1919-1945 : CRISE ET GUERRE

Par Sean Mills

Sous la direction de Brian Young, Université McGill

Sur la scène politique ...... 1 William Lyon Mackenzie King ...... 1 R.B. Bennett et son « New Deal » canadien ...... 2 Les luttes sur les compétences constitutionnelles ...... 3 La Commission Rowell-Sirois ...... 4 Sur la scène économique...... 5 L’après-guerre...... 5 Le Mouvement des droits des Maritimes...... 5 La prospérité économique des années 1920...... 6 La Crise de 1929 ...... 6 La dépression dans l’Ouest, le Centre et l’Est ...... 7 La vie durant la dépression ...... 8 Les camps de secours...... 8 Colère et frustration...... 9 Sur la scène idéologique...... 10 Les nouveaux groupes politiques...... 10 L’opposition au libéralisme classique...... 10 L’extrême gauche ...... 11 L’extrême droite ...... 11 La Co-operative Commonwealth Federation ...... 12 La naissance du « néo-libéralisme » ...... 12 La Deuxième Guerre mondiale...... 13 Adélard Godbout...... 14 L’effort de guerre du Canada et la conscription ...... 14 Les femmes et la guerre ...... 15 La fin de la guerre et l’émergence d’un nouveau Canada ...... 15 Suggestions de lecture ...... 17

Musée McCord d’histoire canadienne

1919-1945

Sur la scène politique William Lyon Mackenzie King

Le radicalisme ouvrier de l’après-guerre se poursuit au début des années 1920, avant de perdre graduellement son élan révolutionnaire. Les élections de 1921 voient naître une nouvelle ère politique canadienne. L e Parti progressiste, un parti de protestation qui défend principalement les intérêts des agriculteur, surprend tout le monde en se classant deuxième avec 64 sièges. Le Parti libéral de William Lyon Mackenzie King, un ancien fonctionnaire possédant une vaste expérience des relations de travail, prend cependant les rênes du pays, qu’il conservera pendant la majeure partie des trois prochaines décennies. Les élections de 1921 marquent également un point tournant dans l’histoire des femmes au Canada. Signe du rôle grandissant qu’elles allaient jouer dans l’arène politique, Agnes Macphail devient la première femme députée. Mais les femmes, qui n’ont pas encore le statut de « personnes » au sens de la loi, demeurent exclues du Sénat canadien et continuent d’occuper des rôles subordonnés dans presque toutes les sphères de la société. Au lieu de prétendre à la victoire, elles accueillent le droit de vote et l’accès d’Agnes Macphail à la Chambre des communes comme un premier pas de la lutte féministe qui se poursuivra tout au long du siècle.

Malgré de grands efforts, le gouvernement King perd rapidement de sa popularité, surtout dans les Maritimes et dans l’Ouest. En 1925,

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lors des élections suivantes, il doit se contenter d’un gouvernement minoritaire. Conscient du fait qu’il n’est plus en position de gouverner, Mackenzie King demande au gouverneur général, Lord Byng, de dissoudre la Chambre des communes. Lord Byng refuse et demande au chef conservateur Arthur Meighen de former un gouvernement. Mais le gouvernement Meighen s’écroule rapidement et, lors des élections suivantes, Mackenzie King reprend facilement le pouvoir grâce à une campagne axée sur la « stabilité » et la « démocratie ». Or, diriger un pays en période de prospérité économique est plutôt facile comparativement aux défis posés en période de récession. Quand l’économie se met à s’effondrer, les provinces s’adressent à Ottawa pour obtenir des fonds de secours. Mackenzie King montre alors à quel point il est insensible aux préoccupations de l’électorat. Opposé à l’octroi de fonds de secours, il prononce en Chambre des communes un discours désastreux que ses opposants ne seront pas prêts d’oublier. Fier de son budget équilibré, il riposte à la demande des provinces en affirmant que « pour combattre le prétendu problème de chômage », il n’accorderait « même pas une pièce de cinq cents ». Moins de quatre mois plus tard, le 28 juillet 1930, la population punit Mackenzie King de son indifférence en donnant aux conservateurs de R.B. Bennett une majorité de 137 sièges contre 91 à la Chambre des communes.

