enjeux et perspectives DE Developpement Des transports a

Kablan N’Guessan Hassy Joseph Institut de Géographie Tropicale Université de Cocody- [email protected]

Resume Abstract Jacqueville bénéficie d’un site et d’une situation Jacqueville has a site and a situation conducive in favorables au plan physique et humain pour amorcer physical and human to initiate its development. Yet it son développement. Pourtant, il éprouve d’énormes is facing huge difficulties to ensure its food security difficultés pour assurer sa sécurité alimentaire et and mobility of its population, therefore dependent on la mobilité de sa population dépendant de ce fait its external relations. Transport efficiency appears as entièrement de ses relations extérieures. L’efficacité a necessity and thus hydrographic prospect appears des transports y apparaît comme une nécessité twice as important. First it is a source of income vitale et de ce point de vue, l’hydrographie prend through fishing and oil exploration and second it is une double importance. D’abord comme source de a vital communication channel for supplies and from devises importantes à travers la pêche, l’exploitation isolation. However, traffic is impeded by the lagoon pétrolière, mais aussi comme voie de communication Ébrié making it a binding site. Buckets, tray and out- indispensable pour son approvisionnement et pour board used on the lagoon slow dynamic processes son désenclavement. Or, la circulation routière est of economic operators who have not yet overcome entravée par la lagune Ébrié qui en fait un site contrai- insularity. While waiting the effectiveness of a bridge gnant. Les tines, le bac et le hors-bord utilisés sur la to further opportunities to the whole department, the lagune ralentissent ainsi les processus dynamiques combined road - lagoon - road is at present compul- des opérateurs économiques qui n’ont pas encore sory for commercial trade and population mobility. In réussi à s’affranchir de l’insularité. En attendant l’ef- this scheme, N’Djem and Jacqueville are two nodes fectivité d’un pont pour offrir d’autres opportunités joined by a major axis of heavy traffic crossed per- à l’ensemble du département, le transport combiné pendicularly by tracks that rally villages and hamlets route – lagune – route s’avère pour le moment indis- through endless stream of outdated vehicles. This pensable dans les échanges marchands et la mobilité combined transport network is the main source of des populations. N’Djem et Jacqueville sont dans ce income for the town hall and the Maritime Affairs schéma les deux nœuds majeurs joints par un axe Department. de fort trafic traversé perpendiculairement de pistes Key words: Jacqueville, Transportation network, pour rallier les villages et les hameaux grâce à une Combined transport, Means of transportation, Enclo- noria de véhicules surannés. Ce réseau de transport sing (Remoteness), Breaking of load, Food security, combiné est la principale source de revenus de la Spatial mobility mairie et du service des affaires maritimes. Mots-clés : Jacqueville, Réseau de transport, Transport combiné, Moyens de transport, Encla- vement, Rupture de charge, Sécurité alimentaire, Mobilité spatiale.

Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n°2, 2011 83 © (EDUCI), 2011 Introduction Nous faisons l’hypothèse que c’est l’inefficacité du réseau de transport qui est responsable de la Depuis le XVIIe siècle, Jacqueville s’est tourné léthargie dans laquelle se trouve Jacqueville puisque résolument vers la mer pour satisfaire la demande les transports sont une nécessité incontournable européenne en produits tropicaux notamment l’huile du développement de la nation et de ses régions de palme (Berron H., 1979). Les traitants des 3A1 intérieures. servant d’intermédiaires, les planteurs dans l’arrière-pays et les notables se sont enrichis de ces relations séculaires Pour répondre à ces préoccupations, nous avons dont le passé glorieux est atteint au XIXe siècle (Tapinos fait une revue de littérature couplée de deux enquê- G., Vimardi P., Hugon P., 1998). tes de terrain diachroniques. Quatre voyages d’une semaine chacun ont ainsi été effectués entre août L’ouverture du canal de Vridi le 23 juillet 1950 lors de 2007 et octobre 2010 à travers le département afin la construction du port d’Abidjan en eau calme pour mettre d’observer la mobilité des populations et des mar- en relation la lagune Ébrié et l’océan Atlantique a provoqué chandises à différentes périodes de l’année. Nous le détachement de Jacqueville avec le continent. Ainsi, avons pu d’une part rencontrer les interlocuteurs Jacqueville peut tirer profit de ses écosystèmes marin et identifiés parmi les responsables administratifs et lagunaire, de sa diversité culturelle et de ses possibilités municipaux, les transporteurs et leurs syndicats, les agricoles pour développer ses activités commerciales et opérateurs économiques et d’autre part, nous avons touristiques en s’orientant désormais exclusivement vers effectué des suivis de marchandises depuis Abidjan le reste du pays et singulièrement les territoires voisins en jusqu’à Jacqueville et vice-versa. vue d’une meilleure distribution des richesses générées. Département balnéaire d’une superficie de 521 km2 pour 1- Jacqueville, un département à 52 871 habitants (INS, 1998), Jacqueville a été érigé en com- l’abandon ? mune avec 37 villages par la loi n° 80-1180 du 17 Octobre 1980. Distant d’Abidjan de 65 km et se développant sur une À l’instar des départements de la frange littorale, Jac- longueur de 75 km de côtes, il se situe entre au nord, queville présente de nombreux atouts relatifs à son site et l’océan Atlantique au sud, Abidjan à l’est et Grand-Lahou à sa situation qui préfigurent d’avantages comparatifs plus à l’ouest. Il s’étend sur le cordon littoral qui se caractérise importants face à ceux du continent. Pourtant, les activités par une côte sablonneuse isolant la mer de la lagune. Or, et les aménagements qui y sont entrepris ne semblent pas Jacqueville se caractérise aujourd’hui par son manque de en phase avec ses potentialités. dynamisme manifesté par une absence d’agro-industrie2, un 1.1- Des potentialités exceptionnelles tourisme quasi-inexistant et une dépendance commer- ciale avérée pour son approvisionnement en produits La pêche, le tourisme et l’agriculture trouvent un vivriers, manufacturés et industriels. Une rupture de cadre propice pour leur développement à Jacqueville charge causée par la lagune Ébrié sur la seule voie vu son site et sa situation. d’échanges entre Songon et N’Djem exacerbe la communication entre Jacqueville et l’extérieur. - Une économie reposant majoritairement sur les ressources halieutiques Les questions de recherche qui fondent cette étude sont les suivantes : Pourquoi un département Les Alladians semblent être les seuls à avoir dé- ayant des potentialités si importantes n’arrive pas à veloppé la culture de la pêche artisanale maritime. se développer ? Quels sont les facteurs responsa- Ils ont exploité la mer avant l’avènement de la pêche bles de cette léthargie ? Comment les opérateurs industrielle. La richesse de son milieu marin en fait économiques peuvent-ils exercer efficacement leurs un espace convoité tant par les pêcheurs artisans activités ? Quels sont les impacts spatiaux et socioé- marins étrangers et les pêcheurs industriels. La pis- conomiques des transports dans le développement ciculture ainsi que la pêche en mer et en lagune sont de Jacqueville ? des activités lucratives aux mains des populations étrangères majoritairement. La pêche artisanale 1- Les 3 ethnies, Alladian, Avikam et Ahizi originaires du département maritime pratiquée sur le littoral de Jacqueville a été de Jacqueville, sont rassemblées sous l’acronyme 3A initialement le fait des pêcheurs Alladian (Ivoiriens), 2- SICOR, Société ivoirienne de coco râpé, seule industrie du département de Jacqueville a fermé le 30 juin 2006. Fanti et Awlan (Ghanéens) et des colons français.

