam:86-88memoriam27/07/1115:12Page88 88 TÉMOIGNAGES SUR GEORGES BESSE dionale, quenulnepouvait arrêteretquisenourris- la formed’une formidableamplificationquasiméri - Dans leprivé, cetteférocité mêléeàl’humour prenait Georges Besse avait souvent ladentdure, onlesait. « société. Nul nel’a mieuxditqueJacques Julliard : aux faiblessesdeshommesettares denotre il aimaitlesjeuxdel’esprit lorsqu’ils s’appliquaient abstraites quines’enracinaient pasdanslesfaits.Mais intellectuel. Il seméfiaitaucontraire desthéoriestrop Une vieoùl’intelligence Non aeusapart. qu’il fûtun fessionnelle. Il luiapermisderéussirsavie. le réeln’a pasétéseulementlaclédesa réussite pro- émanaient delui,carl’équilibre danslesrelations avec communique paslavitalitéetchaleurhumainequi Pourtant, j’aipeurquecettedescriptiontrop froide ne contient d’estime etd’amitié. génération etdontilsauraitreconnaître toutcequ’il ce jugementsobre quebienpeuméritentàchaque sans douteapprécierait-il,s’il étaitencore desnôtres, Oui, Georges Besse aétéun grandprofessionnel, et sable àlaconduited’un autre grandgroupe industriel. ou tard, commel’homme ilseraitapparu indispen - pu nepasaccéderàlaprésidencedeRégie,maistôt Georges ileût Besse nedoit rienàlachance.Certes, Ce dontjesuisconvaincu, c’est quelacarrière de doute àcesujet. Pourtant,longue portée. riennepermetd’avoir un aptitude àformulerunestratégieindustrielle circonstances neluienontpasdonnéletemps:son rière laisseraàjamaissansréponsedesfaits,carles desacar- seule questionquel’interruption brutale paraissait réaliste,lecapqu’il s’était fixé.Il estune tidien nel’empêchait pasdemaintenir, tantqu’il temps faire sonœuvre. Mais cetempirismeduquo- des occasions,contournerlesobstacles,laisserle ses intentions,ilsavait agiravec souplesse,exploiter Besse lepossédaitmieuxquepersonne.Ferme dans poursuite d’objectifs Georges pluslointains.Cetart, biner l’adaptation termeetla aux donnéesducourt aussi, commepourlesrégates,celuidesavoir com- mettre enharmonielesmoyens etlesfins.Il est Mais lemanagement n’est passeulementl’art de immeuble ! tendants entre despiècesdistinctesd’un même pour mieuxfaire monterlesenchères, lespré- réparti RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 panouissement desafamille.Heureux devivre. de savoir qu’il avait sauvéRenault. Heureux del’é- Georges heureux. Bessecertitude. estmort Heureux Mais quel’horreur delatragédienecachepascette france. souhaité. Juste etsimpledanslavéritédesouf- drame, Françoise aététellequeGeorges l’eût vie m’ait donnéderencontrer et,aulendemaindu formaient l’un descoupleslesplusémouvants quela personnalités exceptionnelles, Georges etFrançoise de lavieGeorges Besse, maisdansl’accord deleurs Je nefranchiraipasleseuildudomaineplusintime la mienne. mêmes, s’étendait toutnaturellement àsafemmeet plus quecetteamitié,loindeserefermer surnous- se développant surdenombreuses années.D’autant d’unede départ amitiénouvelle quej’imaginaisalors nous. De notre travail. Du monde.Et cefutlepoint à-tête. Et nousavons l’un etl’autre parlévrai.De nous sommesretrouvés autourd’un déjeunerentête- Puis unjour, –ilprésidaitalorslaCogemanous Sema nemelaissait guère dedisponibilitéhumaine. l’aventure danslequeljem’étais lancéencréantla mon faitd’ailleurs que dusien.Lecorpsàavec éloignés etnoscontactss’étaient faitsrares. Plus de Pendant longtemps,nosactivitésnousavaient ante, fidèle.J’enaimoi-mêmefaitl’expérience. l’affection n’a Mais nullepart. l’amitié simple,confi- relie entre euxlesreprésentants du Tout-Paris etoù de Georges Besse. Non cetteamitiémondainequi L’amitié, eneffet,atenuune grandeplacedanslavie l’intelligence. sur lesold’une éthique communeetparlevéhiculede temps. Beaucoup lesséparait,maisilsseretrouvaient quelques-uns desplusgrandsintellectuelsdece Aussi, nefaut-ilpass’étonner s’il eûtpouramis petits contre lesgrandsetméprisaitcarriéristes.» n’était paspoujadiste;d’instinct, ilprenait des leparti jamais rencontré. Sa méfianceàl’égard dupolitique del’État quej’aie sens leplusexigeantduservice Besse neprocédait jamais delaméchancetémaisdu d’heure.iale unbienmauvais quart L’indignation de àlatablefamil- députés, lespatrons passaientparfois les traitstombaienttousazimuts;ministres, les sait desespropres excès. Alors,commeàGravelotte, 89-90 Lesourne livre:89-90 Lesourne livre 27/07/11 15:13 Page89

Extrait du livre Un homme de notre siècle

En 2000, Jacques Lesourne a publié aux Editions Odile Jacob une autobiographie titrée Un homme de notre siècle. Il y retraçait avec

ampleur et précision son propre parcours de chef d’entreprise et de TÉMOIGNAGES penseur, mais en l’inscrivant avec tout à la fois ampleur et précision dans l’évolution du monde. Il a sous-titré cet ouvrage De

Polytechnique à la prospective et au journal Le Monde, ce qui SUR GEORGES BESSE témoigne évidemment de l’influence que l’enseignement de l’Ecole Polytechnique (puis de l’Ecole des Mines) a eu sur lui. Or, nous avons déjà eu l’occasion de le dire, un de ses condisciples à l’X, puis aux Mines, fut Georges Besse. Il était donc certain que l’on trouverait des pages sur Besse dans cette autobiographie ; il se trouve qu’elles donnent un portrait de Besse sous une forme assez différente de celle de l’In memoriam de 1987, c’est pourquoi nous avons tenu à les reprendre ici. Nous remercions l’auteur, et les Editions Odile Jacob, de nous avoir autorisé cette reproduction extraite des pages 176 et 177 de l’ouvrage de Jacques Lesourne.

par Jacques LESOURNE*

* Ingénieur général des Mines honoraire, membre de l’académie des technologies – président de Futuribles International.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 89 89-90 Lesournelivre:89-90livre27/07/1115:13Page90 90 TÉMOIGNAGES SUR GEORGES BESSE J d’agir sansêtre parl’adversité écartelé etsanscon- sa sécuritéetlaforce tranquillequiluipermettaient nêteté, laresponsabilité, l’amitié. C’estlàqu’il puisait rosion. Un surmoi devaleurs simples.Lavérité,l’hon- y avait chezluiunnoyau denseinaltérableàtoutecor- Le secret decetéquilibre ?Je pensequ’il étaittriple.Il avec leréel. tout chezGeorges Besse l’équilibre danslesrelations l’environnement, carlaréalité profonde étaitavant évoque aux actions de une résistancepassive etbrute Besse sasolidité etsacontinuité.Non, sileterme intérieure »quidonnaitàlapersonnalitédeGeorges si cetteexpression désignelamatière de«lastatue « Un hommedegranit»aécritJacques Julliard. Oui, de vivacité etdebonsens. defranchiseetsimplicité, bonhomie etderudesse, vrant unfront immense,ildonnaituneimpression de aux traitslourds, lescheveux tirésenarrière etdécou- deux yeux rieursetglobuleuxplantésdansunetête RÉALITÉS INDUSTRIELLES byman, le bustelégèrement penchéenavant, :massif, ossu,uncorpsetdesmainsderug- Besse amais jen’oublierai lasilhouettede Georges • AOÛT 2011 © ÉDITIONSODILEJACOB ter d’atteindre la société toutentière. poignée deterroristes pourten- avaient choisisamort télévisé devingtheures quej’apprispétrifiéqu’une nombreuses années.Mais unsoirc’est au journal nouvelle quej’imaginaisalorssedéveloppant surde Du monde.Et d’une cefutlepointdedépart amitié parlé vrail’un etl’autre. De nous.De notre travail. vés lorsd’un déjeunerentête-à-tête.Et nousavons présidait alorslaCogema,noussommesretrou- guère dedisponibilitéhumaine.Puis, unjour, il lequel jem’étais lancéencréantlaSema nemelaissait que dusien.Lecorpsàavec l’aventure dans contacts s’étaient faitsrares. Plus demonfaitd’ailleurs longtemps, nosactivitésnousavaient éloignésetnos fidèle. J’enaimoi-mêmefaitl’expérience. Pendant tion n’a Mais nullepart. l’amitié simple,confiante, entre euxlesreprésentants du Tout-Paris etoùl’affec- Georges Besse. Non cetteamitiémondainequirelie L’amitié atenuunegrandeplacedanslaviede aidé àréussirsavie. et lachaleurhumainequiémanaientdeluil’ont description trop froide necommuniquepaslavitalité peu méritentàchaquegénération.Pourtant, cette sans douteapprécierait-ilcejugementsobre quebien Oui, Georges Besse aétéun grandprofessionnel et ? tion dupersonnelconduiteavec souplesseetfermeté Renault de1985et1986sousl’effet d’une diminu- mémoire leredressement delaproductivité de ténacité etpragmatisme.Commentnepasgarder en jours abordé lesproblèmes d’effectifs avec honnêteté, ensacrifier.emplois, ilfautparfois Aussi, a-t-iltou- chaîne notre société,ilsavait que,poursauver des marchands d’illusions, cetteespècequeproduit àla ou laconsommationdesressources. Àl’opposé des d’économisé uneépargne dansletravail deshommes était unrevenu supplémentaire àdistribuer, unfranc du profit etn’oubliant jamaisqu’un francdegagné traintes, acceptant,commeuneévidence,lanécessité De lavieindustrielle,ilaassuméplénitudedescon- une sûreté dejugementpeucommune. distraire parl’attraction desjeuxintellectuels.D’où préter envuedel’action, etquineselaissaitjamais pénétrante, apteàchoisirlesfaitsmajeurs,inter- Une intelligencedesêtres etdeschoses,concrète, troisième desessecrets étaitceluidesonintelligence. quant auxvaleurs, lefondamentaldel’accessoire. Le car ilsesentaitàtoutmomentcapabledeséparer, épuisent l’énergie etleurmasquentleréel, de certains nus, nes’embarrassait-il pasdecasconsciencequi Aussi, cethomme,l’un desplusdroits quej’aiecon- tifs intermédiaires quelaviel’amenait àpoursuivre. dait d’attacher une valeur propre auxmultiplesobjec- Besse étaitinébranlablesurl’essentiel, autantilsegar- naître lefrein del’inhibition. Mais, autantGeorges 91-96 Marbach bicentenaire:91-96 Marbach bicentenaire 27/07/11 15:13 Page91

Georges Besse, le bicentenaire de l’X

et le bicentenaire ANNEXES du corps des Mines DOCUMENTAIRES par Christian MARBACH*