R.B. Bennett et son « New Deal » canadien

Il ne faut pas attendre longtemps, toutefois, avant que la colère de la population à l’endroit de Mackenzie King ne s'abatte à son tour sur Bennett. À mesure que la dépression s’intensifie, l’image d’homme d’affaires millionnaire que renvoie Bennett commence à contrarier la population affamée. Pendant la plus grande partie de son mandat,

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Bennett, un partisan de l’économie de laisser-faire, refuse ardemment d’étendre le rôle de l’État. La population et son propre cabinet sont donc surpris de l’entendre annoncer un programme de réforme économique et sociale d’envergure quelques mois avant les élections fédérales de 1935. Sur les traces de l’Américain Franklin D. Roosevelt, Bennett présente à la radio les paramètres de sa nouvelle plate-forme d’action gouvernementale. Mais ses nouvelles propositions de réforme arrivent trop tard, et la population peu convaincue redonne le pouvoir au gouvernement libéral de Mackenzie King. Malgré une campagne libérale fondée sur le slogan « King ou chaos », un nombre sans précédent de Canadiens, méfiants des partis politiques traditionnels et des politiciens indifférents, ne votent ni pour les libéraux ou les conservateurs. Plus la richesse de la population canadienne s’évapore et plus les partis de protestation acquièrent de la popularité.

Les luttes sur les compétences constitutionnelles

Compte tenu du niveau sans précédent de misère causé par la dépression, les querelles sur les compétences constitutionnelles et le financement des programmes sociaux se font constantes entre les différents paliers de gouvernement. Lorsque King reprend le pouvoir en 1935, il somme la Cour suprême de trancher sur la validité constitutionnelle des mesures législatives du « New Deal » de Bennett. La Cour déclare anticonstitutionnels les éléments principaux du programme, à la grande consternation des sociaux-démocrates canadiens qui y avaient enfin vu un signe de réforme. Les compétences constitutionnelles préoccupent également la classe politique provinciale. En 1936, Maurice Duplessis et son parti de

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l’Union nationale1 mettent fin à 39 années de règne libéral au Québec. Faisant fi des promesses de réforme qu’il avait faites durant sa campagne électorale, le premier ministre Duplessis fait la cour aux grandes entreprises et à l’Église catholique, réprime le mouvement syndical et promet de « défendre » le Québec contre l’ingérence fédérale dans les secteurs de compétence provinciale. Pendant que Duplessis tient les rênes du pouvoir au Québec et défend ardemment les compétences constitutionnelles de la province, Mitchell Hepburn suit une politique semblable en Ontario. Ensemble, Duplessis et Hepburn cherchent à défendre les compétences provinciales et, par conséquent, s’opposent farouchement au programme d’assurance- chômage de Mackenzie King.

La Commission Rowell-Sirois Durant la seconde moitié des années 1930, la question des compétences constitutionnelles empoisonne constamment l’atmosphère politique. King, qui s’oppose à toute action décisive permettant d’atténuer les effets de la dépression, forme la Commission royale d’enquête sur les relations entre le Dominion et les provinces, mieux connue sous le nom de Commission Rowell-Sirois, chargée d’étudier la situation et d’émettre des recommandations. Le fait de soumettre la question à un comité permet à King d’éviter de prendre des mesures concrètes, du moins dans l'immédiat.

1 Le gouvernement de l’Union nationale a été créé au Québec à la suite de la fusion du petit Parti conservateur provincial de Duplessis et d’un groupe de libéraux mécontents. Après avoir gagné ses élections, cependant, Duplessis a réussi à prendre le plein contrôle du parti.

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Sur la scène économique L’après-guerre

Au lendemain de la Grande Guerre, le gouvernement d’union et les libéraux qui l’ont remplacé prônent le retour à des doctrines économiques libérales d’avant-guerre, qui accordent la primauté aux « forces du marché » et s’opposent à toute forme d’intervention de l’État. Dans un tel contexte, les Canadiens sans-emploi souffrent et, faute de système d’assistance publique appréciable, sont obligés de compter sur des dons privés et des mesures de soutien locales mal administrées.

