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Les grandes eaux de Versailles

PASCAL LOBGEOIS

Louis XIV veut sans cesse agrémenter le parc de Versailles de nouveaux bassins et fontaines. Pour trouver les ressources en eau nécessaires, il fait appel à la toute nouvelle Académie royale

J. de Givry des sciences.

orsque Louis XIV décide d’agran- 1. En 1668, lorsque Pierre Patel exécute dir Versailles en 1661, la tâche à ce tableau, le parc de Versailles compte e accomplir est immense, car il veut déjà plus d’une quinzaine de bassins, dont les premiers Parterres d’eau (a) et la pre- faire du modeste château de mière branche du Grand Canal (b). Pour Lbriques et de pierres légué par son père les alimenter, les ingénieurs du roi ont le symbole de sa puissance. Le jeune roi, construit de nouveaux réservoirs : celui de sur qui les fontaines du château de Vaux- la grotte de Thétis (c) et ceux de l’aile droite le-Vicomte ont fait grande impression, du château (d). Château et parc sont situés veut les surpasser à Versailles, mais les sur un promontoire. On aperçoit la colline lieux sont quasi dépourvus de ressources de Satory (e), franchie par l’eau de la Bièvre. En vignette, l’aqueduc de Maintenon devait en eau. La position dominante du parc transporter l’eau de l’Eure jusqu’à Versailles, sied aux ambitions du souverain, mais mais ce projet pharaonique fut finalement n’est guère compatible avec la domesti- abandonné faute de moyens, à cause de cation de l’élément liquide nécessaire l’entrée en guerre de la France.

au rêve du roi : une multitude de fon- RMN taines jaillissantes. Dans ces condi- tions, l’alimentation en eau des fontaines constitue un défi technique, que Louis XIV relève en créant un ensemble hydrau- lique sans précédent : les jardins comp- teront à leur apogée 30 kilomètres de canalisations et 2 400 jets d’eau, consom- mant 6 300 mètres cubes par heure. Plus du tiers du budget destiné à Versailles sera consacré à cet énorme chantier, que le roi supervisera lui-même. Au moment où commencent les tra- vaux à Versailles, la seule ressource en eau se résume à l’étang de Clagny, creusé sous Louis XIII et situé en contre- bas du château, au Nord-Est. Une pompe à piston entraînée par un manège à che- vaux (voir le principe sur la figure 2) élève l’eau de l’étang jusqu’à un réservoir qui alimente quelques bassins isolés. Pen- dant plus de 20 ans, les fontaines se multiplieront, nécessitant toujours davan- tage d’eau. Les ingénieurs du roi auront recours à quatre solutions principales : la première consiste à pomper l’eau à partir d’étangs artificiels creusés à proxi- mité immédiate de Versailles, la deuxième à drainer l’eau de pluie dans un réseau de rigoles jusqu’à des étangs

artificiels, d’où elle s’écoule par gravité J. de Givry

10 pr é s_de_l'hist.xp_fc_16_01 16/01/02 15:04 Page 11 cla Maquettistes:cla(Celine Lapert):292:pp.10_15_pr consist tri jusqu Seine la de poterie, en troncs d troncs en poterie, en tuyauteries, Les suffisante. vellation mais sur un parcours pr roue n ter une machine pour faire monter l d man pompe la d moyen nisme hydraulique, on sait : pour ce qui est du machi- les Romains jusqu hydrologie n ’ é art, on sait construire des aqueducs, des construire sait on art, è e par un moulin un par e me, finalement abandonn finalement me, Au è à ’ ge au ch aube, et l et aube, XVII é

