Robert BICHET

Couverture Ecusson du M.R.P.

LA DEMOCRATIE CHRETIENNE EN FRANCE, le M. R. P. DU MÊME AUTEUR

ESSAIS : L'information est-elle une propagande ? (Editions du Mail, 1946). La Décentralisation. Commune. Région. Département ? Faut-il supprimer le Conseil Général ? (Persan-Beaumont, 1977). Epuisé. HISTOIRE ET FOLKLORE COMTOIS : La chapelle de Saint-Hilaire (Jacques et Demontrond, 1941). Épuisé. Histoire de Rougemont (Persan-Beaumont, 1973). Épuisé. Contes de Mondon et d'autres villages comtois (Jacques et Demontrond, 1975). Épuisé. Un Comtois musulman. Le Docteur Philippe Grenier. Prophète de Dieu. Député de Pontarlier (Jacques et Demontrond, 1976). Prix Louis Pergaud, 1977. Racontottes de Franche-Comté (Jacques et Demontrond, 1978). Épuisé. Un Village Comtois au début du siècle (Cêtre, Besançon, 1979). ROBERT BICHET

LA DEMOCRATIE CHRÉTIENNE EN FRANCE LE MOUVEMENT RÉPUBLICAIN POPULAIRE

BESANCON JACQUES ET DEMONTROND 26, rue Ernest-Renan 1980 Il a été tiré de cet ouvrage sur offset Centaure ivoire trente exemplaires hors-commerce numérotés de HC I à HC XXX deux cent soixante exemplaires numérotés de 1 à 260 AU LECTEUR

Ce livre est un témoignage sur le M.R.P. et la IV République. Il est le « témoignage » d'un homme qui a été un des acteurs de ce Mouvement Républicain Populaire, de ce parti de la Démocratie Chrétienne en France, qui a joué pendant quinze ans, après la Libération, un rôle essentiel dans la politique française, et qui reste méconnu. Jusqu'ici peu de livres ont été consacrés au M.R.P. A ma connaissance, il n'a fait l'objet que de trois thèses dont une, celle du professeur E. F. Caillot, a été publiée, et d'un livre, très général, de Barthélémy Ott. Je ne donne bien entendu, sur la vie politique, sur les événe- ments et sur les hommes que ma propre interprétation, mais elle en vaut d'autres. Elle vient d'un militant qui a vécu à l'Association Catholique de la Jeunesse Française (A.C.J.F.), à la Confédération des Travailleurs Chrétiens (C.F.T.C.), au Parti Démocrate Popu- laire (P.D.P.), aux « Amis de l'Aube » et aux Nouvelles Équipes Françaises (N.E.F.), dans la Résistance, les origines du M.R.P. ; qui a été de surcroît, aprés la Libération, Secrétaire Général du Mouvement et Président des Nouvelles Équipes Internationales (Union internationale des démocrates chrétiens). Certains trouveront excessifs les détails relatifs aux structures et à la vie interne du M.R.P., ils m'ont paru nécessaires pour montrer ce qu'était l'organisation d'un parti démocratique. En bref, mon témoignage n'a d'autre ambition que d'apporter ma contribution à l'histoire, tant décriée, d'un Mouvement poli- tique et d'une époque. Je tiens à remercier le Président , Louis Bour, Robert Lecourt, Jean Letourneau qui ont lu, tout ou partie de mon manuscrit, et qui m'ont encouragé et conseillé. R. B.

LES ORIGINES DU M. R. P.

Le 21 octobre 1945, les Français qui depuis 1936 n'avaient pas voté pour des parlementaires, étaient appelés à élire leurs députés. C'est, à double titre, une date unique dans l'histoire poli- tique de la France. Pour la première et la dernière fois, communistes et socialistes avaient ensemble la majorité absolue, 302 députés sur 586, tandis qu'un parti, inconnu un an avant, le Mouvement Républicain Populaire (M.R.P.) faisait une entrée fracassante. Il enlevait d'emblée 151 sièges, talonnant le parti communiste et devançant le parti socialiste. Les anciens et puissants partis d'avant guerre étaient écrasés. Les radicaux sauvaient à grand- peine quelques sièges et les modérés reculaient partout devant la poussée des démocrates chrétiens. Le M.R.P. qui, pendant quinze ans, allait jouer un grand rôle dans l'histoire de notre pays, le M.R.P. qui était, comme nous disions, « issu de la Résistance » n'était pourtant pas né d'une génération spontanée. Il était l'héritier d'une longue tradition, d'une tradition vieille d'un siècle et demi.

Les précurseurs. L'origine remonte à la Révolution. Des hommes appartenant aux trois ordres revendiquèrent la liberté et prirent position contre les injustices et les privilèges. Ils accueillirent avec faveur les idées nouvelles en les imprégnant d'esprit chrétien. Le vocable de « démocratie chrétienne » apparaît, semble-t-il, pour la première fois dans un discours prononcé le 21 novembre 1791 à l'Assemblée législative par LAMOURETTE, évêque constitutionnel de . Il n'avait pas alors un sens politique, mais signifiait : « christianisme populaire », « Eglise des humbles », « fraternité chrétienne » (*). Pourtant, le même LAMOURETTE, le 7 juillet 1792, prononçait un nouveau et pathétique discours, celui-là bien « démocrate chrétien » puisqu'il demandait déjà le rapprochement de la droite et de la gauche. Il avait été si éloquent, si émouvant qu'à la fin de son discours, les membres de l'Assemblée législative se levèrent pour l'applaudir et les adversaires s'embrassèrent. Cette réconci- liation ne dura pas et ces embrassades sont restées célèbres sous le nom de : baisers Lamourette. Cette tentative de rapprocher l'Eglise du peuple et de la démocratie, font de LAMOURETTE et de ceux qui l'entouraient, notamment l'abbé Henri GRÉGOIRE, qui fit voter l'abolition de l'esclavage et qui déclarait : « La rage de nos ennemis n'a pu nous arracher et ne nous arrachera jamais l'amour de la religion et de la république », des précurseurs de la « démocratie chrétienne ».

L'avenir et l'ère nouvelle : de Lamennais à Ozanam. Pendant l'époque napoléonienne et la Restauration il n'est plus question de démocratie et donc de démocratie chrétienne. En 1830, l'idée, sinon le vocable, est reprise par LAMENNAIS et l'équipe de l'Avenir. Les thèses et l'idéologie qu'ils défendent sont d'esprit démocrate chrétien. Curieuses figures que celles de LAMENNAIS et de LACORDAIRE dont l'amitié fut si profonde mais aussi si tragique dans ses consé- quences et sa rupture. LAMENNAIS exerçait déjà son ministère alors que LACORDAIRE, étudiant en droit, s'acharnait contre les idées religieuses. Disciple de VOLTAIRE, il s'affirmait libéral et contestait la société qui lui apparaissait mesquine et sans idéal. Suivant sa propre expression :

(*) Le M.R.P., thèse pour le doctorat en science politique, présentée et soutenue en 1975 par Pierre LETAMENDIA. « il demande au ciel et à la terre une grande cause à servir par un grand dévouement ». Et voilà qu'à vingt-cinq ans, stagiaire au barreau de , il abandonne la toge pour entrer au séminaire de Saint-Sulpice. C'est là qu'il rencontre l'abbé de LAMENNAIS. On est en 1830. La Révolution de Juillet a créé un malaise politique et religieux, on conteste à la fois le pouvoir politique et l'autorité religieuse. Pour beaucoup de catholiques la religion a besoin d'un renouveau pour reprendre l'influence compromise par la chute des Bourbons. Pour LAMENNAIS et son équipe ce renou- veau sera « la liberté », la reconquête des esprits par la liberté. Le 17 octobre 1830, trois mois après la révolution, LAMENNAIS, avec les abbés LACORDAIRE, GERBET, SALINIS, ROHRBACHER et les laïcs DE CAUX, DE MONTALEMBERT, HAREL DE TARNEREL font paraître le premier numéro de l'Avenir. Ils prennent pour devise : « Dieu et Liberté » avec en sous-titre : « Le pape et le peuple ». Tout en se ralliant à la monarchie constitutionnelle, ils critiquent certaines de ses décisions et réclament : la liberté de l'enseignement, la décentralisation du pouvoir, la séparation de l'Eglise et de l'Etat. Rome s'inquiète de l'audace de l'équipe de l'Avenir. Alors que le journal a cessé de paraître depuis le 15 novembre 1831, le Pape, le 15 août 1832 condamne l'attitude de ses rédacteurs. Tous les disciples de LAMENNAIS se soumettent. LAMENNAIS lui, après avoir hésité, choisit la démocratie contre Rome. En 1848, on retrouve certains des disciples de LAMENNAIS autour d'OZANAM et de l'abbé MARET. La « Démocratie Chrétienne » prend alors un sens vraiment politique et définit un gouvernement démocratique inspiré par le christianisme. C'est la thèse défendue abondamment dans les colonnes de l'Ere Nouvelle qui connaît d'avril 1848 à avril 1849 un étonnant succès. Son tirage atteint en effet 20 000 exemplaires ce qui est alors considérable. C'est à cette époque, le 17 juillet 1848 que MARET écrit à BASTIDE, ministre de CAVAIGNAC : « La Démo- cratie Chrétienne, voilà l'avenir ». La Révolution de 1848, où l'on voit le peuple et le clergé planter ensemble les arbres de la liberté, n'est-elle pas d'inspiration démocratique et chrétienne ? L'avènement du Prince Napoléon marque l'échec de la II République et la Démocratie Chrétienne disparaît jusqu'aux années 1890. Rerum novarum. Les abbés démocrates. Le premier parti démocrate chrétien.

