Dossier De préparation à la visite MuséE BEaux-arts DE strasBourg 2, plaCE Du CHâtEau — palais roHan

Du peintre au restaurateur Histoire d’un tableau. La Garde civique de Saint-Adrien par Cornelis Engelsz., 1612 Du 25 octobre 2013 au 31 décembre 2014

le restaurateur observé par un garde civique

service éducatif des musées, 2013 palais rohan — 2, place du château — 67076 strasbourg cedex — http://www.musees.strasbourg.eu réservations le matin 03 88 88 50 50 — renseignements l’après-midi 03 88 52 50 04 — fax 03 88 52 50 41 DossiEr DE préparation à la VisitE DU PeIntre AU restAUrAteUr 2

sommaire

I - Présentation d’une restauration ...... p 3 une œuvre endommagée ...... p 4 l’histoire de la restauration ...... p 5 Quatre étapes de la restauration ...... p 5

II - Peindre au XVIIe siècle dans les Provinces-Unies ...... p 6 un siècle d’or, le xViie siècle ...... p 7 le peintre Cornelis Engelsz. (gouda, 1574 ou 1575 - , 1650) ...... p 9 le peintre dans son atelier ...... p 10 l’art du portrait ...... p 11 le portrait de groupe, une déclinaison ...... p 13 peindre un portrait de groupe ...... p 14

Annexes ...... p 15 Cornelis engelsz., La Garde civique de Saint-Adrien, 1612 DossiEr DE préparation à la VisitE à l’est DU noUVeAU ! 4

I - Présentation d’une restauration le palais rohan après le bombardement du 11 août 1944

Une œuvre endommagée le 11 août 1944, un bombardement retentit dans les rues du centre de strasbourg ; la Cathédrale, le musée de l’Œuvre notre-Dame et le palais rohan sont durement touchés. Depuis 1940, toutes les œuvres des musées avaient été mises en sûreté dans des caves ou des châteaux hors de la ville. toutes, sauf une… le portrait de La Garde civique de Saint Adrien par Cornelisz Engelsz. est resté au palais rohan. avec ses 5 mètres de long, il était trop grand pour être évacué.

le palais rohan après le bombardement du 11 août 1944 DossiEr DE préparation à la VisitE DU PeIntre AU restAUrAteUr 5

Victime collatérale, le tableau fut abimé par les éclats de l’explosion du palais. il en garda longtemps les séquelles dont certaines furent accentuées par la restauration réalisée après-guerre (voir la correspondance à ce sujet en annexe entre Hans Haug le directeur des musées en 1955 et d’autres intervenants). l’histoire de la restauration Du fait de son importance ce tableau méritait une nouvelle restauration (en annexe, le constat d’état établi par les restaurateurs) .Cette intervention a été possible grâce au mécénat. fin 2008 la Bnp-paribas acceptait de participer de manière détermi- nante à la restauration. la commission régionale de restauration ayant donné un avis favorable, elle commença peu après. l’urgence étant d’assurer la bonne conservation d’un tableau ayant gravement souf- fert, il fut nécessaire dans un premier temps d’en consolider le support. Cette inter- vention aboutit à un rentoilage et à une mise en tension sur un châssis neuf. puis la restauration de la couche picturale put s’effectuer. les restaurateurs procédèrent à une réintégration illusionniste des lacunes sur chaque visage, les usures de la couche picturale étant laissées perceptibles tant que la lecture et l’ho- mogénéité de l’œuvre n’était pas perturbée.

Quatre étapes de la restauration - l’examen : le restaurateur dresse un constat d’état détaillé de la surface picturale et du support. il observe l’œuvre en lumière naturelle à l’œil nu et à la loupe, en lumière rasante, sous rayonnement uV et infrarouge et par radiographie. De plus, il se documente sur le peintre, ses contemporains, le mobilier, les costumes, les éven- tuels symboles, l’iconographie... puis il établit un diagnostic de conservation-restau- ration approprié. - le nettoyage : la surface picturale est nettoyée de manière à la purifier des apports extérieurs incohérents et inesthétiques. l’œuvre est dégagée de ses vernis et anciennes restaurations. - Conservation du support : le restaurateur opère ici une résorption des déforma- tions de la toile, consolide les déchirures, coutures et incrustations au niveau des trous. il colle une toile de renfor au dos du support d’origine, c’est le rentoilage. une fois l’œuvre rentoilée, le restaurateur effectue une mise en tension sur un châssis neuf, en aluminium. r- estauration de la couche picturale : fissures et lacunes de matière picturale sont comblées au mastic, permettant ensuite une retouche illusionniste des manques et usures. un vernissage final sature, nourrit les couleurs et protège la surface pictu- rale.