à ’ à une cha une chevaux. Quant aux ouvrages aux Quant chevaux. e d à â si ’ é piston, entra ont gu eu; la troisi teau è vier le cours de l vier lecoursde cle, les connaissances en ’ on conna ’ î au ch au è ne re progress ’ à arbres for arbres vent ou par une é à sentant une d godets, entra â î é t le principe de teau ; la qua- la ; teau è lever l î me n é é e par un par e ’ é Eure. e, aurait e, é à s ou en ou s depuis ’ inven- eau au a ’ eau é ni- î - b de Th de Clagny,de s 100 m r l sur alimenter, on b on cr aux fontaines et la livrent aux particuliers, plor laissant aux hydrauliciens un terrain inex- sont les porteurs d d Enfin, les robinets sont d artisanale. trop fabrication de sont elles ; celles en plomb non plus, pressions car fortes les pas supportent ne cuivre, peu r peu é ’ eau potable est quasi inexistant et ce et inexistant quasi est potable eau servoirs. À é ’é é et propice aux progr aux propice et l é é è ’ e de nouvelles fontaines. Pour les tang de Clagny et de nouveaux de et Clagny de tang pandu. Le r Le pandu. arriv tis, de 580 m 580 de tis, tres cubes, a é À e de Louis XIV ’ celui de la Tour d ajoutent ceux de la grotte la de ceux ajoutent â tit de nouvelles pompes é ’ à eau qui puisent l seau de distribution de seau proximit è tres cubes, et de et cubes, tres ’ un usage encore è s techniques. à é Versailles, de l de ’ eau, de eau, ’é tang ’ eau Ses premiers membres, math et physiciens, sont charg sont physiciens, et publique et pour la gloire de son r l pour sciences, les favoriser cr 1650 m cit Acad appel fait roi effectuer,le pr ment due est telle que des travaux de nivelle- l dans bassin nouveau un Canal, Grand du branche le rudeGally. : les circuit eaux ouvert sont rejet 1 figure l ’ aile droite du ch du droite aile c éé é n 68 o pre a premi la perce on 1668, En atit5000 atteint m 5 e en 1666, pour 1666, en e é mie royale des sciences, qu sciences, des royale mie ). Les fontaines fonctionnent en é cis sont n sont cis è tres de longueur.Son de tres é sence_de_l'histoire: ’ x d ch du axe d â é teau, dont la capa- la dont teau, è cessaires. Pour les Pour cessaires. tres cubes ( cubes tres « faire avancer et avancer faire é à s de travaux de s la nouvelle é â maticiens eu de teau é è ’ e dans voir la voir utilit gne é ten- ’ è il a il re » é . d

présence de l’histoire prés_de_l'hist.xp_fc_16_01 16/01/02 15:05 Page 12 cla Maquettistes:cla(Celine Lapert):292:pp.10_15_présence_de_l'histoire:

couvrant aussi bien le domaine des mer et le physicien et astronome néer- sciences pures que celles de l’ingé- landais Christiaan Huygens, créent leur nieur. L’ambitieux programme d’embel- propre instrument de nivellement, mais

histoire ROUE MOTRICE ’ ROUE H lissement hydraulique de Versailles leur aucun n’a la précision ni la commodité fournit un terrain de recherches, notam- d’emploi de celui de Picard, qui sera uti- ment sur les questions de nivellement lisé jusqu’au XIXe siècle. de l et de mécanique des fluides. Comme les installations hydrauliques Pour niveler un terrain, on utilise de l’étang de Clagny ne suffisent plus à CYLINDRE M alors couramment le niveau à fil, ou alimenter le parc, on barre le cours de la niveau de maçon, un instrument rudi- Bièvre, pour créer l’étang du Val, au Sud sence

é mentaire en forme de A au sommet du château, de l’autre côté de la colline duquel est suspendu un fil à plomb (voir de Satory au sommet de laquelle on pr ) B .

