LA NAVIGATION SUR LA

par M. André SCHONTZ, membre associé libre

La Seule est une rivière modeste mais d'une longue et magni­ fique histoire. Ses nombreuses sources salées y sont exploitées bien avant la période romaine. Actuellement, une campagne archéologique de grande envergure, employant les techniques sophistiquées et pluridisciplinaires les plus modernes, devrait nous apporter un nouvel éclairage sur la véritable origine de l'industrie du sel dans notre région. Dès la deuxième campagne de 2002, les archéologues pressentent des découvertes majeures. Près de Marsal et Vic-sur-Seille, ils détectent des alignements de centaines de fours, preuve d'un complexe industriel parfaitement organisé, datant du neuvième au septième siècle avant Jésus-Christ.

Tant que les salines sont sous influence messine, la Seule est parcou­ rue de nombreux bateaux plats, de très faible tirant d'eau. À , le sel est entreposé dans les caves de la Saulnerie avant d'être rechargé sur les péniches de la . Ces expéditions ne dépassent pas Trêves où le mar­ ché est en concurrence avec les sels de Hollande ou Cologne.

Les nombreux moulins du cours de la Seille rendent la navigation délicate. Les magistrats messins et le chapitre de la cathédrale ordonnent, le 7 août 1316, de dégager la rivière jusqu'à Vie, en obligeant les proprié­ taires des moulins à établir des « portières » afin de rendre libre la naviga­ tion. Puis, la domination des ducs de sur l'industrie du Saulnois détourne les courants de trafic vers la ; la Seille, non entretenue, n'est plus navigable au XVIe siècle.

L'étang de Lindre

Lieu de naissance de la Seille, l'étang de Lindre est d'origine médié­ vale. La réputation de sa pisciculture est séculaire. La carpe de Lindre est, à poids égal, un quart plus petite que celle des autres étangs. Sa chair est donc plus ferme et plus compacte. Elle est plus vivace, supporte mieux les transports dans les réservoirs des poissonniers. En 1605, le duc de Lorraine, Charles de Vaudémont, envoie au roi Henri IV, soixante « carpes aux miroirs ». Transportées par route jusqu'à Vitry-le-François, puis par voie d'eau vers Paris, elles sont placées dans l'étang de Fontainebleau. Le roi en dispose « pour les plaisirs de sa table ». Henri II (1617) leur trouvait un goût extrêmement agréable. Ces carpes devenues célèbres, peuplent longtemps encore, les plans d'eau de Marly pour l'agrément de Louis XIV.

L'étang de Lindre est constitué de quatre grands golfes allongés ayant trois kilomètres de long, venant se réunir en éventail autour de la presqu'île de . Vers Lindre-Basse, l'étang se termine par une digue maçon­ née de 400 mètres. C'est à la sortie de cet étang que se forme la Seille.

Rivière stratégique

La Seille a joué un rôle éminent dans la défense des places de , de Marsal et de Metz. L'inondation artificielle de la vallée s'obtenait en levant les vannes du barrage de l'étang de Lindre. Cette crue artificielle qui pouvait également détruire un certain nombre de ponts, se faisait sentir six heures après vers et elle était complète en deux ou trois jours. La largeur des eaux pouvait atteindre de 150 à 700 mètres selon le relief de la vallée. Huit jours étaient nécessaires pour l'écoulement des eaux et les prairies ainsi couvertes restaient encore impraticables pendant cinq à six jours.

« L'administration de la guerre attache tant d'importance à ce moyen de défense, que des études sont faites pour construire des forts destinés à empêcher une armée d'invasion de s'emparer des écluses de cet étang... Pendant le siège de Dieuze par le comte de Grancey, le 25 octobre 1641, à la tête de 3 000 fantassins et de 700 chevaux, le commandant de la Tour de Lindre ayant lâché les écluses, les eaux se répandirent en telle abondance dans les fossés et dans la campagne, que les assiégeants furent forcés de se retirer. En 1663, les troupes françaises occupaient ce poste important, dont Charles IV réclama vainement l'évacuation » (1).