Dans le monde des musées il y a un adage : « un musée qui n’acquière pas est un musée qui meurt ». une restauration fondamentale, comme c’est le cas ici, permet de pouvoir ré-accrocher une œuvre que le public n’avait plus pu voir depuis des années. En ce sens certaines restaurations équivalent à des acquisitions et témoi- DossiEr DE préparation à la VisitE DU PeIntre AU restAUrAteUr 6

gnent de la vitalité des musées. ainsi, après cinq années, l’œuvre est redevenue lisible mais sans que son histoire ait été niée. nous pouvons redécouvrir un tableau rare par son sujet, spectaculaire par ses dimensions, attrayant par sa facture.

II - Peindre au XVIIe siècle dans les Provinces-Unies

Un siècle d’or, le Xviie siècle En 1568, les pays-Bas se soulèvent contre la monarchie espagnole et réclament leur indépendance. Commence alors la guerre de Quatre-Vingts ans interrompue par une trêve signée en 1609 entre les pays-Bas du nord et l’Espagne ; trêve qui marque l’acte de naissance de la république des provinces-unies. sa situation géographique, l’importance de ses ports lui confèrent alors un rôle d’in- termédiaire essentiel entre l’Europe du nord et les pays méditerrannéns. Des

Carte des provinces-unies au xViie siècle DossiEr DE préparation à la VisitE DU PeIntre AU restAUrAteUr 7

simon de vlieger, La Marée basse, 1650, huile sur bois, Musée des Beaux-arts, strasbourg

compagnies commerciales comme la Compagnie des indes orientales fondée en 1602 et Compagnie des indes occidentales en 1621 commercent avec l’asie, l’afrique et l’amérique, même si le transport de grains depuis la Baltique reste le commerce de base. les provinces-unies connaissent aussi une forme de développement industriel, avec par exemple à Haarlem le blanchiment des textiles et la brasserie. C’est aussi un espace très urbanisé avec en tête amsterdam qui au début du xViie s. compte environ 105 000 habitants. Haarlem est la troisième ville après leyde avec environ 40 000 habitants. parmi les sept provinces, qui composent le pays, la Hollande s’avère la plus riche, c’est d’ailleurs la province à laquelle appartient Haarlem. les provinces-unies se caractérisent alors par l’absence d’un gouvernement centralisé et sont marquées par une grande diversité culturelle et religieuse. DossiEr DE préparation à la VisitE DU PeIntre AU restAUrAteUr 8

pieter de Hooch, Départ pour la promenade, huile sur toile, vers 1665, Musée des Beaux-arts, strasbourg

Pieter de Hooch, Départ pour la promenade, huile sur toile, vers 1665, Musée des Beaux-Arts, Strasbourg « La scène se situe dans l’une des galeries de la salle des Citoyens de l’hôtel de ville d’Amsterdam, transformé en Palais royal depuis 1808. Placé au centre du bâtiment, cette salle était un lieu où les Amstellodamois pouvaient se promener et contempler l’ensemble des décorations destinées à célébrer le cosmos, tout spécialement la mosaïque sur le sol illustrant les hémisphères terrestres. C’était l’occasion pour les citoyens d’étudier le parcours des bateaux marchands sur cette vaste carte du monde et de constater l’ampleur de l’empire commercial des Provinces-Unies. De façon allégorique, le décor procurait aux bourgeois d’Amsterdam la sensation d’avoir le monde à leurs pieds. » Extrait du catalogue Peinture flamande et hollandaise, XV e-XVIII e siècle, Musées de la Ville de Strasbourg, 2009, p. 217. DossiEr DE préparation à la VisitE DU PeIntre AU restAUrAteUr 9