La publication par le pape Léon XIII, le 15 mai 1891, de la fameuse encyclique Rerum novarum, sur la condition ouvrière et sa lettre du 16 février 1892 au clergé et aux catholiques français leur conseillant le ralliement à la République vont déclencher un véritable bouillonnement, un jaillissement d'initiatives diverses, éparses, qu'il faudra beaucoup de temps pour contrôler, coordonner, organiser. Les Abbés démocrates sont des francs-tireurs qui mènent la lutte en ordre dispersé, chacun à sa façon avec son noyau d'amis et de disciples. Un des plus célèbres, l'abbé LEMIRE, député d'Hazebrouck, est à la fois individualiste et familial. Il fut le grand promoteur des jardins ouvriers ( La plupart des autres écrivent et diffusent d'innombrables brochures et livres et créent de multiples organes de presse. Des quotidiens d'abord comme le Monde de l'Abbé NAUDET, qui paraît de 1894 à 1896 et se saborde faute de lecteurs ; Le Peuple Français de l'Abbé GARNIER ; la France libre à Lyon. Ce sont aussi des hebdomadaires et des revues de valeur : la Justice Sociale de l'Abbé NAUDET, la Vie catholique de l'Abbé DABRY, la Démocratie chrétienne de l'Abbé Six qui paraît à Lille de 1894 à 1907. A côté des « abbés démocrates » des laïcs s'enthousiasmèrent pour les idées nouvelles. Parmi eux un jeune commissaire de la marine de Brest, Emmanuel DESGRÈES-DU-LOU, renonçait à sa carrière pour fonder en 1899, avec l'Abbé TROCHU, un journal d'information d'inspiration démocrate chrétienne, l'Ouest-Eclair — aujourd'hui Ouest France. Il deviendra par son tirage le premier journal de France, rayonnant sur quatorze départements, et il devait avoir dans cette région une influence déterminante. Emmanuel DESGRÈES-DU-LOU s'était attaché, pendant quelques années, comme rédacteur en chef, un jeune avocat, futur bâtonnier

(*) « La Ligue du Coin de Terre et du Foyer » qu'il créa, existe toujours. Son président actuel est Jacques BOUR. de l'ordre des avocats de Nancy, Henri TEITGEN, qui restera jusqu'à sa mort, un des leaders de la Démocratie Chrétienne. Un autre laïc, un philosophe, Georges FONSEGRIVE, fonde une revue de qualité, la Quinzaine, qui paraît de 1894 à 1906. Il publie un roman, Le Fils de l'esprit, « qui guida dans leur jeunesse, écrit Raymond LAURENT, les fondateurs du Parti Démocrate Populaire ». Dans toutes les régions de France, autour de ces journaux et de ces revues se fondent des groupements locaux dits d'union ou d'action démocratique. Parallèlement, en 1893, 1894 et 1896, se tiennent des « Congrès ouvriers chrétiens ». C'est alors qu'un industriel catholique social de Reims, Léon HARMEL, le « bon père » de l'usine de Val-des-Bois, comme on l'appelle, s'efforce de fédérer ces divers groupements. Le congrès ouvrier de Reims du 25 mai 1896 décide de fonder le « Parti Démocratique Chrétien », premier parti à étiquette démo- crate chrétienne créé dans le monde. Ces congrès de salariés étaient organisés par les abbés démocrates notamment : LEMIRE, GARNIER, NAUDET et l'abbé DEHON auteur d'un catéchisme social. Léon HARMEL fut le président et l'abbé LEMIRE le secrétaire général de ce premier parti. Le nouveau parti n'arrive pas à se structurer, ses dirigeants, trop absorbés par leurs problèmes personnels, le laissent stagner. L'action menée trop longtemps en ordre dispersé ne s'est pas faite sans imprudence et sans excès, notamment sans certaine complai- sance avec le modernisme religieux rejeté par Rome qui, à la Démocratie Chrétienne, préfère « L'Action libérale populaire » de Jacques PIOU et Albert DE MUN dont l'esprit est assez voisin. C'est alors qu'est publiée l'encyclique Graves de Communi de 1901, qui interdit l'usage à des buts politiques de l'expression « démocratie chrétienne ». L'année suivante disparaît le premier « parti démocrate chrétien ».

Marc Sangnier et « le Sillon ». La fin du « parti démocratique chrétien » favorise la montée du « Sillon » qui, au départ, en 1899, était formé de cercles d'éduca- tion populaire, de cercles d'études paroissiaux. Son fondateur, Marc SANGNIER, était un magnifique tribun qui galvanisait les foules. Pour ses « camarades » ainsi qu'ils s'appelaient entre eux, c'était une âme vibrante, enthousiaste, persuasive, qui avait fait la conquête de leur esprit et de leur cœur. Une seule rencontre avec « Marc » et par son dynamisme, son verbe éclatant, la force de ses convictions, on était conquis. Il galvanisa des milliers de jeunes. « Marc SANGNIER, dira Robert CORNILLEAU, sera la voix qui donnera un rythme à leurs élans, une forme à leurs rêves. » Il était né dans une famille de grande bourgeoisie parisienne. Il était, par sa mère, le petit-fils du célèbre avocat LACHAUD et signa ses premiers articles : SANGNIER-LACHAUD. Il fut élève au collège Stanislas. « C'est là, écrit Raymond LAURENT, que, l'année 1894, naquit avant la lettre, le Sillon. Dans une salle souterraine, dénommée la crypte, les jeunes gens des classes supérieures étaient admis à tenir des réunions au cours desquelles ils s'exerçaient librement à l'art oratoire. Marc SANGNIER préparait alors Poly- technique. Tout de suite, le feu de sa parole et, plus encore, les accents, étrangement nouveaux pour ses condisciples, que lui inspirait sa passion de vérité, de liberté, de justice, surprirent et émurent un auditoire venu pour de simples exercices de rhétorique. Là, il prit conscience de sa vocation et noua ses premières amitiés du Sillon. » Ceux qu'il gagna à sa cause venaient de tous les milieux : bourgeois, ouvriers, employés, paysans. Les plus ardents d'entre eux devenaient « Jeunes gardes ». Son mouvement apparaissait comme une véritable chevalerie dans laquelle on entrait après une nuit de prière et de méditation au Sacré-Cœur de Montmartre. Dans les premiers écrits « sociaux » de Marc SANGNIER et dans ses discours, l'influence de la Démocratie Chrétienne est visible, mais le mouvement reste nettement confessionnel. La revue le Sillon porte en sous-titre « Revue catholique d'action sociale ». Les cardinaux de France adressent à Marc SANGNIER leurs appro- bations et leurs encouragements. Cela explique, pour partie, l'extra- ordinaire rapidité avec laquelle le Sillon s'est développé. Vers 1905-1906, le Sillon grandit et va évoluer. Il cesse d'être un mouvement catholique, un mouvement confessionnel. Il se propose désormais de « mettre les énergies sociales du catholicisme au service de la démocratie », tout en affirmant très hautement son « parti pris moral ». Jamais cependant, malgré deux candidatures malheureuses de Marc SANGNIER à une élection législative partielle en 1909, dans la circonscription de Sceaux et aux élections générales de 1910 à Paris, le Sillon n'a été un parti, ni même une association. Il était une amitié qui unissait des jeunes gens voulant se faire, selon le mot de son fondateur, « une âme commune ». Nous étions alors en plein « combisme » et la grande presse de l'époque faisait le silence ou critiquait l'action du Sillon qui ne disposait que de ses propres publications. De 1905 à 1910 le Sillon fit paraître un bi-mensuel l'Eveil démocratique. En 1909 fut décidée la création d'un quotidien : la Démocratie, qui serait l'œuvre de militants qui, du directeur au porteur, recevraient tous la même indemnité. On prépare activement le lancement. Il faut 250 000 francs pour acheter les machines. On les trouve. L'imprimerie s'installe dans l'immeuble à tourelle du 32, boulevard Raspail et prépare des numéros de propagande destinés à recueillir 5 000 abonnés. Au début d'août 1910 la Démocratie paraît. C'est à la fin du même mois que la foudre tombe : la condamnation du Sillon par Pie X. « Le soir où la tragique nouvelle parvint au Boulevard Raspail, raconte Raymond LAURENT, Marc SANGNIER demanda aux cama- rades qui l'entouraient de s'agenouiller avec lui pour une prière : Fiat voluntas tua ! Quand il se releva il avait fait son sacrifice. » Le quotidien la Démocratie, qui n'était pas touché par la con- damnation, continua à paraître, cahin-caha jusqu'à la guerre. En 1912, Marc SANGNIER fondait « La ligue de la jeune Répu- blique », dont il sera question plus loin et entre les deux guerres les « Volontaires de la paix » avec son journal hebdomadaire l'Eveil des peuples ; mais l'épopée du Sillon continua à avoir un immense retentissement. Elle avait marqué pour la vie tous ceux qui y avaient participé. Vingt ans, trente ans après, dans mes campagnes électorales du Doubs et de Seine-et-Oise, je retrouvais des « sillonnistes » dont l'enthousiasme était intact et qui devenaient mes meilleurs supporteurs. Beaucoup de journalistes, de politiques, d'écrivains chantèrent les mérites de Marc SANGNIER. On pourrait à ce sujet écrire une anthologie. Même Charles MAURRAS, qui haïssait tout ce que représentait « Marc », disait de lui : « Ce jeune homme est une puissance ». Une puissance qui rayonna sur deux générations et les marqua profondément.