« L'étang de Lindre est empoissonné pendant deux ans et cultivé pen­ dant une année. En 1870, le maréchal Le Bœuf avait ordonné de vider l'étang pour la protection de Metz, mais cet ordre resta sans effet, l'étang ayant été vidé précédemment et étant en culture. » (2)

1. Henri LEPAGE, Le département de la Meurthe, Éditions Peiffer, Nancy, 1843, 2° partie, p. 152. 2. Notice complémentaire concernant les chemins de fer et cours d'eau de Lorraine, Éditée par le ministère de la Guerre, Imprimerie nationale, Paris, 1915, p. 336. Le 6 août 1914, Foch décide de porter jusqu'à la Seille des détache­ ments de toutes les armes qui ne rencontrent de résistance que dans le sec­ teur de Vie et Moyen vie. Pour gagner le temps de remettre de l'ordre dans leurs troupes, les Allemands ouvrent les vannes de l'étang et « provoquent l'inondation de la vallée de la Seille, inondation qui s'étend déjà jusqu'à Moyenvie. Par contre, pour se ménager la possibilité de reprendre l'offen­ sive, il (l'ennemi) laisse intact les points de passage sur la rivière ». (3)

Lors de la Libération, en visant la digue, les Américains bombardent d'abord la ville de Dieuze. D'autres raids, en piqué, finissent par atteindre la cible, provoquant la dernière inondation artificielle de la vallée de la Seille.

Les derniers cycles de cultures triennales dans l'étang de Lindre datent des années 1950. Le conseil général de la Moselle se porte acquéreur de l'étang en 1976. Associé au Parc Naturel de Lorraine et aux communes concernées, ce splendide patrimoine, jusque là naturellement protégé, pour­ suit sa vocation de pisciculture, et devient en partie accessible au public. Ce vaste étang est un lieu privilégié pour les oiseaux migrateurs, séden­ taires ou sédentarisés.

Navigation de la Seille (4)

L'exploitation des salines du Saulnois nécessite une importante quan­ tité de combustible. Les difficultés d'approvisionnement en bois posent de plus en plus d'obstacles à la bonne marche de cette industrie primordiale. Il existe des traces écrites (5) de travaux pour améliorer le cours de la Seille à partir de 1574. Le prévôt de Marsal est autorisé, le 10 avril 1629, « à faire flotter, conduire et amener, tant par le moyen des canaux qu'il a fait faire à ses frais, que par bateaux sur la Seille, 4000 cordes (6) de bois qu'il a acheté sur les terres d'empire et évêché de Metz, jusqu'au-dessus de la ville de Marsal. »

Le curage et l'élargissement de la rivière sont suivis régulièrement par la maîtrise des eaux et forêts de Vie. Les propriétaires des près inondés et les communautés participent pour 2/3 et 1/3 aux dépenses de curage et

3. Maréchal FOCH, Mémoires pour servir à l'histoire de la guerre de 1914-1918, Pion, 1931, TI, p. 35. 4. Comte de MAHUET, « La Seille navigable (XVIIIe siècle) », Le Pays Lorrain, février 1926, pp. 49 à 68. 5. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, B 1165, année 1574. 6. Corde, ancienne mesure de bois de chauffage, environ quatre stères d'élargissement du lit. Les « arrêts » du Conseil de Lorraine font obliga­ tion aux riverains de couper chaque année l'herbe et les roseaux, sinon « // y sera pourvu par le procureur de Sa Majesté ».

Le gouverneur de Metz et du Pays messin, Louis-Charles-Auguste Fouquet, maréchal, duc de Belle-Isle, fait entretenir la Seille. Il fait baisser de vingt-six pouces le niveau du moulin de Vie, principale cause des inon­ dations, mais sans diminuer le mal. Il demande à un ingénieur de Marsal de travailler à un plan général de dessèchement, et il obtient l'autorisation de rendre la Seille navigable, en y introduisant, par les étangs du Stock et de Lindre, un bras de la Sarre. À part la suppression de moulins près de Marsal et de Chambrey, le projet avorte, la dépense dépassant largement les avantages. En 1759, le même maréchal de Belle-Isle fait creuser en ligne droite un nouveau lit à la Seille, sur une longueur de 1 113 m; il l'éloigné de vers l'est et son ancien lit, près des jardins, est remplacé par un canal de flottage. Ces travaux sont abandonnés à la mort du maréchal, en 1761.

