LA NAVIGATION SUR LA SEILLE par M. André SCHONTZ, membre associé libre La Seule est une rivière modeste mais riche d'une longue et magni­ fique histoire. Ses nombreuses sources salées y sont exploitées bien avant la période romaine. Actuellement, une campagne archéologique de grande envergure, employant les techniques sophistiquées et pluridisciplinaires les plus modernes, devrait nous apporter un nouvel éclairage sur la véritable origine de l'industrie du sel dans notre région. Dès la deuxième campagne de 2002, les archéologues pressentent des découvertes majeures. Près de Marsal et Vic-sur-Seille, ils détectent des alignements de centaines de fours, preuve d'un complexe industriel parfaitement organisé, datant du neuvième au septième siècle avant Jésus-Christ. Tant que les salines sont sous influence messine, la Seule est parcou­ rue de nombreux bateaux plats, de très faible tirant d'eau. À Metz, le sel est entreposé dans les caves de la Saulnerie avant d'être rechargé sur les péniches de la Moselle. Ces expéditions ne dépassent pas Trêves où le mar­ ché est en concurrence avec les sels de Hollande ou Cologne. Les nombreux moulins du cours de la Seille rendent la navigation délicate. Les magistrats messins et le chapitre de la cathédrale ordonnent, le 7 août 1316, de dégager la rivière jusqu'à Vie, en obligeant les proprié­ taires des moulins à établir des « portières » afin de rendre libre la naviga­ tion. Puis, la domination des ducs de Lorraine sur l'industrie du Saulnois détourne les courants de trafic vers la Meurthe ; la Seille, non entretenue, n'est plus navigable au XVIe siècle. L'étang de Lindre Lieu de naissance de la Seille, l'étang de Lindre est d'origine médié­ vale. La réputation de sa pisciculture est séculaire. La carpe de Lindre est, à poids égal, un quart plus petite que celle des autres étangs. Sa chair est donc plus ferme et plus compacte. Elle est plus vivace, supporte mieux les transports dans les réservoirs des poissonniers. En 1605, le duc de Lorraine, Charles de Vaudémont, envoie au roi Henri IV, soixante « carpes aux miroirs ». Transportées par route jusqu'à Vitry-le-François, puis par voie d'eau vers Paris, elles sont placées dans l'étang de Fontainebleau. Le roi en dispose « pour les plaisirs de sa table ». Henri II (1617) leur trouvait un goût extrêmement agréable. Ces carpes devenues célèbres, peuplent longtemps encore, les plans d'eau de Marly pour l'agrément de Louis XIV. L'étang de Lindre est constitué de quatre grands golfes allongés ayant trois kilomètres de long, venant se réunir en éventail autour de la presqu'île de Tarquimpol. Vers Lindre-Basse, l'étang se termine par une digue maçon­ née de 400 mètres. C'est à la sortie de cet étang que se forme la Seille. Rivière stratégique La Seille a joué un rôle éminent dans la défense des places de Dieuze, de Marsal et de Metz. L'inondation artificielle de la vallée s'obtenait en levant les vannes du barrage de l'étang de Lindre. Cette crue artificielle qui pouvait également détruire un certain nombre de ponts, se faisait sentir six heures après vers Chambrey et elle était complète en deux ou trois jours. La largeur des eaux pouvait atteindre de 150 à 700 mètres selon le relief de la vallée. Huit jours étaient nécessaires pour l'écoulement des eaux et les prairies ainsi couvertes restaient encore impraticables pendant cinq à six jours. « L'administration de la guerre attache tant d'importance à ce moyen de défense, que des études sont faites pour construire des forts destinés à empêcher une armée d'invasion de s'emparer des écluses de cet étang... Pendant le siège de Dieuze par le comte de Grancey, le 25 octobre 1641, à la tête de 3 000 fantassins et de 700 chevaux, le commandant de la Tour de Lindre ayant lâché les écluses, les eaux se répandirent en telle abondance dans les fossés et dans la campagne, que les assiégeants furent forcés de se retirer. En 1663, les troupes françaises occupaient ce poste important, dont Charles IV réclama vainement l'évacuation » (1). « L'étang de Lindre est empoissonné pendant deux ans et cultivé pen­ dant une année. En 1870, le maréchal Le Bœuf avait ordonné de vider l'étang pour la protection de Metz, mais cet ordre resta sans effet, l'étang ayant été vidé précédemment et étant en culture. » (2) 1. Henri LEPAGE, Le département de la Meurthe, Éditions Peiffer, Nancy, 1843, 2° partie, p. 152. 