n 1994, l’Ecole Polytechnique et la collectivité ailleurs, au terme d’une sélection assez difficile, une polytechnicienne ont fêté le bicentenaire de la vingtaine de polytechniciens du XXe siècle ont été E création de l’X ; en 2010, le corps des Mines, qui choisis pour faire l’objet d’une page spéciale ; Besse avait fusionné la même année avec le corps des ingé- fut retenu parmi eux. Il nous a semblé intéressant, nieurs des Télécommunications, a organisé diverses pour marquer la place de Georges Besse parmi ses manifestations à l’occasion de son bicentenaire et de pairs issus de l’X, de donner dans cet article la liste des celui du Code minier. Il est intéressant de noter que X dont fut brossé le portrait (page IX de l’ouvrage pré- la figure de Georges Besse a été évoquée lors de cha- cité), ainsi que la copie de la page relative à Besse cune de ces deux commémorations. (page 189). C’est ainsi que son portrait figure dans le livre « Les Georges Besse figure aussi parmi les X d’un triptyque polytechniciens dans le siècle » (DUNOD, 1994), qui peint à l’occasion du bicentenaire, intitulé Les Deux avait pour ambition de présenter la contribution des cents premières années, qui est désormais exposé dans X à de nombreuses réalisations industrielles et écono- le grand hall d’Estienne d’Orves de l’Ecole. L’auteur miques françaises du XXe siècle. Cet ouvrage voulait de ce tableau, Jacques Tosetto, avait reçu pour mission prolonger l’insurpassable Livre du Centenaire (qui, en de présenter plusieurs centaines de polytechniciens 1894, développait, sur 1700 pages, l’histoire de issus des deux cents promotions de l’école (au total l’Ecole et la vie de centaines de ses élèves), mais en évi- 40 000 X !). Il est clair que le commanditaire que tant le ton souvent hagiographique de son modèle. j’étais était inspiré par La Fée Electricité de Raoul Une trentaine d’auteurs, historiens ou acteurs, réunis Dufy… D’ailleurs, si La Fée Electricité devait était autour de Jacques Lesourne et de Jean-Etienne reprise aujourd’hui, des personnages comme Besse ne Chapron, se sont efforcés d’évaluer le poids des X dans le développement des disciplines scientifiques et des secteurs de l’économie ; Georges Besse est évi- demment abondamment cité dans les chapitres rela- * X 56, Membre de l’Académie des technologies, membre du conseil de tifs à l’énergie et aux entreprises publiques. Par surveillance de Lagardère SCA, président d’honneur de la Sabix.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 91 91-96 Marbachbicentenaire:91-96bicentenaire27/07/1115:13Page92 92 ANNEXES DOCUMENTAIRES Extraits dulivre Besse aétéainsimisàl’honneur lorsdecesdeux Ce n’est pasunecoïncidencesiGeorges certainement nieurs figurantsurlaliste. cette occasion,commepourlesdix-neufautres ingé- panneau dédiéàGeorges Besse quiaétépréparéà figure ànouveau. Nous reproduisons égalementle Télécom quel’on trouvera ci-après,Georges Besse deux corps.Dans lalistedesvingtX-Mines ouX- Télécommunications pourmarquer lafusiondes souhaité élargirleursélectionàdesingénieurs d’ingénieurssenter desportraits desMines etilsont Comme dejuste,sesorganisateursontsouhaitépré- Venons-en aubicentenaire du corpsdesMines. autre bellesilhouetted’ingénieur, celledeJean Bertin. ;devant eux,une d’Albert CaquotetdeRaoulDautry d’Estienne d’Orves etdeJean Grégoire, nonloin reconnaître lasilhouettedeBesse àcôtéd’Henri te représente decetriptyque oùl’on lapartie peut mériteraient-ils pasd’y figurer ?Laphotographiejoin- jet d’une pagespécialeetconsacréeàGeorges Besse. RÉALITÉS INDUSTRIELLES Les polytechniciensdanslesiècle:1894–1994 • AOÛT 2011 , Paris, Dunod, 1994.Listedespolytechniciensfaisantl’ob- la Gloire estvenue desurcroît. Polytechnique :«Pour laPatrie, laScience…»…et exceptionnel, ilaincarnéladevisedel’Ecole la formationscientifiqueettechnique.Avec untalent térêt pourl’Etat dedisposerhautsfonctionnaires à pour l’ensemble ducorpsdesMines, démontrantl’in- national. Acetitre, ilrevêt uncaractère exemplaire privées, ilasufaire preuve d’un sensaigudel’intérêt ministration, puisdansdesentreprises publiquesou toutes lesresponsabilités qu’il aassumées,dansl’ad- écoles qu’il avait fréquentéesetàsesprofesseurs. Dans lièrement cesconnaissances,faisantainsihonneuraux sieurs reprises lesoinqu’il mettaitàentretenir régu- des entreprises industrielles.J’aimentionnéàplu- sa formationétaientlemeilleurbagagepourdiriger connaissances scientifiquesqu’il avait acquiseslorsde parsaconvictionqueles mais aussi,etsurtout, les fonctionsqu’il aexercées audébutdesacarrière, bicentenaires. Avant tout,ilaétéuningénieur:par 91-96 Marbachbicentenaire:91-96bicentenaire27/07/1115:13Page93 Partie dutriptyque LesDeux centspremières années et présentédanslehalld’Estienne d’Orves del’Ecole. Triptyque Les Deux cents premières années par Jacques Tossetto, réaliséàl’occasion dubicentenaire del’Ecole Polytechnique par Jacques Tossetto, oùestreprésenté Georges Besse. RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 93 CHRISTIAN MARBACH 91-96 Marbachbicentenaire:91-96bicentenaire27/07/1115:13Page94 94 ANNEXES DOCUMENTAIRES Tableau 1: RÉALITÉS INDUSTRIELLES Maurice ALLAIS Georges BESSE André GIRAUD GUILLAUMAT Pierre Louis ARMAND Georges PAINVIN SCHLUMBERGER Conrad Georges FRIEDEL Henri POINCARÉ LE CHATELIER Henry de FREYCINET Charles Frédéric LEPLAY Michel CHEVALIER Nom Quelques ingénieurscélèbres ducorpsdesingénieursMines. • AOÛT 2011 Année denaissance 1911 -2010 et dedécès 1806-1882 1806-1879 1927-1986 1925-1997 1909-1991 1905-1971 1886-1980 1878-1936 1865-1933 1854-1912 1850-1936 1828-1923 Promotion del’X 1898 1885 1873 1869 1846 1825 1823 1931 1948 1944 1928 1924 1905 gique électrique prospection géolo- Inventeur dela gie ralogie etdegéolo- Professeur deminé- sophe physicien etphilo- Mathématicien, lurgiste Chimiste etmétal- la Guerre étrangères, puisde puis des Affaires des Travauxpublics, Conseil, ministre Président du sociologie précurseur dela Chef d’entreprise, homme politique Economiste et nomie Prix Nobeld’éco- Régie Renault Cogema, puisdela Patron de la la COGEMA Patron du CEAetde mique française de labombeato- Créateur d’Elf,père Patron delaSNCF triel Géologue etindus- Raisons principales de leurcélébrité industriel éponyme Créateur dugroupe Chef d’entreprise Chef d’entreprise 1867 selles de1855et Expositions univer- Organisateur des Directe » groupe « Action Assassiné parle la Défense l’Industrie, puisde Ancien ministrede Recherche Armées, puisdela ancien ministredes Ancien Résistant, « Résistance-Fer ») teur dugroupe Résistant (organisa- mondiale Première Guerre allemand durant la percé lecodesecret Cryptologue, a Autres motifs 91-96 Marbachbicentenaire:91-96bicentenaire27/07/1115:13Page95 Tableau 2: LIBOIS Louis-Joseph Maurice LAURÉ Pierre SCHAEFFER Pierre MARZIN RINGUET Louis LEPRINCE- Marcel PELLENC Edouard ESTAUNIÉ Nom Quelques ingénieurscélèbres ducorpsdesingénieurs Télécoms. Année denaissance et dedécès 1897-1972 1862-1942 1921-2009 1917-2001 1910-1995 1905-1994 1901-2000 Promotion del’X 1920N 1940 1936 1929 1925 1919 1882 Télécommunications directeur général des numériques intégrés, créateur desréseaux Ingénieur, inventeur Inventeur dela TVA coustique musique électroa- concrète etdela Père delamusique Télécommunications directeur général des CNET àLannion, d’Armor, créateurdu Sénateur desCôtes Académicien Physicien, Vaucluse Sénateur du télécommunications Inventeur dumot Académicien Raisons principales de leurcélébrité RÉALITÉS INDUSTRIELLES des technologies Comptes, Académie la Courdes Conseiller maîtreà Société Générale finances, PDGdela Inspecteur des de l’ORTF ce delarecherche Directeur duservi- Maire deLannion écrivain Professeur àl’X, avant-guerre de radiodiffusion Créateur duréseau teur del’ESPT Directeur etrénova- Autres motifs • AOÛT 2011 95 CHRISTIAN MARBACH 91-96 Marbachbicentenaire:91-96bicentenaire27/07/1115:13Page96 96 ANNEXES DOCUMENTAIRES Panneau dédiéàGeorges Besse, réalisédanslecadre delacélébrationdubicentenaire duCorpsdesMines. RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 97-98 Fondation Besse:97-98 Fondation Besse 27/07/11 15:14 Page97 ANNEXES DOCUMENTAIRES

réée en 1987 par des entreprises et des proches SPÉCIFICITÉS après l’assassinat de Georges Besse, la C Fondation Georges Besse est placée sous l’égi- Vis-à-vis de la Fondation de France : de de la Fondation de France, ce qui lui confère les – Autonomie de la sélection, du niveau et du mode de avantages d’une fondation reconnue d’utilité soutien aux lauréats ; publique. – Autonomie de gestion des fonds initiaux et complé- mentaires, du moins tant que la pérennité de la Fondation est assurée. Vis-à-vis d’autres fondations et des lauréats : – Niveau des bourses personnalisé en fonction des OBJET budgets réels (besoins/ressources) de chaque lauréat : les montants alloués varient en général de 1500 à Apporter son soutien à des jeunes voulant devenir 7000 € par an (s’ajoutant aux bourses d’Etat éven- ingénieur, mais rencontrant de grandes difficultés tuellement versées) ; quelques prêts d’honneur sont matérielles. Le soutien est accordé après une sélection accordés en complément ; sur dossier et un entretien individuel réalisés par un – Mode de sélection sur la base de critères prenant en comité de sélection spécifique. compte à la fois l’excellence scolaire et les qualités morales ; – Part importante donnée à la parité (40 % de filles dans les 3 dernières promos) et à la diversité ; – Catégorie socioprofessionnelle des parents très déca- RÉALISATIONS lée par rapport à celle généralement observée pour les – 430 lauréats depuis l’origine, élèves des écoles d’ingénieurs (ce qui traduit l’origina- – 20 à 25 nouveaux jeunes soutenus par an, dont une lité de la Fondation) ; partie est en classe préparatoire (en 1ère ou 2ième année) – Variété des formations d’ingénieur (la mention TB et l’autre a déjà intégré une école, obtenue au baccalauréat n’ayant pas la même signifi- – environ 70 bourses versées par an. cation partout) ;

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 97 97-98 FondationBesse:97-98Besse27/07/1115:14Page98 98 ANNEXES DOCUMENTAIRES Patrimoine netactuel Secrétaire général:AndréRoche. financier : Fondation etlesPrésidents descomitésdesélectionet générale enliaisonavec MmeBesse, lePrésident dela responsable del’administration Secrétariat général, Président :Emmanuel Rodriguez. fonds : responsable delagestiondes Comité financier, Président :Michel Auroy. lauréats : Comité desélection,responsable delasélectiondes tion, ducomitéfinancier(trésorier)etdel’Amicale. Besse, deslauréatsetlesprésidentsducomitédesélec- – Personnalités extérieures :l’un desenfantsdeMme – Personnes moralespartenaires (Publicis, Essilor); – Personnes physiquesfondatrices,dontMmeBesse ; Eurodif, Pechiney-Alcan) ; – Entreprises fondatrices(Renault, Total, Areva, CEA, 4 collègesd’administrateurs : duCNES) Président : Yannick d’Escatha (président Comité exécutif Fondation etparl’amicale deslauréats. contres, visitesd’entreprises,…) parlesecrétariatdela – Suivi permanentetanimationdeslauréats(ren- CHIFFRES CLÉS GOUVERNANCE rants, leniveau desdonsetlegsreçus depuis1987. les chargesdelaFondation etdemaintenir, eneuros cou- decouvrir Les produits desplacementsontdoncpermis 0,1 M€. – Solde ressources/emplois delapériodeprécédente: – Legs:1,1M€ – Dons detiers:1,8M – Dons desfondateurs:3,25M RÉALITÉS INDUSTRIELLES : en valeur historique • AOÛT 2011 : 6,2M€,d’origine multiple € en valeur historique € actualisés fonné à300k d’honneur lauréats(en-courspla- attribués àcertains – 20à100k lauréats ; – 250k€ buable (legsetdonsponctuels). distri- delaréserve – Complémentparunepartie – Dons ponctuels site lerecueil denouveaux dons. situer àunniveau basdefaçondurable,cequinéces- 7,4 %enmoyenne, de1995à2007,maisdevraitse propre) de6,1M€ – Produit duplacement(géréparuncomitéfinancier Fayette -75442PARIS Cedex09 Sous l’égide delaFondation deFrance, La 33 rue 96 0533). et/ou prendre contactavec sonsecrétariat(Tél.:0134 Emplois annuelsactuels Ressources annuelles actuelles www.fondationbesse.com reporter ausitedelaFondation : Pour connaître lesconditionsdétailléesdessoutiens,se soit del’IRPP, danslesconditionsfiscalesprévues. – Pour :dondéductiblesoitdel’ISF, unparticulier dotation ; – Pour uneentreprise :donautitre dumécénat,ou de France) nue d’utilité publique,placéesousl’égide delaFondation droit àtous lesavantages fiscauxd’une fondationrecon- (ouvrant Soutien financierpossiblesousdeuxformes versement delacotisationàFondation deFrance. salariée permanente,fraisdevisites,rencontres,…) et – 140k€ rité danslesécolesd’ingénieurs ; séjours àl’étranger lors desdernières annéesdescola- d’augmentation, en raisondelagénéralisationdes : pour 70boursesindividuellesallouéesaux : suivideslauréats(rémunérationd’une € d’accroissement del’en-cours desprêts €) :cepostefinancierestenphase : aléatoire paressence,ilaétéde 99-100 Sabix:Sabix 27/07/11 15:14 Page99 99-100 Sabix:Sabix 27/07/11 15:14 Page100 101-105 Marbach Sources:101-105 Marbach Sources 27/07/11 15:15 Page101