Kablan N’Guessan Hassy Joseph : Enjeux et perspectives de développement des transports à Jacqueville 84 Les excédents de pêche mis petit à petit sur le mar- 160 000 ché ont attiré progressivement les autres ethnies 140 000 120 000 du littoral. 100 000 80 000 1965 Habitants 60 000 - Pétrole et gaz, objets de convoitise des 1975 multinationales 40 000 1988 20 000 1998 Le sous-sol du département renferme de riches - Alépé Dabou Sikensi Songon Bassam dépôts de minerais, de pétrole et de gaz au large et Bonoua Anyama - Bingerville Jacqueville

à l’intérieur de ses côtes. En effet, en offshore, les Grand hydrocarbures abondent dans un secteur où foison- nent carpe rouge, barre, requin, japon, capitaine, Source : INS, 1965, 1988, 1998 mérou, daurade, raie, pageot, sardine… un milieu TAMA : Taux d’accroissement moyen annuel pittoresque où activités halieutiques et industries TAMA % pétrolières s’excluent mutuellement. Cependant, 1965/1998 1988/1998 spatialement, l’activité pétrolière se caractérise par Anyama 4,80 16,91 le déploiement de plate-formes pétrolières et de Dabou 4,37 15,32 pipelines sur 5 champs dont 4 sont en exploitation Jacqueville 4,20 14,71 (Espoir, Lion, Panthère, Baobab). Bonoua 3,76 13,09 Songon 3,62 12,58 - Des richesses touristiques à exploiter Sikensi 3,55 12,32 Alépé 3,46 11,99 Le littoral ivoirien possède des atouts indéniables au Grand-Bassam 3,29 11,41 développement du pays et du département. Jacqueville Bingerville 2,51 8,60 est un département balnéaire paisible entre la mer et la Figure 1 : Évolution comparée du volume de popula- lagune qui regorge d’une biodiversité et d’un paysage tion avec les sous-préfectures et les dépar- exceptionnels ainsi que d’écosystèmes variés. tements riverains entre 1965 et 1998 Jacqueville bénéficie ainsi d’atouts et d’avantages « Les campements sont installés l’un à la suite de pouvant lui permettre d’amorcer son développement. l’autre de façon régulière sur toute cette portion du Le département qui n’en jouit pas véritablement voit littoral » (Koffié-Bikpo C., 1997). Cette situation s’est cependant les profits générés profiter au gouverne- profondément modifiée actuellement. On dénombre ment et aux groupes d’intérêts étrangers. onze campements de pêche, soit une disparition de 1.2- Un développement compromis ? 68,6 % des campements. Les pêcheurs se sont re- groupés sous l’instigation des autorités administratives. Jacqueville a souvent évolué en marge du dé- « La mer qui était de libre accès est devenue par endroit veloppement général du pays. Il est l’un des moins une propriété privée appartenant à des compagnies attractifs du grand Abidjan alors qu’il compte parmi pétrolières » (Koffié-Bikpo C., 2010). les plus anciens. Selon les statistiques de l’INS de Les pêcheurs marins sont confrontés à deux 1965 à 1998, malgré un taux d’accroissement moyen problèmes majeurs. Il s’agit de l’extraction du pétrole annuel entre 1965 et 1998 classé parmi les plus éle- au large, de la violation des zones de pêche par les vés (4,20 %), l’évolution comparée des volumes des bateaux de pêche et leur corolaire, la baisse de revenu populations par contre est la plus faible (Figure 1). (de 10 000 voire 15 000 FCFA à 5 000 FCFA/jour) On note aussi une déculturation des autochtones consécutive à la chute de la production halieutique (de à l’égard de la pêche artisanale. La politique écono- 2 tonnes à moins d’une demi-tonne par jour). Ainsi, mique du gouvernement n’a pas permis au peuple les zones de pêche réservées à la pêche artisanale Alladian de conserver cette activité. Contraints à se sont violées par les pêcheurs industriels. Qui plus tourner vers l’agriculture, les anciens pêcheurs ont été est, les carcasses des bateaux abandonnés dans la remplacés en mer par les ghanéens (Fanti et Awlan) mer déchirent leurs filets. La direction des pêches et et en lagune par les Béninois, Togolais et Maliens. l’administration territoriale locale n’ont pas encore trouvé de réponses adaptées et définitives.

Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n°2, 2011 85 © (EDUCI), 2011 - De l’agriculture à l’agro-industrie, un passage - Des profits pétroliers centrifuges réussi remis en cause Au large de Jacqueville se trouve la principale L’agriculture est un secteur important dans la zone de production pétrolière de la Côte d’Ivoire qui politique de développement puisqu’employant la qua- a atteint officiellement 18,5 millions de tonnes en si-totalité des autochtones. Le département produit 2009, en hausse de 12,5 % par rapport à l’année aussi bien du vivrier que des produits d’exportation. précédente. Cependant, les populations ne tirent pas Des productions certes insuffisantes mais de bonne profit de la manne apportée par l’or noir et leur cri augure si un engouement est donné dans le sens de cœur a donné naissance à de multiples mouve- d’une prochaine politique d’autosuffisance alimen- ments de protestation. C’est pourquoi, le président taire voire une inversion de la tendance actuelle. de république a annoncé la mise à disposition d’une C’est-à-dire une politique agricole qui viserait l’ex- somme de 600 millions de FCFA. Mais, ce finance- portation si on tient compte des quantités de vivriers ment ponctuel ne saurait satisfaire les populations de importées d’Abidjan actuellement. Jacqueville qui comptent à l’avenir sur des revenus pétroliers réguliers. Les sources de la pollution par Par ailleurs, pour les autochtones, l’État ivoirien a les hydrocarbures sont diverses. Les plus impor- réquisitionné les forêts au seul profit des industriels tantes sont dues généralement aux opérations de qui en ont fait des plantations. Après la Sodepalm3 et ballastage de navires-citernes ou de manutention la Palmindustrie4, ces plantations ont été vendues à la SI- de cargaison. COR, désormais la seule unité industrielle du département qui les exploite depuis un peu plus de 30 ans. - Le tourisme, un secteur encore inorganisé À partir du 30 avril 2006, relativement à la situation Le tourisme balnéaire n’a pas connu le boom es- sociopolitique de la Côte d’Ivoire, le symbole de l’indus- péré, les plages ne sont pas entretenues. Pourtant, les trialisation dans le département procède à une compression produits et les sites variés et riches ne manquent pas des effectifs. dans tout le département. Les opportunités se situent au niveau du tourisme balnéaire (75 km de côtes), du La SICOR a essayé de résister en mettant les tourisme lagunaire (150 km de rives et des îles sur la employés sous contrat et en diversifiant sa produc- lagune et un village lacustre), du tourisme endogène tion. De la production de coco râpé, l’usine choisit (les lacs de Jacqueville et d’Abreby), du tourisme de produire également de l’huile. sportif (rallye automobile, pêche sportive), du tourisme L’échec commercial lié à la mévente du nouveau culturel (bâtisses coloniales, patrimoines traditionnels produit ajouté aux difficultés d’acheminement de la de danses, expressions orales et culinaires). production des noix ont favorisé la délocalisation de Jacqueville se caractérise enfin par le manque la société le 30 juin de la même année, causant la d’équipements majeurs comme les centres com- perte d’emplois de 800 agents en usine et de 1 500 merciaux ainsi que sportifs et culturels. L’hôpital lui- travailleurs dans les plantations. même ne dispose pas de tous les services de soin et nécessite des diagnostics préliminaires voire des 3 Sodepalm : Société pour le développement évacuations vers Abidjan. et l’exploitation du palmier à huile créée en Somme toute, Jacqueville aurait dû ou pu profiter 1964 et remplacée par deux nouvelles struc- de la diversité des milieux physiques et humains tures en 1969 (Palmivoire et Palmindustrie). qui le définissent à l’instar de la quasi-totalité des 4 Palmindustrie : En application de la loi n° autres départements de cette partie du pays. Sans équipements significatifs, il n’arrive pas à exploiter 946-338 du 9 juin 1994, relative à la priva- ses potentialités pour impulser son développement. tisation des participations et actifs de l’Etat La mobilité des biens et des personnes y apparaît ivoirien dans la filière palmier à huile, Pal- comme vital. mindustrie disparaît au profit de nouvelles autres sociétés privées PALMCI, SIPEF-CI et PALMAFRIQUE.