C la figure 3). Pour mesurer le dénivelé construit un réservoir de 72 000 mètres . I . C entre deux points, on se place au pre- cubes. Au bord de la Bièvre et sur l’étang, mier et on vise le second à l’œil nu, avec on installe de nouvelles pompes, qui refou- le niveau à fil. On relève alors l’angle lent l’eau dans ce réservoir, d’où elle que fait le fil à plomb avec le repère, puis dévale la pente jusqu’à la pièce d’eau des Université de Liège ( on mesure la distance entre les deux Suisses (jouxtant l’aile gauche du châ- points. En appliquant les règles de la tri- teau), avant de remonter en siphon vers gonométrie, on en déduit le dénivelé. les réservoirs de l’aile. L’eau circule dans La précision obtenue est de l’ordre de une conduite en fonte dont les joints dix mètres par kilomètre. En augmen- sont en plomb ou en cuir, ce qui consti- tant la taille de l’instrument, elle n’est tue une innovation pour l’époque. plus que de quelques dizaines de cen- À l’issue de ces travaux, l’ensemble timètres par kilomètre, mais l’emploi du dispositif de pompage du parc de l’instrument devient malaisé. compte 13 moulins à vent, un moulin 2. Le fonctionnement de la pompe à pis- L’abbé Jean Picard, membre de l’Aca- à aubes sur la Bièvre et trois manèges ton est fondé sur le déplacement alterna- démie, est chargé d’exécuter les tra- à chevaux. Toutefois, en été, au moment tif d’un piston à l’intérieur d’un cylindre M. vaux de nivellement du Grand Canal à où les fontaines fonctionnent le plus, Le mouvement rotatif du manège à chevaux l’aide du niveau à lunette qu’il a créé : il le vent est absent, rendant les mou- est transformé en mouvement de transla- a repris le principe du niveau à fil en lui lins à vent inutilisables. tion alternatif. Lorsque les dents de la roue motrice de l’engrenage entraînent la ajoutant une lunette de visée. On relève Pendant les années qui suivent, le roue H, le piston monte dans le cylindre M, l’angle décrit par le fil à plomb comme parc continue à s’embellir de nouveaux créant une dépression : l’eau est aspirée à pour le niveau à fil, mais le point à nivel- bassins. Cependant, à cause du manque travers un clapet. Lorsque arrive la partie ler est visé à la lunette et non plus à l’œil d’eau, les jets du Parterre d’eau, sur lequel sans dent des roues de l’engrenage, la nu. Cet instrument réduit les erreurs à s’ouvrira la future galerie des glaces, ne roue H se dévide en sens inverse et le pis- un centimètre par kilomètre. D’autres aca- fonctionnent que par intermittence, lais- Archives départementales des ton redescend en refoulant l’eau dans le second cylindre. Le trop-plein se déverse démiciens, tels le physicien Edme sant la perspective du Grand Canal alors dans le conduit situé entre les som- Mariotte, le mathématicien Philippe de dans la monotonie. Pour y remédier, trois mets des deux cylindres. la Hire, l’astronome danois Olaüs Roë- grands réservoirs sont creusés dans le Bibliothèque Nationale de France Bibliothèque Sainte Geneviève 3. Le niveau à fil (à gauche) est amélioré avec le niveau de niveau à fil) et on mesure l’angle que fait l’instrument avec un l’abbé Jean Picard (à droite), qui fonctionne sur le même prin- repère. Puis, on mesure la distance entre les deux points. En appli- cipe, mais qui est plus précis, grâce à sa lunette à réticule. On quant les règles de la trigonométrie, on en déduit le dénivelé entre vise un point de repère dans le paysage (à l’œil nu dans le cas du ces deux points.

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4. Le réseau des étangs et rigoles du domaine de Ver- ÉTANG PIÈCE D’EAU sailles récoltait l’eau de pluie sur le plateau de Trappes, DE BOIS ROBERT DES SUISSES avant d’être étendu à ceux de Saclay et de Rambouillet. GRAND CANAL L’ensemble était constitué de 15 étangs, repartis sur ÉTANG 150 kilomètres carrés. À l’origine, une canalisation en DE BOIS-D’ARCY tuyaux de fonte (voir le principe en bas à droite) faisait franchir la Vallée de la Bièvre aux eaux du réseau des étangs inférieurs acheminées à Versailles, par un effet PLATEAU de siphon. DE TRAPPES RÉSEAU DES ÉTANGS SUPÉRIEURS

RÉSEAU DES ÉTANGS INFÉRIEURS PLATEAU DE RAMBOUILLET ÉTANG DE TRAPPES ÉTANG DE SACLAY RIGOLE DE GUYANCOURT

PLATEAU DE SACLAY die é ÉTANG Encyclop

DE LA TOUR ’ partementales des Yvelines é Rigoles souterraines Rigoles à ciel ouvert Extrait de l Archives d