Georges Besse : les sources disponibles ANNEXES par Christian MARBACH** DOCUMENTAIRES

e souhaite présenter ici, en quelques mots, la borés (en particulier des fiches, notes et dossiers de démarche qui a été la mienne, lorsque j’ai rédigé presse que Madame Besse a bien voulu réunir pour J les textes sur la personnalité et l’action de Georges moi : qu’elle en soit ici vivement remerciée). Besse qui sont publiés dans ce numéro. Je rappellerai Cependant, je n’ai pas envisagé de faire un travail pro- également la nature des documents dont j’ai pu dis- fessionnel d’historien, et je n’ai donc pas sollicité l’au- poser. torisation de consulter des archives d’entreprises ; je Mon projet a été conçu pour la société des amis de la ne sais d’ailleurs pas si cette consultation aurait été bibliothèque de l’X (Sabix), dont la vocation est d’ap- aisée, voire même autorisée, compte tenu de la sensi- porter des éclairages nouveaux sur l’histoire de l’Ecole bilité de certains domaines dans lesquels Georges Polytechnique et des polytechniciens. Si de nombreux Besse a travaillé. Je souhaite vivement que ce type de bulletins de cette association ont porté sur les origines travaux puisse être entrepris un jour sous la direction de l’Ecole et des grandes figures du XIXe siècle, d’historiens confirmés. d’autres ont traité de sujets plus contemporains. C’est Pour ma part, après réflexion, j’ai décidé de mettre dans ce cadre qu’est né le projet de parler de Georges surtout l’accent sur les méthodes de management de Besse, vingt-cinq ans après sa mort. Georges Besse, car il me semblait possible de regrou- Dans le même temps, des ingénieurs des Mines tra- per autour de ce thème – que je pense un peu vaillaient sur la célébration (en 2010) du bicentenaire connaître – l’essentiel des recherches effectuées. C’est de la création de leur corps et la figure de Georges d’ailleurs pourquoi j’ai toujours fourni à mes interlo- Besse fut évidemment une de celles permettant de cuteurs un schéma des questions que je souhaitais dégager des dominantes dans la cohorte des centaines voir, si possible, traitées par eux ; une telle insistance d’ingénieurs des Mines qui ont œuvré pour notre pays n’excluait évidemment pas d’autres digressions, mais depuis la création dudit corps. Cette réflexion a elle me permit de mettre peu à peu l’accent sur des contribué à orienter certains de mes travaux sur caractéristiques permanentes et de repérer des évolu- Georges Besse. tions. Je suis très reconnaissant à toutes les personnes Pendant quelques mois, j’ai tout à la fois essayé de ras- rencontrées d’avoir accepté non seulement de me sembler des éléments de dossier sur Besse et interrogé consacrer du temps – ou, si l’on préfère, de l’avoir des témoins de sa carrière. Si les documents publics consacré à Georges Besse –, mais aussi d’avoir accepté mis sous forme écrite et synthétique sont peu nom- cette règle du jeu. breux, ils sont en général excellents : il est donc natu- rel que je les évoque ici, ne serait-ce que pour fournir aux lecteurs des bases incontestables de connaissance. * X 56, membre de l’Académie des technologies, membre du conseil de J’ai aussi pu disposer d’autres documents, moins éla- surveillance de Lagardère SCA, président d’honneur de la Sabix.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 101 101-105 MarbachSources:101-105Sources27/07/1115:15Page102 102 ANNEXES DOCUMENTAIRES te mesexcuses, sesontglissées sidesimperfections faire avec toutelajustesseconvenable. Je leurprésen- par lespersonnesconsultéesetjemesuisefforcé dele ment citédansmestextesdesphrasesditesouécrites souhaiteajouterlaprécisionsuivante(Je :j’ailarge- teurs nesontpluslàaujourd’hui pourenparler). (mais, malheureusement, beaucoupdecesinterlocu- nisseurs ayantnégociéavec lui,ouencore despatrons citées danslapresse del’époque), desclientsoufour- abondance desdéclarationsderesponsables syndicaux compenséeparlasur- cette absenceestpartiellement syndicalistes ayanteu(ounon)às’opposer àlui(mais ou deuxjournalistesayantsuivilepersonnage,des (IHI) ?Oui, biensûr. Il faudraitlescompléterparun via collaborateurs ?Etdes amis,certains despolitiques, gorie particulière d’individus ?LesX,les«mineurs», Ces entretiens ont-ilsététrop orientésvers unecaté- amené àbienlesressentir. laient davantage, monpropre parcours m’ayant ou despositionsoccupéesparGeorges Besse mepar- moi, danslamesure dessituationsvécues oùcertaines Georges Besse oudemoninterlocuteur, maisausside nedépendaitpasseulementde projet de portrait retirer. àmon Carcequechaquedialogueapportait personnel, etilenva demêmepourcequej’aipuen teurs, cesentretiens onttoujourseuuncontenutrès Que j’aie ou nonconnuaupréalablemesinterlocu- décrivent un peueux-mêmesenledécrivant. autre d’habileté àmanœuvrer. Lesinterlocuteursse parlera volontiers decapacitéd’entraînement, ettel ce qu’ils aimeraientquel’on dised’eux-mêmes. Untel quand ils’agit demanagers,qu’ils formulentparfois ;onpourraitpresqueparaît essentieletfort dire, lui cequilesamarquées, etdoncsouvent cequileur cription deGeorges Besse oudeleursrelations avec Les personnesinterrogées mettentaussidansleurdes- cette optique. que beaucoupd’événements soientcommentésdans deBesse entantquemanager,portement j’aiobtenu surlecom- surtout interlocuteurs uncanevas portant !).Commej’avaisdevoir proposé deréserve àmes libres (letempsquipasseatténuelesexigencesdu hagiographique, s’ouvre àdescommentaires plus bien souvent, trop leurenlève uncontenuparfois nions exprimésàcetteoccasion,maisellelesnuance tiens reprend évidemmentdesénoncésouopi- la nature decesdocuments).Latonalitémesentre- (1996), ousurleDVD de2006(jepréciseraiplusloin dans laplaquettedeFondation Georges Besse du colloquede1996,dontlesActes ontétépubliés avec Georgessur leursrapports Besse, notammentlors interlocuteurs avaient déjàeul’occasion des’exprimer l’année) oude2011. Dans presque touslescas,mes Les entretiens quej’aieusdatenttousde2010(fin MES ENTRETIENS AUTOUR DEGEORGESBESSE RÉALITÉS INDUSTRIELLES le documentdel’Institut d’Histoire del’Industrie • AOÛT 2011 Chauvel, Patrick Faure. Pache, Richard Armand,Michel Auroy, Philippe JacquelinBonneau, ChristianGobert, Ramé,Bernard Des collaborateursdeGeorges Besse :Gérard Renault :Raymond Lévy Le successeurdeGeorges Besse àladirection de Dautray. Des amiscommuns:Jacques Lesourne,Robert Madame Besse, àplusieursreprises. : vantes Les personnesquej’aiinterrogées ontétélessui- miennes). grief d’appréciations oud’interprétations quisontles té mesinterlocuteurs,ilseraitincorrect deleurfaire si jecrois avoir utilisé avec profit cequem’ont appor- dans cespages,sontdemaseuleresponsabilité ;même sions unpeugénérales,commetoutcequiestécrit dans cetravail. Par ailleurs,ilestclairquelesconclu- commenter, etparunDVD. ouvrages àauteursmultiples,quejevais icirésumeret combléepardeux Cette lacuneestpartiellement n’existe pasdevéritablebiographieBesse. de souvenirs oudesautobiographies.Mais àcejour, il économique etindustrielle,commedansdesouvrages demment évoquées dansbiendesouvragesd’histoire La personnedeGeorges Besse etsonactionsontévi- loques. De plus, certains papierssontvisiblementdes loques. De plus,certains dans touslesouvragesrecueillant desactesdecol- elle devaleur inégale:nouspouvons remarquer cela écrites. Aussi latranscriptiondecesdéclarationsest- contributions bienpréparées,maispastoujours nants sesontefforcés defourniràcetteoccasiondes d’entreprise leurvision. apportant Tous lesinterve- d’entreprise, collaborateurs ainsiquedeshistoriens vaillé :hommespolitiques,hautsfonctionnaires, chefs réuni denombreux acteursavec lesquelsBesse atra- Préparé avec soin,lecolloquesurGeorges Besse a fique enaorientélestravaux. re généralPhilippe Muller-Feuga. Un comitéscienti- son déléguégénéralChristianStoffaës etsonsecrétai- de l’Institut, àsavoir sonprésidentJean-Louis Beffa, sables dececolloqueétaientlesanimateurshabituels de Georges Besse.dix ansaprèslamort Les respon- par l’Institut d’Histoire del’Industrie (InHI) en1996, Cet ouvragereprend lesactesd’un colloqueorganisé 1998). industrielles (Institut d’Histoire del’Industrie, 225p., Georges Besse. Des grands projets auxrestructurations LIVRES DISPONIBLESSURGEORGESBESSE de l’IndustrieconsacréàGeorgesBesse Résumé dulivre del’Institut de l’Histoire 101-105 Marbach Sources:101-105 Marbach Sources 27/07/11 15:15 Page103

mémoires rédigés avec le soin qu’y mettent de bons trop hagiographique ? Certainement. Mais il me historiens, ne reculant devant aucune note de bas de paraît juste de dire que les témoins que j’ai interrogés page pour signaler des sources ; mais d’autres font part en 2010, avec leur mémoire devenue plus affûtée ou d’impressions plus subjectives – ce qui ne veut pas plus sélective (c’est selon), ne donnent pas de Georges dire erronées. Besse une image très différente - juste un peu plus A ces remarques sur le style des interventions, on peut nuancée dans les détails, un peu plus libre dans l’ex- ajouter des impressions sur leur tonalité, qui n’est pas pression, un peu plus marquée par l’homme et pas homogène. Dans certains cas, et parce que l’action de seulement par ses œuvres. Georges Besse a porté sur des domaines essentiels Le plan du livre de l’InHI comprend deux parties his- pour la nation, quelques conférenciers ont estimé toriques et une partie plus générale. La première par- utile de rappeler la vision politique du gouvernement tie historique traite des réalisations de Georges Besse CHRISTIAN MARBACH de l’époque pour l’expliquer, la justifier ou la criti- dans le nucléaire et dans les technologies de la com- quer. Dans d’autres cas, des témoins se sont contentés munication et de l’information ; la seconde porte sur de raconter avec une scrupuleuse fidélité ce qu’ils ont les restructurations industrielles conduites chez PUK personnellement vu et entendu. Cette constatation, et Renault. Quant à la partie plus générale, elle pro- qui n’enlève rien à la valeur des diverses contributions, pose des témoignages et des considérations plus glo- conduit parfois à des ruptures de ton qui sont évi- bales, mais inégales, sur Georges Besse et l’environne- demment agréables dans un colloque, mais parfois ment industriel de l’époque. plus étonnantes dans un texte écrit. Il ne saurait être question de vouloir étudier la figure Cela dit, félicitons-nous de pouvoir disposer d’une de Georges Besse sans se plonger dans cet ouvrage ; telle masse de contributions. Sur deux cents pages, les malgré ses imperfections, il représente, par l’étendue différentes étapes de la carrière de Georges Besse sont des informations qu’il apporte, une source incompa- expliquées et relatées, et sa personnalité est révélée à rable de faits et de commentaires. ceux qui le connaissaient peu ou rappelée à ceux qui l’avaient fréquenté à telle ou telle occasion sans avoir de lui une vision d’ensemble. Les circonstances de ce Résumé de la plaquette de la Fondation Georges colloque pouvaient-elles conduire à une approche Besse (non disponible dans le commerce) La veille du colloque dont les actes ont donné lieu à l’ouvrage cité plus haut, une cérémonie commémora- tive a eu lieu en souvenir de Georges Besse, assassiné dix années auparavant. A cette occasion a été diffusée une plaquette d’une petite centaine de pages, soi- gneusement préparée, composée et mise en pages, intitulée Hommage à Georges Besse. Cette plaquette regroupe d’abord quelques textes déjà anciens, rédigés en particulier après le drame ou lors du procès des assassins, ainsi l’éloge funèbre prononcé en 1986 par André Giraud. Elle présente également des éléments préparés par certains collaborateurs, ainsi qu’une excellente présentation générale faite par François de Wissocq à l’occasion d’une conférence prononcée à Tours le 27 mai 1993 : ce document, également repris dans le livre de l’InHI, est certainement la synthèse la plus complète réalisée jusqu’à ce jour sur l’ensemble de la carrière de Georges Besse : Georges Besse, grand ingénieur, grand chef d’entreprise, grand serviteur de l’Etat. Ce texte est en particulier tellement précis sur la partie nucléaire, dont François de Wissocq est un spécialiste incontestable (ce qui est loin d’être mon cas), que nous nous sommes permis, avec son autori- sation, d’en reprendre l’essentiel dans ce numéro. Mais le texte le plus singulier de la plaquette, et aussi le plus original, est une transcription partielle, légère- ment remise en forme, d’un entretien que Georges Couverture du livre de l’Institut d’Histoire de l’Industrie Besse avait accordé en 1984 à un jeune thésard tra- Georges Besse. Des grands projets aux restructurations vaillant sur le leadership. Comme son auteur, Guy- industrielles (Editions Rive Droite, 1998). Clarin Delgado, a donné une transcription beaucoup

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plus complète de cet entretien à Madame Besse, qui a qui montre bien ce que pourrait parfois apporter une bien voulu me la confier, j’ai eu la chance de parcou- bonne émission de télévision. rir un des très rares textes où Besse, que l’on verra Cet excellent document qui, à ma connaissance, n’est avare de ses discours en public, s’exprime avec beau- pas disponible dans le commerce, combine avec intel- coup de liberté sur le rôle de l’entreprise, sur le métier ligence témoignages et documents d’archives. Pour les de dirigeant et sur lui-même (il m’arrivera, par com- témoignages, il fait appel non seulement à d’anciens modité, d’appeler ce document le « document collaborateurs ou successeurs de Georges Besse, mais Delgado »). aussi à des membres de sa famille ou à des amis. Pour (Il faut noter à ce propos que Georges Besse avait les archives, il propose des documents relatifs à consenti à passer une ou deux heures avec un jeune Georges Besse (papiers de famille, album de photos)

ANNEXES DOCUMENTAIRES étudiant qu’il ne connaissait guère, en se disant que et des images de l’environnement (par exemple, sur ses propres enfants seraient sans doute heureux de Clermont-Ferrand, les destructions de la guerre, évi- pouvoir recevoir un tel accueil dans le cadre d’un tra- demment des archives de la télévision, en particulier vail similaire. Le jeune Delgado fut ainsi l’heureux élu sur Renault). d’une décision assez intuitive, mais il sut en tirer pro- Dès le début, ce court métrage a une dimension fit avec intelligence, n’hésitant pas à bousculer son épique : à la scène de la cérémonie des Invalides, interlocuteur qui, peu à peu, se laissa aller dans ses du cercueil porté par des X en Grand U, au début commentaires - par exemple sur d’autres patrons ou de l’allocution d’André Giraud, succèdent les d’autres industries, mais aussi sur lui-même). images simples d’un enfant d’une modeste famille auvergnate : un raccourci saisissant rappelant le drame, mais résumant aussi le parcours d’un gamin de province devenu maréchal d’Empire - mort au front ? Georges Besse aura fait de sa vie une œuvre. Il n’avait pas cet objectif en tête en entrant à l’X, ou, du moins, il ne l’aurait pas formulé de cette façon. Mais il vou- lait certainement bâtir des œuvres et, si possible, des chefs-d’œuvre, pendant sa vie.