a partir de 1621, la guerre contre l’Espagne reprend. Ce n’est qu’en 1648 avec la paix de Münster que l’Espagne reconnaît officiellement l’indépendance de la république des provinces-unies. C’est la fin de la guerre de Quatre-Vingts ans, guerre que vécut le peintre Cornelis Engelsz. le peintre Cornelis engelsz. (Gouda, 1574 ou 1575 - Haarlem, 1650) né en Hollande à gouda, le peintre Cornelis Engelsz., contemporain de (vers 1581/1585-1666), s’installe très tôt à Haarlem où il est élève de (1562-1638). sa vie nous est aussi mal connue que son œuvre, composée essentiellement de portraits et de quelques scènes de genre. autour de 1595, il épouse Maritge Jansdr avec qui il aura six enfants. Deux d’entre eux deviendront peintres ; le plus connu est le portraitiste Johannes Cornelisz. Verspronck. En 1593 Engelsz. rejoint la « guilde de saint luc », fameuse corporation de peintres, sculpteurs, graveurs ; il en devient directeur en 1616. parallèlement, de 1594 à 1621, il est membre de la « schutterij », la garde Civique dont il est nommé caporal en 1614. Celle-ci, constituée de membres de l’élite commerçante d’Haarlem, était chargée de protéger la ville. il en réalise deux portraits civiques, dont l’un en 1618 se trouve au , et l’autre présenté ici, exécuté en 1612. Etant membre de cette société d’arquebusiers, Engelsz. s’est probablement représenté dans ce tableau. Mais lequel de ces hommes peut-il être ? nous proposons deux hypothèses.

Cornelis engelsz., La Garde civique de Saint-Adrien, huile sur toile, 1612, Musée des Beaux-arts, strasbourg, détails. DossiEr DE préparation à la VisitE DU PeIntre AU restAUrAteUr 10

le peintre dans son atelier l’atelier du peintre est un local situé à son domicile ou dans un lieu indépendant. C’est un lieu de travail, de création mais aussi d’enseignement quand l’artiste a des disciples ou des apprentis. Cet espace est, de préférence, orienté au nord pour recevoir une lumière égale aux différentes heures du jour. l’atelier du peintre comprend un espace pour peindre et, à l’écart, un espace pour le broyage des couleurs. Cette tâche, effectuée par les apprentis, consiste à broyer les pigments naturels avec un pilon puis de mélanger la poudre obtenue à un liant (généralement de l’huile de lin) pour obtenir la matière avec laquelle le maître pourra travailler. sur son chevalet, le peintre a une toile préparée à l’avance par ses apprentis. autour de lui se trouve son matériel de travail : des pinceaux et des palettes de différentes tailles, des flacons d’huile et de vernis ainsi qu’un appui-main. Cette baguette de bois, dont l’extrémité est enrobée d’une petite boule de peau ou de chiffon, permet de soutenir le geste de l’artiste pendant les longues heures de travail.

David iii ryckaert, Intérieur d’atelier, 1638, Musée du louvre, paris DossiEr DE préparation à la VisitE DU PeIntre AU restAUrAteUr 11

gravure de Jan van der straet pour Nova Reperta une encyclopédie du xViie s. qui rassemble les découvertes les plus importantes du temps, ici la peinture à l’huile par Jan Van Eyck

l’art du portrait D’après des inventaires qui concernent Haarlem entre 1605 et 1624, les sujets de peinture les plus fréquents étaient les scènes bibliques (à plus de 42 %), les portraits arrivent en deuxième position (18 %). DossiEr DE préparation à la VisitE DU PeIntre AU restAUrAteUr 12

Jan antonisz. van ravensteyn, Portrait d’homme et Portrait de femme, 1636, peinture sur bois, Musée des Beaux-arts, strasbourg

« Jan Antonisz. Van Ravensteyn est l’un des premiers et des plus actifs portrai- tistes réalistes de l’école hollandaise du XVIIe siècle. Destinées à être accrochées l’une à côté de l’autre, les deux peintures obéissent aux mêmes règles. Traités avec un réalisme austère et soigneux, les modèles se détachent vigoureusement du fond neutre et uni par de simples contratses de zones claires et sombres qu’exaltent une forte lumière latérale pour lui, et une lumière plus diffuse pour elle. Van Ravensteyn a le sens du modelé, un sens flamand du volume qu’il a en commun avec Frans Hals. Van Ravensteyn révèle aussi un sens aigu duvdétail : la coiffe de dentelle noire qui recouvre la chevelure du modèle féminin, le col de dentelle qui dépasse sous la fraise, l’écharpe à décor floral de l’homme et les boutons qui ornent le tissu brillant du pourpoint, tout est admirablement peint. » Extrait du catalogue Peinture flamande et hollandaise, XVe-XVIIIe siècle, Musées de la Ville de Strasbourg, 2009, p. 248-249. DossiEr DE préparation à la VisitE DU PeIntre AU restAUrAteUr 13

le portrait de groupe, une déclinaison le portrait de groupe, invention en grande partie néerlandaise, devient très popu- laire parmi les membres des associations civiques qui constituent une part impor- tante de la vie sociale, tels que les officiers de milice citoyenne ou les régents de guilde (corporation) ou d’association charitable. la disposition répétitive des personnages est une caractéristique des portraits de groupe du début du xViie siècle, avant les innovations de frans Hals qui en 1616 réalise le Banquet des officiers de la garde civique de Saint Georges. Cette compo- sition ouvre une nouvelle ère et la grande diagonale formée par l’étendard est une des innovations majeures que cette œuvre apportera à ce genre.