Le Mouvement des droits des Maritimes Dans l’Est du Canada, la fin de la guerre marque le début d’une crise économique sans précédent. Frappée par une récession et une vague croissante de radicalisme ouvrier, la région connaît une chute de 40 % de sa production agricole entre 1917 et 1921. Pis encore, pendant que le reste du pays connaît la prospérité économique durant la deuxième moitié des années 1920, l’économie des Maritimes n'arrive pas à sortir du marasme de l'après-guerre, et plus de 100 000 personnes doivent quitter la région pour trouver un emploi dans des lieux plus prospères. Cet exode crée un déclin relatif de la population des Maritimes par rapport au reste du pays et entraîne une réduction du nombre de ses représentants à Ottawa (Conrad et Finkel, p. 232).

Le gouvernement fédéral semble indifférent aux difficultés de la région, ce qui n'aide en rien la situation. Aux yeux des habitants des Maritimes, il ne fait que satisfaire les intérêts du Centre et de l’Ouest du Canada. Par exemple, durant la guerre, la fusion du chemin de fer Intercolonial et de la Compagnie des chemins de fer nationaux du

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Canada signifie des pertes d’emplois et, pour Halifax et St-Jean, la fin du statut de plaques tournantes du commerce international. Rassemblant des groupes divers et dirigé principalement par l’élite professionnelle et du monde des affaires, le Mouvement des droits des Maritimes exige, outre des subventions fédérales plus importantes, la prise en compte des intérêts de la région dans les politiques nationales en matière de transport et de tarifs. Le mouvement joue un rôle important sur la scène politique électorale des années 1920, obligeant même la création de la Commission royale sur les réclamations des provinces maritimes (1926), avant de disparaître à la fin de la décennie. Le gouvernement King fait cependant fi de la plupart des recommandations de la Commission (Conrad et Finkel, p. 232-233).

La prospérité économique des années 1920 Les difficultés économiques du début des années 1920 font lentement place à la croissance durant la seconde moitié de la décennie. S’appuyant sur une économie américaine forte, de nouvelles industries manufacturières voient le jour en Ontario. Le Québec, qui connaît également une expansion de son secteur manufacturier, se tourne vers l’exploitation des richesses naturelles. Grâce au capital et au savoir-faire canadiens et américains, les secteurs miniers, forestiers et hydro-électriques occupent une place centrale dans les économies ontarienne et québécoise. Les villes prennent de l’expansion au même rythme que les industries. La population de Toronto augmente de 32 % durant cette période et celle de Montréal grimpe de 38 % (Brown, p. 426).

La Crise de 1929 La prospérité économique qui, en général, caractérise la période s’amorçant en 1896, connaît une fin brutale en 1929. L’effondrement

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de la bourse américaine n’est que le symptôme le plus visible de problèmes économiques majeurs. Il faut peu de temps au Canada, comme à la plupart des pays occidentaux, pour sombrer dans une profonde dépression. Afin d’adoucir les effets de l’effondrement, les nations ont recours à des politiques protectionnistes qui, selon elles, protègeront leurs industries intérieures. Pour le Canada, qui dépend de ses exportations agricoles (80 % des produits agricoles canadiens sont exportés et la récolte de 1928 a déjà produit un surplus sur le marché), la crise a des effets catastrophiques.

La dépression dans l’Ouest, le Centre et l’Est Alors que l'on croit avoir vu le pire, les Prairies, déjà durement frappées par la crise économique, subissent l’une des pires sécheresses et invasions de sauterelles de leur histoire. Les récoltes sont dévastées et un grand nombre de gens perdent leurs moyens de subsistance. L’industrie manufacturière canadienne en ressent aussi les contrecoups et sa production chute du tiers entre 1929 et 1932 (Thompson, p. 196). Le taux de chômage du Canada grimpe de façon draconienne de 13 % en 1930 à 26 % en 1933, et le revenu net passe de 417 millions de dollars à 109 millions de dollars durant la même période (Cook, p. 444; Morton, p. 107). Mais aucune région ne peut comparer son désespoir à celui de Terre-Neuve (qui ne fait pas encore partie du Canada). L’effondrement des marchés d’exportation des richesses naturelles s’avère désastreux pour la colonie, dont les pêches, les produits forestiers et les minéraux représentent 98 % des exportations. Aux prises avec une dette écrasante et un malaise social grandissant, la chambre d’assemblée de Terre-Neuve décide, en désespoir de cause, de suspendre la démocratie et de céder le pouvoir

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à une commission nommée par les Britanniques et chargée de diriger la province tout au long de cette décennie tumultueuse.