Couverture de la plaquette Hommage à Georges Besse publiée par la Fondation Georges Besse en novembre 1996.

Le DVD : « Georges Besse, un destin français » Enfin, le troisième document exclusivement consacré à ce jour à la figure de Georges Besse est un DVD de 53 minutes préparé en 2006 par la Fondation Georges Besse. Là encore, il s’agit d’une œuvre très soignée, au rythme alerte. Il se dégage des images non seulement Couverture du DVD : Georges Besse, un destin français une réelle émotion, mais aussi une vérité historique publié par la Fondation Georges Besse en 2006.

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Autres ouvrages édités qui ont été consultés et utilisés LA PRESSE Des autobiographies : pour mémoire, rappelons que Georges Besse figure, parfois abondamment, dans des Pour mémoire, des dossiers de presse qui m’ont été extraits plus ou moins longs de récits ou autobiogra- fournis ; en particulier, ceux prêtés par Madame phies (par exemple, celles de Jacques Lesourne ou de Besse, qui portent sur les périodes PUK (notamment Robert Dautray). sur l’arrivée de Georges Besse à la tête de ce groupe) et Eurodif : Histoire de l’enrichissement de l’uranium, de Renault (1985). Jean-Pierre Daviet, 368 p., 1993. En ce qui concerne les archives de la radio ou de la Un document édité dans le numéro 19 (juin 2007) de télévision, je n’ai pas fait de recherches ; le DVD déjà la revue Renault Histoire qui rassemble textes et témoi- cité donne des extraits intéressants de rares appari- CHRISTIAN MARBACH gnages sur l’histoire du groupe. Ce numéro comprend tions de Georges Besse à la télévision. un texte de six pages de Michel Auroy, intitulé : Georges Besse, quelques souvenirs restés très vivants. L’ancien directeur du site de Billancourt raconte, en particulier, le soutien qu’il reçut de son président NOTES DIVERSES COMPORTANT DES TEXTES quand il eut à affronter des représentants syndicaux DE GEORGES BESSE dans des conditions pas vraiment prévues par le Code du travail, qui sont rapportées avec précision. Par diverses voies, mais d’abord grâce à Madame Utilisé pour la partie concernant l’action de Georges Besse, j’ai pu disposer de documents supplémentaires Besse chez Renault : de Louis Schweitzer, Mes Années qui, à ma connaissance, n’ont pas été rendus publics Renault : Entre Billancourt et le marché mondial, édi- sous une forme écrite. tions Gallimard, 2007. « La nécessaire adaptation de l’entreprise » : conféren- Signalé par Philippe Chauvel : Alain Frèrejean, ce de Georges Besse (17 janvier 1985), au Forum des Renault, le Culte du défi, 2010 (un livre sur l’histoire professions financières. de Renault, bien documenté notamment sur les Echange entre Pierre Guillaumat et Georges Besse, le années Besse). 11 janvier 1985, à l’occasion de la remise par le pre- Il existe évidemment une foule d’ouvrages publics sur mier au second de la Croix de Commandeur de le nucléaire ou l’aluminium en France, et encore plus l’Ordre national du Mérite. sur Renault. Et encore plus de rapports officiels, par- Interview de Georges Besse par Guy-Clarin Delgado, fois publics. Je n’ai pas cherché à les lire systématique- réalisée le 14 novembre 1984 dans le cadre de la pré- ment, mais il est certain que l’on pourrait y trouver de paration d’un mémoire et portant sur le leadership nombreux éléments ou opinions sur l’action de (œuvre déjà signalée supra. Transcription complète, Georges Besse. 16 pages). De même, un véritable travail d’historien d’entrepri- Interview de François Sarda sur France-Inter, le 18 se supposerait la consultation d’archives de ces entre- novembre 1986 (au lendemain de l’assassinat de prises, une consultation qui n’est pas toujours aisée, Georges Besse). voire même autorisée. Comme les années couvertes Texte de Claude Ayçoberry (17 novembre 1987). par Besse n’avaient pas encore connu la communica- Homélie prononcée par le Père Georges Décogné lors tion électronique préférée à la circulation du papier, des obsèques de Georges Besse, le 21 novembre 1986. et comme ces archives anciennes sous forme papier Quelques Lettres de la Fondation, éditées par la sont rarement numérisées, c’est avec des matériaux Fondation Georges Besse, dans lesquelles on peut et des techniques traditionnels qu’il faudrait tra- trouver des témoignages de diverses personnalités sur vailler, ce qui ne sera possible que si ces archives ont Georges Besse ou sur certaines de ses actions. fait l’objet de soins attentifs de la part des respon- sables des entreprises concernées et que si celles-ci n’ont pas été trop bouleversées par des fusions ou scissions. Je sais que Renault a parfois traité avec CONCLUSION EN FORME D’APPEL attention l’archivage de ses documents : on pourra, à ce sujet, se référer au colloque organisé par la Sabix En terminant cette revue des documents dont j’ai pu et l’Association des archivistes français en juin 2000 disposer, je souhaite faire appel à tous ceux qui sou- sur le thème Mémoire et changement, Histoire et haitent contribuer à une meilleure connaissance de la archives d’entreprises, d’autant plus opportunément figure de Georges Besse : notre société, la Sabix, serait qu’il bénéficia d’une longue présentation du problè- heureuse de recevoir des commentaires, des additions me des archives Renault faite par Louis Schweitzer ou des corrections sur le travail qui est présenté dans (les actes de ce colloque sont le sujet du bulletin 29 ce numéro (voir les coordonnées en page 100). Je les de la Sabix). en remercie d’avance.

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« Quelle politique industrielle pour la France RONDE dans l’Europe ? » Table ronde tenue sous la présidence de Christian Marbach le 18 novembre 2010, lors du colloque « 200 ans d’histoire du corps des Mines »

L’année 2010 a été marquée par la célébration du bicentenaire du décret du 18 novembre 1810, qui a organisé le « Corps impérial des Ingénieurs des Mines » et créé le Conseil général des Mines (CGM), dont le Conseil général de l’Industrie, de l’Énergie et des Technologies (CGIET) est pour partie issu. SYNTHÈSE DE LA TABLE SYNTHÈSE DE LA Afin de célébrer ce bicentenaire, le CGIET a organisé tout au long de l’année 2010 diverses manifestations à caractère prospectif ou histo- rique, ainsi que plusieurs expositions. Le point d’orgue des célébra- tions a été le colloque de clôture tenu à Bercy le 18 novembre 2010, jour anniversaire du décret de 1810, sous la présidence de Christine Lagarde, ministre de l’Economie, des Finances et de l’Industrie. Trois tables rondes ont eu lieu lors de ce colloque de clôture. Présidée par Christian Marbach, membre de l’Académie des technologies et animée par le journaliste écono- mique Jean-Marc Sylvestre, la troisième de ces tables rondes a abordé la ques- tion de la politique industrielle pour la France dans l’Europe. Le débat a été introduit par des présentations audiovisuelles de quatre grands témoins : Bernard Esambert, Raymond H. Levy, Lionel Stoléru et Gérard Théry. Franck Lirzin et Ludovic Weber ont ensuite présenté la synthèse des contributions de jeunes ingénieurs des Mines qui a servi à préparer les thèmes de la table ronde. Un débat s’est ensuite déroulé avec les interventions d’acteurs de l’in- dustrie et d’experts : Vivek Badrinath, directeur exécutif d’Orange Business Services, Pierre Gattaz, président du directoire de Radiall, président du Groupe des fédérations industrielles, Yvon Jacob, ambassadeur de l’Industrie, Patrick Kron, PDG du groupe Alstom, Vincent Rigal, président de Solar perfor- mance et développement, et Nicolas Véron, économiste à Bruegel.

Par Franck LIRZIN* et Ludovic WEBER**

* Ingénieur des Mines, Adjoint du responsable du pôle Entreprises, Emploi et Economie de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi (DIRECCTE) de Provence-Alpes-Côte d’Azur.

** Ingénieur des Mines, directeur de cabinet du directeur général de la Compétitivité, de l’Industrie et des Services - Ministère de l’Economie, des Finances et de l’Industrie.

106 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 106-112 Lirzin:106-112Lirzin27/07/1115:15Page107 qu’alors nefonctionnait plussisimplement,comme tâtonne commesitoutcequiavait faitsonsuccèsjus- Pourtant, laFrance, deraisonetthéories, siférue une politiqueéconomiquepourledébutdesiècle. née. Peu àpeu,lesréflexionss’organisent etesquissent « politiqueindustrielle»depuisunequinzained’an- gie onteuraisondutabouquiscellaitlanotionde parlatechnolo- les formidablespotentialitésouvertes de l’industrie pourlarecherche etl’exportation (1)et àprendrel’économie desservices lerelais, lerôleclé jour l’envie depolitiqueindustrielle.L’incapacité de deremettreLa criseauraeucettevertu augoûtdu LE RETOUR DELAPOLITIQUEINDUSTRIELLE 'uoe?». ? l'Europe Quelle politique industriellepourlaFrance dans Christine Lagarde etChristianMarbach àlafindetableronde « français acomprisl’intérêt del’économie pourle moins delaconstancedanslesidées. Très tôt,l’Etat La France abeauêtre unvieuxpays,ellen’en apas le nouveau contexteduXXI compte. Que peutêtre unepolitiqueindustrielledans teurs decomplexitéqu’il fautaujourd’hui prendre en entropique desrèglementationssontautantdefac- le contextebudgétaire contraintoul’augmentation d’Internet,des nouvelles technologies,enparticulier mondialisation, l’intégration européenne, ladiffusion les anciennesrecettes n’étaient pluslesbonnes.La proportions quel’onproportions retrouve despaysdéveloppés. danslaplupart enFrancetations debiensetservices (chiffres 2009,comptesnationaux), privées deR&DenFrance (chiffres 2006),etreprésente 76%desexpor- (1) L’industrie manufacturière estàl’origine deplus85%desdépenses RÉALITÉS INDUSTRIELLES e siècle ? © PatrickVEDRUNE-SG • AOÛT 2011 107 FRANCK LIRZIN ET LUDOVIC WEBER 106-112 Lirzin:106-112Lirzin27/07/1115:15Page108 108 SYNTHÈSE DE LA TABLE RONDE XXI poles, del’autre. Lapolitiqueindustrielledu intermédiaires commelescorporationsoumono- vant l’économie, d’un côté,seméfiantdespouvoirs toujours tenuàuneattitudeambivalente :promou- Entre etlaisser-faire, l’Etat interventionnisme s’est par la V projets comme leConcorde, le TGV oulenucléaire prises parleFront Populaire, lelancementdegrands Napoléon III,lanationalisationdesgrandes entre- prix desgrainspar Turgot, lapolitiquevolontariste de monopoles d’Etat lalibéralisationdu parColbert, fluctuations :quelpointcommunentre lacréationde Mais safaçondelefaire aétésoumiseàbeaucoupde l’innovation »,l’Etat s’est toujoursmêléd’économie. ment unepolitiqueambitieusedelatechnologieet dérer «commeuneprioritédel’action dugouverne- nement deJean-Pierre Raffarin,pourquiilfautconsi- Francis Mer, ministre del’Economie danslegouver- deux mamellesdontlaFrance estalimentée»,à IV, quiaffirmaitque«pâturagesetlabouragessontles bien-être commun.De Sully, ministre duroi Henri teurs d’avenir. de l’autre, mener despolitiquesdanslessecteurspor- mentaire favorable aucommerce etàl’innovation et, té etdevra,d’un côté,créerunenvironnement règle- l’entretien d’une visiondelongtermepoursonindustrie,ainsiqu’un soutienstable». paraître d'unterritoire enquelquesannéesseulement.Cemanquedevisibilité rend nécessaire despouvoirs publics delapart « Pierre Gattaz soulignequelamondialisationgénère unegrandefragilitédenotre industrie:unsecteurindustrielpeutdis- RÉALITÉS INDUSTRIELLES e siècle nepourrafaire abstractiondecetteduali- e République ? • AOÛT 2011 industrielle dedemain. mier défiseradoncintellectuel:inventer lapolitique aimepenseravantpays deDescartes d’agir, etsonpre- meilleur élève dulibéralismecollectifdesautres ».Le nous avons eu,avec obstination,àpasserpourle « nouspayons pardesemploisperdus leplaisirque publique, car, commel’a montréChristianMarbach, de disposersapropre conceptiondel’action pourunpaysayantfoidanslaraison Il estimportant siècle. évoluer pourrépondre auxdéfisdudébutXXI çaise decesdernières décenniesetdoitaujourd’hui le corpsaaccompagnélapolitiqueindustriellefran- privatisations, ouencore desinvestissements d’avenir, re, destélécommunications,nationalisationset corps desMines. Qu’il s’agisse dupétrole, dunucléai- se sonttoutesinscritesaucœurdespréoccupationsdu promotion delatechnologieetdesPMEinnovantes, conduite d’une école,àlarecherche ouencore àla re écriture delaréglementation,àfondationou cise d’un secteurd’activité, àladifficilemaisnécessai- duelles, qu’elles aientconduitàuneconnaissancepré- introduction àlatableronde, lestrajectoires indivi- ticulier. Commel’a rappeléChristianMarbach en l’action publiqueenfaveur de l’industrie unrôle par- Le corpsdesMines ajouédanscedéveloppement de © PatrickVEDRUNE-SG e 106-112 Lirzin:106-112 Lirzin 27/07/11 15:15 Page109