L'association catholique de la jeunesse française (A.C.J.F.). C'est dans une période de contestation de l'Eglise que fut fondée par Albert DE MUN, en 1886, l'Association Catholique de la Jeunesse Française (A.C.J.F.). Placée sous l'autorité de la hié- rarchie religieuse, l'A.C.J.F. se consacre en fait, jusqu'en 1914, à la formation religieuse et sociale de la jeune bourgeoisie catholique. Le bouillonnement, l'indignation nés du combisme, faisaient vibrer cette « jeunesse catholique » dont les chefs s'appelaient Henri BAZIN, Jean LEROLLE, GELLÉ, ZAMANSKI. Plus tard, sous la présidence de Charles FLORY (1922-1926) et de François DE MENTHON (1926-1930), le recrutement s'étend aux milieux ouvriers et ruraux. L'A.C.J.F. compte alors près de 140 000 adhérents et donne naissance à des mouvements spécialisés : la jeunesse ouvrière chrétienne (J.O.C.), la jeunesse agricole chrétienne (J.A.C.), la jeunesse étudiante chrétienne (J.E.C.), la jeunesse indépendante chrétienne (J.I.C.), la jeunesse maritime chrétienne (J.M.C.). Ces mouvements jouent très vite un rôle de mobilisation et de socia- lisation. Ils sensibilisent leurs membres aux problèmes écono- miques et sociaux de leurs milieux respectifs, en s'éloignant pro- gressivement de leur engagement spirituel. A partir de 1928, parallèlement aux sections spécialisées masculines, se créent des sections de jeunes filles : J.O.C.F., J.A.C.F., J.E.C.F., J.I.C.F. Puis, devenus adultes, les jeunes continuent leur action dans des organisations spécialisées : Ligue Ouvrière Chrétienne (L.O.C.), Action Catholique Ouvrière (A.C.O.), Mouvement Populaire des Familles (M.P.F.). Tant que l'A.C.J.F. reste une organisation de coordination et de contrôle efficace, cette spécialisation permet un accroissement rapide du recrutement, par exemple la J.O.C. seule atteindra 130 000 adhérents et ses publications tireront à 450 000 exemplaires. Mais bien vite vont surgir des divergences de vue qui iront en s'approfondissant pour aboutir à une crise grave qui entraînera la mort de l'A.C.J.F. Si beaucoup des leaders de l'A.C.J.F. : Jean LEROLLE, Charles FLORY, François DE MENTHON, Georges BIDAULT, Marcel PRELOT, Jean LETOURNEAU, d'autres encore, s'engagent au P.D.P., les militants en général ne suivent pas, sauf dans cer- tains départements comme le Nord, où l'on retrouve à la fois à la C.F.T.C. et au P.D.P. les anciens de l'A.C.J.F. Il faudra attendre 1945 et le M.R.P. pour que l'engagement politique des membres de l'A.C.J.F. et des mouvements spécialisés devienne une réalité.

Les semaines sociales. « Les semaines sociales sont, écrit Raymond LAURENT, une sorte d'Université ambulante qui, chaque année, tient ses assises au début de l'été, pendant une semaine, dans quelque grande ville de France, pour examiner à la lumière des enseignements de l'Eglise quelque grand problème du temps. » Elles ont été créées en 1904 par Marius GONIN, animateur de la Chronique sociale et Adéodat BOISSARD, professeur à la faculté catholique de Paris. Plus tard, sous la présidence notamment d'Eugène DUTHOIT et de Charles FLORY, elles surent s'adapter aux changements intervenus en France et dans le monde, ainsi qu'aux problèmes nouveaux qui se posent à nous et, sans s'éloigner de leurs origines, elles ont contribué à la formation de nombreux démocrates chrétiens.

La Confédération Française des Travailleurs Chrétiens (C.F.T.C.). Il existait depuis 1887, surtout à Paris et dans le Nord sous le nom de « Syndicat des employés de Commerce et d'Industrie », des organisations qui groupaient les anciens élèves des Frères des écoles chrétiennes. La fusion de ces syndicats en 1919 donna nais- sance à la Confédération française des travailleurs chrétiens (C.F.T.C.). Le premier président fut Jules ZIRNHELD et le Secrétaire Géné- ral Gaston TESSIER. Les débuts de la C.F.T.C. furent difficiles. En 1920 elle groupe 578 syndicats et 140 000 membres dont la moitié seulement sont des membres cotisants. C'est peu, face à la puissante, à l'unique, à l'omnipotente C.G.T. Il faudra attendre 1936 et la vague syndicaliste qui déferla alors pour que la C.F.T.C. dépasse 400 000 adhérents. En 1924 plusieurs dirigeants de la C.F.T.C. adhèrent au P.D.P. qui vient de se former. C'est le cas de Gaston TESSIER, Maurice GUÉRIN, Marcel POIMBŒUF, Alfred MICHELIN. Mais, contrairement à ce qui se passe dans les autres pays d'Europe, aucun lien institu- tionnel n'exista jamais entre le P.D.P. et la C.F.T.C. et plus tard entre le M.R.P. et la C.F.T.C. Si la C.F.T.C. — dont les membres sont en général des démo- crates chrétiens — laisse à ses adhérents le libre choix d'une appar- tenance politique, elle se veut, en tant que Syndicat, indépendante de tout parti politique, de toute action politique. Il n'est pas admis qu'un responsable syndical soit, en même temps, un responsable politique.

La Jeune République (J.R.). La condamnation du « Sillon » avait laissé partout les démo- crates chrétiens désemparés. La plupart militaient en effet dans des organisations Sillonnistes. « Ils avaient accepté, par un senti- ment trop absolu de confiance sentimentale, le régime de centrali- sation à outrance institué par le « Sillon » et le commandement unique, sans contrôle et sans contrepoids, de Marc SANGNIER. Il y avait eu là une faute de méthode contraire au véritable esprit démocratique. Peut-être même n'est-il pas paradoxal de dire que le « Sillon » fut condamné moins pour ses théories démocratiques, qu'à cause de ce césarisme mystique qui semblait enlever à ses adeptes une part de leur liberté d'esprit » (

( Robert CORNILLEAU, De Waldeck Rousseau à Poincaré, Editions Spes, 1927. Il régnait alors un tel désarroi, qu'avec la guerre toute proche, il faudra attendre presque quinze ans une véritable tentative de regroupement et de coordination. Pourtant, dès la fin de 1911, Marc SANGNIER fondait « La Ligue de la Jeune République ». La J.R., comme on l'appelait, se propo- sait à la fois l'éducation politique de ses membres et l'action électorale. Elle se situait résolument à gauche et entendait « pro- voquer un reclassement des partis, brisant définitivement l'équi- voque, trop longtemps maintenue entre l'attachement aux convictions religieuses et le conservatisme social ». Sur le plan international, pour établir la paix, elle prend l'initiative de « Congrès démocratiques internationaux » annuels auxquels elle convie les groupements de jeunes. En fait la « Jeune République » ne parvint jamais à avoir une influence véritable, elle ne s'organisa que dans un nombre limité de départements et ne compta que quelques milliers d'adhérents. Son rayonnement n'était dû qu'à la personnalité de Marc SANGNIER. Elle avait, à ses débuts, des ambitions électorales qui furent déçues. De 1914 à 1936 elle présenta des candidats à toutes les élections législatives. En 1914 elle n'eut pas d'élu, en 1919 elle eut quatre élus — dont Marc SANGNIER — en 1924 pas d'élu, en 1928 un élu, en 1932 quatre élus dont deux s'inscrivirent au groupe démocrate populaire. Marc SANGNIER lui-même fut battu en 1914, 1924, 1928 et 1932. Après son échec de 1932 à la Roche-sur-Yon, il quitte la Jeune République pour se consacrer à l'action pour la paix et aux Auberges de la Jeunesse. La J.R. continuera cependant. S'orientant plus à gauche, elle participa, en 1936, au Front populaire et eut quatre élus dont Philippe SERRE, député de Meurthe-et-Moselle, qui sera Sous- secrétaire d'Etat au travail dans le 2e gouvernement Chautemps. Il faudra l'Aube et le M.R.P. pour rallier à la famille des démocrates chrétiens les membres de la J.R. Encore subsista-t-il toujours, sous le nom de « Jeune République », un noyau d'irréduc- tibles se voulant résolument à gauche. Le Parti Démocrate Populaire (P.D.P.).