Kablan N’Guessan Hassy Joseph : Enjeux et perspectives de développement des transports à Jacqueville 86 2- Le cadre institutionnel et régle- 2.2- L’application de la réglementa- mentaire des transports tion nationale en vigueur Les ministères des transports et des infrastructu- Des lois et décrets réglementent les activités de res économiques, les collectivités territoriales (mairie transports terrestres et des transports lagunaires en et conseil général) constituent le cadre formel d’un Côte d’Ivoire. Avant l’an 2000, ce sont le décret du développement responsable et durable des trans- 3 octobre 1977 autorisant la navigation des engins ports à Jacqueville. Ils y sont réglementés par des fluviaux dans les eaux maritimes et lagunaires avec lois et décrets que font appliquer ces différentes celui du 3 octobre 1988 réglementant le transport institutions sur place. lagunaire qui sont en vigueur à Jacqueville et en Côte d’Ivoire. 2.1- Des compétences institution- nelles variées En ce qui concerne les transports urbains, l’ordon- nance n° 2000-67 a défini notamment la notion de Plusieurs institutions sont chargées à Jacqueville périmètre de transports urbains ainsi que le principe de de gérer les transports tant sur les plans d’eau que la gestion dans chaque périmètre de transport urbain sur les routes. de l’ensemble des prérogatives d’autorisation pour les transports publics de personnes internes à ce périmè- Service spécialisé du ministère des transports sur tre par un organisme spécifique et fédérateur. les plans d’eau, la Direction générale des affaires maritimes et portuaires (DGAMP5) a essentiellement En vue d’améliorer la coordination institutionnelle pour rôle de veiller sur les plans d’eau, l’organisation et d’assurer l’efficacité opérationnelle et la producti- de la pêche, la réglementation du transport lagunaire et vité des transports urbains, le gouvernement ivoirien l’inspection technique des navires. a mis en place avec l’appui financier de la Banque Mondiale, un nouveau cadre depuis février 2000 avec Sur la partie continentale, l’Ageroute6, service du notamment, la création de l’AGETU9 en tant qu’auto- ministère des transports est chargé de veiller, grâce à rité de régulation de l’ensemble du secteur des transports l’OSER7, à la sécurité routière en faisant parfois intervenir urbains de l’agglomération abidjanaise et les communes les FDS8 . environnantes d’Anyama, de Bingerville, de Grand-Bas- Quant au conseil général, il est mandaté pour sam, de Dabou, de Songon et de Jacqueville. mettre en place les conditions de création de la ri- Les textes réglementaires en vigueur stipulent la chesse et d’assurer la répartition équitable des fruits possession d’un permis délivré par les affaires ma- de cette prospérité au service de la population. Cette ritimes pour la conduite d’engins flottants de plus de prospérité doit se construire sur une économie saine 20 chevaux. Pourtant, les conducteurs de hors-bords et compétitive basée sur les ressources naturelles à Jacqueville en sont dépourvus car formés sur le dont regorge le département. Elles peuvent générer tas. Ils exercent de ce fait dans l’illégalité pendant de manière durable des ressources financières et que la mairie délivre la licence d’exercice de l’activité créer des emplois décents ou en offrir des opportu- contresignée par le ministère des transports. nités de création. Somme toute, la dispersion des responsabilités La gestion du bac est du ressort de l’État. Par (État et collectivités territoriales) dans le secteur ainsi dérogation, le ministère en a confié l’administra- que le développement spectaculaire des services de tion à la mairie. La mairie est chargée de la bonne transport non structurés (minicars et taxis-brousse), marche des activités de transport. Elle recueille les ont davantage contribué à la baisse de la qualité du taxes d’embarcation pour les reverser par la suite à service offert, à la dégradation des conditions de la perception. circulation avec pour conséquences le développe- ment de la congestion, de l’insécurité routière et de la qualité de l’environnement. Ces faiblesses com- 5- DGAMP : Direction générale des affaires maritimes et portuaires promettent le développement durable des transports 6- Ageroute : Agence de gestion des routes de marchandises et des voyageurs. 7- OSER : Office de Sécurité Routière 8- FDS : Forces de défense et de sécurité 9- Agetu : Agence des Transports Urbains

Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n°2, 2011 87 © (EDUCI), 2011 3- La gestion des transports de véhicules et autant pour motos et vélos à Jacqueville. marchandises et de voyageurs Mais à l’analyse, la rentabilité est mise en mal car l’offre est supérieure à la demande et justifie le fait Les transports de marchandises et de personnes que ces acteurs exercent une autre activité d’appoint sont une composante fondamentale de la vie jacque- dans le secteur agricole ou la pêche. villoise et des relations d’échanges avec l’extérieur L’organisation des quais de N’Djem et de Son- notamment Abidjan. La fréquence de la mobilité a gon a permis de mettre en place de petites activités nécessité une organisation des acteurs, un équipe- autour desdits quais. À ce titre, des tenanciers de ment adéquat et un fonctionnement performant des kiosques à café, des gérants de cabines de cellu- transports pour équilibrer l’offre à une demande de laires, des vendeuses de poissons y proposent des plus en plus croissante et exigeante. services aux usagers en attendant la traversée de 3.1- Les animateurs des flux d’échan- la lagune. ges - Une demande de transport exprimée par les commerçantes La mobilité des marchandises et des voyageurs à destination et en provenance de Jacqueville est le Les commerçantes sont devenues des cataly- fait essentiellement des transporteurs et des commer- seurs du transport et de sa dynamique (Photo 1). çants. Ce sont les principaux acteurs du développe- Au Grand marché de Treichville, les femmes de ment spatial et socioéconomique du département. Jacqueville se sont organisées pour louer un maga- - Une offre variée des transporteurs, agents sin pour y exercer leur commerce. Des dizaines de pulsateurs d’échanges sacs d’attiéké sont récupérés le long de l’itinéraire par les transporteurs tous les jours de la semaine à Les syndicats, les transporteurs, les auxiliaires l’exception du dimanche. Ces sacs se distinguent les et les commerçants sont les acteurs majeurs des uns des autres par des signes particuliers allant de la transports à Jacqueville. couleur du cordon d’attache au type et à la couleur Trois syndicats luttent pour l’amélioration des du sac (Photo 1a). En le déshydratant, l’attiéké de conditions de vie et de travail de leurs adhérents. Il Jacqueville peut être conservé plus longtemps et s’agit du Syndicat National des Transporteurs Ter- acheminé vers d’autres horizons. Il connaît de ce restres de Côte d’Ivoire (SNTTCI), de l’Union des fait, un rayonnement qui va au-delà des frontières Transporteurs de Côte d’Ivoire (UNITRACI) et du nationales notamment dans la sous-région, en Eu- Syndicat National des Voyageurs et Transporteurs rope voire en Amérique. de Marchandises (SNVTM). Leur rôle est de veiller à la durabilité de l’activité en défendant les intérêts matériaux et moraux des transporteurs et de leurs auxiliaires. Les revenus sont tirés des ponctions effectuées au départ des véhicules à la gare. Le regroupement en une seule régie aurait amélioré l’efficacité dans la gestion. Dans la pratique et pour l’heure, ils gèrent quotidiennement et à tour de rôle les transports routiers à Jacqueville. Les transporteurs terrestres et lagunaires évoluent dans des domaines différents avec des fonctions com- plémentaires. Sur la partie continentale, les chauffeurs de minicars desservent les lignes entre Jacqueville et Abidjan alors que ceux des taxis-brousse parcourent les lignes intra-départementales depuis Jacqueville jusque dans les villages et hameaux. Photo 1a : Exposition des boules d’attiéké Des auxiliaires de transporteurs gravitent autour et de bouteilles de sel venant de Jacqueville des transporteurs en apportant leur savoir-faire. Ils se au magasin de Treichville rue 6 Avenue 1. composent des mécaniciens auto / moto, des tôliers, des soudeurs, d’électriciens auto ainsi que de vulca- nisateurs. À ce niveau, six garages s’occupent des

Kablan N’Guessan Hassy Joseph : Enjeux et perspectives de développement des transports à Jacqueville 88 3.2.1- Les moyens de transport lagunaire Pour atteindre le département et relier effica- cement Jacqueville à l’extérieur, trois types de transport collectif caractéristiques de Jacqueville permettent le franchissement de la lagune Ébrié. Le bac, les tines et le hors-bord se sont livrés à travers l’histoire du département une concur- rence rude qui s’est graduellement atténuée pour devenir quasiment imperceptible. - Le bac, pour régler politiquement le problème de l’enclavement

Photo 1b : Vente au détail au marché Siporex à Au cours de décennie 1950-1960, le transport Yopougon de crabe, de crevette et de lagunaire était assuré par des pétrolettes (Berron poisson séchés en provenance de Jac- H., 1986) sur les lignes Vridi Ako – Jacqueville et queville. Dabou – Jacqueville. Mais dès 1963, le premier bac a intégré le mode de vie des Jacquevillois. Alors que Photo 1 : Importance des femmes originaires des 3A son utilisation était programmée pour gérer une si- dans la promotion des produits de mer et tuation temporaire, il semble faire partie durablement de terre de Jacqueville dans les commu- du paysage lagunaire (Photo 2). nes abidjanaises