certaine réciprocité dans les échanges mondiaux. A QUEL NIVEAU SE JOUE LA POLITIQUE Comme l’a rappelé Patrick Kron, PDG d’Alstom, il INDUSTRIELLE ? serait vain d’essayer de lutter contre la mondialisation, qui est nécessaire et positive pour le développement Comme l’a souligné Pierre Gattaz, président du direc- des entreprises ; même si elle implique la localisation toire de Radiall, la mondialisation génère une grande partielle à l’étranger d’entreprises françaises pour ser- « fragilité » de notre industrie : un secteur industriel peut vir les marchés correspondants, l’enjeu pour la France disparaître d’un territoire en quelques années seulement. est de « capter » une partie de la valeur ajoutée créée à Ce manque de visibilité rend nécessaire de la part des l’occasion de ce développement sur des marchés pouvoirs publics l’entretien d’une vision de long terme étrangers. La France peut donc bénéficier de cette pour son industrie, ainsi qu’un soutien stable. mondialisation, à condition que l’Etat accompagne La politique industrielle française doit s’inscrire dans ses entreprises à servir les marchés étrangers, notam- ce contexte de mondialisation croissante. Cela signi- ment en veillant à assurer des conditions équitables et fie, de fait, que les politiques industrielles nationales réciproques dans les échanges internationaux. Ce se trouvent toutes interconnectées : toute mesure prise point est notamment essentiel dans les conditions en France aura un impact sur son industrie nationale, d’accès aux marchés publics : il est indispensable,

mais également sur les industries étrangères concur- pour un pays qui joue pleinement le jeu de la concur- WEBER FRANCK LIRZIN ET LUDOVIC rentes. Le corollaire en est la nécessaire coordination rence mondiale sur son marché interne, d’exiger la des politiques industrielles nationales, donc l’élabora- même chose de ses partenaires commerciaux. Force tion de politiques industrielles supranationales, est de constater que de nombreux progrès restent à notamment européennes. Par ailleurs, au-delà de la faire dans ce domaine, entre une Europe qui tend à notion de marque, la notion de nationalité pour une donner l’exemple et d’autres puissances économiques entreprise est difficile à cerner, d’autant que la décor- d’importance dont les efforts sont moins évidents. rélation entre la santé d’une entreprise et son aptitude Ces règles de réciprocité concernent bien d’autres à créer des emplois en France est croissante. Ainsi, ce champs, tels que les règles relatives aux concentra- ne sont ni Peugeot ni Renault qui ont créé des tions, l’utilisation des instruments de défense com- emplois en France ces dernières années, mais Toyota. merciale, l’élaboration de réglementations environne- L’important ne semble plus être la nationalité des mentales, etc. entreprises, mais la capacité des territoires à attirer des Cette plus grande équité des échanges mondiaux investissements, des sites de production ou de pourrait également passer par l’intégration croissante recherche. L’attractivité des territoires est donc un élé- et progressive, dans les négociations commerciales ment clé pour assurer la compétitivité des pays : elle internationales, des asymétries de pratiques sociales et passe par un ensemble de facteurs garantissant un environnementales des grandes puissances écono- environnement business friendly, tels que la qualité de miques. Des outils récemment discutés, tels que l’ins- vie, la fiscalité ou encore la qualité des infrastructures. tauration d’une taxe carbone aux frontières ou la créa- L’Union européenne est aujourd’hui l’échelon incon- tion d’une TVA « emploi » (ou tout autre outil tournable de la politique industrielle. A ce titre, on ne permettant de financer le modèle social français sur peut que se réjouir que l’Union européenne ait décidé une assiette plus large que ce seul facteur qu’est le tra- de faire de la politique industrielle l’un des sept piliers vail local) sont également de nature à rendre les de sa nouvelle stratégie de croissance, UE 2020. Cette échanges mondiaux plus équitables. prise de conscience européenne était indispensable. Enfin, cette approche horizontale peut difficilement L’organisation du marché commun autour de la se passer d’actions plus sectorielles de politique indus- concurrence a permis de créer un environnement trielle, notamment de programmes de R&D euro- favorable aux entreprises et à l’innovation, mais, péens sur les secteurs d’avenir, qui, seuls, permettront comme l’a indiqué Yvon Jacob (nommé ambassadeur de créer cette vision, cette ambition industrielle dont de l’industrie après les Etats Généraux de l’Industrie), a parlé Pierre Gattaz. Comme l’a souligné Lionel l’Europe a sans doute insuffisamment intégré ce qui Stoléru, aujourd’hui, « les avantages comparatifs, ça se aurait dû aller de pair avec le développement de la fabrique » : la théorie de Ricardo reste d’actualité, concurrence (interne et externe), à savoir le dévelop- mais on ne peut plus se contenter de nos avantages pement de la compétitivité de ses entreprises. comparatifs naturels (météo, ressources naturelles, Concurrence accrue signifie entreprises plus exposées, compétences historiques, etc.), il faut être proactif. A donc plus fragiles. Dès lors, l’Europe doit intégrer cet égard, deux visions s’opposent traditionnelle- dans l’ensemble de ses initiatives (qu’elles relèvent des ment : création de champions européens ou soutien champs environnementaux, de la concurrence, des aux PME innovantes ? Pour Nicolas Véron, écono- politiques commerciales, etc.) l’impact qu’elles ont sur miste du think tank Bruegel, il existe une tension l’industrie et ses entreprises. entre ces deux politiques, qui visent toutes les deux au Mais nombre d’enjeux se jouent au-delà du niveau même objectif : faire de l’Union européenne le leader européen : c’est notamment le cas de l’entretien d’une mondial sur certains secteurs industriels. Comme l’a

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 109 106-112 Lirzin:106-112Lirzin27/07/1115:15Page110 110 SYNTHÈSE DE LA TABLE RONDE un moyenne, entre 1963et1973),conférantànotre pays tante delaproduction industrielle(+7%paran,en nucléaire, quiontpermisunecroissance trèsimpor- industriels danslesdomainesdel’aérospatial oudu dans lesannées1960et1970degrandsprogrammes Président Georges Pompidou, laFrance asulancer rappelé Bernard conseilleréconomiquedu Esambert, ment assuméaujourd’hui enEurope etenFrance. tiels auxEtats-Unis, rôlequin’est quetrèsimparfaite- per. C’estlerôlequejouentlesinvestisseurs providen- intellectuel ouderéseau»pourcroître etsedévelop- saires. Ils ont,dèslors,besoind’un «accompagnement ciales, industriellesoujuridiquesquileursontnéces- n’associent pasl’ensemble descompétencescommer- la grandemajoritédesprojets quiluisontprésentés preneuriat :entantquebusinessangel,ilconstate la politiqueindustrielleeuropéenne, àsavoir l’entre- loppement, amisenévidenceuneautre prioritépour Vincent Rigal,présidentdeSolar etdéve- performance moyennes entreprises. à l’innovation etàlacompétitivitédespetites taire actuelets’articuler avec lespolitiquesdesoutien taires doivent s’insérer danslecontextecommunau- nologies environnementales. Cesdomainespriori- sciences duvivant (neurosciences) ouencore lestech- teurs d’avenir commeles nanotechnologies, les devenir la référence internationalesurdegrandssec- Aujourd’hui, l’Europe peutambitionneràsontourde et modifiantenprofondeur lasociétéfrançaise. rnkLri tLdvcWbrpéetn LapolitiqueindustriellevueparlesjeunesgénérationsducorpsdesMines ». Franck etLudovic Lirzin Weber présentant« RÉALITÉS INDUSTRIELLES leadership international dansdenombreux secteurs • AOÛT 2011 La investissements delongterme. mentaire parnature peupropice àl’industrie etàses entreprises, cetteinflationgénère uneinstabilitérégle- la chargequefontpesercesréglementationssurles aval. Il convientparailleursdesoulignerqu’au-delà de sur lacompétitivitédesentreprises, enamontpuis insuffisamment encomptel’évaluation desonimpact plus encomplexe, européenne, prend parfois croissante surl’industrie ».Cetteréglementationde qui créeuncontexteinstableetfaitpeserunecharge une «inflationrèglementaire quinuitàl’industrie, Comme l’a constatéLudovic Weber, ilyaaujourd’hui tiques. industrielle résidedansl’articulation entre cespoli- etc. Un volet d’importance croissante delapolitique ment, droit dutravail, politiquedelaconcurrence, évoluent les entreprises :politiquedel’environne- souvent un impactsurlesconditionsdanslesquelles ment desautres politiquespubliquesmenées,quiont industrielle nepeutplusseconcevoir indépendam- compétitivité desentreprises. Dèslors,unepolitique te aujourd’hui àcréerunenvironnement favorable àla Une essentielledelapolitiqueindustrielleconsis- part dimensions delacompétitivité externedesentre- DÉVELOPPER LA DE SESIMPACTS SURL’INDUSTRIE UNE RÉGLEMENTATION PLUSCONSCIENTE better regulation BETTER REGULATION BETTER doit permettre d’intégrer les © PatrickVEDRUNE-SG , 106-112 Lirzin:106-112 Lirzin 27/07/11 15:15 Page111

prises, c’est-à-dire l’environnement ou la régulation que des acteurs privés dispersés ne sont plus financière. Ce modèle de législation 2.0 doit être capables de les prendre à leur charge : c’est, aux conduit dans un cadre collaboratif associant les pou- Etats-Unis, par une régulation fine et, au Japon et voirs publics et les acteurs concernés, sans pour autant en Corée du Sud, par des politiques volontaristes céder aux sirènes du lobbying. Ses objectifs sont une que ces pays ont aujourd’hui les taux de pénétration évaluation systématique de l’impact des politiques de la fibre optique les plus élevés du monde. La publiques, intégrant leurs dimensions économiques, concurrence n’est pas le seul axe de progrès, et la sociales et environnementales, ainsi qu’une maîtrise France doit rapidement prendre ce même chemin, du flux réglementaire. C’est d’ailleurs le sens de la notamment grâce aux Investissements d’avenir et mission récemment confiée au Commissaire à la sim- aux 2 milliards d’euros consacrés au développement plification, nommé au Secrétariat général du gouver- du très haut débit. nement, à la suite des Etats Généraux de l’Industrie. Les centrales numériques, lieux de stockage des ser- Il est utile de souligner qu’à ce titre, le développement veurs et de développement du cloud computing, sont des échanges de personnels entre les entreprises et un autre exemple de ce que promeuvent les l’administration, y compris, et surtout, à un très haut Investissements d’avenir, mais dont il faudra s’assurer niveau, permettrait de sensibiliser davantage cette der- que la demande est suffisamment structurée pour en

nière aux enjeux de l’industrie. tirer les bénéfices en Europe, et non ailleurs. WEBER FRANCK LIRZIN ET LUDOVIC