Le parti démocrate populaire fut, entre les deux guerres, la seule formation démocrate chrétienne à être un véritable parti politique avec des organisations locales et départementales, une organisation nationale, un groupe parlementaire qui participa, souvent, au gouvernement du pays. Après la condamnation du « Sillon », dans le désarroi général, certains démocrates chrétiens qui ne veulent pas s'inscrire à la Jeune République s'organisent soit en fédérations ou en groupes de « républicains démocrates », soit autour de journaux défendant l'idéal démocrate chrétien. La première fédération de républicains démocrates, fondée en 1912, fut celle du Finistère qui, en avril 1913, faisait triompher, à une élection partielle, la candidature d'une jeune avocat, Paul SIMON, qui n'avait — à peine — que vingt-six ans et fut le ben- jamin de la Chambre des Députés. Dès avant 1914, des démocrates chrétiens de la région parisienne se groupent autour du docteur Georges THIBOUT, d'Alfred BOUR et de Robert CORNILLEAU. Ils fondent un journal hebdomadaire d'information locale, le Petit démocrate de Saint-Denis, qui rayonne sur les cantons de Saint-Denis, Pantin, Aubervilliers et Noisy-le-Sec et dont Robert CORNILLEAU est le directeur. En 1912, le docteur THIBOUT devient maire d'Epinay et, après la guerre, en juin 1919, est officiellement cons- tituée la « Fédération des Républicains démocrates de la Seine ». Dans le même temps, à Rouen, à Clermont-Ferrand, à Limoges se crééent des groupes locaux de « Républicains démocrates ». A la fin de la guerre, en mars 1917, quelques démocrates chré- tiens fondent l'Ame française. D'abord bi-mensuel le journal devint bientôt hebdomadaire. Raymond LAURENT, à la fois secrétaire de rédaction et adminis- trateur du journal forme, avec Ernest PEZET, Georges HOOG, Etienne BESSON, Paul ARCHAMBAULT et beaucoup d'autres, une équipe rayonnante d'anciens sillonnistes. Tous ces groupes étaient en pleine vie au moment des élections législatives du 16 novembre 1919, les premières qui eurent lieu après la guerre. Ces élections amenèrent au Palais-Bourbon plus de quarante députés démocrates chrétiens dont une quinzaine d'Alsaciens-Lorrains et des hommes comme Marc SANGNIER, Georges THIBOUT, Paul SIMON, Robert SCHUMAN, REILLE-SOULT, DEFOS-DU-RAU, Adéodat BOISSARD, l'abbé LEMIRE, etc. Immédiatement se posa la question d'un groupe commun. La volonté de Marc SANGNIER de réaliser l'union sous l'égide de la « Jeune République » fit échouer la tentative. Les démocrates chré- tiens, au lieu de former un groupe unique se dispersèrent dans trois groupes : « Les Républicains de gauche », « L'action républi- caine et sociale » et « L'entente républicaine et démocratique ». Marc SANGNIER et le docteur Georges THIBOUT demeurèrent non inscrits. De nouveaux efforts de regroupement sont alors entrepris qui aboutissent à « La Ligue nationale de la démocratie », première tentative de fédération des divers mouvements existants. Cette ligue, qui avait son siège 34, boulevard Raspail, dura moins de deux ans. Les particularismes, les hésitations, les exigences la firent échouer. Elle disparut en juin 1922 quand la « Jeune Répu- blique » s'en retira. En août 1922, à la « Semaine Sociale de Strasbourg », au cours d'un entretien personnel, Raymond LAURENT de l'Ame Française, et des Républicains Démocrates de la Seine, Gaston TESSIER de la C.F.T.C., Charles FLORY de l'A.C.J.F., et Adéodat BOISSARD des Semaines Sociales envisagent un regroupement à partir de la Fédération des Républicains démocrates de la région parisienne. De 1922 aux élections législatives de 1924 des contacts sont pris entre les chefs de file des divers groupes. Malgré l'échec subi aux élections législatives du 11 mai 1924 par de nombreux candidats démocrates chrétiens, ces contacts aboutissent à la formation, à la Chambre des députés, d'un « groupe des démocrates » qui comp- tait treize membres. C'était alors le minimum requis pour constituer un groupe officiellement reconnu (*). L'existence d'un groupe parlementaire rendait désormais possible la création d'un parti politique. Le congrès constitutif du