La vie durant la dépression

À mesure que l’économie s’effondre et que le taux de chômage grimpe, les prix chutent. Pour les travailleurs qui réussissent à conserver leur emploi, la baisse du coût de la vie compense amplement les réductions salariales. Les fonctionnaires du gouvernement du Dominion connaissent même une hausse du niveau de vie de 25 % entre 1926 et 1933 (Bliss, p. vi). Pour les sans-emploi, cependant, la situation est tout autre : à une époque où l’on associe la pauvreté à de mauvaises valeurs morales ou au manque d’initiative, il y a peu de structures de soutien, voire aucune, en place pour amortir le choc. Durant toute la décennie, les administrations fédérale, provinciales et municipales se renvoient la responsabilité des frais de secours. Et lorsqu’elles offrent enfin de l’assistance, celle-ci s’accompagne de critères de résidence stricts et de travaux forcés. Les préjugés de la classe dirigeante, voulant qu'il y ait de l’emploi pour ceux qui veulent vraiment travailler, affectent sévèrement les personnes dans le besoin. Si les chômeuses acceptent souvent des emplois avilissants comme domestiques, les chômeurs célibataires ont plutôt tendance à traîner les rues, et constituent par conséquent un grave danger social aux yeux du gouvernement.

Les camps de secours

Pour composer avec la situation, les administrations fédérale et provinciales créent des camps de secours. Sous discipline militaire (les camps fédéraux sont même administrés par le ministère de la Défense

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nationale), les chômeurs célibataires sont forcés d’y travailler pour un salaire d’environ 20 cents par jours.

Colère et frustration Au bord de la famine, de nombreux Canadiens éprouvent le besoin d’écrire au premier ministre Bennett pour lui raconter leur misère. Dans sa lettre au premier ministre, Charles Grierson exprime bien le désespoir ressenti par un grand nombre de Canadiens :

Cher Monsieur - Il y a quelque temps, je vous écris une lettre pour vous demander de l’aide ou un travail. Ça fait maintenant 40 mois que je n’ai pas eu le plaisir de recevoir une paye. Sous-alimentée, mal vêtue et sans abri décent, ma famille a besoin d’assistance médicale. Combien de temps pensez-vous qu’on peut continuer comme ça? Vous avez dit que personne ne mourrait de faim au Canada. J’imagine que vous vouliez dire mourir de faim du jour au lendemain. Mais lentement notre famille et des milliers d’autres risquent de le faire peu à peu…. Pour l’amour de Dieu, s’il- vous-plaît faites personnellement quelque chose pour m’aider à améliorer notre situation immédiatement. Bien à vous, Charles Grierson [traduction libre] Certaines personnes s’en prennent même personnellement au premier ministre qui, selon elles, n’en fait pas assez pour aider la population. La lettre suivante d’un ouvrier anonyme résume clairement la colère collective du peuple canadien :

Eh bien, M. R.B. Bennett, êtes-vous un homme ou non? pour être la cause de toute cette famine et privation. Vous nous appelez des misérables, mais si nous sommes des misérables, vous n’êtes rien d’autre qu’un misérable vous aussi. Même pire. Vous avez dit que si vous étiez élu, vous alliez tous nous donner des emplois et un salaire. Eh bien, vous êtes premier ministre depuis quatre ans, et nous cherchons encore un emploi et un salaire. Vous nous avez enlevé tous nos emplois. On ne peut plus gagner de l’argent. Vous dites qu’on mérite un camp de secours, mais vous n’en méritez même pas un, M. Bennett. Vous profitez vous-même du secours. Vous mettez de côté votre gros salaire du gouvernement, puis lui demandez de payer pour vos festins pendant que nous, pauvres hommes, nous mourons de faim (cité par Bliss, p. 47 et 95). [traduction libre]

La pauvreté aiguë et le manque d’emplois valorisants ne peut faire autrement que d’inciter la population à remettre en question les structures économiques et politiques existantes, voire même à

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chercher à les remplacer. Les années 1930 connaissent donc un élargissement sans précédent de l’éventail politique et d’une grande effervescence d’idéologies.