Frans Hals, Banquet des officiers de la garde civique de Saint Georges, 1616, frans Hals Museum, Haarlem DossiEr DE préparation à la VisitE DU PeIntre AU restAUrAteUr 14

peindre un portrait de groupe une société (guilde, milice ou institution caritative) choisit un artiste pour réaliser un portrait de ses membres. les membres payent chacun leur part du tableau : selon la somme versée leur portrait occupera plus ou moins de place dans la composition. les officiers payent plus cher pour être représentés sur l’avant de la composition et souvent en pied. Dans son atelier, le peintre reçoit individuellement les différents membres de la société pour étudier leurs visages et réaliser leurs portraits. le peintre compose son tableau en suivant le goût de son temps. ainsi en 1612, il doit trouver le subtil équilibre entre l’individualité de chacun et l’unité de l’ensemble. il place les figures pour laisser apparaître la hiérarchie existant au sein du groupe. Mais il doit également faire voir la cohésion existant entre les membres de la société. Et surtout il ne doit pas oublier pour autant l’individualité de chaque figure. pour mettre en place les corps et les gestes des différentes figures du tableau le peintre fait appel à un « modèle corps » qui pose pour lui.

Cornelis Engelszen Une Société d’Arquebusiers. ( 1612 ) Inv . n° 364 Musée des Beaux Arts de Strasbourg Huile sur toile, 1,78 x 5,10 m

Etude approfondie de l’état de conservation de la couche picturale

Conservation Restauration de Peintures Atelier Noëlle Jeannette et Julien Champlon 3, rue de l’église 67 530 Boersch

Avril 2007

La peinture mesure 1,78 x 5,10 m, il s’agit d’une huile sur toile représentant 47 portraits d’arquebusiers.

Nous ne savons rien de l’histoire de cette peinture depuis son entrée dans les collections du Musée des Beaux Arts jusqu’aux bombardements de 1944. Entre 1955 et 1958, un échange de courriers ( reproduits en annexes ) entre Hans Haug alors Directeur des Musées de Strasbourg, le Directeur des Musées de France et Lucien Aubert, artiste peintre restaurateur de tableaux à Paris, nous apprend qu’au moment du bombardement du 11 août 1944 la toile était la seule à être restée accrochée au musée des Beaux Arts. Très endommagée par la déflagration d’une bombe dans la cour, elle a ensuite été roulée, surface peinte à l’extérieur. Son état de conservation n’a été contrôlé que 10 années plus tard soit en 1955. Dans une lettre du 30 novembre 1955 Hans Haug écrit « des chancis se sont formés pendant que le tableau était roulé. Par ailleurs il y a des déchirures et des plis provenant de la chute de la toile hors de son châssis. » Il est probable que la toile déchirée a été roulée sur elle même et non pas autour d’un rouleau et il est certain que la surface picturale n’a a pas été protégée au préalable. Sans parler

1 des conditions thermohygrométriques du lieu de stockage qui était probablement humide puisque des chancis sont mentionnés par Hans Haug. Le tableau a donc continué a s’abîmer entre 1944 et 1955, la toile a continué à se dégrader, des soulèvements et pertes de matière picturale se sont produits, les vernis se sont opacifiés.

En 1958 enfin le tableau est rentoilé et son châssis changé, le restaurateur fait état d’importants chancis de vernis.

Le support original est constitué de 4 lais de toile assemblés par des coutures. La toile est fine par rapport au format de la peinture, on compte de 12 à 13 fils par cm en chaîne et en trame. L’œuvre est rentoilée à la colle de pâte, une tarlatane intermédiaire est visible sur les bords. Le support a été agrandi sur environ 8 cm de chaque côté au moment du rentoilage et ses bords sont irréguliers. Les bords supérieurs ne peuvent être observés, ils sont cachés par les baguettes d’encadrement. Si la tension de la toile est correcte, le rentoilage présente d’importants défauts. Ainsi le support original a de nombreuses déformations en vagues et plus particulièrement un pli qui concerne toute la diagonale de la peinture de dextre à sénestre et de bas en haut. Ces déformations perturbent l’homogénéité et la lisibilité de la peinture et correspondent à autant d’altérations de la matière peinte. Plusieurs incrustations de toile sont visibles sur l’ensemble de la surface. ( voir le relevé des incrustations ). Lors du bombardement puis du stockage de la peinture, il semble que les extrémités aient été plus endommagées que la partie centrale.