La fâcheuse expérience de Catoire

Jean-BaptisteNicolas Catoire présente une requête pour « obtenir le privilège de faire flotter et naviguer sur la grande et la petite Seille ». Il expose les avantages considérables de son projet. Les marais seront assai­ nis par un meilleur écoulement de l'eau et l'air deviendrait plus sain. Les grandes routes ne seront plus fatiguées par le poids énorme des voitures, les terres seront mieux cultivées. Metz pourra exporter ses vins et se procu­ rer du bois pour le plus grand bien du commerce. Pour faire la démonstra­ tion du bien fondé de son entreprise, il fait descendre de à la porte Mazelle, 40 voiles de bois de chêne de 400 à 500 pieds de long.

« Entre trois et quatre heures de Vaprès-midi, à la retenue des eaux de la Seille, au-dessus du pont des Arènes, près de la porte Mazelle, une affluence considérable s'est massée pour voir arriver (à Metz) quatre trains de bois en provenance de Bioncourt, à une quarantaine de kilo­ mètres de Metz. Ce 20 novembre 1771, ce sont les premières flottes de planches qui descendent la Seille. Catoire de Boncourt, originaire de Verdun, avocat du roi au bureau des finances de Metz a pensé rendre la Seille navigable comme l'était la Moselle » (7).

7. F. M. CHABERT, Tablettes chronologiques du département de la Moselle, lèresérie, p. 9. L'année suivante, dans la partie la plus difficile de la rivière et en remontant le courant, il fait naviguer de Bioncourt à Burthécourt (hameau situé au confluent de la Petite-Seille), six bateaux chargés de bois pour la Saline de Château-Salins, tirés par quatre chevaux seulement.

Ce projet de rendre navigable la petite et la grande Seille jusqu'à Metz impose d'importants travaux qu'il compte prendre à sa charge: élar­ gissement de la rivière, abattage des saules et peupliers, établissement d'écluses et suppression des moulins. En contrepartie de ces travaux et de leur entretien pendant quarante ans, il sollicite le privilège de percevoir pendant la même durée, le prix des transports réalisés.

Le Conseil d'État lui concède ce privilège, le 13 janvier 1773, avec même une clause infligeant une amende de 1 000 livres à toute personne venant troubler les travaux exécutés par le sieur Catoire.

Les travaux peuvent donc être entrepris... mais c'est alors que les dif­ ficultés commencent. Les propriétaires riverains répartis le long de la Seille appartiennent à une caste très influente. Dès le 20 octobre 1773, une demande d'annulation du privilège accordé est présentée par une liste impressionnante de personnalités. Qu'on en juge: les grands doyens, cha­ noines et chapitre de la Primatiale en qualité de seigneur de et Aboncourt; le comte de Gournay-Duc, colonel du régiment provincial de Verdun ; de Gournay, chevalier de Malte et ancien officier du roi ; la com­ tesse de Gournay-Duc, dame du chapitre de Remiremont, tous seigneurs et dames de Coin-sur-Seille ; le sieur baron de Mahuet et du Saint-Empire, comte de Mailly ; le comte de Rennel, seigneur de Pettancourt et Bioncourt ; le baron le Grand, seigneur de Chambley ; le sieur Cueillet, sei­ gneur de Bey ; le sieur Beurard, greffier de la cour souveraine, curateur du marquis du Hautois ; le sieur de Silly, seigneur des Francs ; le sieur Magnien de Magnienville, seigneur de Lanfroicourt ; le sieur de Marcol, conseiller à la cour souveraine, seigneur de Manoncourt, et tous les pro­ priétaires des terrains et usines situés sur les bords de la Seille.