Sur la scène idéologique Les nouveaux groupes politiques

La gravité de la crise économique des années 1930 a des répercussions profondes sur la population canadienne. De nouveaux groupes politiques semblent poindre de partout, annonçant leur mécontentement envers le gouvernement et prônant le changement. Les jeunes et les femmes, qui se méfient de la classe dirigeante, expriment leur manque de confiance envers l’élite politique et économique qui dirige la société, se frayent un chemin sur la scène politique et créent des organisations politiques autonomes. Ils s’unissent à des groupes traditionnels à majorité masculine pour remettre en cause les paradigmes libéraux classiques.

L’opposition au libéralisme classique

Fondé sur les concepts de primauté des forces de marché, de liberté individuelle et de droit à la propriété privée, le libéralisme classique domine la pensée politique et économique jusqu’aux années 1930. Mais aux yeux d’une population en détresse constituée d’un nombre sans précédent de chômeurs, le libéralisme classique s’avère incapable de répondre aux besoins de la société. Informées de la situation en Europe par leurs journaux quotidiens, certaines personnes commencent à chercher des solutions de rechange.

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L’extrême gauche

Aux deux extrémités de l’éventail politique, des groupes radicaux s’établissent et suscitent un intérêt sans précédent. À l’extrême gauche, le Parti communiste du Canada (PCC) prône la révolution totale comme seule solution à la crise économique. Fondé en 1921 dans une grange des environs de Guelph, en Ontario, le parti s’emploie à syndiquer différents métiers et obtient un grand succès auprès des ouvriers immigrants. La gravité de la dépression aide la cause du parti, qui commence à acquérir de la popularité parmi les travailleurs canadiens. Mais en raison du danger qu’il constitue pour l’ordre établi, le Parti communiste est soumis à une répression policière brutale. En 1931, son chef Tim Buck et bon nombre de ses membres sont arrêtés et écopent d’une peine de cinq ans au pénitencier de Kingston. Malgré la légalisation du parti par Mackenzie King en 1936, la répression se poursuit. Au Québec, le régime de Duplessis fait fi des libertés civiles et ne tolère aucune dissidence politique. Lors d’une visite de trois délégués de la nouvelle République espagnole en 1936, le clergé – motivé par la peur – demande au gouvernement de sévir contre les communistes. Duplessis est heureux d’accéder à sa requête et fait adopter, en mars 1937, la Loi du cadenas, qui lui permet de cadenasser de force tout édifice utilisé à des fins « communistes ». Les défenseurs des libertés civiles exigent en vain du gouvernement fédéral qu’il rejette la loi.

L’extrême droite

À l’autre bout de l’éventail politique, des groupes d’extrême- droite font également irruption. Durant les années 1930, les partis fascistes trouvent des appuis notamment chez de nombreux immigrants allemands et italiens. Antisémites, anticommunistes et

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antihomosexuels, les fascistes tentent de maintenir l’harmonie sociale et voient d’un bon œil la fierté allemande et italienne restaurée. Le fascisme se répand aussi dans les grandes villes canadiennes, principalement à Montréal, où ses adeptes se présentent comme les défenseurs de la religion catholique et des Canadiens français.