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La couche picturale est fine et présente peu d’empâtements. Les couches colorées sont appliquées sur préparation grise, visible à l’œil nu et sous loupe binoculaire. Le rentoilage a provoqué une impression de texture, le grain de la toile est sensible sur toute la surface de la peinture, et l’écrasement des empâtements tels que ceux que nous observons sur le nœud rouge que l’arquebusier représenté au centre du tableau porte sur la manche. L’adhérence de la couche picturale au support est correcte dans l’ensemble excepté sur le lai de toile de dextre où les soulèvements sont importants. Localement, quelques soulèvements sont observés, notamment sur le pli transversal du support.

L’observation de la peinture à l‘œil nu révèle une surface picturale encrassée et dénaturée par une grande quantité de retouches et repeints désaccordés qui perturbent son homogénéité. Certains repeints sont plus grossiers que d’autres, tant par la lourdeur de la touche que par l’absence de modulation des couleurs, certains sont directement appliqués sur les lacunes sans masticage préalable, d’autres encore sont mats. Une partie d’entre eux recouvre visiblement des accidents du support tandis que les autres semblent appliqués sur une matière régulière. . . Ces observations font d’emblée penser à plusieurs générations d’interventions.

2 Bien qu’il ne soit fait mention dans les archives que d’une intervention sur le support, il est clair que l’essentiel des retouches et repeints datent d’après le rentoilage de 1958 une fois le dévernissage et l’élimination des chancis réalisés. La peinture est couverte de plusieurs couches de vernis oxydés et irréguliers qui confèrent une forte coloration jaune à l’ensemble. Ponctuellement le vernis est chanci d’où un aspect gris et opaque.

Afin de déterminer l’état de conservation du support et de la couche picturale sous les repeints et les retouches, une première série d’examens : radiographie et imagerie scientifique ( infrarouge, lumière rasante et fluorescence ultraviolette) a été effectuée en septembre 2006 par le Centre de Recherche des Musées de France.

La radiographie de la partie centrale du tableau a révélé l’étendue des altérations du support et de la couche picturale: les incrustations de toile et les déchirures sont bien visibles, de même que les lacunes de peinture. L’organisation des lacunes en fins réseaux le plus souvent linéaires – et parfois parallèles entre eux - avec ramifications multiples sont des conséquences de l’enroulement et du stockage de la toile après les bombardements.

La fluorescence ultraviolette et les clichés en infrarouge, réalisés sur toute la surface du tableau, complètent les informations révélées par la radiographie puisqu’ils mettent la totalité des retouches et repeints en évidence. L’examen comparatif ( pour la partie centrale) des radiographies et des clichés pris sous fluorescence d’ultraviolet et dans l’infrarouge nous permet de faire la distinction entre les retouches correspondant aux altérations du support et aux lacunes de matière picturale et les repeints qui couvrent une matière non lacunaire quoique usée. Nous pouvons voir que les retouches sont largement débordantes et les repeints très nombreux. Ces observations, documentées pour la partie centrale de la peinture, valent également pour la totalité du tableau.

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Les différences de fluorescence des repeints et retouches confirment l’existence de plusieurs campagnes de restaurations. Ces restaurations sont disséminées sur toute la surface de la peinture, elles sont plus nombreuses aux extrémités qu’au centre. Le vernis apparaît en outre extrêmement irrégulier. L’infrarouge révèle par ailleurs de multiples petites lacunes et un état de surface très usé. L’imagerie scientifique fait encore ressortir la différence de facture de la peinture sur les bords latéraux de même que les traces d’un premier champ de clouage sur la toile d’origine. Ces observations confirment que les rajouts latéraux ne sont pas des reconstitutions de zones disparues et que le format d’origine de l’œuvre est inférieur à celui que nous observons actuellement. En outre, la toile est tendue sur un châssis chanfreiné, fixe et très lourd.

En complément aux examens réalisés par le Centre de Recherche des Musées de France, nous avons effectué une série de tests visant à compléter les informations révélées par la radiographie et l’imagerie scientifique.

3 Notre but était de mieux connaître l’état de conservation de la couche picturale sous les vernis, les retouches et les repeints, nous souhaitions également savoir comment la matière se comportait au contact des solvants.

Le choix des zones testées a été fait à partir des informations données par la radiographie et la fluorescence ultraviolette. 8 zones ont été soumises à des tests sous forme de fenêtres de dévernissage et de dégagement des repeints. voir relevé des tests.