Cette demande critique l'exposé « aussi captieux que peu exact » du sieur Catoire qui, financièrement, ne pourra pas faire ce travail. La naviga­ tion promise est illusoire et cause de grands préjudices aux riverains. Il fau­ dra indemniser les propriétaires des moulins détruits et « cette suppression exposerait 40 000 personnes à souffrir de la faim ». Les pétitionnaires demandent que l'arrêt soit rapporté et que le sieur Catoire soit condamné à remettre en son état premier les moulins, usines, cours d'eau et terrains. Même si quelques cultivateurs se déclarent satisfaits des travaux exécutés, Catoire se plaint de rencontrer des « contrariétés déplacées et dictées par Vhumeur, la passion et Vaveuglement ». Ainsi, les travaux du moulin de Port-sur-Seille qui pourrait n'être qu'une affaire de quinze jours, sont retar­ dés par « Ventêtement d'un certain abbé ». Il faut bien dire, que dès juillet, et avant d'avoir rempli les conditions imposées par le Conseil d'État, le sieur Catoire a fait détruire, pendant la nuit, le chapeau du moulin... mais ses ouvriers en ont été chassés à coup de fusil !

S'ensuivent des correspondances acerbes. La réclamation des hautes personnalités fait son chemin et son œuvre. Le roi, en son conseil, le 20 septembre 1774, oblige Catoire à traiter à l'amiable avec les riverains, avant d'entreprendre les travaux. Pendant ce temps, les chanoinesses de l'abbaye de Saint-Louis de Metz, propriétaires du moulin de , qui se rangent à la réclamation des riverains, font saisir des bois que M. Catoire avait fait conduire à Port-sur-Seille. L'intendant de la généralité de Metz, protecteur, un temps, du sieur Catoire, autorise la saisie le 7 novembre. Les experts s'en mêlent, signe d'une irrémédiable débâcle.

« En résumé, Catoire avait fait construire 22 écluses ou portières, curer certaines parties de la Seille, redresser d'autres et dépensé 300 000 livres en travaux, en indemnité, en procès, pour finir à faire arriver quelques bateaux à Metz, sans que le cours de la Seille y ait sensiblement gagné. Bientôt, ces écluses furent détruites par les propriétaires, le lit de la rivière de nouveau envasé, elle redevint ce qu 'elle était avant le travail de Catoire » (8).

Canal stratégique

À peine quelques années plus tard, le chevalier Erard de l'Isle, sei­ gneur de Brainville, d'Hacourt et de Malaincourt, présente au roi, le 17 juillet 1782, un mémoire où il énumère tous les bénéfices qui résulte­ raient du dessèchement des marais de la Seille. Il met en avant des raisons sanitaires (9) et ne fait apparaître qu'en deuxième avantage, la création de nouvelles et excellentes prairies... « en plus, un canal de navigation serait construit de l'étang de Lindre jusqu'à Metz ».

L'expérience de Catoire lui fait craindre que le gouvernement n'inter­ pose son autorité. Comme bien d'autres le feront par la suite pour tous les projets de nouvelles voies de communication, de l'Isle avance des raisons stratégiques. Il évoque la possibilité de réunir la Seille à la Sarre. « On peut assurer, dit-il, que la nature seule a fait la plus grande partie des frais de cette jonction » (10).

8. Comte de MAHUET, op. cit.. 9. Les garnisons de Marsal et de Vie redoutent ce séjour. 10. Comte de MAHUET, op. cit.. Le projet n'est rien de moins que grandiose. M. Lecreulx, ingénieur en chef des ponts et chaussées de Lorraine, fait annuler l'entreprise en question.

La Seille canalisée

M. C. Robin, de Betting, ingénieur de lère classe à Strasbourg, présente le premier projet de voie navigable des Salines de Dieuze aux houillères de Sarrebruck. Il observe que la Seille peut être navigable à condition de for­ mer des canaux latéraux. Jaquiné, ingénieur du département de la Meurthe, dans sa « Notice sur le canal de la Sarre à la Seille », précise que cet ouvra­ ge « ne doit être considéré que comme le commencement d'une bien plus grande entreprise qui doit avoir pour premier complément nécessaire le prolongement de la navigation entre Dieuze et Metz, par la vallée de la Seille » (11).