La Co-operative Commonwealth Federation

Outre les organisations communistes et fascistes, d’autres groupes voient le jour qui sont probablement tout aussi radicaux, mais moins extrêmes. La nouvelle Ligue en faveur de la reconstruction sociale, par exemple, exige au début de la décennie l'apport de changements profonds au système économique. Fondée en 1932, la Co-operative Commonwealth Federation (CCF, à l’origine du Nouveau parti démocratique) exerce une influence beaucoup plus grande. Regroupement de nombreux groupes politiques divers, la CCF énonce clairement ses intentions politiques dans son manifeste, citant qu’aucun gouvernement de la CCF ne sera satisfait avant d’avoir fait complètement disparaître le capitalisme et mis entièrement en œuvre le programme de planification socialisée qui mènera à l’établissement au Canada du Commonwealth coopératif. Gagnant peu à peu du terrain sur les scènes provinciales et fédérale, la CCF fait une brèche permanente dans le régime de dualité de parti et constitue une menace sérieuse pour le parti au pouvoir.

La naissance du « néo-libéralisme »

Même si l’apparition de mouvements politiques n’apporte pas de changements radicaux, l’ampleur de la dépression démontre clairement que le chômage ne provient pas simplement d’un manque d’initiative personnelle et que le gouvernement ne peut continuer sans

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revoir ses grandes structures économiques. Dès le milieu des années 1930, par conséquent, de nombreuses personnes commencent à promouvoir un néo-libéralisme fondé sur l’établissement de programmes sociaux universels, l’intervention de l’État en matière d’économie et une rhétorique d’égalité des chances. Repris en partie dans le « New Deal » manqué de Bennett, ce néo-libéralisme trouve ses plus ardents défenseurs parmi un groupe de jeunes économistes qui se frayent un chemin au sein du gouvernement fédéral et jettent les bases du futur État providence de l’après-guerre. Or, en même temps que l’on redéfinit les rôles des administrations provinciales et fédérale et s’apprête à lentement apporter des réformes au Canada, la guerre éclate en Europe et balaie ces questions sous le tapis. Le Canada se prépare en vue d’un nouveau conflit européen.

La Deuxième Guerre mondiale

Comme le fait si bien remarquer Arthur Lower en mai 1939, chaque nouveau jour, « avec son lot d’agressions allemandes, nous fait clairement comprendre que l’ancien ordre mondial, au sein duquel le Canada jouissait d’un grand confort, est en train de disparaître. » Après des années de tensions et de peurs croissantes, le Canada déclare la guerre à l’Allemagne le 10 septembre 1939, sept jours après la Grande-Bretagne. Le gouvernement adopte la Loi sur les mesures d’urgence, qui lui confère la plupart des responsabilités énoncées dans le rapport de la Commission royale Rowell-Sirois. L’impasse dans laquelle se trouve le duo Duplessis-Hepburn et Mackenzie King cède la place à des questions plus pressantes.

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Adélard Godbout

Quand Duplessis annonce la tenue d’élections en octobre 1939, il se présente comme le vrai défenseur du Québec et rappelle aux électeurs qu’ils ont été trahis en étant appelés sous les drapeaux durant la Première Guerre mondiale. Mais quand les dirigeants libéraux promettent qu’il n’y aura pas de conscription, la population leur fait confiance et Adélard Godbout est élu premier ministre du Québec. Au nombre de ses réformes, Godbout accorde enfin le droit de vote aux Québécoises.

L’effort de guerre du Canada et la conscription

Dans l’espoir d’éviter l’envoi de troupes terrestres au combat en Europe, Mackenzie King s’engage à créer un programme de formation de pilotes alliés. En limitant l’effort de guerre canadien à la formation de pilotes, il pense pouvoir échapper au clivage national qui a marqué la Première Guerre mondiale. Mais, outre-mer, la situation se détériore rapidement. Après la « drôle de guerre », l’Europe tombe vite aux mains des forces hitlériennes en progression et la Grande-Bretagne doit lutter pour sa survie. En 1942, les choses se présentent mal pour les Alliés et le Canada passe au stade de « guerre totale ». Pour envoyer assez de soldats en Europe, toutefois, le pays doit une fois de plus recourir à la conscription. Se rappelant la promesse qu’il a faite au Québec de ne pas l’imposer, King décide de résoudre la question par plébiscite national. Lors du vote qui suit, 64 % de la population canadienne se prononce en faveur de la conscription; au Québec, cette proportion n’atteint que 28 %. Même si la conscription n’a pas d’effet considérable sur l’effort de guerre du Canada, elle divise une fois de plus le pays et aura des conséquences bien après la fin de la guerre.