PROFITER DES NOUVELLES TECHNOLOGIES REDONNER À LA FRANCE L’ENVIE D’AVOIR POUR DÉVELOPPER L’INDUSTRIE 2.0 UNE INDUSTRIE Pour Gérard Théry, le plus fondamental est de revalo- Le développement exponentiel des capacités de riser le métier d’ingénieur. « Avant, on disait monsieur recherche au niveau mondial a permis de développer l’ingénieur ! » a-t-il ajouté ! Le métier d’ingénieur des technologies qui ouvrent d’innombrables oppor- souffre aujourd’hui d’un ensemble de préjugés qui en tunités. La plus emblématique de ces innovations est détournent de nombreux jeunes. Pas assez attractif, Internet, qui transforme tout, depuis la façon dont on trop technique, trop exigeant… et pourtant, ce sont communique au sein des structures familiales, person- bien les ingénieurs qui sont au cœur de l’économie de nelles ou professionnelles, jusqu’à l’organisation des la connaissance. Redorer les métiers de l’industrie, sociétés et des pays. L’organisation en réseau efface des aussi bien au niveau ingénieur, technicien qu’ouvrier, hiérarchies traditionnelles ; le rapprochement entre est un investissement de long terme. Cette culture de clients et fournisseurs permet de personnaliser à l’ex- l’industrie est aussi le ciment des écosystèmes d’en- trême les offres commerciales, oblige à repenser la traides entre entreprises tels qu’ils existent en conception des process industriels, dans le cadre d’une Allemagne, où les grandes entreprises n’hésitent pas à industrie qui doit devenir 2.0. Ces nouvelles techno- tirer vers le haut des entreprises récentes ou de petite logies donnent aux entreprises qui les maîtrisent un taille. La situation semble bien différente en France. avantage compétitif d’autant plus décisif qu’elles accé- Pour Raymond Levy, « les Français n’aiment pas leur lèrent également le mouvement de mondialisation en industrie et ne la comprennent pas ». Les parents ne facilitant les échanges d’information et la création de veulent pas que leurs enfants entrent dans l’industrie, réseaux à distance. alors qu’y travailler, c’est être au service des autres et Comme l’a indiqué Vivek Badrinath, développer servir la société. l’usage des nouvelles technologies de l’information et Il est paradoxal d’entendre les industriels se plaindre de la communication au sein des PME et promouvoir de ne pas trouver les compétences qu’ils recherchent, un écosystème fécond autour de ces technologies sont que ce soient des fraiseurs ou des ingénieurs, alors que des axes importants pour l’action publique. En plus le taux de chômage, en particulier chez les jeunes, est de créer des conditions favorables au capital risque, il élevé. La formation initiale, en étant capable de don- est important de catalyser la demande pour les jeunes ner le goût de l’industrie, des sciences et de la techno- entreprises innovantes : les nouveaux services ne peu- logie, transforme les mentalités, offre aux jeunes des vent se développer que si leurs marchés sont suffisam- perspectives de carrière attrayantes et permet de ment importants et cohérents. Trop souvent, la redonner un second souffle à l’industrie française. logique du « winner takes all », très présente dans Il faut bien sûr pour cela s’attaquer à ce qui rend si l’univers d’Internet, tend à privilégier les sociétés amé- peu attractifs les métiers de l’industrie : pénibilité, ricaines : pourquoi confier la numérisation des biblio- salaires inférieurs à ceux d’autres secteurs, évolution thèques européennes à Google ? rapide des métiers, etc. En ce sens, la formation conti- Le déploiement du très haut débit et des infrastruc- nue joue elle aussi un rôle important en permettant tures numériques est bien entendu un préalable aux salariés de suivre les évolutions rapides qu’en- nécessaire. Les investissements sont tels aujourd’hui gendre la mondialisation.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 111 106-112 Lirzin:106-112Lirzin27/07/1115:15Page112 112 SYNTHÈSE DE LA TABLE RONDE conjoncture etdel’époque. Ainsi,l’Europe estdeve- économique estdifficileàmener, carelledépenddela l’économie etlasource dela croissance. Lapolitique dustrie aucœurdesdiscussionssurlastructure de ment ducontexteéconomiqueetpolitiqueremet l’in- de lamettre enavant etd’agir pourelle.Lechange- aujourd’hui, d’évoquer l’idée depolitiqueindustrielle, Cette tableronde amontréqu’il n’était plustabou, des autres secteurs. industriels sontaussiouplusépanouissantsqueceux industrie nécessaire àl’économie, quelesmétiers Celle-ci tendàmontrer quelesfrançaisestimentleur l’image del’industrie etdestechnologiesenFrance. l’Energie etdes Technologies relative (CGIET), à demande duConseilgénéraldel’Industrie, de montre unerécenteétudemenéeparleCredoc àla France être semblepourtant réunies.C’estceque Les conditionspourredorer leblasondel’industrie en termes deFranck Lirzin. ce quipourraitêtre un«élitismepourtous»,selonles requises danslaconcurrence internationalesedessine çaise »etlamontéeengammedescompétences meilleur. Entre unetraditiond’excellence «àlafran- avoir leschancesdefaire cepourquoiilestle qu’en s’élargissant àtouslesniveaux. Chacundoit en compétencesd’une économiedelaconnaissance tion jésuite,nepeuts’adapter auxbesoinscroissants L’élitisme dusystèmescolaire français,issudelatradi- CONCLUSION RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 développement dupaysetdel’Europe. misme, assumentunesolidariténécessaire pourle temps »,sesmembres guidésparlaraisonetl’opti- d’utopiechis parunesorte quirésisteàla dureté des mauté duraisonnementleplusrationnel,maisenri- des Mines répondàcescritères danslapri- :«instruits tique industriellemoderne.Il setrouve quelecorps fique etindustriellenécessaire pourmenerunepoli- un corpsdefonctionnaires dotédelaculture scienti- deur »desonindustrie.Il doitpouvoir s’appuyer sur conclusion ChristianMarbach, le«premier ambassa- vision industriellecarilest,commel’a rappeléen mie oularéguler, l’Etat doitavoir aujourd’hui une dansl’écono-De plusensollicitépourintervenir trie, quiatrop souvent dumalàattirer lesjeunes. confiance dansl’avenir etredorent l’image de l’indus- que desentreprises. Cesperspectives donnent gouvernance, auseinaussibiendel’administration pourdévelopper ces nouveauxopportunité modesde technologies, notammentnumériques,sontune implique pourlesacteurséconomiques.Lesnouvelles deurs publicsd’avoir consciencedesenjeuxqu’elle faire dansuncadre collaboratifpermettantauxdéci- qu’à contrôler. L’élaboration delarégulationdoitse apprendre àinciterplusqu’à piloter, àrégulerplus nologies dedemain,lapuissancepubliquedoit àl’innovation,important pourfaire émergerlestech- nant l’Europe surlessecteursd’avenir, etsoutien industrielle. Entre grandsprojets deR&D,position- constitue désormaisunedonnéeintangibledelavie politique économique,tandisquelamondialisation nue l’horizon incontournabled’une réflexionsurla 113-118 Résumés:113-118 Résumés 27/07/11 15:16 Page113

FOR OUR ENGLISH-SPEAKING READERS

AN EXCEPTIONAL ENGINEER: He arrives at PUK: Read the papers! GEORGES BESSE Christian Marbach This text was written upon reading a file Issue editor: Christian Marbach containing all the articles that came out in the Editorial press during the week following the appointments made by the government in 1982 of the future Pierre Couveinhes chief executive officers of recently nationalized Foreword firms. This is an exercise with compulsory figures: write a historical text by using only the articles of Alexandre Moatti that particular week to sketch a portrait of Georges Besse as seen in newspapers at the time. Obviously, this procedure has not been literally applied. I 1 - A sketched portrait know too much about the persons involved and Brief chronology the events to be able to fade into the background behind what the journalists wrote. Nor can I Christian Marbach forget, while writing, what persons asked in other The youth of an alumnus of École Polytechnique circumstances had to say about the Georges Besse of that time. Nor have I forgotten what happened Christian Marbach later. A historian, even a nonprofessional one, has This is the story of a child, one coming from a humble an advantage over the journalists of 1982: he background, talented, intelligent, with support for his education, knows what happened afterwards! I have tried to clearly indicate (through the typesetting) what is

who passed the admissions examination for École Polytechnique. RÉSUMÉS ÉTRANGERS This itinerary might, quite rightly, be said to be a French destiny. to be attributed to journalists and what is Yes, a French destiny… a very fine itinerary that, in France, is not commentary. all that exceptional with regard to the first twenty years of He arrives at Renault: Read the papers! education. We notice similarities at the start of careers between Georges Besse and several other “Polytechnicians” with the same Christian Marbach pattern: humble family origins; the discovery by an educational The preceding article, written from reports in the press during system that is capable of detecting and evaluating the outstanding the week following Georges Besse’s appointment, focused on qualities in a child; parents who were initially reluctant in the face his arrival at Pechiney Ugine Kuhlmann. In summary, of the unknown but then proudly allowed their son to pursue his journalists presented Besse, during this week, as a man fully schooling once they learned that École Polytechnique, which adapted to the job at PUK both owing to his experience and dispenses an education for free, represents both the certainty of a qualifications and given the activities of the company to be fine trade and opportunities oriented toward serving the national restructured. The debate about the purpose of community. nationalizations was not over in February 1982, and certain A personality! newspapers did not fail to criticize the principle. All that did not keep them, however, from pointing out that, things being Christian Marbach the way they were and since the chairman at the time did not After having led readers along Georges Besse’s educational want to remain in that position after the nationalization, itinerary, a portrait is sketched before turning in the third part Besse was a very good choice for PUK. Besse’s arrival at to his managerial methods. In the second part of this triptych, Renault took place in quite different circumstances… the portrait is drawn with modesty. Pieces of information gleaned from various sources are put together with the 2 - Testimonials requisite caution. After all, Georges Besse was discreet. Like us all, he evolved: the most assertive personalities change with Georges Besse, a lesson for the future? the passing of the years and of tribulations… Raymond H. Lévy Management according to Georges Besse After the assassination of Georges Besse, Raymond Lévy was Christian Marbach his successor at Renault. He draws the lessons from the life and actions of an exceptional personality, of, more simply, a When the time came to choose a title for this article, I “man” in the strong sense of this word. wondered what words to choose. The reason the French title uses “management”, a Franglais word, instead of its French The current relevance of Georges Besse’s example equivalents gestion, direction (vague) or commandement (too Luc Oursel military) is to associate the concept of gestion, which implies qualities of organization, with that of leadership (English, The current relevance of Georges Besse’s example Luc Oursel once again!), which implies authority, decision-making, AREVA has named its new plant for uranium enrichment presence and charisma. Readers will come upon these various after Georges Besse, one of the major figures in France’s aspects in these pages and be able, in turn, to answer the nuclear program. This new plant uses the most advanced question that we can ask about all top executives: what sort of technology (such as centrifugation). It is in line with an manager was Georges Besse? approach to sustainable development.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 113 113-118 Résumés:113-118 Résumés 27/07/11 15:16 Page114

Georges Besse, a great engineer, a great company director, a great objective is to support young people who want to become public servant engineers but have major monetary problems. Support is François de Wissocq granted after examination of a candidate’s record and an individual interview conducted by a selection committee. François de Wissocq, who succeeded Georges Besse as chairman of COGEMA, wrote in 1993 an account of his SABIX predecessor’s career. This account mainly, and understandably, Sources dealt with Besse in the nuclear industry, where he spent most of his career. This is the industry that François de Wissocq Miscellany came to know through his positions in services of the A synopsis of the roundtable “Quelle politique industrielle pour la ministries responsible for Industry and Energy, and then in COGEMA. Since Christian Marbach’s articles do not focus on France dans l’Europe?” presided by Christian Marbach on 18 RÉSUMÉS ÉTRANGERS this period, it is worthwhile providing readers of this special November 2010 during the colloquium “200 ans d’histoire du issue with de Wissocq’s view. This contribution can be corps des Mines” supplemented with testimonies about the period since 1994 or Franck Lirzin and Ludovic Weber even with texts from the archives. The year 2010 was marked by the bicentennial of the decree Two portraits de Georges Besse of 18 November 1810 that organized the “Imperial corps of Jacques Lesourne mining engineers” and created the Conseil Général des Mines (CGM), from which the Conseil Général de In 2000, Jacques Lesourne published an autobiography, Un l’Industrie, de l’Énergie et des Technologies (CGIET) stems. homme de notre siècle. His wide-ranging but precise description of his own itinerary as the head of a firm and as a thinker was To celebrate this bicentennial, CGIET organized several situated in the broad trends affecting the evolution of our exhibitions and events throughout the year with a forward- world. The subtitle, De Polytechnique à la prospective et au or backward-looking perspective. The grand finale was the journal Le Monde, was evidence of the influence of the closing colloquium held at Bercy in Paris on 18 November education dispensed at École Polytechnique and then at École 2010, presided by Christine Lagarde, minister of the des Mines. One of his fellow students in both these Economy, Finances and Industry. The third of the three institutions was Georges Besse. Sure enough, this roundtables organized for this occasion was chaired by autobiography contains pages about Besse. This portrait is in Christian Marbach, a member of the Académie des a rather different form from the 1987 in memoriam. For this Technologies, and facilitated by Jean-Marc Sylvestre, an reason, we have chosen to print extracts from pages 176 and economic journalist. It dealt with the question of the 177 of Lesourne’s autobiography. We thank the author and the industrial policy for France in Europe. In introduction, there publisher (Éditions Odile Jacob) for authorizing this were audiovisual presentations by Bernard Esambert, reproduction. Raymond H. Levy, Lionel Stoléru and Gérard Théry. Franck Lirzin and Ludovic Weber then presented a synopsis of 3 - Appendix papers written by young engineers from École des Mines. Discussions included interventions by industrialists and Georges Besse, the bicentennials of École Polytechnique and the experts: Vivek Badrinath (executive director of Orange Corps des Mines Business Services), Pierre Gattaz (president of the board at Christian Marbach Radiall and president of Groupe des Fédérations Industrielles), Yvon Jacob (representing the Ministry of The Georges Besse Foundation Industry), Patrick Kron (CEO of Alstom), Vincent Rigal The Georges Besse Foundation was founded in 1987 by firms (chairman of Solar Performance et Développement) and and by persons close to Besse, after the latter’s assassination. Its Nicolas Véron (economist at Bruegel).