- Atelier Noëlle JEANNETTE et Julien CHAMPLON - Conservation Restauration de Peintures – test 1 : Dans cette zone les retouches et repeints sont visibles à l’œil nu et sous fluorescence ultraviolette, la radiographie montre l’étendue précise des lacunes de couche picturale. Nous observons au moins deux types de retouches : directement sur la toile sans masticage préalable, et sur mastics. Une partie des mastics est trop maigre.

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La première prise de vue montre la zone après décrassage avec une solution d’eau déminéralisée faiblement ammoniaquée (1 %). La solution a permis le décrassage de la surface ainsi que le dégagement d’une partie des repeints : les repeints du front dont les témoins sont bien visibles sur la partie gauche de la photographie ont en grande partie disparus. Les retouches réalisées sans masticage préalable des lacunes ou sur des mastics maigres ( barbe et collerette ) ont été dégagées totalement. Sur la seconde prise de vue, la surface est dévernie et la totalité des repeints dégagée. Après une série de tests, le solvant utilisé est un mélange de DMF / toluène dans les proportions 15 / 85. La couche picturale débarrassée de son vernis jaune et épais et des retouches et repeints très largement débordants, présente de nombreuses lacunes et usures de matière découvrant la préparation sur les crêtes de la toile. Ces tests révèlent qu’au moins deux générations de retouches et repeints peuvent être recensées : sur mastics roses ( barbe et collerette ) et sur mastics gris. Les premiers s’avèrent sensibles à la solution ammoniaquée, contrairement aux seconds. Les repeints et retouches correspondant aux mastics gris paraissent localement recouverts par ceux correspondant aux mastics roses qui sont donc postérieurs. La présence de vernis entre les deux types de repeints n’est pas aisément discernable ce qui pourrait s’expliquer par le dévernissage effectué pour éliminer les chancis dont parle le restaurateur dans son courrier du 12 mars 1958. - Atelier Noëlle JEANNETTE et Julien CHAMPLON - Conservation Restauration de Peintures – test 2 : La zone est particulièrement chaotique, elle est déformée par les plis et déchirures du support, les repeints grossiers sont visibles à l’œil nu et sous rayonnement ultraviolet, ils paraissent de différentes natures.

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La seconde prise de vue montre la surface après décrassage. Les repeints sont partiellement solubilisés par une solution d’eau déminéralisée et d’ammoniaque concentré à 1%. L’allègement de vernis et le dégagement des repeints au DMF / toluène dans les proportions 15 / 85 révèle une épaisse enduction rose « crayeuse ». Cette enduction recouvre une lacune de couche picturale de plus d’1 cm de largeur et une déchirure de la toile d’origine. La régularité de la lacune autour de la déchirure pourrait être le fait d’un grattage de la couche picturale avant collage du support. Sous l’enduit rose, des résidus de préparation grise et de la couche picturale d’origine sont visibles. On observe par ailleurs que les bords de la toile déchirée sont déformés et ne sont pas collés bord à bord. Une déchirure de ce type est visible également sous le test entre les yeux du sujet. Ce traitement du support lors du rentoilage explique la formation de plis sur l’ensemble du tableau.

- Atelier Noëlle JEANNETTE et Julien CHAMPLON - Conservation Restauration de Peintures – test 3 : Retouches et repeints bien visibles sous ultraviolet et à l’œil nu. Différentes générations de retouches, avec et sans masticage préalable des lacunes. Une couture du support d’origine se devine entre l’oreille et la joue du sujet à dextre.

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Comme pour les tests de décrassage effectués sur la première zone, les repeints appliqués sans masticage préalable ou sur les mastics de teinte rose sont sensibles à la solution d’eau déminéralisée faiblement ammoniaquée ( 3° prise de vue, de part et d’autre du nez). Un mélange de DMF / toluène 15 / 85 permet l’allègement de vernis et le dégagement des retouches et repeints de différents types. Les observations sont identiques à celles de la zone 1 : les retouches et repeints sont très largement débordants, les lacunes et usures sont nombreuses. Au moins deux générations d’interventions apparaissent sur mastics gris ou roses. On notera en outre le soin apporté à la retouche des fines lacunes verticales du front par de petits traits horizontaux sur mastics gris, qui côtoient un grand nombre de restaurations grossières plus tardives.

- Atelier Noëlle JEANNETTE et Julien CHAMPLON - Conservation Restauration de Peintures – test 4 : Située sur une couture du support original, la radiographie révèle une lacune de matière, les repeints sont visibles à l’œil nu et sous fluorescence ultraviolette.