À Siporex (Yopougon), 80 femmes de la COPAV- Cabine de pilotage CI revendent du poisson en provenance de Jacque- Abri des passagers ville. Les espèces concernées sont le capitaine, le Moteurs brochet, la sardine, la carpe, le silure, le machoiron, Plate-forme etc. Hormis le poisson, des quantités importantes de Bec crustacés sont débarqués sur les marchés abidjanais et parfois destinés à l’exportation (Photo 1b). Photo 2 : Les caractéristiques du bac Les femmes sont des actrices efficaces dans la promotion du « label Jacqueville10 » et contribuent C’est un navire à fond plat servant à la traversée à la lutte contre la pauvreté et au développement le bras de la lagune Ebrié qui peut supporter jusqu’à du transport par les échanges avec les régions en- 80 tonnes. Jacqueville en possède deux dont les vironnantes. années de mise en service sont de 1998 pour le Akrou II et de 1999 pour le Jacqueville. Aujourd’hui, 3.2- Une offre de transport rudimen- seul un bac fonctionne. Muni de deux moteurs, le bac taire effectue en 5 minutes en moyenne la traversée de la lagune. Cependant, il peut fonctionner avec un seul Les équipements de transports en provenance moteur comme c’est souvent le cas. Ce qui ralentit et à destination de Jacqueville sont globalement sa puissance, ramenant à 12 minutes l’atteinte de désuets de sorte que les services offerts aux voya- l’autre rive pour une meilleure efficacité. Le bac peut geurs et marchandises ne visent pas le confort et effectuer les jours de grande affluence (fêtes, funé- de meilleures conditions de déplacement mais la railles) généralement les week-ends une trentaine nécessité et l’urgence de la mobilité. de voyages. Ce nombre n’est pas atteint les jours creux comme les lundis, mardis, mercredis et jeudis où environ 10 voyages sont obtenus en moyenne. 10- Label Jacqueville : Label de qualité en matière de production Les traversées sont effectuées quand les agents d’attiéké estiment qu’il y a un nombre important de véhicules

Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n°2, 2011 89 © (EDUCI), 2011 et de passagers sur la plate-forme. Cette manière de gérer engendre souvent des temps d’attente très longs et fastidieux. Planches Ce sont au total 17 personnes réparties en deux

équipes qui travaillent sur le bac et veillent à sa Plate-forme stabilité. Si quatre pilotes et quatre mécaniciens assurent la navigabilité et le dépannage du bac, Moteur huit secouristes gèrent avec un agent de sécurité la Photo 2 : la tine de jacqueville (N’djem) montée des véhicules et chargés de l’amarrage et P hoto 3 : Les différentes composantes du hors- du désamarrage. C’est le moyen de transport le plus bord usité par les populations à cause de la gratuité mais aussi la sécurité que toutes ces précautions sont Le nombre de passagers maximum autorisé est prises afin d’éviter d’éventuels accidents. de 15 (Photo 4b). Avant de commencer les navettes quotidiennes, le conducteur approvisionne le moteur La nature du trafic est composite car le bac charge de 10 litres de carburant (essence super) et au fur en même temps des personnes, des véhicules per- et à mesure, cette quantité peut augmenter durant sonnels, des véhicules de transport de voyageurs la journée. et de marchandises (poisson, attiéké, crabe…) ainsi que des camions de transport de marchandi- Le nombre de voyages est fonction des périodes ses exclusivement ceux de la société SICOR par d’affluence comme les fins de semaines. Le diman- exemple. che est le jour où le trafic est important. Le hors-bord peut atteindre 15 voyages (allers et retours) car c’est Il est souhaitable pour l’heure que des dispositions le jour de marché de Songon. Les autres jours, le soient prises en vue de l’entretien régulier des bacs trafic reste faible avec 7 voyages. encore en activité (Lahou Kpanda, Eloka, Béoumi) notamment celui de Jacqueville. - Les tines, une nouvelle fonction pour une desserte restructuré - Le hors-bord, vecteur d’une activité en dis- grâce Apparues au début des années 1990, ces pi- nasses motorisées surplombées d’une plate-forme Le hors-bord en activité comprend deux membres servant de porte-bagages, les tines ont d’abord été d’équipage. Un pilote et un apprenti assurent la tra- utilisées pour l’évacuation des sacs de charbon. versée des biens et des personnes. L’activité débute Aujourd’hui, elles sont la propriété des sociétés de dès 5h30mn et prend fin à 20 heures. Chaque jour, transport terrestre Abidjan – Jacqueville et permettent le hors-bord programmé assure la traversée. de franchir la lagune Ébrié, chargées de voyageurs Le hors-bord est une pirogue qui coûte 150 000 et de marchandises. Le transport y est gratuit pour FCFA. Il est doté d’un moteur de 40 CV de marque les voyageurs venus d’Abidjan en transit par N’Djem Yamaha acheté à 3 500 000 FCFA (Photo 3). D’une (Photo 4a). Les nouvelles dispositions prises pour longueur de 10 à 12 m pour une largeur de 1,5 m, il limiter les coupes massives de bois dans les forêts est fait à base du bois d’iroko pour sa résistance à ont provoqué la cessation d’exercice de fabrication l’eau. Le lieu de fabrication des pirogues est Grand- de charbon de bois et par ricochet un redéploiement Bassam précisément au quartier phare. Mise en des tines sur les trafics où exerçaient déjà d’autres place pour suppléer le bac dans le cadre du transport navires. La concurrence qui est née a généré le des personnes en priorité, les passagers qui l’em- désarmement de nombreux hors-bords. pruntent sont ceux qui sont tenus par le temps. Le bac a une moyenne de rotation de 30 minutes.

Kablan N’Guessan Hassy Joseph : Enjeux et perspectives de développement des transports à Jacqueville 90 3.2.2- Les moyens de transport terrestres Les charrettes à bras, les taxis-brousse et les minicars sont les véhicules affectés sur les lignes de transport au départ et à destination de Jacqueville (Photo 5). La compétition y est souple vu que les espaces desservis ne sont pas les mêmes et les fonctions différentes. - Les taxis-brousse (wôrô-wôrô) sur des lignes intra-départementales Les taxis-brousse sont des véhicules de seconde main qui amorcent pour la plupart une seconde vie sur les pistes villageoises (Photo 5a). Agés de plus de 10 ans de moyenne d’âge, ils sont de marques Photo 4a : Une tine levant l’ancre au quai de Son- européennes et asiatiques. On trouve invariablement gon chargée de marchandises et de parmi ces taxis-brousse des Peugeot 504, des Peu- passagers geot 205 à 4 ou 8 places, des Datsun et des Toyota. Ils ont plusieurs destinations parmi lesquelles la ligne Jacqueville - Kraffy en passant par Ahua, Grand- Jacque et Adjue… et la ligne Jacqueville – N’Djem. Sur l’autre rive lagunaire, certains taxis-brousse dépendant de la commune de Songon, assurent le trajet carrefour Jacqueville – Quai de Songon et de Quai de Songon à Dabou. - Des minicars (Gbaka) pour des liaisons inter- départementales Le minicar est un véhicule de marque Mercedes, Toyota ou Mazda de 17 à 22 places faisant la ligne Jacqueville -Abidjan (1 000 F CFA). Ce sont des vé- hicules qui ont en moyenne entre 15 et 20 ans d’âge Photo 4b : Un hors-bord amarrant au quai de N’Djem (Photo 5b). Il y a ceux qui font uniquement la ligne prêt à débarquer ses passagers Jacqueville - N’Djem distant de 25 km avec un coût Photo 4 : Les moyens de navigation lagunaire de de 500 FCFA passant par la côtière, c’est-à-dire en type privé destinés à la traversée de la la- parcourant les villages situés en bordure de la mer gune Ébrié entre Songon et Jacqueville tels Djacé, Adoumangan, Akrou, Avagou, Adakrou, Sassako-begnini et Abreby. De Jacqueville à N’Djem, Par ailleurs, à cette époque, le quai était à Dabou deux voies s’offrent aux usagers. Celle qui dévie les et la traversée durait une heure de temps. Face à villages côtiers est bitumée tandis que l’autre qui cette situation pénalisante d’horaire, il a été aménagé passe par les villages cités ci-dessus se résumant par remblaiement un espace sur lequel a été construit en une piste difficilement praticable. en 1984 le quai de Songon. Aujourd’hui, la traversée est plus rapide car plus courte et dure cinq à huit minutes. Les activités du bac commencent à 6 heures du matin et se terminent à 22 heures du soir. Au cours de la journée, il y a deux pilotes qui se relaient (de 6 heures à 14 heures pour l’un et de 14 heures à 22 heures pour l’autre).

Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n°2, 2011 91 © (EDUCI), 2011 des marchandises ne pouvant être portées sur la tête (Photo 6a). Coûtant à l’achat 40 000 FCFA, elles sont acquises sous commande chez un charpentier d’origine togolaise résidant à N’Djem. À N’Djem, comme à Jacqueville, les charrettes à bras jouent une fonction essentielle dans le transport de marchandises dans les milieux où leurs possibi- lités de transport sont insuffisants ou n’existent pas (Photo 6b). Elles s’avèrent efficaces notamment dans le transport sur courte distance de marchandises lourdes et encombrantes. À N’Djem, les 7 charrettes à bras appartiennent à une famille de 10 nigériens qui en détiennent le monopole.

Photo 5a : Gare de taxis brousse des véhicules reliant Jacqueville aux autres localités du département

Photo 6a : Trois des sept charrettes à bras de N’Djem sur le bac pour la traversée de la lagune à destination du quai (Songon)

Photo 5b : Gare des minicars reliant Jacqueville à Abidjan ou au carrefour de Grand-Lahou Photo 5 : La gare routière de Jacqueville : interface de distribution de voyageurs et de mar- chandises en provenance et à destination des localités rurales de rattachement On dénombre 22 véhicules soit 9 taxis-brousse et 13 minicars sur le versant terrestre du transport. Les véhi- cules stationnent en bordure de la voie bitumée menant au bac sans être véritablement confiné dans un espace aménagé comme pour se rapprocher de la clientèle.

- Des charrettes à bras (wôtrô) pour le transport Photo 6b : Des pièces de poisson transportées sur sur courtes distances une charrette à bras à destination du bac Rencontrées à N’Djem et ses environs, elles ser- pour être revendues à Abidjan vent au transport des marchandises comme le bois de chauffe en vracs, les sacs de charbon, des sacs Photo 6 : Des charrettes à bras destinées au trans- de manioc, des paniers d’attiéké ; en somme, pour port de marchandises

Kablan N’Guessan Hassy Joseph : Enjeux et perspectives de développement des transports à Jacqueville 92 D’une façon générale, les véhicules de transport véhicules et varie selon les poids et les types de vé- du département, hormis les véhicules qui font la hicules. On peut noter par exemple que les véhicules ligne Jacqueville – Abidjan, sont surannés, laissés personnels paient 1 000 FCFA, les minicars 2 000 sans entretien durable et efficace ; compte tenu de la FCFA, les véhicules de type Kia (moins de 10 tonnes) mauvaise qualité des voies. Les gares elles-mêmes 3 000 FCFA et les véhicules de 10 tonnes et plus si elles ne négocient pas les trottoirs des artères 5 000 FCFA. Les véhicules administratifs qui ont une principales se résument en des terrains vagues sur lettre de sortie ne sont pas concernés par les frais et lesquels une maison isolée, délabrée servant de la traversée des personnes est gratuite. siège peut venir parfois rompre avec la planéité. La gestion du hors-bord et des tines a contrario 3.3- De la multimodalité à l’unimoda- est de type privé. Ce sont des particuliers qui gèrent lité l’activité de la traversée. Chacune des tines est la pro- priété des compagnies de transports routiers (N’Gues- Dans les années 1950, la liaison entre Abidjan et san-frères et Soumahoro) alors que le hors-bord est Jacqueville d’une heure de temps a été assurée par la propriété d’un particulier. C’est le seul qui reste de des pétrolettes (pinasses). Avec le développement la concurrence entre les douze qui ont existé pour des activités économiques et l’accroissement des flux satisfaire la mobilité des biens et des personnes. de voyageurs vers Jacqueville, le voyage est devenu Tous les véhicules exerçant sur une ligne se périlleux. L’État a donc décidé de mettre en place une présentent à la gare de N’Djem ou de Jacqueville plate–forme de transport lagunaire par bac dont le pour rallier les villages aux campements du départe- premier quai est installé à Dabou en 1963. Pour une ment. Le chargement se fait par ordre d’arrivée des sécurisation plus accrue des usagers, la réduction du transporteurs à la gare. Un agent du syndicat relève temps de parcours est indispensable. Il a été amé- sur une petite fiche les numéros d’immatriculation nagé un deuxième quai à Songon en 1968, réduisant des véhicules selon leur arrivée et départ. Une fois la distance Songon-N’djem à 1 800 m pour une durée chargé, le véhicule démarre et un autre transporteur de 30 mn. Dans le but d’améliorer les conditions du se positionne quand les apprentis et le représentant transport lagunaire et diminuer davantage la dis- du syndicat hèlent d’autres clients. Des routes non tance, les autorités en 1984 ont fait un remblaiement bitumées ou des pistes prolongent la voie bitumée au bord duquel se trouve l’actuel site du bac. Cette N’Djem – Jacqueville. nouvelle distance mesure 800 m et la traversée dure environ 12 mn avec le bac à un moteur alors qu’elle Les quais de N’Djem et de Songon jouent le rôle passerait à 6 mn les deux moteurs du bac fonction- de plate-forme logistique et multimodale de part et naient. Cependant, cette méthode de transport tend d’autre de la lagune Ébrié sur l’itinéraire Jacque- à être dépassée au 21ème siècle à cause du rythme ville – Abidjan – Jacqueville. Le voyage s’effectue à très accéléré de la vie et l’importance des activités travers un espace terrestre entrecoupé par l’espace économiques, ce qui a donné naissance à une autre lagunaire Ébrié. Ce système de transport combiné forme de transport par tine. route – lagune – route occasionne une rupture de charge dont la durée d’attente varie de 10 à 30 mi- Pour combler les insuffisances du bac qui fonc- nutes. C’est le temps nécessaire pour que le bac soit tionne selon l’affluence de la clientèle, des particuliers à quai afin que déchargement et chargement soient ont mis en place une forme de transport Express effectifs. Si le transport routier collectif s’effectue par depuis les années 1990 qui permet la traversée minicars, la traversée lagunaire est le fait du bac ou rapide des passagers. éventuellement du hors-bord de service. Pour le transport terrestre, le premier véhicule de L’utilisation du bac par les voyageurs n’évolue transport est arrivé dans les années 1960 et assurait pas dans le temps comme celle des autres moyens uniquement la liaison Abidjan – Jacqueville. de transport. Cependant, les voyageurs, leurs mar- Avant l’embarquement sur le bac, chaque proprié- chandises et éventuellement leurs véhicules sont taire de véhicule s’acquitte d’un droit de traversée disposés sur la plate-forme de sorte à maximiser perçu par un agent de la mairie installé sur le site l’espace disponible. de N’Djem. Ce droit concerne l’aller et le retour des

Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n°2, 2011 93 © (EDUCI), 2011 Avant mars 2010, ce mode de fonctionnement transit du fret et de passagers pour le compte du des transports est en vigueur sur les tines et hors- département avec pour origine et destination Abid- bords (Figure 2). jan, Dabou ou Grand-Lahou. Il est aussi un terminal routier pour certains transporteurs et voyageurs. Les transporteurs exercent une activité qui se développe sur ces sites de rupture de charge où les voyageurs peuvent s’approvisionner en produits de téléphonie mobile comme en produits alimentaires (Photo 7).

Dessin : Kablan, 2010 Figure 2 : Évolution du fonctionnement des trans- ports interurbains Jacqueville – Abidjan Cependant, suite à des querelles entre transpor- teurs survenues en 2009 deux compagnies se sont constituées pour desservir Jacqueville à destination et au départ d’Abidjan. Après un an de supputations et de palabres, un système de transports segmentés a vu le jour.

Ainsi, après mars 2010, les transporteurs routiers se sont restructurés afin de rentabiliser la desserte en Photo 7a : Vente d’eau, de fruits, de biscuits et de s’équipant d’une flotte de tines et en disposant de car toffee11 à la gare du quai (Songon) où les au départ des différents quais. La mise en œuvre de passagers attendent pour embarquer sur cette nouvelle stratégie commerciale permet un gain Abidjan de temps maximum d’une demi-heure relativement à l’ancienne pratique. La hiérarchisation et la spécificité des nœuds et des lignes de transport dans la structuration de la zone d’influence de Jacqueville L’espace de transport à Jacqueville se compose de réseaux de nœuds, de lignes et de zones de des- serte variablement hiérarchisés et spécialisés qui le distinguent des départements voisins.