114 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 113-118 Résumés:113-118Résumés27/07/1115:16Page115 Auswahlverfahren derEcole polytechnique seinen Studien unddasdiePrüfung erfuhr im aus einerbescheidenenFamilie, dasvielUnterstützung in Dies istdieGeschichte einesbegabtenundintelligentenKindes Dies istdieGeschichte einesKindes. Christian Marbach Die Jugend eines„Polytechnicien“ Christian Marbach Chronologie Eine kurze 1 -Skizze einesPorträts Alexandre MOATTI Vorwort Pierre COUVEINHES Leitartikel welchen Begriff ichwählensollte. Wenn ichdasenglische Als ichdiesem Text einen Titel gab, habeichmichgefragt, Christian Marbach Management nachGeorges Besse Prüfungen desLebens. Persönlichkeiten ändernsichmitdenJahren undden hat ersichmitderZeit :auchdiestärksten verändert verfahren :dennGeorges Besse wardiskret, und wiewiralle erhalten habe.Dabei binichmitdererforderlichen Vorsicht miteinander zuverbinden, dieichvon verschiedenen Experten Wesentliche beschränkt;ichhabeversucht, alleInformationen Es solleineArt Triptychon werden, dassichauf in einemdritten Teil seineManagementmethoden behandeln. versuchen, einCharakterbildvon ihmzuzeichnen, bevor wir Georges Besse durch dieStudienjahre zubegleiten,werden wir Nachdem wirunsere Leserdazueingeladenhaben,denjungen Christian Marbach Ein Charakter ! vor allemzumDienst anderAllgemeinheithinführen. gleichzeitig dieAussicht aufzahlreiche Perspektiven bietet,die sein wird, dieSicherheit verspricht einesschönenBerufs und ist, dassdieEcole Polytechnique ihren Sprössling studieren lassen,sobaldihnenklargeworden etwas ängstlichaufdasUnbekannte reagieren, dann aberstolz kleinen Jungen zuerspüren undzuerkennen ;Eltern, diezuerst Fähigkeiten eines dem manfähigist,dieaußergewöhnlichen einfache Familie ;einaufAuslese bauendesSchulsystem,in dem Zusammenwirken derselbenAttribute resultieren :eine polytechnique diejenige zahlreicher anderer Absolventen derEcole ist:dieSchulzeitaußergewöhnlich von Georges Besse und ersten zwanzigLebensjahre inFrankreich nichtso französischer, einsehrschöner Werdegang, deraberfürdie französisch bezeichnen konnten.Ja, esisteintypisch Werdegang, denmancheLeutezuRecht alsspezifisch AN UNSEREDEUTSCHSPRACHIGEN LESER NEIU :GEORGESBESSE INGENIEUR EIN AUßERGEWÖHNLICHER weisen Ähnlichkeitenauf, dieimmerwiederaus ZUSAMMENFASSUNGEN , deren Ausbildung kostenlos bestand. Esistein unter ganzanderen Vorzeichen ... Die Ankunftvon Georges Besse bei Georges Besse für seinen leitendenPosten nichtmehrbekleidenzuwollen, Unternehmenschef nachder Verstaatlichung bekanntgab, Umständen undangesichtsder Tatsache, dassderdamalige dassunterdengegebenen hervorzuheben, nicht daranhindert, ablässt, KritikandiesemPrinzip zuüben,aber dassdiessie noch nichtbeendetistundein Teil derPresse nichtdavon Zweckmäßigkeit der Verstaatlichungen imFebruar 1982zwar passte. Ich fügehinzu, dass dieDebatte überdie Tätigkeiten derzusanierenden Gesellschaft genauzuPUK undKompetenzseiner Erfahrung sowie der aufgrund Woche Georges Besse alsjemandendarstellen,deraufgrund zusammenfassend bemerken, dassdieJournalisten injener zurückgreift, handeltvon derAnkunftbei Woche nachderNominierung von Georges Besse Mein deraufdiePresseartikel vorausgehender Artikel, der Christian Marbach Die Ankunft beiRenault :lesenwirdieZeitungen ! Ausführungen zumBeispiel typographischabzusetzen. stammt, zukennzeichnen undvon denkommentierenden geachtet, das,wastatsächlichausderFeder derJournalisten Ereignisse zukennen!In diesem Text habeichjedochdarauf der Tageszeitungen von 1982den Vorteil, dieFolge der wenn ernichtvom Fach ist,hatgegenüberdenJournalisten vergessen, wassichspäterereignet hat:derHistoriker, selbst Georges Besse befragt wurden. Zudem habeichauchnicht weiterer Personen vergessen können, diezudemdamaligen Niederlegung meinerGedanken keinenderKommentare Journalisten zurücktreten könnte,undichhabewährend der Epoche, alsdassichgänzlichhinterden Texten der weiß zuvielüberdieAkteure unddasGeschehen injener nicht imbuchstäblichenSinne eingehaltenwurde. Denn ich Moment sah.Esversteht sichvon selbst,dassdieseSpielregel daswiedergibt,wieihndiePresseentwerfen, zujenem gelegtwerden,zugrunde umeinPorträt von Georges Besse zu ausdieserbesonderenden nurZeitungsartikel Woche historischen Gegenstand sollein Text geschriebenwerden, für von ÜbungmitPflichtfigurenalso umeineArt :übereinen verstaatlichten Unternehmen ernannthatte.Eshandeltsich Regierung 1982diezukünftigenGeneraldirektoren dersoeben dieinnerhalbeiner verfasst, Woche erschienen,nachdemdie Dieser wurde Artikel aufderGrundlage allerPresseartikel Christian Marbach Die Ankunft beiPUK:lesenwirdiePresse ! ? gestellt werden kann:wasfüreinManager warGeorges Besse können,diewohlüberalleUnternehmenschefsbeantworten undseinerseitsdieFrage wiederfinden diesem Artikel wird.assoziiert Der Leserwird dieseverschiedenen Aspektein mit Autorität, Entscheidungskraft, Präsenz undCharisma „leadership“ (wiedereinenglisches Wort !)zuverbinden, das Organisationsfähigkeiten voraussetzt) mitdemjenigender natürlich deswegen, umdasKonzept der„gestion“(das entschiedenhabe,so oder „commandement“(Führung) (Verwaltung) benutztundmichgegen„direction“ (zuvage) Wort „management“stattdesfranzösischen Wortes „gestion“ PUK eine sehrgute Wahl war. RÉALITÉS INDUSTRIELLES Renault PUK . Ich kannhier vollzieht sich • AOÛT 2011 115 RÉSUMÉS ÉTRANGERS 113-118 Résumés:113-118 Résumés 27/07/11 15:16 Page116

2 - Ansichten zu Georges Besse danken dem Autor und dem Verlag Editions Odile Jacob dafür, dass sie uns die Genehmigung erteilt haben, die Georges Besse, eine Lektion für die Zukunft ? entsprechenden Textsstellen der Seiten 176 und 177 des Raymond H. Levy Werks von Jacques Lesourne nachzudrucken. Raymond H. Lévy trat die Nachfolge von Georges Besse an der Spitze von Renault an, nachdem der Letztere einem 3 - Dokumentarischer Anhang Attentat zum Opfer gefallen war. In diesem Artikel bemüht er Georges Besse, die Zweihundertjahrfeiern der Ecole Polytechnique sich darum, eine Lehre aus dem Leben und Wirken einer und des Corps des Mines außergewöhnlichen Persönlichkeit – oder einfach eines „Menschen“ im tiefsten Sinne dieses Wortes – zu ziehen. Christian Marbach Die Fondation Georges Besse

RÉSUMÉS ÉTRANGERS Die Aktualität des Beispiels von Georges Besse Luc Oursel Diese Stiftung wurde 1987 von einigen Unternehmen und Angehörigen nach der Ermordung von Georges Besse Die AREVA-Gruppe hat ihrem neuen Werk zur Uran- gegründet. Wiederaufbereitung den Namen Georges Besse gegeben, der eine Sie dient dem Zweck, junge Menschen zu unterstützen, die der großen Figuren des französischen Nuklearprogramms war. Ingenieur werden wollen, aber auf große materielle Ein neues Werk, das die leistungsstärksten Technologien (wie Schwierigkeiten stoßen. Die Unterstützung ist an ein das Zentrifugenverfahren) zur Anwendung bringt und das im Ausleseverfahren auf der Basis von Bewerbungsunterlagen Rahmen einer Politik der Nachhaltigkeit konzipiert wurde. sowie an ein persönliches Gespräch gebunden, das von einem Georges Besse : ein großer Ingenieur, ein großer spezifischen Gremium durchgeführt wird. Unternehmenschef, ein großer Staatsdiener Die SABIX François de WISSOCQ Benutzte Quellen François de Wissocq, der nach Georges Besse den Vorsitz der Cogema übernahm, hatte 1993 die Gelegenheit, einen Vortrag Sonderthema : über die Karriere seines Vorgängers zu verfassen. Es stellte sich Zusammenfassung der Gesprächsrunde zum Thema heraus, dass diese Arbeit hauptsächlich die Jahre im „Welche Industriepolitik für Frankreich in Europa ?“ Nuklearsektor behandelt, was alles in allem logisch ist : denn hier hat Georges Besse den wichtigsten Abschnitt seiner Konferenz unter dem Vorsitz von Christian Marbach am 18. Karriere verbracht und es ist das Gebiet, das François de November 2010 im Rahmen des Kolloquiums Wissocq in den Verwaltungsabteilungen der Ministerien für „Zweihundertjahrfeier des Corps des Mines“ Wirtschaft und Energie selbst vertiefen musste, um schließlich Franck Lirzin und Ludovic Weber die Cogema zu leiten. Da die Texte von Christian Marbach auf diesen Aspekt nicht eingehen, schien es nützlich, den Lesern Das Jahr 2010 stand im Zeichen der Zweihundertjahrfeier des dieser Nummer die diesbezüglichen Ausführungen von Dekrets vom 18. November 1810, das den Corps impérial des François de Wissocq zur Kenntnis zu bringen. Der Letztere Ingénieurs des Mines zusammenstellte und den Conseil général hatte die Freundlichkeit, der Veröffentlichung seines Textes des Mines etablierte, aus dem der Conseil général de l’industrie, zuzustimmen, den er schon für das Institut d’Histoire de de l’énergie et des technologies (CGIET) zum Teil hervorging. l’Industrie als Beitrag zu dem Buch über Georges Besse verfasst Für die Zweihundertjahrfeier hat der CGIET im Laufe des hatte. Es sei daran erinnert, dass dieser Beitrag auf das Jahr Jahres 2010 verschiedene Veranstaltungen zu Zukunfts- und 1993 zurückgeht und dass er sehr wahrscheinlich heute durch Geschichtsthemen sowie mehrere Ausstellungen organisiert. Der weitere Kommentare oder archivierte Texte ergänzt werden Höhepunkt der Feiern war das Abschlusskolloquium von Bercy könnte, die seitdem verfügbar geworden sind. am 18. November 2010, dem Jubiläumstag des Dekrets von 1810, unter dem Vorsitz von Christine Lagarde, Ministre de Zwei Porträts von Georges Besse l’Economie, des Finances et de l’Industrie. Drei Gesprächsrunden Jacques Lesourne fanden während dieses Abschlusskolloquiums statt. Unter dem Vorsitz von Christian Marbach, Mitglied der Académie des Im Jahr 2000 veröffentlichte Jacques Lesourne im Verlag technologies, befasste sich die dritte dieser Gesprächsrunden, die Editions Odile Jacob eine Autobiographie mit dem Titel Un von dem Wirtschaftsjournalist Jean-Marc Sylvestre moderiert homme de notre siècle. Mit Weitblick und Präzision schildert er wurde, mit der Frage der Industriepolitik für Frankreich in dort seine eigene Karriere als Unternehmenschef und Denker, Europa. Die Debatte wurde durch audiovisuelle Präsentationen indem er sie weitblickend und präzise mit der Entwicklung von vier prominenten Persönlichkeiten eingeleitet : Bernard des Weltgeschehens in Zusammenhang bringt. Der Untertitel Esambert, Raymond H.Lévy, Lionel Stoléru und Gérard Théry. des Werks lautet De Polytechnique à la prospective et au journal Franck Lirzin und Ludovic Weber trugen anschließend eine Le Monde, was den Einfluss erkennen lässt, den die Studien an Synthese der Beiträge von jungen Ingénieurs des Mines vor, die als der Ecole polytechnique und dann an der Ecole des Mines auf ihn Grundlage für die Themen der Gesprächsrunde diente. An der ausgeübt haben. Nun hatten wir bereits Gelegenheit, darauf folgenden Debatte beteiligten sich Akteure der Industrie und hinzuweisen : einer seiner Mitschüler an der Ecole Experten : Vivek Badrinath, Directeur exécutif von Orange polytechnique und dann an der Ecole des Mines war Georges Business Services, Pierre Gattaz, Président du directoire von Radiall, Besse. Es war also damit zu rechnen, dass man in dem Président der Groupe des fédérations industrielles, Yvon Jacob, autobiographischen Buch einige Seiten über Georges Besse Ambassadeur de l’industrie, Patrick Kron, bevollmächtigter finden würde ; es stellte sich heraus, dass dort das Porträt von geschäftsführender Direktor der Alstom-Gruppe, Vincent Rigal, Georges Besse in einer Form wieder aufgenommen wurde, die Président von Solar performance et développement, und Nicolas sich von derjenigen, die den Text in memoriam von 1987 Véron, Wirtschaftsexperte bei Bruegel. kennzeichnet, ziemlich unterscheidet. Deshalb haben wir Wert darauf gelegt, sie hier wieder zu veröffentlichen. Wir Koordinierung der Beiträge von Christian Marbach