Le conseil général de la Moselle reprend le dossier... toujours d'actua­ lité en 1817. La construction d'un canal à établir au moyen de la Seille doit être financée par tous les propriétaires de la vallée, exposés aux inondations. Le directeur général des ponts et chaussées fait observer que le dessèche­ ment des marais ne peut être entrepris que sur la demande des intéressés. Les conseils municipaux sont donc consultés en août 1817. La plupart acceptent. Nomeny prend la tête de quelques opposants. « Les conseils municipaux auraient été moins facilement entraînés vers une opinion favo­ rable, s'ils eussent su que les frais de cette opération seraient supportés par les propriétaires et évalués à près de trois millions de francs, de Lindre à , limite du département ». Les nombreuses sinuosités de la rivière, la fréquence de ses inondations, les marais, le volume des crues subites expliquent le montant de la facture. « Est-ce le moment d'imposer de si lourdes charges au moment où l'impôt foncier est arrivé à ses dernières limites, où les atteintes portées aux propriétés par deux invasions succes­ sives et par les calamités de l'année 1816 se font si cruellement sentir ».

Vers 1860, une nouvelle étude de canal est faite par les communes de la Seille. Elles sont contraintes de reculer « devant la dépense considé­ rable. Consultés à nouveau en 1895, les conseils municipaux donnent un avis défavorable, mais quelques-uns demandent, avec raison, que l'admi­ nistration veille à ce que les règlements concernant les moulins soient observés »(12). Les bénéfices de l'opération de curage de la Seille, termi­ née en 1857, leur suffisaient amplement.

11. Mémoires de l'Académie de Stanislas, 1819/1823, pp. 18 à 22. 12. Comte de MAHUET, op. Cit.. La pente du cours de la Seille n'est pas modifiée ; elle est toujours de quarante mètres seulement pour les cent-vingt kilomètres de la totalité de son cours. Mais si ses inondations sont fréquentes, elles ont toujours été moins sévères après les trop rares travaux sérieux de curages à vieux fonds et à vieux bords.

LE SEL

Principale industrie de la Lorraine, le sel apporte aux ducs de Lorraine près de la moitié de leurs ressources et ceci, de la fin du XVIe siècle au début du XVIIIe. Hélas, plus cette richesse augmente, plus la surface des forêts se réduit. Une politique d'exportation vers l'Allemagne, la Suisse, l'Alsace et le Luxembourg entraîne une déplorable augmentation des besoins en combustibles.

Les évêques de Metz, les ducs de Lorraine et ceux de Bar ont puisé ce trésor en s'épuisant pour le défendre et en épuisant surtout les forêts de la vallée. Le sel, cette richesse du Saulnois ne s'obtient qu'à grand renfort d'énergie. Les grandes poêles chauffées au bois font bouillir les eaux salées avant de livrer ce produit indispensable à l'alimentation des hommes et des animaux, à la conservation des aliments et au tannage des peaux. A cette consommation excessive, il faut ajouter que les poêles ne sont chauffées qu'à l'aide de bois nobles : chêne ou hêtre qui produisent de bonnes braises. Les résineux n'entrent que pour une faible part dans cette hécatombe.

Les améliorations successives, introduites dans la fabrication du sel, ont toutes pour objet de ménager le combustible. La partie supérieure de la Seille est utilisée pour transporter par flottage du bois destiné aux Salines de Dieuze et des travaux sont effectués au XVIe siècle pour assainir, redres­ ser et mettre en état ce cours d'eau.

Le bois et son transport

Le sel est la grande richesse de la vallée de la Seille : il n'est plus nécessaire de le démontrer. Les établissements sont peu exigeants en main- d'œuvre. Celle-ci, stable, partage son temps entre la saline et les travaux des champs. La faible production des premières salines trouve suffisamment d'énergie dans les forêts environnantes. L'augmentation des besoins éloigne les coupes de bois. Naît alors une industrie secondaire de transport, qui finit par prendre des proportions sans commune mesure avec les capacités des agriculteurs régionaux déjà accablés ; animaux de trait et véhicules. Cet éloignement coûteux des massifs forestiers majore les frais de production. Les nombreux petits cours d'eau qui coulent vers la Seille pourraient emporter des bûches vers les lieux de production si leur lit était plus recti- ligne et moins encombré. L'aménagement de petits ruisseaux du val de Seille, permettent de donner une idée des considérables besoins en énergie de l'activité des salines lorraines. Un exemple : le canal de la Flotte ou ruis­ seau de Château-Voué et le canal de Bride ; un arrêt du conseil de Stanislas du 2 avril 1757, permet à un dénommé Soyer, entrepreneur de la formation des sels, de faire flotter sur le ruisseau de Château-Voué, de jus­ qu'à la Saline de Château-Salins et de se servir pour le rendre flottable des eaux du Neuf-Étang et de l'étang de Wisse (13). Le nom actuel « ruisseau de la flotte » est un rappel du rôle qu'il a joué dans la richesse du Saulnois.