(*) Ce groupe était ainsi composé : Victor BALANANT, Jean JADÉ, Paul SIMON (Finistère), Michel WALTER, Thomas SELTZ (Bas-Rhin), Joseph BROM, Camille BILGER (Haut-Rhin), Chanoine Louis, Louis MEYER (Moselle), A. CHAM- PETIER DE RIBES, Lamazou BETBEDER (Basses-Pyrénées), A. LE DOUAREC (Côtes-du-Nord), PETITFILS (Ardennes). Parti Démocrate Populaire se tint à Paris les 15 et 16 novembre 1924. Le communiqué remis à la presse pour annoncer sa création précisait, en quatre points, ses principes fondamentaux : « 1. Attachement à la République et aux libertés politiques « (liberté de conscience, liberté d'enseignement et d'association, « liberté de la presse et des réunions). « 2. Volonté de réaliser la démocratie dans l'organisation « économique et sociale par une évolution hardiment réformatrice « et par une collaboration sincère des divers éléments de la « production. « 3. Education civique des esprits et des consciences par « l'appel aux forces morales et le respect des convictions religieuses. « 4. Politique extérieure à la fois résolument française et nette- « ment favorable aux méthodes de collaboration internationale. » Et le communiqué ajoutait : « Ces quatre idées ne se trouvaient jusqu'ici réunies dans le programme d'aucun groupement politique s'étendant à tout le pays. C'est pourquoi nous avons fondé le Parti Démocrate Populaire. » Le P.D.P. adopte la structure d'un parti de masse assez voisine de celle de la S.F.I.O. Les militants, sur le plan communal, sont groupés en section. Il faut au moins cinq sections totalisant cent adhérents pour former une fédération départementale. Les délégués des fédérations départementales se réunissent chaque année en un « Congrès national » qui élabore la doctrine du parti et élit démocra- tiquement les organes directeurs : le « Conseil national », qui siège tous les trois mois, la Commission exécutive qui se réunit tous les mois. La Commission exécutive désigne un bureau qui assure la direction permanente du parti (*). Le P.D.P., animé par son secrétaire général Raymond LAURENT, s'installa d'abord 26, rue Pigalle, au siège de la Fédération des (*) Le premier bureau était ainsi constitué : Président : Docteur Georges THIBOUT ; vice-présidents : E. DESGREÈS DU Lou, Philippe DE LAS CASES, Paul SIMON, Léon VIELLEFON, Michel WALTER ; trésorier : J. ZAMANSKI ; secrétaire politique du groupe parlementaire : Robert CORNILLEAU ; secrétaire général : Raymond LAURENT. En 1929, A. CHAMPETIER DE RIBES remplaça le docteur THIBOUT à la présidence qu'il conserva jusqu'en 1944. Républicains démocrates de la Seine, puis, à partir de 1926, 1, rue Palatine. L'organisation du P.D.P. offrait aux militants un ensemble d'instruments de travail et de propagande sans doute limité, mais cependant efficace : — un bureau d'études dont l'initiateur fut Charles d'HELLEN- COURT et le directeur A. BASTIANELLI, agrégé de l'Université ; — un secrétariat international des partis démocratiques d'ins- piration chrétienne dont H. SIMONDET était la cheville ouvrière réu- nissait deux fois par an des délégués des partis démocrates chrétiens d'Europe (Belgique, Hollande, Luxembourg, Autriche, Lithuanie, Pologne, Tchécoslovaquie) ; — une fédération des élus municipaux et cantonaux animée par Pierre TRÉMINTIN, futur président et l'Union des Maires de France, et Alfred BOUR, conseiller municipal de Paris ; — une association des journalistes démocrates présidée par Louis Alfred PAGÈS de l' Ouest-Eclair ; — un institut démocrate populaire organisant des séances de formation et des cours d'orateurs ; — une commission rurale ; une commission du commerce, de l'industrie et de l'artisanat ; une commission des questions maritimes. Deux groupes méritent une mention spéciale : « Les jeunesses démocrates populaires » et la « Fédération féminine ». Georges BIDAULT fut, dès 1932, le premier à représenter les jeunes à la Commission exécutive. Vers 1934 les jeunes s'organi- sèrent en un groupe structuré que présidait Robert LECOURT, j'étais un des vice-présidents, Hubert MOMMARCHÉ était secrétaire général et Louis BOUR trésorier qui assurait aussi la rédaction de son journal mensuel la Route des jeunes. Il prit très vite une certaine importance et parmi ses militants se trouvaient de futurs ministres et députés M.R.P. : Pierre-Henri TEITGEN, Paul et Alfred COSTE- FLORET, Robert BURON, Henri DOREY, Jean CAYEUX, Yves FAGON, Roger DEVEMY, Clément TAILLADE, Pierre BEAUQUIER, Emile LAMBERT, etc. La Fédération féminine du P.D.P. fut fondée peu après. Parmi ses dirigeantes, Germaine PEYROLES, secrétaire générale, deviendra vice-présidente de l'Assemblée Nationale, Germaine POINSO- CHAPUIS, député et ministre de la Santé, Solange LAMBLIN, député de Paris. Le P.D.P. possédait des fédérations organisées dans soixante départements environ. J'ai participé à la naissance et à la vie d'une d'entre elles : la Fédération du Doubs. Elle réunissait d'anciens Sillonnistes mais recrutait ses adhérents surtout à la C.F.T.C. et autour du Secrétariat social de Besançon. La commission exécutive se réunissait chaque mois dans le bureau de notre président le doc- teur Paul HEITZ. C'était un homme aimable, désintéressé, conciliant mais ferme, qui jouissait de l'estime unanime. Nous formions autour de lui une équipe unie et dynamique. C'est à partir de notre Fédération que ce sont constituées des fédérations dans les autres départements de Franche-Comté. La Fédération de Belfort lança même un journal mensuel qui devint très vite celui de toute la région. Le Démocrate de Franche-Comté et du Territoire de Belfort, dont j'assurais la rédaction, tirait à 3 000 exemplaires et vécut très normalement de 1936 à la guerre de 1939. Nos fédérations de Franche-Comté qui menèrent, parfois avec succès, un certain nombre de campagnes électorales, n'étaient que de petites fédérations, comptant une centaine d'adhérents ; beau- coup d'autres étaient plus importantes. En 1935, par exemple, la Fédération de l'Isère arrivait en tête avec 1 750 adhérents, suivaient le Nord : 1 500 adhérents, le Loiret : 1 000, la Seine : 720, la Loire : 500. Regroupant un peu moins de 500 adhérents venaient dans l'ordre : la Meurthe-et-Moselle, le Pas-de-Calais, le Tarn, la Saône-et-Loire, la Sarthe, le Finistère. Au total le parti compta environ 15 000 cotisants. Le P.D.P. avait trouvé en Raymond LAURENT un remarquable secrétaire général qui sut tirer le meilleur parti des faibles moyens dont il disposait. Malgré cela son expansion resta toujours très limitée. Cela tient, me semble-t-il, à trois raisons : — C'est en 1919, dès le lendemain de la guerre, qu'il aurait fallu lancer un parti démocrate chrétien. En 1924, le P.D.P. prit le train en marche, les partis étaient déjà formés, bien installés ; il fut contraint de monter dans le couloir où il resta coincé. — Le P.D.P. était formé de militants dévoués, de dirigeants de grande qualités intellectuelles et morales, mais il lui manqua toujours un « grand leader » politique. « Ce qui manqua aux démo- crates chrétiens, écrit Robert CORNILLEAU, ce fut un JAURÈS, c'est-à-dire un chef laïque qui fut le cerveau et le verbe du parti ». Ce leader, en la personne de Georges BIDAULT, n'apparut, grâce à l'Aube, qu'à la veille de la guerre. — Enfin, le P.D.P. manqua de moyens financiers suffisants. Très honnêtement, chaque année il publia son bilan. Le financement du parti était assuré, en principe, par les cotisations des militants et par une souscription nationale annuelle soutenue par le Petit Démocrate. Il disposa de quelques ressources complémentaires provenant d'un groupe de laïcs fortunés. Les Editions S.P.E.S. contribuèrent à la diffusion de Politique et publièrent les ouvrages et brochures du parti. Enfin Ouest-Eclair, dont le directeur Emma- nuel DESGRÈES DU Lou est vice-président du P.D.P., aidera le parti en finançant le Petit Démocrate et des journaux locaux et en rémunérant des permanents du P.D.P. La presse du P.D.P. était de qualité : le Petit Démocrate, l'organe national du parti, était dirigé par Robert CORNILLEAU, journaliste de talent. Le journal parut jusqu'en 1940, sur six à huit pages grand format. Pratiquement tous les adhérents étaient abonnés, il compta donc 15 000 abonnés et grâce aux « abonnements de propagande » obtenus par une habile propagande du docteur BESSON, « le Pro », il tirait à 20 000 exemplaires. Certains numéros spéciaux dépassaient ce tirage, un numéro même, au lendemain du 6 février, fut tiré à 100 000 exemplaires. De 1927 à 1940 le P.D.P. disposa d'une revue mensuelle : Politique, dirigée par Charles FLORY, où s'exprimaient des philo- sophes : Maurice BLONDEL, Paul ARCHAMBAULT, Etienne BORNE, et aussi des politiques : Georges BIDAULT, François DE MENTHON, Marcel PRELOT. Politique, qui touchait une élite, tirait à 1 200 exemplaires. Certaines fédérations départementales disposaient d'un heb- domadaire comme le Journal du Tarn, l'Etoile de Vendée. Beaucoup avaient un mensuel et plusieurs départements de l'Ouest, plus privilégiés, disposaient du soutien — discret mais efficace — d'Ouest-Eclair. Le P.D.P. édita de nombreuses brochures de propagande et quelques ouvrages de fond : De Waldeck-Rousseau à Poincaré, par Robert CORNILLEAU ; le Manuel Politique, par Raymond LAURENT et Marcel PRELOT ; Face à la crise, par Raymond LAURENT. De 1924 à la guerre le P.D.P. maintiendra, avec les apparentés, un groupe parlementaire compris entre 13 et 19 membres : 13 puis 14 en 1924 ; 19 en 1928 ; 17 en 1932 ; 13 en 1936. En 1936, les Alsa- ciens de l'U.P.R. avaient quitté le groupe. J'ai déjà donné les raisons de cette stagnation. Il en existait une autre : le mode de scrutin défavorable à un parti du Centre. « Le froment est broyé entre deux meules » disait Georges BIDAULT. C'était vrai, le P.D.P. était coincé entre la gauche anticléricale et la droite conservatrice. Son rêve, qu'il ne réalisera jamais, était d'être l'axe d'une majorité allant des radicaux à gauche aux modérés du centre droit. Robert CORNILLEAU, dans son livre Pourquoi pas ? envisage même, dès 1929, une collaboration avec les socialistes. Le P.D.P. n'aura pas réussi à réunir toute la famille démocrate chrétienne. Se souvenant sans doute de l'encyclique Graves de communi qui interdit l'utilisation politique de l'expression « Démo- cratie chrétienne », jamais il n'emploiera cette expression ; il se contentera de parler de : démocrates d'inspiration chrétienne. Quoi qu'il en soit, si le P.D.P. n'a pas réussi la trouée, il a fait la preuve qu'un parti démocrate chrétien pouvait exister en France ; il a ainsi, on le verra, préparé les bases du M.R.P.