sous-sol (voir la figure 5), sous le Par- LE PROJET DE DÉVIATION ceux-ci seraient situés à quelques mètres terre, afin d’y récupérer l’eau ayant servi DE LA LOIRE au-dessus du réservoir de la grotte de aux jets pour la faire rejouer. Lorsqu’elle Thétis. De l’étang de Trappes, on construit arrive au bas du parc, elle se déverse Riquet avait noté que le lit de la Loire un aqueduc pour acheminer les eaux ainsi dans le grand canal avant d’être rejetée avait bien plus de pente que celui de captées jusqu’à Versailles. Le faible déni- dans le ru de Gally. la Seine et il en avait conclu que la Loire velé rend délicate l’exécution de cet Toutefois, ce recyclage est encore insuf- devait forcément se trouver plus haut ouvrage souterrain sur plus de un kilo- fisant. Pour pallier la pénurie d’eau, les fon- que la Seine. L’abbé Picard fait part mètre. Pour le réaliser, on creuse des tainiers, qui connaissent à l’avance le de ses doutes à Colbert, qui décide de puits de 30 mètres de profondeur tous les parcours de la promenade royale, font jouer procéder à des vérifications sur le ter- 60 mètres, que l’on réunit ensuite par des les fontaines les unes après les autres, rain. Pour mesurer le dénivelé entre la souterrains en s’orientant uniquement à grâce à d’énormes robinets en bronze, Loire à Briare, où Riquet propose de la boussole. Cet aqueduc marque le début avant de les renfermer quand le roi est dévier le fleuve, et Versailles, Picard de la création du réseau des étangs et passé. Cependant, Louis XIV, qui n’ignore utilise son niveau à lunette. Il trouve rigoles, grâce auquel, à partir de 1678, rien de ce stratagème, voudrait que tous que Briare est à la même altitude que on fait fonctionner les fontaines par le seul les bassins visibles du château fonction- le Parterre d’eau, ce qui prouve que le recours de la pente. On arrête progres- nent sans interruption. Dès lors, les aca- projet de déviation de la Loire est irréa- sivement les pompes de l’étang de Cla- démiciens cherchent de nouveaux moyens lisable. Il évite ainsi au roi de dépen- gny, sur le point de s’assécher, mais les d’approvisionnement. En 1674, Pierre-Paul ser la somme considérable qu’auraient besoins en eau ne sont toujours pas tota- de Riquet, l’entrepreneur du Canal du Midi, coûté les travaux. lement satisfaits. propose de dévier une partie de la Loire. En effectuant les nivellements du pro- Bien que la Seine passe à proxi- Jean-Baptiste Colbert, en tant que surin- jet de détournement de la Loire, Picard mité de Versailles (à sept kilomètres tendant des bâtiments et protecteur de découvre que le plateau de Trappes est seulement, bien plus près que la Loire), l’Académie, bénéficie d’une autorité abso- sensiblement plus élevé que le château 100 mètres de dénivelé les séparent. lue sur les moyens financiers et techniques de Versailles et a l’idée d’y créer un réseau De plus, la colline de , qui nécessaires à Versailles. Il accueille d’étangs recueillant l’eau de pluie qui ruis- se dresse sur le parcours, augmente avec d’autant plus de bienveillance le pro- selle sur ce plateau. Trois étangs sont le dénivelé à surmonter de quelques jet de Riquet qu’il permettrait d’apporter ainsi creusés, à Trappes, à Bois-Robert 50 mètres. Sur ordre de Louis XIV, Col- une solution définitive au manque d’eau. et à Bois-d’Arcy, après avoir vérifié que bert fait construire une «machine qui

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fera monter le fleuve» (voir l’encadré ci- Montbauron, de sorte que les eaux du tives), car pour apprécier le jeu de toutes dessous). Cette machine est nommée réseau des étangs inférieurs ne peuvent les fontaines pendant une journée entière, , car, après six mois alimenter que les fontaines et bassins il faudrait 75 000 mètres cubes environ. histoire

’ de fonctionnement, elle est finalement situés dans les zones les plus basses du Un nouveau projet ambitieux est envi- utilisée pour la nouvelle demeure de parc. En 1688, on relie les deux réseaux sagé. À la suite des travaux de nivelle- Louis XIV à Marly-le-Roi, et n’apporte par la rigole de Guyancourt, qui agit en ment accomplis pour le réseau des étangs de l plus d’eau à Versailles. trop-plein. L’ensemble du réseau gravi- supérieurs, De la Hire établit que l’Eure, Pour accroître les capacités du réseau taire comporte 15 étangs, 168 kilomètres à Pontgouin, non loin de Chartres, est gravitaire, Colbert puis François Michel de rigoles et couvre 150 kilomètres car- plus élevée (de 35 mètres) que le Par- Louvois, son successeur, l’étendent au rés. Ce système de drainage recueille terre d’eau du château de Versailles, situé sence