4.1- Les centres pulsateurs d’échan- ges Les gares sont les lieux d’où partent les flux de Arrivée à N’Djem de minicars de Jac- voyageurs et de marchandises. Elles ont une fonction Photo 7b : de transit aux quais et de terminus dans les grands queville à gauche et activité alimentaire centres urbains. L’animation et la gestion de ces flux informelle à droite ainsi que de services sont majoritairement entretenues par les commer- divers çantes et les transporteurs. Photo 7 : Naissance d’une activité commerciale aux - Les plate-formes logistiques et intermodales quais de N’Djem et de Songon afin de sa- de N’Djem et de Songon tisfaire aux besoins de rafraichissement et Zone de rupture de charge, le quai de N’Djem créé de communication des voyageurs en 1984, joue le rôle de pôle logistique, intermodal et d’éclatement. Il n’est pas uniquement un lieu de 11- Biscuit et bonbon fabriqués de façon artisanale à base de lait de coco

Kablan N’Guessan Hassy Joseph : Enjeux et perspectives de développement des transports à Jacqueville 94 Les quais de Songon et de N’Djem ont un pouvoir structurant sur leur environnement. Cela favorise une agglomération des activités commerciales di- verses qui y trouvent sur place les consommateurs en transit.

4.1.2- La gare de Jacqueville Jacqueville reste le pôle structurant majeur, l’épicentre du département. Sa gare se compose de quatre petites gares juxtaposées sans délimitations matérielles. On distingue celle d’Abidjan, celle de Hozalem, celle de N’Djem puis celle en direction des différentes localités situées au-delà de Jacqueville. Ce sont les minicars et les taxis-brousse Photo 8a : Gare de Jacqueville à sa section de qui effectuent ces voyages. Hormis les localités si- Treichville sise à l’avenue 1 rue 4. Lieu de tuées sur le littoral qui sont en outre reliées par une débarquement de l’attiéké et du sel à des- piste parallèle au littoral, c’est l’axe bitumé N’Djem tination du Grand marché de Treichville – Jacqueville qui supporte l’essentiel du trafic. Elle est devenue le terminus pour le plus grand nombre de passagers et de véhicules de transport. C’est aussi le lieu d’où part un faisceau de voies in- nervant tout le département. Avant de se rendre dans la plupart des localités du littoral, il faut obligatoire- ment passer par Jacqueville si l’on veut augmenter les possibilités de mobilités vers les autres localités. Cette gare déborde de son site pour occuper les grandes artères de la ville afin de se rapprocher un peu plus des clients.

4.1.3- Les gares de Treichville et d’Adjamé pour l’approvisionnement de Jacque- Photo 8b : Gare de Jacqueville à sa section d’Ad- ville jamé. Lieu d’embarquement des produits Dans le centre de l’agglomération abidjanaise vivriers pour approvisionner le marché de (Treichville et Adjamé) se trouvent les gares routières Jacqueville à destination de Jacqueville (Photo 8). Photo 8 : Les gares routières de Jacqueville à Les minicars débarquent des sacs et des paniers Abidjan et leurs rôles dans la sécurité de poissons et d’attiéké entre 7h30 et 8h à la gare alimentaire d’Adjamé et embarquent des vivriers afin d’approvi- sionner le marché de Jacqueville. On trouve invaria- En définitive, Jacqueville reste fondamentalement blement de la banane plantain, des aubergines, de la dépendant de ses voisins pour ses échanges, car tomate, du piment, des haricots et de l’igname. aucun investissement n’est fait pour réduire cette dépendance agricole et commerciale notamment. La stratégie de localisation des gares se fonde sur un positionnement préférentiel à proximité des 4.2- Les circuits et leurs aires de marchés où exercent les usagers du transport. Tou- polarisation tefois, elles possèdent un pouvoir d’agglomération d’activités commerciales à l’arrivée comme au départ Le maillage routier est lâche et sommaire avec des lignes de trafic qui les relient. 16 % des voies bitumées sur les 218 kilomètres de routes qui innervent les 36 localités que compte le

Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n°2, 2011 95 © (EDUCI), 2011 département. Il se présente sous la forme de deux L’analyse des lignes de desserte laisse entrevoir faisceaux étoilés rayonnant à partir de N’Djem et deux types de circuits : les lignes interurbaines reliées surtout Jacqueville sur le reste du territoire. La pola- par les minicars et les lignes rurales intra-départe- risation est plus faible de la route principale vers les mentales parcourues par les taxis-brousses. localités lagunaires (39 %) voire imparfaite sinon diffi- cile sur celles continentales (6 % soit les trois localités 4.2.1- Les lignes interurbaines de Irobo, Kouassikro et Gboyo) dans le Nord-Ouest. Elles joignent Jacqueville aux communes abid- Sur les 20 localités littorales, seules celles bénéficiant janaises de Yopougon, Treichville et Vridi Ako pour des retombées des recettes municipales présentent un coût variant généralement entre 1 000 à 1 200 une meilleure accessibilité car objet d’une meilleure FCFA soit 15,38 FCFA le kilomètre. Ce tarif faible est fréquence d’entretien. compensé par la quantité de marchandise chargée L’axe Abidjan – Jacqueville qui supporte actuel- et le nombre de passagers transportés d’environ 17 lement un trafic moyen de 300 véhicules par jour places assises. La voie Abidjan-Jacqueville passant traverse N’Djem grâce une voie pénétrante bitumée par N’Djem est la plus fréquentée, car c’est par elle de bonne viabilité. Il forme le réseau routier du qu’on entre dans le département. Elle mène rapide- département avec des voies de type non bitumé et ment à Jacqueville. de tracé vertical (exceptée la voie joignant Koko à B). Il relie les localités du littoral maritime à celles présentes sur les berges lagunaires.

Sources : INS, 1998 et enquêtes personnelles 2008 Conception et réalisation : Kablan, 2008 Figure 3 : Réseau routier et répartition de la population dans le département de Jacqueville en 2008

4.2.2- Les lignes intra-départementales populations sur de courtes distances. Les longues (Figure 3) se réservent l’utilisation des taxis-brousse dont les départs sont rythmés par la vitesse de chargement. À 52 km et 2 km de Jacqueville, Kraffy et Ahua Toutefois, ils peuvent être pris en course pourvu sont l’exemple de 2 localités situées à des amplitudes que le client accepte le paiement de l’ensemble des maximales de portées différentes. La comparaison places assises dans le véhicule au moins pour l’aller. de leurs coûts au kilomètre respectifs (23 FCFA / km L’état défectueux des pistes et la distance sont deux et 75 FCFA / km) permet d’observer un gradient des critères qui déterminent le prix des trajets. Les des prix inversement proportionnel à la distance qui chauffeurs et leurs clients se sont toujours plaints sépare les localités à relier. C’est pourquoi, généra- aux autorités à propos de l’état de la route. Mais, le lement, c’est le moyen pédestre qui est utilisé par les manque d’entretien des équipements et infrastruc-

Kablan N’Guessan Hassy Joseph : Enjeux et perspectives de développement des transports à Jacqueville 96 tures est devenu un problème récurrent dans tout Les 4/5 des 82 286 000 FCFA obtenus entre 2007 le pays. et 2010 sur le bac sont à mettre à l’actif des voitures La grande piste allant de Mougonin à Kraffy qui personnelles (44,30 %) et des minicars de marque traverse tous les villages du littoral est celle qui mène Dyna (35,71 %). Si les voitures administratives et les à Toukouzou Ozalèm dans la région de Grand-La- voyageurs sont transportés gratuitement, les autres hou. Elle est moyennement exploitée comme la voie véhicules paient un coût de passage en rapport avec Jacqueville – Abidjan. Entre N’Djem et Jacqueville, leur poids en charge. Le tarif varie entre 1 000 pour existent des villages tels que Koko, Bapo, et Taboth les voitures personnelles et 20 000 FCFA pour les qui ne sont pas situés sur la piste du littoral, mais porte-conteneurs. qui font l’objet d’une desserte assez importante dans la zone. Elle se classe en deuxième position après Le rôle social joué par le bac ne l’empêche pas l’axe Jacqueville Abidjan. de réaliser des recettes importantes vu qu’il ne lui ait imposé aucune concurrence au niveau de la La spécialisation des lignes se fait selon les mo- des de transport. Ils sont fonction de la portée de traversée des véhicules. C’est un monopole de fait distance et du coût du transport. dont profitent les populations et l’État à travers la municipalité qui le gère. 5- Les revenus des activités liées L’exploitation du bac représente 76,2 % des aux transports recettes générées par l’ensemble des moyens de transport. Les transports constituent une activité génératrice de revenus. Ceux-ci sont toutefois inversement pro- 5.2. Des dépenses ruineuses portionnels aux contraintes de liaison et de temps, L’exploitation de l’activité de transport nécessite mais aussi au type de véhicule affecté. Relativement certains frais pour son lancement. Ceux-ci concer- à Jacqueville où le transport est segmenté et la mo- nent l’achat du véhicule et les charges d’exploitation bilité une nécessité, quels profits tirent les transpor- payées aux syndicats, à la mairie, à la Direction des teurs de leur activité et l’impact sur les usagers ? affaires maritimes et portuaires, au trésor public et aux assureurs ainsi que les salaires. Les moyens 5.1- Des recettes modestes ? navals sont les plus coûteux tant en dépenses d’in- Les recettes dans les transports à Jacqueville vestissement qu’en dépenses de fonctionnement. sont obtenues à partir des coûts appliqués par les Ce sont généralement des financements étatiques, moyens de transport terrestres et navals. C’est le bac de particuliers ou de membres d’une même famille qui de ce point de vue est celui qui génère le meilleur regroupés en association qui permettent la viabilité revenu vu qu’il est un don de l’État à la communauté des transports (Tableau I). jacquevilloise.