Union Populaire Républicaine (U.P.R.). A partir de 1924 la plupart des démocrates chrétiens alsaciens (sauf en 1936) s'inscrivirent au groupe du Parti démocrate popu- laire. Mais il existait alors, en Alsace, un parti indépendant du P.D.P. : l'Union Populaire Républicaine (U.P.R.). « En 1905, se fonde le « Centre alsacien lorrain » et, à la veille de la guerre de 1914, l'Alsace est représentée au Reichstag par six démocrates chrétiens, quatre sociaux-démocrates et un libéral. La démocratie chrétienne alsacienne, liée au Parti du Centre alle- mand, a donc, avant la guerre, une importance que la démocratie chrétienne n'a pu acquérir dans aucune autre région française » ( (*) Le M.R.P., thèse pour le Doctorat en science politique, présentée et soutenue en 1975 par Pierre LETAMENDIA. L'absence d'un parti démocrate chrétien en France en 1918, quand l'Alsace redevint française, amène les Alsaciens à constituer une formation locale : l'U.P.R. De 1919 à 1939, l'U.P.R. est un parti remarquablement orga- nisé. Son influence ne cesse pas de croître, grâce à ses relations étroites avec les organisations catholiques. C'est ainsi que l'U.P.R. comptera à elle seule autant d'adhérents que le P.D.P. dans toute la France : 10 000 adhérents dans le Bas-Rhin, plus de 4 000 dans le Haut-Rhin. Elle dispose de plusieurs journaux quotidiens et hebdomadaires qui couvrent toute l'Alsace. Malgré plusieurs tentatives de fusion, jamais le P.D.P. ne réussit à rallier l'U.P.R. qui conserva à toutes les élections législa- tives une nette majorité, enlevant en moyenne neuf sièges sur les seize attribués à l'Alsace. Au lendemain des élections de 1936, tous les députés alsaciens, sous la présidence de Michel WALTER, fon- dèrent à la Chambre des députés le groupe des « Indépendants d'action populaire » auquel se rallièrent certains élus de la Moselle. Ce groupe qui compte alors seize inscrits, est plus important que celui du P.D.P. qui n'en compte que treize. La forte implantation de l'U.P.R. se retrouvera en 1945 dans l'importance des fédérations M.R.P. d'Alsace.

L'aube et les Nouvelles Equipes Françaises (N.E.F.).

La grande presse nationale ou régionale — l' Ouest-Eclair excepté — s'intéressait peu aux Démocrates chrétiens. Ceux-ci, entre eux, parlaient souvent de la création d'un quotidien national. Plusieurs projets furent même élaborés et des concours financiers recherchés. Chaque fois, faute de moyens suffisants, l'entreprise échouait. Quand un jour de janvier 1932, Francisque GAY qui, en 1924, avait lancé avec succès l'hebdomadaire la Vie catholique, réunit un groupe d'amis de tendance chrétienne pour leur annoncer la décision qu'il venait de prendre : celle de créer à Paris, dès le mois suivant, un journal quotidien qui serait au service de leurs idées. Malgré la surprise générale et le scepticisme de beaucoup, les présents lui donnèrent leur accord. C'est ainsi qu'en février 1932 parut le premier numéro de l'Aube. Il devait continuer jusqu'à l'occupation de Paris en juin

Francisque GAY, ancien Sillonniste, qui s'était d'abord rallié à la Jeune République pour se tenir ensuite à égale distance de la J.R. et du P.D.P., souffrait de la dispersion des démocrates chré- tiens. Sa volonté était d'en faire une famille regroupée, une famille unie. Il suffit, pour s'en convaincre, de relire son Mémoire confi- dentiel (*). Il écrit, en effet, en mars 1935 : « S'il y a un pays où la démocratie chrétienne aurait dû s'implanter, prendre racine, se développer, fructifier, c'était la France. » Il ajoute : « Dans tous les domaine de l'action et de la pensée sociale démocratique, nous avons débroussaillé le terrain et ouvert les voies, posé les premières assises et l'édifice s'est construit ailleurs... Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? » Il est vrai, nous l'avons vu, c'est en France qu'est née la démo- cratie chrétienne, c'est nous qui avons semé le bon grain et ce sont les voisins qui ont moissonné. En 1935, au moment où Francisque GAY écrivait les lignes qu'on vient de lire, le P.D.P. et la J.R. comptaient ensemble vingt-trois députés, correspondant à moins de 5 % des suffrages exprimés. A la même époque, en Allemagne, en Autriche, en Belgique, en Italie, au Luxembourg, aux Pays-Bas en Suisse, en Tchécoslovaquie les partie démocratiques d'inspi- ration chrétienne réunissaient de 15 à 50 % des suffrages. Ces résultats avaient été obtenus parce que, partout, les démocrates chrétiens avaient su se grouper. En France, ils s'étaient dispersés, ce que Francisque GAY constatait en disant : « Du groupe Pernot à la Jeune République, des Syndiqués chrétiens aux patrons de la C.F.P., des Semaines Sociales aux Amis de Bierville, on retrouve de solides bases communes que, de loin, les adversaires aperçoivent aisément. » (**) C'est donc pour regrouper tous les démocrates d'inspiration chrétienne que l'Aube fut créée en février 1932. Son existence fut (*) Francisque GAY, Pour un rassemblement des forces démocratiques d'inspiration chrétienne. Mémoire confidentiel. Ce livre comporta deux tirages, un de 300, un de 100 exemplaires, tous numérotés. Il était destiné aux dirigeants des « Amis de l'Aube ». Mon exemplaire porte le n° 62. (**) Francisque GAY, id. toujours difficile, l'Aube ne vécut que par la ténacité, le dynamisme, l'ingéniosité de son fondateur. Pour le lancement, Francisque GAY s'était associé Gaston TESSIER, secrétaire général de la C.F.T.C. qui apportait les militants déjà nombreux de cette centrale syndicale en pleine expansion. Les premiers éditorialistes de l'Aube, Gaston TESSIER et André COCHINAL, ouvrirent la voie. Mais c'est à partir de 1934 que l'Aube trouva sa consécration avec les brillants éditoriaux de Georges BIDAULT, quotidiennement cités à la radio et repris dans les « Revues de Presse » de tous les grands quotidiens. Le mur du silence était brisé, on commençait à parler des démocrates chrétiens. L'équipe de rédaction de l'Aube était réduite, mais de qualité. Elle comprenait, autour de Francisque GAY et Georges BIDAULT, Louis TERRENOIRE et Madame TERRENOIRE, Maurice CARITÉ, Pierre CORVAL, Jean DANNENMULLER, Pierre-Louis FALAIZE, Jean POCHARD, Jean RICHARD. A travers la France se constituèrent des groupes « d'amis de l'Aube » dont Jean POCHARD était le secrétaire général. Ces groupes « d'amis de l'Aube » étaient en germe le « Rassemblement des forces démocratiques d'inspiration chrétienne » dont rêvait Francisque GAY. Mais l'infatigable fondateur de l'Aube voit plus grand. Il veut un rassemblement structuré. Il s'ouvre de son projet à Georges BIDAULT et lui demande de rédiger, sous forme de « manifeste », les idées sur lesquelles ils sont tombés d'accord. Ce manifeste, « Aux hommes de notre esprit » avec en sous-titre, « La démocratie, il ne s'agit plus de la défendre. Il s'agit de la fon- der », est toujours actuel. Publié par l'Aube il eut à l'époque un grand retentissement et fut à l'origine de la formation des « Nou- velles équipes françaises » (N.E.F.). Le 7 septembre, Francisque GAY annonce dans l'Aube : « La date de départ pour le voyage de conquête est d'ores et déjà fixée. Ce sera le 11 novembre prochain, vingtième anniversaire de la victoire. » Le congrès qui va lancer la N.E.F. se tiendra, en effet, le 12 novembre 1938 au Palais des Congrès de la porte de Versailles. Pour préparer ce congrès, Francisque GAY tint plus de cent réunions à travers toute la France. Je l'ai accompagné en Franche- Comté aux réunions de Besançon, Vesoul et Belfort. Les militants qu'il rassemblait étaient attentifs et passionnés, lui convaincant et ardent. Le congrès du 12 novembre réunissait 1 500 délégués venus de toute la France et représentant toutes les tendances démocrates chrétiennes. Il eut un succès retentissant et se clôtura par un banquet monstre et triomphal. Le 15 novembre, ce triomphe s'étale sur toute la première page de l'Aube : « En avant pour les Nouvelles Equipes Françaises ». Le 4 février 1939 paraît le premier numéro d'un bulletin hebdomadaire, la Nef, « journal de bord », avec en médaillon une caravelle bleue. Ce bulletin, destiné aux cadres du mouvement et dont j'ai conservé les 22 numéros, paraîtra jusqu'au 27 juillet 1939. Quelques jours après c'était la guerre, puis l'occupation et, pour la plupart des « hommes de notre esprit » : la Résistance. La N.E.F. préfigurait déjà le M.R.P. qui allait naître de nos malheurs. DE LA RÉSISTANCE AU M.R.P.

La Résistance.