7 La prise de vue avant les tests montre une surface encrassée et des repeints désaccordés et posés en aplats, les motifs et détails du vêtement sont grossièrement rehaussés. Le décrassage a été effectué avec une solution d’eau déminéralisée faiblement ammoniaquée. Le repeint sur mastic rose situé à dextre de la zone a également été solubilisé par la solution. Sur la deuxième prise de vue, le dégagement de la totalité des repeints et l’allègement de vernis ont pu être réalisés au DMF / toluène dans les proportions 15 / 85 et 10 / 90. Un double masticage de la couture est mis à nu : mastic rose sur mastic gris, le large repeint à senestre couvre de petites lacunes comblées au mastic gris. Les couches colorées sont très usées, les glacis ont disparu.

- Atelier Noëlle JEANNETTE et Julien CHAMPLON - Conservation Restauration de Peintures – test 5 : Située sur le pli diagonal du support, dans une zone où des lacunes apparaissent à la radiographie et un repeint largement débordant aux ultraviolets.

8 La prise de vue avant les tests montre un encrassement important, les retouches qui couvrent les plis du support sont mates et appliquées sans masticage préalable ou sur des mastics trop maigres.. Après décrassage de la surface puis dégagement des repeints et allègement de vernis au DMF / toluène dans les proportions 15 / 85 on peut voir que tout le haut de la manche est couvert d’une enduction épaisse de mastic rose. Plus bas sur la manche, dans les rouges, les glacis ont disparu. Le repeint couvre également la peinture originale, son dégagement au dessus du coude révèle une matière picturale usée où de petits mastics gris apparaissent.

- Atelier Noëlle JEANNETTE et Julien CHAMPLON - Conservation Restauration de Peintures – test 6 : Concerne l’incrustation de toile bien visible sur la radiographie, au centre.

9 Sur l’incrustation, le dégagement de la retouche est effectué avec une solution d’eau déminéralisée et d’ammoniaque concentré à 1%. L’incrustation est enduite d’un mastic ivoire et lisse qui paraît avoir été appliqué avant le collage : il ne comble pas les bords de la lacune.

- Atelier Noëlle JEANNETTE et Julien CHAMPLON - Conservation Restauration de Peintures – test 7 : Repeint dans les fonds, la fluorescence ultraviolette n’est pas homogène.

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Outre les crasses, la solution ammoniaquée élimine les repeints sur mastics rose clair. Ces repeints et ceux de la zone 1ère zone de tests qui sont également sensibles à la solution ammoniaquée, semblent appartenir à la même campagne de restauration. L’allègement de vernis et le dégagement des repeints restant ont ensuite été possibles au DMF / toluène 15 / 85. Les repeints dégagés révèlent des zones de peinture originale usée et lacunaire où la préparation grise est visible et des mastics gris. Ces derniers couvrent localement les mastics roses évoqués précédemment. test 8 : Sur le bord à dextre comme à sénestre les repeints sont nombreux et grossiers, la couche picturale est lacunaire et usée, les altérations du support nombreuses.

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11 En conclusion

Il ressort de cette étude de la peinture de Cornelis Engelszen que les altérations du support et de la couche picturale sont nombreuses. Ainsi, après son rentoilage en 1958, la toile conserve d’importants défauts tels que plis, déformations et incrustations visibles dues à une mauvaise mise en œuvre de l’intervention. La couche picturale est par ailleurs dénaturée par un grand nombre de repeints et retouches grossiers et désaccordés. L’imagerie scientifique et les tests ont montré que sous ces restaurations la matière picturale présente d’importantes lacunes et usures. Ces altérations, comme celles du support, sont plus prononcées et étendues sur les lais de toile dextre et sénestre qu’au centre.

Pour retrouver son intégrité, le tableau devra faire dans un premier temps l’objet d’une « dérestauration » complète consistant à libérer le support du rentoilage actuel et à dégager la couche picturale des vernis, retouches et repeints débordants. Une nouvelle consolidation du support, après résorption de ses déformations et collage des déchirures, suivie du masticage des lacunes et de leur réintégration, pourra alors être envisagée. Les zones totalement lacunaires comme celles correspondant par exemple aux incrustations de toile ou aux éléments de visages disparus pourront éventuellement être reconstituées.