Moyenvic doit son existence et son développement aux salines qui y existaient dès le IXe siècle. Convoitées, fortifiées, détruites, brûlées et reconstruites les Salines de Moyenvic que les ducs de Lorraine avaient acquises de l'évêque de Metz en 1571, sont cédées au roi par le traité de Vincennes, en 1661. Le laborieux approvisionnement de ces salines en bois a conduit à réduire les distances de charroi.

Le canal de flottage des salines

À partir de l'étang de , alimenté par le fossé qui descend du château de Marimont et celui d', cultivés une année sur trois, deux petits ruisseaux se réunissent pour former « le Canal de flottage des salines », créé dans le cours sinueux du Nard, pour la conduite et le flottage des bois utilisés à Moyenvic. Tracé en ligne presque directe, sur 13 km, il rejoint la Seille en aval de Marsal et dessert la saline. La technique de transport est simple: les bois sont versés dans le ruisseau, les vannes de l'étang sont ouvertes pour que le flot entraîne les bûches jusqu'au lieu de stockage où plusieurs « arrêts » permettent une judicieuse répartition des stocks. Une piste établie le long du canal permet de pousser dans le droit chemin les bois récalcitrants. Dans les années 1900, ce canal avait encore 3,40 m de large et 1,5 m de profondeur. Il dessert au passage la petite Saline de Ley (14), active encore au XXe siècle et dont les ruines subsis­ taient après la dernière guerre. Ce canal de flottage est encore visible, entre la route D 955 et les villages de Donnelay et , toujours aussi recti- ligne, et récemment entretenu pour assurer l'écoulement des irrigations fai­ sant suite au remembrement.

13. Henri LEPAGE, Le département de la Meurthe, chez Peiffer, Nancy, 1843. 14. Cette saline est encore nommée : Saléaux ou Salées-Eaux ou Saline Cabocel. Cahiers de doléances

Des récriminations à rencontre de la pénurie du bois aux environs des salines sont déjà présentées aux États généraux de 1538.

Voici, pour 1789, un relevé des doléances relatives à l'industrie du sel ou des canaux de flottage : « Il a été établi sur les territoires de , Juvelize et Donnelay des canaux pour la conduite et le flottage des bois employés à la Saline de Moyenvie. Ces canaux n'avaient et ne devaient avoir originairement que dix pieds de largeur. Uentretien en ayant été négligé par la ferme générale qui en est chargée, ils se trouvent aujour­ d'hui larges de vingt à vingt-cinq pieds, et lorsqu'il y est fait quelques réparations, c'est au détriment des terrains qui les avoisinent et surtout des prairies dans lesquelles on enlève les gazons pour revêtir le bord de ces canaux, indépendamment des dommages occasionnés dans les récoltes de toute nature. Le flottage se fait ordinairement au moment de la récolte des foins, les prés sont inondés et le fourrage perdu. Cet objet doit être pris en considération pour y porter remède...

« Ces canaux sont encore un objet de vexations pour les habitants, attendu que l'on fait des reprises et des rapports contre les propriétaires des bestiaux qui vont y boire... »

« Il y a sur notre ban et finage de Donnelay deux canaux venant l'un d'Ommeray et l'autre de Bru où il y a des entrepôts très considérables en bois, venant de cinq à six lieues pour la consommation de la saline de Moyenvie, ce qui fait un tort considérable dans ces contrées à cause de la cherté du bois, tant pour les bois de chauffage que charronnage, que de bois de bâtiments, qui sont hors de prix... » (15)

Essais de réduction de la consommation

Charles Hiegel (16) a recensé vingt propositions d'économies du bois pour les Salines, dont quelques unes fantaisistes, d'autres non expérimen­ tées. Mais, insiste Charles Hiegel, certaines personnes cherchèrent à