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Les femmes et la guerre

La guerre a également d’importantes répercussions sur la vie des femmes. Même si les postes de combat sont réservés aux hommes, plus de 43 000 d’entre elles se joignent au personnel non combattant de l’Armée canadienne à titre d’infirmières, de secrétaires, de machinistes et autres. Étant donné la pénurie subite de main-d’œuvre masculine au pays, d’autres accèdent pour la première fois au marché du travail et des garderies ouvrent leurs portes pour prendre soin des enfants durant la journée. Quand la guerre finit, toutefois, les garderies ferment; le gouvernement et les hommes s’attendent à ce que les femmes reprennent le travail domestique.

La fin de la guerre et l’émergence d’un nouveau Canada

Tandis que la guerre tire lentement à sa fin, il devient de plus en plus évident que le pays ne sera plus jamais le même. Dans les années 1940, la CCF acquiert rapidement de la popularité à l’échelle fédérale et provinciale. En 1944, le chef de la CCF, , forme le premier gouvernement social-démocrate en Saskatchewan. Pour empêcher une prise de pouvoir complète de la CCF et par désir keynésien de maintenir le pouvoir d’achat et de faire en sorte que le pays ne sombre pas de nouveau dans la misère économique, les libéraux fédéraux entreprennent l’édification d’un État-providence centralisé, basé à Ottawa. La création d’un régime d’assurance- chômage fédéral en 1940 et d’un programme de prestations familiales2 en 1944 marque le début d’une expansion fédérale soutenue. Dans l’après-guerre, le désir de reprendre la vie normale gagne la

2 Aux termes des mesures législatives initiales, les mères d’enfants de moins de 16 ans reçoivent entre 5 $ et 8 $ par enfant.

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population canadienne, les projets de mariage et de famille stoppés pour cause de guerre reprennent, et les nouveaux programmes sociaux offrent un sentiment de sécurité. Ces trois éléments entraînent une hausse de la natalité sans précédent qui se poursuit jusqu’aux années 1960. Pendant la décennie et demie qui suit, l’explosion démographique, l’expansion de l’État et la naissance d’une nouvelle culture de consommation, héritage de la période 1919-1945, jettent les bases de la société canadienne moderne.

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Suggestions de lecture

Pour consulter de bonnes enquêtes sur cette période, voir John Thompson et Alan Seager, Canada, 1922-1939: Decades of Discord (Toronto : McClelland and Stewart, 1985) et Ian Drummond, Robert Bothwell et John English, Canada, 1900-1945 (Toronto : University of Toronto Press, 1987); pour un aperçu de la situation au Québec, voir Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert et François Ricard, Histoire du Québec contemporain: Le Québec depuis 1930, nouvelle édition révisée (Montréal : Boréal compact, 1989); pour un aperçu des répercussions de la dépression sur les idéologies au Québec, voir Idéologies au Canada français, 1930-1939, Fernand Dumont, Jean Hamelin et Jean-Paul Montminy, dir. (Québec : Les Presses de l’Université Laval, 1978). Pour un aperçu de l’agitation politique dans les Maritimes, voir Ernest R. Forbes, Maritime Rights: The Maritime Rights Movement, 1919-1927 (Montréal: McGill-Queen’s University Press, 1979), E.R. Forbes et D.A. Muise, dir., The Atlantic Provinces in Confederation (Toronto : University of Toronto Press, 1993); voir aussi Gary Burrill et Ian McKay, dir., People, Resources and Power: Critical Perspectives on Underdevelopment and Primary Industries in the Atlantic Region (Fredericton : Acadiensis Press, 1987); pour un aperçu des soulèvements ouvriers dans les Maritimes, voir Ian McKay et Suzanne Morton, « The Maritimes: Expanding the Circle of Resistance » dans The Workers’ Revolt in Canada, 1917-1925, Craig Heron, dir. (Toronto : University of Toronto Press, 1998); pour consulter un excellent article sur les difficultés propres à la documentation de l’histoire des provinces de l’Atlantique, voir Ian McKay, « A Note on ‘Region’ in Writing the History of Atlantic Canada », Acadiensis XXIX, vol. 2 (printemps 2000). Pour des ouvrages en histoire sociale de la dépression, voir Blair Neatby, The Politics of Chaos: Canada in the Thirties (Toronto : Macmillan, 1972); pour consulter une série déchirante de lettres adressées à R.B. Bennett durant la dépression, voir Michael Bliss, dir., The Wretched of Canada: Letters to R.B. Bennett, 1930-1935 (Toronto : University of Toronto Press, 1971); pour un regard sur le Québec, voir Dans le sommeil de nos os : quelques grèves au Québec de 1934 à 1944 (Montréal : Black Rose Books, 1975); fait surprenant, peu d’ouvrages ont été écrits sur la condition sociale au Québec durant la dépression; pour une excellente exception à cette règle, voir Denyse Baillargeon, Ménagères au temps de la crise (Montréal : Éditions du Remue- ménage, 1991). Pour le Parti communiste du Canada, voir Ian Angus, Canadian Bolsheviks (Montréal : Vanguard, 1981), Ivan Avakumovic, The Communist Party in Canada: A History (Toronto : McClelland and Stewart, 1975); il existe une vaste documentation sur la FCCA, mais les ouvrages principaux sont ceux de Walter Young, Anatomy of a Party: The National CCF, 1932- 1961 (Toronto : University of Toronto Press, 1969) et Norman Penner, From Protest to Power: Social Democracy in Canada 1900-Present (Toronto : Lorimer, 1992); pour un très bon examen