2. Notice complémentaire concernant les chemins de fer et cours d'eau de Lorraine, Éditée par le ministère de la Guerre, Imprimerie nationale, Paris, 1915, p. 336. Le 6 août 1914, Foch décide de porter jusqu'à la Seille des détache­ ments de toutes les armes qui ne rencontrent de résistance que dans le sec­ teur de Vie et Moyen vie. Pour gagner le temps de remettre de l'ordre dans leurs troupes, les Allemands ouvrent les vannes de l'étang et « provoquent l'inondation de la vallée de la Seille, inondation qui s'étend déjà jusqu'à Moyenvie. Par contre, pour se ménager la possibilité de reprendre l'offen­ sive, il (l'ennemi) laisse intact les points de passage sur la rivière ». (3) Lors de la Libération, en visant la digue, les Américains bombardent d'abord la ville de Dieuze. D'autres raids, en piqué, finissent par atteindre la cible, provoquant la dernière inondation artificielle de la vallée de la Seille. Les derniers cycles de cultures triennales dans l'étang de Lindre datent des années 1950. Le conseil général de la Moselle se porte acquéreur de l'étang en 1976. Associé au Parc Naturel de Lorraine et aux communes concernées, ce splendide patrimoine, jusque là naturellement protégé, pour­ suit sa vocation de pisciculture, et devient en partie accessible au public. Ce vaste étang est un lieu privilégié pour les oiseaux migrateurs, séden­ taires ou sédentarisés. Navigation de la Seille (4) L'exploitation des salines du Saulnois nécessite une importante quan­ tité de combustible. Les difficultés d'approvisionnement en bois posent de plus en plus d'obstacles à la bonne marche de cette industrie primordiale. Il existe des traces écrites (5) de travaux pour améliorer le cours de la Seille à partir de 1574. Le prévôt de Marsal est autorisé, le 10 avril 1629, « à faire flotter, conduire et amener, tant par le moyen des canaux qu'il a fait faire à ses frais, que par bateaux sur la Seille, 4000 cordes (6) de bois qu'il a acheté sur les terres d'empire et évêché de Metz, jusqu'au-dessus de la ville de Marsal. » Le curage et l'élargissement de la rivière sont suivis régulièrement par la maîtrise des eaux et forêts de Vie. Les propriétaires des près inondés et les communautés participent pour 2/3 et 1/3 aux dépenses de curage et 3. Maréchal FOCH, Mémoires pour servir à l'histoire de la guerre de 1914-1918, Pion, 1931, TI, p. 35. 4. Comte de MAHUET, « La Seille navigable (XVIIIe siècle) », Le Pays Lorrain, février 1926, pp. 49 à 68. 5. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle, B 1165, année 1574. 6. Corde, ancienne mesure de bois de chauffage, environ quatre stères d'élargissement du lit. Les « arrêts » du Conseil de Lorraine font obliga­ tion aux riverains de couper chaque année l'herbe et les roseaux, sinon « // y sera pourvu par le procureur de Sa Majesté ». Le gouverneur de Metz et du Pays messin, Louis-Charles-Auguste Fouquet, maréchal, duc de Belle-Isle, fait entretenir la Seille. Il fait baisser de vingt-six pouces le niveau du moulin de Vie, principale cause des inon­ dations, mais sans diminuer le mal. Il demande à un ingénieur de Marsal de travailler à un plan général de dessèchement, et il obtient l'autorisation de rendre la Seille navigable, en y introduisant, par les étangs du Stock et de Lindre, un bras de la Sarre. À part la suppression de moulins près de Marsal et de Chambrey, le projet avorte, la dépense dépassant largement les avantages. En 1759, le même maréchal de Belle-Isle fait creuser en ligne droite un nouveau lit à la Seille, sur une longueur de 1 113 m; il l'éloigné de Moyenvic vers l'est et son ancien lit, près des jardins, est remplacé par un canal de flottage. Ces travaux sont abandonnés à la mort du maréchal, en 1761. La fâcheuse expérience de Catoire Jean-BaptisteNicolas Catoire présente une requête pour « obtenir le privilège de faire flotter et naviguer sur la grande et la petite Seille ». Il expose les avantages considérables de son projet. Les marais seront assai­ nis par un meilleur écoulement de l'eau et l'air deviendrait plus sain. Les grandes routes ne seront plus fatiguées par le poids énorme des voitures, les terres seront mieux cultivées. Metz pourra exporter ses vins et se procu­ rer du bois pour le plus grand bien du commerce. Pour faire la démonstra­ tion du bien fondé de son entreprise, il fait descendre de Bioncourt à la porte Mazelle, 40 voiles de bois de chêne de 400 à 500 pieds de long. « Entre trois et quatre heures de Vaprès-midi, à la retenue des eaux de la Seille, au-dessus du pont des Arènes, près de la porte Mazelle, une affluence considérable s'est massée pour voir arriver (à Metz) quatre trains de bois en provenance de Bioncourt, à une quarantaine de kilo­ mètres de Metz. Ce 20 novembre 1771, ce sont les premières flottes de planches qui descendent la Seille. Catoire de Boncourt, originaire de Verdun, avocat du roi au bureau des finances de Metz a pensé rendre la Seille navigable comme l'était la Moselle » (7).
Details
-
File Typepdf
-
Upload Time-
-
Content LanguagesEnglish
-
Upload UserAnonymous/Not logged-in
-
File Pages13 Page
-
File Size-