15. LESPRAND et BOUR, Cahiers de Doléances des prévôtés bailliagères de et de et du bailliage de pour les États généraux de 1789, Paul Even, Metz, 1938. pp. 44, 49, 79, 89 et 113. 16. Charles HIEGEL, Les essais de réduction de la consommation de bois dans les salines lorraines, 1572 - 1630. Progrès techniques ou chimères ?, Bibliothèque Nationale, Paris, 1979. Actes du 103e Congrès national de Sociétés savantes, Nancy - Metz 1978. exploiter la crédulité du duc de Lorraine Charles III. Visionnaires et charla­ tans proposent un meilleur rendement avec un point commun : « aucune d'entre-elle s n'envoie d'officiers ou de personnel technique des Salines de Lorraine qui auraient été en principe les plus qualifiés pour apporter une solution valable au problème de la consommation du bois. Jean Arnet, en 1582, suggère de réduire les ouvertures des fourneaux, de baisser la poêle sur le feu et d'utiliser la chaleur solaire pour réchauffer l'eau salée. Le duc de Lorraine, impressionné, lui donne en bail pour neuf ans la saline de Rosières, celle qui dispose de moins de bois. Au bout d'un an, il entre en conflit avec les officiers de la saline qui lui objectèrent qu 'il s'était trompé de moitié dans ses calculs. Sa mort en 1585 met fin à son bail ». Les propo­ sitions d'économies de bois affluent sans le grand succès espéré, mais l'in­ dustrie en profite toujours un peu et il est certain que la technique évolue dans le sens de l'économie.

Par manque de bois les salines de Rosières (17) sont fermées en 1484, rouvertes 80 ans plus tard. Un mémoire des intendants de Lorraine, rédigé au XVIIe siècle précise que c'était celle « où il sortait le plus de marchan­ dises, aidée qu'elle était des bois des Vosges, conduits et flottés à bois per­ dus sur les ruisseaux qui y descendent des montagnes (18) ».

Recherche de houille

La houille, utilisée « confidentiellement » en 1598 à la saline de Saulnot et en 1632 à la saline de Salins, n'arrive dans le Saulnois que vers 1751. Mais, des préjugés tenaces empêchaient l'emploi du nouveau com­ bustible. C'est de mauvaise grâce que s'effectuaient les essais, déclarant « qu'ils brûlaient le sel. Les particuliers prétendaient que son emploi jour­ nalier engendrait la consomption (19) ». Les Salines de Dieuze n'alimen­ tent leurs fourneaux en charbon, qu'en 1780.

La consommation de houille, utilisée dès 1782 dans le Saulnois, est bien plus importante que dans le bassin sidérurgique. Ces immenses besoins de combustibles, font sentir l'impérieux besoin d'un moyen de transport économe pour s'approvisionner, d'abord en bois puis en charbon de la Sarre, à l'époque, française. C'est le projet et la construction du canal des Salines qui perd son intérêt lorsque nous perdons la Sarre.

17. Ainsi que celles de Salonnes. 18. LEPAGE, op. cit.. 19. Charles SADOUL, « La houille en Lorraine au XVIIIe siècle », Le Pays Lorrain, 10 avril 1905, p. 114. Insalubrité

La faible pente du cours d'eau et les culture des étangs une année sur trois sont à l'origine de l'insalubrité de certaines régions de la Seille, dénoncée de tout temps par le corps médical.

À cette insalubrité des champs, s'ajoute l'insalubrité de la ville. À Metz, tous les riverains rejetaient dans les bras de la Seille... tout... tout. Les observations, les circulaires n'y changeaient rien. Les ordonnances se suivaient, sans cesse recopiées « gourmandant vertement les concitoyens sur Vincurie et leur négligences des lois de Vhygiène ». Rien n'y fait.

Depuis sa création, le canal intérieur de la Seille a été l'objet de tant de règlements de police, d'arrêts municipaux et même d'ordonnances royales, qu'il a suscité tant de réclamations en sens inverse, suivant qu'elles provenaient ou de ceux qui souffrent de ses émanations fétides ou des propriétaires riverains dont les industries tirent parti de ces eaux. Tout le monde est d'accord sur l'insalubrité de la Seille, mais les divers intérêts industriels, civils et militaires, que l'ancienneté et l'incontestable valeur des droits acquis, rendent fort difficile une équitable solution à ce problè­ me. Ce sont ces mêmes droits acquis qui empêchent de combler le bras de la Seille qui profite aux tanneurs et autres industries polluantes.