40 000 000 35 000 000 30 000 000 25 000 000 20 000 000 FCFA 15 000 000 10 000 000 5 000 000 - 10kg - Benne Minicar Personnel conteneur - Camion Camion +10kg Camion de 10kg Porte

Figure 4: Les sources de revenus du bac à Jac- queville

Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n°2, 2011 97 © (EDUCI), 2011 Tableau I : Les dépenses moyennes annuelles d’exploitation en FCFA

SYNDICAT MAIRIE TRESOR N o m b r e V é h i c u l e s Amortissement A s s u ra n c e Tracasserie Réparation C a rb u ra n t Salaire TOTAL C h a rg e me n t Autres charges Stationnement Droit de ligne Visite technique Vignette 1 Ba c 300 000 000 - - 26 500 000 - - - - - 600 000 18 000 000 16 200 000 61 300 000 1 Hors-bord 243 000 - - 360 000 4 000 10 000 10 000 50 000 180 000 60 000 4 320 000 624 000 5 861 000 13 M i n i c a r 19 500 000 936 000 2 340 000 2 340 000 52 000 650 000 390 000 650 000 9 360 000 3 120 000 60 840 000 10 920 000 111 098 000 9 Taxi-brousse 1 350 000 324 000 648 000 648 000 36 000 - 270 000 - 1 620 000 270 000 9 720 000 3 780 000 18 666 000 7 Charrette 70 000 - 252 000 126 000 7 000 ------455 000 TOTAL 1 260 000 3 240 000 29 974 000 99 000 660 000 670 000 700 000 11 160 000 4 050 000 92 880 000 31 524 000 176 217 000 Part (%) 0,72 1,84 17,01 0,06 0,37 0,38 0,40 6,33 2,30 52,71 17,89 100,00 Source : Kablan, 2007-2010

Après l’acquisition du véhicule, 27 % des dépen- se répartissent entre le carburant (52,71 %), les ses de fonctionnement sont des taxes dues à l’État salaires (17,89 %) et les réparations (2,30 %). et aux structures privées et surtout aux tracasseries L’analyse du poids de l’activité de transport dans des Forces de l’ordre sur les routes qui récupèrent le commerce montre que de multiples frais annexes 11 160 000 FCFA (6,33 %) dans les transports géné- grèvent les dépenses des marchandes (Tableau II). rés dans le département. Les autres charges propres

Tableau II : Les postes de dépense des marchandes des produits de Jacqueville à Abidjan entre 2007 et 2010

Vendeuses Transport Carte TOTAL Local Patente Tracasserie Salubrité Marchandise Statut Minicar Charrette maritime Dépenses Attiéké Individuel 104 000 5 200 4 000 1 350 52 000 166 550 Individuel 150 000 5 200 2 000 5 000 52 000 26 000 240 200 Crevette Collectif 150 000 100 000 10 000 5 000 52 000 26 000 343 000 Individuel 130 000 100 000 10 000 5 000 52 000 26 000 323 000 Crabe Collectif 150 000 100 000 10 000 5 000 52 000 26 000 343 000 Source : Kablan, 2007-2010

Six postes de dépense contribuent à grever lour- 5.3- Un bilan d’exploitation apprécia- dement les recettes des marchandes d’attiéké, de ble des transports face au SMIG crevette et de crabe. Avec 40 et 62 % des charges, les transports notamment par minicar sont les plus Les recettes effectuées par les transporteurs en pesants. Ils sont suivis de la location des magasins moyenne par jour sont une fonction de l’affluence ou de tables dans les marchés en ce qui concerne dans les gares les jours creux et les jours de pointe. les crustacés pour environ 30 %. Les tracasseries Les sommes perçues par type de véhicule montrent des forces de l’ordre sur les voies d’approvisionne- que les transports sont une source importante de ment coûtent en moyenne quotidiennement 2 000 recettes car toutes supérieure au SMIG (Salaire mi- FCFA aux transporteurs qu’ils répercutent sur les nimum interprofessionnel garanti) de 36 639 FCFA. marchandes venues de Jacqueville. Ce qui fait de ce poste le deuxième pour les marchandes exerçant individuellement dans la vente d’attiéké (31,22 %) et de crevette (21,65 %).

Kablan N’Guessan Hassy Joseph : Enjeux et perspectives de développement des transports à Jacqueville 98 Tableau III : Les bénéfices moyens annuels réalisés par catégories de transporteurs

Recette Dépense Part recette Part dépense Indice Indice Bénéfice annuelle annuelle (%) (%) Recette Dépense me ns ue l Bac 82 286 000 61 300 000 76,25 78,75 134 100 1 750 000 Hors -bord 6 789 000 5 861 000 6,29 7,53 116 100 77 000 Minicar 15 737 000 8 546 000 14,58 10,98 184 100 600 000 Taxi-brousse 2 592 000 2 074 000 2,40 2,66 125 100 43 000 Charre tte 514 000 65 000 0,48 0,08 791 100 37 000 TOTAL 107 918 000 77 846 000 100 100 Source : Kablan, 2007-2010

Toutefois, bien que les bénéfices générés par les Toutefois, l’entreprise Arabe contractor, dont les charrettes soient les moins importantes, ce sont-elles partenaires sont la BOAD (Banque ouest africaine qui nécessitent des investissements les plus faibles de développement), la BADEA (Banque Arabe pour pour des recettes près de 8 fois plus significatives le Développement Economique de l’Afrique), le fond selon une analyse des indices recette / dépense OPEP (Organisation des pays exportateurs de pé- (Tableau III). trole) est chargée de réaliser l’ouvrage. Elle prévoit Les transports sont une activité source d’emplois la fin des travaux pour le dernier trimestre 2011. et de devises importantes pour les jacquevillois. De nombreuses activités annexes en dépendent offrant l’opportunité aux populations de relever un triple de défi de dépendance, de sécurité alimentaire et de pauvreté. Plus qu’ailleurs sans doute, l’amélioration de la politique des transports peut constituer un levier sûr de développement de Jacqueville.

6- Des perspectives prometteuses pour le développement du dé- partement Jacqueville porte les germes de son développe- ment grâce à des potentialités naturelles globalement Cliché Kablan, 2010 inexploitées et au dynamisme de ses populations autochtones et étrangères. L’effectivité du pont af- Photo 9 : Début des travaux de construction du pont franchirait le département de son enclavement et le de Jacqueville resserrerait de ses relations commerciales avec ses partenaires régionaux et internationaux permettant Le 8 juillet 2009, la pose de la première pierre a 6.1- De l’opportunité d’un pont pour eu lieu pour redonner espoir après 60 ans particu- relier Abidjan à Jacqueville lièrement aux opérateurs économiques mais plus globalement aux populations du département de Un pont s’avère indispensable pour relier Songon Jacqueville. Ce projet structurant est une œuvre ma- à Jacqueville pour produire une dynamique de flui- jeure de développement social et économique dont la dité, une meilleure accessibilité. Ce pont, en sortant construction est d’un coût de 18 milliards de FCFA. les habitants de Jacqueville de l’enclavement devrait La SOCOJAC (Société de construction du pont de contribuer à booster son développement. Il y aurait Jacqueville) pour le compte de l’État est chargée du ainsi une liaison directe, permanente et rapide de 570 suivi des travaux. mètres entre le département et le reste du pays.