On l'a vu dans les pages qui précèdent, ce qui distinguait les démocrates chrétiens, ce qui les rassemblait, c'était une volonté de liberté, de justice, de respect de l'homme qui ne pouvait s'exprimer que dans un régime démocratique. Quand en juin 1940 tout s'effondra d'un seul coup dans la débâcle : nos armées, nos structures politiques, administratives, économiques, sociales, quand l'ennemi occupa presque tout le pays — imposant sa loi — quand toute la France fut dans les ruines, la honte et le désespoir, les hommes de cette tendance n'hésitèrent pas sur la conduite à tenir : ils refusèrent l'armistice et décidèrent de continuer le combat. Déjà en 1938, les démocrates chrétiens avaient pris position contre les « Accords de Munich » qui reniaient les engagements pris par la France, sans hélas garantir la paix. Tous les jours, on pouvait alors lire dans l'Aube les articles vengeurs de Georges BIDAULT (*) Nous étions alors traités de « bellicistes », de « provocateurs », « d'amis des Soviets ». Comme nous allions bientôt être traités de « terroristes ». Ils n'étaient pas nombreux ceux qui, en juin 1940, refusèrent l'armistice. Devant l'ampleur du désastre, la plupart des Français sont favorables au gouvernement du Maréchal Pétain qui vient de demander et d'obtenir l'armistice.