L'espoir apparaît seulement dans les années 1860. Le projet de canali­ sation de la Moselle dont l'enquête d'utilité publique a lieu en 1861, va apporter un peu d'air frais dans ce dossier morbide et surtout plus d'eau dans la Seille trop longtemps bloquée par des obstacles stratégiques.

Avant la guerre de 1870, les travaux de canalisation de la Moselle, de Frouard à était en chantier, ils atteignaient Metz juste avant l'an­ nexion.

Un exposé de M. Frécot à la séance de l'Académie nationale de Metz du 31 juillet 1873, fait part des améliorations que devrait apporter le nou­ veau port de Metz, en liaison avec le canal de la Moselle en cours de construction. Un ingénieur a établi un projet de mettre en communication la Seille avec le canal de la Moselle, à l'occasion des travaux du « vaste » port qui se construit sur le plateau du Sablon aux portes de la ville, entre (l'ancienne) gare des marchandises du chemin de fer et la redoute du Pâté, le long de la route de l'État n° 57. Ainsi, c'est l'établissement du port de Metz, un projet de transport par voie d'eau rejoignant la Seille, qui met fin aux désagréments que plusieurs siècles d'administration trop timorée n'avaient pu dénouer.

Le barrage du grand fossé de la citadelle à l'écluse construite par le génie militaire, à 250 mètres environ à l'aval de la porte Serpenoise permet de réaliser un vœu renouvelé chaque année par le conseil général de la Moselle pour l'assainissement de la Seille et des fossés des fortifications. Il assure un tirant d'eau considérable dans les fossés de la lunette des sablons et de la redoute du Pâté et donne la possibilité d'opérer des chasses d'eau dans les fossés de la place ainsi que dans le lit de la Seille, ce qui fera dis­ paraître pendant l'été deux véritables foyers d'infection.

Rue de la Seille

Le passage de la Seille en ville est enfin supprimé. Hélas, cet impos­ sible acte de salubrité publique est finalement réalisé, mais par l'ennemi, pendant l'annexion. C'est le moment où jamais de réfléchir sur cette triste période et d'en accepter « entièrement » l'héritage. La Seille est devenue acceptable. Comblé, son lit s'est transformé en rue étrange car les maisons gardent leur air d'autrefois. Les maisons des tanneurs conservent leur style si caractéristique que longtemps encore elles perpétueront le souvenir de cette industrie particulière mais combien insalubre. Les rénovations récentes ont pris soin de préserver l'originalité particulière de cette rue des Tanneurs. L'oxyde de carbone remplace les odeurs nauséabondes des siècles précédents. On gourmandera vertement ses concitoyens...

Une certaine initiation à la Seille

Les populations de cette prospère vallée de la Seille ont, de temps immémoriaux, été influencés par la richesse des courants humains et com­ merciaux initiés par le trafic du sel. Jamais au cours de sa longue histoire elle n'a été isolée des fructueux apports civilisateurs. Nous venons de lire un modeste aperçu de son histoire. Une si longue aventure marque inévita­ blement les individus. Ceux qui ont eu la chance de fréquenter intimement ses berges et qui, ils sont nombreux, ont eu un jour la révélation que cette modeste rivière avait quelque chose de plus, se sont penchés sur son histoi­ re. L'efficacité de leur influence touche toute la vallée. Élus, responsables à divers titres, mais tous amoureux, préparent l'avenir de « Leur » rivière. Depuis les partenaires du site de Lindre qui entretiennent une nature vraie, du musée du sel de Marsal d'où irradient des inconditionnels de la Seille, de Vie-sur-Seille d'où nous viennent de « généreux conseils » du terroir et tant d'autres... entourent la Seille de nouvelles attentions, tous bien déci­ dés à donner d'ici dix ans, une nouvelle jeunesse à Notre Seille.

Si l'on ajoute à cette cure de jouvence qui se précise en aval de cette belle histoire, les découvertes majeures de la campagne archéologique en cours, et qui nous propulsent 3 000 ans en amont, dans ce qu'ils appellent déjà la « Salicorne vallée », la Seille n'a pas fini de nous étonner.