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du rôle des femmes de la gauche, voir Joan Sangster, Dreams of Equality: Women on the Canadian Left, 1920-1950 (Toronto : McClelland and Stewart, 1989); pour un aperçu spécifique du Québec, voir Andrée Lévesque, Virage à gauche interdit: les communistes, les socialistes, et leurs ennemis au Québec, 1929-1939 (Montréal : Boréal Express, 1984); pour un aperçu de la Ligue en faveur de la reconstruction sociale, voir Michiel Horn, The League for Social Reconstruction (Toronto : University of Toronto Press, 1980); pour un regard sur l’autre extrémité de l’éventail politique, voir Lita-Rose Betcherman, The Swastika and the Maple Leaf (Toronto : Fitzhenry and Whiteside, 1975). Pour des ouvrages sur l’évolution du libéralisme et le rôle des intellectuels dans la fonction publique, voir Doug Owram, The Government Generation: Canadian Intellectuals and the State, 1900-1945 (Toronto : University of Toronto Press, 1986), Barry Ferguson, Remaking Liberalism: The Intellectual Legacy of Adam Shortt, O.D. Skelton, W.C. Clark, and W.A. Mackintosh, 1890-1925 (Montréal : McGill-Queen’s University Press, 1993); pour un aperçu des répercussions de l’émergence de l’État-providence sur les femmes, voir Nancy Christie, Engendering the State: Family, Work, and Welfare in Canada (Toronto : University of Toronto Press, 2000). De nombreux ouvrages ont été écrits sur la Deuxième Guerre mondiale. Pour les ouvrages principaux, voir J.L. Granatstein and Desmond Morton, A Nation Forged in Fire: Canadians and the Second World War (Toronto : Lester and Orpen Dennys, 1989); pour l’ouvrage principal sur la conscription, voir J.L. Granatstein et J.M. Hitsman, Broken Promises: A History of Conscription in Canada (Toronto : Oxford University Press, 1979); pour un examen de l’internement des Japonais durant la Deuxième Guerre mondiale, voir Ann Gamer Sunahara, The Politics of Racism: The Uprooting of Japanese Canadians During the Second World War (Toronto : Lorimer, 1981); pour un regard sur les questions intérieures durant la guerre, voir J.L. Granatstein, Canada’s War: The Politics of the Mackenzie King Government, 1939-1945 (Toronto : Oxford University Press, 1975); pour un excellent aperçu du rôle des femmes durant la guerre, voir Ruth Roach Pierson, ‘They’re Still Women After All’: The Second World War and Canadian Womanhood (Toronto : McClelland and Stewart, 1986).

Musée McCord d’histoire canadienne, mars 2003