é plateau de Saclay dès 1679 et aux envi- annuellement 4 300 000 mètres cubes à plus de 100 kilomètres de là. Pour rons de Rambouillet en 1684. À leur arri- d’eau, donnant un débit quotidien théo- résoudre définitivement le problème des pr vée à Versailles, les eaux du réseau des rique de 12 000 mètres cubes environ ressources en eau, Louvois décide de étangs supérieurs (sur le plateau de (la quantité réellement acheminée vers construire un canal à ciel ouvert, reliant Trappes et aux alentours de Rambouillet, Versailles est moindre, du fait de l’éva- Pontgouin au réseau des étangs supé- voir la figure 4) sont stockés dans des poration et des fuites). rieurs (à l’étang de la Tour). De ce pro- réservoirs de 112 000 mètres cubes, Malgré la mise en place du réseau jet pharaonique, qui sera abandonné avec nommés réservoirs de Montbauron. Celles d’étangs et de rigoles, il faut se résigner l’entrée en guerre contre la ligue d’Aug- du réseau des étangs inférieurs (sur le à n’animer les fontaines qu’en fonction- sbourg, subsiste aujourd’hui la silhouette plateau de Saclay) se déversent dans des nement ordinaire, c’est-à-dire de huit inachevée de l’aqueduc de Maintenon. réservoirs de 45 000 mètres cubes, nom- heures du matin à huit heures du soir, et L’ouvrage devait comporter trois étages més réservoirs de Gobert. Ces derniers uniquement celles qui sont visibles du d’arcades sur cinq kilomètres de longueur sont 13 mètres plus bas que ceux de château (les parterres et les perspec- et 70 mètres de hauteur, soit l’équivalent La machine de Marly our que l’eau de la Seine escalade la colline de Louveciennes et le lit de la Seine en amont et en le creusant en aval. Le mouvement P parvienne jusqu’à Versailles, Arnold de la Ville, un gentilhomme des roues est transmis à un premier ensemble de pompes (a) par un de la région de Liège, et Rennequin Sualem proposent une nouvelle système bielle-manivelle. Elles aspirent l’eau du fleuve et la refou- machine. Depuis le XIIIe siècle, Liège tire sa prospérité de son bas- lent dans un réservoir (b), situé à flanc de colline. Un deuxième sin houiller, mais l’essor de cette industrie est contrarié par les infil- ensemble de pompes, immergées dans le réservoir, refoule l’eau trations incessantes dans les galeries minières. Des machines de jusqu’à un deuxième réservoir (c). Ces pompes sont aussi action- pompage assèchent les exploitations inondées, utilisant un système nées par les roues à aube, grâce à des lignes de tringles (d). Dans le de tringles (en bas, à droite) comme dispositif de transmission méca- deuxième réservoir, un troisième ensemble de pompes fait monter nique entre une roue à aube et le puits. La machine qui fait monter l’eau jusqu’à l’aqueduc de Louveciennes (e), toujours actionné par l’eau de la Seine, en utilisant ce principe, est installée à (à les roues à aube grâce à des lignes de tringles plus longues. une dizaine de kilomètres du château), où la Seine se sépare en deux Cette immense installation, qui assourdit la colline de Louve- bras. La plate-forme supportant ses 14 roues à aube barre l’un ciennes par son fonctionnement bruyant, nécessite des réparations d’eux, tandis que l’autre reste libre pour la navigation. Pour donner continuelles. Les barres de fer constituant les tringles cassent fré- plus de puissance aux roues, on crée une chute d’eau en remblayant quemment et les frottements provoquent parfois des incendies.

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a ; vignette : Extrait de «Theatrum machinarum hydraulicarum» RMN

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de la cathédrale Notre-Dame de Paris, et apporter plusieurs milliers de mètres cubes d’eau par jour à Versailles. histoire Le second domaine dans lequel ’ les académiciens contribuent à la

construction des fontaines de Versailles de l est l’étude des fluides en mouvement. Les abbés Picard et Mariotte sont offi- ciellement chargés d’étudier «la force

des eaux courantes et à mouvoir». sence

Picard commence par vérifier les obser- é vations de deux savants italiens. Evan- pr gelista Torricelli avait constaté que la vitesse d’un jet d’eau qui sort au bas d’un réservoir est égale à la vitesse qu’il aurait acquise en tombant de la hauteur d’eau dans le réservoir. Benedetto Cas- telli avait remarqué que, dans un canal, la vitesse de l’eau augmente avec la dis- tance qui la sépare du fond du canal.