Revue de Géographie Tropicale et d’Environnement, n°2, 2011 99 © (EDUCI), 2011 Malheureusement depuis le deuxième trimestre L’espace halieutique s’est modifié et recomposé sous 2010 après la réalisation de 20 % des travaux et l’effet d’un acteur principal qui est le pétrole » (Bikpo, relativement à la situation sociopolitique que vit la 2010). Du fait de leur insuffisante implication et de la Côte d’Ivoire, le décaissement des fonds a pris du faiblesse voire de l’absence de la prise en compte de retard (Photo 9). Il est souhaitable que la stabilité leurs besoins essentiels dans le développement des sociopolitique revienne pour que ce projet majeur activités extractives, la manne pétrolière ne profite en de développement régional reprenne. réalité pas à Jacqueville et à ses populations (Kablan, 2005, Koffié-Bikpo, 2008). 6.2- à la poursuite de la mise en va- leur actuelle du territoire Pour les autochtones, le financement ponctuel de 600 millions de FCFA (environ 900 000 euros) par le L’avènement du pont devrait sans nul doute président de la république en visite sur place mi-avril catalyser les secteurs d’activité du département en pour le Conseil pétrole-gaz ne saurait les satisfaire. supprimant la rupture de charge source de perte Ils veulent compter à l’avenir sur des revenus pétro- de temps et donc d’argent. Il ne se passera pas de liers réguliers. l’existent mais Jacqueville va devoir tirer d’abord avantages financier de ses atouts physiques, pro- 6.2.2- Dynamiser le tourisme mouvoir une gestion intégrée et globale de tous les Le tourisme est actuellement inorganisé. Ce- secteurs d’activité afin de favoriser son développe- pendant, les produits touristiques du département ment durable. sont variés et riches. Les opportunités se situent au niveau : 75 km de côtes, 150 km de berge lagunaire, 6.2.1- Tirer un avantage des richesses natu- des lacs intérieurs, des îles, un village lacustre sur relles du site pilotis (Tiagba) et de nombreuses autres curiosités C’est un droit universel qu’ont les riverains de culturelles fondées sur des symboles culturels tra- jouir des ressources naturelles que renferment le ditionnels, offrent à Jacqueville des opportunités de site et la situation de leur territoire. Cependant, la développement d’un tourisme balnéaire, lagunaire, faiblesse des droits nationaux en matière de protec- sportif, endogène et culturel. tion de l’environnement et des droits humains expose Le bac constituerait dans ce schéma un attrait, les populations aux risques environnementaux et une curiosité pouvant coexister avec le pont. C’est sociaux des projets dont elles ne tirent pourtant pas une offre touristique à mettre en valeur. Le pont va de bénéfices concrets. inciter les opérateurs et les investisseurs à faire de Les multinationales ne font pas suffisamment ce site une nouvelle destination touristique. Avec les d’effort pour atténuer les risques liés à leurs projets difficultés de liaison et de perte de temps, Jacqueville ou pour optimiser les opportunités qu’elles sont sus- n’a pas encore pleinement profité de ces multiples ceptibles d’offrir aux populations riveraines. Elles ne potentialités touristiques. Les gros investissements respectent pas les normes et les standards socio-en- devraient s’orienter vers la construction d’hôtels et de vironnementaux internationaux dans leurs opérations sites d’attraction à la mesure de la place que Jacque- notamment dans les pays en développement. ville veut occuper dans la destination Côte d’Ivoire.

British Petroleum qui exploitait la plate forme 6.2.3- Réactiver la filière poisson Deepwater Horizon a explosé et pris feu mardi 20 avril 2010 au large des côtes américaines de la Loui- Le désintérêt de la pêche artisanale maritime par siane au Golfe du Mexique. Incriminé, BP a débloqué les populations autochtones au profit des activités plus de 25 millions de dollars pour les États touchés agricoles tire sa justification de la moindre -impor et s’est engagé à assumer tous les coûts nécessai- tance affichée par les politiques. Pendant longtemps res et appropriés de nettoyage. À Jacqueville, les aussi, « les populations riveraines autochtones ont différents combats menés sont restés stériles « les privilégié les produits de pêche lagunaire à cause différentes stations pétrolières espoir, baobab, pan- de la qualité gustative qui correspond plus à leurs thère, foxtrot se trouvent en plein milieu de la zone habitudes alimentaires. Du coup, cette activité reste de pêche des pêcheurs artisans marins ghanéens. essentiellement aux mains de pêcheurs étrangers

Kablan N’Guessan Hassy Joseph : Enjeux et perspectives de développement des transports à Jacqueville 100 ghanéens ayant une vieille tradition de pêche arti- transformer sur place des produits et l’amélioration sanale maritime » (Koffié-Bikpo, 1997). du mode de conservation et d’évacuation vers les marchés extérieurs. Cependant, la filière peut connaître une embellie et faire de Jacqueville un réservoir d’approvisionne- En définitive, le maillon faible des secteurs d’ac- ment des centres urbains alentours si les différents tivités reste donc l’industrialisation du département. projets de développement piscicoles sont appuyés Les deux industries de transformation des produc- par les politiques. « Actuellement, le développe- tions agricoles de l’huile de coco, de palmiste et de ment des transports, l’augmentation du nombre coco râpé ont délocalisé sur Abidjan. Les espoirs des consommateurs urbains du poisson de mer, suscités n’ont pu tenir leur promesse. Pour l’heure, la transformation du produit ont permis d’accroître Jacqueville doit renforcer sa capacité de production progressivement le marché des produits de la mer pour augmenter ses exportations d’attiéké et de crus- en général. Les pêcheurs débarquant dans les petits tacés. Pour cela, les filières commerciales devraient échouages vendent les produits frais à leurs femmes connaître une mutation profonde et se restructurer en et aux autochtones du village d’accueil. Les femmes se basant sur la formation et la réorganisation de ses le revendent au marché de la ville de Jacqueville membres regroupées en associations de femmes. et se dirigent ensuite vers Abidjan » (Anoh, 2007). Hormis les fermes modernes aquacoles paysannes Conclusion privées dont les superficies restent indéterminées, l’Opération Jacqueville Aquaculture (O.J.A.) exploite Jacqueville n’a pas réussi ses relations avec le une des principales fermes industrielles du littoral continent comme ce fut le cas il y a quelques siècles ivoirien. « Sur une superficie de 1 ha elle produit avec ses partenaires commerciaux outre-mer. En dé- annuellement 60 tonnes soit 9 % de la production laissant la pêche au profit de l’agriculture à la faveur industrielle nationale » (Anoh, 2007). Ainsi, sur le des politiques incitatrices initiées par les autorités, les littoral de Jacqueville, l’espace halieutique s’est populations autochtones se sont concentrées dans modifié et recomposé. des villages centres mal reliés à la ville par des véhi- cules et un réseau routier globalement défectueux. 6.2.4- Réorganiser la filière jacquevilloise L’inefficacité des infrastructures et des équipe- d’attiéké et de crustacés ments de transports apparaissent comme des fac- L’agriculture de subsistance pratiquée secon- teurs limitant au développement socioéconomique dairement par les peuples des 3A originellement de Jacqueville. La rupture de charge entre Songon pêcheurs s’est développée grâce à des politiques et N’Djem sur l’axe Abidjan – Jacqueville reste pé- incitatrices mises en place par le gouvernement dans nalisante pour les opérateurs économiques même les premières années de l’indépendance politique. si le transport combiné route – lagune – route est Les productions agricoles variées concernent tant encouragé par l’État et les collectivités territoriales. les cultures de rente (le coco, le palmier à huiles et C’est pourquoi, Jacqueville attend impatiemment la l’hévéa) que les cultures vivrières (le manioc). Le réalisation du pont qui le sortirait de son enclavement dynamisme du secteur s’est étendu à l’agroforesterie et boosterait ses potentialités commerciales et tou- afin de permettre aux compagnies privées d’exploiter ristiques notamment. les essences d’agrumes. Les transports sont une activité vitale pour le Le commerce soutenu par la vente des produits développement du département. Ils sont source de la pêche et des productions de rente ainsi que la e revenus substantiels, d’emplois et de moyens transformation des productions vivrières notamment d’échanges avec les départements voisins mais le manioc a fait la renommée du département et aussi outre-mer. Ils sont cependant majoritairement devrait continuer de le faire. Les acteurs de la filière investis par une population étrangère issue essentiel- devraient avoir à cet effet un meilleur contrôle par une lement de la sous-région ouest africaine, ne laissant mainmise des différents secteurs. Cela se fera selon aux autochtones que les secteurs publics ou du deux voies moins artisanales dont la création de PMI ressort de la tradition. agro-industrielles tenues par des autochtones afin de

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