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12 Vue sous rayonnement UV (ultraviolet), couleur Conservation Restauration de Peintures Atelier Noëlle Jeannette 3 rue de l’église 67 530 Boersch tél-fax : 03 88 83 73 83

Siret:404 490 484 00015 – APE 923 A TVA: FR09 404 490 484 Bischheim, le 6 novembre 2008

A l’attention de Monsieur D. Jacquot Conservateur du Musée des Beaux Arts Palais Rohan Place du Château 67 000 Strasbourg devis 2008 – 35

Devis pour intervention de conservation sur une peinture de Cornelius Engelszen représentant une compagnie d’Arquebusiers, huile sur toile, 172,5 x 512 cm s. c.

Réactualisation du devis 2005 - 59 du 29 novembre 2005 sur la base de l’évolution du coût de la construction. Indices de référence : 2ème trimestre 2005 et 2ème trimestre 2008, soit 17%.

Constat d’état

Couche picturale :

La couche picturale est fine ; Elle présente de nombreuses usures ; Son encrassement est important ; Le vernis est jauni; Les mastics et repeints débordants et désaccordés sont nombreux. Les visages (qui sont au nombre de 47) sont défigurés par des repeints grossiers qui ne sont plus dans le ton, les plis de la toile constituent également d’importantes zones de repeints ; La matière picturale est déformée par les plis du support ; Les soulèvements de matière picturale sont localisés; Le format d’origine de la couche picturale est agrandi de quelques centimètres à dextre et sénestre par des bandes grossières d’enduit teinté ;

Support :

Le support original est fin et constitué de 4 lais assemblés par des coutures ; L’œuvre est rentoilée, une tarlatane intermédiaire est visible sur les bords de la toile ; Sa tension est correcte ; Les bords de la toile originale sont irréguliers ; Le rentoilage présente d’importants défauts : la toile originale a de très nombreux plis - aspect de vagues - Un pli important dans la diagonale à sénestre perturbe particulièrement la lecture de la peinture ; Les nodules de colle sont nombreux, en particulier dans les déformations de la toile; Le support d’origine est localement affaibli par des déchirures: dans le pli diagonal, dans une cou- ture ; Elle est localement lacunaire, les trous sont comblés par des mastics non structurés;

Châssis : il ne s’agit pas du châssis d’origine ; il est chanfreiné et fixe, très lourd ; Ses dimensions sont supérieures aux dimensions d’origine ;

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Intervention proposée sur la couche picturale

Avant dégagement du rentoilage ancien: décrassage ; allègement de vernisnt de l’enduit des bords latéraux et restitution des dimensions originales ;

Après consolidation du support: masticage des lacunes et structuration des mastics; retouchees usures de la couche picturale seront laissées en l’état tant que la lecture et l’homogénéité de l’œuvre n’est pas perturbée ; vernissage ; pose d’un bordage ;

Intervention proposée sur le support déclouage de la toile du châssis et enroulement sur rouleau, transport ; protection de la couche picturale par un cartonnage et mise en tension sur bâti ; dégagement du support de renfort ( toile et tarlatane) par arrachage et au scalpel ; assainissement du dos de la toile originale : dégagement des résidus de colle mécaniquement et par l’action de gels. Cette intervention longue et délicate en raison de la finesse du support d’ori- gine est essentielle pour permettre ensuite le refixage de la couche picturale au support et la conso- lidation du support par un rentoilage ; collage fil à fil des déchirures, incrustations de toile au niveau des trous, consolidation des cou- tures ; résorption des plisant en œuvre l’action conjuguée de la chaleur, de l’humidité et de la pression alliées à la mise en extension du support. Le séchage pourra se faire sur table chauffante à basse pression. Il sera peut être nécessaire de placer l’œuvre en chambre humide afin de faciliter la relaxation à la fois de la toile et de la couche picturale ; refixage généralisé des soulèvements ; consolidation du support : réentoilage ou doublage de contact. Le choix de la technique se fera en fonction de l’état de conservation du support; rentoilage vers de la toile avant de poser le support de rentoilage à la cire résine. Ainsi la colle de pâte empêche l’imprégnation du support d’origine par la cire résine. La toile est rigidifiée et consolidée ; doublage de contact : les matériaux mis en œuvre sont synthétiques, la rigidité et le maintien de la toile sont moins importants que dans le cas du rentoilage ;

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Châssis

Nous proposons le remplacement du châssis actuel par un châssis réglable en aluminium, chan- freiné et adapté aux dimensions de l’œuvre, de type Châssitech ;

Transport

Le tableau pourra être transporté roulé, après protection des zones fragiles, du musée à notre atelier. Il n’est pas souhaitable en revanche que le retour de la peinture au musée se fasse de la même manière et nous proposons – en raison du format de la toile - de faire appel à un transporteur spécialisé.

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