( Après la guerre, des hommes mal intentionnés, en sortant très exacte- ment six lignes — toujours les mêmes, inlassablement répétées — de dizaines d'articles hostiles à « Munich », ont essayé sans succès, de ranger Georges BIDAULT parmi les « Munichois ». Le 10 juillet 1940 à Vichy, l'Assemblée Nationale, constatant la défaite militaire, remet les pleins pouvoirs au chef du gouver- nement. Usant de ses pleins pouvoirs, le Maréchal Pétain va instaurer un nouveau régime : celui de l'Etat Français. Ce régime prétend créer, autour d'un « homme providentiel », une « Révolution nationale », un « ordre nouveau » que résume le slogan : Travail, Famille, Patrie. Toute la droite et l'extrême-droite, avec en tête Charles MAURRAS qui chante la « divine surprise », se rallient à cet « ordre nouveau » avec la quasi-totalité des partis traditionnels. La hiérar- chie catholique suit. Les cadres de l'armée aussi, par fidélité au « grand chef militaire ». La paysannerie applaudit au « retour à la terre » et les intellectuels au « retour de l'autorité de l'Etat » que préconise le nouveau régime. Bref, le Maréchal a, derrière lui, la grande majorité des Français. Mais à mesure que le nouveau régime s'installe, que la collabo- ration avec l'Allemagne se précise, que ses premières actions se dessinent, une opposition d'abord diffuse, puis plus nette, s'organise. Elle prend le nom de : Résistance. Sous ce vocable se rassemblent tous ceux qui refusent l'armistice, tous ceux qui refusent l'occupation allemande et la soumission au nazisme. « A l'origine de la Résistance, écrit Georges BIDAULT, il y a une disposition d'esprit, plus encore, un trait de caractère. » Et il ajoute : « La Résistance n'est autre que l'intransigeance et la fidélité aux grandes causes pour lesquelles on peut vivre et, s'il le faut, mourir ». Les grandes causes étaient alors la défense de la patrie et la défense de la civilisation. Tel était le sens de l'Appel historique du 18 juin, lancé de Londres par le Général DE GAULLE. Ce n'est donc pas un hasard, ni une coïncidence, si les démo- crates chrétiens furent parmi les premiers à répondre à cet appel. C'est pourquoi, dés 1940, ils occupent une place importante dans la Résistance. Aussi bien à Londres qu'en France ils sont aux postes de responsabilités. Maurice SCHUMANN, qui vient de la Jeune République, sera pendant quatre ans, à la radio de Londres, le porte-parole de la France Combattante. Fin juin 1940, arrive à Londres le colonel Pierre DE CHEVIGNÉ, maire d'Abitain, proche de CHAMPETIER DE RIBES. Il sera plus tard député M.R.P. des Basses-Pyrénées et ministre. A Londres, les catholiques de la France Libre créent un journal, le Glaive de l'esprit, bientôt rebaptisé Volontaire pour la cité chrétienne. Les démocrates chrétiens en sont les animateurs. Le 22 juin 1940, André COLIN, président de l'A.C.J.F., alors affecté au Liban, lit à la radio de Beyrouth un message appelant : « à la lutte contre l'ennemi dans l'empire Français même si la bataille de France est terminée ». En France, pour Edmond MICHELET, président de la N.E.F. de Brive, la résistance commence le 17 juin 1940. Ce jour-là, en effet, il distribue un tract appelant à la résistance et il écrit, citant Péguy : « En temps de guerre, celui qui ne se rend pas a toujours raison contre celui qui se rend. » Les premiers mouvements de Résistance vont se former en ordre dispersé, mais à leur tête, presque toujours, on trouve des démocrates chrétiens. En septembre 1940, François DE MENTHON, professeur de droit, ancien président de l'A.C.J.F., membre de la Commission exécutive du P.D.P., fonde le mouvement « Liberté » en compagnie de Pierre-Henri TEITGEN, de Paul et Alfred COSTE-FLORET. En 1941, le mouvement « Liberté », en fusionnant avec le mouvement « Vérité », créé en août 1940 par Henry FRÉNAY, devient le mouve- ment « Combat ». Ce mouvement recrute, dans toute la France non occupée, de nombreux démocrates chrétiens : CHAMPETIER DE RIBES à Pau, Edmond MICHELET à Brive, Etienne BORNE à Toulouse. Paul COSTE-FLORET, qui a gagné Alger, animera là-bas avec Robert CORNILLEAU, René CAPITANT et P. E. VIARD, « Combat Outre-Mer ». Jacques DESTRÉE, de la Jeune République, et Robert LECOURT du P.D.P. fondent à Paris le mouvement « Résistance ». Max ANDRÉ est au « Front National », Gaston TESSIER à « Libération Nord, AMAURY à l'« O.C.M. ». En même temps que les mouvements de Résistance — et souvent par eux — sont créés des journaux clandestins dont plusieurs sont imprimés boulevard Raspail chez Marc SANGNIER, dans l'imprimerie de « La Démocratie ». Francisque GAY, qui a sabordé l'Aube, lance La France continue... Jacques DESTRÉE et Robert LECOURT lancent Résis- tance. Paraissent également : Combat, Libération, Franc-Tireur. A Lyon un groupe de prêtres et de laïcs, animé par le Père CHAILLET, publie et diffuse dans toute la France le Courrier du témoignage chrétien. Les mouvements de Résistance, partout, recrutaient et s'orga- nisaient. J'avais eu la chance, le 22 juin 1940, de rencontrer à Marseille Robert CORNILLEAU et notre ami Maître PERRIN, avoué. J'entends encore Robert CORNILLEAU me dire : « Il faut regrouper nos amis et organiser la Résistance ». Quelques jours après je regagnais la Franche-Comté qui se trouvait en « zone interdite ». Je passe sur les péripéties de la traversée de la Loue qui était alors la frontière, solidement gardée par des soldats allemands aidés de chiens policiers. Dès octobre une rencontre de tous nos amis a lieu chez le docteur HEITZ. Je constate avec joie, quoique sans surprise, que tous les présents — à une exception près — refusent l'armistice. Nous décidons de nous organiser et de prendre contact avec des mouvements existants. Très vite nos amis de la C.F.T.C. rencontrent « Libération-Nord » et moi, par LECOURT, « Résistance ». Nous serons bientôt un groupe uni et actif. Nous serons les premiers à diffuser dans la région Résistance et le Courrier du témoignage chrétien. Nous avons même parmi nous un professionnel de la diffusion, un libraire, dépositaire de journaux : Louis CÊTRE. Plusieurs d'entre nous seront recherchés par la Gestapo. Emile LAMBERT sera arrêté et déporté. Pendant la première année, les Résistants étaient peu nom- breux. Ceux-là, quand la Résistance s'est développée, se sont tout naturellement trouvés aux postes de commande. Beaucoup étaient des démocrates chrétiens. A partir de juin 1941, cette petite armée de la Résistance a eu, tout à coup, un grand renfort. L'Allemagne de Hitler venait de déclarer la guerre à l'Union Soviétique de Staline, alors le parti communiste bascula, alors seulement, il entra dans la Résistance. Jusque-là les Communistes, à part de rares exceptions, avaient tenté de collaborer avec les Allemands alliés des Soviets. C'est ainsi qu'au nom du parti communiste, François BILLOUX avait écrit au Maréchal Pétain, Chef de l'Etat, à Vichy, pour lui demander d'être entendu au procès de Riom, contre DALADIER, BLUM, GAMELIN et autres, au sujet des responsabilités de la guerre et de la défaite. En juin 1940, Madame GINOLLIN, accompagnée de Madame SCHRODT et de M. TRÉAND, sollicita des occupants, au nom du parti, de faire paraître l'Humanité. Reçue à la Kommandantur, 12 boulevard de la Madeleine à Paris, elle obtenait du lieutenant WEBER, après deux jours de négociation, l'autorisation sollicitée. Il était entendu que tous les articles devaient être préalablement soumis à la censure de la Kommandantur. Pour faire paraître l'Humanité, Madame GINOLLIN s'adressa alors à leur ancien imprimeur, M. DANGON, 123, rue Montmartre. La police française, informée sans doute des démarches de Madame GINOLLIN, la faisait arrêter et écrouer à la Petite Roquette. Elle était libérée quatre jours plus tard sur l'ordre du D FRITZ, mais l'Humanité ne reparut pas. Dieu que la police de Vichy était bête ! Imaginez ce qu'eût été la position des communistes après la guerre si l'Humanité avait paru pendant l'occupation ? ! Donc en juin 1941, l'Allemagne déclarait la guerre aux Soviets ; alors, tout entier : chefs, cadres et militants, le parti communiste entrait dans la Résistance. Ce fut certes un renfort pour la petite armée des réseaux et les premiers mouvements de résistance, mais dès lors qu'ils entraient dans la Résistance les communistes allaient recevoir et appliquer les consignes qui leur étaient données à eux, communistes français, comme elles étaient données aux commu- nistes de tous les pays occupés par l'Allemagne. Il leur était prescrit de s'emparer de tous les leviers de commande de la Résistance pour tenter, le moment venu, de s'emparer du gouvernement des pays libérés. C'est à partir de cette époque que les communistes commen- cèrent à forger la légende du « Parti des fusillés » qu'ils devaient plus tard si bien utiliser. En tout cas, l'entrée des communistes dans la Résistance ajoutait de nouveaux mouvements à ceux qui existaient déjà. Aussi les chefs de la Résistance : Jean MOULIN, qui venait du parti radical-socialiste, Pierre BROSSOLETTE, qui venait de la S.F.I.O. et Georges BIDAULT, démocrate-chrétien, envisagent-ils une fusion, si possible un mouvement unique de la Résistance. Georges BIDAULT, mobilisé comme sergent d'infanterie en 1939, fut fait prisonnier dans l'Aisne le 8 juin 1940. Dans son stalag II. A, il ne désarme pas : « Je songeais à la Victoire. Je refusais l'armistice, écrit-il... Un homme parlait de victoire, d'une France non asservie, d'un Empire intact qui devait jouer un rôle dans l'issue favorable du conflit. Il suffisait, sans presque rien savoir de lui, j'étais de son bord. Je n'ai pas entendu l'appel du 18 juin. J'ai su plus tard, non sans lacunes, ce qu'il voulait ? Plus les situations sont graves, plus les épreuves sont dures, plus les solutions sont simples. C'est de Gaulle qui me l'a dit, et c'est vrai, d'une vérité de diamant ; c'est le joug, c'est la révolte contre la défaite qui m'a fait gaulliste. » ( Après treize mois de captivité il fut libéré avec les anciens combattants de la guerre 1914-1918. En rentrant à Paris il apprend qu'il avait été recherché un peu partout. On avait même saisi, chez sa sœur aînée, une lettre de l'ancien Chancelier WIRTH. « Mes sentiments sur les accords de Munich écrit-il, étaient connus, mais personne ne s'était douté que Bidault Augustin qui se trouvait à l'intérieur des camps avec deux millions de Français, était le même Bidault Georges dont on n'appréciait pas la prose et sur lequel on cherchait à se renseigner. » (**) Dès son retour, en septembre 1941, BIDAULT entre en contact, à Paris et en zone libre, avec les mouvements de résistance où ses amis sont nombreux. Il rencontre aussi Jean MOULIN dont il deviendra le plus proche collaborateur avant d'en être le successeur. C'est chez François DE MENTHON que Georges BIDAULT rencontre pour la première fois Jean MOULIN. Ecoutons-le parler du Chef de la Résistance : « La première fois que je vis Jean Moulin, il était en costume de ski. Sa gentillesse me charma, mais la désinvolture de son habillement surprit en moi un homme qui avait encore beaucoup à apprendre de ce qu'il faut faire pour passer inaperçu. Il y a tant de gens qui ne songent qu'à se faire remarquer que je n'avais guère pensé à l'entraînement qui m'était cependant alors fort aisé. C'était dans la maison de François DE MENTHON, ami de ma jeunesse, où les enfants faisaient ce jour-là peu de bruit. » ( Georges BIDAULT, D'une Résistance à l'autre (Les presses du siècle, 1965). (**) Id. « ... Par la suite, je connus bien Jean Moulin. Je crois même pouvoir dire que c'est moi qui l'ai le mieux connu. Quand nous étions au même lieu, nous nous rencontrions souvent et je n'ai pas le souvenir d'un seul désaccord. Seul, avec son secrétaire Alain Cordier, qui venait de l'Action Française et qui avait pour son chef un véritable culte, j'ai connu la petite chambre lyonnaise où Jean Moulin a habité assez longtemps et où il ne recevait per- sonne. C'était une chambre lyonnaise de petite bourgeoisie, avec les vieilleries touchantes, les pompons, les rideaux à l'ancienne mode, la lumière avare : le cadre d'une vie simple, étroite et routi- nière. C'est là que venait, à la nuit, dormir sur ses soucis le repré- sentant du Général de Gaulle, l'ambassadeur de la liberté, le chef d'abord discuté puis lentement reconnu de la future résurrection. » « ... Je me souviens que nous nous étions avoué que nous avions bien peu de chances de nous en tirer si les choses duraient encore longtemps. Je m'en suis pourtant tiré. Mais lui, qui était prudent, a succombé pour avoir pris un risque dont il n'avait pas connu à l'avance les données complètes. Par souci de cloisonnement, Jean Moulin ne m'avait pas informé de la réunion de Caluire. Je ne veux pas revenir sur un drame qui a déjà eu deux fois un dénouement judiciaire, sinon une clarification historique. Ce que je veux dire seulement, c'est que si j'avais su les participants à ce rendez-vous, jamais Jean Moulin ne serait allé à Caluire. » « Il manque plus cruellement à la France que la France ne le croit. » ( C'est avec Jean MOULIN que Georges BIDAULT et quelques autres, pour unir la Résistance, créèrent le Conseil National de la Résistance (C.N.R.). C'est BIDAULT qui, à la demande de Jean MOULIN, a rédigé l'appel à l'union des Mouvements de résistance de la zone sud. C'est BIDAULT encore, toujours à la demande de Jean MOULIN, qui rédigea le manifeste qui, dans le conflit qui opposait le Général DE GAULLE au Général GIRAUD, engageait le C.N.R. aux côtés du Général DE GAULLE d'une façon catégorique. Lorsque Jean MOULIN fut arrêté à Caluire et connut la fin qu'on sait, c'est Georges BIDAULT qui assura l'intérim de Chef de la Résistance intérieure en attendant une nomination du ( Georges BIDAULT, id. En Europe, après la guerre, après cinq ans de domination nazie, les peuples aspirent à la liberté et à la paix. C'est pour cette raison que dans la plupart des pays de l'Europe occidentale, les partis Démocrates chrétiens qui symbolisent cette aspiration triom- phent. Mais c'est en France que la surprise est la plus grande. Les premières élections législatives ont lieu le 21 octobre 1945 ; c'est, à double titre, une date unique dans l'histoire politique de notre pays. Pour la première et la dernière fois, communistes et socialistes avaient ensemble la majorité absolue (302 députés sur 586), tandis qu'un parti inconnu un an avant, le Mouvement Répu- blicain Populaire (M.R.P.) faisait une entrée fracassante. Il enlevait d'emblée 151 sièges, talonnant le parti communiste et devançant le parti socialiste. Le M.R.P. allait, pendant quinze ans, jouer un grand rôle dans la vie politique de la France. Ce livre est un témoignage sur le M.R.P. Il est le témoignage d'un des acteurs de ce Mouvement, de ce parti de la Démocratie chrétienne en France. D'un acteur qui a vécu : à l'A.C.J.F., à la C.F.T.C., au P.D.P., aux « Amis de l'Aube » et à la N.E.F., dans la Résistance, les origines du M.R.P. Il a été de surcroît après la Libé- ration, secrétaire général du Mouvement et plus tard président des Nouvelles Equipes Internationales (Union internationale des Démocrates chrétiens). Ce témoignage n'a d'autre ambition que d'apporter une contri- bution à l'histoire, tant décriée, d'un Mouvement politique et d'une époque. Les hommes du M.R.P., les hommes de la Démocratie chré- tienne en France, étaient des hommes de cœur épris de liberté, de justice sociale et de paix. Sans doute n'ont-ils pas réalisé tous les espoirs dont ils étaient porteurs, leur bonne foi a souvent été sur- prise, mais au total, ils peuvent être fiers de ce qu'ils ont fait. Ils ont, à un moment difficile : évité le pire à notre pays, récon- cilié la France et l'Allemagne, amorcé la construction de l'Europe.

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