116 RÉALITÉS INDUSTRIELLES • AOÛT 2011 113-118 Résumés:113-118Résumés27/07/1115:16Page117 El El y losobstáculos. tiempo. cambianconlosaños Laspersonalidadesmásfuertes muy discreto y, comotodoelmundo,evolucionó conel Todo estoconladebidaprecaución: yaqueGeorges Besse era vincular todalainformaciónqueherecibido devarios testigos. de tríptico. Esteretrato sedibujaconmodestia,hetratadode de administración.Esnuestro turnodeproponer unaespecie retrato deél,antesabordar, susmétodos enlatercera parte, Besse durantesusañosdeiniciación,trataremos dehacerun Después deinvitarallectoraacompañarjoven Georges Christian Marbach ¡Qué carácter! la comunidad. a orientadas principalmenteaservir y muchasoportunidades será gratuita,representa de unbuentrabajo alavez lacerteza descubren quelaEcole Polytechnique, dondelaformación dispuestos adejarquesushijossiganestudios,encuanto poco reacios frente alodesconocido,luegoorgullososy cualidades fueradelocomún,lospadres primero unpoco un sistemaeducativo capazdeevaluar ysentirenunniño de ingredientes: unafamiliamodesta,elreconocimiento por estudiantes delaEcole Polytechnique, conelmismoconjunto los comienzos deGeorges Besse yloscomienzos demuchos excepcional enFrancia. Se puedenencontrarsimilitudesentre durante losprimeros veinte añosdeformaciónnoestan francés Una vidaquealgunoshanllamadoconrazón el concursodeentradaalaprestigiosa Ecole Polytechnique. inteligente, alqueapoyaban ensusestudiosyquelogrópasar Es lahistoriadeunniñounafamiliapobre, talentoso, Es lahistoriadeunniño. Christian Marbach La juventud deuningeniero delaEcole Polytechnique Christian Marbach Breve cronología 1 -Esbozo biográfico Alexandre Moatti Prefacio Pierre Couveinhes Editorial El lectorencontraráestosaspectosenlaspáginassiguientes y liderazgo, quesuponeautoridad,decisión,presencia ycarisma. de gestión(querequiere habilidadesdeorganización) alde mando (másmilitar)fue,obviamente, paraasociarelconcepto en vez deadministraciónodirección (másvago) ode términos teníaqueutilizar. Si utilicéeltérminoManagement Cuando tuve quedaruntítuloaestetexto,mepregunté qué Christian Marbach A NUESTROSLECTORES DELENGUAESPAÑOLA management . Sí:undestinofrancés.Una bellacarrera, pero que UN INGENIEROEXCEPCIONAL al estilodeGeorges Besse GEORGES BESSE, un destino grandes figurasdelprograma nuclearfrancés. uranio elnombre deGeorges Besse, quienfueraunadelas AREVA hadadoasunueva plantadeenriquecimiento de Luc Oursel El ejemplodeGeorges Besse enlaactualidad delapalabra. sentido másfuerte persona excepcional o,simplemente,deun“hombre” enel trata deaprender lasleccionesdelavidayacción una Renault, traselasesinatodeesteúltimo. se En esteartículo Raymond H.LevysucedióaGeorges Besse enladirección de Raymond H.Levy Georges Besse, ¿unalecciónpara elfuturo? Opiniones sobre Georges Besse 2 - muy diferentes... Las condicionesdelallegadaGeorges Besse aRenault eran la nacionalización,Besse eraunagranopciónparaPUK. y quecuandoeljefedelmomentoafirmónocontinuaríatras embargo, estonoleimpidereconocer quelascosassoncomo delaprensauna parte noseolvidadecriticarestapráctica.Sin nacionalizaciones todavíaestávigenteenfebrero de1982,yque salvar. Yo añadiríaque,obviamente, eldebate sobre las competencia, comoporlosnegociosdelacompañíaqueéldebe hombre paraPUK,tantoporsuexperienciay perfecto periodistas, duranteesasemana,presentan aBesse comoel llegada alaempresa PUK.Puedo resumirlo señalandoquelos siguiente alnombramientodeGeorges Besse tratabadesu Mi anterior, artículo escritoutilizandolaprensa delasemana Christian Marbach Su llegadaalaempresa Renault, ¿quédicelaprensa? deloscomentarios. periodistas yloqueformaparte tipográficamente, loqueproviene delaplumalos intentado marcar enlassiguienteslíneas,porejemplo 1982, élconoceloquesucediódespués.Sin embargo,he incluso aficionado,tieneunaventaja sobre elperiodistade Tampoco heolvidadoloquesucediódespués.El historiador, personas encuestadassobre elGeorges Besse deesemomento. olvidar, durantelaredacción, todosloscomentariosdelas completo detrásdelosescritosperiodistas. Tampoco podía actores ylosacontecimientosdeesaépocaparadesaparecer por pie delaletra.En realidad, conozco demasiadascosassobre los momento. Obviamente, estaregla dejuegonofueseguidaal un retrato deGeorges Besse, talqueloveía laprensa enese deprensalos artículos deesasemanaenespecialparadibujar figuras obligatorias:escribiruntextohistóricoutilizandosólo nacionalizadas. Por ello,setratadeunaespecieejercicio de en 1982,delosfuturos gerentes delasempresas recientemente delGobierno, semana siguientealnombramiento,porparte deprensaque contienetodoslosartículos publicadosla delalecturaunexpediente Este textofueescritoapartir Christian Marbach Su llegadaalaempresa PUK,¿quédicelaprensa? todos losdirectores: ¿quéclasedeManager podrá asuvez responder alapregunta quepuedasurgirsobre RÉALITÉS INDUSTRIELLES fue Georges Besse? • AOÛT 2011 117 RÉSUMÉS ÉTRANGERS 113-118 Résumés:113-118 Résumés 27/07/11 16:52 Page118

Esta nueva planta utiliza las tecnologías más avanzadas (como La Fundación Georges Besse la centrifugación) y se inscribe dentro de un enfoque de desarrollo sostenible. Esta fundación fue creada en 1987 por las empresas y los familiares, tras el asesinato de Georges Besse. Georges Besse, gran ingeniero, gran empresario, gran servidor del Estado Su propósito es apoyar a los jóvenes que desean convertirse en ingenieros pero que enfrentan grandes dificultades económicas François de Wissocq o materiales. La ayuda se otorga tras una selección de casos y François de Wissocq, que sucedió a Georges Besse como una entrevista realizada por un comité de selección específico. presidente de la Cogema (Compañía general de materias La SABIX (Sociedad de amigos de la biblioteca y de la historia de nucleares), tuvo la oportunidad de preparar en 1993 una la Ecole Polytechnique) exposición sobre la trayectoria de su predecesor. Ese trabajo se

RÉSUMÉS ÉTRANGERS centraba principalmente en su carrera en la industria nuclear, Fuentes utilizadas lo que en definidas cuentas parece lógico ya que Georges Besse OTROS TEMAS: pasó la mayor parte de su carrera en esta área. Esta también fue el área que François de Wissocq tuvo que profundizar por sí Síntesis de la mesa redonda intitulada “¿Cuál debe ser la política mismo, en los departamentos de los Ministerios de Industria y industrial de Francia en Europa?” Mesa redonda presidida por Energía, y luego en la Cogema. Ya que los textos de Christian Christian Marbach, el 18 de noviembre de 2010, durante el Marbach textos no tratan específicamente esta área, nos ha coloquio “200 años de historia del Corps des Mines” parecido conveniente ofrecer a los lectores de este número la Franck Lirzin y Ludovic Weber opinión de François de Wissocq sobre este tema. El aceptó que publicáramos su texto, que ya había dado al Instituto de El año 2010 estuvo marcado por la celebración del Historia de la Industria, para el libro sobre Georges Besse. bicentenario del decreto del 18 de noviembre de 1810, que Cabe anotar que el texto data de 1993 y, que es muy probable organizó el “Cuerpo imperial de Ingenieros de Minas” y creó que pudiese mejorarse hoy con testimonios o textos de el Consejo General de Minas (CGM), que dio vida en parte al archivos que se encuentran disponibles desde ese entonces. Consejo General de Industria, Energía y Tecnología (CGIET). Dos retratos de Georges Besse Para celebrar el bicentenario, el CGIET organizó durante todo el año 2010 diversos eventos con carácter futurista o histórico, Jacques Lesourne así como varias exposiciones. El punto culminante de las En 2000, Jacques Lesourne publicaba en la Editorial Odile celebraciones fue la conferencia de clausura, celebrada en el Jacob, una autobiografía titulada Un homme de notre siècle (Un Ministerio de la Economía el 18 de noviembre de 2010, hombre de nuestro siglo). En ella trazaba con precisión su propia aniversario del decreto de 1810, presidida por Christine carrera como gerente y pensador, inscribiéndola con precisión Lagarde, Ministra francesa de Economía, Finanzas e Industria. en un mundo cambiante. El subtítulo del libro era De Tres mesas redondas se celebraron durante la conferencia de Polytechnique à la prospective et au journal Le Monde (De la clausura. Presidida por Christian Marbach, miembro de la Ecole Polytechnique a la prospectiva y al diario Le Monde), lo que Academia de Tecnología y conducida por el periodista muestra claramente la influencia que la educación de la Ecole económico Jean-Marc Sylvestre, la tercera de estas mesas Polytechnique, luego la Ecole des Mines tuvieron en él. Pero redondas abordó la cuestión de la política industrial de Francia ya hemos tenido la oportunidad de decirlo, uno de sus en Europa. El debate fue introducido por presentaciones compañeros en la Ecole Polytechnique, luego en la Ecole des audiovisuales de cuatro participantes importantes: Bernard Mines, fue Georges Besse. Estaba seguro de encontrar en el Esambert, Raymond H. Levy, Lionel Stoléru y Gérard Théry. libro autobiográfico algunas páginas sobre Besse. En realidad, Franck Lirzin y Ludovic Weber presentaron a continuación el realizan un retrato de Besse de una forma muy diferente del in resumen de las contribuciones de los jóvenes ingenieros de memoriam de 1987, por lo que quisimos incluirlas en el minas que se utilizaron para preparar los temas de la mesa artículo. Damos las gracias al autor, y a la Editorial Odile redonda. A continuación se celebró un debate con la asistencia Jacob, por haber autorizado la reproducción de las páginas 176 de actores de la industria y expertos: Vivek Badrinath, director y 177 de la obra de Jacques Lesourne. ejecutivo de Orange Business Services, Pierre Gattaz, director ejecutivo de Radiall, presidente del grupo de federaciones industriales, Yvon Jacob, Embajador de la Industria, Patrick 3 - Anexos documentales Kron, director general del grupo Alstom, Vincent Rigal, Georges Besse, el bicentenario de la Ecole Polytechnique y el presidente de Solar performance et développement, y Nicolas bicentenario del corps des Mines Véron, economista en Bruegel. Christian Marbach El dossier fue coordinado por Christian Marbach

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Editions ESKA, 12, rue du Quatre-Septembre 75002 Paris Imprimé en Espagne Revue inscrite à la CPPAP : n° 73422 Dépôt légal : Août 2011 119-120 encart 2011:119-120 encart 2011.qxp 27/07/11 15:17 Page119

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ondées en 1794, les Annales des Mines comp- AUX F tent parmi les plus anciennes publications éco- nomiques. Consacrées hier à l’industrie lourde, ANNALES DES MINES elles s’intéressent aujourd’hui à l’ensemble de l’ac- tivité industrielle en France et dans le monde, sous ses aspects économiques, scientifiques, techniques RÉALITÉS INDUSTRIELLES et socio-culturels.

es articles rédigés par les meilleurs spécialistes et D français et étrangers, d’une lecture aisée, nourris d’expériences concrètes : les numéros des GÉRER & COMPRENDRE Annales des Mines sont des documents qui font référence en matière d’industrie. et es Annales des Mines éditent trois séries com- L plémentaires : RESPONSABILITÉ Réalités Industrielles, Gérer & Comprendre, & ENVIRONNEMENT Responsabilité & Environnement.

RÉALITÉS INDUSTRIELLES uatre fois par an, cette série des Annales des Q Mines fait le point sur un sujet technique, un secteur économique ou un problème d’actualité. Chaque numéro, en une vingtaine d’articles, pro- pose une sélection d’informations concrètes, des analyses approfondies, des connaissances à jour pour mieux apprécier les réalités du monde indus- triel.

GÉRER & COMPRENDRE uatre fois par an, cette série des Annales des Q Mines pose un regard lucide, parfois critique, sur la gestion « au concret » des entreprises et des affaires publiques. Gérer & Comprendre va au-delà des idées reçues et présente au lecteur, non pas des recettes, mais des faits, des expériences et des idées pour comprendre et mieux gérer.

RESPONSABILITÉ & ENVIRONNEMENT uatre fois par an, cette série des Annales des Q Mines propose de contribuer aux débats sur les choix techniques qui engagent nos sociétés en matière d’environnement et de risques industriels. Son ambition : ouvrir ses colonnes à toutes les opi- nions qui s’inscrivent dans une démarche de DEMANDE DE confrontation rigoureuse des idées. Son public : industries, associations, universitaires ou élus, et tous ceux qui s’intéressent aux grands enjeux de SPÉCIMEN notre société. 119-120 encart 2011:119-120 encart 2011.qxp 27/07/11 15:17 Page120

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Réalités Industrielles + Gérer & Comprendre uatre fois par an, cette série des Annales des + Responsabilité & Environnement Q Mines fait le point sur un sujet technique, un secteur économique ou un problème d’actualité. 12 numéros France Etranger Chaque numéro, en une vingtaine d’articles, pro- au tarif de : pose une sélection d’informations concrètes, des Particuliers q 208 € q 263 € analyses approfondies, des connaissances à jour Institutions q 308 € q 368 € pour mieux apprécier les réalités du monde indus- Nom ...... triel. Fonction ...... Organisme ...... Adresse ...... GÉRER & COMPRENDRE ...... uatre fois par an, cette série des Annales des Je joins : q un chèque bancaire à l’ordre des Editions ESKA Mines pose un regard lucide, parfois critique, q Q un virement postal aux Editions ESKA, sur la gestion « au concret » des entreprises et des CCP PARIS 1667-494-Z q je souhaite recevoir une facture affaires publiques. Gérer & Comprendre va au-delà des idées reçues et présente au lecteur, non pas des recettes, mais des faits, des expériences et des idées pour comprendre et mieux gérer. DEMANDE DE SPÉCIMEN RESPONSABILITÉ & ENVIRONNEMENT A retourner à la rédaction des Annales des Mines uatre fois par an, cette série des Annales des 120, rue de Bercy - Télédoc 797 - 75572 Paris Cedex 12 Mines propose de contribuer aux débats sur Tél. : 01 53 18 52 68 - Fax : 01 53 18 52 72 Q les choix techniques qui engagent nos sociétés en matière d’environnement et de risques industriels. Je désire recevoir, dans la limite des stocks Son ambition : ouvrir ses colonnes à toutes les opi- disponibles, un numéro spécimen : nions qui s’inscrivent dans une démarche de confrontation rigoureuse des idées. Son public : q de la série Réalités Industrielles industries, associations, universitaires ou élus, et q de la série Gérer & Comprendre q tous ceux qui s’intéressent aux grands enjeux de de la série Responsabilité & Environnement notre société. Nom ...... Fonction ...... Organisme...... Adresse ......