PROGRÈSENMÉCANIQUE DES FLUIDES oise de Givry ç En 1668, l’abbé Picard présente un

mémoire à l’Académie des sciences, où Marie-Fran il confirme le bien-fondé des travaux de 5. Les réservoirs souterrains, situés sous les Parterres d’eau (les bassins installés sur la Torricelli et de Castelli. Il constate que, terrasse du château) constituent le principal dispositif de recyclage de l’eau des fontaines quand les hauteurs d’eau sont égales de Versailles. L’eau des jets des Parterres y était récupérée pour rejouer sur les mêmes dans deux réservoirs distincts et quelle bassins ou être renvoyée vers d’autres fontaines situées dans les zones basses du parc. que soit la surface de leur base, l’eau s’en écoule à la même vitesse. Puis, Huygens l’invariabilité de la somme de la pres- Normandie, qui mesurent près de un étudie la puissance et la vitesse des jets sion, de l’énergie cinétique et de l’éner- mètre de longueur et atteignent 45 cen- d’eau. Il mesure la puissance d’un jet gie potentielle. Huygens souligne l’utilité timètres de diamètre, pour les plus gros. s’échappant d’un réservoir en dirigeant de connaître les «forces mouvantes de Ils sont munis de brides octogonales celui-ci sur le plateau d’une balance et en l’air et de l’eau» pour dimensionner percées de trous destinés au boulon- plaçant un contrepoids sur l’autre plateau les ailes des moulins et les aubes des nage des tuyaux entre eux. Toutes les pour atteindre l’équilibre. On apprend roues à eau, ou pour prévoir l’équiva- anciennes conduites du parc seront qu’un jet d’eau vertical atteint la hau- lent-chevaux de ces installations. progressivement remplacées par les teur de l’eau du réservoir qui l’alimente. Dans le domaine des canalisations, conduites en fonte (dont certaines sont Tous ces travaux ont pour objectif de Roëmer fait des expériences pour déter- encore en place). dimensionner les réservoirs et aqueducs miner la résistance des tuyaux en fonte, Ainsi, les travaux hydrauliques de Ver- du vaste réseau hydraulique de Versailles. en fonction de la hauteur d’eau (de la sailles ont fédéré les académiciens. Mariotte entreprend en 1669 la syn- pression), qu’il publie en 1680. Il cherche Entre 1668 et 1684, cinq d’entre eux, sur thèse des travaux de ses collègues et ainsi à résoudre les problèmes posés les 14 que comptait l’Académie à ses publie en 1669 le Traité de la force mou- par l’utilisation des premières canali- débuts, y ont régulièrement participé. vante de l’air et de l’eau. De La Hire sations en fonte à Versailles. Notam- Aujourd’hui, l’héritage le plus visible de en réaménage les prolongements fon- ment, pour les eaux du réseau des leurs travaux est constitué des nom- damentaux dans son Traité du mou- étangs inférieurs, qui arrivent à Ver- breux vestiges du réseau des étangs et vement des eaux de 1686. Les résultats sailles en franchissant la vallée de la rigoles de Versailles, même si l’apport des directement applicables à la fontaine- Bièvre par un siphon. Cependant, les académiciens dans les domaines du nivel- rie sont regroupés dans un chapitre inti- canalisations en fonte, de 20 centi- lement et de la mécanique des fluides se tulé Règles des jets d’eau des œuvres mètres de diamètre, ne résistaient révèle tout aussi important, tout du moins de Mariotte. Les différents paramètres pas à la pression de quatre fois la pres- plus fondamental. Ce réseau unique au intervenant dans l’écoulement d’un sion atmosphérique, dans le fond de monde est resté opérationnel durant fluide sont identifiés : la pression, l’éner- la vallée. Les fuites importantes trans- trois siècles, avant que sa dernière branche gie cinétique et l’énergie potentielle. forment rapidement le lieu en bour- (l’aqueduc de Trappes) ne soit coupée en Mariotte a même l’intuition du principe bier. Finalement, à partir de 1683, on 1977 sous la poussée de l’urbanisation de conservation de l’énergie, lorsqu’il construit au-dessus de la Bièvre le pont de la région, obligeant les fontaines de écrit que «la nature ne fait rien de rien aqueduc de Buc, de 580 mètres de lon- Versailles à fonctionner en circuit fermé. et la matière ne se perd point». gueur et 45 mètres de hauteur. Cependant, ce n’est qu’en 1738 que Pour la machine de Marly, mise en Daniel Bernoulli comprendra le rôle fon- service en 1685, il n’y a pas d’alterna- Pascal LOBGEOIS, ingénieur passionné damental du principe de conservation tive : les canalisations doivent sup- d’histoire des sciences appliquées, est de l’énergie en hydrodynamique ; il éta- porter près de six fois la pression l’auteur de l’ouvrage Les Grandes Eaux blira alors l’équation décrivant un écou- atmosphérique. On la dote de tuyaux (Éditions JDG, Les Loges-en-Josas, 2000). lement incompressible en considérant en fonte fabriqués dans les forges de

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